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Une splendeur de CD de récital de chant baroque que j’avais manqué à sa parution en janvier 2021 : le merveilleux « Royal Handel » de la mezzo-soprano Eva Zaïcik, avec Le Consort…

17jan

En récapitulant les CDs de ma discothèque de l’Ensemble Le Consort

ainsi, aussi, que ceux du violoniste virtuose Théotime Langlois de Swarte,

j’ai pris de conscience que j’avais manqué, au mois de janvier de l’année dernière, 2021 _ quand règne toujours la pandémie _ la parution du CD Alpha 662 « Royal Handel« ,

de la mezzo-soprano Eva Zaïcik et l’Ensemble Le Consort.

Ensemble Le Consort au nombre des excellents instrumentistes duquel fait éminemment partie le violoniste Théotime Langlois de Swarte

_ à la généalogie familiale duquel, il se trouve que, à partir du 25 mai 2021

(cf mon article «  « , et en réagissant ainsi à l’infini plaisir pris à son CD, avec Thomas Dunford, « The Mad Lover » ; cf mon article du 12 mai précédent : « « …),

je me suis très vivement intéressé ;

et cela, pour avoir été collègue et ami, en lycée, à Arcachon (Grand Air), puis à Libourne (Max Linder), de son oncle maternel Thibault de Swarte ;

cf mes articles récapitulatifs successifs de cette généalogie de la famille de Swarte, autour de Thibault ainsi que de Timothée,

en date du 12 juin 2021 (« « ),

du 20 juin 2021 (« « ),

puis du 29 juin suivant (« « ). Fin ici de l’incise généalogique…

Aux très marquantes réalisations musicales discographiques de Théotime Langlois de Swarte, ainsi que celles de l’Ensemble Le Consort,

j’ai consacré une série de 7 articles :

les 29 janvier 2019 (« « ),

20 février 2019 (« « ),

16 août 2019 (« « ),

12 mai 2021 (« « ),

..;

16 août 2021 (« « ),

15 septembre 2021 (« « ),

et 8 décembre 2021 (« « ).

J’en viens donc, enfin, à l’émerveillement de ce CD « Royal Handel » (Alpha 662), enregistré au mois de juin 2020, à Paris, au Temple du Saint-Esprit,

et paru, donc, au mois de janvier 2021 : je ne l’avais pas vu passer…

Le répertoire vocal des opéras (ainsi qu’oratorios) de Haendel est extrêmement riche, et probablement pas encore exhaustivement exploré  _ c’est à voir… _ par l’enregistrement discographique : à l’égal du répertoire vivaldien, au tout premier chef ; mais aussi de l’ensemble du répertoire, en particulier italien (mais pas seulement : français aussi…) de l’opéra à l’époque baroque, déjà…

Mais si l’enregistrement discographique (ou vidéo) d’un opéra coûte assez cher _ et se fait ainsi de plus en plus rare sur le marché de l’offre discographique _,

il n’en est pas tout à fait ainsi de l’enregistrement, pour un CD, d’un récital d’un chanteur…

D’où la pratique _ se développant maintenant depuis plusieurs décennies… _ de la production discographique d’enregistrements consacrés, ou bien à une anthologie d’airs choisis d’un même compositeur _ tel ici Haendel _, ou bien au choix souvent intéressant et avisé d’un aperçu thématique d’airs empruntée à divers compositeurs d’une même époque _ comme pour le très excellent CD « Amazone » (le CD Erato 0190295065843) de Léa Désandré et Jupiter, dirigé par Thomas Dunford ; cf mes articles des 17 (« « ) et 28 octobre (« « ), ainsi que l’article panoramique du 5 décembre 2021 (« « )…

Aujourd’hui, c’est la très remarquable mezzo-soprano Eva Zaïcik _ décidément le timbre charnu et sensuel de mezzo me charme tout spécialement... _ qui, même si c’est avec retard par rapport à la parution de ce CD, il y a tout juste un an, m’enthousiasme superbement !!!

Et son art éminemment sensible du chant…

J’ai recherché divers articles qui ont été consacrés par la critique à ce CD « Royal Handel » de janvier 2021 ;

et je me permets de les faire partager ici :

_ »Royal Handel – Zaïcik : une heure de bonheur total« , un _ très fouillé et très juste _ article de Pierre Benveniste, sur BaroquiadeS, le 2 février 2021.

_ « Chronique d’album : « Royal Handel », d’Eva Zaïcik« , un article d’Elodie Martinez, sur Opera Online, le 5 février 2021.

_ « Eva Zaïcik et Le Consort illuminent un florilège d’airs d’opéra de Haendel« , un article de Cécile Glaenzer, sur ResMusica, le 5 février 2021.

_ « « Royal Handel », souveraine Eva Zaïcik !« , un article de Jean Lacroix, sur Crescendo Magazine, le 9 février 2021.

Articles que voici successivement :

1) Royal Handel – Zaïcik


Royal Handel - Zaïcik©


Une heure de bonheur total

Difficile de rassembler dans un album des airs représentatifs de l’œuvre lyrique de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), auteur d’une cinquantaine d’opéras serias _ voilà ! _, sans compter les pasticcios _ en effet… L’option choisie dans le présent enregistrement a privilégié un épisode _ oui : 1719 – 1728 _ de la longue carrière de Haendel, c’est-à-dire la création de la Royal Academy of Music en 1719, institution dont Haendel fut le directeur artistique et que la postérité appela Première Académie.

La création d’une pareille institution, unique à son époque, témoigne de l’audace de Haendel ; il s’agissait en effet d’une véritable entreprise privée financée en partie par des mécènes, dont le souverain lui-même, mais également par les souscriptions et la vente des places. Disposant au départ de capitaux confortables, Haendel pourra ainsi au gré de ses voyages en Italie _ oui _, recruter les meilleurs interprètes du temps notamment le fameux castrat Francesco Bernardi (dit Senesino) et aussi Margherita Durastanti, Francesca Cuzzoni, Faustina Bordoni… Malheureusement, faute de gestionnaire compétent, les meilleurs chanteurs du monde et un directeur musical de génie ne purent éviter l’arrêt de l’activité de l’entreprise du fait de comptes déficitaires _ voilà…

Le présent CD propose un portrait musical de cette première Royal Academy of Music qui fonctionna entre 1719 et 1728. A un choix d’airs particulièrement marquants _ oui _ de Haendel s’ajoutent ceux de Attilio Ariosti (1666-1729) et Giovanni Bononcini (1670-1747), compositeurs ayant également participé _ en effet _ à cette aventure _ londonienne. Il est tentant d’imaginer que ce programme fut chanté par Senesino lors d’une soirée privée organisée par Haendel à son domicile.

Ce choix d’airs se justifie sur le plan artistique car cette période de la carrière de Haendel est exceptionnellement riche en chefs-d’œuvre _ absolument ! _ : Giulio Cesare, Ottone, Radamisto, Tamerlano, Rodelinda. De plus, en raison d’un laps de temps de moins de dix ans encadrant les œuvres choisies, on pouvait s’attendre à une unité stylistique certaine. En outre, place était donnée à des airs extraits d’opéras de Haendel très rarement joués _ oui _ comme Siroé, re di Persia, Flavio, re di Longobardi, Admeto, re di Tessaglia, Floridante ; ou encore à des extraits d’opéras de ses collègues de l’époque comme Caio Marzio Coriolano (1723) de Ariosti, et Crispo de Bononcini, permettant ainsi de découvrir quelques pépites _ mais oui !

Cet album apporte des émotions profondes _ oui ! _ et de grandes satisfactions _ oui. Il est intéressant de constater que les airs des deux compositeurs « invités », Ariosti et Bononcini s’intègrent parfaitement _ oui _ dans ce programme. Bien que Ariosti fût près de 20 ans plus âgé que Haendel, sa musique ne donnait aucunement l’impression d’être archaïque quand le public de l’époque la comparait à celle du Saxon. De nos jours, on considère que c’est plutôt ce dernier qui regarde vers le passé récent de son séjour italien, voire celui plus lointain de l’opéra vénitien de la deuxième moitié du 17ème siècle. En tout état de cause, les deux magnifiques airs que sont Sagri numi extrait de Caio Mario Coriolano (1723) d’Ariosti et Ombra cara tiré de Radamisto (1720) de Haendel ont un côté lamento proche de ceux de Francesco Cavalli (1602-1676) _ oui. La notice de l’album _ signée conjointement par Sophie de Bardonnèche, Justin Taylor et Théotime Langlois de Swarte _  insiste aussi avec raison sur la virtuosité orchestrale et surtout violonistique d’une pièce comme E’ pur il gran piacere d’Ariosti qui nous rappelle l’art de Pietro Locatelli (1695-1764). Ce dernier a pu peut-être s’inspirer d’Ariosti dans L’Arte del violino (1723-7) presque contemporain. Il faut rappeler à ce propos que Ariosti fut un virtuose de la viole d’amour. C’est peut-être en hommage à ce compositeur décédé en 1729 que Haendel utilisera quelques années plus tard, dans le cadre de la Deuxième Académie, la viole d’amour dans Sosarme, re di Media (1732) et surtout dans Orlando (1733). En effet la fameuse scène du sommeil du paladin est accompagnée par deux violes d’amour appelées aussi joliment violettes marines.

Si on se concentre maintenant sur Haendel, on constate que les morceaux choisis comportent des airs tirés de trois grands succès : Giulio Cesare, Ottone et Radamisto, mais aussi d’autres opéras qui eurent peu de succès à leur époque et qui sont souvent considérés comme des œuvres mineures. De nos jours il faut cependant relativiser ces appréciations _ d’alors : en effet. C’est parfois le livret (cas de Riccardo I et de Floridante) qui est médiocre, notamment ceux de Paolo Antonio Rolli, souvent bâclés ; mais la musique est toujours admirable _ oui ! _ comme le montrent éloquemment l’extraordinaire récitatif accompagné Son stanco suivi par l’air Deggio morire tirés de Siroe, re di Persia (1728), un largo pathétique avec ses rythmes pointés. De même le récitatif accompagné extrêmement dramatique Inumano fratel et l’aria non moins bouleversante Stille amare extraits de Tolomeo re d’Egitto (1728) sont aussi des sommets _ absolument ! _ de l’œuvre de Haendel. Les deux scènes dramatiques précédentes sont juxtaposées avec intelligence dans l’album puisque écrites toutes les deux dans la sombre tonalité de fa mineur. On peut parier qu’avec une belle mise en scène, on pourrait remédier _ probablement _ à l’indigence du livret et rendre justice à ces opéras presqu’oubliés. Enfin Ombra cara tiré de Radamisto et également dans la tonalité de fa mineur, fait partie des airs les plus sublimes _ oui ! c’est le mot approprié ! _ du compositeur saxon.

Eva Zaïcik n’est pas une inconnue dans ces colonnes. Le disque Venez chère ombre, les spectacles Cadmus et Hermione et Dixit Dominus-Grand Motet y ont fait l’objet de chroniques. Dans l’album Royal Handel, la voix de cette mezzo-soprano possède une généreuse projection _ oui _ qui ne provient pas d’un artifice de l’enregistrement, car je l’ai écoutée plusieurs fois en concert avec la même sensation de plénitude _ voilà. Le timbre est chaleureux, coloré et sensuel _ oui. Ses couleurs sont multiples et changeantes en fonction du contexte dramatique _ oui. La ligne de chant est harmonieuse _ oui _, l’intonation, le legato et l’articulation parfaits _ voilà. J’ai été particulièrement impressionné par la beauté des vocalises, d’une précision millimétrée mais jamais mécaniques _ tout cela est parfaitement juste. Quoique tous les airs de l’album soient impeccablement chantés, j’ai une préférence pour l’air de passion et de fureur de Sesto _ du « Giulio Cesare in Egitto » de 1724… _ , L’aure che spira, et j’en ai déduit que Eva Zaïcik serait une interprète idéale pour ce rôle, un des plus beaux du répertoire de Haendel. Ombra cara _ du « Radamisto«  de 1720… _ est aussi une réussite majeure de la mezzo-soprano par l’intensité inouïe du sentiment _ oui _ et la splendeur _ oui _ de la voix éplorée, qui erre dans un dédale de gammes chromatiques des cordes renforcées par un basson caverneux, métaphore musicale du tourment de Radamisto. Ce récital d’Eva Zaïcik procure un plaisir et une émotion intenses _ oui ! Tout cela résulte d’une écoute très précise et très juste de ce récital…

Le Consort qui apporte son concours à ce projet est associé _ en effet _ depuis quelques années à Eva Zaïcik. J’avais été enthousiasmé par le disque Venez chère ombre consacré à des cantates françaises baroques. Mais ici la participation instrumentale me paraît plus aboutie encore _ c’est juste. Avec trois violons et tous les autres musiciens à l’unité, cet ensemble relève plus de la musique de chambre, ce qui convient parfaitement aux scènes intimistes comme dans l’air de Matilda, Ah! Tu non sai_ d’« Ottone, re di Germania« , de 1723… _, sorte de lente mélopée se déroulant pianissimo où la voix est soutenue très discrètement par un violon, une basse de viole soliste et le continuo. Pourtant cet ensemble sonne comme un orchestre dans les scènes de plein air comme la brillante aria di paragone : Agitato da fiere tempeste _ de « Riccardo Primo, re d’Inghilterra« , de 1720… _ où Riccardo Primo se compare au nocher pris dans une tempête que sa bonne étoile va mener jusqu’au port. Autre aria di paragone tiré de Caio Marzio Coriolano d’Ariosti, en 1723 _, E’ pur il gran piacer dont le magnifique solo de violon et les vertigineux unissons de l’ensemble au complet évoquent la colère d’un lion et sont exécutés avec une précision admirable _ cf les éclairantes remarques à ce sujet de Théotime Langlois de Swarte dans la petite vidéo de 4′ 45 consacrée à la présentation de ce CD.

L’audition de ce récital a attisé ma faim. Cette dernière ne pourra être apaisée que par un nouvel album consacré cette fois à la Deuxième Académie _ mais oui ! _, celle des opéras faisant appel à la magie comme les célébrissimes Orlando, Ariodante et Alcina et leurs satellites moins connus que sont Partenope ou encore Arianna in Creta. Cet enregistrement viendra peut-être dans l’avenir, mais pour le moment prenons le temps de savourer le présent.

Merci à Eva Zaïcik et au Consort de nous procurer une heure de bonheur total.


Publié le 02 févr. 2021 par Pierre Benveniste

2) Chronique d’album : « Royal Handel », d’Eva Zaïcik

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Chronique d’album : « Royal Handel », d’Eva Zaïcik

Xl_royal_handel……On se souvient _ oui _ du premier disque d’Eva Zaïcik et du Consort, Venez chère ombre, alors autour de la cantate française. Comme on ne change pas une équipe qui gagne, c’est avec plaisir que nous les retrouvons pour un nouveau disque, toujours chez Alpha Classics, intitulé Royal Handel.

Point de mystère avec ce titre : c’est bien le génie haendélien _ oui ! _ qui est ici mis en avant, mais pas uniquement par ses propres compositions, puisque nous retrouverons aussi les compositeurs Attilio Ariosti et Giovanni Bononcini dans le cadre de premiers enregistrements mondiaux. Un choix qui n’est évidemment pas dû au hasard, puisque si Haendel est au cœur de l’ouvrage, le terme « royal » du titre du disque réfère à l’Académie royale de Londres (la Royal Academy of Music), créée en 1719, à la tête de laquelle nous retrouverons le compositeur d’origine allemande, mais où l’on a également fait venir Attilio  Ariosti, originaire  de Bologne,  et  Giovanni  Battista  Bononcini, originaire  de  Modène. Ces deux _ compositeurs qui sont aussi de remarquables _ instrumentistes  à  cordes apportent  un nouveau souffle instrumental inspiré par une certaine jouissance de la virtuosité, que l’on perçoit par exemple dans « Strazio, scempio, furia e morte » ou encore « E’ pur il gran piacer« . Le livret accompagnant le disque rappelle par ailleurs _ en effet _ que « c’est Bononcini qui fait sensation en 1720 et 1721, tandis qu’Ariosti vole presque la vedette à Haendel en 1723 avec son Coriolano », dont est extrait « Sagri Numi » présent dans l’enregistrement. Toutefois, « dès 1723, le compositeur allemand éclipse ses rivaux en déployant son langage personnel, construit d’influences croisées entre l’Italie, l’Allemagne, la France et l’Angleterre ». Malheureusement, cette belle aventure prendra fin en 1728 face « aux cachets mirobolants des uns, aux personnalités extravagantes des autres ainsi qu’à de fortes rivalités », mais reprend vie avec ce disque qui se veut « un portrait musical de la première Royal Academy of Music, lieu d’ébullition musicale et de fourmillement créatif ».

C’est donc sans grande surprise que l’écoute s’ouvre par un air de Haendel, « Rompo i lacci » de Flavio, re de’ Longobardi, permettant de saisir l’oreille derechef, tout en étant ponctué de moments plus doux, et donnant la mesure des capacités d’Eva Zaïcik et du Consort. L’énergie est nette, sans accroc, franche, de même que les coups d’archets ou les doigtés du clavecin de Justin Taylor. On est ensuite apaisé par les mots « come o Dio ! Viver potro », qui nous enveloppe, avant que la flèche d’un rythme plus soutenu ne soit à nouveau décoché. On est donc happé, et c’est sans effort que l’on se laisse guider par le programme du disque qui se poursuit par « Sagri numi », extrait de Caio Marzio Coriolano (Ariosti), grand moment d’émotion, poignant, somptueux, qui laisse entendre le talent de la mezzo-soprano dans un registre plus profond, y compris vocalement. Alceste et son « Gelosia spietata Aletto » viennent nous extraire de cette paisible parenthèse avec fracas, et nous embarque dans la longue suite d’airs d’Haendel. Indubitablement, en écoutant Eva Zaïcik, nous avons l’impression de la voir devant nos yeux interpréter ces airs, tandis que les musiciens apparaissent lentement autour d’elle lors des passages instrumentaux. La force de l’interprète transparaît à travers l’enregistrement, et rend physique _ oui _ ce qui ne l’est pas. Sa voix, parfaitement maîtrisée, sert la musique, portée par les tout aussi talentueux musiciens de l’ensemble _ oui : eux aussi, avec elle, sont excellents. La diction, de même que la force de projection, sont merveilleusement dominées _ oui _ et ne connaissent aucune lacune _ en effet. Les coups d’archet _ de Théotime Langlois de Swarte et Mathilde de Bardonnèche _ de « Deggio morire » fendent le cœur, avant que ne s’y engouffre avec chaleur la voix veloutée de la chanteuse. Déchirant, et à la fois tellement beau, c’est tout juste si l’on ne prend pas plaisir à souffrir ici.

L’on pourrait en vérité s’arrêter sur chacun des airs proposés tant ils deviennent ici _ oui _ presque une œuvre à part entière, nous marquant chacun à sa manière _ singulière, oui _ et laissant découvrir à chaque note les talents de chacun. On retrouvera d’ailleurs Ariosti avec « E’pur il gran piacer » (Caio Marzio Coriolano), avec quelques montées virevoltantes qui nous ferons décoller, ainsi que Bononcini, lui aussi enregistré en première mondiale avec le très court « Strazio, scempio, furia e morte » (Crispo), colérique, furieux, contrebalancé juste après par « Ombra cara », poignant au point que les mots viendraient à manquer pour le décrire. Un retour à l’ombre qui appuie sur l’âme comme le fait rarement une « simple » écoute. Heureusement, c’est une touche plus gaie qui clôt l’enregistrement, avec « Agitato da fière tempesta » : « Secoué par de rudes tempêtes, Si le marin retrouve l’étoile qui le guide Il continue sa route, heureux et rassuré ». Une belle manière de nous ramener à bon port après les tempêtes de l’âme que nous venons de traverser…

Ainsi, de même que pour Venez chère ombre,  le programme est fort bien construit _ oui _ dans une belle alternance de rythmes et de couleurs _ oui _, dressant un tableau que l’on se refuse à quitter des yeux. L’écoute touche le cœur avec une présence et une vivacité étonnantes _ c’est très juste _, rendant l’écoute _ elle-même _ étonnamment vivante _ oui _, bien plus que l’on pourrait s’y attendre. Une fois encore, Le Consort (avec Justin Taylor) ainsi qu’Eva Zaïcik tombent justes, une justesse à la précision chirurgicale qui force l’admiration _ enthousiaste : absolument. Quant au livret qui accompagne le tout, il permet de se replonger dans ce projet haendélien tout en savourant les paroles, parfois inconnues, de ces textes portés avec superbe.

Un nouveau disque dont on aurait tort de se priver, en espérant vite pouvoir le (re)découvrir porté sur scène….

Elodie Martinez

3) Eva Zaïcik et Le Consort illuminent un florilège d’airs d’opéra de Haendel

L’association des meilleurs interprètes de la jeune génération baroque autour d’Eva Zaïcik revisite les airs d’opéra italien pour notre plus grand plaisir.

La vie musicale londonienne des années 1720 est entièrement vouée à l’Italie, et le grand ordonnateur en est Georg Friedrich Haendel, très influencé par ses années romaines _ et italiennes, plus largement. Nommé à la tête de l’Académie Royale de Musique, il fait venir à Londres les meilleurs chanteurs italiens. La concurrence est rude avec les compositeurs ultramontains que la mode des opéras attire _ eux aussi _ dans la capitale anglaise _ oui. Le présent enregistrement propose, en première mondiale, trois airs empruntés à des opéras d’Ariosti et de Bononcini, au milieu d’un grand choix d’airs de Haendel. Extrait du Coriolano d’Ariosti, l’air Sagri numi est un grand moment d’émotion _ oui. Cependant, c’est Haendel qui remporte le match de la postérité en puisant son inspiration dans les influences croisées _ en effet _ des styles italiens, allemands et français. La décennie de la première Académie Royale marque l’apogée de la carrière du « cher Saxon » _ mais la seconde décennie n’est pas mal non plus !

Après un enregistrement très remarqué _ oui _ des cantates françaises chez le même label Alpha (« Venez chère ombre »), Le Consort poursuit sa collaboration avec la jeune mezzo-soprano Eva Zaïcik. Personnalité montante du paysage vocal français _ oui _, celle qui fut en 2018 « Révélation artiste lyrique » aux Victoires de la musique, et deuxième prix du Concours Reine Élisabeth, fait preuve ici d’une belle maîtrise _ en effet _ de son art. L’intensité émotionnelle _ oui _ de sa voix est particulièrement remarquable et, à travers l’enregistrement, il nous semble entendre sa présence scénique _ tout à fait ! Les émotions du texte nous vont droit au cœur _ oui _, véhiculées par une voix chatoyante au registre profond _ oui _, douée d’une belle projection et d’une diction parfaite _ oui ! Dans ce programme très bien construit _ en effet _, les moments de bravoure alternent _ oui _ avec les airs plus fervents, parfois introduits par un récitatif bienvenu _ et tout cela sans jamais rien forcer…

Il faut dire que l’orchestre, emmené par le premier violon _ très talentueux _ de Théotime Langlois de Swarte, est somptueux _ c‘est très juste _  ; tantôt véhément, tantôt implorant, toujours parfait dans l’alternance des affects _ absolument. Dans l’air Deggio morire extrait de Siroe, après une introduction instrumentale implacable et un récitatif poignant, la voix dialogue _ idéalement _ avec les plaintes déchirantes du violon. Le sommet de l’émotion est atteint dans l’air Stille amare du Tolomeo où, après les chromatismes douloureux du récitatif, les violons donnent à entendre les gouttes amères dont parle le texte, qui tombent en une pluie de notes suspendues _ voilà…

A l’écoute de ce récital, on rêve de voir bientôt Eva Zaïcik sur les scènes d’opéras dans ce répertoire qui lui va si bien.

Airs de Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Attilio Ariosti (1666-1729), Giovanni Bononcini (1670-1747).

Eva Zaïcik, mezzo-soprano ;

Ensemble Le Consort : Théotime Langlois de Swarte, violon ; Sophie de Bardonnèche, violon ; Louise Ayrton, violon ; Clément Batrel-Genin, alto ; Hanna Salzenstein, violoncelle ; Hugo Abraham, contrebasse ; Louise Pierrard, basse de viole ; Gabriel Pidoux, hautbois ; Evolène Kiener, basson ; Damien Pouvrau, théorbe ; Justin Taylor, clavecin.

1 CD Alpha.

Enregistré au temple du Saint-Esprit de Paris en juin 2020.

Textes de présentation en français, anglais et allemand.

Durée : 64:59

4) Royal Handel, souveraine Eva Zaïcik ! 

LE 9 FÉVRIER 2021 par Jean Lacroix

Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Airs de Flavio, re de’ Longobardi ; Admeto, re di Tessaglia ; Siroe, re di Persia ; Tolomeo, re d’Egitto ; Floridante ; Giulio Cesare in Egitto ; Ottone, re di Germani ; Radamisto et Riccardo primo, re d’Inghilterra.

Attilio  Ariosti I (1666-1729) : Airs de Caio Marzio Coroliano.

Giovanni Bononcini (1670-1747) : Air de Crispo.

Eva Zaïcik, mezzo-soprano ; Le Consort. 2020.

Notice en français, en anglais et en allemand.

Texte des airs avec traduction en français et en anglais.

64.59.

Alpha 662.

Le titre de ce CD « Royal Handel » adopte la forme anglicisée du patronyme du compositeur, le texte de la notice utilisant de son côté la forme allemande originale. C’est cette dernière que nous choisirons pour la présente recension, même si le contenu du présent CD est bien situé dans la période anglaise qui a vu Haendel être nommé directeur musical de l’Académie Royale londonienne, créée en 1719. Après avoir séjourné quatre ans en Italie _ voilà _, période pendant laquelle il s’est nourri des œuvres des créateurs de Rome, Venise, Naples ou Florence _ oui _, et après les deux ans passés à Hanovre _ oui _, Haendel s’est installé solidement en Angleterre _ voilà. La langue italienne est en vigueur à l’Académie, et des concurrents sérieux, comme le Bolonais Ariosti ou Bononcini, originaire de Modène, tous deux _ aussi _ instrumentistes de premier plan, vont aussi être présents. Haendel finira par assurer sa prédominance, en imposant, comme le dit la notice, les influences croisées entre l’Italie, l’Allemagne, la France et l’Angleterre, mais aussi en créant des chefs-d’œuvre comme Giulio Cesare in Egitto, Ottone ou encore Radamisto. L’abondance des productions de cette première Académie, qui se clôture en 1728, marquée par la présence de voix de haut rang que Haendel recrute, notamment en Italie, est éloquente : la notice signale 34 opéras et plus de 460 représentations au cours de neuf années _ en effet ! Haendel déploie une énergie généreuse phénoménale… Le présent CD est le reflet de l’activité incessante de cette première Académie Royale, ainsi que de l’une des voix favorites de Haendel, Margherita Durastanti, qui a été la première interprète de plusieurs airs ici proposés _ en effet.

Depuis son brillant deuxième prix au Concours Reine Elisabeth de chant en 2018, la mezzo-soprano française Eva Zaïcik (°1987) n’a cessé de faire la démonstration d’un remarquable talent _ oui _, qui s’est révélé dans des répertoires variés : Monteverdi, Purcell, Lully, Haydn, Mozart, Tchaikovsky, Dukas, Betsy Jolas… Pour le même label _ Alpha _, un CD intitulé « Venez chère ombre », enregistré en juin 2018 (Alpha 439), avait démontré ses affinités baroques _ oui _, déjà avec le Consort _ oui _, dans un récital français, où l’on savourait entre autres Pignolet de Montéclair et Clérambault. Eva Zaïcik retrouve le Consort pour un autre récital complice et très épanoui _ en effet _, au cours duquel cet ensemble créé par le claveciniste Julien Taylor, qui fait partie de la présente aventure, brille de mille feux dans des alternances de subtile virtuosité et de finesse émotionnelle _ absolument.

Voilà le maître mot : « émotion », pour ce programme bien élaboré _ oui, vraiment _ dont l’affiche est ornée par neuf airs tirés de partitions de Haendel entre 1720 et 1728, deux airs d’Ariosti et un air de Bononcini, les extraits d’œuvres de ces deux derniers compositeurs étant des premières mondiales au disque. Commençons par elles. D’Ariosti et de son Caio Marzio Coroliano de 1723, dont la notice dit qu’il vole presque la vedette à Haendel cette année-là, on entend un sublime Sagri numi, dans lequel Vetturia implore les dieux de défendre son fils innocent. Eva Zaïcik y déploie toute une gamme de sentiments charismatiques, qui seront caractéristiques de toute sa prestation. De Bononcini, le très bref air (1.48) Strazio, scempio, furia e morte, tiré de Crispo (1722), évoque avec beaucoup de noblesse _ oui _ le tourment et la colère d’un cœur meurtri. La voix d’Eva Zaïcik, à la projection bien contrôlée, dans un registre chaleureux et profond _ oui _, capable de sonorités soyeuses _ oui _ et doucement colorées _ tout cela est très juste _, se prête à merveille à ces expressions où la ferveur _ oui _ s’unit à la qualité _ finement juste _ de l’accentuation.

Ces agréments qui réchauffent le cœur sont mis en valeur tout au long des airs tirés des pages de Haendel, univers dont Eva Zaïcik a une belle compréhension _ oui _ et une indiscutable maîtrise _ oui. Sa capacité à ressentir les sensibilités des divers rôles, qu’il s’agisse de l’amour sans lequel on ne peut vivre et de ses liens rompus dans Flavio, qui ouvre superbement le récital, de la jalousie d’Alceste dans Admeto, des « gouttes amères » du chagrin de Tolomeo au bord de la mort, de l’invocation à l’aimé d’Elmira dans Floridante ou de la fureur de Sextus dans Giulio Cesare in Egitto, la cantatrice est toujours à l’aise pour traduire avec une impeccable hauteur souveraine _ oui _ les aspects les plus touchants et les plus éloquents _ oui, jamais artificiellement _ de ce magnifique panorama _ d’affects _ qui donne de la première Académie londonienne un paysage terriblement convaincant _ mais oui. L’enregistrement de cet ensemble de petits bijoux a été effectué à Paris en juin 2020 au Temple du Saint Esprit. Celui-ci a bien soufflé _ en effet _ en ces moments de grâce _ voilà…

Son : 10    Livret : 8    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix

Des articles parfaitement bien venus,

pour une interprétation et une réalisation en « états de grâce« …

Et il aurait été, en effet, bien dommage de passer à côté de ce trésor de joies musicales renouvelées où puiser…

Ce somptueux « Royal Handel » est à marquer pour nous tous d’une belle pierre blanche !

Et c’est non sans impatience que nous espérons-attendons une nouvelle aussi heureuse collaboration discographique d’Eva Zaïcik avec Le Consort !

Ce lundi 17 janvier 2022, Titus Curiosius – Francis Lippa

A propos du parfait CD « Haydn – Schubert » de Boris Berman, au Palais des Dégustateurs

04nov

En attendant de rédiger enfin  mes impressions personnelles à l’écoute du merveilleux CD « Haydn – Schubert » que vient de publier le décidément parfait label discographique Le Palais des Dégustateurs, d’Eric Rouyer  _ soit le CD PDD 025 _,

voici mon courriel de ce matin à Éric Rouyer :

Cher Éric Rouyer,

voici que je découvre à l’instant la chronique de ce jour de Jean-Charles Hoffelé, sur son site Discophilia ; intitulée « Vienne« ,
elle est consacrée au CD « Haydn-Schubert » de Boris Berman…
Encore pris dans de la musique vocale et de la musique baroque,
je ne me suis pas encore mis à mon article sur ce magnifique CD…
Mais cela va venir, je vais m’y reconcentrer
avec toute l’attention que mérite cette merveilleuse réalisation !…
En attendant,
voici cet article de Jean-Charles Hoffelé, qui assurément a l’oreille et le goût très fins…
Francis, à Bordeaux

VIENNE

Qu’on n’attende pas de Boris Berman qu’il se soucie, abordant deux des sonates _ les sonates n° 61 et 62, de Londres, en 1794 ; répertoriées Hob. XVI: 51 et Hob. XVI: 52 _de la maturité de Haydn _ 1732 – 1809 _, d’y évoquer le pianoforte _ en effet… Non, il les place dans le vaste mouvement du piano viennois _ qui englobe bien des compositeurs, avant et après Joseph Haydn… _ et rapproche explicitement leurs inventions, leurs caractères mélodiques, leurs rythmes singuliers non pas de Beethoven _ en effet… _, mais de Schubert1797 – 1828 _, les mariant à la grande tardive Sonate en la majeur.

Le pari est _ du moins a priori… _ osé, de confronter ainsi deux univers aussi opposés _ a priori… _, mais contre toute attente il est réussi _ absolument ! Lorsque Boris Berman entre avec une certaine retenue dans l’Allegro ténébreux qui ouvre la Sonate de Schubert, le souvenir des traits de caractère(s) si saillant des deux opus de Haydn ne s’est pas effacé, mystères d’un certain esprit qui perdurerait _ voilà ; et bien difficile à déterminer précisément… _ à travers les générations.

Et comme elle est belle _ oui _ sa Sonate en la, ombreuse, intense, il prend son temps au long d’un Allegro dont chaque paysage est ausculté sans pourtant que la ligne ne se perde. Le toucher est magique _ oui _ lorsqu’il va à l’aigu, l’intériorisation du propos le rapproche de Radu Lupu _ oui ! _ plutôt que de Sviatoslav Richter, et il faut entendre la tempête de l’Andantino, visionnaire. Scherzo fusant, en doigts légers – j’entends son plaisir à caracoler sur le clavier !, et quelle tendresse dans le lied qui ouvre le Finale déroulé comme en rêve.

Ah, voilà un schubertien _ oui ! _, qu’il poursuive _ nous sommes impatients d’en découvrir des suites… _ son voyage ici !..

LE DISQUE DU JOUR

Franz Joseph Haydn (1732-1809)


Sonate pour piano n° 62 en mi bémol majeur, Hob. XVI:52
Sonate pour piano n° 61 en ré majeur, Hob. XVI:51


Franz Schubert (1797-1828)


Sonate pour piano No. 20 en la majeur, D. 959

Boris Berman, piano

Un album du label Le Palais des Dégustateurs PDD025

Photo à la une : le pianiste Boris Berman – Photo : © Bob Handelman

Les réalisations d’Éric Rouyer sont décidément parfaites.

Et Boris Berman est un extraordinaire magicien…

Vive la probité de la sensibilité !!!


Ce jeudi 4 novembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

A propos d’interprétations séduisantes de l’un peu austère « Art de la Fugue » de Jean-Sébastien Bach : retour à quelques impressions passées…

31août

En réfléchissant aux diverses interprétations discographiques de L’Art de la Fugue (BWV 1080) qui ont pu jusqu’ici retenir mon attention,

et peut-être même me toucher _ voire me séduire… _,

je retrouve un ancien article mien, daté du 2 mai 2019,

intitulé 

Il se trouve que cet article présente à mes yeux le mérite d’une fraîcheur je dirais non calculée, à l’égard d’une œuvre que je trouve personnellement plutôt austère dans pas mal d’interprétations, pour le moins ; une œuvre vers laquelle rien ne me pousse beaucoup

_ un peu comme L’Offrande musicale

Re-voici donc cet article d’il y a 2 ans :

Arrive-t-il parfois à Bach

de nous être ennuyeux ?

En tout cas certainement pas dans l’interprétation de L’Art de la Fugue que nous donne ces jours,

en un tout simplement miraculeux CD AEolus  AE – 10154,

Bob van Asperen

_ avec l’appoint de Bernhardt Klapprott sur un second clavecin pour les deux pièces finales _,

sur un merveilleux clavecin de Christian Zell, de 1741..!

Quel jeu confondant de poésie !

Et quelle lumineuse prise de son !

C’est le propre des très grands interprètes

de nous présenter l’expérimentation bachienne

comme un miracle sublime de la plus tendre poésie !

Simplement, un immense merci !

Ce jeudi 2 mai 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Voilà !

Il nous revient, bien sûr, d’affiner toujours _ avec un profond idéal de justesse et humilité… _ notre écoute…

C’est un indispensable absolu de la sensibilité…

Ce mardi 31 août 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Musiques de joie : la tendresse sensible et élégante de l’Armonico Tributo (1682) du megèvois Georg Muffat (Megève, 1653 – Passau, 1704)

23avr

Parmi mes compositeurs de chevet,

le megèvois (Megève, 1er juin 1653 – Passau, 23 février 1704), d’ascendance écossaise,

et qui fit carrière en Alsace (Molsheim, Sélestat), Autriche (Vienne, Salzbourg) et Bavière (Passau),

Georg Muffat.

Georg Muffat a appris le style français à Paris,

auprès de Jean-Baptiste Lully (Florence, 1632 – Paris, 1687),

et le style italien à Rome,

auprès de Bernardo Pasquini (Massa, 7 décembre 1637 – Rome, 21 novembre 1710)

et Arcangelo Corelli (Fusignano, 1653 – Rome, 1713).

Il est ainsi un des maîtres fondamentaux de ce que François Couperin (Paris, 1668 – Paris, 1733)

nommera « les goûts réunis« …

On peut ressentir la tendresse idiosyncrasique de ce compositeur voyageur des quatre coins de l’Europe

dans des œuvres d’un classicisme baroque plein de charme et toujours élégant…

Dont j’ai choisi, comme exemple de joie musicale,

les 5 Sonates de l’Armonico Tributo, de 1682 ;

et dans l’interprétation, en octobre 2000, de l’Ensemble Musica Antica Austria,

dirigé par le violoniste virtuose Gunar Letzbor _ né à Linz en 1961 _ ;

soit le CD Symphonia SY 00183.

Un enregistrement superbe !!!

Qu’on pourra compléter par une vidéo d’un concert donné au Festival d’Utrecht, le 27 août 2013,

par ces mêmes Musica Antiqua Austria et Gunar Letzbor,

de la Missa in labore requies de Georg Muffat ;

accessible aussi dans le CD Pan Classics PC 10301 de ce titre,

l’enregistrement de ce CD au mois d’août 2013 à la cathédrale de Gurk, en Autriche,

est paru en 2014… 

Ce jeudi 23 avril 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le miroir à illuminations de Venise et l’enfant de Corps-Nuds : un souvenir-écran _ une lecture du casanovien « Venise à double tour » de Jean-Paul Kauffmann

01juil

Venise, la Venise insulaire, inchangée presque complètement depuis 1800, offre _ et avec une merveilleuse profusion _ une constante (permanente) et totale immersion dans le passé _ demeuré quasiment tel quel ! _ à tout visiteur forcément ébloui, en son passage _ une fois traversé-passé-percé le rideau de légère brume de la lagune _, et son séjour, par la lumière et les échos de bruits très spéciaux et si riches ; et vierges de voitures : confinées aux vastes parkings d’entrée, l’île du Tronchetto et le grand garage de la Piazzale Roma.


Il en va bien sûr immanquablement ainsi, aussi, et à chacun de ses (nombreux et fréquents) passages, pour l’enfant de Corps-Nuds (Île-et-Vilaine) que demeure, à certains égards, Jean-Paul Kauffmann ; et qu’il se plaît à narrer, à divers endroits de ce superbe Venise à double tour : et c’en est presque un leitmotiv.
Mais il se trouve que l’extraordinaire trésor d’œuvres d’art religieux, tout spécialement, que recèlent _ et que sont architecturalement aussi, et cela jusqu’à la fin du XVIIIe siècle _ les multiples belles églises de la cité dogale, les ouvertes et, plus encore peut-être, les fermées, forme en fait ici, pour « le chasseur » qu’est le narrateur-auteur, un puissant souvenir-écran _ voilà ! _ de la mémoire (toujours partielle et à trous) qui se met en quête, comme ici, et passionnée, de retrouver-revoir ce qui a jadis très fortement touché, voire ébloui, sa sensibilité ; au point de le contraindre à retourner régulièrement à Venise, ne serait-ce que pour se replonger quelques heures ou jours en elle, à la recherche de ce qui continue de le poursuivre de son obsession primale…
C’est que le souvenir-écran sert de cache pratique et durablement efficace à d’autres souvenirs, moins évidents, moins affrontés peut-être tels quels, probablement, quoique… _ et aux sources en tout cas jusqu’ici non localisées _comme c’est en l’occurrence le cas (mais cela, nous ne l’apprendrons que comme très accessoirement et sans le moindre commentaire de l’auteurà l’ultime page du récit, en une sorte de post-scriptum quasi superfétatoire…), de fresques de Giambattista Tiepolo (Venise, 1696 – Madrid, 1770) à connotations non religieuses, mais disons à parfum érotique : la rencontre d’Antoine et Cléopâtre, de la salle de bal du Palazzo Labia.
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Des fresques réalisées au moment (1746-47) où ce palais était proche, à deux pas à peine, de ce qui était le siège de l’ambassade d’Espagne auprès de la Sérénissime République, le Palazzo Manin-Sceriman (dit aujourd’hui Palazzo Zeno) _ les Labia étaient de richissimes catalans _ ; le siège de l’ambassade de France (en 1743-44, Jean-Jacques Rousseau _ plutôt pisse-vinaigre, lui _ y fit fonction de secrétaire de l’ambassadeur, le Comte de Montaigu) ; et de 1752 à 1755, le Cardinal de Bernis _ bien plus savoureux ! _ y fut l’ambassadeur de Louis XV auprès du doge, et accessoirement grand ami de Casanova), le Palazzo Surian – Belotto, se trouvant, lui, à l’autre bout de ce Canal de Cannaregio, qui les borde tous deux ; en ce sestier de Cannaregio qui constitue le « quartier préféré » (page 56) de Jean-Paul Kauffmann _ et j’y apprécie, pour ma part, la taverne Da’ Marisa : juste passé le Pont-aux-trois-arches…
En conséquence de quoi, il me semble que le souvenir-écran de forte connotation catholique post-tridentine de cette « peinture miroitante » aperçue en 1968 ou 69, source de la quête passionnée des églises fermées de Venise où cherche à pénétrer et regarder « le chasseur », vient ici prendre le devant d’une anthropologie _ voilà _  plutôt a-religieuse, et ouvertement hédoniste, dont les références, parfaitement assumées, d’ailleurs, sont Casanova et Lacan. Sans qu’il y ait forcément une absolue contradiction entre les deux. Mais la conscience nette immédiate de cela nous aurait privés de cette découverte progressive passionnante du secret de ce qui nous rend si vivants et si prodigieusement « animés » les espaces intimes des églises, tout spécialement à Venise, tels que narrés par Jean-Paul Kauffmann en ce passionnant très réussi _ et même jubilatoire ! _  Venise à double tour. L’alacrité règne.
Une anthropologie plutôt a-religieuse, et ouvertement hédoniste : que veux-je dire par là ? Que le goût de la sensualité _ si présent dans l’art qui s’exprime, et avec un tendre éclat en permanence ré-affirmé, au long des siècles (de Giorgione et Bellini à Tiepolo, en passant par Titien et Véronèse surtout, peut-être moins Tintoret) dans la Venise marchande si friande de toute la palette des couleurs douces et non violentes, ici jamais hystérisées, de la chair… _ de Jean-Paul Kauffmann lui-même, tel qu’exprimé par ailleurs en son œuvre en faveur des vins, des cigares ou des gastronomies, comme des paysages à découvrir et explorer, s’il a peut-être eu besoin, et c’est possiblement à tort que je le dis ici au passé, pour s’assurer et se légitimer un peu à ses propres yeux, de l’abri et cadre chaleureux des bras accueillants et protecteurs de l’église _ cf page 105 : « À ce compromis permanent du péché et de la grâce, j’ai adhéré d’emblée. N’autorise-t-il pas entre autres la transgression ? » ; et page 131 : « Avec le catholicisme, on trouve toujours des arrangements. Quiconque commet une faute sait qu’il sera accueilli à bras ouverts et reconnu en tant que pécheur. La vraie indignité n’est pas d’enfreindre, mais de prétendre n’avoir pas enfreint«  _, du templum sacré de cet espace clos sur lui-même en son bâti et ses dispositifs mobiliers, mais intensément ouvert et dynamisé vers, en son sein même, quelque transcendance _ haute _ d’une puissante présence offerte en son absence même, mais très puissamment ressentie en l’irrésistible attraction de son magnétisme, et cela davantage encore en quelque sanctuaire verrouillé « à double tour »… ;
que ce goût-là _ de la sensualité _ est proprement casanovien : Casanova étant « certainement un homme selon mon cœur » _ pour reprendre les mots de l’auteur à la page 318 _, « le « grand vivant » (Cendrars), l’homme supérieurement libre, toujours gai, dépourvu de tout sentiment de culpabilité« 
Ce casanovien que fondamentalement, et peut-être à la suite de ce goût-là, est aussi Jean-Paul Kauffmann lui-même, en personne _ en et par sa personne : épanouie _, ainsi que l’attestent, et son voyage _ nécessaire alors _ à Duchcov en 1988 _ pour lui « redonner un peu de tonus«  _, et ses retours réguliers et fidèles, depuis, à Venise : « la ville de la jouvence et de l’alacrité« .
« Venise n’est pas « là- bas », mais « là-haut », selon le mot splendide de Casanova« , lit-on aussi page 15.
Alors qu’affronter directement le sans-cadre _ et sans fil auquel se tenir (et, au cas où, retenir) _ du clinanem d’Épicure et Lucrèce, serait probablement un poil plus vertigineux…
Ce lundi 1er juillet 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa
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