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L’énigme de la renversante douceur Plossu : les expos (au FRAC de Marseille et à la NonMaison d’Aix-en-Provence) & le livre « Plossu Cinéma »

27jan

Ce week-end des 22 & 23 janvier, j’ai fait le voyage de Marseille et Aix-en-Provence pour découvrir les expos « Plossu Cinéma » du FRAC (1 Place Francis Chirat, à Marseille, dans le quartier du Panier : bravo Pascal Neveux !) _ pour la période 1966-2009 _ et de La NonMaison (22 rue Pavillon, à la périphérie du quartier Mazarin, à Aix-en-Provence : merci Michèle Cohen !) _ pour la période 1962-1965 _ ; et être présent à la « rencontre », « Le cinéma infiltré« , entre Alain Bergala & Bernard Plossu, en guise (luxueuse ! autant que simplissimement amicale !) de vernissage à la NonMaison de mon amie Michèle Cohen…

Couverture, Porquerolles 1963

Couverture, Porquerolles, 1963 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Il existe une énigme de la renversante beauté du Nonart _ comme il pourrait se penser (sans même le dire) à La NonMaison… _ de Plossu : sa clé étant peut-être l’impact du geste aimant photographique… En marchant et dansant, d’abord, probablement… C’est aussi une affaire de « rapport à » l’objet _ c’est-à-dire un « rapport à«  l’autre, autant qu’un « rapport au«  paysage ; les deux n’étant pas, non plus, dissociés : en tension douce ; et même d’une douceur extrême ; mais invisible, cependant, sinon par cet infime (et très rapide) geste à peine perceptible d’un photographier un instant effacé (instantanément) par ce qui suit, et reprend, et prolonge, poursuit, très simplement, la courbe (très douce) du mouvement précédent… Photographier fut à peine une parenthèse ; exquisément polie ; avec le maximum et optimum d’égards…

Ou le moyen tout simple qu’a bidouillé le bonhomme Plossu pour « être de plain-pied avec le monde et ce qui se passe« , ainsi que lui-même a pu l’énoncer _ cf le très bel article de présentation de Pascal Neveux, « Bernard Plossu /// Horizon Cinéma« , pages 6 à 9 de « Plossu Cinéma«  _ le livre, magnifique, est une co-édition FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, Galerie La Non-Maison & Yellow Now / Côté photo _, avec ces mots de commentaire de Bernard Plossu : « En apparence mes images sont poétiques et pas engagées. Mais pratiquer la poésie, n’est-ce pas aussi résister à la bêtise ? La poésie est une forme de lutte souterraine qui contribue à changer les choses, à améliorer la condition humaine« 

Déjà, nous ne pouvons que prendre en compte, forcément _ face à ce (minuscule) fait (si discrètement) accompli ! _ la dimension temporelle _ cf ce doublement crucial « être de plain-pied avec » et « avec ce qui se passe« , ce qui advient et va (bientôt : tout de suite, instantanément) passer… _ du processus _ mais qui dure, qui ne s’interrompt pas, mais se poursuit, très simplement ; sans pose, ni pause… _ dont l’image photographique va, elle, (un peu) demeurer _ un peu plus longtemps, du moins… _ : quelque amoureuse trace sur une pellicule _ bande passante _ développée ; et voilà qu’il nous la donne _ on ne peut plus gentiment ! _ à regarder, et à partager, pour peu que cela, bien sûr, nous chante ; et nous enchante, alors !.. Quelle improbable joie ! et qui nous comble ! ainsi généreusement offerte et, en effet, partagée.

L’expression qui m’est venue est : « la renversante douceur Plossu » ; l’expression de mon titre _ elle m’est survenue à Aix, en repensant à tout cela, le soir (la nuit) du vernissage, dans ma chambre (noire ; nocturne) ; tout cela doucement continuant de me « travailler«  dans l’obscurité d’un penser comme un refrain

Col, “Train de lumière”

Col, « Train de lumière« , 2000 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Et voilà que je découvre _ au matin _ que, page 130 du livre « Plossu Cinéma« , son ami Gildas Lepetit-Castel, dit, lui _ et à son tour, et avec les guillemets ! _ : « l’inadmissible douceur » !

Mexico City

Mexico City © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Je lis, c’est l’incipit de l’article : « Le regard de Bernard Plossu, beaucoup en ont parlé avec justesse, cherchant à percer le mystère de ces images _ les photos qu’il nous met sous les yeux… _ empreintes _ et en gardant le parfum, la trainée, d’autant plus prégnante que discrète _ d’une « inadmissible _ nous y voici ! _ douceur » » _ cette expression d’« inadmissible douceur«  est en effet empruntée à Denis Roche, en sa préface pour « Les paysages intermédiaires«  de Bernard Plossu, l’exposition et le livre (aux co-éditions Contrejour/Centre Pompidou), en 1988 ; elle a été mentionnée aussi, déjà, par Gilles Mora en son « Introduction« , page 12, au magnifique « Bernard Plossu : Rétrospective 1963-2006 » des Éditions des Deux Terres accompagnant l’exposition « rétrospective«  de même nom au Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, du 16 février au 28 mai 2007…

Et Gildas Lepetit-Castel d’ajouter, on ne peut mieux : « Bien sûr, ce n’est pas seulement la douceur qui rend ces images si singulières, c’est également la justesse _ et comment ! et combien ! en plein dans le mille ! comme la flèche de l’archer zen ! _, l’émotion, l’élégance _ magnifique, en sa fondamentale discrétion _, le refus de l’effet _ qui serait facile ; et vulgaire : jamais, au grand jamais, chez Bernard ; tout à fait comme dans le cinéma suprêmement élégant, lui aussi d’Antonioni (cf « L’Eclipse« ) ; et dans celui de Truffaut (« La Peau douce« )…

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Françoise, Toulouse 1982 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Et de poursuivre, encore : « autant de caractéristiques qui permettent de reconnaître son regard entre mille _ à coup sûr ! Certains n’y ont vu (sûrement par facilité _ en ce « ne… que« , en effet… _) que du flou _ le voici ! le fameux « flou Plossu«  _, car Bernard Plossu privilégie _ par fondamentale probité, en lui ! depuis son début, et toujours !!! sans jamais si peu que ce soit y déroger : c’est un juste ! _ l’authenticité à la netteté parfaite _ superficielle : sa « netteté«  à lui va plus loin ; elle est en vrai relief ! et condition de combien plus de « vérité«  !

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Phares, Ardèche 2005 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

D’où cette « infiltration » cinématographique _ c’est l’expression (lucidissime !) d’Alain Bergala _ de sa photo ; selon la formule radicale de Gilles Deleuze, il s’agit bien de « L’image-Mouvement« , en la photo, de Plossu, donc, aussi ; pas que dans le cinéma… Et pour Bernard Plossu, il y a davantage de mouvement (ultra-sensible et immédiat : vif ! au comble de la vivacité ! même…) en sa photo qu’en (presque) tout le cinéma ! Là se trouve sans doute l’intuition originelle de Michèle Cohen (quant à l’œuvre-Plossu), intuition à la source même _ faut- il le souligner ?.. _ de tout ce « Plossu Cinéma« -ci

Et Gildas de continuer : « Ces images ne sont pas floues, mais portent en elles la vie _ en son tremblé-dansé… _, elles témoignent _ tout simplement, en effet, rien que _ du bougé _ voilà _ du photographe, de l’empreinte du geste _ un élément capital ! _ qui les fait naître, comme la touche du peintre marque la toile _ par exemple chez un Fragonard : la couleur multipliant ainsi la vibration du saisi… La fixation s’opère dans l’acte créateur _ voilà _, cette faculté de savoir retenir _ mais parfaitement délicatement… _ les sensations _ en une esthétique stoïcienne, si l’on veut faire savant… _, et non simplement dans un rendu figé«  _ mis à l’arrêt, bloqué ; page 130, donc : c’est magnifique de précision dans la justesse !

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Patrick Sainton 2000 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Et voilà qui agace bien des grincheux… Eux « résistant » (très) dur à cette terriblement puissante _ mais c’est un oxymore _ « douceur Plossu« .

De même que Barthes disant que « désormais, l’obscène est le sentiment«  (pas le sexe) !..

Car nous voici, nous, l' »homo spectator » _ je renvoie ici à l’indispensable livre de mon amie Marie José Mondzain : « Homo spectator » _ tenus d’opérer, en suivant, dans le mouvement même, dans la danse qui, à notre tour, nous requiert _ de bouger, de danser, nous mouvoir… _, ce ce que mon amie Baldine Saint-Girons qualifie, elle aussi si justement, d' »acte esthétique » _ en son indispensable, lui aussi, « L’Acte esthétique« 

Je me propose, ainsi,

afin de me confronter ici-même, en cet article, à cette douce énigme _ celle d’un indéfinissable style (ou Nonstyle !!!) Plossu ! en sa fondamentale et fondante « douceur«  !.. _,

de confronter un texte mien, la dédicace à Bernard Plossu d’un essai (inédit, en 2007) : « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise«  ;

avec pour sous-titre _ ainsi que dans les essais américains : on aime là-bas ce genre de précision-ci ! _ : « un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni« , parce qu’un des pôles de ses analyses de la rencontre (de personnes) est la séquence ferraraise _ testamentaire ! à propos d’un amour de jeunesse ; peut-être seulement fantasmé, même… cf « Quel bowling sul Tevere » (« Ce bowling sur le Tibre« , aux Éditions Images modernes, en 2004 : un texte très précieux pour l’exploration du génie antonionien à son jaillir… _ du dernier chef d’œuvre de Michelangelo Antonioni, en 1995 (et avec, un peu, Wim Wenders : pour, d’une part, assurer des « liens » entre les séquences ; et, d’autre part (et surtout), rassurer les producteurs : dans l’éventualité où l’hémiplégique qu’était devenu, depuis son ictus cérébral (survenu en décembre 1985), Antonioni, ne pourrait mettre le point final à ce film…) : « Al di là delle nuvole » (« Par-delà les nuages« ) ;

soit une clé de tout l’œuvre antonionien ! :

je me propose de confronter, donc,

cette dédicace mienne

au texte _ tout bonnement magnifique ! _ qu’Alain Bergala a conçu, ce mois de janvier-ci, pour un mur de La NonMaison aixoise de Michèle Cohen,

en présentation d’un « Passage de l’intime à l’abstraction« , ces années 1962-1965 :

celui, « passage« , allant

des toutes premières photos de Bernard Plossu, celles de son amie Michèle Honnorat, aux alentours de la cinémathèque, à Chaillot, en 1962,

à l’aventure du « Voyage mexicain« , en 1965…

« L’exposition à La NonMaison à Aix est donc _ d’où sa radicale importance en tant que la source de tout l’œuvre Plossu ! pas moins ! _ le début et la fin d’un désir _ de cinéma _, ensemble« .

Et « Michèle incarne _ oui : c’est le mot parfaitement juste ! _ tout cela sans le savoir« , commente Bernard Plossu lui-même,

en dialogue maintenant,

et en voiture, entre La Ciotat et Aix _ cela a aussi son importance… _

avec Michèle Cohen :

car « Je rencontre Michèle Honnorat au début des années 60, et je suis frappé _ voilà ! _ par sa beauté cinématographique naturelle _ sic : 

l’élégance, même si un peu plus plus tard (!), d’une Claude Jade (celle de « Baisers volés » _ en 1968 _ et de « Domicile conjugal » _ en 1970 _, de Truffaut, mâtinée, pour le regard profond et sombre, d’une Lucia Bosè, celle de « Chronique d’un amour » _ en 1950 _ et « La Dame sans camélias«  _ en 1953 _, d’Antonioni, dont Lucia Bosè était alors la _ « sidérante« , en effet !.. _ compagne ; avant la sublime, elle aussi, Monica Vitti) _ ;

Michèle, Paris 1963

Michèle, Paris 1963 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

je dis cinématographique parce qu’à l’époque j’allais

_ page 16 de ce livre « Plossu Cinéma« , Alain Bergala rapporte, aussi, cet éclairant auto-portrait-ci, aujourd’hui, de Bernard Plossu « en jeune homme«  de dix-sept-ans : « quand je fréquentais la Cinémathèque du Trocadéro : (j’étais) un peu de Truffaut, de Jean-Pierre Léaud et de Samy Frey« …  _

je dis cinématographique parce qu’à l’époque j’allais

tout le temps au cinéma _ d’une très grande qualité, alors _, et très souvent avec elle _ ce facteur-ci a lui aussi son importance.

Avec ma Rétinette Kodak, je n’arrêtais pas de la photographier. (…) Mon désir de la photographier me dévorait.

Dans ses regards, peu de sourires, une vraie beauté d’écran _ voilà !

Michèle, 1962

Michèle, 1962 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

Une présence _ le terme capital ! _ incroyable _ tout l’art de Bernard Plossu est (ontologiquement !) une saisie (en quelque sorte : comme il le peut ! et il le peut !!!) de cette présence : « incroyablement« , en effet ; à nous « renverser«  !!! tel un Eugène Atget ! _ ; et moi je me sentais comme un petit garçon _ cela a-t-il fondamentalement changé, face au monde même, pour le grand Bernard Plossu ? _ avec juste mes 18 ans. Serais-je devenu photographe sans un tel modèle ? _ les questions de Michèle Cohen poussent loin, loin, l’introspection poïétique de Bernard Plossu, « entre La Ciotat et Aix-en-Provence« , et « entre août et octobre 2009« , et dans la voiture de Michèle, plus que probablement (cf page 176)…

Le travail de ce « Plossu Cinéma«  mène plus loin que jamais jusqu’ici l’analyse et la compréhension de l’œuvre-Plossu !!! Merci Michèle ! Je veux dire Michèle Cohen, ici…

En fait, avec elle

_ elle, Michèle Honnorat, en un mélange composé de quelque chose de Claude Jade et de Lucia Bosè ;

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Michèle, Trocadero © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

lui, Bernard Plossu, en un mixte et de François Truffaut et Jean Pierre Léaud (et, plus accessoirement, Sami Frey) :

Truffaut-Antonioni, voilà la boucle de mon « Plossu Cinéma«  à moi presque bouclée !.. _,

en fait, avec elle,

je me faisais mon film Nouvelle Vague à moi« , page 182 de l’« Entretien avec Bernard Plossu » de Michèle Cohen, qui court de la page 176 à la page 183 du livre « Plossu Cinéma« 

Ou comment passer de l’attraction du cinéma _ encore toute juvénile _ à la pratique passionnée (et vitale ! et artiste ! tout uniment ! les deux…) de la photographie !..

Ou, si l’on préfère, comment on devient le grand Plossu !

Avec cette question-clé, maintenant, que Bernard,

se faisant à son tour le questionneur,

se met à adresser à la questionneuse perspicace et tenace, dans toute sa (permanente) douceur, Michèle Cohen, page 178 _ soit l’arroseuse arrosée !

Michèle vient de dire : « Truffaut aussi séchait les cours pour aller à la Cinémathèque ; mais quand il est devenu réalisateur, il a séché la vie _ ce que Bernard n’était, n’est, et ne sera jamais, prêt à faire, lui !!! _ pour ne plus quitter les tournages de film.« 

Alors Bernard, piqué au vif, se fait le questionneur :

« Michèle, je te pose cette question : « Est-ce que, quand on arrive à la caisse d’un cinéma et qu’on achète son ticket, c’est pour la liberté ou l’esclavage ? » »

Michèle n’y répond pas ; esquive provisoirement la réponse… Celle-ci, cependant, affleure vite très peu plus loin, quand, page 179, Michèle déclare : « Dans le « Voyage mexicain« , tu écris que voyager, c’est crever les petits écrans du cinéma _ voilà ! _ pour rejoindre enfin _ voilà : de plain-pied ; sous son pas ; en marchant et cheminant ! _ les grands espaces… Voulais-tu tourner le dos au cinéma et à Paris ?« … Le jeu du questionnement commence à « brûler«  ; même si la voix de Michèle est très douce

Car Bernard répond, comme toujours !, sans barguigner : « Oui« .

Et il explique, en racontant : « Une après-midi pluvieuse au Quartier latin, en sortant d’un western, j’ai enfourché mon vélo et je me suis dit : « Qu’est-ce que je fous là ? » C’était plus fort _ en terme d’intensité du ressentir, c’est-à-dire du « vivre« , tout bonnement ! _ d’être à _ et avec ! « de plain-pied«  _ Big Sur pour de vrai _ voilà ! _ que de le voir _ seulement des yeux _ au cinéma _ sur un écran toujours trop « petit«  !.. J’avais 25 ans. Je suis allé voir le monde en relief _ et le saisir sur la pellicule ultra-sensible photographique à bout de bras… Ce « relief« -là même du « flou Plossu« , qui tient à la marche en avant _ la plante des pieds au sol ! _ du photographe en son acte décidé (et hyper-sensible : un million de fois plus que la pellicule), « à vif«  et tellement léger à la fois !, de photographier… Le pied, le bras, le doigt suffisent ! C’est un art hyper-gestuel ! Tout y est geste ! Y compris, forcément, les opérations du cerveau ! En hyper-accélération !..

Bref, « les salles de cinéma, c’était l’enfermement«  : voilà donc la réponse !

La stagnation stérile…

« Et depuis que _ parce que « vivre, c’est tellement mieux que d’aller au cinéma » (en position de « spectateur » seulement…) _ je suis revenu en Europe, je suis souvent _ quand Bernard n’est pas « sur le terrain« , ou bien sur la route (ou en train), en « campagne » hyper-active (mais hyper-patiente et hyper-tranquille : hyper-attentive ! à l’imprévu !) photographique ! _ chez moi ; je ne « sors pas le soir » ; je lis _ voilà la nourriture plossuïenne. La lecture a remplacé le cinéma _ moins substantiel dorénavant pour lui : il n’y va quasiment plus.

Je lis beaucoup, à 80 % la littérature italienne _ Rosetta Loy (l’auteur de « La Première main« ) et Elisabetta Rasy (l’auteur d’« Entre nous«  et maintenant « L’Obscure ennemie« , sa très exacte suite), pour commencer !.. tellement sensitives ! ces deux Romaines magnifiques… _, les nouveaux écrivains de polars réalistes _ pour leur ontologie fruste (du réel!)… En voyage aussi je lis. Je prends le train exprès _ en effet ! _ pour lire !

Avec les paysages français, italiens ou espagnols _ cf son merveilleux « L’Europe du Sud contemporaine« , aux Éditions Images en manœuvres, en 2000 : un des chefs d’œuvre de Plossu !.. Cherchez-le ! _ qui passent à la fenêtre _ quel luxe, en effet ! qu’un tel défilement (de beauté de paysage) à portée de regard ! Parfait.« 

Voici donc,

après cette clé du « Cinéma » de Plossu, délivrée à la curiosité tranquille et douce, patiente, profonde et juste _ hyper-attentive elle-même, comme il se doit : c’est là le gisement à éveiller de sa création personnelle à elle… _, de Michèle Cohen,

voici ma dédicace (en 2007) à « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise » ;

puis la suivra le texte du mur : magnifiquement intitulé, par Alain Bergala, « Le Sentiment de l’essentiel » _ qu’a (et qui possède) Bernard Plossu…

A Bernard Plossu, photographe
si juste,
dans ses photos comme dans la vie


qu’on peut dire
de ce qu’on peut identifier, instantanément,
d’une somptueuse et sans chi-chi évidence,
comme « son style« ,

instantanément et à la perfection « identifié », et reconnu de soi, en effet
_ d’où pareille stupéfiante « justesse » : on s’y arrête, on ne peut que l’approuver et même la « saluer »,
et bien bas,
d’une quasi imperceptible inclination du menton,
seulement,
tant elle est légère, délicate, discrète,
mais pas moins non plus ! _,

un « style » avec ce que d’aucuns,
le « pointant » en zigzaguant un peu de l’index,
seraient tentés, en balbutiant un peu aussi , de « baptiser »
_ selon les canons plus ou moins en cours, c’est-à-dire quelques habitudes un peu installées _
« le flou » ;
ou, du moins, « avec parfois du flou« ,
car cela n’a rien, bien sûr, de « systématique » : un style ne peut pas être systématique !

mais pas « n’importe quel » « flou« , oh que non ;
ni n’importe quel « avec parfois » :
il lui faut, justement, à ce « flou« ,
et en « son » occurrence précise, en « son bain », en « son jus », en « son contexte »,
en cette circonstance-ci, toute particulière, et si singulière,
peut-être rare, et peut-être même unique, dans sa contingence absolue,
tout en étant, l’occurrence (= ce qui arrive, qui survient,
et qui, d’avoir surgi, maintenant est là,
tout à fait là,
on ne peut même guère davantage être plus là,
comme à son comble de présence),

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Modène 2001 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

tout en étant, donc,
la plus constante, banale, quotidienne _ « le fil même des jours » : surtout lui ! _ ;
il lui faut, donc, à ce « flou« -ci, ce « poudroiement »,
ce doux et léger sillage de mouvement
avec sa mince, imperceptible
et donc invisible trainée
de poudre-poussière,
telle celle d’une étoile filante, d’une comète, de quelque angélique « voie lactée » :
il lui faut, à cette image _ qui reste,
et va, ne serait-ce qu’un peu, en son instant,
demeurer sous et pour nos regards _ ;
il lui faut
cette époustouflante sidérante qualité _ est-ce de grain ? _ de toute simple et immédiate « évidence »
d' »allure », de « mouvement de danse », de « glissé »
(de ce qui suit et accompagne amoureusement « l’élan » :
comme un halo
à peine _ c’est si légèrement _ vibré ou tremblé)
_ jusqu’à presque, mais juste avant (par l’é-gard) la caresse _
il lui faut donc cette qualité, ou grain, d' »allure » quasi dansé
du « vrai vivant » et du »vivant vrai »
_ « qualité de grain d’évidence » combien rare, certes :
ailleurs qu’en ses photos et que dans lui, au quotidien, veux-je dire _
il lui faut
 » la justesse », en toute sa précision _,

qu’on peut dire _ j’y suis _
de ce style « si juste »
et si précis

_ dans, et par, cette sorte de brume qui nimbe
(pas tout à fait cependant jusqu’à l’embrouillamini et les carambolages du « brouillard »)
de ce « flou » _ allons-y donc, aussi _,

qu’on peut dire de ce style
qu’il est « à la Plossu« 

_ marque de fabrique libre, formidablement libre
_ ça aussi, comment ne pas le remarquer et le dire ? _
sans avoir eu jamais besoin d’être déposée ;
sans exportation ni contrefaçons possibles, en conséquence :
pour réussir à contrefaire la « marque de fabrique »,
ou ce « style« , « Plossu« ,
il faudrait parvenir à devenir
ce que la palette bariolée des multiples, divers, variés, vastes, aux dimensions de tous les continents de la planète, et tortueux aussi parfois, chemins de sa vie,
y compris passages d’épreuves et par le(s) désert(s) _ ô combien divers, les déserts _,
sont arrivés à faire du « bonhomme Plo«  _ ou, mieux encore, « plo« , sans majuscule (ou « b« , ou « ploplo« ) _,
comme il lui arrive de conclure avec prestesse ses merveilleux _ de justesse (et beauté : mais est-ce distinguable ?) _ mails,
mieux repéré dans le monde de la Photo et de l’Art sous l' »identifiant » « Bernard Plossu »

Saludo, o Abrazo, y Gracias, amigo.

Et maintenant,

« Le Sentiment de l’essentiel« , par Alain Bergala _ avec quelque farcissures miennes : en prolongement de son penser… _ :

« Les photographes qui inventent vraiment en photographie, ceux qui trouvent _ en général tout de suite _ leur photographie _ = leur style _, sont rarement ceux dont la visée _ carriériste _ est d’entrer dans l’institution de la photographie, d’endosser le rôle social de « photographe » _ Plossu n’est pas « social« , en effet ; ni idéologique ! Il n’est pas dans le « rôle«  Ce sont d’abord les images dont ils ont besoin _ en une très impérieuse « nécessité«  de (tout) leur être-au-monde (d’artistes : dont ils ressentent l’« appel«  profond !) _, et dont le modèle n’existe pas _ ni, donc, nulle part ne pré-existe _, qui les fait s’emparer _ tel est le geste fondateur, et quasi anodin, en même temps _ d’un appareil photo. N’importe quel appareil photo, la technique dans ce premier temps leur importe peu _ c’est seulement l’image elle-même, et en son geste unique, aussi, qu’il leur faut, et urgemment, « sauver«  : en la captant, tel un pauvre croquis sur un carnet à tout faire… Leur horizon de création n’est pas la photographie en elle-même ni pour elle-même, mais d’abord un besoin personnel, impérieux _ de toute première nécessité : en effet ! _, pas forcément conscient : celui de faire des images qui répondent _ en se traçant si peu que ce soit ainsi _ à leur propre désir _ à eux, ces « inventeurs«  _ d’entrer avec le réel _ au lieu de lui passer à côté ! sans que rien du tout en résulte… _ dans un rapport _ ontologique, de vérité : actif (à la puissance mille) ! voilà ! _ qui soit le leur _ en s’y glissant : tout en douceur, en ce rapport « leur« , idiosyncrasique, au réel… ; ne pas passer à côté de sa (seule vraie) vie !!! _, et dont ils n’ont pas forcément les mots _ ce serait déjà trop long _ pour le dire ou le penser _ c’est le dispositif photographique (dont soi-même on est un simple morceau, un simple rouage, une petite bielle : quasi modeste) qui seul agit ! Rien n’est moins futile _ certes : c’est de l’ordre de la gravité ! même si ultra-légère ! et ultra-rapide ! sans la moindre lourdeur ; laquelle, malheureux !, plomberait vilainement tout… _ que ces photos dont quelqu’un a eu intimement besoin _ c’est très exactement cela ! _ dans son rapport au monde _ qui le fait exister, aussi, lui, s’accomplir, se déployer : _ se déployer avec et vers l’objet saisi ; avec (= en compagnie de) et vers (en direction de) l’autre de ce rapport ; et autre absolument capital ! C’est une affaire de respiration (vitale !) : versus asphyxie… Ce qui est futile, c’est de faire de la photographie pour toute autre raison _ certes ! petite, sinon minable ! eu égard à ce « cela«  vital, capital, lui ! _, même artistique au sens social du terme _ et qui ne vaut pas grand chose (trop de pose ! et un penchant de fausseté !), face à pareil « absolu » !.. « Il n’y a pas photo«  du tout, en pareil choix, en pareille alternative !!! forcément rencontrée par tout artiste… D’où la fondamentale probité Plossu. Et la force de vérité des images qui en résultent et qu’il nous donne ! De quoi faire rager bien des jaloux, évidemment ; et leur ressentiment d’« inadmissible » face à la pureté, en effet, quasi angélique, mais oui ! _ et scandaleuse alors ! cf Pasolini ! Par exemple, en son « Théorème« _, de la vérité d’image du réel que sait capter si délicatement Bernard Plossu : tout innocemment, lui !..

Regardez bien la vibration _ oui ! _ à nulle autre pareille _ en effet ! _ de ces photos de femme _ Michèle Honnorat avait dix-huit ans, au Trocadéro, en 1962 _ dont il veut enregistrer la beauté sidérante _ voilà _ qui le charme autant qu’elle l’inquiète _ en effet ! et il lui tourne inlassablement autour ;

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Michèle 1963 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

cf aussi les deux photos éblouissantes de Michèle

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Michèle, 1963  © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

sur le pont du bateau au large de Porquerolles, l’année suivante, en 1963 : peut-être le sommet de toute cette séquence de l’expo à la NonMaison ! _,

un ami _ Dominique Vialar _ dont il veut capter la croyance _ = confiance _ qu’il a en lui

Dominique Vialar, Paris 1963

Dominique Vialar, Paris, 1963 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

_ une image d’une suprême élégance ! : à comparer avec celles (de groupe) des copains de ces années-là, dans cette mine qu’est le « Plossu : Rétrospective 1663 – 2006 » de Gilles Mora, aux pages 29 & 31 du chapitre « Génération nouvelle vague » : images plus anecdotiques, sociologiques (ou biographiques) seulement… : c’est du moins mon point de vue… _,

un coin de rue du Mexique où résonne sourdement son propre imaginaire cinéma _ tel un bagage en fond sonore du regard.

Ce qu’il cherche à apprivoiser _ oui ! du réel qu’il aborde (ontologiquement, en quelque sorte) à travers ces divers  « rapports«  aux choses, aux lieux et aux êtres (de chair et de sang)… _ avec ces photos, c’est le mystère du rapport qu’il entretient _ oui, c’est aussi comme une lutte amoureuse… _ avec ces sujets _ lieux et moments compris ! _ proches et pourtant si insaisissables _ faute d’être avec eux tout à fait « de plain-pied«  ! mais l’est-on jamais complètement ?.. Nous cesserions de continuer de marcher… Tout est dit ici, Alain ! Le jeune homme _ de dix-sept et vingt ans _ qui les a prises ne jouait _ certes _ pas au photographe. Au contraire : c’est lui et son rapport à la vie, aux autres, qui était en jeu _ de fait _ dans ces images _ en jeu grave, comme pour le (grand) Michel Leiris de « L’Âge d’homme » et de « La Règle du jeu« , ajouterais-je, pour ma part… Par quel miracle Plossu n’a-t-il jamais perdu _ en effet ! _ ce sentiment du personnellement essentiel _ c’est très exactement cela !!! _ qui imprègne _ et nimbe, si légèrement ; et avec quelle joie luminescente d’exister ! _ ces photos initiales ? _ Merci, Michèle,

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Michèle Cohen et Bernard Plossu, La Ciotat août 2009, par Guy Jungblut © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

de nous les faire découvrir, « à la source«  même _ « poïétiquement« , pour reprendre le terme du philosophe de l’Esthétique Mikel Dufrenne, en son passionnant « Le Poétique » (aux PUF), en 1963… _ de Plossu, en 1962… C’est proprement à la « poïétique« , même, donc _ rien moins !!! _ de Bernard Plossu que nous fait accéder par son intuition initiale, dès avant l’été 2008, Michèle Cohen, en étant à la source de ce « Plossu Cinéma«  ; je veux dire par là : et les deux expos du FRAC PACA de Marseille et de La NonMaison d’Aix-en-Provence ; et la si belle réalisation du livre qui en témoigne, par Guy Jungblut (avec l’œil _ unique ! _ de Bernard Plossu), de ce « Plossu Cinéma« , aux Éditions Yellow Now   Cet homme-là a toujours eu _ oui ! _ un besoin intime _ merveilleusement fort en sa terrible douceur ; d’aucuns (trop cérébraux ! ceux-là…) ne le supportent pas ! cela leur est « inadmissible«  ; mais oui, Gildas ! tant pis pour ces tristes !!! et jaloux… _ des photos qu’il a prises toute sa vie » _ sur la privation endémique et galopante de l’intime par nos contrées aujourd’hui, lire, de Michaël Foessel, « La Privation de l’intime » ; cf mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie« 


Alain Bergala, janvier 2010

Voilà nos manières d’approcher peut-être l’énigme de la douceur du rapport au monde _ et toujours parfaitement « intimement«  ! _ du bonhomme Plossu ; notre ami…

Le monde en est meilleur !

A votre tour,

laissez vous gagner (à la stoïcienne !) à son contact…

Titus Curiosus, ce 27 janvier 2010

Post-scriptum :

Cette (double) exposition (marseillaise et aixoise) m’est d’autant plus _ un peu personnellement _ chère

que je fus aussi _ un peu, donc _ sur ses fonts baptismaux, avec Michèle Cohen et Pascal Neveux,

au domicile de Bernard Plossu, le 22 juillet 2008 ;

sur une intuition fécondissime de départ de Michèle… Vivent les nuits d’été !

Et enfin,

cerise sur le gâteau,

c’est à l’objection de Valéry Laurand, philosophe (spécialiste des Stoïciens) : « et la « rencontre », si ce n’était que du cinéma ? » _ de la « pose« , en quelque sorte ; du théâtral : menteur… _

que je me suis « essayé » à répondre

en un (long) essai (inédit : je l’ai adressé seulement à Bernard Plossu et à Michèle Cohen ; car ma réflexion est partie de ma propre rencontre avec le bonhomme Plossu _ et ses diablesses de photos : d’une douceur « confondante » !.. pure, angélique !.. _) intitulé « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise » ;

car la vérité de ce que nous donne à regarder, en son cinéma, Michelangelo Antonioni _ comme en la séquence ferraraise (inaugurale tout autant que testamentaire) de « Al di là delle nuvole« , en 1995… _,

moi, j’y crois !

Aussi, suis-je personnellement ravi que la (double) photo de couverture

Couverture, Porquerolles 1963

Couverture, Porquerolles, 1963 © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

_ sublime en sa « séquence » (horizontale, panoramique : la ligne d’horizon de la mer prolongeant la ligne du dos de la jeune fille) à la fois contrastée (le charnu d’un corps de jeune femme étalé se livrant, de dos, les yeux clos, au soleil sur le pont d’un bateau / quelques rochers dressés, pointus, hostiles sur une côte d’île au milieu de la mer, sur la droite de l’image), et (très discrètement) signifiante de la complexité de ce qu’est la vie ; et même les amours… _ de ce si beau livre qu’est « Plossu Cinéma« , aux Éditions Yellow Now, et dans la collection Côté photo _ merci Guy Jungblut pour votre travail, une fois de plus, parfait ! si élégant et si juste ! c’est essentiel ! c’est magnifique ! dans toute la diversité, aussi, du « regard«  (unique !) de Bernard Plossu… _, soit la succession de deux images prises l’une juste après l’autre _ et se succédant sur la planche-contact _, l’été 1963 au large de Porquerolles _ la photo de « quatrième de couverture » (avec un superbe cactus proliférant sur la petite terrasse face à la mer)

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Quatrième de couverture © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

est sous titrée, de l’écriture claire, vive et pausée, tout à la fois, de Bernard Plossu : « La maison de Pierrot le Fou à Porquerolles, en 1976«  ; un hommage à Godard, elle, dont la Marianne et le Pierrot nous ont, pas mal d’entre nous, pas mal marqués (en 1965)… _,

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signature © courtesy galerie La NonMaison, Aix-en-Provence

la succession _ séquentielle ! cf là-dessus la très riche réflexion de l’article « Photographier en cinématographe«  de Núria Aidelman, en présentation de la section « Le Déroulement du temps«  de l’expo au FRAC de Marseille, aux pages 84-85 du livre…  _ de deux images _ à gauche, Michèle Honnorat prenant le soleil sur le pont du bateau ; à droite, la côte rocheuse, noire, au large, mais pas loin, vers Porquerolles _ sur la planche-contact, qui rappellent, en radieuse beauté, l’Antonioni de soleil et d’ombre de « L’Avventura« , en 1960 _ dont la (magnifiquement) longue séquence de (quasi _ le tout début se passe à Rome…) ouverture se déroule au large de, et puis sur l’îlot (seulement rocheux, peu accueillant à arpenter…) de Lisca Bianca, la plus petite des Îles Lipari (ou Îles Éoliennes), chères aussi (depuis) à Bernard Plossu…

Je suis _ personnellement _ particulièrement heureux, donc, de ce choix (et hommage) « antonionien » !!! pour ce livre magnifique _ de 192 pages, avec un éventail très généreux de merveilleuses photos _ qu’est ce « Plossu Cinéma« , nous donnant à regarder le parcours d’artiste de Bernard Plossu, de 1962 à 1965, puis 1966 à 2009.

Le livre est ainsi,

par cette « récapitulation » d’un bonheur vrai _ d’artiste et d’homme, tout uniment !

et c’est crucial en ce cas d’espèce ! la perspective « poïétique«  sur la gestation du génie Plossu

_ Alain Bergala use, lui, de l’expression, également très juste, de « cinéma séminal«  ! pour intituler sa très substantielle et éclairante contribution : « Le Cinéma séminal de Bernard Plossu« , aux pages 16 à 27 de « Plossu Cinéma«  _

issue du regard (profond !) de Michèle Cohen

étant à mes yeux la nouveauté fondamentale et capitale, pardon d’enfoncer ainsi le clou !, de ce livre-ci, « Plossu Cinéma« , sur l’œuvre : photographique,

mais aussi cinématographique !

_ cf les deux films projetés en permanence et en continu au FRAC :

soient « Almeria, La Isleta del Moro« , une vidéo couleur de 50′ de Bernard Plossu lui-même, en 1990 ;

et « Sur la voie« , un documentaire réalisé par Hedi Tahar, sur une idée de Bertrand Priour, en 1997, une production La Houppe, pour FR3 : « sur la manière de photographier«  de Bernard Plossu « depuis les vitres d’un train«  : ici « pendant le trajet La Ciotat-Lyon-La Ciotat, via Marseille, en hommage aux frères Lumière« , Bernard Plossu commentant tout le long ce qu’il voit : « L’équipe avait une 16 mm, une caméra vidéo qui prenait aussi le son ; et moi, j’avais une petite caméra super8. C’est ce jour-là que j’ai filmé ce qui est devenu ensuite la série de photogrammes « Train de lumière« . Comme j’avais aussi mon appareil photo Nikkormat, j’ai collé la caméra super8 au viseur du Nikkormat, et j’ai filmé à travers : verticale et horizontale, double vision !« , commente Bernard Plossu lui-même

+ la (double) projection, et en avant-première, au Cinémac, du Musée d’Art Contemporain de Marseille, le samedi 27 février prochain, de 14h à 17h, des deux films : « Le Voyage mexicain« , film super8 en couleurs tourné en 1965-1966 (de 50′), par Bernard Plossu lui-même ; puis « Un Autre voyage mexicain« , film en couleurs tourné en 2009 (de 110′) par Didier Morin ;

de même que « Le Voyage mexicain«  de Bernard Plossu sera redonné le samedi 20 mars au FRAC de Marseille, à 14h30, en présence de Bernard Plossu et de Dominique Païni ; Dominique Païni a écrit l’article de présentation (aux pages 158 à 161 de « Plossu Cinéma ») qu’il a intitulé « Vierge, vivace et le bel aujourd’hui« , consacré aux films de _ ou avec la participation de _ Bernard Plossu : une sélection de photogrammes extraits des films « Train de Lumière », « Sur la voie« , « Le Voyage mexicain«  et « Almeria« , sont visibles aux pages 162 à 175 de « Plossu Cinéma« . Fin de la (beaucoup trop) longue incise à propos de l’œuvre cinématographique (à découvrir !) de Bernard Plossu : tout aussi libre et juste que sa photo… _

Le livre est ainsi

_ je reprends ma phrase commencée plus haut _,

par cette « récapitulation » d’un bonheur vrai _ d’artiste et d’homme, tout uniment ! _ conquis sur fond de deux ou trois précipices, bien réels eux aussi ;

le livre est ainsi

magnifiquement plossuïen _ j’espère qu’on voudra bien pardonner l’étalage ici de mon enthousiasme… Mais il n’est pas si fréquent d’approcher d’un peu près, au point d’y participer même un peu, à la joie généreuse d’un tel artiste « vrai«  !

D’où le qualificatif (rochien) d’« inadmissible » _ de la part des malheureux qui « résistent«  des quatre fers à l’évidence Plossu… : dans leurs forteresses froides (et hyper-sèches) germano-pratines ! _ pour ce que je ressens _ on ne peut plus joyeusement, dans mon cas, provincial que je suis, moi aussi, et du pays (rieur) de Montaigne ! _ comme une « renversante«  « douceur » : étonnamment discrète et pudique _ et la boucle est bouclée…

La joie sauvage de l’incarnation : l' »être vrais ensemble » de Claude Lanzmann _ la nécessaire maturation de son génie d’auteur III

17août

Après mes deux premiers articles d’introduction au « Lièvre de Patagonie« 

du 29 juillet _ « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ présentation I » _

et du 13 août 2009 _ « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ quelques “rencontres” de vérité II » _,

voici,

et juste avant l’exposé (IV) de l’objet de mon analyse : la singularité du « génie » d’auteur de Claude Lanzmann,

voici le tout dernier volet (III) de mon « introduction« ,

à propos de la nécessaire maturation de ce « génie« -là,

un « génie » proprement « cinématographique » ;

mais assez à l’écart, par son « estrangement« 

_ ce mot, rare (d’un état ancien du français : présent chez Montaigne ?..), vient à la bouche de Claude Lanzmann, et deux fois : page 419 et page 440 ; cette seconde fois à propos de ses rapports de « communication« , ou plutôt « intelligence«  (et dans toute l’amplitude, ici, de ses acceptions), avec « trois des protagonistes les plus importants de « Shoah«  », les tchèques Richard Glazar et Filip Müller et le slovaque Rudolf Vrba :

« Outre le fait qu’ils étaient tous trois des personnalités d’exception, à la fois par leur intelligence, leur survie miraculeuse, leur héroïsme, leur capacité à analyser leur expérience,

je ne pouvais leur parler qu’en une langue étrangère ;

_ cela fait partie des « contraintes » merveilleusement (paradoxalement !) fécondes qu’évoque ailleurs (que dans ce « Lièvre de Patagonie« ) Claude Lanzmann ; peut-être dans le passionnant recueil que réunit en 1990 Michel Deguy, aux Éditions Belin, « Au sujet de Shoah, le film de Claude Lanzmann« , et qui comporte cinq articles importants de Claude Lanzmann lui-même ; à moins que ce ne soit dans sa contribution personnelle, sous forme d’entretiens (en « trois séances de travail » : les 26 janvier, 18 avril et 14 octobre 2006) avec Jean-Michel Frodon, intitulée « le travail du cinéaste » (pages 111 à 125) en cet autre recueil « sous la direction de Jean-Michel Frodon«  : « Le cinéma et la Shoah _ un art à l’épreuve de la tragédie du 20e siècle« , paru aux Éditions des Cahiers du Cinéma en 2007 _,

et l’estrangement _ voilà le terme lui-même peu courant ! _, autre nom de l’éloignement que j’ai évoqué plus haut _ Claude Lanzmann nous renvoyant ici à un développement, page 419, à propos du « coup de foudre violent et partagé«  (page 420) éprouvé lors de sa rencontre, au restaurant Fink, à Jérusalem, en novembre 1970, avec « une femme parfaitement énigmatique, pour moi sans nom

_ mal perçu quand l’ami commun, Uri Avnery, les avaient très rapidement présentés l’un à l’autre : « il me présenta à elle en allemand«  (page 418) _,

sans origine, sans biographie ; je me trouvai véritablement en terra incognita, dépourvu d’un seul repère qui me permît _ à cet instant, et face à l’énigme de sa beauté, de son regard, de son visage  _ d’accéder à elle. » Car « je n’avais pas retenu le nom de celle que j’imaginais être la maîtresse d’Avnery ; il l’avait chuinté

_ « Angelika Schrobsdorff » ; elle était berlinoise ; et Claude Lanzmann, tombé éperdument amoureux, l’épouserait un peu plus tard : en octobre 1974… _

inaudiblement ; mais peu m’importait ; elle me fascina dès le premier regard ; sa présence chez Fink, à Jérusalem, en Israël, était pour moi un absolu mystère. » Et Claude Lanzmann, alors, de le détailler, cet « absolu mystère« , page 419 : « Pareille beauté n’existe pas là-bas ; mais pas davantage en France ou ailleurs. Je ne pouvais la relier

_ « relier«  : ainsi procède toujours l’effort de connaissance : une tentative de familiarisation avec de l’inconnu, d’abord insituable, et venant nous troubler et nous inquiéter par là ; en rattachant cette nouveauté insituable pour soi à du déjà tant soit peu repéré ou déjà connu… _

Je ne pouvais la relier à rien ; ni aux Juives les plus belles que j’avais pu connaître, qui ne suscitaient en moi aucun sentiment d’estrangement

_ et voici, page 419, la première occurrence de ce très beau vieux mot !

que Claude Lanzmann réutilise page 440 à propos de cette « condition paradoxale d’approche » : conservant la distance de la singularité à préserver !.. ne pas réduire (a fortiori une « vraie » personne…) à quelque chose comme du cliché !

cette seconde fois, à propos des singularités exceptionnelles, et des personnes elles-mêmes, et de leurs « témoignages« 

(sur « le dernier rail, la dernière bifurcation, quand il est absolument trop tard ; quand l’irrémédiable va s’accomplir« , page 532 : le moment de la mort quand « dans le noir se livre ce que Filip Müller appelle « le combat de la vie, le combat de la mort », chacun tentant d’attraper un peu d’air pour respirer une seconde de plus« , page 535, dans les chambres à gaz d’Auschwitz-Birkenau ; alors que « les malheureux qui en furent les victimes n’eurent _ eux _ aucun savoir, aucune connaissance de leur propre fin : jusqu’au dernier instant, jusqu’à ce qu’on les précipitât, à coups de fouet de matraque, de massue, à l’intérieur de la chambre de mort«  ; « ils ne connurent rien d’Auschwitz, ni le nom, ni le lieu, ni même la façon dont on leur ôtait la vie. Ils ont terminé leurs jours _ eux _ dans le noir, entre quatre murailles de pierre lisse, dans un véritable « non-lieu » de la mort«  _ pages 535-536 )

à propos des singularités exceptionnelles, donc,

de Richard Glazar, Filip Müller et Rudolf Vrba _,

Je ne pouvais la relier, donc, à rien ; ni aux Juives les plus belles que j’avais pu connaître, qui ne suscitaient _ elles _ en moi aucun sentiment d’estrangement

ni à celles que j’avais croisées dans d’autres contrées »…

voici _ je reprends l’élan de ma phrase de départ ! _ le tout dernier volet (III) de mon « introduction« ,

à propos de la nécessaire maturation de ce « génie« -là,

un « génie » proprement « cinématographique« , donc ;

mais assez à l’écart, en effet, et par son propre « estrangement« ,

ce « génie » cinématographique de Claude Lanzmann,

de la plupart des canons en cours de « tous les professionnels de l’audiovisuel« ,

ainsi que Claude Lanzmann les nomme et les rassemble, page 511…

A cette fin de saisir la singularité de l’aventure existentielle et de l’histoire de l’accomplissement, après maturation et pas mal d’improbables, voire d’impossibles, détours, du « génie  cinématographique«  qui a éclos en Claude Lanzmann

_ mais tout « génie » a sa propre (singulière !) aventure, imprévisible : il « arpente«  (page 504, et ailleurs !) des sentes non déjà balisées, ou parcourues par d’autres ;

« opaque«  à lui-même qu’il est, pour commencer, en ses débuts, ce « génie«  ;

et grâce, aussi, à pas mal de risques, et donc aussi de courage, pour affronter et vaincre sa propre « annihilation« … : c’est un « parcours du combattant » ! ; pour surmonter et dépasser  les obstacles, et l’incompréhension première (ainsi que la terrible force d’inertie) des esprits (et corps) un peu moins « géniaux » et plus « conformistes » que lui_,

j’ai donc dû, pour cette fin-là, et le plus attentivement possible, relire tout « Le Lièvre de Patagonie«  !.. afin de le moins possible négliger ou perdre du suc de son « essentiel«  : capital à mes yeux

sur ce qu’est le travail, toujours « hors-norme« , de l’œuvre

_ « ce qu’il pouvait y avoir de hors-norme« , Claude Lanzmann l’écrit lui-même, en 1981, à Jan Karski,

de ce qui n’était encore, que son « projet« , en cours, complexe (et même absolument désordonné : encore bien trop « opaque« …), de « réalisation« , alors,

depuis sa décision, après « toute une nuit, une nuit de feu » (page 429) « pascalienne«  ! (page 430) de marche « dans Paris« , « au début de l’année 1973«  (page 429) de s’y lancer et consacrer,

de « Shoah«  :

« je me sentais

_ devant la proposition, à Jérusalem, de son « ami Alouf Hareven, directeur de département au ministère des Affaires étrangères israélien » :

« Il n’y a pas de film sur la Shoah ; pas un film qui embrasse l’événement dans sa totalité et sa magnitude, du point de vue des Juifs. Il ne s’agit pas de réaliser un film sur la Shoah ; mais un film qui soit la Shoah. Nous pensons que toi seul _ qui venais de réaliser le film « Pourquoi Israël«  _ es capable de le faire. Réfléchis. Nous connaissons toutes les difficultés que tu as rencontrées pour mener à bien « Pourquoi Israël« . Si tu acceptes, nous t’aiderons autant que nous le pourrons« , page 429 _,


je me sentais

_ tel l’alpiniste qu’il avait appris à devenir auprès de son beau-père René Dupuis, ou du guide (« de haute montagne« ) Claude Jaccoux dans le massif du Mont-Blanc (cf les pages 387 à 390) _

au pied d’une terrifiante face Nord inexplorée«  ;

« je quittai Alouf abasourdi et tremblant _ cette conversation dut avoir lieu au début de l’année 1973 _ et rentrai à Paris, ne sachant quoi décider ;

mesurant l’immensité de la tâche, ses impossibilités qui me paraissaient _ assez réalistement !.. _ innombrables ; craignant de ne pas pouvoir relever ce défi incroyable.

Cependant, quelque chose de très fort et même de violent en moi me poussait à accepter : je ne me voyais pas _ après les « près de trois ans de travail » (page 427) du premier film « Pourquoi Israël«  _ reprendre mon ancien métier _ fragmentaire ; pas d’auteur complet (avec « final cut » !..) d’une œuvre qui en quelque sorte « se tienne«  _ de journaliste ; cette période de ma vie était révolue.

Mais dire oui signifiait renoncer à toutes les prudences et sécurités ; m’engager dans une entreprise dont je ne savais ni le terme _ le fruit réalisé, l’œuvre : accomplie ou avortée… _ ni le temps qu’elle allait requérir _ ce serait dans pas moins de douze années ! _ ; c’était choisir l’inconnu _ un trou noir, peut-être : un gouffre sans fond ; sans sol ultime où se tenir… _ ; je me sentais au pied d’une terrifiante face Nord inexplorée _ jusqu’alors ; et meurtrière… _, dont le sommet demeurait invisible, enténébré de nuages opaques« 

« Je marchai _ ce début d’hiver 1973 _dans Paris toute une nuit, une nuit de feu,

j’affermissais ma résolution en me disant qu’une chance unique m’était offerte ; qu’elle exigeait le plus grand courage ; qu’il serait indigne et lâche de ne pas la saisir.

(…)

Je clarifie aujourd’hui _ commente rétrospectivement son effort de mémoire, Claude Lanzmann _, et je regrette de le faire, les pensées bien plus confuses _ que ce résumé-là _ qui se combattaient en cette nuit pascalienne.

Au matin, à bout de forces, avant de plonger dans un calme et noir sommeil,

je téléphonai à Alouf Hareven pour lui dire mon consentement », page 430) _

voici,

en une lettre de 1981

à Jan Karski,

qui s’impatientait, déjà un peu,

alors que son « témoignage«  (majeur !) sur la Shoah en Pologne _ « sa présence dans le film serait irremplaçable«  (page 511) _ avait été « tourné aux États-Unis en 1979«  (page 510) ; et, de fait, le film ne lui sera, une fois vraiment terminé, montré que le 23 octobre 1985 !

_ mais alors, ce 23 octobre 1985 :

« la première projection à laquelle Karski assista, dans un cinéma de Washington, l’enthousiasma au point qu’il m’écrivit dix lettres de coulpe battue ; il fut mon plus fervent supporter ; et je me souviens avec un émotion que j’ai encore du mal à contrôler des trois jours que nous passâmes ensemble pour la première du film à Jérusalem«  _

voici comment Claude Lanzmann,

je reprends ici le fil et l’élan de ma phrase,

le dit lui-même au « grand«  (l’adjectif vient sous la plume de Claude Lanzmann à la page 510) Jan « Karski« 

_ l’auteur de l’encore si scandaleusement méconnu, et actuellement indisponible !!! « Mon témoignage devant le monde _ histoire d’un secret » _,

qui s’impatientait, déjà un peu

« que le film ne soit pas achevé, alors qu’il m’avait, selon lui, laissé tout le temps pour y parvenir« , « deux années«  après « avoir tourné avec lui«  (page 511) :

je cite :

« lui expliquant, pour la première fois, je crois _ avant quelques autres interlocuteurs _, la dimension unique _ voilà ! et très loin des « normes » en usage chez les professionnels de l’audiovisuel et dans l’industrie cinématographique ! _ que je voulais donner à mon travail,

tentant de lui faire éprouver ce qu’il pouvait y avoir _ telle en est la formulation précise _ de hors normes et même de révolutionnaire _ là est l’expression que je voulais donc souligner _ dans un pareil projet,

qui prétendait tout embrasser et montrer _ oui ! faire « ressentir«  ainsi ! à ce qui consentiraient à le regarder et écouter «  vraiment » : pas mal y renoncent…  _ ce qu’avait été du point de vue des Juifs eux-mêmes le désastre« , page 511 _

afin de le moins possible négliger ou perdre du suc de son « essentiel«  : capital à mes yeux sur ce qu’est le travail, toujours en partie, ou « avec quelque chose de« , « hors-norme« , sinon (de) « révolutionnaire« ,

de création (du « génie«  vrai) d’un artiste ! et de sa « loi«  :

le terme de « loi«  (de l’œuvre), absolument décisif, une fois « découvert«  (ou devenu pleinement conscient) par Claude Lanzmann, revient à de multiples reprises en cet immense livre qu’est « Le Lièvre de Patagonie« 

et en est une des clés, selon moi ;

pas seulement à cette occurrence-ci de la page 502, à propos de l’ordre même de son « plan de travail«  :

« Mon premier voyage en Pologne avait eu lieu _ seulement : le projet avait commencé au début de 1973 _ en février 1978 _ à Treblinka. Je fis, à mon retour, un bref séjour en Israël pour revoir Srebnik après m’être rendu à Chelmno _ après Treblinka _ ; puis me lançai dans la préparation très complexe d’un tournage _ forcément à organiser ! _ qui se déroulerait dans plusieurs pays.

Le premier tour de manivelle eut lieu six mois plus tard à Treblinka, autour du 15 juillet ; et, à partir de là, gagné par la même urgence _ de tourner, maintenant ! _, j’enchaînai les campagnes, à Corfou, aux États-Unis, en Israël, en Suisse, en Autriche, etc., pendant ces trois années, jusqu’à la fin 1981.
Je revins quatre fois tourner en Pologne.


Il m’arrive encore de me demander ce qu’aurait été
« Shoah » si j’avais commencé mes explorations par ce pays, comme la logique commandait de le faire, au lieu de vagabonder _ voilà… _ d’abord partout ailleurs dans le monde.

Je sais _ maintenant : avec tout le recul de la rétrospection ! de ce livre même qu’est « Le Lièvre de Patagonie«  _ que j’ai obéi _ cependant _ à une loi différente (de celle de cette « logique » organisée :

on peut la spécifier, cette « loi« , appréhendée petit à petit, et dans la « brume« , le « brouillard« , voire les épais « nuages« , de l’acte permanent de « création«  ici, y compris toutes les complexes démarches les plus concrètes (et administratives) de terrain qu’elle impliquait aussi !

comme étant de l’ordre de l’invention du « génie«  _ cf l’analyse magnifique qu’en donne le « génial« , lui-même, Kant en sa non moins géniale « Critique de la faculté de juger«  ; y revenir souvent ! _

de l’ordre de l’invention du « génie«  :

celui de Claude Lanzmann lui-même ;

distinct, par exemple, d’un « génie«  philosophique « pur » (= conceptuel pour l’essentiel…), tel que celui qui mobilisa, très jeune déjà (« un philosophe-né », lui, le qualifie Claude Lanzmann, page 140), un Gilles Deleuze, par exemple

(cf page 167 : « le génie manifeste de Gilles«  : dans la « création de concepts«  ; cf son « Qu’est-ce que la philosophie ?« …),

Je sais que j’ai obéi _ je reprends l’élan de la phrase de Claude Lanzmann _ à une loi différente

contraignante, opaque à mes propres yeux et d’un autre ordre : celle de la création«  : je vais y consacrer l’article principal à venir : le numéro IV !

Dans le cas, ici _ qui nous occupe tout spécialement _, de Claude Lanzmann,

son « génie«  propre, qu’il lui a fallu peu à peu, et de bric et de broc, par paliers et par strates, et « liens«  (surtout !) complexes et touffus, découvrir et « élaborer« , « construire« , « machiner« , mettre en œuvre

_ par exemple, au moment de l’élaboration de son premier film, « Pourquoi Israël« , de 1971 à 1973,

et en fréquentant les « Yekke _ c’est ainsi qu’on nommait, en Israël, les Juifs allemands _, dans le calme et ombreux quartier de Rehavia« ,

dont « les « Sämtliche Werke » (Œuvres complètes) de Goethe, de Schiller, de Hölderlin, de Hegel ou de Kant, beaux volumes reliés qui emplissaient les rayonnages des appartements » (de ces « Yekke« , donc)

_ par exemple « la bibliothèque de Gershom Scholem, fabuleuse caverne d’Ali Baba de la grande culture juive«  qui l’avait tout particulièrement « émerveillé«  (page 421) _

faisaient monter à mes yeux d’irrésistibles larmes sans que j’en comprisse vraiment _ alors _ les raisons«   :

« Israël, l’Allemagne, les deux années que j’y avais passées _ au final des années 40, à Tübingen, puis à Berlin _, la Shoah, Angelika

_ Schrobsdorff, rencontrée par le plus grand des hasards, un tristement pluvieux et glacial soir de novembre 1970, chez Fink (un restaurant de Jérusalem) et qu’il épouserait en octobre 1974 ; avec Gershom Scholem pour « témoin de nos épousailles juives« , « sous la houppa, à la fin d’un jour d’octobre encore très chaud » _

se nouaient en moi à d’insoupçonnables profondeurs », peut-on lire, à la page 420 _

le « génie » propre de Claude Lanzmann,

je reprends le fil et l’élan de ma phrase,

est un  « génie«  de « témoin«  montreur (et « passeur« ) de vérité par son œuvre cinématographique (sans exemple : à rebours de la plupart des pratiques communes à la plupart des professionnels « de la profession« 

cf la phrase importante, pages 243-244 : « la posture de témoin qui a été la mienne dès mon premier voyage en Israël _ d’août à décembre 1952 _, et n’a cessé de se confirmer et s’engrosser au fil du temps et des œuvres _ un point capital ! et combien justement revendiqué par lui ! _, requérait que je sois à la fois dedans et dehors, comme si un inflexible mandat m’avait été assigné«  : c’est magnifiquement juste ! ;

et celle-ci, page 511, plus décisive peut-être encore, face à tous ceux qui s’impatientaient des longueurs infinies, et de l’élaboration, de la conception ; et du tournage ; et enfin du montage : « une opération longue, grave, délicate, subtile« , est-il dit page 509 ; car « c’est la construction du film _ seule ; sans nul commentaire surplombant ! _ qui est la clé et le moteur de son intelligibilité ; qui permet au récit d’avancer _ sans chevilles, ni rail unique grossier _ et d’être compréhensible _ sensiblement, en toute la richesse de sa complexité : lumineuse, par ce travail ! _ pour le spectateur«  qui la reçoit, toujours page 509 ;

voici cette phrase cruciale de la page 511 :

« J’avais plus de foi en moi qu’en tous les professionnels de l’audiovisuel ; et d’abord pour une très puissante raison : j’avais la force _ conquise épreuve après épreuve, ces douze ans durant de l’aventure si improbable, au départ, de « Shoah » ! _ de prendre mon temps«  ; ce point est, d’ailleurs, capital pour tout authentique créateur : il ne doit obéir, au final, et contre vents et marées même, qu’au rythme propre (= la « loi«  même !) de l’œuvre elle-même ; de la création ! en son « opacité«  même première ; ainsi qu’à l’intérieur même de ses contraintes, et de tous ordres, d’ailleurs, qui, ainsi, même si c’est apparemment paradoxalement, font par là même partie intégrante de la « loi«  à la source jaillissante de cette création et de cette œuvre !)

Dans le cas de Claude Lanzmann,

son « génie«  de « témoin«  montreur (et partageur) de vérité par son œuvre (sans exemple) cinématographique, donc,

a eu besoin d’un peu plus de patience et d’une riche et complexe,

« opaque«  aussi, il le dit aussi à plusieurs reprises, nous venons de le voir,

maturation :

page 249, cette remarque rétrospective particulièrement lucide, à propos la « découverte«  (de ce que Sartre a qualifié alors, en 1953, de la part du jeune Claude Lanzmann, il venait juste d’avoir vingt-sept ans, de « la particularité juive«  dans le jeune État d’Israël, en son second semestre de 1952, donc) ; et de la renonciation à « écrire«  immédiatement « dessus« … :

« Je remis tout cela à plus tard,

conscient que j’avais à grandir, à vieillir

pour résoudre, dans un autre plan que celui où je me les posais alors _ un plan historico-journalistique, en l’occurrence alors _, les questions qui s’étaient levées en moi _ on ne peut pas tout de suite écrire, changer en livre

_ plutôt que le livre, son medium (à lui, d’« auteur« , Claude Lanzmann) sera le film,

il le découvrira assez tardivement (par son reportage pour l’émission de télévision d’Olivier Todd, « Panorama« , sur les bords du canal de Suez, pendant la meurtrière « guerre d’usure«  israëlo-égyptienne, au début 1968 ; cf les pages 408 à 410) _

on ne peut pas tout de suite écrire, changer en livre

la matière

_ encore trop brute (ou pas assez « articulée« , faute d’assez disposer, alors, de clés…), pour l’heure, en ces années 1952-53 : « matière«  dénuée pour le moment, donc, de sa vraie « forme«  (ou « Gestalt« , dit-il ailleurs en son livre : page 442) _

de sa vie ; ce qui est souvent le défaut des professionnels de la littérature. J’étais un homme des mûrissements longs _ voilà un facteur essentiel ! _ ; je n’avais pas peur de l’écoulement du temps ; quelque chose m’assurait

_ avec justesse ! celle de la patience du « pêcheur » attentif à la réelle « imminence » (d’une proie « guettée«  et attendue…) :

cet important mot « imminence«  _ annonciateur de pratiques ultérieures : celles de « recueillement«  de « témoignages » : parfois en « pêcheur«  ; d’autres fois en « chasseur« , aussi _  est présent deux fois dans le livre :

page 386, à propos des « bonheurs de l’attente et de l’imminence«  lors de la chasse au sanglier avec son beau-père René Dupuis, en Haute-Marne, « posté « ventre au bois » sur une sente gelée et verglacée« , « dans de grands domaines forestiers proches de Colombey-les-deux Églises« , dans les années soixante de son mariage avec l’actrice de théâtre Judith Magre ;

et page 441 à propos du projet, hélas inabouti

_ « avec beaucoup de regret. Et de peine«  : « Dov mourut malheureusement d’une crise cardiaque avant que je pusse tourner«  _

d’aller pêcher « en Méditerranée, non loin de Césarée« , avec « Dov Paisikovitch, boucher à Hadera » et « l’homme le plus silencieux que j’ai connu«  (page 440) ; mais « le silence est aussi un mode authentique du langage«  :

« originaire de Transylvanie, il avait été déporté à Birkenau avec sa famille au moment où l’extermination des Juifs de Hongrie était à son comble, en mai 1944 (…) ;

et même si « on ne pouvait le comparer en rien à _ l’extraordinaire _ Filip Müller

_ « il n’y aurait jamais deux Filip Müller ; jamais _ une autre fois… _ cette voix de bronze, et la reverbération, la vibration de son timbre, qui se poursuit longtemps après que ses justes et dramatiques paroles ont été proférées ; jamais cette profondeur de pensée, cette haute réflexion sur la vie et la mort, forgées par trois années d’enfer » ; si bien que de « tous les membres du commando spécial d’Auschwitz » ayant réussi à « survivre » que Claude Lanzmann a retrouvés et connus, « aucun n’égala _ en « force de témoignage«  _ Filip Müller ; et je sus qu’ils ne seraient pas dans le film. Sauf _ mais, lui, Dov Paisikovitch, pour « sa jeunesse et son absolu mutisme » !.. _ est-il précisé page 440… _,

il _ Dov, donc : le « silencieux« , lui… _ me plaisait ; et je lui rendis plusieurs fois visite dans sa boucherie, convaincu que sa jeunesse et son absolu mutisme avaient _ eux aussi ! _ leur place dans la tragédie que le film aurait à incarner » ;

« comme j’aime moi-même la pêche

_ nous y voilà !

cf page 67, sa découverte de la pêche, l’été 1938 : « nous passions nos vacances à Saint-Chély-d’Apcher, en Lozère, chez un directeur d’école républicain, Marcel Galtier, que j’adorais parce qu’il m’instruisais de tout

_ »instruire«  est aussi un mot qui vient à la bouche de Claude Lanzmann à propos de ses rapports (infiniment riches!) avec Simone de Beauvoir ; cf page 253 : « M’instruire était pour elle une façon de tout appréhender d’un oeil neuf, lui redonnant l’émotion _ = la fraîcheur ! _ des premières fois » : une « fraîcheur » à apprendre à trouver, saisir, re-trouver, re-vivre (ressusciter !) et ne jamais gaspiller… ; par exemple cinématographiquement… _,

et d’abord de la pêche à la mouche dans les étroites et serpentines rivières à truites des hauts plateaux de l’Aubrac«  _

comme j’aime moi-même la pêche,

l’attente, l’imminence _ voilà les réalités décisives (et fécondes) ici ! j’y reviendrai ! _,

je m’étais dit : « On ne parlera pas ; on pêchera ensemble ; et je raconterai son histoire en voix off« . Dov avait accepté ma proposition ; il mourut malheureusement d’une crise cardiaque avant que je pusse tourner« , page 441, donc… _

quelque chose m’assurait,

donc, je reprends l’élan de la réflexion de Claude Lanzmann, page 249, à propos de son « insuffisance de maturité«  (d’auteur !) en 1953,

que mon existence atteindrait sa pleine fécondité

_ et « géniale«  : c’est en effet de l’œuvre propre du « génie« , à la Kant, qu’il s’agit, en cette vie d’un authentique créateur (d’exposition, « dévoilement« , ainsi que « transmission«  et « partage« , de la vérité de ce qui a pu advenir à un peuple) que cette vie « féconde« , oui ! (en une œuvre géniale, telle que « Shoah« ) de Claude Lanzmann _

quand elle entrerait dans sa seconde moitié » : soit, en comptant bien, seulement à partir des quarante-deux ans de Claude Lanzmann : à la date de la parution du « Lièvre de Patagonie« , cela donne à partir du 27 novembre 1967… ; et en 1953, Claude venait d’atteindre ses vingt-sept ans…

voici, donc,

ce sera l’article final,

l’article « principal » (IV) sur cet « immense livre » qu’est « Le Lièvre de Patagonie«  de Claude Lanzmann :

il portera sur la « loi » de la création du « génie«  de l’artiste ;

Claude Lanzmann dit aussi, page 504, « le travail de la vérité«  :

les deux lui sont, en effet, absolument indissociables !..

« Loi » qui lui fut aussi un « mandat » (page 493)

de révélation, transmission et perpétuation, enfin,

d’une vérité (tragique) longtemps contournée et étouffée,

sinon « annihilée« 

Titus Curiosus, ce 17 août 2009

« Vive Rameau ! » : le « feu » du génie de Rameau en un jubilatoire CD Rameau (« Zoroastre » et « Zaïs ») par Ausonia et Frédérick Haas

11avr

Le CD Rameau Alpha 142, « Que les mortels servent de modèles aux dieux…« , méritait mieux que l’allusion trop rapide que je m’étais (un peu cavalièrement ! mais provisoirement) permise en un récent (le 21 mars) article « Musique et peinture en vrac _ partager enthousiasmes et passions, dans la nécessité et l’urgence d’une inspiration » _ en attente de mieux, de plus détaillé, il est vrai, promettais-je… Probablement faute de tout à fait assez de l’énergie nécessaire, de ma part alors, pour lui rendre assez justice : d »où ce « vrac » un peu cavalier, en effet !..

Or lui voici consacré, ce jour,

à ce CD Rameau Alpha 142, « Que les mortels servent de modèles aux dieux…« , par Ausonia et Frédérick Haas,

un article très positif et très juste (!!!) de Christophe Huss sur le site de Classics Today France ;

en voici la teneur :

« Le concept est porteur : un pot pourri géant « best of Rameau » _ et c’est bien de cela qu’il s’agit, sur une galette unique de 67′ 49 » : « un pot pourri géant « best of Rameau »«  Pourvu qu’il soit bien choisi et articulé, interprété par de bons musiciens, conscients du style, le compositeur se charge du reste _ et avec quelle maestria !.. Même si, pour ce qui me concerne, très personnellement, ma boulimie ne se contente pas sans maugréer quelque peu (!) d’une telle « économie » (de la part du chef-interprète des œuvres, comme de celle de l’éditeur-investisseur) : je vais y revenir…

Frédérick Haas, claveciniste et chef d’orchestre _ et maître d’œuvre de ce CD _, a choisi de mettre en regard « Zoroastre » et « Zaïs« , deux ouvrages contemporains (1748 et 1749), mais opposés _ en leur style… Le premier (documenté en DVD dans une interprétation de Christophe Rousset), tragique, se nourrit d’oppositions et de combats. « Zaïs » est un ouvrage lumineux : « La péripétie n’est qu’irisation de surface », synthétise Haas dans son excellent préambule _ page 12 du livret, particulièrement remarquable, selon la politique éditoriale de Jean-Paul Combet, dès la création (et conception !) d’Alpha, en 1998…

Contrairement à la tendance _ endémique, dominante _ des dix dernières années _ c’est bien vu ! que de dérives (je me retiens de donner des noms, même s’ils me démangent…)… _, Haas fuit la surenchère _ pour la vie dans la justesse seulement ! _ dans l’agitation rythmique. Son Rameau a du punch, mais s’intéresse _ on ne peut mieux raméliennement ; cf, par exemple le choix de textes (par Catherine Kintzler et Jean-Claude Malgoire) « Musique raisonnée« , aux Éditions Stock, en octobre 1980 _ surtout au son et à la matière orchestrale, infiniment variés : de l’opulence de l’ouverture _ justement célébrissime : un des sommets de l’art orchestral de Rameau ! _ de « Zaïs« , à la scintillance extrême de l’accompagnement de l’air « Chantez, Oiseaux chantez » _ plage 4 de ce présent CD. Partout, la couleur _ un facteur-clé de Rameau ! _ est juste (écoutez l’amalgame bois/cordes dans l’accompagnement de « Cruels tyrans » _ plage 7 : la musique nécessite l’écoute !!!).

Plus que nulle part ailleurs, une filiation entre l’étrangeté _ oui ! délicieuse !!!  _ de certains univers sonores de Rameau et ceux de Berlioz m’ont frappé _ oui !.. Ces deux compositeurs ont véritablement été des inventeurs de sons orchestraux _ oui !.. de génie ! Frédérick Haas traite Rameau de « fou visionnaire et brûlant », signe qu’il l’a bien compris_ je cite in extenso la phrase de Frédérick Haas, et son développement, si juste : « Rameau manifeste une intelligence hautaine, impitoyable et sensible : ce théoricien assoiffé de maîtrise est aussi un fou visionnaire et brûlant, un explorateur insatiable qui a soumis la musique de son temps au feu de toutes les expérimentations possibles et s’est rendu maître de l’harmonie et du temps. Et Rameau met impitoyablement son interprète à l’épreuve, car sa musique est à la fois monumentale et fragile, architecture éblouissante et volupté de sons : elle possède un tremblé inimitable, une palpitation enivrante. « L’expression est l’unique objet du musicien », « la vraie musique est le langage du cœur »… et aucune ne saurait être plus exigeante« , analyse avec une lucidissime finesse, et d’expert !, Frédéric Haas, page 12 de cet excellent livret !

La prononciation s’inspire des travaux du tandem Dumestre-Lazar sur « Le Bourgeois gentilhomme » _ DVD Alpha 700 : un incontournable ! Cette assimilation est très patente chez Arnaud Richard, basse très autoritaire, mais se remarque aussi chez Eugénie Warnier, par exemple dans le dialogue « C’en est donc fait, perfide » _ plage 8.

À la lecture de la notice _ éminemment précieuse, donc ! _ comme à l’écoute de ce trésor (!), qui est d’ores et déjà à ranger parmi les disques de l’année _ pourquoi non ? _, il est évident que chez Haas et ses musiciens les actes suivent la parole (en l’occurence les écrits) _ oui ! Ce disque, enregistré par Hugues Deschaux _ un gage de beauté ! _, inspiré comme à ses plus grandes heures _ la grâce qu’on espère d’un enregistrement discographique !!! _, est un miracle _ voilà ! _ de bout en bout.

Christophe Huss

A comparer avec l’évocation (!) d’un article alors « à venir » _ mais je l’écris ici ! _ à propos de ce CD Alpha 142, dans le « Musique et peinture en vrac » de ce blog-ci le 21 mars dernier :

le très beau CD Alpha Rameau “Que les mortels servent de modèles aux dieux…“, une “suite” composée d’extraits des opéras “Zoroastre (”Opéra en cinq actes Représenté pour la première fois par l’Académie Royale de Musique, le 5 décembre 1749 et remis au Théâtre le mardi 4 Janvier 1756” sur un livret de Louis de Cahusac) et “Zaïs (”Pastorale héroïque” de Jean-Philippe Rameau, composée, elle aussi, sur un livret de Louis de Cahusac : “la pièce comporte un prologue et quatre actes ; et a été créée à l’Académie Royale de Musique le jeudi 29 février 1748“) ; qu’interprète, cette riche “suite” _ tout en contraste de “couleurs” : côté “ombres”, pour “Zoroastre” ; côtés lumières, pour “Zaïs“… _, l’Ensemble Ausonia, que dirige l’excellent Frédérick Haas (avec Mira Glodeanu, comme premier violon et “maître de concert“) ; et Eugénie Warnier, soprano, et Arnaud Richard, basse _ tout à fait convaincants ! :

un choix très intelligent et fort judicieux de pièces orchestrées et chantées (et dansées !!!)

_ de la part de Frédérick Haas : cf ses choix, déjà remarquablement “intelligents”, pour nous faire entrer avec délicatesse et clarté dans le massif si richement diapré et infiniment subtil et simple, tout à la fois, des “pièces de clavecin” (et les “Ordres“) de François Couperin (CD Alpha 136 “Pièces de clavecin des Livres I & II” de François Couperin) _

qui nous donne enfin à ré-entendre un peu (!) de la musique de scène, sublime

_ avec orchestres, solistes (aux deux créations, chantaient les très grands Jélyotte et Marie Fel : lui de Lasseube, en Béarn _ entre Oloron et Pau _ ; elle, bordelaise…) ; n’y manque (un tout petit peu) qu’un (petit) aperçu des chœurs, très heureusement présents, aussi, dans ces œuvres scéniques si festives… _

de Jean-Philippe Rameau :

quelle peine, voire quel scandale, de le (= l’œuvre de Rameau) donner _ sur la scène, à l’opéra, au concert et au disque _ si peu !.. Au moins, ce CD répare-t-il un brin pareille injustice !..

Titus Curiosus, le 21 mars

Bref, nous sommes impatients d’écouter de nouveau _ encore ! encore ! encore ! _ cette sublime musique de Rameau, en d’autres de ses pièces

(qui ne dorment que trop !!! et l’argument du caractère circonstanciel du choix des « morceaux » d’un « opéra », en fonction des artistes disponibles, présents, ou pas, ce soir-là ; ou des « demandes » du pouvoir, ou des attentes du public : contingentes, capricieuses ; ne saurait compenser notre faim _ inapaisée ! _ de musique et de beauté !..) ;

et interprétée, cette sublime musique de Rameau, avec une telle intelligence (de sensibilité) de direction, qu’est ici celle de Frédérick Haas ;

et avec une générosité que notre époque _ avare, mesquine : qui choisit (aussi) si mal ses richesses et ses pauvretés ! _ rend de plus en plus méritoire, voire héroïque ;


nous, Français, ignorons si scandaleusement notre patrimoine musical…

« Vive Rameau !« , s’écriait déjà au début du siècle passé, au concert, Claude Debussy (à la re-création de « La Guirlande« , à la Schola Cantorum, en 1903)…

Debussy, qui écrivait ceci, en novembre 1912 :

« L’immense apport de Rameau est ce qu’il sut découvrir de la « sensibilité dans l’harmonie » ; qu’il réussit à noter certaines couleurs, certaines nuances dont, avant lui, les musiciens n’avaient qu’un sentiment confus« …

Comme c’est magnifiquement senti et vu et dit !..

Et encore ceci de Debussy, dans la revue de la S.I.M. _ = le bulletin français de la Société Internationale de Musique (que dirigeait Jules Écorcheville) _, le 15 janvier 1913 :

« Pourquoi tant d’indifférence pour notre grand Rameau ? Pour Destouches, à peu près inconnu ? Pour _ François _ Couperin, le plus poète de nos clavecinistes, dont la tendre mélancolie semble l’adorable écho venu du fond mystérieux des paysages où s’attristent _ rappelés par le Verlaine des « Fêtes galantes« , probablement _ les personnages de Watteau ? Cette indifférence devient coupable, en ce qu’elle donne aux autres pays _ si soigneux de leurs gloires (l’Allemagne, de Bach, l’Angleterre, de Purcell : pour commencer) _ l’impression que nous ne tenons guère aux nôtres _ que dirait Debussy en 2009 ?.. _, puisqu’aucun de ces illustres français ne figure sur les programmes » _ des concerts… Et encore ceci : « Souhaitons qu’à côté de la Société Bach, qui s’occupe si activement de cultiver le souvenir de cet ancêtre de toute musique, il se fonde une Société Rameau, celui-là est notre ancêtre par le sang ; nous devons bien cet hommage à son esprit…« 

Un très beau disque, donc, que ce CD Alpha 142, « Que les mortels servent de modèles aux dieux…« ,

excellemment « pensé » et excellemment « interprété » (d’un même geste, si je puis m’exprimer ainsi), dans l’esprit du maître,

avec le feu

_ intelligent et sensible (si harmonieusement mêlés, unis, ce « feu » de l' »intelligence » et ce « feu » de la « sensibilité », par la grâce d’une imagination musicale si inventive !!!), jusqu’en la force bouleversante des (quelques, rares, bien placées !) dissonances !!! _ ;


avec le feu de son génie :

« Vive Rameau !« …

 Titus Curiosus, le 11 avril 2009

En bonus (très personnel),

je joints ici le programme d’un concert Rameau de La Simphonie du Marais, que dirige Hugo Reyne (et dont j’étais alors « conseiller artistique ») auquel j’ai assisté, camescope à la main, en la chaire (superbement baroquissime !), à l’église Sainte-Walburge à Bruges, lors du Festival des Flandres, à Bruges, de l’année 1993 _ il s’agit d’un programme Rameau (plus Rebel, en ouverture, et Haendel, en conclusion ; avec le baryton Thierry Félix), donné le soir de la cérémonie des obsèques du roi Baudouin, et radiodiffusé en direct sur les antennes de la radio belge et en Corée du Sud _ le 7 août 1993 ; dans une atmosphère de très intense _ le terme « extra-ordinaire » lui convient ! _ unanime recueillement ; qui me marque encore ! :


En ouverture du concert, le « chaos » (inaugural ! il allait inspirer Joseph Haydn, pour sa « Création« …) des « Éléments » de Jean-Fery Rebel ;

l’air « Profonds abîmes du Ténare« , du « Temple de la Gloire« , de Jean-Philippe Rameau ;

l’ouverture de « Zaïs«  (présente sur ce CD Alpha 142, à la plage 1) ;

l’air « Monstre affreux, monstre redoutable !« , de « Dardanus » ;

l’ouverture de « Hippolyte et Aricie » ;

 l’air « Puisque Pluton est inflexible« , de ce même « Hippolyte et Aricie » ;

l’ouverture de « Zoroastre » ;

l’air « Éveillez-vous » de « Zaïs«  (présent sur ce CD, à la plage 2) ;

l’ouverture du « Temple de la Gloire » ;

puis, extraits de l’entrée « La Fête du Soleil » des « Indes galantes » :

l’air « Soleil, on a détruit tes superbes asiles » ;

l’adoration au Soleil : « Brillant Soleil ! » ;

et la dévotion au Soleil : « Clair flambeau du monde ! » ;

et, en conclusion, l’ouverture de « Music for the Royal Fireworks« , de Georg Friedrich Haendel…


J’y repense (et le réécoute) avec une immense émotion : Hugo Reyne avait intitulé ce (magnifique) concert

« Des Ténèbres aux Lumières« …

Ce ne fut que le lendemain que Bruges (la-morte ? cf l’œuvre de ce nom de Georges Rodenbach) se remit à revivre… Rameau est vivant.

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