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Un très raffiné et subtil CD « Ossesso », par Las Ratas del Viejo Mundo, de Floris De Ryckert : une vivante Renaissance

30jan

Le programme musical

_ outre qu’il est superbement interprété

par l’ensemble Las Ratas del Viejo Mundo, dirigé par Floris De Ryckert,

en un CD intitulé Ossesso (un CD Ramée Black Series RAM 1808 _

intitulé, donc, Ossesso

est passionnant ;

de même que l’interprétation est d’une vibrante poésie.

Il s’agit en effet de Madrigaux italiens

d’amour et d’affliction,

dont les compositeurs _ multiples : au nombre de 18 ; plus trois pièces anonymes et un air traditionnel frioulan… _ sont :

Adrian Willaert (c.1490 – 1562),

Jacopo da Bologna (fl. 1340 – 1360),

Donato da Firenze (fl. 1350 -1370),

Ivo Barry (fl. 1525 – 1550) et Balint Bakfark (1526/3à – 1576),

Jacob Arcadelt (c. 1507 – 1568),

Guglielmo Ebreo da Pesaro (c. 1420 – c. 1484),

Alonso Mudarra ((c. 1510 – 1580),

Vincenzo Galilei (c. 1525/30 – 1591),

Filippo de Monte (1521 _ 1603),

Francesco Canova da Milano (1497 – 1543),

Hubert Waelrant (c. 1517 – 1595),

Joan Ambrosio Dalza (fl. 1508),

Carlo Gesualdo (1566 – 1613),

Bartolomeo Trombocino (c. 1470 – après 1534),

Michelagnolo Galilei (1575 – 1631),

Giaches de Wert (1535 – 1596),

et Orlando di Lasso (1530/30 – 1594),

composant un programme splendide

d’un intense raffinement :

tout au long d’une rayonnante Renaissance.

Ce mercredi 30 janvier 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Une nouvelle pépite d’or de La Compagnia del Madrigale : le CD Cipriano de Rore « Vieni, dolce Imeneo » _ ou la perfection de l’interprétation

20jan

Pas un seul des CDs

de La Compagnia del Madrigale

qui ne soit décidément un pur chef d’œuvre !


Et celui qui paraît ce mois de janvier

ne déchoit pas davantage que les précédents

_ je veux dire leurs merveilleux et sublimes CDs Gesualdo, Marenzio, Monteverdi, L’arte del Madrigale, tous parus chez Glossa ;

et leur Orlando furioso, paru chez Arcana _

à cette règle de constat _ admiratif ! _ de fait !

Celui de ce jour

est un CD consacré à l’œuvre de Cipriano de Rore,

et est intitulé Vieni, dolce Imeneo _ Madrigali ;

soit le CD Glossa GCD 922808.

Ici, je me permets un simple rappel de dates

concernant ces compositeurs

auxquels La Compagnia a consacré ces si somptueux enregistrements,

dans l’horizon de leurs rapports de filiations _ artistiques _,

auprès des cours des _ si raffinées _ principautés italiennes

de la Renaissance _ et de la naissance du Baroque _,

au premier chef, celle des Este à Ferrare,

mais aussi, celle des Gonzague à Mantoue, et celle des Farnese à Parme :

Cipriano De Rore (Renaix/Ronse, 1515/16 – Parme, 1565) ;

Luca Marenzio (Coccaglio, près Brescia, 1553 – Rome, 1599) ;

Carlo Gesualdo (Venosa, 1566 – Gesualdo, 1613) ;

Claudio Monteverdi (Crémone, 1567 – Venise, 1643).

A cette liste,

j’ajouterais pour ma part,

à titre de jalons intermédiaires

entre Cipriano de Rore (décédé en 1565) et Luca Marenzio (né en 1553),

les noms de compositeurs décisifs, eux aussi,

dans le raffinement _ inouï _ des cours de ces principautés italiennes,

_ d’abord celle des Este à Ferrare,`

mais aussi celle des Gonzague à Mantoue

et celle des Farnese à Parme, j’insiste là-dessus _ ;

ainsi que dans la composition de madrigaux,

tels que

Giaches de Wert (Bornem, 1535 – Mantoue, 1596)

et Luzzasco Luzzaschi (Ferrare, c. 1545 – Ferrare, 1607),

tous deux très effectivement élèves de Cipriano de Rore à Ferrare,

où celui séjourna, de 1547 à 1559, auprès du duc

_ modèle d’esthète-mécène d’un extrême raffinement (et en tous les arts) pour toute l’Europe ! _

Hercule II d’Este (1508 – 1559)

_ dont l’épouse était Renée de France (1510 – 1574),

fille du roi de France Louis XII (1462 – 1515),

et sœur de la reine Claude (1499 – 1524), la première épouse de François Ier (1494 – 1547):

peut-être pour de futurs _ voire prochains _ enregistrements

de La Compagnia del Madrigale…

Cf aussi mes récents articles du 24 juin

et du 14 juillet derniers (2018)

à propos de CDs consacrés à l’œuvre de Cipriano de Rore.

Quelle chance de pouvoir physiquement _ sonorement, je veux dire _ jouir de telles musiques

en de telles sublimes interprétations !!!

Ce dimanche 20 janvier 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un très réussi « San Marco di Venezia », par l’ensemble Les Traversées baroques

26juil

Un très réussi CD San Marco di Venezia, (CD Accent ACC 24345)

par Les Traversées baroques,

avec au programme des œuvres de

Giovanni Bassano (1551 – 1617),

Giovanni Gabrieli (1557 – 1612),

Andrea Gabrieli (1532/33 – 1585)

& Claudio Merulo (1533 – 1604).

Voici le compte-rendu qu’en donnait il y a deux jours, le site Res Musica,

sous le titre Les Joyaux de l’Âge d’Or de la Musique de la Renaissance à Venise,

sous la plume de Maciej Chiżyński :

« San Marco di Venezia – The Golden Age ».

Œuvres de : Giovanni Bassano (1551-1617) ; Giovanni Bassano (1551-1617) / Giovanni Pierluigi da Palestrina (1525-1594) ; Giovanni Gabrieli (1557-1612) ; Andrea Gabrieli (1532/33-1585) ; Claudio Merulo (1533-1604).

Les Traversées Baroques : Anne Magouët et Capucine Keller, sopranos ; Paulin Bündgen et Pascal Bertin, altos ; Hugues Primard et Vincent Bouchot, ténors ; Renaud Delaigue, basse ; Judith Paquier et Sarah Dubus, cornets à bouquin ; Claire McIntyre, Abel Rohrbach et James Wigfull, sacqueboutes ; Monika Fischaleck, basson ; Laurent Stewart, orgue ; direction : Étienne Meyer.

1 CD Accent.

Enregistré en juillet 2017 en l’église Saint-Martin de Hoff à Sarrebourg (pièces pour voix et instruments à vents) et en octobre 2017 en l’église « del Santissimo Corpo di Cristo » de Valvasone en Italie (pièces pour orgue seul).

Textes de présentation en anglais, allemand et français, de Denis Morrier.

Durée : 71:30

San Marco di VeneziaPour leur nouveau disque, les Traversées Baroques proposent un fascinant panorama de la musique de la Renaissance italienne, en nous emmenant dans un voyage imaginaire à la basilique Saint-Marc de Venise, où furent vraisemblablement créées, ou du moins exécutées, les œuvres à partir desquelles ce programme est construit.

Si la conception du projet n’est pas innovante dans la mesure où d’autres réalisations semblables à celle-ci ont déjà vu le jour – que ce soit sous la direction de Paul McCreesh ou, plus récemment, de Robert Hollingworth – cet album est unique, et ce, non seulement par le choix du répertoire, mais aussi par l’impact dramatique qui résulte de l’ordonnancement du programme qu’il offre. Les Traversées Baroques abordent ici des partitions plus ou moins connues, élaborées par des artistes ayant eu affaire à ladite basilique. Pour la plupart d’entre eux, comme les Gabrieli et Giovanni Bassano, ce rapport est évident. Pour d’autres, moins, notamment pour Claudio Merulo qui en 1584 quitta Venise, en abandonnant son poste du premier organiste de Saint-Marc (fonction de musique comptant alors parmi les plus prestigieuses d’Italie), et dont les Canzoni ne furent éditées que dans les années 1590, ce qui ne signifie pas, bien évidemment, qu’elles n’avaient pas été écrites à l’époque où cet instrumentiste vivait dans la « Cité des Eaux ». Il est de nos jours difficile de préciser quand elles ont réellement été composées. Et il est plus difficile encore de déterminer quand le bouquet d’œuvres réunies ici a pu être joué dans cet assemblage. Deux hypothèses sont envisageables à ce sujet : soit à la fin du XVIe siècle, soit au début du siècle suivant, mais sans doute quelque part à la charnière de la Renaissance et du Baroque (le motet Confitebor tibi Domine de Giovanni Gabrieli, également gravé sur ce disque, n’a été publié pour la première fois qu’en 1615). Cette deuxième supposition nous paraît, cependant, un peu moins probable car le stile moderno, dont Claudio Monteverdi – maître de chapelle à la basilique à partir de 1613 – était un vulgarisateur de premier plan, aura bientôt commencé à occuper une position dominante par rapport à la prima prattica dont les pages interprétées témoignent.

Pour ce qui est des exécutions données par les Traversées Baroques, nous sommes saisis par l’élégance du style et l’opulence sonore permettant de redécouvrir les splendeurs de l’âge d’or de la musique de la Renaissance tardive. À l’écoute du disque, notre attention ne faiblit pas, car ce programme est varié du point de vue de l’effectif des interprètes, ainsi que du caractère et de la dramaturgie des œuvres qu’ils abordent. C’est de cette façon que nous nous délectons aussi bien des morceaux dont l’exécution est arrangée pour voix et instruments (comme par exemple Vox Domini à 10 voix de ) que des compositions façonnées pour un petit ensemble instrumental (Canzon terza du même Gabrieli) ou pour orgue seul (trois Canzoni alla francese de ). Dès le début, on constate que les chanteurs sont sélectionnés avec soin, dans le sens où leur expression et leur sensibilité s’harmonisent entre elles en se complétant en termes de couleurs. Même pour l’émission vocale des contre-ténors, jamais forcée ou tubée, qui apparaissent ici en guise d’altos féminins afin de nous charmer par la finesse des timbres, ce qui n’est pas toujours le cas pour ce type de voix dans la musique sacrée, bien que leur participation soit pleinement justifiée car les falsettistes ne se produisaient jadis que dans les églises. Étienne Meyer, à la tête de la phalange, propose des tempi amples, stables et nobles (sans excès de lenteur), aptes à soutenir sinon à inspirer les solistes en vue d’élargir leur palette de nuances expressives et de rendre leur richesse émotive encore plus touchante, quoique relativement simple et modeste. Pour certaines pièces, ceux-ci se voient doublés par les vents qui, au reste, sont parfois les seuls à réaliser d’autres voix. Pour les instrumentistes, nous apprécions l’apport des cornets et des sacqueboutes dans ce répertoire, principalement pour la beauté et la plasticité des sons qu’ils produisent, aux teintes doucement ombragées, mais aussi vibrantes et perlées, voire cristallines.

En ce qui concerne les trois pièces d’orgue, dont la lecture est assurée par Laurent Stewart, elles ont été enregistrées à Valvasone en Italie sur l’instrument historique construit par Vincenzo Colombi en 1533. Étant donné que celui-ci a bâti, dans les mêmes années, un orgue un peu similaire, mais qui n’existe plus, dans la basilique Saint-Marc, ce choix s’avère plus que judicieux, d’autant plus qu’il s’agit d’ensembles de tuyaux dans un état parfait, et avec des sonorités lumineuses et chatoyantes pastel, qui conviennent particulièrement bien à cette musique.

Voici un très bon disque que devraient se procurer les amateurs de la musique de la Renaissance. La prise de son est pure et convenablement équilibrée. Pour les pièces d’orgue, l’espace étant plus limité, on entend une grande variété de détails, également le bruit de soufflets.

Ce jeudi 26 juillet 2018, Titus Curiosus – Francis -Lippa

 

Un compositeur ultra-raffiné, pour un « Portrait de l’artiste en chien affamé » : Cipriano de Rore

24juin

L’excellent Ensemble Graindelavoix,

que dirige Björn Schmelzer,

nous offre un singulier CD consacré à de merveilleux Madrigaux (à plusieurs voix)

_ dont cinq sont sur des vers de L’Orlando furioso de l’Arioste,

un, sur un poème du Canzoniere de Pétrarque,

un autre sur des vers de l’Enéide de Virgile, etc.  _

du compositeur _ de Renaix _ de la Renaissance,

particulièrement actif dans les cours suprêmement raffinées des Este à Ferrare

et des Farnese à Parme,

 

Cipriano de Rore (c. 1515 – 1565),

intitulé Portrait de l’artiste en chien affamé :

un CD Glossa GCD P32114.

La notice, signée par le chef, Björn Schmelzer,

est absolument passionnante, dans son extrême précision et raffinement _ aussi ! _,

tant sur la musique et la poésie,

que sur la peinture, la sculpture et les enluminures

qui les accompagnent…

Cinq chanteurs :

Anne-Kathryn Olsen, Razek-François Bitar, Albert Riera, Marius Peterson, Adrian Sirbu & Tomas Maxé ;

le cornet de Luis Coll i Trulls,

& le citarrone, le luth et la guitare de Floris De Rycker ;

et la direction de Björn Schmelzer.

Un CD d’une qualité artistique rare !

A ne manquer sous aucun prétexte !!!

Ce dimanche 24 juin 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le souffle de la philosophe sur le monde : un appel fort de Thérèse Delpech (dans le Monde)

22nov

« Le déclin de l’Occident » : un texte fort de la philosophe Thérèse Delpech, ce matin sur le site du Monde ; et qui nous rappelle l’urgente nécessité de telles « mises en perspective«  _ civilisationnelles _, dans un univers médiatique atomisé en misérables micro-considérations, équivalant à un épais brouillard, par son insistant, répété, obstiné rideau de fumée, au fil des jours… et pour quels misérables profits de si peu nombreux (qui, de plus, se croient très malins : « après nous, le déluge ! » ; ou « la France… ton café fout le camp !« , dirent, en leur temps, rapporte-t-on, deux des maîtresses de Louis XV) ?!..

Voici l’article,

assorti, selon ma coutume, de quelque farcissures de mon cru : en forme d’amorce de « dialogue« 


« Le déclin de l’Occident« , par Thérèse Delpech

LE MONDE | 21.11.09 | 13h40  •  Mis à jour le 21.11.09 | 13h40

Le « thème«  _ oui ! et ce n’est pas une problématique ; cf le distinguo nécessaire (!) d’Elie During en sa conférence au CAPC le 7 avril 2009 (cf mon article) _ du « déclin de l’Occident » est utilisé de plus en plus fréquemment _ idéologiquement !.. _ par ceux qui cultivent à son égard ressentiment, désir de revanche, ou franche hostilité : c’est le cas de la Russie, dont tous les Occidentaux cultivés intègrent pourtant le génie artistique dans le patrimoine occidental ; de la Chine, qui attend son moment historique avec une impatience qu’elle a du mal à dissimuler ; ou du régime de Téhéran, dépositaire autoproclamé d’une mission d’expansion de l’islam dans le monde.

Quels que soient les arguments _ idéologiques ? pertinents ? _ utilisés par ces pays _ ou leurs dirigeants _, ils méritent qu’on leur fasse au moins une concession _ de « réalisme » ! _ : ils disposent pour étayer leur thèse de solides appuis ; et notamment de la répugnance croissante du monde occidental _ lui-même… _, États-Unis compris, à continuer d’être des sujets de l’Histoire _ ou la tentation du repli du soi (et son estomac) : et c’est cette situation-ci qui irrite l’auteur de l’article ; jusqu’à l’amener à prendre la plume (ou le clavier)…

En revanche, ces adversaires ignorent une chose aussi importante que ce qu’ils comprennent : le déclin est un des plus grands « thèmes » _ voilà : mais un « thème«  suffit-il à faire une « problématique«  ?.. _ de la culture occidentale, depuis le récit d’Hésiode « Les Travaux et les Jours » à l’orée de la civilisation grecque, jusqu’à l’ouvrage, médiocre celui-ci, mais beaucoup plus connu, d’Oswald Spengler au début du XXe siècle, « Le Déclin de l’Occident« .

Le fil du déclin court dans notre histoire comme un refrain lancinant _ quelles fonctions a donc la ritournelle ? (cf ce concept deleuzien : La ritournelle) _, qui n’est nullement lié à l’horreur du changement, dont le monde occidental a au contraire considérablement accéléré le rythme, mais à une véritable obsession _ à interroger ! et dans ses diverses « versions« _, qui est celle de la chute. Ce n’est pas simplement un héritage judéo-chrétien : avant la chute des mauvais anges du christianisme, il y avait déjà, dans la mythologie grecque, celle des Titans. Dans les deux cas, les héritiers de ces histoires conservent la mémoire d’une irrémédiable _ voilà ! _ perte.

Les versions philosophiques ou littéraires de ce « thème«  _ oui, oui _ sont innombrables : le « Timée » de Platon comprend le récit d’un temps circulaire où il n’est mis fin à la dégénérescence progressive de la création qu’avec l’intervention divine _ démiurgique. Avant Platon, Socrate avait dénoncé un des signes du déclin de la pensée avec la montée des sophistes _ Thrasymaque (dans « La République« ) ou Calliclès (dans « Gorgias« ) _ qui s’intéressaient beaucoup plus à la puissance qu’à la vérité _ un débat toujours, toujours crucial ! Au début du XVIIe siècle, John Milton donne de la lutte des anges une version si terrible dans « Le Paradis perdu » que Bernard Brodie choisira d’en retenir le récit pour introduire un de ses livres sur la bombe atomique.

A peu près au même moment, Miguel de Cervantès consacre son œuvre la plus importante à la nostalgie du monde de la chevalerie : la triste figure de Don Quichotte exprime la tristesse d’un homme qui ne peut pas vivre dans un monde où l’héroïsme et les aventures n’ont plus de place que dans l’imagination _ dévoyée de l’action efficace : cf là-dessus le beau livre de Marthe Robert : « L’Ancien et le nouveau«  Quand l’illusion est devenue impossible à soutenir, il meurt de mélancolie _ oui ! _ sous le regard désespéré de son fidèle Sancho, prêt à reprendre seul les folles entreprises de son maître.

Douze ans avant « Le Déclin de l’Occident » (1918-1922) de Spengler, Andrei Biely donne _ dans son grand « Petersbourg« _ une version beaucoup plus puissante de l’incendie qui commence à saisir le « monde d’hier « _ cf aussi celui, magnifique aussi (!), juste un peu plus tard, de Stefan Zweig_ au début du XXe siècle : « Les événements commencent ici leur ébullition. Toute la Russie est en feu. Ce feu se répand partout. Les angoisses de l’âme et la tristesse des individus ont fusionné avec le deuil national pour produire une horreur écarlate singulière. »

En somme, comme le disait Jacques Bainville, « tout a toujours très mal marché ». Les avenirs radieux, les lendemains qui chantent, ne sont que des épiphénomènes dans la culture occidentale, qui finissent d’ailleurs le plus souvent de façon catastrophique, ce dont témoigne amplement le XXe siècle. Comme quoi le pessimisme peut avoir du bon _ voilà ! C’est un avertissement _ une alerte ! à bons entendeurs, salut ! _ que peu de grands esprits _ voilà ! _ ont négligé _ mais les grands esprits se sentent comme de plus en plus esseulés, par les temps qui courent…

Même les auteurs dont on cite à tort et à travers les propos enthousiastes sur l’Histoire en ont souvent conservé précieusement une solide dose. Emmanuel Kant, par exemple, dont on vante volontiers le projet de paix perpétuelle, sans doute parce qu’il n’a jamais été aussi utopique et perdu dans le brouillard, affirmait _ en sa « Religion dans les limites de la simple raison« , en 1793 _  qu' »avec le bois tordu de l’humanité, on ne saurait rien façonner de droit« .

C’est une conclusion que les Européens ne sont jamais tout à fait parvenus à faire partager aux Américains, dont l’Eden semble manquer d’un acteur essentiel : le serpent. Cette absence est, si l’on peut se permettre cette expression, particulièrement frappante _ hélas ! _ dans l’administration Obama, qui ouvre les bras à tous vents, sans craindre les tempêtes ou même les mauvais courants d’air à l’abord de l’hiver. Le président américain devrait relire Herman Melville _ à commencer par l’immense  « Moby Dick«  _, qui, pour avoir de solides racines écossaises, n’en est pas moins un des plus grands écrivains que l’Amérique ait produit.

Certes, il y a dans le « thème » _ mou _ du déclin un risque évident : le découragement face à toute entreprise humaine, voire, ce qui est pire, une forme de complaisance _ oui : masochiste _ dans la chute, qui est, précisément, l’attitude du personnage de Jean-Baptiste Clamence dans l’œuvre de Camus qui porte ce nom _ en 1956. Tout le monde est coupable dans un monde où la chute est la règle et la rédemption un leurre. Il n’y a plus ni valeurs, ni hiérarchie, ni jugement possibles. La différence entre le meurtrier et sa victime est une affaire de perspective, comme l’est celle qui sépare le « bon » du « mauvais » gouvernement dont une _ justement _ célèbre fresque _ d’Ambrogio Lorenzetti, au Palazzo Publico _ de Sienne a représenté les caractéristiques. On peut se vautrer dans le déclin _ public et privé _ comme d’autres dans la fange et y trouver un certain confort : les choses sont ainsi, pourquoi s’en faire ?

Mais la force _ voilà _ du « thème«  _ en ce qu’il comporte, tout de même, de « problématique » ; et à cette condition sine qua non _ est celle du retour sur soi et de la réflexivité, qui permet de mesurer les erreurs, les fautes, et de porter un jugement sur l’engourdissement éthique _ expression importante ! à un moment de tétanisation face à la marée des corruptions (politico-économiques particulièrement) _ où le monde est plongé _ pour agir alors et dès lors en cette connaissance de cause-là ! Les peuples qui refusent de se pencher sur leur passé n’atteindront jamais la maturité historique. A bon entendeur, salut ! _ voilà !

Il y a là une vraie supériorité _ ah ! ce serait la bonne nouvelle de cette intervention, ici, de Thérèse Delpech ! _ des pays occidentaux, qui ont passé des décennies à tenter de comprendre l’abîme _ voilà ! _ dans lequel ils ont plongé, sur la Chine et la Russie, qui auraient pourtant matière à réflexion _ sans doute !.. Les Européens _ et sans (ridicule !) autosatisfaction ! _ ont, encore aujourd’hui _ mais pour combien de temps ? et lesquels d’entre eux ? Peut-on (jamais !) généraliser ?.. _, conscience de se trouver « au milieu des débris d’une grande tempête », comme l’écrivait Balzac _ dans l’« Envers de l’Histoire contemporaine« , en 1848… _ des rescapés de la Révolution française. Il suffit pour en témoigner de suivre la production cinématographique allemande _ ainsi que sa littérature, aussi ! Ou l’accueil fait (à Berlin) à un Imre Kertész, l’auteur du sublime terrible « Liquidation« 

La réflexion et le souvenir seuls peuvent donner la force _ voilà l’enjeu ! _ de reconnaître dans la violence et la désorientation _ un concept important, lui aussi…de l’époque _ oui : tel est le réel qui interroge !.. _ le prélude potentiel de nouvelles catastrophes _ soit ce qui nous menace tous bel et bien !.. Ils constituent même _ oui ! _ le premier pas _ voilà ! _ pour tenter _ par un sursaut sur soi (de nous tous ? ou seulement des dirigeants ?..) _ de les éviter. Si les massacres passés sont des sujets tabous, comment condamner _ au lieu de se lier les mains ! _ ceux du présent ? Si les liens de Pékin avec le régime de Pol Pot sont censurés _ oui _ au moment du procès des Khmers rouges, si le nombre des victimes de la révolution culturelle ne fait l’objet d’aucun travail sérieux _ oui _ en Chine, si les archives du goulag ou de la guerre en Tchétchénie doivent être protégées _ oui _ des autorités russes, que penser de l’attitude de ces pays _ maintenant _ à l’égard de massacres à venir ? _ certes !!! qui donc le remarque et s’en soucie réellement ??? Qu’est donc ? et où se situe ? le véritable « réalisme » ???

Certes, le retour sur soi, pour être nécessaire, n’est pas suffisant _ non plus : en effet !.. Le monde occidental doit encore affronter _ on ne peut plus activement… _ d’épineux problèmes : la disparition progressive des grandes questions qui ont agité l’esprit _ public : que devient-il, celui-ci ?.. où (dans quels marécages ou quels sables) est-il donc en train de s’évanouir et perdre ?.. qu’en est-il, même, des « démocraties« , aujourd’hui ?.. _ au profit des « puzzles » ou des « minuties » _ oui ! _ dénoncées par Karl Popper dès 1945 _ dans « La Société ouverte et ses ennemis«  _ traduit un rétrécissement _ suicidaire _ de la vie intellectuelle _ oui ! _ au moment précis où la possibilité d’éclairer _ voilà ! _ de nouveaux horizons a considérablement augmenté avec les moyens _ encore faut-il savoir au service de quelles finalités (ou ambitions) on (!) choisit de les placer, ces moyens-là !.. _ de communication contemporains ; la revanche du sacré _ sur le laïque _, avec un retour fracassant de la religion sous des formes violentes et destructrices _ se fanatisant… _, renvoie au vide spirituel _ le nihilisme (!!!) que dénonce la lucidité extrême de Nietzsche ; relire toujours le « Prologue » lucidissime d’« Ainsi parlait Zarathoustra«  _ de nos sociétés : elle ne rencontre d’ailleurs aucune autre réponse que celle des armes _ tristement faible « ultima ratio regum«  Le travail _ de problématisation, d’abord : à l’encontre des vains seuls « thèmes«  _ est à peine engagé sur ces sujets en Occident. Mais le don _ qui le donne ? qui le construit ? _ du souvenir _ cela s’élabore et se construit sérieusement : c’est aussi la tâche (et l’honneur !) du « métier«  d’historien _ est pour les peuples comme pour les individus le début _ déjà _ de la cure psychique. D’où l’intérêt _ somme toute ! et en pratique… _ du « thème » du déclin _ surtout s’il est correctement « problématisé » !..

Pour conclure donc, ce « thème » _ que vient « relancer » ici, avec brio, Thérèse Delpech… _ n’a pas pour fonction _ voilà la perspective foncièrement « pratique« , donc, de Thérèse Delpech ici… _ d’entretenir une culture crépusculaire _ mélancolique… _ ou d’annoncer sans trop de réflexion _ hélas : médiatiquement… _ l’avènement de l’Asie sur la scène mondiale. De quoi parle-t-on au juste en évoquant un ensemble géographique aussi disparate ? Et qui peut dire ce que cet avènement nous réserverait ? L’avenir nous paraîtrait moins profondément déstructuré _ voilà ! _ si nous tirions _ vraiment ! _ les conséquences _ on ne peut plus effectives _ d’une vérité toute simple : le seul moyen de participer _ oui ! _ à la réalisation _ oui ! _ d’un monde _ géo-politico-économique… _ plus stable _ n’est-ce qu’un euphémisme ? _ est d’en avoir _ d’abord ; et si peu que ce soit _ une idée _ puis, qu’elle soit, si possible, un peu « juste« 

Ceux qui disposent des meilleurs outils pour la produire _ cette « idée » d’un « monde plus stable«  : n’est-ce donc là qu’une expression euphémisée ?.. _ sont aussi ceux qui ont la conscience la plus aiguë _ oui _ du caractère tragique de l’histoire _ certes : avis à certains idéalistes américains ??? et affairistes à (fort) courte vue européens ??? Les grandes catastrophes du XXe siècle font partie _ oui ! _ de notre héritage. Nous sommes des êtres du déclin et du gouffre qui ont soif de renaissance et de salut _ qu’entend donc Nietzsche par le mouvement même du « surhumain » ? sinon cela même ?.. Beaucoup de peuples pourraient _ et devraient ; ou doivent… _ se reconnaître dans ce miroir _ et se donner peut-être aussi des dirigeants (à commencer par des chefs d’État ! ou de ce qui en reste… cf notre malingre « Europe« …) en cohérence avec cette lucidité-là!.. Que de chemin (politique et géo-politique, en particulier ; mais aussi dans l’organisation même du travail et de la société ; et de la vie des Arts et de la culture !) à faire !..

Thérèse Delpech


Politologue et philosophe, chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) et membre du conseil de direction de l’Institut international d’études stratégiques (IISS), Thérèse Delpech a notamment écrit chez Grasset « L’Ensauvagement » (2005), « Le Grand Perturbateur : réflexions sur la question iranienne » (2007), et publiera en 2010 « Variations sur l’irrationnel« . ……

 

Une alerte essentielle :

merci !

Madame Thérèse Delpech…

Titus Curiosus, ce 22 novembre 2009

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