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Jouir en toute plénitude de « Tutti i Madrigali » (de 1587 à 1638) de Claudio Monteverdi dans le magnifique coffret de 11 CDs Naïve OP 7547 du Concerto Italiano de Rinaldo Alessandrini, enregistrés de mai 1993 à janvier 2021…

17déc

Le Coffret de 11 CDs Naïve OP 7547 « Tutti i Madrigali » de Claudio Monteverdi par le Concerto Italiano de Rinaldo Alessandrini, paru le 3 novembre dernier,

est un incontestable monument musical.

Claudio Monteverdi (Crémone, 15 janvier 1567 – Venise, 29 novembre 1643) a publié 8 livres de Madrigaux (en 1587, 1590, 1592, 1603, 1605, 1614, 1619 et 1638) ;

auxquels s’ajoute un neuvième, posthume, publié en 1651 _ sur une période de  51 ans, et même 64 ans en tenant compte du livre posthume.

Or, les enregistrements de ces 9 Livres de Madrigaux de Claudio Monteverdi par le Concerto Italiano sous la direction de Rinaldo Alessandrini, s’étalent sur une période de 28 ans, allant de mai 1993 à janvier 2021 :

 

_ d’une part, de mai 1993 à décembre 2005 pour les Livres 4, 2, 5, 8 et 6 ;

_ et, d’autre part, de mai-juin 2019 à janvier 2021, pour les Livres 3, 7, 9 et 1 ;

_ avec, il faut le souligner, un enregistrement charnière, en avril 2016, à Caserte, pour 3 pièces capitales du Livre 8 (un Livre déjà enregistré en février 1997, janvier 1998 et décembre 2005) :

le « Combattimento di Tancredo i Clorinda » _ écouter ici le podcast d’une durée de 22′ 10 _,

le « Lamento della Ninfa » _ regarder ici la vidéo d’une durée de 4′ 45 _,

et le Madrigal « Hor che’l ciel e la terra«  écouter ici le podcast d’une durée de 10′ 27…


Voici l’article que Jean-Charles Hoffelé vient de consacrer à ce magistral coffret Naïve, sous le titre explicite de « Tutti i Madrigali« , sur son site Discophilia, avant-hier 15 décembre 2023 : 

TUTTI I MADRIGALI

Contrairement à La Venexiana qui aura prestement bouclé _ entre janvier 1998 et juillet 2006 _ son intégrale quasi expressionniste _ le coffret de 11 CDs Glossa GCD 920929 : à ré-écouter, bien sûr ! _, Rinaldo Alessandrini et son Concerto Italiano auront frôlé les trois décennies _ entre mai 1993 et janvier 2021 _ pour assembler tous les Livres et les réunir dans cette boîte essentielle _ oui _, naïve reprenant les Livres parus chez Opus 111, chez Arcana _ et pieusement thésaurisés… _, le chef ayant parfois substitué des versions plus récentes pour certains madrigaux tirés des albums que j’ai chroniqués ici même et qui proposaient autant d’itinéraires libres dans un univers dont chaque affect, chaque mélisme, les mots, les souffles, les couleurs, prouvent une adéquation idéale _ voilà.

Depuis, Les Arts Florissants, surtout Philippe Herreweghe et son Collegium Vocale, ont apporté d’autres éclairages, mais sont encore loin d’avoir bouclé le cycle _ mais pour moi, et tant importent ici et la culture et la langue, seuls des Italiens se révèlent idoines !

Pourtant, ils ne diminueront probablement pas le sentiment d’évidence _ oui _ qui se dégage de ces onze galettes, cette conscience si prégnante de l’harmonie, l’équilibre _ voilà _ entre le souci esthétique et la puissance des textes qui culmine dans un Combattimento historique _ oui _, tout entier porté par le Testo de Raffaele Giordani, la pure beauté des voix et la violence des sentiments, la suavité et la stupeur, un univers que Monteverdi aura porté à son acmé, renouvelant le genre, l’immergeant dans un théâtre des passions tout entier enclos ici. Définitif.

LE DISQUE DU JOUR

Claudio Monteverdi
(1567-1643)


Il primo libro de madrigali a cinque voci, SV 23–39
Madrigali e canzonette a due, e tre, voci … libro nono,
SV 168–178

Il secondo libro de madrigali a cinque voci, SV 40–59
Il terzo libro de madrigali a cinque voci, SV 60–74
Il quarto libro de madrigali, SV 75–93
Il quinto libro de madrigali, SV 94–106
Il sesto libro de madrigali a cinque voci, SV 107-116
Concerto: settimo libro de madrigali, SV 117–145
Madrigali guerrieri, et amorosi, … libro ottavo, SV 146–167

Concerto Italiano
Rinaldo Alessandrini, direction

Un coffret de 11 CD du label naïve OP 7547

Photo à la une : Rinaldo Alessandrini – Photo : © DR

Voici aussi,

sur le site de Classiquenews,

un entretien avec Rinaldo Alessandrini d’Alban Deags, en date du 4 décembre dernier, à propos de ce même coffret Naïve :

ENTRETIEN avec Rinaldo ALESSANDRINI à propos de son intégrale des Madrigali de Claudio Monteverdi que fait paraître l’éditeur Naïve sous la forme d’un coffret événement, incontournable pour Noël 2023.

Que représente cette intégrale réalisée pendant 30 ans ? Comment le Concerto Italiano a abordé la langue montéverdienne en un geste interprétatif décisif ? Et dans quelle stratégie instrumentale et linguistique ? En quoi les madrigaux de Monteverdi sont-ils essentiels pour l’élaboration de l’écriture baroque ? En quoi ont-ils favorisé l’émergence de l’opéra ? Quelle expérience en a tiré lui-même Rinaldo Alessandrini ? 

 

CLASSIQUENEWS : Comment expliquez de votre point de vue la réussite et l’accueil positif de votre intégrale des madrigaux ?

RINALDO ALESSANDRINI : Je ne pense pas être en mesure d’expliquer les raisons d’un accueil aussi positif. Généralement nous essayons de travailler pour obtenir le meilleur résultat possible, en espérant que cela plaise au plus grand nombre. En ce sens, les critiques négatives peuvent parfois être incompréhensibles, même s’il faut tenir compte des goûts individuels et donc de la possibilité que quelqu’un n’aime pas notre travail. Mais il ne fait aucun doute que l’accueil positif réservé à notre travail nous plaît et nous dit que le travail a été bien fait.

CLASSIQUENEWS : Parmi les madrigaux sans instruments, lesquels vous semblent les plus marquants et représentatifs ?

RINALDO ALESSANDRINI : Il est très difficile d’identifier « le meilleur de » dans plus de deux cents madrigaux, surtout ceux sans instruments. Il faut également tenir compte du fait que le style monteverdien s’est transformé à plusieurs reprises _ oui ; et la notice du coffret rédigée par Rinaldo Alessandrini le détaille superbement… _ au cours de sa vie. Tous les madrigaux ne s’expriment pas de la même manière, utilisant des stratégies expressives et linguistiques très différentes. Il y en a de très connus, mais parmi les moins connus, il y en a (beaucoup) d’une beauté absolue.

CLASSIQUENEWS : Parmi les derniers plus dramatiques avec instruments, quels sont ceux qui vous ont marqué le plus ?

RINALDO ALESSANDRINI : Peut-être « Hor che’l ciel e la terra » et « Vago augelletto » dans le huitième livre.

CLASSIQUENEWS : A travers les 8 Livres quelle évolution l’écriture de Monteverdi suit-elle ?

RINALDO ALESSANDRINI : Le langage de Monteverdi n’évolue pas (comme cela arrive toujours en musique), mais change en fonction des modes poétiques _ telle est donc la clé (poétique !) de ces changements. En ce sens, la relation entre poésie et musique ne sera jamais suffisamment considérée : l’importance et la présence de la poésie au XVIIe siècle sont quelque chose que nous ne connaissons pas aujourd’hui. Le style de Monteverdi est né de la réflexion d’un besoin de changement linguistique, qui conduirait le madrigal à devenir un véhicule d’émotions et de sentiments humains. La proximité de certains compositeurs, Luzzasco Luzzaschi _ ferrarais _ prémierement, et d’autres pour lesquels Monteverdi avait une grande estime, l’amène à réfléchir à une nouvelle manière de composer. L’influence de certains poètes (Tasso, Guarini, Marino, pour ne citer que les plus connus) ont créé les conditions pour la création de nouvelles stratégies musicales. Il faut également considérer que Monteverdi fut le seul compositeur à fixer des objectifs stylistiques à la fois dans le madrigal et dans l’opéra : aucun compositeur de madrigaux (au moins jusqu’au milieu du XVIIe siècle) n’a jamais composé d’opéras.

CLASSIQUENEWS : Sur le plan interprétatif, à quels défis avez-vous été confronté pour la réalisation du cycle entier ?

RINALDO ALESSANDRINI : Le cycle s’est achevé en 30 ans environ _ 28 ans : de mai 1993 à janvier 2021. Il est donc facile d’imaginer à quel point notre méthode de travail a changé au cours de cette période. Mais l’élément constant a toujours été l’adhésion au texte, selon des critères d’imitation et de création d’images sonores _ voilà. En ce sens, le travail sur le texte n’exclut pas, outre sa compréhension détaillée, l’étude de ses propriétés sonores et de prononciation. La pureté du son des voyelles de la langue italienne est un moyen idéal _ et c’est fondamental _ pour construire un son d’ensemble.

CLASSIQUENEWS : Y a t il des poèmes / des poètes que vous estimez mieux que d’autres ? Pourquoi ?

RINALDO ALESSANDRINI : Les choix poétiques ne peuvent être considérés comme séparés de la réalisation musicale _ bien évidemment… En ce sens, chaque texte mis en musique par Monteverdi semble être absolument parfait pour l’idée musicale avec laquelle le compositeur voulait donner du son aux paroles. Il faut aussi considérer que l’énorme diffusion de la poésie a donné à certains textes une grande popularité _ en effet. Très souvent, les choix des compositeurs ont privilégié certains textes en particulier, démontrant une plus grande fonctionnalité d’un point de vue musical. Il est donc difficile de porter un jugement sur la poésie indépendamment de la musique. Et il est certainement trivial de donner un avis positif sur la « Canzoniere » de Petrarca, sur le “Rime” du Tasso ou sur le « Pastor fido » de Guarini. Ce sont des œuvres universelles.

CLASSIQUENEWS : Sur quels critères avez-vous choisi les chanteurs ?

RINALDO ALESSANDRINI : En 30 ans d’enregistrement, l’équipe de chant a changé à plusieurs reprises. Chanter des madrigaux (ou de la musique d’ensemble) nécessite des compétences vocales et d’écoute différentes des autres répertoires. C’est un travail très proche de celui d’un quatuor à cordes _ oui : d’une extrême finesse d’écoute (et justesse) réciproque… _, où l’aspect technique du travail du son et de l’intonation prend du temps _ bien sûr. En ce sens, les chanteurs qui ont participé à nos travaux ont été choisis pour leur passion _ voilà _ pour ce répertoire ainsi que pour leur disponibilité technique.

CLASSIQUENEWS : Avec le recul que représente ce cycle dans votre travail musical ?

RINALDO ALESSANDRINI : Le travail sur le madrigal montéverdien a accompagné presque toute ma vie musicale _ voilà. Découvrir à quel point la musique peut être au service d’un texte est une expérience surprenante. En ce sens, Monteverdi est peut-être le meilleur professeur disponible.

CLASSIQUENEWS : En quoi le cycle est-il représentatif du Concerto Italiano?

RINALDO ALESSANDRINI : Le travail sur le madrigal de Monteverdi (et sur le madrigal en général) signifiait la redécouverte et la réappropriation d’une culture poétique et musicale pratiquement perdue avec l’opéra romantique : Verdi, par exemple, était l’un des détracteurs de Monteverdi _ tiens, tiens… L’apport (et la compétence) du travail linguistique est essentiel _ absolument ! _ dans le madrigal italien. Notre effort n’était pas seulement de redonner vie à la musique, mais de montrer clairement comment le madrigal intense, en tant que synthèse sublime de nombreux éléments culturels, nécessite une approche qui n’oublie aucun aspect _ en effet… _ lié à ces compositions.

Propos recueillis en novembre 2023 
Photos : Rinaldo Alessandrini, directeur musical du Concerto Italiano © Emilie Moysson

Voici aussi, et cette fois en date du 7 juillet 2017, sur le site ResMusica, un très intéressant article de Pierre Degott intitulé « Nuit, théâtre, histoires d’amour et de guerre avec Monteverdi et le Concerto italiano« ,

paru à l’occasion de la publication du CD charnière dans le parcours monteverdien de Rinaldo Alessandrini, enregistré en avril 2016 à Caserte,

et qui a probablement conduit Rinaldo Alessandrini à reprendre et achever _ en mai-juin 2019 pour le Livre 3, octobre 2020 pour les Livres 7 et 9, et  janvier 2021, pour le Livre premier _ ses enregistrements laissés, depuis 2005, inachevés, des Livres de Madrigaux de Claudio Monteverdi…

Nuit, théâtre, histoires d’amour et de guerre avec Monteverdi et le Concerto italiano

Ce dimanche 17 décembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Sublime évidence naturelle des délicieuses « Miscellanées » tendrement aimées de toute une vie de musicienne lumineuse de la chère Elisabeth Joyé…

11déc

Sur trois merveilleux instruments d’après l’ancien,

un virginal italien d’après un anonyme de 1626 conservé au Kunsthistorisches Museum de Leipzig,

une épinette polygonale à la quarte d’après un anonyme vers 1560 (peut-être Salodiensis) d’une collection particulière,

et un clavecin à l’octave d’après Domenico Pisaurensis de 1543 conservé au Musée de la Musique à Paris,

tous faits par (ou dans l’atelier de) Jean-François Brun, à Paris,

la chère Elisabeth Joyé nous offre en un lumineux CD Encelade ECL 2204 une superbe collection de brèves ravissantes « Miscellanées » de sa pratique _ pour elle-même, ou/et pour ses élèves _ de toute sa vie :

 

un infiniment délicat et exquisément « naturel » délice de musique ! _ de Bull à Böhm, en passant par Frescobaldi et d’Anglebert.. 

Comme une très amicale confidence musicale et musicienne…

Et sont ici accessibles les podcasts des splendides 23 pièces de ce récital…

Un immense et très évident merci !

Ce lundi 11 décembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

La perfection superlative de l’ « A Chloris » de Reynaldo Hahn par Benjamin Appl en le très original programme de son CD « Forbidden Fruit », avec son compère pianiste James Baillieu _ ou atteindre l’acmé de sérénité du plaisir…

29juil

Qu’on commence par écouter _ en boucle si nécessaire… _ la plage 11, d’une durée de 3’10, de l’assez extraordinaire CD « Forbidden Fruit » du baryton allemand Benjamin Appl _ Ratisbonne, 26 juin 1982 _ et de son compère pianiste James Baillieu _ Afrique-du-Sud, mars 1982 _,

le très original CD Alpha 912, enregistré à Lugano du 27 au 30 juillet 2020, et paru seulement _ du fait de sa marquante a priori peu commerciale singularité ?!? _ le 23 juin 2023 ;

soit une interprétation plus que parfaite

_ entre bien d’autres enregistrées d’excellente qualité ; cf par exemple mon article du 23 mai 2020 : « « ,

dans lequel je donnais à écouter deux interprétations très réussies de la sublime « À Chloris » de Reynaldo Hahn (Caracas, 9 août 1874 – Paris, 28 janvier 1945), sur un poème de Théophile de Viau (Clairac, 1590 – Paris, 25 septembre 1626 ; le poète avait été condamné à mort pour libertinage…) ;

un poème lui-même sublimissime (on découvrira l’entièreté de 100 vers des Stances « À Cloris«  aux pages 64 à 67 du passionnant « Après m’avoir tant fait mourir Œuvres choisies«  de Théophile de Viau, paru en 2002 en la collection Poésie-Gallimard… ; le poème datant de 1621)

S’il est vrai, Chloris, que tu m’aimes,
Mais j’entends, que tu m’aimes bien.
Je ne crois point que les rois mêmes
Aient un bonheur pareil au mien.
Que la mort serait importune
De venir changer ma fortune
Pour la félicité des cieux !
Tout ce qu’on dit de l’ambroisie
Ne touche point ma fantaisie
Au prix des grâces de tes yeux.

_ une interprétation, assez étonnante, par Philippe Jarrousky, en sa voix pour une fois non pas de haute-contre, mais de ténor, en son très réussi CD « Opium«  (Virgin Classics 50999 216621 2 6, un CD sorti en 2009) ;

_ et une autre, celle-ci, par Véronique Gens, en son très réussi, lui aussi, CD « Néère«  (Alpha 215, un CD sorti en 2015) ;

en un article que je concluais par ces mots « Reynaldo Hahn sait être prodigieusement simplement délicieux«  _

soit une interprétation plus que parfaite de ce chef d’œuvre insurpassable de la mélodie française qu’est le si délicatement fondant « À Chloris » du cher Reynaldo Hahn

Quelle diction française ! et au service de quel chant ! à un tel degré admirables !

Quel art superlatif de si merveilleusement incarner ce qu’il chante _ en français comme en anglais, et, bien sûr, en allemand ; et cela en des genres aussi divers, voire carrément opposés, aux antipodes les uns des autres, tels que la mélodie, le lied ou la chanson canaille de cabaret !… _ possède ainsi ce décidément prodigieux interprète chanteur-diseur qu’est Benjamin Appl, avec la complicité radieuse, elle aussi _ attentivissime ! _, du magique piano de James Baillieu…

Quelle enchanteresse incarnation, donc, ici,

lumineuse de douce, légère, méditative, claire, et tendre gravité _ à fondre on ne peut plus sereinement d’infiniment délicat plaisir : la « grâce«  même ainsi attrapée et restituée… _de ce sublimissime « À Chloris« … 

Et demain,

après pareille toute simple mise en bouche auditive enchanteresse,

je reviendrai me pencher, cette fois en détails, sur l’originalité remarquable de ce véritable bijou discographique assurément singulier (!) _ ce qui permet probablement de comprendre (mais pas justifier !) la longueur du délai (de trois années !) écoulé entre l’enregistrement, en juillet 2020, et la parution de ce  CD, en juin 2023 : lors de leur enregistrement de juillet 2020, à Lugano, Benjamin Appl et James Baillieu avaient tous les deux 38 ans… _ qu’est tout ce CD « Forbbiden Fruit » _ Alpha 912 _, de Benjamin Appl et son compère pianiste, excellentissime lui aussi, James Baillieu…

Ce samedi 29 juillet 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Cyrille Dubois, ténor : décidément parfait…

17mai

En forme de confirmation de satisfaction, en mon article du dimanche 19 mars dernier : « « ,

voici ce mercredi 17 mai un article tout à fait laudatif, lui aussi, « Cyrille Dubois, ou les charmes du ténor de grâce« ,

sous la plume de Catherine Scholler, sur le site de ResMusica :

Cyrille Dubois, ou les charmes du ténor de grâce

Cyrille Dubois et l’Orchestre national de Lille, sous la baguette de Pierre Dumoussaud, proposent un récital d’airs d’opéra français de la deuxième moitié du XXᵉ siècle, en grande partie oubliés.

Savez-vous ce qu’est un ténor de grâce à la française ? Héritier du haute-contre, c’est un ténor léger, agile, aux aigus faciles _ cf les rcherches et mises en pratique de Michael Spyres _, qui privilégie pour ceux-ci l’emploi de la voix de tête (fausset) à la voix de poitrine, et qui officia principalement dans l’opéra comique pendant la deuxième moitié du XXᵉ siècle. L’évolution de l’écriture des compositeurs porta peu à peu les goûts du public vers des voix plus puissantes _ c’est en effet là un phénomène on ne peut plus décisif… _ et des intrigues plus conséquentes, jusqu’à sa quasi-disparition. C’est donc tout à l’honneur de Cyrille Dubois et du Palazzetto Bru Zane de nous en restituer les subtilités _ voilà.

Encore fallait-il, pour ressusciter ce genre de voix, faire renaître _ aussi _ son répertoire. Il y a bien, dans les dix-sept titres proposés _ sur ce CD de Cyrille Dubois _, quelques tubes (l’air de Tonio de la Fille du régiment et ses neuf contre-ut, celui de Gérald de Lakmé) quelques extraits d’œuvres qu’on a eu le plaisir d’entendre au détour d’un concert ou d’un CD (la Jolie fille de Perth, la Dame blanche, le Timbre d’argent), des pages dues à des compositeurs que l’on connaît de nom, mais dont on n’a jamais entendu la moindre note (Clapisson, Godard) et enfin des ouvrages dont on n’a jamais entendu parler, pas plus que ceux à qui ils sont dus. Qui a déjà, par exemple, entendu parler de et de sa Myriane ? Ou de Charles Luce-Varlet et de l’Élève de Presbourg ?

De ces choix éclectiques et passionnants _ mais oui ! que de délicieuses découvertes ! _ est né un enregistrement qui allie l’agrément de la découverte à l’intelligence de l’exécution _ mais oui : Cyrille Dubois est parfait ! _, et qui suscite autant de questions que de rêveries. Pourquoi donc le Mignon d’ est-il passé à la postérité, et pas son Raymond ? Que valent la Barcarolle d’Auber ou les Mousquetaires de la Reine de Halévy ? Que se cache-t-il derrière le titre loufoque de Gibby la cornemuse ?

Pour son premier récital solo avec orchestre _ voilà ; et pas seulement un piano _, Cyrille Dubois relève le défi de la rareté et de l’exactitude du style _ oui _ avec panache _ voilà. Son timbre, haut placé, facile, brillant, est idéal _ parfaitement ! La diction claire _ oui _, l’élégance de l’interprétation _ oui _, dessinent un interprète parfait _ voilà ! c’est dit _ pour ce répertoire, tout à fait à même de le faire revivre. Sous la baguette de , l’ n’est pas en reste. A la fois délicat et vif, ses couleurs ont la même poésie rêveuse _ oui _ que celle du ténor.

So romantique !

Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871) : extrait de La Barcarolle.

Benjamin Godard (1849-1895) : extrait de Pedro de Zalamea.

Ambroise Thomas (1811-1896) : extraits de Le roman d’Elvire, Mignon, Raymond.

François-Adrien Boieldieu (1775-1834) : extrait de la Dame blanche.

Fromental Halévy (1799-1862) : extrait de Les mousquetaires de la reine.

Louis Clapisson (1808-1866) : extraits de Gibby la cornemuse, Le code noir.

Gaetano Donizetti (1797-1848) : extrait de La fille du régiment.

Charles Gounod (1818-1893) : extrait de Le médecin malgré lui.

Charles-Luce Varlet (1781-1853) : extrait de L’élève de Presbourg.

Georges Bizet (1838-1875) : extrait de La jolie fille de Perth.

Théodore Dubois (1837-1924) : extrait de Xavière.

Charles Silver (1868-1949) : extrait de Myriane.

Léo Delibes (1836-1891) : extrait de Lakmé.

Camille Saint-Saëns (1835-1921) : extrait de Le timbre d’argent.

Cyrille Dubois, ténor ; Orchestre National de Lille, direction : Pierre Dumoussaud.

1 CD Alpha….

Enregistré en juillet 2021 à l’Auditorium du nouveau siècle, à Lille.

Notice de présentation en français, anglais et allemand.

Durée : 68:46

Un récital tout à fait délicieux…

Ce mercredi 17 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

En ajout un peu philosophique à mon regard sur les regards d’Emmanuel Mouret, en sa « Mademoiselle de Joncquières », et Diderot, en son « Histoire de Mme de La Pommeraye », extraite de son « Jacques le fataliste et son maître » : sur la capacité de transcender ou pas le poids des normes sociales et du regard d’autrui, ou le qu’en dira-t-on…

24jan

En ajout un peu philosophique à mon regard sur les regards d’Emmanuel Mouret, en sa «  Mademoiselle de Joncquières« , et Diderot, en son « Histoire de Mme de La Pommeraye et du marquis des Arcis« , extraite de son « Jacques le fataliste et son maître« ,

qu’exprimait mon article du lundi 16 janvier dernier «  » _ auquel je tiens beaucoup, et ai enrichi déjà à plusieurs reprises _,

voici, tout spécialement repris ici, cette précision que je viens ce matin du mardi 24 janvier, de lui donner, à propos du sens final même qu’ont donné, et Diderot à l’entreprise de son récit, et Emmanuel Mouret à l’entreprise de son film :

Les réputations des personnes étant assurément puissantes dans le monde – et c’est là aussi un cadre social et moral tout à fait décisif de la situation que nous présente ici en son merveilleux film Emmanuel Mouret :

même éloignés de tout (et de presque tous : sauf, pour ce qui concerne Madame de La Pommeraye, de ce bien précieux personnage inventé ici par Emmanuel Mouret par rapport au récit de Diderot, qu’est cette amie-confidente go-between, qui vient de temps en temps lui rapporter, alors qu’elle-même prend bien soin de se tenir retirée en la thébaïde de sa belle campagne, ce qui se bruisse dans Paris, où l’on voit tout… et rapporte tout !) ;

en conséquence de quoi les regards du « monde » (mondain !) des autres pèsent de leur non négligeable poids sur la conscience et le choix des actes de la plupart des personnes (qui y cèdent ;

y compris donc Madame de La Pommeraye qui fait de ce qu’en dira-t-on l’arme tranchante de sa vengeance) ;

à part quelques très rares un peu plus indifférents (et surtout finalement résistants au poids pressant de ces normes mondaines-là), tels qu’ici, justement, et le marquis des Arcis, et Mademoiselle de Joncquières, qui se laissent, au final du moins (et là est le retournement décisif de l’intrigue !), moins impressionner, pour le choix de leur conduite à tenir, par les normes qui ont principalement cours dans le monde, ainsi qu’Emmanuel Mouret le fait très explicitement déclarer, voilà, au marquis des Arcis à sa récente épouse, pour, en un très rapide mot, lui justifier son pardon (pour s’être laissée instrumentaliser en l’infamie ourdie par Madame de La Pommeraye : « Je me suis laissée conduire par faiblesse, par séduction, par autorité, par menaces, à une action infâme ; mais ne croyez pas, monsieur que je sois méchante : je ne le suis pas« , venait-elle de lui signifier…

Emmanuel Mouret faisant alors explicitement dire au marquis, à 95′ 47 du déroulé du film, ce que ne lui faisait pas prononcer Diderot, mais qu’impliquait cependant, bien sûr, l’acte même, fondamental, du pardon de celui-ci envers son épouse :

« _ Je ne crois pas que vous soyez méchante. Vous vous êtes laissée entraîner par faiblesse et autorité à un acte infâme. N’est-ce pas par la contrainte que vous m’avez menti et avez consent à cette union ?

_ Oui monsieur

_ Eh bien, apprenez que ma raison et mes principes ne sont pas ceux de tous mes contemporains : ils répugnent à une union sans inclination » ;

c’est-à-dire que lui, marquis des Arcis, savait oser ne pas se plier aux normes courantes des autres, et se mettre au-dessus de ces normes communes, en acceptant et assumant pleinement, en conscience lucide et entière liberté, d’avoir fait, en aveugle piégé qu’il était au départ, d’une ancienne catin son épouse :

« Levez-vous, lui dit doucement le marquis ; je vous ai pardonné : au moment même de l’injure j’ai respecté ma femme en vous ; il n’est pas sorti de ma bouche une parole qui l’ait humiliée, ou du moins je m’en repens, et je proteste qu’elle n’en entendra plus aucune qui l’humilie, si elle se souvient qu’on ne peut rendre son époux malheureux sans le devenir. Soyez honnête, soyez heureuse, et faites que je le sois. Levez-vous, je vous en prie, ma femme; levez-vous et embrassez-moi ; madame la marquise, levez-vous, vous n’êtes pas à votre place ; madame des Arcis, levez-vous…« …

Oui, le marquis des Arcis, ainsi que sa désormais épouse, tous deux, savent, à ce sublime héroïque moment-ci, s’extraire non seulement, bien sûr, de toute la gangue de leur passé, mais du bien lourd poids, aussi, des normes dominantes et des regards d’enfermement des autres  même si, un lecteur un peu retord, pourrait ici me rétorquer, me vient-il à l’idée ce matin du 25 janvier, que Diderot, avec au moins son personnage-pivot de fin lettré qu’est le marquis des Arcis, mais peut-être pas avec l’autre de ses personnages-pivots qu’est l’un peu moins cultivée jeune épouse de celui-ci, cède, en ce presque final de son récit de l’ « Histoire de Mme de La Pommeraye et du marquis des Arcis« , à la mode très vive à ce moment-là, du « sublime » de la vague « Sturm und Drang« , qui déferle, après l’Allemagne, aussi en France : un mouvement auquel Diderot (1713 – 1784) et son cher ami le baron Grimm (1723 – 1807) n’ont pas manqué d’être éminemment sensibles… Et c’est même assez probablement là une des raisons du très précoce succès, via traductions et publications en 1785 et 1792, par Schiller (1759 – 1805) et Mylius (1754 – 1827), de ce « Jacques le fataliste et son maître«  de Diderot, précisément d’abord en Allemagne : « Comme le Neveu de Rameau, Jacques le Fataliste fut connu en Allemagne avant de l’être en France. Schiller en avait traduit, en 1785, l’épisode de Mme de la Pommeraye, sous ce titre : Exemple singulier de la vengeance d’une femme _ conte moral _ voilà ! _, pour le journal Thalie. Il en tenait la copie de M. de Dalberg. Il parut, en 1792, une traduction du roman sous ce titre : Jacob und sein Herr (Jacques et son Maître), par Mylius. Le traducteur disait : « Jacques le Fataliste est une des pièces les plus précieuses de la succession littéraire non imprimée de Diderot. Ce petit roman sera difficilement _ tiens, tiens… _ publié dans la langue de l’auteur. Il en existe bien une vingtaine de copies en Allemagne, mais comme en dépôt. Elles doivent être conservées secrètement et n’être jamais mises au jour. Une de ces copies a été communiquée au traducteur, sous la promesse solennelle de ne pas confier le texte français à la presse »… » Et en 1794, « l’institut de France s’organisait. Un de ses premiers soins fut de s’occuper de dresser une sorte de bilan des richesses perdues de la littérature français _ du fait de la Révolution. On s’inquiéta, entre autres choses, d’un chant de Ver-Vert intitulé l’Ouvroir, qu’on crut être entre les mains du prince Henri de Prusse. Ce prince, qui, après avoir montré qu’il était bon capitaine, dut se réfugier dans une demi-obscurité pour ne pas risquer de trop déplaire à Frédéric II, son frère _ voilà  ! _, occupait noblement ses loisirs en cultivant les lettres, les arts et les sciences. Il était un des souscripteurs à la Correspondance de Grimm. Il s’intéressait particulièrement à Diderot _ voilà ; et nous savons qu’on parlait en permanence français à la cour de Berlin du roi Frédéric II. La lectrice de sa femme, Mme de Prémontval, dont il sera question dans le roman, avait pu lui en parler de visu. Ce n’est pas cependant par elle, comme l’a cru l’éditeur Brière, qu’il eut communication de Jacques le Fataliste, puisqu’elle était morte plusieurs années avant que ce livre fût écrit. Il _ le prince Henri de Prusse, donc (1726 – 1802) _ en possédait une copie au même titre que la vingtaine d’autres personnes dont parle Mylius. Seulement, il ne se crut pas obligé à la tenir secrète, et, en réponse à la demande du chant de Ver-Vert _ de Jean-Baptiste Gresset (1709 – 1777) _ qu’il n’avait pas, il offrit Jacques le Fataliste, qu’il avait _ voilà ! Il reçut des remercîments, et on le pria de mettre à exécution cette louable intention. Il répondit par cette nouvelle lettre : « J’ai reçu la lettre que vous m’avez adressée. L’Institut national ne me doit aucune reconnaissance pour le désir sincère que j’ai eu de lui prouver mon estime : l’empressement que j’aurais eu de lui envoyer le manuscrit qu’il désirait, s’il eût été en ma puissance, en est le garant. On ne peut pas rendre plus de justice aux grandes vues qui l’animent pour mieux diriger les connaissances de l’humanité. » Je regrette la perte que fait la littérature de ne pouvoir jouir des œuvres complètes de Gresset, cet auteur ayant une réputation si justement méritée. J’ai fait remettre au citoyen Gaillard, ministre plénipotentiaire de la République française, le manuscrit _ nous y voilà ! _ de Jacques le Fataliste. J’espère que l’Institut national en sera bientôt en possession. Je suis, avec les sentiments qui vous sont dus, votre affectionné, Henri ». Voici donc comment le texte original de Denis Diderot d’après lequel a été enfin diffusé en France ce très précieux « Jacques le fataliste et son maître« … Et fin ici de cette bien trop longue incise, simplement documentaire, rajoutée le 25 janvier.

Ce mouvement d’exhaussement sublime au-dessus des normes communes qui est aussi, au final, ce que Diderot lui-même a voulu lestement et subtilement mettre en valeur en son magnifique récit à rebondissements qu’est ce « Jacques le fataliste et son maître«  _ prudemment non publié par Diderot lui-même de son vivant (Diderot est décédé le 31 juillet 1784) en France, mais laissé au jugement plus distancié de la postérité…

C’est donc cette formidable capacité de gestes impromptus de liberté qu’Emmanuel Mouret vient nous laisser appréhender sur l’écran via la très vive mobilité en alerte et à certains moments décisifs jouissivement surprenante pour notre curiosité, des personnages virevoltants et, à ces moments-là au moins, imprévisibles, de ses films :

Emmanuel Mouret, ou les jubilatoires délicieuses surprises du pouvoir même de la liberté ainsi délicatement, avec douceur, finesse et subtilité, pour notre plaisir, si brillamment filmé.

Ce mardi 24 janvier 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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