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Le Ravel à fuir (!!!), glacial et d’âge glaciaire, du piano trop mécanique de Keigo Mukawa : faire le test comparatif de l’enlevé et merveilleux « Rigaudon » du délicat et délicieux « Tombeau de Couperin »…

30mai

Ce n’est bien sûr pas tout à fait pour rien qu’en sa notice intitulée « L’homme Ravel : une dualité séduisante« , aux pages 13 à 16 de son double album Etcetera KTC 1816 « Keigo Mukawa – Maurice Ravel – Complete Works for Solo Piano«  _ enregistré au Chichibu Muse Park Music Hall  _,

Keigo Mukawa prononce rien moins que 6 fois le bien significatif qualificatif de « froid« ,

et qu’il utilise aussi 2 fois l’image éminemment répulsive de « sculpture de glace » pour qualifier son abord personnel du génie ravélien :

« À l’âge de treize ans, j’ai commencé à travailler sa « Sonatine« , c’était la première œuvre de Ravel que j’étudiais, et l’impression que me faisait sa musique _ voilà ! _ était celle d’une « sculpture de glace froide« . Probablement était-ce la texture de la musique, si précise, si réglée comme une mécanique parfaite _ voilà _, ou bien cette sonorité ferme construite avec des accords dissonants si bien calculés _ voilà encore _, qui m’ont évoqué cette sensation de froideur.

Plus tard, je suis entré au conservatoire de Paris en 2014 , là même où Ravel avait fait ses classes. J’ai pu étudier ses œuvres, en profondeur, et les jouer de nombreuses fois lors des concerts. Et même si Ravel est devenu le compositeur pour lequel j’éprouve le plus de sympathie, cette image de sculpture de glace n’a pas varié« …

Mais cette fâcheuse impression ne quitte pas hélas non plus l’auditeur que je suis de ce double CD de Keigo Mukawa, que, sur la foi malencontreuse de divers critiques musicaux _ par exemple Émilie Munera et Rodolphe Bruneau Boulmier, en leur émission En pistes ! de France Musique, ou Bénédict Hévry, le 7 mai dernier, sur le site de ResMusica en un article laudatif intitulé « Keigo Mukawa dans une éminente et fervente somme ravélienne«  ; mais aussi Bertrand Boissard, à la page 98 du numéro du mois de mai 2024 de Diapason ; ou encore Gérard Belvire, à la page 93 du numéro du mois de juin de Classica… _ je désirais vivement découvrir et connaître, et écouter :

or l’impression tout bonnement désastreuse que j’en ai à l’audition, est d’être livré ici à la tronçonneuse glacée et sans esprit de Glenn Gould débitant à la furibonde décérébrée les fugues mécaniques de Jean-Sébastien Bach, ou, pire encore, massacrant sans pitié les délicieuses délicates sonates pour piano, vives d’esprit, de Mozart…

J’ai donc procédé à un test comparatif _ qui a tant plu à mon petit-fils Gabriel, très fan de ce Rigaudon de Ravel… _ du preste et à jamais juvénile « Rigaudon » (dédié aux frères luziens Pierre et Pascal Gaudin _ beaux-frères de la cousine de Maurice : Magdeleine Hiriart-Gaudin… _) de cette merveille de finesse qu’est « Le Tombeau de Couperin » :


_ voici donc à écouter ici ce qu’y donne, en un podcast de 3′ 28, l’Assez vif de ce Rigaudon sous les doigts un poil balourds et mécaniquement tricotteurs _ sans esprit, et dénués de charme, et de fantaisie et malices et humour, si raveliens…  _, et surtout incomparablement trop lents pour la prestesse enjouée et mutine d’un rigaudon de ce basque mince et bondissant, et infiniment vif d’esprit, qu’était Maurice Ravel _ comparez avec les autres interprètes choisis ci-après… _, de Keigo Mukawa… 

_ et maintenant, sous les doigts bien plus justement mutins _ à la luzienne ! j’aime beaucoup, beaucoup ! _ de Martin James Bartlett, en ce podcast de 3′ 05…

_ ou encore, par Alexandre Tharaud, en un podcast magnifiquement preste et juvénile _ bravo ! bravissimo ! c’est à la perfection senti ! _ de 3′ 01…

_ et aussi par Bertrand Chamayou_ pas mal du tout non plus ! _ en un podcast de 3’06…

_ et encore par l’excellent Steven Osborne, en un podcast bien preste et alerte, lui aussi _ et comme il le faut !.. _, de 3’01…

Et maintenant faites votre choix !!!


Maintenant, en y réfléchissant encore un peu,

il me semble que cette approche trop strictement mécanique (et froide) du piano de Ravel de la part du jeune Keigo Mukawa, tient à sa pourtant juste principielle obsession (de métier) d’atteindre la perfection technique nécessaire, en effet, à servir l’idéal d’interprétation la plus juste possible des œuvres tout spécialement de Ravel, mais qui, pour le moment du moins de son propre parcours d’interprète très justement exigeant à l’égard de lui-même _ Ravel lui-même n’ayant jamais été, lui, un parfait interprète, ni au piano, ni à la baguette de chef, de ses propres génialissimes œuvres… _, passe encore, pour le moment du moins, à côté de l’objectif absolument fondamental, et rédhibitoire sinon, de l’interprétation ravelienne : servir l’esprit le plus fin, tendre, chaleureux, insidieusement torride même, voilà, de l’œuvre de Ravel, par la médiation seulement, si je puis le dire ainsi, de la parfaite maîtrise obligée, certes, en effet, de la technique, mais qui n’en qu’un nécessaire moyen, un étai, et qu’il faut absolument, à l’interprète, apprendre à dépasser-transcender, faire complètement oublier à l’auditeur ; sinon l’interprète, encore besogneux, malhabile, en reste, en effet, à une rédhibitoire réfrigérante « sculpture de glace » de cette musique subtilissime de Ravel, au-delà de son obligée perfection technique ; en ne réussissant pas, lui interprète, à atteindre et surtout faire s’envoler-virevolter-tournebouler dans le charme le plus pur et aérien, l’esprit ludique, finement sensuel et même érotique, de la sublime fantaisie narquoise du génie français absolu de Maurice Ravel compositeur ; dans l’esprit, mine de rien très audacieux et moderne, franchement rieur et léger, leste (car délesté…), d’un Couperin, d’un Rameau, mais aussi d’un Mozart, et même encore du jeune Mendelssohn _ par-delà, à la Nietzsche, le tragique fatal de toute vie, qui s’y perçoit bien sûr aussi, en filigrane estompé d’un constant et bien présent arrière-fond, sensible à l’horizon rosé des plus beaux soirs d’été…

Ce jeudi 30 mai 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et encore deux remarquables lecture-commentaires des stupéfiantes (de beauté singulière) « Chansons madécasses » de Maurice Ravel…

16mai

En  continuant de fouiller sur le Net,

j’ai découvert encore deux très intéressantes lecture-commentaires des bouleversantes de beauté singulière « Chansons madécasses » de Maurice Ravel,

dont voici, ici, deux précieux liens d’accès à la lecture :

« La respiration musicale de l’amour malgache« , de Yann Bertrand, publié le 29 janvier 2019 ;

et « Chansons madécasses, modernisme et érotisme : pour une écoute de Ravel au-delà de l’exotisme« , de Federico Lazzaro, le 16 mai 2016…

Maurice Ravel, entre érotisme et anticolonialisme

La respiration musicale de l’amour malgache

« Les Chansons madécasses me semblent apporter un élément nouveau – dramatique voire érotique – qu’y a introduit le sujet même de Parny. C’est une sorte de quatuor où la voix joue le rôle d’instrument principal. La simplicité y domine. L’indépendance des parties s’y affirme que l’on trouvera plus marquée dans la Sonate pour piano et violon»

Maurice Ravel, extrait d’Une esquisse autobiographique, retranscrit par Roland-Manuel

1925. Alors que L’Enfant et les Sortilèges (Fantaisie lyrique sur un livret de Colette) vient d’être donné pour la première fois à l’opéra de Monte-Carlo, le 21 mars, sous la direction du chef d’orchestre Victor de Sabata, Maurice Ravel est contacté pour la composition d’une nouvelle composition. C’est le violoncelliste Hans Kindler, venu pour le compte de la mécène américaine Elizabeth Sprague-Coolidge, qui lui commande une œuvre d’une dizaine de minutes pour un effectif de musique de chambre inattendu : voix, flûte, violoncelle et piano.

Un vrai défi. En effet, Ravel ne dispose que d’un court délai pour la composition. D’ailleurs, seule la seconde chanson du recueil (« Aoua ! ») sera écrite dans les temps. Les deux autres ne seront achevées que l’année suivante, en 1926. Aucun texte ne lui est suggéré, ce qui lui laisse une totale liberté dans le choix des poèmes qu’il souhaiterait mettre en musique. Depuis son installation à Montfort-l’Amaury en avril 1921, Ravel a acquis beaucoup d’ouvrages rares dans sa bibliothèque, notamment d’œuvres, de mémoires et de lettres du XVIIIe siècle (« typique des lectures d’un solitaire » dira le musicologue Marcel Marnat). Parmi eux se trouve un exemplaire de l’édition complète de l’œuvre d’Evariste Désiré de Forges, Vicomte de Parny, plus connu sous le nom d’Evariste de Parny (1753-1814), qui va servir de point de départ pour l’œuvre à venir.

A cette époque, Ravel s’enthousiasme pour les Chansons madécasses traduites en français, suivies de poésies fugitives. Il s’agit d’un recueil de poèmes en prose rédigé _ parait-il, selon Parny lui-même… _ à partir de documents malgaches par l’auteur entre 1784 et 1785, puis publié en 1787. Les douze poèmes (chansons) composant le recueil ont été écrits par l’auteur durant un séjour aux Indes. Malgré l’intérêt que ce  dernier porte à ces documents malgaches, il ne s’est jamais rendu à Madagascar _ la référence est donc fictive…

Au sein de ce corpus, Maurice Ravel choisit d’abord la troisième chanson (« Méfiez-vous des blancs »), la huitième (« Il est doux ») et enfin la douzième (« Nahandove »). Ce cycle de trois mélodies forme le recueil des Chansons madécasses qu’il compose entre 1925 et 1926.

Avec les Chansons madécasses, nous avons affaire à une composition de la grande maturité ravélienne _ oui. En effet, il s’agit d’un véritable chef d’œuvre _ oui ! sublime ! _, un peu trop oublié _ hélas _ des musiciens et du grand public. Il mérite pourtant _ mais oui _ toute l’attention. Elles donnent certes beaucoup de fil à retordre _ en effet ! Ravel le reconnaissait tout le premier… _ à ses interprètes, mais elles en valent vraiment la peine. Dans ce triptyque vocal, le compositeur réussit à renouveler ses manières en proposant une page haute en couleur et d’une originalité frappante _ oui, et quasi dérangeante à beaucoup…  Tout comme il l’avait fait dans sa Sonate pour violon et violoncelle en 1920, il parvient à dépouiller sa mélodie, à épurer son harmonie, apportant un panorama musical simple _ oui ! _, mais riche _ oui, oui ! _, d’une écriture suave réduite à l’essentiel _ en effet. L’indépendance des voix _ voilà ! _ domine l’œuvre. Le compositeur y fait régner un art contrapuntique « très strict » dira-t-il durant un entretien avec un interlocuteur anonyme publié dans la Revue musicale le 12 mars 1931. Le résultat est tout à fait remarquable. Les instruments de la nomenclature semblent communiquer, se compléter sans jamais s’appesantir _ tout cela est d’une parfaite justesse. Ravel ne lésine pas sur les moyens, et va jusqu’à utiliser son pupitre comme un orchestre, ce que l’on peut observer surtout au sein de « Aoua ! » et de « Il est doux ».

Pierre Boulez ou encore Vladimir Jankélévitch considèrent les Chansons madécasses comme une œuvre très imprégnée et très marquée par le Pierrot Lunaire d’Arnold Schoenberg de 1912 _ oui. Ravel considérait d’ailleurs son aîné viennois comme l’un des plus grands compositeurs de son temps. Il y fait référence dans la conférence intitulée « La musique contemporaine » du 7 avril 1928 à Houston au Texas (durant son fameux voyage aux Etats-Unis) : « Je suis parfaitement conscient du fait que mes Chansons madécasses ne sont en rien schoenbergiennes, mais j’ignore si j’eusse été capable de les écrire si Schoenberg n’avait pas composé. » Ravel avait écrit en 1913 une œuvre pour un ensemble instrumental similaire à celui du Pierrot Lunaire dont il n’avait alors entendu parler que par retours d’Igor Stravinsky et d’Edgard Varèse _ voilà _ : Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé. (Stravinsky avait composé dans la même veine Trois poésies de la lyrique japonaise). Nous retrouvons l’influence qu’a pu avoir Schoenberg sur Ravel dans les Chansons madécasses. D’ailleurs il ne s’en cache pas : « Il ne faut jamais craindre d’imiter. Moi, je me suis mis à l’école de Schoenberg pour écrire mes Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé et surtout pour les Chansons madécasses […] » (cf entretien cité plus haut).

Il est temps de feuilleter les pages de ce livret.

….

Considérons d’abord « Nahandove » : véritable page d’érotisme _ absolument ! _, elle est la première chanson du recueil _ de Ravel. Le compositeur y fait naitre une atmosphère sensuelle et extatique rare et tout à fait remarquable _ absolument. Indiquée andante quasi allegretto, c’est le violoncelle et la voix qui débutent l’œuvre _ oui _ dans un duo suave, doux et coloré de sonorités modales. Rythme et mélodie se confondent au sein des arabesques du violoncelle : l’esprit attisé de Ravel gravite autour de groupes de notes et permute systématiquement les rythmes. (Procédé que l’on retrouve d’ailleurs au sein du Pierrot Lunaire). L’intervalle de quarte est très présent (mi, la, ré, sol). Nous retrouverons l’aisance du musicien à composer et à jouer avec ces lignes mélodiques indépendantes dans toute l’œuvre _ voilà.

Dans le texte de Parny, où l’amant prépare un lit « parfumé de fleurs et d’herbes odoriférantes » pour sa jeune amie « la belle Nahandove », Ravel tisse un tapis sonore envoûtant et voluptueux _ voilà _ sur lequel sa musique va prendre tout son sens. Le piano vient alors rompre _ oui _  le duo rêveur du violoncelle et de la voix dans un mouvement più animato. Par ses rythmes, nous reconnaissons « la marche rapide »  et « la respiration précipitée » de Nahandove vers « le lit de feuille ». La flûte n’intervient _ oui _ qu’à son arrivée. Le compositeur use des nombreux ostinatos rythmiques comme d’une arme évocatrice de la montée en puissance de l’excitation _ voilà _, renforcée par le crescendo débutant sur une nuance pianissimo vers une nuance forte. Le charme musical opère au chiffre 2 de la partition. L’écriture un peu moins dense devient de plus en plus enivrante _ c’est cela. La flûte, par ses arabesques fluides, envoûte l’oreille de l’auditeur (nous retrouverons ces arabesques sensuelles dans la troisième chanson du recueil). Le compositeur crée une atmosphère qui accompagne et renforce le texte, la rendant de plus en plus voluptueuse : « Que ton regard est enchanteur, que le mouvement de ton sein est vif et délicieux sous la main qui le presse ». Ravel parvient à faire ressentir une véritable sensation de vertige _ oui _ au sein du dialogue instrumental. Prenons l’exemple des intervalles enivrants de la flûte, des ondoiements du violoncelle et le contraste sonore avec l’écriture obsédante des ostinatos du piano, au chiffre 3 de la partition : « tes caresses brûlent tous mes sens : arrête, ou je vais mourir. ». Et, de la même manière que le musicien avait fait croitre cette excitation, il parvient à intégrer un climat plus épuré (au chiffre 4 de la partition) dans lequel le piano adopte encore une fois un nouvel ostinato rappelant les inflexions du violoncelle au début. Constat de l’amant : « Le plaisir passe comme un éclair » _ post-coïtum… Cette première chanson se termine dans la douceur et dans une atmosphère rêveuse _ avec un puissant goût de revenez-y... _ semblable à celle du début, en mode de fa sur la.

Extrait de la première chanson du recueil : « Nahandove ».

« Aoua ! » … Cette autre chanson au titre suggestif _ de l’invention de Ravel ; l’expression n’existe pas chez Parny _ est la première des trois chansons écrite par Ravel sur le texte le plus politique _ en effet _ du recueil de Parny. Elle est donnée en audition privée en automne 1925 à l’hôtel Majestic de Londres, pour les invités d’Elizabeth Sprague-Coolidge (commanditaire de l’œuvre). Divers artistes participent à son interprétation : Jane Bathori (mezzo-soprano), Louis Fleury (flûte), Hans Kindler (violoncelle) _ l’intermédiaire d’Elisabeth Sprague Coollidge auprès de Ravel _ et Alfredo Casella (piano). Applaudie par une partie de l’auditoire, elle est cependant contestée, notamment par Léon Moreau, second prix de Rome en 1899, qui se montre indigné _ voilà _ par les propos anticolonialistes du texte choisi par le compositeur. Il n’hésite pas à s’y opposer de vive voix. Cette touche d’anticolonialisme, mouvement très jeune à cette époque, pouvait sembler ostentatoire sinon choquante aux yeux des plus conservateurs. Nous imaginons bien que Ravel, homme de gauche proche de Léon Blum _ mais oui ! _, était conscient de l’impact que pouvait avoir un tel texte déclamé en musique _ la mélodie était destiné en priorité à un auditoire américain… Sans doute était-il fier de l’engagement politique et militant de sa composition. En outre, il avait déjà le goût de la provocation _ au moins _ et _ peut-être, mais c’est moins sûr _ du scandale. Notée andante, la musique commence par la déclamation fortissimo (tutti) d’un cri de guerre (« Aoua ! ») _ soit le haka des Maoris ! _ que Ravel a ajouté _ voilà, de son initiative _ au texte de Parny. L’effet est absolument glaçant _ tout à fait !!!! et c’était déjà là l’intention du poème de Parny… _ et agit comme une mise en garde tonitruante _ voilà ! _ renforcée par l’utilisation « percussive » du piano _ à la Bartok _ qui résonne comme un gong. Assurément, les cinq premières mesures donnent le ton : « Aoua ! Méfiez-vous des blancs habitants du rivage ! ». Fracassantes, elles s’imposent à l’auditeur comme un titre, une identité _ tout à fait. Elles s’imposent également comme un réel présage _ oui : accompagnant l’avertissement prémonitoire du poème de Parny, en 1787 _ de l’ambiance du texte (et de la musique) à venir _ tout cela est très juste. Ravel y installe une atmosphère bitonale (le musicologue Christian Goubault parle même de bimodalité) ambiguë dans laquelle la voix et la main droite du piano en fa# contrastent avec le reste de la nomenclature en ut. Il instaure un climat ambigu, très sombre _ oui _, qui fait corps avec le texte chargé de rancœur _ voilà : Parny a connu cela d’expérience sur divers rivages de l’Océan indien. L’auditeur ne peut que se laisser absorber par l’histoire contée : « Du temps de nos pères, des blancs descendirent dans cette île ; on leur dit : Voilà des terres ; que vos femmes les cultivent. Soyez juste, soyez bons, et devenez nos frères. Les blancs promirent, et cependant ils faisaient des retranchements. ». L’ostinato au piano semble incantatoire _ oui _, renforcé par les quintes inlassables du violoncelle et les ponctuations languissantes de la flûte. Plus on s’avance dans la torpeur du texte et de la musique, plus la tension croît à travers le climat harmonique et l’amorce d’un crescendo e accelerando poco a poco : « leurs prêtres voulurent nous donner un Dieu que nous ne connaissons pas ». Au chiffre 3 de la partition, la nomenclature s’emporte : « plutôt la mort ! Le carnage fut long et terrible » _ envers ces Blancs colonisateurs _, et croît de plus en plus vers le fortissimo. Climax de la bataille et de la partition avec le retour du cri de guerre plus tonitruant encore : « ils furent tous exterminés. Aoua ! Méfiez vous des blancs ! ». Cette nouvelle déclamation enchaîne sur un allergo feroce au chiffre 4. Accompagnée seulement par des harmonies au piano et des rythmes endiablés à la flûte, la voix annonce l’arrivée _ à venir _ de « nombreux tyrans, plus forts et plus nombreux ». La tension décroît enfin au molto ritenuto lié au départ des tyrans s’achevant sur un adagio au chiffre 5 : « Ils ne sont plus, et nous vivons, et nous vivons libres. » Dernière déclamation du cri de guerre cette fois-ci pianissimo, et, en guise de ponctuation de cette page si particulière, s’ajoute une ultime mise en garde languissante (« méfiez-vous des blancs, habitant du rivage. ») avant de terminer sur une basse sourde (sol-fa#) du piano (comme un gong).

Enfin, la chanson « Il est doux » ponctue ce cycle de mélodies. Il s’agit de la chanson la plus dépouillée et la plus épurée du recueil _ en effet. La voix y est quasiment nue, la nomenclature beaucoup plus discrète, la nuance beaucoup plus soutenue (elle oscille entre piano et pianissimo). Ravel y expérimente des sonorités tout à fait originales pour accompagner cet ultime texte. Relevons par exemple l’entrée du violoncelle en harmonique (sul ponticello), mesure 5, apportant un timbre précis voulu par le compositeur. Il instaure ainsi une atmosphère toute particulière inédite jusqu’alors au sein de ces chansons. Il vient s’insérer délicatement dans la phrase de flûte qui a débuté l’œuvre. Cela rappelle d’ailleurs l’intervention de la contrebasse (sul ponticello) qui accompagne les deux hautbois en quintes et quartes parallèles, au début de L’Enfant et les Sortilèges. Sur un tempo indiqué lento,une phrase langoureuse à la flûte enrichie par les harmoniques du violoncelle, évoque l’atmosphère dans laquelle le texte plonge l’auditeur : celle d’une fin d’après-midi étouffante de chaleur _ tropicale. La richesse sonore de ces deux lignes ouvre la dernière page de ce recueil. Ponctuées par des septièmes murmurées dans le registre aigu du piano, la voix fait son entrée au chiffre 1 de la partition : « Il est doux de se coucher durant la chaleur sous un arbre touffu ». Les lignes _ musicales _ écrites par Ravel frappent par leur originalité et leur dépouillement. La lenteur avec laquelle la musique se développe ramène l’auditeur captif vers l’atmosphère voluptueuse _ oui, oui _ du texte de Parny. La tonalité y est, à l’instar de « Aoua ! », également suspendue par moments.

Cette surenchère dans l’impression de vertige participe aussi à l’élaboration de ce monde extatique déjà évoqué. Le chant continue imperturbablement : « Femmes, approchez. Tandis que je me repose sous un arbre touffu, occupez mon oreille par vos accents prolongés. » Evidemment le choix de ce texte à tendance plutôt machiste _ oui _ n’est pas un hasard. Il s’agit d’une touche de second degré du compositeur face à laquelle la musique reste inébranlable et indifférente. L’humour était caractéristique de Ravel, et l’on retrouve au sein de sa musique beaucoup de touches de second degré _ en effet. Au chiffre 3 de la partition, nous pouvons observer un nouvel effet sonore ici presque percussif. Le violoncelle entre en harmonique en pizzicati tandis que le piano résonne doucement en fond. La flûte reprend un élément évocateur du caractère érotique déjà présent dans « Nahandove ». Il renforce l’étreinte suggérée par le texte et accentue la couleur extatique et enivrante _ lascive _ de la scène : « Que vos pas soient lents, qu’ils imitent les attitudes du plaisir et l’abandon de la volupté ». La venue du crépuscule conclut le texte. Au chiffre 4 de la partition (andante quasi allergretto), seul le piano, sur de longues harmonies douces et épurées accompagne la voix : « la lune commence à briller à travers les arbres de la montagne. »

Alors que tout semble terminé, le génie du second degré de Ravel intervient une dernière fois _ oui ! L’ultime phrase du poème de Parny, isolée du reste de la chanson, résonne (avec ses inflexions légèrement dédaigneuses et nonchalantes) _ tel le sprechgesang schœnbergien _ dans les trois dernières mesures : » Allez, et préparez le repas ».

Premières mesures de la troisième chanson du recueil : « Il est doux ».

Les Chansons madécasses forment un véritable chef-d’œuvre du répertoire de la musique de chambre _ oui ! _, et constituent la quintessence de l’art ravélien _ absolument. Elles sont dignes des plus importantes réussites du compositeur _ oui, oui. Il considérait d’ailleurs _ lui-même _ cette œuvre comme l’une des plus réussies de sa production, chose assez rare pour ce musicien parfois très sévère avec certaines de ses créations. Les Chansons madécasses furent données pour la première fois (dans sa version intégrale _ des 3 mélodies _ ) à l’Académie américaine de Rome le 8 mai 1926 avec Jane Bathori, Louis Fleury, Hans Kindler et Alfredo Casella, puis le 21 mai en Belgique en audition privée. La première en France eut lieu à Paris le 13 juin, salle Erard avec Urbain Baudoin à la flûte, succédant à Louis Fleury décédé le 10 juin à l’âge de 48 ans.

Nous ne pouvons qu’admirer l’architecture impressionnante et le minimalisme de cette œuvre _ oui. Sa modernité _ oui ! _ participe également à son chef-d’œuvre _ absolument. D’abord, du fait de son effectif inattendu, déroutant et peu commun _ demandé par le violoncelliste commanditaire Hans Kindler _, mais aussi, par-delà les timbres utilisés, du fait des sonorités recherchées par Ravel, des phrases et idées musicales, de la place de l’ostinato et de la suspension tonale qu’il suggère momentanément dans les deux dernières chansons.

Les sujets traités (érotisme et anticolonialisme) participent également de la réussite de cette composition _ c’est indéniable. Le musicien réussit à les fondre dans la musique _ oui _, et à en faire ressortir l’atmosphère avec une grande intensité _ c’est le mot juste. L’érotisme ambiant y est brillamment rendu _ ô combien ! et comment !! L’anticolonialisme et, donc, l’engagement politique du compositeur dans son œuvre, lui donne une couleur remarquable _ oui, aussi. La partie instrumentale nous plonge dans le décor évocateur des textes de Parny et renforcent le propos _ bravissimo !

Un peu trop délaissées par les interprètes _ mais oui : vraiment les attraper demeure en effet difficile _ et encore trop peu connues du grand public _ mais oui : elles sont assez peu enregistrées ; et rarement avec cohérence et justesse : Stéphane Degout, Janet Baker, selon moi… _ les Chansons madécasses méritent une écoute particulière _ absolument ! Elles figurent, au même titre que le Concerto en sol ou encore La Valse, au panthéon de la création artistique de Maurice Ravel _ j’y ajouterai pour ma part aussi Le Tombeau de Couperin Laissez-vous donc surprendre _ oui _ et enivrer _ oui, oui _ par la grâce et les charmes inouïs _ voilà ; qui rappellent celles des femmes des îles Marquises de Gauguin… _ de « la belle Nahandove ». Laissez-vous gagner par le tressaillement subtil _ oui _ que produisent l’ambiance sombre et la saveur polémique de  lascives étreintes de « Il est doux ». Vous en ressortirez en tout cas frappés, ravis et peut-être médusés par la musicalité _ oui  : prodigieuse ! sublime ! _ de cette œuvre. Mais surtout fascinés et enthousiasmés par la richesse évocatrice de cette perle rare des joyaux de la musique.

« Maint joyau dort enseveli

Dans les ténèbres et l’oubli

Bien loin des pioches et des sondes »

Baudelaire, Le Guignon


Photographie de Maurice Ravel chez lui, à Montfort-l’Amaury.

Bibliographie séléctive :

 

– Christian GOUBAULT, Maurice Ravel, le jardin féérique, Minerve, 2007.

– David SANSON, Maurice Ravel, Actes Sud, Collection « Classica », 2005.

– Hélène JOURDAN-MORHANGE, Ravel et nous, Editions du Milieu du Monde, 1945.

– José Bruyr, Maurice Ravel ou Le Lyrisme et les Sortilèges, Editions le Bon Plaisir, 1950.

– Manuel CORNEJO, Maurice Ravel – L’intégrale – Correspondance (1895-1937) écrits et entretiens, Le Passeur, 2018.

– Marcel MARNAT, Maurice Ravel, Fayard, 1995.

– Marcel MARNAT, Maurice Ravel – Manuel Rosenthal, souvenirs recueillis par Marcel Marnat, Hazan, 1998.

– ROLAND-MANUEL, Maurice Ravel et son œuvre dramatique, Editions musicales de la librairie de France, 1928.

– ROLAND-MANUEL, Ravel, Gallimard, 1948.

– Vladimir JANKELEVITCH, Ravel, Seuil, Collection « Solfèges », 1995.

 

Ainsi que l’article très détaillé et érudit « Chansons madécasses, modernisme et érotisme : pour une écoute de Ravel au-delà de l’exotisme« , de Federico Lazzaro,

in le Volume 3, numéro 1, 2016, de la Revue OICRM _ Revue de l’Observatoire Interdisciplinaire de Création et de Recherche en Musique de l’Université Laval _, paru le 16 mai 2016…

De bien belles analyses de ce chef d’œuvre si singulier et envoûtant de Maurice Ravel que sont ces 3 sublimes « Chansons madécasses« …


Ce jeudi 16 mai 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Découvrir et écouter les sensuelles Chansons d’Ottorino Resphigi (suite)…

24déc

Après le très beau CD Pentatone 5186 872 « Respighi Songs » du ténor Ian Bostridge et la pianiste Saskia Giorgini

_ cf mon article «  » du 26 janvier 2022 _,

voici que le CD Bis SACD 2632 vient nous proposer à son tour un superbe « Crepuscolo _ Songs by Ottorino Respighi« , par le ténor Timothy Fallon, accompagné, au piano, par Ammiel Bushakevitz

_ cf l’article, le 29 août 2022, de Jean-Charles Hoffelé, sur son site Discophilia, intitulé « Le Chant du faune« … _,

afin de mieux parfaire notre découverte de l’œuvre du grand Ottorino Respighi (Bologne, 9 juillet 1879 – Rome, 18 avril 1936) …

LE CHANT DU FAUNE

Ian Bostridge hier _ cf mon article «  » du 26 janvier dernier… _, Timothy Fallon aujourd’hui,

les ténors anglais ou américains sont au disque, depuis l’exemple princeps laissé par Robert Tear qui grava la version avec orchestre de Deità silvane, les seuls défenseurs des merveilles que Respighi leur aura expressément écrites (même si les sopranos se les sont attribuées parfois) avec en tête les timbres, la vocalité spécifique, des grands ténors italiens de son temps.

Pourtant, Timothy Fallon, dont la voix est autrement ample, caractérisée, que les blancheurs magiques de Ian Bostridge, replace idéalement _ voilà _ ce grand bouquet dans le paysage de la mélodie italienne depuis Martucci, conjuguant l’exaltation des sentiments et la sensualité d’une écriture _ oui _ qui se réfugie dans l’imaginaire antique pour mieux exposer son érotisme _ c’est cela.

Admirablement chanté, avec des abandons qui ne sont jamais langueurs, et le feu des mots _ oui _ toujours débordant la ligne vocale, admirablement accompagné aussi par un pianiste qui fond son clavier dans les timbres de son ténor, l’album dore ses paysages et ses apparitions dans une prise de son magnifique, donnant de l’espace pour le grand engloutissement d’In alto mare, une minute saisissante qui rappelle que Respighi fut aussi _ mais oui _ un génie du théâtre lyrique.

Sensualité, vertige, panthéisme s’allient _ voilà _ grâce à ces deux interprètes inspirés par cette atmosphère décadente, quasi D’Annunzienne _ oui _, qui je crois bien est ici saisie, hors Tramonto, pour la première fois.

LE DISQUE DU JOUR

Crepusculo

Ottorino Respighi (1879-1936)


Deità silvane, P. 107
6 Melodie, P. 89 (2 extraits : No. 1. In alto mare ; No. 2. Abbandono)
Contrasto, P. 66
L’ultima ebberezza, P. 8
Stornellatrice, P. 69
5 Canti all’antica, P. 71
Storia breve, P. 52
6 Liriche, Series 1, P. 90 (2 extraits : No. 1. O falce di luna ; No. 6. Pioggia)>
6 Liriche, Series 2, P. 97 (extrait : No. 6. Il giardino)
Lagrime, P. 9
4 Scottish Songs, P. 143
Notturno in E-Flat Major, P. 11
Nebbie, P. 64

Timothy Fallon, ténor
Ammiel Bushakevitz, piano

Un album du label BIS Records BIS 2632

Photo à la une : le ténor américain Timothy Fallon et le pianiste Ammiel Bushakevitz, à droite – Photo : © Kirsten Nijhof

À découvrir, donc,

avec très grand plaisir…

Ce samedi 24 décembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

l’inéducation sentimentale, ou l’art de la déglingue affective de Dominique Baqué (suite : en remontant vers l’amont, soit de 2005 à 1995 !)

26avr

Cette fois-ci _ il s’agit du dernier « récit«  paru de Dominique Baqué : Désintégration d’un couple, aux Éditions Anabet, en février 2010 _,

à nouveau _ après (et en remontant dans le temps : vers l’amont de l’histoire personnelle de la narratrice-auteur : il s’agit d’un parcours autobiographique…) E-Love, petit marketing de la rencontre, intitulé « pamphlet« , alors, paru à ces même Éditions Anabet, en juillet 2008 _,

c’est un article _ appétissant, comme toujours ! _ d’Yves Michaud (intitulé la cougar qui ne pouvait pas grandir) _ sur son blog Traverses, sur le site de Libération (en date du 7 avril dernier),

qui m’a fait découvrir l’existence _ ainsi que l’intérêt (à ses yeux d’abord !) _ de l’ouvrage de Dominique Baqué Désintégration d’un couple :

sinon non chroniqué,

du moins non repéré par moi-même,

dans les medias que je « suis » régulièrement.

Pour E-Love, petit marketing de la rencontre, l’article d’Yves (c’était le 7 décembre 2008) s’intitulait Méfiez-vous, fillettes : et il m’avait assez fort intrigué, puisque je me rendais à La Non-Maison à Aix-en-Provence, afin d’y donner _ ce fut le samedi 13 décembre 2008 : une bien belle journée ! _ une conférence sur le sujet, précisément, de « Pour un Non-art du rencontrer« , pour que je m’en mette en chasse illico presto :

j’avais fini par dénicher _ je suis opiniâtre _ le livre _ E-Love _ à ma troisième librairie seulement à Aix (sur le cours Mirabeau) : il est vrai que six mois venaient de s’écouler depuis la parution du-dit « pamphlet » aux Éditions Anabet (et le livre n’était pas présent alors non plus à la librairie Mollat à Bordeaux : je l’avais constaté aussitôt, avant de partir pour Aix) ; et j’étais amusé de découvrir l' »abord » présenté là par son auteur pour de telles « rencontres » _ assez éloignées des miennes : plus chastes !.. Mais il me plaît de baliser « au mieux«  le terrain, en sa plus large amplitude, quant à ce que peut être une « rencontre« … Une question de méthode ; et de fidélité (à soi), aussi : on ne se refait pas ; ma curiosité est boulimique et perfectionniste, en son genre…

Sur ce E-Love, j’avais écrit dans la foulée rien moins que deux articles,

publiés les 22 et 23 décembre 2008,

et intitulés « Le “bisque ! bisque ! rage !” de Dominique Baqué (”E-Love”) : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la “liquidation” du sentiment _ et de la personne)« 

et « Le “n’apprendre qu’à corps (et âme) perdu(s)” _ ou “penser (enfin !) par soi-même” de Dominique Baqué : leçon de méthodologie sur l’expérience “personnelle”« 

_ deux intitulés « parlants« , déjà, il me semble…

Et y revenir (les relire) est aussi assez intéressant, m’apparaît-il…

La question de l’intimité m’intéressant bougrement, si j’ose dire _ j’aurais pu dire « diablement« … : elle est au cœur de la situation civilisationnelle contemporaine (et sa pente au nihilisme)…

Cf mon compte-rendu du livre _ important ! à mes yeux _ de Michaël Foessel, La Privation de l’intime, en mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie » _ cela aussi « parle« , si on me lit…

Ainsi que celui-ci encore, écrit dans l’élan, le 18 novembre 2008 :

« Conversation _ de fond _ avec un philosophe : sans cesse (se) demander “Qu’est ce donc, vraiment, que l’homme ?” Pas un “moyen”, mais un sujet ; un (se) construire _ avec d’autres _, pas un utiliser, jeter, détruire« …


Tout cela comportant bien des harmoniques et des résonances :

formant une musique qui ne me lâche décidément pas…

Nous sommes ici au cœur même des choses cruciales…

Et de leurs enjeux personnels et collectifs, dont leur aspect politique : une affaire de rapports plus ou moins, ou à divers degrés (selon une très grande échelle), « humains » et inhumains« …

Après ce préambule ciblant le « problème » sur lequel mener l’investigation,

j’en viens à ma lecture même de Désintégration d’un couple

Dominique Baqué raconte, en quatre chapitres (intitulés de ses adresses respectives, mais présentés à l’envers de l’ordre chronologique :

_ « 89, boulevard Magenta« , pages 129 à 136 _ de 1993 à 1995

_ « 125, boulevard de Ménilmontant« , pages 109 à 126 _ de 1995 à 1997

_ « 229, avenue Gambetta« , pages 61 à 107 _ de 1997 à juillet 2001

_ « Puteaux« , pages 7 à 59 _ de juillet 2001 à 2005 _)

l’échec _ « désintégration » !.. _ d’une relation de « couple » contemporaine…

Le dernier chapitre de Désintégration d’un couple,

et le premier chronologiquement de ce « récit » narré à l’envers,

s’intitule, donc, « 89, boulevard Magenta » (le domicile qu’elle partageait avec son compagnon précédent, Damien, avec lequel elle a vécu « huit ans« , de 1985 à 1993 _ ou bien de 1987 à 1995 : il y ambigüité dans le texte, entre les expressions des pages 129 et 133 _  :

« un superbe cinq pièces de pur style haussmannien avec hauteur de plafond, cheminées de marbre, admirables moulures« , page 129) :

« J’aime plus que tout cet appartement, comme si j’avais enfin trouvé un lieu où vivre _ voilà !

Et j’aime y vivre avec Damien.

La vie y ait paisible, feutrée, sans aucun accroc ou presque, dans une entente que facilitent nos goûts communs et l’argent partagé _ Damien est journaliste de « reportage«  : ces divers éléments ont, chacun, leur poids dans la « balance«  comptable…

Je pense _ alors,

en cet « avant-récit«  de la désintégration de son (futur alors) couple bancal avec Ariel (couple qui durera, lui, dix ans : « dix ans de vie commune« , est-il énoncé page 4 de E-Love ; soit de 1995 à 2005)… _

je  pense _ à tort ! nous venons de lire pourquoi et comment en les 128 pages précédentes : ce récit est l’histoire-confession d’une « mésestimation«  !.. _ que Damien sera « le dernier homme », que nous vieillirons ensemble, tranquillement _ mais vieillir peut-il être tranquille, pour la narratrice-auteur ?..

Peut-être est-ce aussi la vie dans cet appartement _ voilà : à la manière d’un chat ! _ que j’aime en _ comment entendre cet « en«  + participe présent ? Est-ce concomitance ? est-ce cause, ou condition ?.. _ aimant Damien«  _  page 129.

« Une ombre, pourtant, assombrit ce tranquille _ l’adjectif ne cesse de revenir, tel un obstinato… _ bonheur : Damien, qui a plus de cinquante ans _ la narratrice (et auteur) en a probablement trente-sept, alors : nous sommes en 1993 ; et elle est née en 1956 _, s’abîme physiquement _ voilà !

Lui que j’ai connu svelte et élancé, racé, s’est, au fil des ans, lourdement épaissi ; les rides se sont creusées sur son visage, autour de ses yeux _ ah ! les visages : obsédants ; qui changent…

Il m’est difficile de m’avouer _ ce que pourtant, avec le recul du récit, elle, narratrice-auteur, fait ici : seize plus tard que ce moment, de 1993… _ que je le désire moins _ lui ; pas seulement son visage : est-ce grave , docteur ? En tout cas, ça l’est pour l’auteur l’écrivant en 2009 _, pourtant la vérité est là, brutale _ ah ! bon ! D’ailleurs, compte tenu de ses voyages répétés, nous faisons peu l’amour,

et cela me suffit«  _ se reproche-t-elle, par là-même, encore en 2009…


Et c’est alors, à la rentrée universitaire _ de septembre-octobre 1993 probablement : Dominique est « maître de conférences dans une université pauvre de la banlieue nord« , page 130 _ qu‘ »un jour, alors que je m’essaye à restituer l’esthétique nietzschéenne, soudain, un visage émerge

_ Dominique s’attache tout spécialement au(x) visage(s) ; dans ses deux récits (jusqu’ici) autobiographiques ; comme en son œuvre d’analyse esthétique : cf son essai Visages _ du masque grec à la greffe du visage, paru en 2007, aux Éditions du Regard : une couverture kitch éminemment répulsive m’a dissuadé de le lire, l’hiver 2008-2009…

Comment avais-je pu ne pas le voir _ = le détacher du reste _ ? Des cheveux très bruns, légèrement ondulés, une peau d’albâtre, des yeux en amande, un nez très droit, une bouche infiniment sensuelle.

Érotique » _ une détermination cruciale ! Indépendamment du reste de son corps ; ou de toute détermination contextuelle ou historique ? « Ariel«  (ou « D.«  dans E-Love) apparaît pour la première fois (en cette rentrée universitaire de 1993) à la narratrice, page 130.

« Le voyant ainsi ma parole se brouille. Je peine à reprendre le fil du cours _ nietzschéen _, m’en excuse. Le visage _ toujours lui ! _ me fixe, à la limite de la provocation. A-t-il aperçu mon trouble ?«  A la fin du cours, il s’approchera _ de la chaire ? _ pour poser une question au professeur : « _ Vous avez écrit sur la kénose du Christ. Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris. _ Ah, je vois que vous avez lu mon article dans Art-Press…« 

Tentant « d’expliquer un concept théologique en effet assez ardu, je ne peux m’empêcher, presque à la dérobée, de scruter ses traits. Ce jeune homme me bouleverse plus que de raison. Je rentre chez moi troublée. »

Ce jeune homme « a vingt-cinq ans _ en 1993, donc. Se prénomme Ariel. Habite Puteaux«  _ page 131.


« Pendant deux ans _ deux années universitaires _, Ariel va se montrer d’une assiduité parfaite à mes cours. Pendant deux ans, je vais regarder son visage comme une douleur, un interdit _ est-ce le visage qui est l’interdit ? Jusqu’à ce jour de 1995 où Paris, en proie à la grande grève nationale _ de novembre-décembre _, charrie des flots de piétons. Je reviens, assez péniblement, de l’hôpital Cochin où je me fais soigner pour mes migraines, lorsqu’à l’approche des Halles je me heurte presque au corps _ tiens ! le voilà ! _ d’Ariel, qui traverse la rue en sens inverse«  _ page 132.

« Le lendemain« , au courrier, « une enveloppe oblongue, une écriture au stylo plume que je reconnais pour l’avoir vue sur les copies que me rend Ariel lors des examens. Ariel m’écrit qu’il m’a trouvée blême dans la rue. Que si j’étais malade, il en deviendrait fou. Que je le rassure en toute hâte.

Je suis surprise, et doublement : par l’audace de la missive, et par son contenu. Ai-je donc l’air d’une morte vivante ? Que répondre ? Pendant une semaine, absente à la vie quotidienne, je relis sans cesse la lettre, au point que l’encre déteint sur mes doigts. Je sais qu’à elle seule cette lettre menace tout l’équilibre _ fragile, donc… _ d’une vie que j’ai mis huit ans _ ou dix ? Deux ans se sont écoulés depuis la rentrée universitaire de 1993 : la mention des « huit ans«  (de vie commune avec Damien) est répétée page 129 (pour 1993) et 133 (pour 1995)… _, patiemment _ tiens donc ! pourquoi ces efforts ? _ à  construire«  _ seule ?.. Pas au moins à deux ? Dominique a une conception bizarre de ce que pourtant elle s’obstine à nommer (comme cela se pratique tant, il est vrai), « un couple » : jusqu’au titre même de ce « récit«  !.. Et cette même patience unilatérale va se reproduire pour l’espèce de « couple«  qu’elle va essayer de former, dix ans durant, ensuite (de 1995 à 2005) avec Ariel (ou « D.« )…


« Qu’ai-je à reprocher _ sur la colonne du « passif«  ; en regard de la colonne de l’« actif«  : Dominique fait mentalement sa liste ; cf mon article « Un moderne “Livre des merveilles” pour explorer le pays de la “modernité” : le philosophe Bernard Sève en anthroplogue de la pratique des “listes”, entre pathologie (obsessionnelle) et administration (rationnelle et efficace) de l’utile, et dynamique géniale de l’esprit » sur le « De Haut en bas _ philosophie des listes » de Bernard Sève… ; la narratrice procède ni plus ni moins qu’à un calcul (d’intérêt) ! _ à Damien ? Rien, sinon quelque chose de profondément injuste : la déchéance physique que lui promet _ rien qu’à lui ?.. la narratrice a, elle, trente-neuf ans, alors… _ la proche vieillesse… _ quel cliché (de « d’jeun’ « ) ! et c’est un auteur de cinquante trois qui le profère : sans encore assez de maturation ?.. La « vieillesse«  n’est pas un état ! c’est un processus qui se « prend«  diversement : comme tous les processus..

 Avec un ou deux autres griefs _ dont, « de façon plus archaïque, plus obscure, moins avouable, aussi, d’avoir en partage avec moi un enfant qui n’a pas vécu« , page 133 ; « un bébé de plus de quatre mois« , a-t-elle déjà avancé, page 87 _ :

« Cela vaut-il _ c’est un calcul ! _ de rompre ? Certainement non, comme m’y enjoignent mes amies _ étrange configuration amoureuse ! Étonnez-vous alors des cafouillages ! Qu’est-ce donc, en ces cervelles-là, qu‘ »un couple« , ainsi qu’elles disent ? _, proprement effarées _ elles sont raisonnables, elles _ que je sois prête à tout détruire pour la seule contemplation _ à demeure, il est vrai… _ d’un visage« … _ page 133.


« Mais soudain

_ les décisions (affectives) de la narratrice ne manquent pas de brutalité : « avec cette brutalité qui caractérise souvent mes choix« , dit-elle à la page 52 de ce livre, au moment de décider de se faire lifter le visage ! mais ces malheureux « traits liftés n’y feront rien« , conviendra-t-elle presque aussitôt, page 55, quatre pages à peine avant la rupture définitive (qui adviendra en 2005) : la « désintégration« , cette fois irréversible, de « son » couple (à elle : l’autre _ Ariel ! cet ange décidément évanescent : aérien… _ n’en étant guère « partie prenante« , sauf dans les tout débuts, torridement érotiques : l’autre élément de ce « couple«  bancal prenant très vite l’« aspect« , en effet, d’« un gigolo«  _ « Mais c’est un gigolo, ton mec, ou quoi ? Il fout rien« , lui dira Vincent, un des « ex«  de la narratrice, qui l’aidera à faire bouillir la marmite, déjà, vers 1997-98, page 64… _ ; Ariel est, en effet, dix ans durant, de moins en moins « impliqué » ; il s’absente de plus en plus et en permanence : jusqu’à un épisode psychotique !) : un « couple« , donc, auquel il sera on ne peut plus facile de se « désintégrer« , vu qu’il n’a jamais réellement « fonctionné«  (car il s’agit bien là, avec ce concept-fantasme de « couple« , d’une « fonction » ; pas d’un amour !)… _

mais soudain, déraisonnablement, je choisis de brûler mes vaisseaux _ eu égard au vieillissant Damien _ : je donne rendez-vous à Ariel dans un café de la gare du Nord, près de chez moi _ « 89, Boulevard Magenta« La réponse, sur répondeur, ne tarde pas : Ariel vient au rendez-vous«  _ toujours page 133…

« _ Pourquoi êtes-vous là ?

_Parce que je vous aime. Depuis deux ans. Depuis que je vous ai vue entrer dans l’amphithéâtre.
_ …

_ Voilà. C’est simple.

_ Vous savez que j’ai trente-neuf ans ? Et vous vingt-cinq ? _ la scène a lieu en décembre 1995 _ Ça ne vous fait pas peur ?

_ Non.

Il a répondu très calmement. J’ai bu mon kir très vite, comme pour m’étourdir. Je le regarde en silence. Toujours ce visage, dont je ne veux plus, ne peux plus, être séparée _ un visage, ça se regarde _, au-delà de toute rationalité.

L’espace de quelques minutes, je me remémore _ encore une liste de calcul, entre avantages et inconvénients… _ Damien, la vie douce que je mène avec lui, la stabilité _ apparente _ de notre couple _ voilà : des habitudes à peu près installées ! Mais soudain, avec la violence qui caractérise toujours mes choix amoureux _ une expression bien significative : cf plus haut la citation de la page 52… _, je lance la question qui va sceller mon avenir :

_ Vous m’accompagnez chez moi ?

_ Oui.
Damien est parti en reportage, l’appartement est vide
« 
_ de lui, au moins ; pages 134-135.

Le lendemain : « J’écris un mot bref, d’une cruauté sans nom _ voilà ce que c’est que de ne pas aimer ; et de ne jamais, non plus, commencer à l’apprendre… _, à Damien : « J’ai rencontré un homme. Cet homme compte _ voilà ! _ définitivement pour moi. Je te quitte ». Et je rejoins Ariel à Puteaux. Il m’a laissé les clefs de l’appartement : je m’y installe pour achever un essai« … _ page 135.


« Tout quitter pour un visage, pour une image _ voilà : fantasmatique _, puisque d’Ariel je ne sais rien, ou si peu _ voilà ! Aucun contexte ! Rien que cette focalisation fétichiste !

Vertige de ce choix, qui demeure comme l’impensé de mon histoire«  _ fin du chapitre chronologiquement le premier (1993-1995), placé en quatrième position : après les trois chapitres consacrés aux trois (ou quatre) domiciles (car deux, en fait, et pas un seul, à Puteaux : le temps d’une brève séparation, la narratrice emménage, avec sa fille, Salomé, « rue Lavoisier« , page 26, puis d’un retour au domicile conjugal, « 69, avenue du Général de Gaulle« , page 30 : à peine « trois mois« , page 28…) en clôturant le livre…

Soit l’histoire de la dégringolade

_ de domiciliation en domiciliation s’éloignant progressivement du cœur même de Paris, et découvrant bien vite, mais trop tard (page 62, dès les premiers jours de 1996, en recherchant où se loger avec Ariel) :

« me reviennent, comme par flashes _ et mêlées d’un regret que je ne peux plus me cacher _, les images de l’immense appartement haussmannien _ voilà ! _ que j’occupais avec Damien : cinq vastes pièces au parquet centenaire, aux murs hauts, si hauts, aux somptueuses moulures et aux miroirs en enfilade… J’étais faite _ voilà ! voilà ! _ pour cette vie-là » ;

avec cette conséquence, déjà, alors qu’Ariel et elle ne se sont pas encore installés chez un véritable « chez eux«  : « et j’en voulais soudainement à Ariel de ne pas être en mesure _ et il le sera de moins en moins ! d’année en année, et de domicile en domicile (conjugal) _ de me la procurer« , « cette _ belle _ vie-là« , donc !.. _

soit l‘histoire de la dégringolade _ ainsi que l’art de la déglingue : tant face au principe de réalité que face à ce que peut être (en vérité ! et honnêteté !) un véritable amour ! _ d’une normalienne, qui n’a pas vraiment compris ses classiques : notamment Marivaux…

Le site autofiction.org (concernant le répertoire de l’autofiction) d’Isabelle Grell nous révèle que E-Love va être porté au cinéma, pour la chaîne Arte…

Nul doute que Dominique Baqué va en éprouver une satisfaction…

Quant au prochain épisode de cette autofiction _ d’impeccables écriture et auto-lucidité a posteriori (au moins !) _ de Dominique Baqué,

constituée jusqu’ici, en remontant dans le temps de E-Love et de Désintégration d’un couple, jusqu’ici donc,

ainsi que l’envisage avec sa coutumière finesse et acuité d’esprit Yves Michaud, en son excellentissime article la cougar qui ne pouvait pas grandir,

il pourrait concerner peut-être,

probablement même,

et toujours en « remontant » un cran plus amont,

sinon l’histoire des « partenaires » (de « couples » !) précédents de Dominique Baqué

_ puisque le quinquagénaire Damien, avant Ariel, était « pensé« , en 1993-95 comme, probablement, « le dernier homme« , au terme d’une certaine (indéterminée) « série«  : page 129 ;

« série«  parmi lesquels, jusque vers 1987, le généreux (mais aussi toxicomane) Vincent _ cf pages 63 à 67 _, mais Vincent lui-même n’était pas présenté, alors, dans le récit, comme « unique«  de son espèce, avant Damien : « le dernier« , jusqu’alors…

du moins le récit de sa propre filiation :

celui des rapports avec ses parents,

et notamment son père : qui la vient secourir régulièrement

au moment de payer ses impôts ou de régler les dettes de son « ménage« , bancal et dispendieux… 

C’est probablement l’empirisme d’Yves Michaux,

et sa curiosité on ne peut plus probe, quasi sévère, pour « les faits« ,

qui lui fait se pencher avec cette belle qualité d’attention

et de lucidité !

sur les mésaventures affectives d’une normalienne, brillante agrégée de Philosophie,

et plasticienne bien reconnue et appréciée sur la place…

Titus Curiosus, ce 26 avril 2010

Mario Vargas Llosa et la « cité perverse » selon Dany-Robert Dufour

18oct

Comme pour illustrer l’analyse que l’excellent Dany-Robert Dufour,

l’auteur de « L’Art de réduire les têtes _ sur la nouvelle servitude de l’homme libéré, à l’ère du capitalisme total« , en 2003, « On achève bien les hommes _ de quelques considérations actuelles et futures de la mort de Dieu« , en 2005 et « Le Divin marché _ la révolution culturelle libérale« , en 2007 _ tous d’excellente lucidité _,

propose ce mois d’octobre-ci, 2009, avec « La Cité perverse _ libéralisme et pornographie«  (chez son éditeur Denoël) _ dont s’impose l’urgence, et pas rien que médiatico-circonstancielle (sur ce terrain, un clou chassant très vite l’autre : « tournez-manèges !« …), de la lecture !

voici, ce dimanche 18 octobre 2009, un article fort intéressant _ sur un regard autre que franco-français, en quelque sorte ; même s’il n’est pas non plus du point de vue « de Sirius« _ de Mario Vargas Llosa _ l’auteur de « La Ville et les chiens« , en 1963, et de « La Maison verte« , en 1966 ; ainsi que de « Conversation dans la cathédrale« , en 1969… _, en « tribune libre » de El Pais :

« Desafueros de la libido« ,

avec pour sous titre »Los casos del cineasta Roman Polanski, el ministro de Cultura francés, Frédéric Mitterrand, y el primer ministro italiano, Silvio Berlusconi, nos muestran el eclipse de toda moral« …

Le voici en espagnol :

« El cineasta Roman Polanski fue detenido en Zúrich, durante un Festival de Cine que le rendía un homenaje, por la policía suiza, a pedido de la justicia de Estados Unidos, debido a una violación cometida en 1977 (hace 32 años) en Hollywood, delito que el propio Polanski reconoció, antes de fugarse de California en pleno proceso cuando el tribunal que lo juzgaba aún no había pronunciado sentencia. Ahora, mientras espera que Suiza decida si acepta el pedido de extradición, se multiplican las protestas de cineastas, actores, actrices, intelectuales y escritores de Europa y América por el « atropello« , exigiendo su liberación. La moral de la historia es clara : emboscar, emborrachar, drogar y violar a una niña de 13 años, que es lo que hizo Polanski con su víctima, Samantha Geimer, a la que atrajo a la casa deshabitada de Jack Nicholson con el pretexto de fotografiarla, es tolerable si quien comete el desafuero no es un hombrecillo del montón sino un creador de probado talento (Polanski lo es, sin la menor duda).

Uno de los defensores más ruidosos del cineasta polaco-francés (tiene ambas nacionalidades _ Roman Polanski est né Raymond Roman Liebling le 18 août 1933 à Paris, de parents polonais immigrés) ha sido el ministro de Cultura de Francia, señor Frédéric Mitterrand, sobrino del presidente François Mitterrand y ex socialista _ appréciation qui est à nuancer : seulement « radical de gauche« , il y a un certain temps ; pour ne pas dire un temps certain _ que abandonó las filas de este partido _ non ! lui-même semble nier avoir été jamais encarté au parti socialiste…  _ cuando el presidente Nicolas Sarkozy lo llamó a formar parte de su Gobierno _ Frédéric Mitterrand avait déjà accepté sa nomination par le Président Sarkozy à la tête de la prestigieuse Villa Médicis, à Rome… De même, il avait fait savoir son vote en faveur de Jacques Chirac aux élections présidentielles de 1995 ; son oncle François Mitterrand étant encore de ce monde… No sospechaba el ministro que poco después de formular aquella enérgica protesta se vería en el corazón de una tormenta mediática parecida a la del realizador de « El cuchillo en el agua » _ « Le Couteau dans l’eau« , co-écrit avec Jerzy Skolimowski, et son premier long métrage, en 1962 _ y  » El pianista » _ « Le Pianiste« , « Palme d’or«  au festival de Cannes, en 2002.

En efecto, hace pocos días, la hija del líder del Front Nacional, Jean Marie Le Pen, Marine Le Pen, inició una ofensiva política contra el ministro Mitterrand, recordando que en 2005 éste publicó un libro autobiográfico, « La Mauvaise vie«  (« La mala vida« ), en el que confesaba haber viajado a Tailandia en pos de los chicos jóvenes de los prostíbulos de Patpong, en Bangkok. La confesión, muy explícita, venía adornada de consideraciones inquietantes, por decir lo menos, sobre los efectos turbadores que la industria sexual de adolescentes en el país asiático provocaba en el autor: « Todo ese ritual de feria de efebos, de mercado de esclavos, me excita enormemente« . La hija del líder ultra francés, y algunos diputados socialistas _ Benoît Hamon, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, etc... _, unidos por una vez con este motivo, se preguntaban si era adecuado que fuera « ministro de Cultura » de Francia alguien que, con su conducta, desmentía de manera categórica los declarados empeños del Gobierno francés por erradicar de Europa el « turismo sexual » hacia los países del Tercer Mundo como Tailandia donde la prostitución infantil, una verdadera plaga, golpea de manera inmisericorde sobre todo a los pobres.

El ministro Mitterrand, sin dejarse arredrar por lo que él y sus defensores consideran una conjura de la extrema derecha fascista y un puñado de resentidos del Partido Socialista, compareció en la hora punta de la Televisión Francesa. Explicó que « había cometido un error, no un delito » y que, naturalmente, no pensaba renunciar porque « recibir barro de la ultraderecha es un honor« . Aseguró que no practica la pedofilia y que los chicos tailandeses de cuyos servicios sexuales disfrutó ya no eran niños. « ¿Y cómo sabía usted, señor ministro, que no eran menores de edad?« , le preguntó la entrevistadora. Desconcertado, el señor Frédéric Mitterrand optó por explicar a los televidentes la diferencia semántica entre »homosexualidad » y « pedofilia« .

La defensa que han hecho políticos e intelectuales franceses del ministro de Cultura se parece mucho a la que ha cerrado filas detrás de Polanski, y hermana también, cosa significativa, como a los críticos, a gente de la derecha y la izquierda. Se recuerda que, cuando el libro salió, el propio presidente Sarkozy alabó la franqueza con que el señor Mitterrand exponía a la luz pública los caprichos de su libido, y afirmó: « Es un libro valiente y escrito con talento« . Con todo este chisporroteo periodístico en torno a él, es seguro que « La Mauvaise vie » (« La mala vida« ) se convertirá pronto en un best-seller _ certes… Tal vez no obtenga el « Prix Goncourt« , pero quién puede poner en duda que lo leerán hasta las piedras _ bel hispanisme ! Nadie parece haberse preguntado, en todo este trajín dialéctico, qué pensarían en Francia de un ministro tailandés que confesara su predilección por los adolescentes franceses a los que vendría a sodomizar (o a ser sodomizado por ellos) de vez en cuando en las calles y antros pecaminosos de la Ciudad Luz _ Paris. Moral de la historia : está bien practicar la pedofilia y fantasías equivalentes _ à mieux élucider, tout de même ! _ siempre que se trate de un escritor franco y talentoso y los chicos en cuestión sean exóticos y subdesarrollados _ soient à peu près les arguments (mais tus, non signifiés à lui noir sur blanc) qui ont probablement valu son exclusion d’antenne (de « collaborateur régulier« , tout du moins) de France-Culture (de l’émission de Philippe Meyer « L’Esprit public« ) à Yves Michaud, il y a dix jours : le lendemain, ce dernier réitéra son « appréciation«  des faits de l’affaire de droit « Polanski«  au micro de Nicolas Demorand, face à Alain Finkielkraut, lors du 7-10 de France-Inter, le vendredi 9 octobre : chacun peut en juger sur pièces…

Comparado con el cineasta Polanski y el ministro Mitterrand, el primer ministro de Italia, Silvio Berlusconi, es, en materia sexual, un ortodoxo y un patriota. A él lo que le gusta, tratándose de la cama, son las mujeres hechas y derechas y sus compatriotas, es decir, que sean italianas. Él ha hecho algo que de alguna manera lo emparienta con los 12 Césares de la decadencia y sus extravagancias descritas por Suetonio _ en sa « Vies des douze Césars«  _ : llenar de profesionales del sexo no sólo su suntuosa residencia de Cerdeña llamada « Villa Certosa » sino, también, el Palacio que es la residencia oficial de la jefatura de Gobierno, en Roma _ le Palazzo Chigi, piazza Colonna ; à moins que ce ne soit sa résidence privée à Rome, le Palazzo Grazioli, via del Plebiscito… Los entreveros sexuales colectivos y seudo paganos que propicia han dado la vuelta al mundo gracias al fotógrafo Antonello Zappadu _ en janvier 2009 _, que los documentó y vendió por doquier. Al estadista le gustaba disfrutar en compañía y en una de esas extraordinarias fotografías de « Villa Certosa » ha quedado inmortalizado el ex primer ministro checo, Mirek Topolanek _ du parti ODS, le principal parti de la droite tchèque ; le 24 mars 2009, son gouvernement est renversé par une motion de censure ; et cède la place le 8 mai à un gouvernement intérimaire dirigé par le social-démocrate Jan Fischer, du principal parti de centre-gauche… _, quien, de visita en Italia, fue invitado por su anfitrión a una de aquellas bacanales, donde aparece dando un salto simiesco, desnudo como un pez y con sus atributos viriles en furibundo estado de erección (¿lanzaba al mismo tiempo el alarido de Tarzán?), entre dos ninfas, también en cueros. ¿La moraleja en este caso? Que si usted es uno de los hombres más ricos de Italia, dueño de un imperio mediático, y un político que ha ganado tres elecciones con mayorías inequívocas, puede darse el lujo de hacer lo que a sus gónadas les dé la reverendísima gana

_ à confronter aux expressions de la « quatrième de couverture » de « La Cité perverse _ libéralisme et pornographie » de Dany-Robert Dufour : « Pornographie, égotisme, contestation de toute loi, acceptation du darwinisme social, instrumentalisation de l’autre : notre monde est devenu sadien. Il célèbre désormais l’alliance d’Adam Smith et du marquis de Sade. A l’ancien ordre moral qui commandait à chacun de commander ses pulsions, s’est substitué un nouvel ordre incitant à les exhiber, quelles qu’en soient les conséquences« , annonce ainsi Dany-Robert Dufour

Hablar de escándalo en estos tres casos sería impropio. Sólo hay escándalo cuando existe un sistema moral vulnerado por el hecho _ le concept crucial ! en ces diverses polémiques _ escandaloso. Eso es lo que subleva a toda o parte de la sociedad. Lo que vemos, en estos episodios, es más bien el eclipse de toda moral _ voilà ! _, simples espectáculos _ eh oui ! devant les caméras… _, utilizados, por quienes los defienden o los condenan, no en nombre de principios y valores sobre los que existiría alguna forma de consenso social _ qui « s’effrite«  _, sino de intereses políticos _ brutement pragmatiques _, reflejos condicionados ideológicos _ avec de moins en moins le temps de réfléchir, questionner _, frivolidad _ dangereuse en proportion de ses effets séducteurs _ y una chismografía mediática que los redime de toda connotación ética _ voilà le tour de passe-passe _ y los convierte en diversión _ doublement gagnante par ce qu’elle montre autant que par ce qu’elle cache _ para el gran público _ c’est moi, bien sûr, qui souligne… Para la cultura imperante, sólo es lícito condenarlos desde un punto de vista estético y sostener, sin caer en el ridículo, que es una vulgaridad violar niñas, ir a Tailandia como hace la plebe a alquilar muchachos y contratar hetairas para las fiestas palaciegas ¡y luego hacerlas candidatas al Parlamento Europeo! Todo eso revela _ seulement _ mal gusto _ mais tous les goûts ne sont-ils pas, n’est-ce pas, dans la nature ?.. _, una imaginación sexual burda y cochambrosa _ et pas davantage…

La generación a la que pertenezco _ Mario Vargas Llosa est né le 28 mars 1936 à Arequipa, au Pérou : il a donc soixante-treize ans _ dio varias batallas : por la revolución, el comunismo, la emancipación de la mujer, la libertad religiosa y la libertad sexual. Parecía que, habiendo perdido todas las otras, por lo menos en Occidente habíamos ganado esta última. Episodios como los que resumo en esta nota muestran que creer semejante cosa es una ilusión. ¿Qué clase de libertad sexual hay detrás de las villanías de este trío? Abusar de una niña de 13 años, gozar con adolescentes que son esclavos sexuales por culpa del hambre y la violencia y convertir en un burdel el poder al que se ha llegado mediante el voto de millones de ingenuos, son acciones que hacen escarnio de la libertad que precisamente clama porque en la vida sexual desaparezca esa relación de amo y esclavo que, en estos tres casos, se manifiesta de manera flagrante. La libertad sexual es en ellos una patente de corso que permite a quienes tienen fama, dinero o poder, materializar de manera impune sus deseos _ tout simplement « pervers« , les qualifie, après Freud et la psychiatrie classique, Dany-Robert Dufour _ degradando _ sadiquement (ou masochistement : relire Freud ; ou le « Vocabulaire de la psychanalyse«  de Laplanche et Pontalis… _ a los más débiles. Apuesto mi cabeza que los tres héroes de estas historias reprobaron escandalizados las violaciones y abusos sexuales de niños en los colegios religiosos que han llevado al borde de la ruina a la Iglesia Católica en países como Estados Unidos e Irlanda, por las sumas enormes con que han debido compensar a las víctimas. Ni ellos ni sus defensores parecen conscientes de que sus proezas son todavía menos excusables que las de los curas pedófilos por la posición de privilegio que tienen y de la que abusaron, envileciendo _ en effet : car la liberté n’est certes pas la licence ; relire dans « Gorgias » de Platon les raisons de Socrate face à Calliclès !.. _ con sus actos la noción misma de libertad. Cuánta razón tenía Georges Bataille cuando _ cf « L’Érotisme«  _ pronosticaba que la supuesta sociedad « permisiva » serviría para acabar con el erotismo pero no con la brutalidad sexual. »


A méditer par tout un chacun !


Titus Curiosus, ce 18 octobre 2009

Post-scriptum :

sur l’exhibitionnisme (et ses actuelles instrumentalisations !),

lire l’excellent « La Privation de l’intime » de Michaël Foessel ; 

cf mon article du 11 novembre 2008 sur cette « pulvérisation maintenant de l’intime _ une menace envers la démocratie« …

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