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Penser vraiment l’école : l’indispensable et urgent débrouillage du philosophe _ l’admirable travail de Denis Kambouchner

24fév

Avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

_ avec une magnifique patience et probité, en son acuité (rare à ce degré-là !) du regard d’analyse ;

cf à la fin de l’ouvrage, pages 340-341, le tableau parfaitement scrupuleux de l’« Origine des chapitres » : si quatre d’entre les onze chapitres, « La culture scolaire et après« , « Les principes d’une école juste« , « Rousseau et le temps des livres » et « Durkheim et la crise des humanités« , sont qualifiés dans l’absolu et in fine d’« inédits« , tous les onze ont été, de 2004 pour le premier, « L’Enseignement selon Foucault« , à 2012 pour trois (« Les principes d’une école juste« , « Rousseau et le temps des livres » et « Retrouver en soi l’enfant (Repuescere) : réflexions sur un précepte classique« ) et 2013 pour un ultime, « Durkheim et la crise des humanités« , purement et simplement « inédit« , lui ;

tous les onze chapitres, donc, de ce très beau (très probe et très patient parce que très précis) travail ont été repris, revus et peaufinés in fine avec une merveilleuse exigence de précision et une admirable finesse de nuances (les cas particuliers sont tout particulièrement magnifiquement distingués de généralités observées et relevées), selon les critères éminemment cartésiens de « clarté et distinction » (Denis Kambouchner est l’auteur des remarqués L’Homme des passions _ commentaire sur Descartes et Descartes et la philosophie morale), et je détache aussi au passage, cette citation de Locke, page 220 : « Bien distinguer nos idées, c’est ce qui contribue à faire le plus qu’elles soient claires et déterminées »… ;

en toute la palette et l’impeccable nuancier des micro-précisions-déterminations-distinctions de l’analyser constamment (= potentiellement à l’infini…) à l’œuvre, apportées inlassablement, depuis leur « origine » et « première version » (de ces étapes de l’enquête livrée ici, que sont ces onze chapitres, de 2004 à 2013 : le long de dix années…) donnée précédemment en conférence ou publiée en article ou Acte de colloque, marquant à un rare degré de perfection (très précieux pour le « débat » qui doit en résulter et auquel Denis Kambouchner, par sa « contribution« -ci, expressément nous « invite » à entrer et participer nous aussi, en « un vaste concours d’intelligences et de compétences« , page 10), ce qui se trouve si magnifiquement construit au final livré ici, et donnant lieu à onze « chapitres » d’un travail admirablement cohérent et fouillé, en une lumineuse rétrospection-reprise avec peaufinage (et présentée en son Avant-Propos, pages 9 à 20) ;

Denis Kambouchner ne manquant pas d’indiquer encore, page 20, tout ce que ce travail d’affinage doit aussi, in fine, au « regard le plus empathique et le plus aigu » qui soit, qu’y a « porté sur le fond comme sur le style«  Florence Dumora ;

Florence Dumora qu’il se trouve que je connais depuis son année en classe de Première, quand j’enseignais moi-même (à philosopher) en Terminale en son lycée ; l’année suivante, ce fut le regretté Christian Delacampagne (1949-2007) qui l’initia à la philosophie, ou au philosopher… _

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

d’une série patiente et admirablement probe

_ et d’une lumineuse clarté de « débrouillage » des (de fait passablement complexes) questions abordées et réellement traitées, face aux jeux (trop complaisamment installés et entretenus) des confusions idéologiques, comme des emportements partisans, qui continuent, les uns comme les autres, de brouiller le regard collectif sur le sens et les enjeux (de démocratie vraie !) de ce qu’est aujourd’hui d’une part la situation (délabrée et se délabrant encore : certains pensant y avoir intérêt !) de l’école, et d’autre part ce que doit être (toujours et plus que jamais !) en sa puissante « vocation » humaine l’école, avec son ineffaçable « horizon«  « transcendant » de culture authentique véritable (et cela en toute son extension : la culture étant loin de se réduire à la seule culture des « humanités« ) : j’y viendrai, forcément, bien sûr, puisque c’est là l’essentiel !..

Et Denis Kambouchner de nous proposer ainsi ici toute une « cartographie«  subtile et en relief de ce paysage (et scolaire et culturel : avec « Horizons«  et « Arrière-plans« ) où se forme (et évolue, bouge) sans cesse historico-culturellement, en de complexes métamorphoses jamais strictement uniformes, l’humanité en construction jamais finie, mais toujours ouverte (et à peaufiner…), de notre espèce (humaine) tout à la fois très fragile et éminemment exaltante… ; avec les devoirs impérieux d’éducation ainsi que de culture (les deux étant fondamentalement liées) que cela, à chacun et à tous, nous impose envers chacun (soi et les autres) et tous, contre vents et marées d’intérêts et calculs de toutes sortes…

Cf ainsi, page 210, la merveilleuse phrase de conclusion du chapitre 6, « Éclaircissements sur « la culture »«  :

« Du point de vue pratique et dans les registres dont il s’agit _ dans la pratique au quotidien permanente, instant après instant, au présent de l’agir, de l’enseigner à l’école _, l’essentiel restera _ du côté et de la part de ce que doit offrir l’institution bien comprise, comme du côté et de la part de ce qu’a à faire, et au mieux, le maître en cette opération avec ses élèves, d’enseigner _ de multiplier autant que possible _ pour l’élève _ les occasions d’expérience _ à faire advenir et aider à constituer et bâtir (contribuer à faire s’élever), avec richesse et consistance, chez les humains qu’il s’agit d’aider à se former à s’accomplir vraiment, via l’impulsion donnée en et par cet enseignement à l’école… _, autrement dit les rencontres _ voilà ! avec des œuvres tout particulièrement : afin d’aider chacun et tous à construire et peaufiner, grâce à de tels apports, via les œuvres, d’autres personnes (de qualité : les auteurs de ces œuvres), une identité personnelle toujours plus riche et toujours ouverte, et tant soit peu consistante aussi, et en laquelle puisse se découvrir et reconnaître (et accomplir chacun toute sa vie durant) un vrai soi, pour la personne en formation de l’élève : un soi nourri de ces apports de vraie culture _ ; ce qui revient à faire valoir, contre l’idole _ malsaine et agressive _ de l’identité culturelle _ fermée et réductrice, et hostile, pleine de ressentiment… _, que la justice bien entendue _ à l’échelle des grands ensembles (de populations) _ n’est possible qu’avec _ voilà ! et par _ la connaissance _ incorporée (peu à peu) très substantiellement (et même consubstantiellement !) en sa personne : peut-être in fine singulière… _, et qu’elle se réalisera dans une civilisation _ partagée _ qui n’est l’apanage _ contre d’autres qui en seraient privés et exclus, eux _ de personne, parce qu’elle est toujours _ en chantier exaltant, cette « civilisation« -là _ devant nous«  : à réaliser, chacun et tous, en l’élévation d’œuvres à accomplir, une à une et au quotidien de chacun nos actes, toute notre vie durant… _

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

d’une série patiente et admirablement probe

de onze contributions

_ soient les onze « chapitres » de ce travail si remarquablement « un« , au final de la « composition » que réalise le livre, eux-mêmes répartis en deux grandes « parties« ,

intitulées,

la première « Horizons » (1 « L’éducation, question première«  ; 2 « Crise de l’enseignement et critique de la culture » ; 3 « L’autorité pédagogique et le sens des savoirs scolaires«  ; 4 « La culture scolaire et après » et 5 « Les principes d’une école juste« ) : centrée sur la tâche de construire l’aujourd’hui et le demain civilisationnellement crucial ! de l’école (et de la culture !), au sein de l’acte même d’enseigner,

et la seconde « Arrière-plans » (6 « Éclaircissements sur la « culture » » ; 7 « Rousseau et le temps des livres«  ; 8 « Diderot et la question des classiques » ; 9 « Durkheim et la crise des humanités » ; 10 « L’Enseignement selon Foucault » et 11 « Retrouver en soi l’enfant (Repuescere) : réflexions sur un précepte classique« ) : centrée sur une rétrospection éclairante des brouillages (à dés-embrouiller et dé-brouiller !) de notre aujourd’hui scolaire grâce à l’intelligence très remarquablement éclaircie de son inscription historique et de son héritage, à mieux assumer… _

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

d’une série patiente et admirablement probe

de onze contributions

consacrées à la tâche indispensable de « penser » enfin

_ mais ce chantier ne peut pas (ni ne saurait) être, jamais, « fini » !..  ; et du fait que  » les problèmes philosophiques relatifs à l’école ne sont en aucun cas l’apanage _ voilà ! _ des philosophes de profession« , « le traitement de ces problèmes implique _ très effectivement _ un vaste concours _ très effectivement démocratique et le plus richement possible nourri _ d’intelligences et de compétences, dont l’essentiel n’est pas qu’il parvienne _ jamais _ à une doctrine  _ enfin et une fois pour toutes ! _ unifiée _ tel quelque indéfectible catéchisme doctrinaire _, mais qu’il installe _ en esprit, et entretienne _ une vraie effervescence _ créative _ d’idées _ justes et infiniment nuancées : souples en même temps que fortes _ là où règnent encore l’aphasie ou les stéréotypes » (« et qu’il change à proportion l’atmosphère et les conditions de la formation des maîtres » : une condition éminemment cruciale !!!), page 10, en quasi ouverture de l’Avant-propos de ce livre, L’École, question philosophique _

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

d’une série patiente et admirablement probe

de onze contributions

consacrées à la tâche indispensable de « penser » enfin

le devenir de l’école

_ en son actualité cruciale de « crise »

(l’emploi de ce terme de « crise » est bien sûr spécialement travaillé par Denis Kambouchner, notamment en son chapitre 2 « Crise de l’enseignement et critique de la culture », alors autour des thèses de Bourdieu, et d’une façon plus globale en même temps que spécialement cruciale (cf la référence à La Crise de la culture de Hannah Arendt, parue en traduction française en 1972, mais rédigée en 1954, sous le titre The Crisis in Education) à l’horizon de ce que l’on peut rattacher au travail récent (Denis Kambouchner le cite en son Avant-Propos, page 12) de Myriam Revault d’Allonnes (auteur que notre Société de Philosophie de Bordeaux recevra, dans les salons Albert-Mollat, le 20 mars prochain précisément, pour ce livre important sur le concept et les usages et mésusages « modernes » du mot « crise« ) : La Crise sans fin _ essai sur l’expérience moderne du temps) ; les premières versions, présentée en conférence, puis publiée en revue, de ce chapitre 2 datent de février et septembre 2006),

par rapport à l’« horizon«  civilisationnel de la vraie culture (entendue en sa plus large acception : en y intégrant une initiation suffisante aux diverses épistémologies des démarches de recherche du penser scientifique, notamment…) ; ainsi que, plus largement, le devenir de toute l’éducation, et lui aussi par rapport à l’« horizon«  d’une telle vraie culture (c’est-à-dire, soyons bien clair, celle du « meilleur«  ; cf ce mot décisif d’Érasme cité page 139 : « Rien ne s’apprend plus facilement que ce qui est le meilleur« …), qui doit être construite, soutenue, encouragée et diffusée à l’école comme dans les différents processus d’éducation, le plus largement et le mieux possible, face aux impostures (cf le livre de Roland Gori, La Fabrique des imposteurs, ainsi que mon précédent article du 25 janvier dernier à propos de ce livre : Créer versus s’adapter : l’urgence du comment contrer la logique mortifère du totalitarisme des normes d’existence, selon Roland Gori dans son si juste « La Fabrique des imposteurs ») en tous genres (et l’« entertaintityment« ) que certains, et les institutions qu’impérialement ils occupent, s’emploient à longueur de temps et avec quel succès !, à nous faire, et en masse, agréablement avaler… _,

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée, d’une série patiente et admirablement probe de onze contributions consacrées à la tâche indispensable de « penser » enfin le devenir de l’école,

L’École, question philosophique de Denis Kambouchner

nous aide à dés-embrouiller la situation passablement encalminée depuis bien trop longtemps _ « près de quarante ans« , page 12 : c’est-à-dire lors de l’institution du collège unique, en 1974… _ de cette décisive institution _ anthropologique ! et civilisationnelle ! _ qu’est l’école,

en veillant à très distinctement préciser,

et donc le plus clairement possible déterminer par le travail du penser

ce qui fait fondamentalement son sens ;


ce que sont, et ce que doivent être, et respectivement, ses fins et ses moyens _ tout spécialement dans le contexte socio-économique et politique qui est au départ, puis assez durablement

(depuis les XVIIe et XVIIIe siècles ; mais pour combien de temps ?.. à l’heure des de plus en plus pressants calculs de rentabilité des dites « ressources humaines » et des réductions de budget de la dite « saine gouvernance » ultra-libérale, qui n’ont cessé de monter en puissance ces quarante dernières années…),

tout spécialement dans le contexte socio-économique et politique qui est le nôtre ;

et auquel, forcément, nous avons à lucidement (et courageusement) faire face ! en même temps que, d’abord et surtout, faire avec… _,

ainsi que l' »horizon » de sens (avec ce que celui-ci doit nécessairement comporter de « transcendance » par rapport aux objets déterminés de savoir, mais aussi de penser, qu’il offre, aux premiers plans des regards et autres vues de l’esprit , aux sujets en voie de subjectivation permanente que sont les élèves _ et bientôt adultes _ au sein de cette école… _ le processus de subjectivation, lui non plus, n’a pas de fin ; la bêtise étant, ici comme ailleurs, « de conclure«  _ ; qu’il offre, donc, à tous et à chacun, à appréhender, saisir et faire siens…)

et l' »univers » _ = la culture _ que cet « horizon » de sens permet _ à la fois immédiatement et progressivement, et très concrètement, hic et nunc, dans le cursus scolaire envisagé dans un sens qui soit à la fois déterminé et précis en même temps que profond, large et ouvert : c’est un processus au long cours ; et  qui ne saurait se borner jamais à quelques commodes résumés simplificateurs rapides... _ d’aborder, esquisser, dessiner et se représenter

afin de peu à peu l’explorer et connaître, et « incorporer« , de manière tant soit peu cohérente et consistante, au sein du processus de la subjectivation en devenir et formation de la personne ;

mais aussi en certains de ses aspects et c’est très important ! _ créer… ;

en même temps que ce que cet « horizon » de sens doit « offrir » _ très concrètement _ de « perspective » _ et de relief ! _ toujours _ fondamentalement ! en ses lignes « de fuite » pour le regard qui sont rien moins que des lignes de création pleinement effective pour l’ingenium de chacun… _ ouverte _ jamais fermée, ni directement instrumentalisable _ aux objets déterminés, eux, qui vont être donnés _ par le maître _ à _ très concrètement _ cerner _ au premier plan sur ce fond d’« horizon«  _ et faire culturellement siens _ par l’élève _, dans le travail d’échange _ à vif _ des processus _ via la parole et l’écoute, et des échanges (ouverts et si possible joyeux !) de réponses offertes et données, par exemple via l’accès à des « œuvres » qui en valent vraiment la peine (et qui ne soient pas forcément, non plus, des passages obligés, en forme de pénible et rébarbatif « pont aux ânes«  ; et cela dans les diverses disciplines, pas seulement dans la culture littéraire et humaniste…)… ; cf à ce propos la superbe note consacrée, page 254, « aux pages étincelantes d’Italo Calvino sur la littérature, dans Pourquoi lire les classiques ? »  _ de l’enseigner, éduquer, et surtout _ mais est-ce fondamentalement différent ? Non ! _ cultiver ! ;

et l' »univers« , donc,

de « culture » vraie _ et le plus possible vivante ! _

qui doit _ absolument _ être _ objectivement et fondamentalement _ le sien _ = celui de l’école ! _,

ainsi que celui de ses divers acteurs :

les enseignés, leurs parents, les enseignants _ ce sont eux qui ont à charge de diriger-piloter la manœuvre dans l’aventure (ouverte !) de leurs cours vivants ! et qui ont la responsabilité dernière et première, hic et nunc, de la barre (= à la manœuvre) de ce qui va être enseigné ! et de facto advient alors à titre d’objets déterminés du penser (de leur penser) dans la conscience des élèves… _, les personnels d’encadrement, comme les administrants :

« La crise française de l’école peut s’appréhender en termes de dérèglement et de dysharmonie interne à l’institution _ en conséquence de quoi c’est elle qu’il faut d’urgence réformer !

Ce dérèglement est né, il y a près de quarante ans _ soit la réforme Haby en 1974 _, du peu de sérieux avec lequel a été préparée une opération capitale, l’unification du système d’enseignement (« collège unique »)« , page 12

_ cf les très utiles distinctions proposées page 146 (in le chapitre « les principes d’une école juste« ) : « l’unification du système d’enseignement ne permettait de réaliser, selon les termes d’Antoine Prost, qu’une « démocratisation de la sélection », prenant la suite d’une « démocratisation de la fréquentation scolaire » ; mais ce n’était pas encore là ce vers quoi il convenait de se diriger, à savoir une « démocratie de la réussite » » (effective désirée et attendue par et pour tous) ;

et c’est de cette impasse encalminée des tentatives mal pensées (et encore plus mal assumées) de réalisation de cette « éducation de la réussite » que nous (l’école, l’éducation, la culture, la civilisation, via les processus d’acculturation de chaque nouvelle génération d’individus et personnes) souffrons cruellement aujourd’hui…


« Parmi les nombreux symptômes de cette crise, dont le premier est appelé « l’échec scolaire », il faut compter le blocage du débat public et le dérèglement de la parole institutionnelle _ sur le terrain directement politique de la démocratie (malmenée) : avec le brouillage qui en résulte (et demeure endémiquement) dans la plupart des esprits, même les mieux intentionnés.

Blocage du débat, avec l’opposition relancée jusqu’à la lassitude, sans que jamais soit donnée une chance _ suffisante pour donner lieu à une issue satisfaisante _ à la recherche d’un arbitrage _ qui soit enfin tant soit peu « équilibré«  (le camaïeu subtil des nuances important tout particulièrement ici considérablement !) ; cf a contrario de ce « blocage (malsain) du débat« , les efforts de rapprochement réussis des positions de Denis Kambouchner et Philippe Meirieu, par exemple in le récent (janvier 2012) L’École, le numérique et la société qui vient (avec aussi l’ami Bernard Stiegler) _, entre les tenants _ tel un Denis Kambouchner lui-même, au départ _ d’une « instruction » à la fois exigeante et émancipatrice, et ceux d’une action pédagogique en forme de monitorat, aidant l’enfant à « construire ses propres savoirs«  _ tel un Philippe Meirieu, au départ, aussi : avec des efforts persistants (et réussis) d’analyse et d’écoute réciproque, on peut donc rapprocher très positivement les positions de fond en réduisant les crispations rhétoriques de forme…

Dérèglement de la parole institutionnelle, avec l’espèce d’obligation _ qu’il faudrait assurément commenter : car c’est du devenir (et de la vérité même !) des démocraties effectives qu’il s’agit ! sur le terrain proprement politique _ faite aux politiques et aux responsables de couvrir _ hypocritement (= avec imposture !) _ la confusion régnante, et l’impossibilité apparente d’un discours rigoureux, affrontant avec mesure _ voilà ! _, des problèmes précis«  _ qu’il faut « déterminer«  par des distinctions elles-mêmes précises, subtiles et nuancées (équilibrées au cordeau, et à ajuster sans cesse avec souplesse « sur le terrain« , dans le jeu mouvant ultra-fin de leurs applications « sur le champ«  de l’enseigner effectif), adéquates… _, page 13.

Et « le malheur moderne a voulu que ce processus intervienne exactement au moment _ dans la décennie des années 70 du XXe siècle _ où, en France, en Europe de l’Ouest et dans d’autres régions encore, une pensée hypercritique à l’égard des institutions _ et de leurs procédures disciplinaires (cf ici les analyses de Foucault à ce moment des années 70…)  _ connaisse une sorte d’acmé », page 14 _ cf par exemple le Une Société sans école d’Ivan Illich (Deschooling Society, paru en 1971)… Sur l’importance et les modalités du fonctionnement du jeu des acteurs et des institutions, relire aussi le travail lucide de Michel Crozier et Erhard Friedberg L’Acteur et le système, paru en 1977…

Page 324, et à propos de ce que Denis Kambouchner nomme « une nouvelle difficulté (de Michel Foucault « après Surveiller et punir« , qui paraît en 1975) à faire des livres », l’auteur renvoie en note à la superbe (oui !!!) présentation par Jean Terrel et Guillaume Le Blanc, en 2003, des Actes du colloque Foucault au Collège de France : un itinéraire ; voici cette note : « Sur les transformations de l’œuvre de Foucault avec les cours du Collège de France, voir la riche (en effet !) introduction des éditeurs, Guillaume Le Blanc et Jean Terrel, à l’ouvrage Foucault au Collège de France : un itinéraire, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2003, p. 7-26«  ; et l’article (magnifique !) « L’enseignement selon Foucault« , aux pages 301 à 329 de L’École, question philosophique constitue d’ailleurs un des sommets de ce grand livre sur les arcanes de l’enseigner ;

et là-dessus tout spécialement, cf les admirables pages consacrées, pages 51 à 55, au « fait du bon professeur » ; et il faudrait citer in extenso ces magistrales pages de Denis Kambouchner…

« Il n’est que temps de se défaire des antinomies convenues _ paresseusement binaires _ pour se poser la seule question cruciale : celle des conditions dans lesquelles, à l’échelle de toute une société _ qui soit vraiment démocratique ! _, avec de hautes exigences _ celles, précisément de l’idée même de démocratie : relire là-dessus les très fortes analyses d’Alain… Cf aussi le concept kantien d’« idée régulatrice«  _ tant pour le niveau général de la formation _ des maîtres _ que pour l’adéquation aux besoins _ vrais _ des enfants, l’école pourrait (…) devenir au-delà de ce qu’elle a jamais été, une institution efficace et dynamique » _ les deux, et ensemble, sont très importants ! _, page 14.

« En dernière analyse, il s’agit de savoir _ plus clairement et mieux distinctement ! _ ce dont nous-mêmes sommes en quête _ mais oui ! _ et ce que nous sommes prêts _ par accommodation à un certain réalisme pragmatique conjoncturel _ à accepter«  _ en forme de compromis (qui soit acceptable sans ruiner l’essentiel) avec les forces des intérêts puissants et leurs considérables pressions socio-politico-économiques.

Soit « réexaminer les relations cardinales de l’éducation scolaire (entre les élèves, les enseignants, les savoirs et l’environnement _ en l’occurrence ce contexte et cette situation historique socio-politico-économique… _ )

et définir pour elles de nouveaux _ bien meilleurs ! _ équilibres _ le terme est très important ; et désigne quelque chose de non seulement extrêmement nuancé, en sa grande complexité culturelle et humaine, mais de forcément toujours mouvant dans la délicatesse nécessaire de ses applications à ces très fragiles « objets«  que sont les « sujets«  humains dans leur processus ô combien délicat et complexe de subjectivation personnelle métamorphique, que sont les élèves : quand on ne réduit pas les personnes à de la simple « ressource«  utilitaire, en terme de calcul de coût et de rentabilité pour l’entreprise et ses profits (ou l’État et la réduction de sa dette), bien sûr… ; là-dessus, relire La Théorie politique de l’individualisme possessif _ de Hobbes à Locke de C. B. Macpherson, ouvrage publié en 1962… _,

c’est ce à quoi ce livre voudrait contribuer« , page 15 ;

sachant qu' »il est vital que l’on _ c’est-à-dire nous tous, ne serait-ce qu’en tant que citoyens de nos démocraties (en proie à divers mouvements browniens)… _ sache distinguer entre les problèmes effectifs _ à effectivement traiter et résoudre _ et cruciaux _ voilà ! _ et ceux qui n’ont de réalité qu’idéologique«  _ à dissoudre ! Et tel est l’objectif (de « débrouillage« ) auquel essaie de viser principalement ce grand livre _, pages 15-16.


D’abord, « Il faudrait se demander comment l’on pourrait s’arranger pour que le désir d’apprendre _ ou vive curiosité, voire enthousiasme jubilatoire, à son meilleur… _ qui est celui des enfants _ en effet ! cf la magnifique double expression de Montaigne en direction du maître eu égard à cette enthousiaste curiosité-là de l’élève : « allécher l’appétit et l’affection » (Essais, I, 26, in fine), citée page 50 _ ne se décourage pas _ là étant probablement le principal gâchis ! et c’est un double gâchis d’humanité : tant personnel pour le Soi des individus envisagés en leur singularité de personne, que civilisationnel pour la collectivité à l’échelle du devenir historico-culturel commun, celui des contenus et œuvres de la civilisation (à la fois à cultiver et entretenir, maintenir vivant et raviver ; mais aussi compléter encore et toujours par de nouvelles vivifiantes recherches et créations)… _ peu à peu« ,

étant entendu aussi que « les systèmes éducatifs les plus performants _ dans leur pratique globale _ sont ceux dans lesquels il y a consensus _ un consensus relatif, forcément, et qui soit vivant et souple : en réduisant surtout le plus et mieux possible les divers dogmatismes (se figeant) ; et en évitant les fossilisations en trop d’académismes, aussi… : l’ouverture et la réactivation de la créativité interdit en effet la fossilisation en catéchismes fermés auxquels obéir aveuglément, à la lettre (et contre l’esprit) _ à la fois sur la nature des savoirs à acquérir _ les meilleurs ! et en toutes les disciplines… _ et sur les moyens _ les plus vivants et souples : avec toujours une dimension festive joyeuse de jeu improvisé (qui est aussi, en amont celle de la recherche et de l’invention, par le chercheur !) dans l’apprentissage à offrir (à l’élève) par le maître : ce qu’Érasme baptise magnifiquement « repuescere » ! Montaigne parlant, lui, est-il indiqué page 339, d' »un haut degré d’éjouissance«  : « les maîtres qu’il nous faut (…) sont ceux chez qui (ou de la part de qui) le plus grand sérieux et la clarté la plus parfaite sont toujours allés de pair avec un haut degré d' »éjouissance » (c’est le mot de Montaigne)«  (in Essais I, 26).

Et on trouve aussi chez Foucault cette dimension « érotique«  et du savoir (à constituer par la recherche, en la mobilisation vive et efficace de la curiosité), et de l’enseigner-partager, aussi (du moins quand celui conserve quelque chose de l’érotisme de la recherche…).

Et Denis Kambouchner de citer pages 312-313, des extraits d’un très significatif entretien radiophonique de Michel Foucault, avec Jacques Chancel (pour l’émission Radioscopie), le 3 octobre 1975 (in Dits et écrits, volume 1, page 1655) :

_ Jacques Chancel : « En principe, à l’école, on oblige à apprendre ; et l’école devrait être une fête ; on devrait être content d’y aller, car c’est vraiment le terrain de la curiosité _ remarque déjà magnifique de la part de Jacques Chancel !.. Il doit donc y avoir des choses essentielles à apprendre. Quelles sont ces choses ? En dehors de l’orthographe, de l’arithmétique, de la lecture ?…« 

_ Michel Foucault : « Je dirais que la première chose qu’on devrait apprendre _ si ça a un sens d’apprendre quelque chose comme ça _, c’est que le savoir _ en acte, dans le processus délicieux de l’apprendre, découvrir… _ est tout de même profondément lié au plaisir _ mais oui ! et comment !!! _, qu’il y a certainement une façon d’érotiser le savoir, de rendre le savoir hautement agréable _ dans l’acte d’enseigner ; et d’initier à ce processus d’apprentissage-découverte, et même (et peut-être surtout !) création, les élèves, pour le professeur s’adressant à, pour les y initier, ses élèves… Que l’enseignement ne soit pas capable même de révéler cela, que l’enseignement ait presque pour fonction de montrer combien le savoir est déplaisant, triste, gris, peu érotique, je trouve que c’est un tour de force _ moi aussi ! Mais ce tour de force a certainement sa raison d’être _ probablement ! Il faudrait savoir pourquoi notre société a tellement d’intérêt à montrer que le savoir _ comme passage, sas ou entrée, à un pouvoir : à réserver à une minorité seulement… _ est triste. Peut-être précisément à cause du nombre de gens qui sont exclus _ c’est-à-dire à exclure, en fait _ de ce savoir. »

J. C. : _ « Imaginez déjà ce que pèse le mot « savoir ».« 

M. F. : _ « Oui.« 

J. C. : _ « Lorsqu’on dit « savoir », c’est joli. Mais lorsqu’on dit « LE savoir »… » _ Jacques Chancel, ce Gascon bigourdan, ne manque décidément pas de finesse…

Et Michel Foucault de répondre magnifiquement alors : « Oui, c’est ça. Imaginez que les gens aient une frénésie de savoir comme une frénésie de faire l’amour. Vous imaginez le nombre de gens qui se bousculeraient à la porte des écoles. Mais ça serait un désastre social total  » _ pour le partage des bénéfices (financiers) des pouvoirs déjà en place ; pour ce que deviendraient les privilèges… Qui veut vraiment la vraie démocratie des épanouissements des compétences (et en tous genres) ?..

Et il poursuit (mais Denis Kambouchner ne poursuit pas ici la citation), très explicitement : « Il faut bien, si l’on veut, restreindre au minimum _ voilà ! _ le nombre de gens qui ont accès au savoir, le présenter sous cette forme parfaitement rébarbative, et ne contraindre les gens au savoir que par des gratifications annexes ou sociales _ et pas directement, ni en substance (comme c’est le cas de toute véritable découverte !), « érotiques«  _ qui sont précisément la concurrence, ou les hauts salaires en fin de course _ de jouissance sadique, cette fois ! Mais je crois qu’il y a un plaisir intrinsèque _ absolument ! _ au savoir, une libido sciendi _ voilà ! _, comme disent les gens savants, dont je ne suis pas » _ et qui se révèle aussi dans l’acte même d’enseigner, ajouterais-je, pour ma part, si j’ose ici me permettre un tel ajout à la parole sur le vif de l’interview de Michel Foucault, en 1975…

Mais Denis Kambouchner dit encore, page 313 : « Depuis Platon (…) cette érotisation est connue _ mais oui ! _ pour être un des plus puissants facteurs _ absolument ! _ de la culture intellectuelle et du perfectionnement de soi ; et sans doute a-t-elle lieu à quelques degrés toutes les fois _ mais oui ! j’en témoigne à mon tour ! _ qu’un professeur a fait cours entouré de ses élèves, au lieu de les avoir face à lui dans une salle de classe » _ mais cela est aussi une affaire de disposition des tables et des chaises ; ainsi que de la mise en scène de la prise (par chacun et tous) de la parole dans l’interaction vivante entre professeur et élèves !.. Et pour Foucault, sinon toujours enseigner, du moins « la recherche est érotique par essence, elle ne fait qu’un avec le mouvement de la vie et de la pensée » ; car « c’est s’aventurer, provoquer, faire événement« , signale Denis Kambouchner page 325 ; alors que pour Denis Kambouchner (et je l’en approuve et y applaudis de toutes mes mains !), il est « pratiquement impossible d’enseigner sans chercher«  _ et c’est fondamental !

Sur la personnalité de l’individu Michel Foucault, lire le témoignage magnifique de Mathieu Lindon, Ce qu’aimer veut dire ; ainsi que mon article du 14 janvier 2011 : Les apprentissages d’amour versus les filiations, ou la lumière des rencontres heureuses d’une vie de Mathieu Lindon

Et avec des moyens (d’enseigner-partager-susciter la curiosité) qui soient adaptés à la diversité elle-même vivante (et enrichissante, quand elle est bien conduite ; et c’est parfois acrobatique…) des élèves dans la diversité elle-même vivante (ni trop éclatée, ni trop uniforme) du groupe-classe (lui-même pas trop nombreux : existent des seuils de faisabilité !..) : groupe-classe que l’on dissout de plus en plus (les individus sont dispatchés en d’autres assemblages, dissolvant les liens se constituant du groupe-classe…), pour des raisons de coût de la masse salariale des enseignants et rentabilité de la « ressource humaine«  que ces enseignants constituent aux égards de la comptabilité… _ ;

étant entendu aussi _ et je reprends ici la fin de ma phrase interrompue par cette longue incise sur l’érotisation du savoir, à la fois en tant qu’apprendre-découvrir et que chercher, et peut-être aussi de l’enseigner, selon Foucault (et Denis Kambouchner) _ que « les systèmes éducatifs les plus performants sont ceux dans lesquels il y a consensus à la fois sur la nature des savoirs à acquérir

et sur les moyens de cette acquisition _ par les élèves.

Par contraste, l’apparente impossibilité _ plus ou moins hystérisée _ de s’accorder sur le type de culture que l’école devrait dispenser

fait une partie de la faiblesse relative mais préoccupante du système français _ encore travaillé cependant (mais pour combien de temps ?) par un assez haut niveau (de tradition persistante républicaine, en dépit des réalismes de plus en plus ouvertement cyniquement décomplexés de certains…) d’exigence de démocratie et justice, de la part d’un nombre assez important de professeurs. Ici, les choix sont clairement directement et immédiatement politiques.

L’histoire de ce dissentiment est lié à l’étonnante longévité d’un système d’éducation des élites hérité du XVIe siècle et qui a perduré, à travers le lycée du XIXe siècle _ via diverses alliances successives dont Denis Kambouchner fait précisément l’historique _, jusqu’au début des années 1960.

Cette longévité a eu sa contrepartie, avec les difficultés spécifiques d’une unification-massification-démocratisation qui n’a ni remplacé clairement ce système par un autre, ni adapté ses éléments à de nouvelles conditions démographiques et socioculturelles, ni perfectionné les voies alternatives de manière à contrebalancer le poids des classements sociaux« , page 16.

« De là aussi la persistance d’une _ nocive _ division des cultures enseignantes _ parmi les professeurs, au premier chef (ainsi que leurs pratiques pédagogiques) _, que la polarisation du débat public a en quelque sorte transposée, et qui laisse encore quelques uns _ bien fautivement… _ imaginer qu’entre la passion _ et l’enthousiasme joyeux _ du savoir _ et de la culture _ et le souci des élèves, de leur progrès et de leur devenir _ matériels et concrets _, il serait nécessaire de choisir : idée navrante, à tous égards contre-productive ô combien ! _, et qu’il faudrait _ on ne saurait assez insister dessus ! _ songer à répudier une fois pour toutes » _ j’y insiste à mon tour… _, page 16 toujours.

D’autre part, « en matière pédagogique, les trois siècles écoulés ont été l’âge des théories » _ successives et frappées très vite d’obsolescence, mais non sans avoir très vite aussi entraîné d’immenses dégâts.

Et « depuis les années 1970 jusqu’à une date fort récente, les textes régissant l’éducation scolaire et même les programmes des divers niveaux et matières ont été en France saturés de théorie« .

Mais « il vaudrait beaucoup mieux que, à l’égard des théories discutées, les textes régissant les institutions restent _ plus prudemment et avec davantage de sérénité, face à la versatilité des modes en ces matières : jusqu’à l’inconsistance et l’incohérence ! on ne les connaît (et subit) que trop « sur le terrain«  ; de même que l’on essaie, aussi, tant bien que mal de s’en protéger… _ neutres et impartiaux _ un peu plus réfléchis et mieux responsables : indépendamment du cynisme de fait de quelques carriéristes « bouffant à tous les rateliers«  qui se succèdent et se remplacent ; la « conscience«  de ceux-là, puisqu’ayant disparu, ne pouvant pas en être (jamais, ni si peu que ce soit) affectée le moins du monde : tournez manèges et passez muscade !..

Cela ne revient pas à demander qu’ils _ ces textes régisseurs des fonctionnements de l’école _ évitent tout concept, mais qu’ils ne contiennent rien qui ne soit véritablement _ tant soit peu, un minimum _ éprouvé, c’est-à-dire passé au crible _ temporel aussi, et donc pris sur davantage de durée ; et d’« expérience«  un peu honnête effectivement partagée… _ de toutes sortes d’objections«  _ un peu sereinement examinées.

Car « il n’y a pas de démocratie au sens fort sans l’idée d’une rationalité _ qui soit vraiment tant soit peu, un minimum _ partagée _ un peu à distance de la pression et des urgences à courte vue, et qui plus est versatiles, des lobbies tirant à hue et à dia en fonction de leurs urgences (bien peu pédagogiques, et encore moins culturelles, celles-là)… _ à laquelle la parole publique et institutionnelle _ vraiment démocratique _ a précisément pour charge _ morale et politique _ de donner corps« , pages 16-17.

La troisième « conviction«  (page 15) forte sur laquelle met l’accent la présentation des objectifs de la recherche de Denis Kambouchner en son Avant-Propos,

est celle de la « dimension humaine de l’éducation scolaire«  _ l’« humanité«  propre (non-inhumaine !) des « sujets«  à aider à advenir et s’accomplir (à l’échelle de leur vie entière), étant envisagée par Denis Kambouchner comme la fin essentielle que doit mettre en valeur son travail d’analyse, et cela supérieurement à toute considération (seulement servile) de moyens, à destination de quelque employabilité (au titre de « ressources humaines« ) que ce soit… _ (pages 15-16) :

« Il n’existe pas et n’existera pas _ numériquement… _ de professeur virtuel _ pas plus, serait-on tenté de dire, que de parent virtuel _ l’éducation n’étant en rien mécanique ; et doit impliquer fondamentalement une vraie affection (parentale ici) pour l’autonomie vraie du sujet à aider à faire advenir en vue de de s’accomplir vraiment, en l’enfant qu’il est encore à ces âges de minorité effective.

Parmi les besoins premiers _ et fondamentaux ! _ des enfants, des adolescents, des jeunes gens, il faut compter le contact direct _ vivant, interactif et nominal (élève par élève = personne par personne) ; et pas par l’astuce (commode et attractivement moins coûteuse financièrement…) de dispositifs de visio-conférences ; mais aussi chaleureusement affectif ! Que fait un « pédagogue qui n’aime pas les enfants« , pour reprendre l’expression du livre éponyme de Henri Roorda, sinon bien des dégâts ?! _ avec une parole adulte _ cf aussi le concept de « bon objet » de Mélanie Klein, dans la cruciale formation du « Soi«  de l’enfant, avec ses conditions affectives et d’échange ultra-personnel… _ qui ne soit ni préfabriquée ni programmée _ formatée _, mais formée _ au plus vivant et vif de l’interlocution interactive (et aimante) hic et nunc : c’est capital ! _ exprès pour eux (cet ajustement spécifique _ et nominatif à l’égard de chacun ! au sein du groupe-classe _ et comme tel imaginatif _ et joyeusement ludique en sa réponse toujours improvisée, en même temps que savante, précise et substantielle, à l’imprévu joyeusement surprenant, au moins en partie, du questionnement (sur le vif !) des élèves ! _ étant d’ailleurs au principe _ et comment !!! _ de toute efficacité pédagogique).« 

« Ils ont besoin en premier lieu d’une parole qui non seulement fixe des règles _ oui, mais non sans souplesse ; pas mécaniquement ! _ et réponde _ vraiment : substantiellement ! _ à leurs questions les plus immédiates _ sur le vif, donc, et en confiance réciproque : une confiance qu’il faut vraiment installer, coudre-construire au fil des échanges, et ne pas trop décevoir ; et cela sans démagogie aucune ! _,

mais les incite à aller voir _ avec une joyeuse très effective curiosité ! à susciter, entretenir et faire rebondir chaque fois que nécessaire ! celle du professeur servant d’exemple ludique et festif, davantage que de modèle (à dupliquer servilement ; cf le mot de Nietzsche, « Vademecum, vadetecum« …), à la curiosité à titiller de ses élèves _ ce qu’ils n’ont pas vu _ en classe : qui est toujours, et forcément, partiel ; et le champ de curiosité étant toujours ouvert, lui, et à l’infini du questionnement et de la méditation éventuelle à nourrir… _,

fasse appel à leur jugement _ toujours ! sur l’importance du juger, cf l’ultime important travail de Hannah Arendt, Juger _,

et d’abord représente auprès d’eux _ en exemple (d’élan, et enthousiaste) plus encore qu’en modèle (à copier, servilement) _ un jugement

à la fois bienveillant _ malheur au « pédagogue qui n’aime pas les enfants« , pour se référer (nous y revoilà !) à l’ouvrage d’Henri Roorda, en 1917 : Le pédagogue n’aime pas les enfants, dont est extrait le premier exergue au livre, page 7 : « Hélas ! l’école ne rend pas fertiles _ soit un but qui devrait être davantage même qu’éminent : prioritaire ! _ les esprits qu’elle cultive _ et ce devrait être en profondeur aussi, et pas superficiellement. Pour cela, il faudrait les remuer plus profondément et leur donner des aliments meilleurs«  ; l’essentiel est dit là ! : « les remuer plus profondément » et « leur donner des aliments meilleurs«  _

et d’abord représente auprès d’eux _ je reprends l’élan de la phrase _ un jugement à la fois bienveillant

et exact«  _ et qui, par l’exemple le plus vivant possible qu’il soit, en l’échange, encourage ainsi vraiment à l’effort (tout à la fois et d’un même mouvement exigeant et heureux) vers la plus grande finesse-justesse (peu à peu munie et étayée de culture) de leur propre permanent penser-juger-évaluer : à aider ainsi à faire advenir (former avec précision et souplesse, les deux à la fois, puis consolider et élargir, toujours, et essayer d’approfondir), en enseignant à ne pas craindre ni l’erreur de la première réponse-esquisse, ni l’effort de sa reprise-correction, afin d’améliorer (et pousser toujours plus loin) ce penser-juger-évaluer, qui sera toujours lui-même en mouvement à jamais ;

Cf Alain : « Quiconque pense commence toujours par se tromper. L’esprit juste se trompe tout autant qu’un autre _ l’esprit faux : non désireux de sa propre justesse _ : son travail propre est de revenir, de ne point s’obstiner, de corriger selon l’objet la première esquisse _ à fin de son amélioration présente et future. Mais il faut une première esquisse _ et oser, en confiance, accomplir cet effort premier : avec le double courage de l’effort de penser, et celui de l’exigence de la justesse ! _ ; il faut un contour fermé _ qui seul permet le nécessaire travail (c’est une dynamique…) de focalisation progressive de l’esprit. L’abstrait est défini par là » ;

pour en déduire : « Selon mon opinion, un sot n’est point tant un homme qui se trompe _ en cherchant à juger-penser-évaluer : et c’est à chaque instant de la vie ! _, qu’un homme qui répète _ mécaniquement, sans être en mesure d’en rendre compte et les justifier vraiment, des formules-solutions toutes prêtes : tel un perroquet ou un ordinateur ! Faute d’oser se lancer dans la dynamique créative féconde du « penser-juger«  : avec vaillance et courage ; cf ici le sublime début du Qu’est-ce que les Lumières ? de Kant… _

qu’un homme qui répète des vérités, sans s’être trompé d’abord comme ont _ de fait ! _ fait ceux qui les ont trouvées » ; « Instruire, c’est former le jugement« , disait on ne peut plus fondamentalement Montaigne de cette mission première du maître à l’égard de l’élève…

« Or, pour être exacte et compréhensive _ les deux à la fois _, ferme et ouverte _ en même temps _, attentive, rigoureuse et modulée _ ensemble et à l’instant, au plus vif de l’ici et maintenant ! _,

la parole adulte doit être _ en effet ! _ instruite _ elle-même et déjà : et c’est un processus lui aussi (et très joyeusement !) infini : il se poursuit toujours… _ à un haut degré« 

_ et cela se façonne (artisanalement) tout au long de l’exercice (large et permanent) d’exister d’une vie, et pas seulement de la vie strictement professionnelle, pour un professeur ; et cela, à la façon dont « se fait » aussi (= se bricole : c’est, sur soi-même, une praxis) le savoir créateur toujours plus expérimenté en même temps que plus créatif (= poïétique) de l’artiste lui-même apprenant à s’accomplir (en cette praxis, acte par acte) en créant (en sa poiesis, œuvre par œuvre) ; et c’est aussi un art ! qu’enseigner ; et pas une technique (mécanique)… ; lire (et relire à plaisir !) les sublimes analyses de Spinoza en son Éthique sur la nature et le processus même de la joie, comme expression affective de l’accomplissement des potentialités (personnelles) ; cf aussi le très beau livre de Jean-Louis Chrétien, en 2007 : La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation _, page 18.

« Le fond de cette relation de parole _ de sujet à sujet ; d’un humain adulte à l’humain qu’il s’agit d’aider à devenir et s’accomplir, en l’enfant, chacun et tous ; à commencer dans le processus vivant et irremplaçable de la classe ; et Denis Kambouchner en traite aussi très précisément… _ a été parfaitement décrit voici cinq siècles par les écrivains humanistes, parmi lesquels Érasme, en compagnie de qui ce livre se terminera _ aux pages de l’ultime et magnifique chapitre, pages 331 à 340.

Érasme dit aussi _ exactement à l’inverse de ce que soutiendra le décidément toujours sinistrement paradoxal Rousseau en son Émile (cf ici l’avis fort pertinent du très fin Denis Diderot sur cet incurablement caractériel et incurablement malheureux de Jean-Jacques !) contre les livres… _

que l’esprit malléable du jeune enfant doit être d’emblée nourri _ voilà ! _ de ce qu’il y a de meilleur dans les meilleurs auteurs _ cf Alain : « Toute pensée est donc entre plusieurs et objet d’échange. Apprendre à penser, c’est donc apprendre à s’accorder ; apprendre à bien penser, c’est s’accorder avec les hommes les plus éminents, par les meilleurs signes«  ; et cela sans esprit de conformisme ; mais seulement d’émulation d’élévation… _ ;

que, pour l’initier _ c’est une dynamique au long cours et qui passe par de l’affectivité : de la joie… _ aux lettres (et aux sciences _ en leur processus joyeusement excitants de construction-création : à la suite des travaux de mon amie Marie-José Mondzain, dont Homo spectator, j’aime parler ici de la fécondité du processus créatif d’« imageance«  ; cf aussi, bien sûr, Gaston Bachelard… _), il ne faut surtout pas attendre, dès lors qu’il sait parler et qu’il est apte à l’instruction morale ;

qu’il n’y a rien à quoi son jeune âge puisse être employé plus utilement ;

qu’il n’y a pas de connaissance des choses sans connaissance des mots _ cf Alain, encore, en ce même texte d’Éléments de philosophie : « Leçons de choses, toujours prématurées ; leçons de signes, lire, écrire, réciter, bien plus urgentes«  ; ni non plus « sans connaissance de phrases«  (c’est-à-dire de « structures syntaxiques«  à apprendre à mettre en œuvre : cf ici la générativité du discours (en une langue) par la parole vivante, telle que l’analyse magnifiquement Noam Chomsky) _ ;

et que les enfants, moins fatigables que les adultes, supportent _ avec mieux que de l’endurance, avec le plaisir d’une passion s’incarnant physiquement en une activité consistante et cohérente suivie et poursuivie _ quantité d’exercices, pourvu qu’ils en sentent l’intérêt _ c’est-à-dire le sens, en un suivi qui demande toujours (et de la part du maître comme de la part de l’élève, en leur échange vivant) un minimum de patience, accompagnant l’effort joyeux de l’exercice ; et qui sera réinvesti ailleurs et plus tard, par l’adulte que l’élève est appelé à devenir, selon les sollicitations de son propre exister… _ et qu’il y entre une dimension de jeu«  _ relire ici, sur l’importance et l’efficacité du playing, l’excellentissime Donald Winnicott… Et comparer avec ce que les coaches sportifs sont capables, sur le terrain et dans le « faire«  effectif, d’obtenir d’efforts très intensifs et prolongés lors des séances (fréquentes) d’entraînement des jeunes qui pratiquent durablement et passionnément un sport… La salle de classe doit être le lieu de cet effort (ludique) de l’exercice joyeux (voire jubilatoire !) du penser-juger ; je ne reviens pas sur les remarques plus haut de Michel Foucault à Jacques Chancel, le 3 octobre 1975 (Denis Kambouchner qualifie, page 328, la « lecture«  des Dits et écrits de Michel Foucault d’« expérience comparable à celle des Essais de Montaigne«  : rien moins !!!…

« Ces textes _ d’Érasme donc _ n’ont rien perdu de leur puissance d’interpellation _ certes ! Et c’est bien une telle interpellation citoyenne qu’aspire à réaliser auprès du lectorat le questionnement philosophique de ce magnifique travail sur le fond qu’est L’École, question philosophique

Dûment médités _ et c’est bien là, avec tout ce que cela implique de durée, d’exigence patiente de penser-juger et de qualité d’attention d’analyse dynamiquement questionnante et réflexive, un exercice spécifiquement philosophique, en effet ; cf le sens de cette action de « méditer«  in les Méditations métaphysiques de Descartes… _,

il se pourrait même qu’ils définissent, ou aident encore à définir _ face à la confusion idéologique tristement endémique qui persiste à régner, dans l’opinion comme dans les sphères dirigeantes : c’est qu’il en existe beaucoup que pareille confusion endémique arrange ! _,

l’essentiel de ce qu’il nous faut, et de ce qu’il faut à tous les enfants, à l’âge du numérique et de l’exigence démocratique d’une « réussite de tous »«  _ cf aussi, ainsi, les très notables avancées de compréhension mutuelle auxquelles sont parvenus un Philippe Meirieu et un Denis Kambouchner lui-même (avec l’ami Bernard Stiegler), dans le récent L’École, le numérique et la société qui vient, aux Éditions Mille et une nuits, en janvier 2012 ; à confronter avec l’état des lieux du débat par Denis Kambouchner en son précédent Une école contre l’autre, aux PUF, en 2000 : il y a treize ans _, pages 18-19.

Cf aussi cette magnifique expression de Stefan Zweig que je trouve en son Érasme, paru en 1934 _ la date est d’importance ! au moment de l’installation au pouvoir d’Hitler… ; d’où le sous-titre donné par Zweig : Grandeur et décadence d’une idée _ :

« Ce qui fera la gloire d’Érasme _ 1469-1536 _,

vaincu _ bientôt et au fil des siècles qui vont suivre, face aux avancées du machiavélisme (Le Prince de Machiavel a été écrit en 1513) dans la modernité qui s’ouvrait alors, en cette Renaissance, puis bientôt cet Âge classique, avec les progrès en suivant du pragmatisme et de l’utilitarisme, appuyés sur la très habile exploitation socio-économique organisée assez rapidement et à grande échelle (cf John Locke, un des premiers, puis Adam Smith, avant bien d’autres) des progrès (au départ assez innocents peut-être, et séparés) des sciences comme des technologies ; Descartes lui-même a très vite l’intuition de la puissance d’efficacité de ce nouage (au moins technico-scientifique, sinon économico-techno-scientifique : « se rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature« , dit-il… ; cf aussi la bien connue métaphore de « l’arbre de la philosophie«  dans sa Lettre-Préface aux Principes de la philosophie) ; mais Denis Kambouchner est mieux qu’un très avisé expert en la matière ; consulter son Descartes et la philosophie morale, aux Éditions Hermann, en 2008… _

ce qui fera la gloire d’Érasme, vaincu dans le domaine des faits _ socio-économiques à l’échelle de l’Histoire longue de notre modernité : mais celle-ci n’est pas finie ! _,

sera d’avoir littérairement frayé la voie à l’idée _ au sens kantien d’idée régulatrice _ humanitaire,

à cette idée très simple et même temps éternelle

que le devoir suprême _ = souverain _ de l’humanité est de devenir toujours plus humaine _ quelle magnifique expression ! _,

toujours plus spirituelle, toujours plus compréhensive«  _ au lieu de devenir « plus inhumaine« 

« Devenir toujours plus humaine » !

Quatre-vingts ans après 1933 et l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne,

c’est toujours, en 2013, un formidable impérieux pari (et inlassable combat à mener) en faveur de cette « voie » de toujours davantage d' »humanisation » de l’humanité,

face aux forces (se voulant _ et proclamant haut et fort _ très réalistes, elles…) du pragmatisme utilitariste (socio-économique) _ plus ou moins discrètement ou ouvertement cynique, ici où là…

« Bien faire l’homme« , dit Montaigne en son ultime (= testamentaire !) chapitre des Essais : De l’expérience  (Essais, III, 13), un chapitre tout bonnement sublime ! ; pour conclure son livre-testament (à destination de ceux qui voudraient bien se souvenir de lui au plus vrai de ce qu’il a pu être et faire (et en témoigner en son écrire et ré-écrire…), grâce à ce que le livre conserve des efforts inlassables de cet écrire vrai, « tant qu’existerait de l’encre et du papier« …) ;

pour conclure son livre-testament, donc, sur l’invocation (essentielle !) d’Apollon et ses Muses… Et tant qu’existeront, aussi, des lecteurs et des re-lecteurs de telles vraies œuvres…

Et ce pari civilisationnel de fond

quant à ce qu’est, et ce que doit être, l’humanité _ ainsi que quant aux valeurs (de l’agir et de l’exister) à hiérarchiser, en conséquence… _

participe aussi, et même pour beaucoup (= fondamentalement !!!) ,

des finalités entre lesquelles choisir, tant collectivement _ pour les décideurs politiques (mais aussi pour les électeurs-citoyens, en amont, lors des élections, que nous sommes encore…) dans les démocraties _ que personnellement _ pour qui y enseigne _,

pour ce qui concerne le fonctionnement même, au quotidien le plus vivant, de l’école.


Que l’on se demande in fine, conclut ainsi son Avant-Propos Denis Kambouchner,

« si une éducation

qui tournerait tout à fait _ la nuance est d’importance : c’est d’abord une affaire d’échelle et de degrés ; ou encore d‘ »équilibre«  et de « proportions«  (et ces termes sont tout simplement capitaux !..), par rapport aux pressions des très puissants (de fait) intérêts socio-économiques, voire de « gouvernance » comptable… : à rebours de leurs propensions impérialistes, voire totalitaires… _

le dos

à la leçon et à la mémoire des humanistes _ et de leur considération « de droit » à propos de ce que doit être l’humanité (cf aussi l’opposition en la seconde moitié du XXe siècle entre les partisans, à la Ernst Bloch, du Principe Espérance et les partisans, à la Hans Jonas, du Principe Responsabilité ; et aussi, tout récemment, le point sur la question de Frédéric Gros, en son Principe Sécurité…)… _,

et qui accepterait de cantonner _ en un « parc«  fermé (ô mânes d’Emmanuel Kant ! ô esprit actif de Peter Sloterdijk !) pour des raisons d’« inutilité » du niveau de main-d’œuvre qualifiée attendu statistiquement sur le marché du travail, et des calculs de coût (de formation) passant ainsi le seuil de l’estimé supportable à nos finances, selon les experts auto-proclamés et assez grassement stipendiés de nos marchés d’affaires privées et publiques… ; cf ici le très joli travail de Nuccio Ordine L’Utilité de l’inutile, aux Belles Lettres, ce mois de janvier 2013 _

le grand nombre des élèves _ à part de la petite minorité devenant seule utile et rentable désormais, à réellement former, elle : et si possible pour les seules tâches dont on (= les actionnaires des entreprises) escompte avoir réellement besoin ;

cf les analyses de Florent Brayard sur le pragmatisme (et l’hyper-méfiance, voire paranoia, l’accompagnant…) de la division des tâches dans l’organigramme du régime nazi, selon ce qui peut se deviner-déduire des intentions d’Hitler, in Auschwitz _ enquête sur un complot nazi ; l’hyper-fragmentation de l’organisation bureaucratique constituant ici un modèle de modernité de « gouvernance«  efficace… _

dans la périphérie _ la plus étroitement utilitaire (sur le marché du travail), et sans nul autre « horizon » ni « perspectives » que le misérable fun convenu et formaté, et hyper-soigné en terme de fonctionnalité efficace (de crétinisation !) des divertissements de masse des industries ad hoc ; relire ici Theodor Adorno, par exemple en ses superbes et plus que jamais actuelles Minima moralia, sous-titrées Réflexions sur la vie mutilée ; un tel game pré-formaté (et fermé) allant à l’inverse du playing (ouvert) dont fait l’éloge Donald Winnicott ; cf aussi là-dessus les très pertinentes analyses de Roland Gori en La Fabrique des imposteurs _

du savoir _ = de la culture _,

pourrait faire autre chose

que son propre malheur«  _ civilisationnel, et à très court terme… _, page 19.

Alors, réfléchissons un peu au choix par Denis Kambouchner de ce titre : L’École, question philosophique

Titus Curiosus, ce 24 février 2013

Vie de Paul Valéry : Idéal d’Art et économie du quotidien _ un exemple

26août

Paul Valéry (Sète, 30 octobre 1871 – Paris, 20 juillet 1945) est probablement le « contemporain capital«  _ selon une expression de Michel Jarrety en son indispensable biographie : Paul Valéry, parue aux Éditions Fayard au mois de mars 2008, en ses 1366 pages : on y apprend beaucoup, beaucoup, et pas seulement de cet immense poète et poïéticien ! (et jusqu’en ses impasses…) _ du siècle passé (du moins sa première moitié) en France.

Et si je me suis personnellement attelé à cette somme, somptueuse qu’est cette biographie de 1366 pages de Paul Valéry par Michel Jarrety _ une merveille de lumières tant sur l’artiste que sur son époque : que de rencontres importantes celui-ci fait ! que de perspectives son inlassable penser (auroral !) sait tracer ! _,

outre que je suis un passionné de l’œuvre multiforme (et trans-genres) de Valéry (en plus de la sensualité sidérante, comprimée à en rompre, de sa poésie : Charmes !),

c’est dans le cadre de mes recherches _ estivales _ sur un musicien lui aussi fondamental, en sa magnifique singularité et originalité foncière _ qu’on se le dise ! approfondies en la solitude volontairement assumée de sa méditation-création-composition ! _, et passionnément épris de poésie _ il réfère très explicitement la plupart de ses œuvres de musique à des pièces de poésie ! _ : Lucien Durosoir,

presque parfait contemporain de Paul Valéry : Boulogne-sur-Seine, 5 décembre 1878 – Bélus (près Peyrehorade, dans les Landes), 4 décembre 1955 _ cf mes articles Musique d’après la guerre et le “continent Durosoir” livre de nouvelles merveilles : fabuleuse “Jouvence” (CD Alpha 164) !!!… J’y reviendrai ! _ ;


dont il faut remarquer, toutefois, l’exacte dissymétrie des parcours artistiques : c’est entre 1900 et 1914 que le violon de Lucien Durosoir brille sur les scènes du monde, de par toute l’Europe (de Berlin et Vienne à Moscou), alors que Paul Valéry, lui, alors produit (et publie) peu et, à part son office de lecteur d’Édouard Lebey, le patron de Havas, se cantonne quasi exclusivement à son antre familial ; tandis que l’après-Guerre voit le (très brillant) devenir mondain et européen (notamment en ses activités internationales au profit des institutions culturelles de la S.D.N.) de Paul Valéry, quand Lucien Durosoir, renonçant à poursuivre sa carrière de virtuose du violon, se consacre, lui, quasi exclusivement _ pardon du pléonasme _ à la création-composition musicale (aux œuvres peaufinées, parfaites !), ne laissant apparaître au concert,

et encore plus souvent privés _ le 25 octobre 1924, pour la sonate pour violon & piano Le Lis + le Quatuor à cordes n°2 ; le 6 novembre 1929, pour Idylle (pour quatuor de flûte, clarinette, cor & basson) ainsi que Rêve (pour violon & piano) ; le 11 juin 1933, pour Oisillon bleu (pour violon & piano) + le Quintette avec piano ; et le 19 juin 1934 pour la sonate pour piano Aube + Improvisation, Maïade & Divertissement (pour violoncelle & piano) + le Quatuor à cordes n°3) _

que publics ! _ le 10 novembre 1920, pour Poème (pour violon, alto & orchestre) ; le 2 février 1922, pour le Quatuor à cordes n°1 ; et le 21 octobre 1930, pour Caprice (pur violoncelle et harpe) + le Quintette avec piano_,

qu’une petite proportion de ses œuvres (moins du tiers) ;

aucune de ses œuvres ne connaissant la publication en partition…

Le souci de la diffusion et de la réception n’est pas son fort : Lucien (survivant de la Guerre et des tranchées) se concentre entièrement sur le travail (seul sacré) de création.

Ce qu’il y a de commun à Lucien Durosoir et Paul Valéry en tant qu’artistes _ et à quoi tous deux doivent très concrètement impérativement « répondre«  au fil du quotidien de leurs vies (et travail de création) _, c’est la situation (reçue) et l’impulsion (creusée) très féconde _ surtout ! _ de la « tension » entre un très puissant et authentiquissime « Idéal d’Art » et l’obligation d’assumer les nécessités du quotidien : pour lesquelles ces deux artistes si singulièrement créateurs vont fournir, au même moment (= l’après Grande Guerre ; on ne sait pas encore que ce sera un Entre-Deux-Guerres : à partir de 1919), deux réponses absolument dissymétriques, donc…

Concrètement,

Paul Valéry doit faire face au changement de situation que lui impose le décès de son Patron (depuis 1900), Édouard Lebey, le 14 février 1922, avec la perte du salaire (confortable) que celui-ci lui assurait ;

et Lucien Durosoir, lui, doit,

d’une part, surmonter le traumatisme violentissime (et pour jamais !) des tranchées, au quotidien, de 1914 à 1918 _ assez loin de ce que vivait (et de ce dont pouvait se faire une « idée » !) « l’arrière«  !.. _ ;

puis, d’autre part, le devoir filial de s’occuper, et au quotidien, de sa mère, devenue totalement impotente en décembre 1921 (de santé très fragilisée, elle ne peut plus désormais se déplacer qu’en fauteuil roulant) :

telles sont _ et quasiment au même moment : décembre 1921 et février 1922 ! _ les circonstances _ contingentes _ que l’un et l’autre rencontrent (et doivent affronter-surmonter) sur le chemin de leur devenir artistique ; et les réalités avec lesquelles « doit faire avec« , aussi, leur « Idéal » du Moi, qui se trouve être aussi, pour chacun d’eux, un « Idéal d’Art » ! : d’où l’apport de leur confrontation-comparaison ici…

Si Luc et Georgie Durosoir emploient fréquemment le mot d' »ermitage » pour le choix de Lucien Durosoir de venir vivre (et écrire de la musique) bien loin du monde des concerts (et de ses mondanités afférentes…) de Paris, en l’occurrence à Bélus _ ce très verdoyant oppidum arboré de l’extrémité occidentale de la Chalosse _, en 1926 _ il s’y installe avec sa mère le 4 septembre _,

et une fois qu’il aura définitivement renoncé _ en décembre 1921 _ aux perspectives de « reprise » de sa carrière de concertiste virtuose du violon _ quand il renonce au contrat qu’il devait signer avec l’Orchestre Symphonique de Boston, que dirige son ami Pierre Monteux ; cf sur cela mon article juste précédent, du 29 juillet dernier : le “continent Durosoir” livre de nouvelles merveilles : fabuleuse “Jouvence” (CD Alpha 164) !!! ; il devait signer ce contrat le lendemain de l’accident rendant à jamais sa mère impotente ; et ne partira donc pas, ni alors, ni jamais, en Amérique ! _ ;

on voit comment, dans son cas, se tissent les rapports entre le parcours artistique et les circonstances à assumer-surmonter ;

Paul Valéry, lui,

va assez vite _ cela lui est quasi consubstantiel, toutefois : dès son installation à Paris en mars 1894, et l’existence assez difficile qu’il y mène, même aidé par les subsides (indispensables) que lui font parvenir sa mère et son frère aîné… _ se trouver partagé « entre la volonté de se préserver » et « d’écrire pour soi« , d’une part _ ce qui prédomine les dix-sept premières années de son mariage, de 1900 à 1917 _ ;

« et la nécessité _ pour assurer sa vie et celle de sa famille : il se marie le 29 mai 1900 avec Jeannie Gobillard, une nièce de Berthe Morisot, et ils ont bientôt leurs deux premiers enfants, Claude et Agathe ; mais la santé fléchissante de son « Patron » (il l’est devenu le 1er août 1900), Édouard Lebey (que les ennuis de santé avaient contraint à prendre un peu de recul avec la direction de l’Agence Havas…), l’oblige à envisager pour son futur d’autres « ressources » financières… _ d’écrire pour autrui _ et de publier », d’autre part…

Du côté de sa nécessité intérieure et de sa priorité d’auteur (même secrète : il ne s’en confie qu’à des amis proches : Pierre Louÿs, André Gide _ ils l’avaient poussé et encouragé puissamment à écrire ! et leur impulsion, à tous deux, avait été, au départ, décisive ! ; même si, pour eux deux, l’objectif entendu était surtout de « publier«  !.. et se faire un nom dans le monde des Lettres… _, ou André Lebey, le neveu du « Patron« …)

_ « Ces Cahiers sont mon vice !« , cite Michel Jarrety page 153 ; ou son « luxe«  prioritaire, vital !!! mais lui-même sait bien que ce « seul fil de ma vie, seul culte, seule morale, seul luxe, seul capital » n’en est pas moins, aussi, « sans doute placement à fonds perdu« , ainsi qu’il l’écrit à son ami André Lebey, en juillet 1906, et que le rapporte Michel Jarrety page 318 : un élément capital pour notre dossier, on le voit !.. ; mais Valéry assume cet « à fonds perdu«  !.. _,

se révèle ce que Michel Jarrety nomme très justement son « robinsonisme«  :

au moment de l’ouverture de « la légendaire série des Cahiers qu’il va tenir jusqu’à sa mort«  (page 151)

_ soit un massif de « deux cent soixante Cahiers qui finira par compter près de trente mille pages« , page 152 : très probablement le Grand Œuvre de Paul Valéry ! même si encore très méconnu de nous : faute de nous y orienter assez clairement !.. _,

en octobre 1894

_ et « pour un demi-siècle, un espace d’écriture privée vient de s’ouvrir _ et sa formidablement jouissive dynamique ! _, où la pensée ne se développe _ et c’est cette dynamique-ci qui le passionne… _ que selon des catégories personnelles _ c’est une condition sine qua non _, et ne s’exprime souvent que dans une langue faite pour soi, une manière d’idiolecte parfois, avec ses abréviations, ses sigles ou encore ses cryptages« , page 151 : soit la quintessence, si peu fréquentée encore aujourd’hui des lecteurs que nous sommes, en 2010, de l’œuvre de Valéry !!! _,

Paul Valéry « passe visiblement _ et pour lui seul _ du dehors du monde _ sans que jamais il se désintéresse, non plus, de « la marche » de celui-ci, bien loin de là ! ; ni de ses effets : Paul a pour une des tâches majeures auprès d’Édouard Lebey de lui lire le flux copieux des dépêches de l’Agence Havas, au fil des jours du monde, donc… _

du dehors du monde, donc,

au dedans de son univers personnel. C’est le laboratoire _ hyper-actif et admirable : génialissime ! _ de sa pensée en même temps que son atelier d’écritures : ici tout s’inscrit _ formidablement _ librement, se compose et se reprend _ sans cesse : extrêmement vivement ! _ dans la diversité de la réflexion et la spontanéité de l’en-avant » ;

d’autant que ces Cahiers « ne répondent à aucun genre » _ comme le souligne fort bien Michel Jarrety _ : « ils échappent au Journal » ; « ne ressortissent pas davantage à l’essai » ; ni « ne sont un _ simple _ espace préparatoire qui leur donnerait le statut de brouillon« … (toujours page 151) : c’est rien moins que le jardin secret de l’expérience « en-avant » du penser même, s’exerçant auroralement, de Valéry, bien loin des soucis (de « pose« , ainsi qu’il se le formule à lui-même) de la moindre communication à autrui, et publication, a fortiori, que ce soit…

Le « luxe« , oui, existentiellement nécessaire _ mais non narcissique ; à ambition d’impersonnalité universelle : les rapports entre intellect et affectivité sont complexes chez Paul Valéry ! de même que sa réticence (récurrente) aux philosophes, à Nietzsche ; et à Freud… _

de son _ très élevé ! _ « Art » à lui : à l’instar _ pas moins ! _ d’un Léonard de Vinci ou d’un Descartes ; un « Art » (qui se veut an-historique ; autant qu’a-biographique) complètement solitaire et non public… Quel « luxe » ! en effet, que si haute exigence de l’exercice débridé et quasi sauvage de ce « penser » si volontairement exacerbé !..


Paul Valéry va y demeurer jusqu’à ses derniers jours extrêmement fidèle ; même si la vie (extérieure) qu’il mène dans les années trente l’amène à un peu plus de relâchement (et de moindre ambition, peut-être…) envers le travail de « penser » de ses Cahiers :

« Le délice _ voilà : Valéry est un délectueux du « penser«  ! _ de penser des idées vierges et d’apercevoir des relations non encore perçues, d’en défaire d’autres qui ne sont pas nécessaires, ne me séduit plus, ne me défend plus, ne me fortifie plus« , laissera-t-il échapper, en un moment d’abattement, en une lettre à Renée Vautier, le 28 mars 1932 _ page 822.

Et page 896, Michel Jarrety juge que, en 1934, « ce sont les dividendes de son œuvre passée qu’il engrange surtout _ voilà la nuance… _ désormais, car, pour le reste, son talent ne se monnaye plus qu’en petits écrits de commande, d’où la haute ambition de jadis s’est retirée sans qu’il se l’avoue » forcément, ou toujours… Alors, en effet, « depuis plus de dix ans que Charmes est paru, l’écriture poétique s’est tarie ; et la théorie même qu’il avait commencé d’exposer avec tant d’éclat en 1928, ne semble plus guère le solliciter ; en Valéry le poète s’est effacé devant le penseur du monde présent, le passeur de la culture en Europe, et l’orateur de la République« , page 901. Tout cela finit par le requérir trop, au point de finir par peser même sur l’enthousiasme des Cahiers

D’autant que, de plus, « il n’appartient plus à ses amis _ à sa famille, cela fait assez longtemps, même si Michel Jarrety ne s’y attarde pas trop : Paul Valéry accordant aussi du temps à ses maîtresses successives : Catherine, Edmée, Renée, Émilie, Jeanne : entre 1920 et 1945… _, ni d’ailleurs _ et c’est ici l’aspect qui nous intéresse présentement, dans la perspective de l’écriture des Cahiers_ non plus à lui-même« , page 903. C’est que « se ménager du temps est nécessaire pour l’esprit. Pour l’esprit, il faut du temps perdu« , ainsi que Paul Valéry le déclare à Dorothy Dudley au mois d’août 1935, page 942…

Et choisir ses fatigues : il en est de plus saines que d’autres…


« Les questions _ ici _ abordées _ en ces si précieux Cahiers ! _ touchent aussi bien à son expression d’écrivain et à la théorie _ de la création, au-delà même de la seule littérature ; de la genèse même du « penser«  jaillissant… _ qu’elle lui inspire _ source de ce qui deviendra pour Paul Valéry la Poétique : un axe majeur (!) qui émerge de ce penser de l’Art, et quant au génie en acte ! _, qu’à l’analyse souvent très précise du langage, à la critique de la philosophie _ trop abstraite, trop coupée des « formes » (ou métaphores, dirais-je)… _, de l’Histoire _ trop tournée, telle qu’elle fonctionne alors du moins, vers un passé factuel pas assez repensé (encore alors : l’École des Annales naîtra cependant bientôt, dans les années trente…) par ses auteurs, et déjà fossilisé : passé ! ce passé… _ ou bien du roman _ arbitraire, lui : « La marquise sortit à cinq heures« … ; et donc sans assez de rigueur en pareille fantaisie trop relâchée… _, au phénomène du rêve et à la variation des processus mentaux, qu’à l’étude des mécaniques de l’Esprit et du Corps _ émotions, sensations, mémoire conscience _ à cet égard la position de Valéry quant aux travaux de Nietzsche et de Freud demanderait autant d’approfondissement et affinage que celle quant à son rapport à la philosophie de Bergson, un peu mieux approchée (sinon affrontée) par lui : Bergson et Valéry ont l’occasion de se rencontrer parfois (notamment à l’Académie française, à partir de 1925 : ils y seront collègues ; comme plus tard, au Collège de France)…

Valéry l’a lui-même écrit : « La  spécialité m’est impossible«  » ; et il s’entend lui opposer : « Vous n’êtes ni poète, ni philosophe, ni géomètre _ ni autre. Vous n’approfondissez rien _ ce que à quoi savent « se consacrer« , eux, les dits et reconnus « spécialistes » spécialisés (de la profession !), sachant, et rien qu’eux, creuser bien plus sérieusement leur sillon ! leur domaine d’autorité (et d’exclusivité sourcilleuse ! en conséquence de quoi…). De quel droit parlez-vous de ceci à quoi vous n’êtes pas exclusivement consacré ? » _ page 152. Valéry, lui, est, dans sa « robinsonade« , librement et parfaitement « trans-genres«  ! Quel « luxe«  ! donc : nous le constatons une fois de plus… Oui, Paul Valéry est un jouisseur de l’action (formidablement exigeante !) du « penser« 

C’est que, aussi, sa « maîtrise de soi par soi » qui caractérise son ambition intellectuelle, en « une sorte d’autothérapie où s’affirme la volonté de renforcer les défenses de l’intellect contre les menaces sentimentales que Madame de R. _ la baronne Sylvie de Rovira : adorée (désirée) sans qu’il ose se déclarer, en sa prime jeunesse, à Montpellier _ a si douloureusement, naguère, fait peser sur lui » _ cf l’épisode du choc salvateur de « la nuit de Gênes« , la (très dramatique) nuit du 4 au 5 octobre 1892, au palais de la Salita San Francesco, où habite sa tante Vittoria Cabella, la sœur de sa mère… _,

c’est que sa « maîtrise de soi par soi » qui caractérise son ambition intellectuelle

« s’accompagne d’une volonté _ très sévère ! _ de dominer les connaissances reçues« , qui « donne aux Cahiers une allure rétrospectivement d’encyclopédie personnelle _ où les réponses sont souvent des questions » _ élément décisif ! de l’esprit valéryen ! Et que « constamment s’affirme le désir de forger ses propres instruments de pensée _ voilà ! _, de rompre avec toutes les idées reçues

_ à l’instar d’un Descartes, dont il admire tant le Discours de la méthode ; ou d’un Vinci : cela donnera son Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, justement en 1894 : avec ce constat que « la recherche (de comment se forme sa propre œuvre : ici pour Léonard…) commence par l’abandon pénible des notions de gloire et des épithètes laudatives« , page 160 : « l’Introduction est une théorie de l’invention, une poétique générale _ voilà ! _ où se dessine _ comme exemplairement _ tout l’universel d’une fabrication« ... _

dans un mouvement de réappropriation _ de l’esprit _ que laisse parfaitement entendre la figure de celui que Valéry nommera le « puissant esprit », qui toujours « bat sa propre  monnaie, et ne tolère dans son secret empire que des pièces qui portent son propre signe »«  : voilà donc la hauteur, valorisée, de l’ambition intellectuelle…


Et Michel Jarrety d’excellemment commenter, pages 152-153 :

« La singularité et le sentiment essentiel d’être différent _ en partie du fait de ses ascendances et corse (Bastia) et italienne (Gênes), probablement : déjà en son enfance à Sète et à Montpellier _ que nous avons vu se faire très tôt chez le petit Paul prennent maintenant une dimension intellectuelle majeure. Mais également toujours existentielle« , souligne Michel Jarrety, qui apporte à ce dossier-ci une lettre, toujours en 1894 (le 10 novembre), de Paul Valéry à André Gide :

« Ce que je sais, c’est que je me sens réellement trop différent _ non peut-être que je le sois plus, mais que je le sente et tende à le sentir _ l’expression parle ! _ plus que n’importe qui _ des gens. Te rappelles-tu : je te disais abandonner les idées que j’avais dès que d’autres me semblaient les avoir. C’est toujours vrai. Je veux être maître chez moi« … Valéry n’est pas un ami du conformisme grégaire !

D’où son « insularisme » ; et « robinsonisme« , donc : ce sont là des expressions siennes…


« Être maître chez soi, comprendre _ au tamis de son questionnement méthodique permanent propre _, et réinventer _ = jamais seulement adhérer, acquiescer, imiter, suivre _ : tel est son « robinsonisme » _ m’y revoilà donc ! _, selon un mot qu’il affectionne ; tel est aussi bien _ dès 1894, donc : Valéry a vingt-trois ans _ l’horizon des Cahiers où il écrit très tôt : « J’existe pour trouver quelque chose. » Innommé, ce quelque chose (…) définit l’en-avant _ follement audacieux (soit un « Idéal d’Art«  !) _ de l’entreprise » _ qui sera celle de l’axe majeur de sa vie.

Et Michel Jarrety de commenter ce qu’il nomme « l’authenticité«  de cette « manière d’autoportrait intellectuel« , dès 1894 : elle « vient tout entière de ce que l’auteur n’écrit que pour soi ; et que, dans le refus de se montrer, il échappe au péril de la pose. C’est une œuvre privée, séparée de l’œuvre publique«  ; et de commenter encore, toujours page 153 : « et du coup, les questions que celle-ci _ l’œuvre publique _ a reprises et rendues familières semblent souvent faire ici l’objet d’un traitement plus personnel encore, plus profond _ voilà ! _ et souvent plus caustique _ voilà ! il n’y a là nul garde-fou… _ où s’affirme la souveraineté d’un Je »

_ car dans le commerce humain, Paul Valéry est d’une (remarquablement égale) exquise amabilité ; jamais il ne se fâche, ne cherchant jamais à convaincre ; de même qu’il garde toujours à distance les opinions d’autrui : le charme (sans efforts, jamais, sur soi, de briller) de sa conversation, sera quasi unanimement apprécié ! Il lui devra sa réussite dans le « monde« , à partir de 1917, et les succès extraordinaires de sa carrière publique des années vingt et trente : élection à l’Académie française (le 19 novembre 1925) ; postes à diverses antennes de la S.D.N. ; administrateur du Centre universitaire méditerranéen de Nice (en 1933)  ; président de la Commission de synthèse de la coopération culturelle pour l’exposition universelle (en 1936) ; chaire de poétique au Collège de France (le 7 mars 1937)…

...
Mais aussi « se découvre« , ainsi
_ ici et à ce moment de sa vie : dès 1894 (dans sa chambre à la Pension de Madame Manton, rue Gay-Lussac) ; puis, encore, à partir de 1900 (chez lui, au domicile familial de la rue de Villejust) _, « la tension » qui marquera l’existence entière de Valéry _ jusqu’à l’organisation même de ses journées : le « penseur«  « à l’exercice«  se réservera dorénavant (dans le cercle familial et ailleurs : toujours !) les heures autour de l’aube pour l’aventure de sa recherche (et création) la plus personnelle, dans la solitude la plus lucidement claire (= « pure«  !) de ces petits matins ! tout au long de sa vie, avec une inflexible discipline de l’esprit ! et surtout avant que le reste de la maisonnée ne s’éveille et répande son tapage… ;

avec ce que lui-même nomme, en ses Cahiers, en 1938, une « exaspération de la répétition«  :

« Je suis né, à vingt ans, exaspéré par la répétition _ c’est-à-dire contre la vie. Se lever, se rhabiller, manger, éliminer, se coucher _ et toujours ces saisons, ces astres. Et l’Histoire ! _ su par cœur. Jusqu’à la folie… Cette table se répète à mes yeux depuis 39 ans ! C’est pourquoi je ne puis souffrir les campagnes, les travaux de la terre, les sillons, l’attente des moissons« , page 1077 : c’est la gangue du déjà prévu (et de ce qu’il faut « suivre » ; ce à quoi il faut « se conformer » : végétativement !) qui l’exaspère !.. Et personnellement, je le comprends pour partager cette sorte de complexion impatiente de la « neuveté«  du vrai singulier ! à rencontrer ! _,

mais aussi « se découvre« , ainsi, « la tension » qui marquera l’existence entière de Valéry

entre _ d’une part _ la volonté de se préserver, d’écrire pour soi

_ à sa table : cf ce mot terrible, page 1198, le mercredi 30 juin 1945, quand le docteur « Gutmann ordonne un  régime lacté, dresse un programme de soins complets, et surtout demande à Valéry de s’aliter. Or c’est à cela qu’il peine à se résoudre : « Mais me séparer de ma table _ d’écriture ! _, c’est me séparer de moi-même, se récrie-t-il. Je n’existe pas sans elle ». Le médecin insiste : on lui installera sur son lit une table d’hôpital. Jeannie _ Madame Valéry _ transporte dans sa chambre le cahier en cours _ voilà ! _, quelques livres, quelques cigarettes également qu’on rechigne à lui interdire ; et pour le reste, Gutmann le rassure : il ne lui demande que de s’aliter quelques jours. Pieux mensonge ? En tout cas, il ne se lèvera plus « , page 153… _,

et _ d’autre part _ la nécessité qui se fera jour par la suite

_ pour trouver de quoi subvenir suffisamment confortablement aux besoins de sa famille, principalement : mais condition toujours relative et seconde, à laquelle Valéry ne se soumet que de mauvais gré, « à reculons« , et souvent avec retards… _

d’écrire pour autrui _ et de publier », page 153 toujours :

une articulation décidément cruciale !

Michel Jarrety compare alors _ en 1894, à l’ouverture des Cahiers _ le « rapport à l’œuvre » (ou au « Livre« ) de Paul Valéry à celui de Mallarmé _ ils sont alors très proches _ et précise ce qu’il qualifie, page 155, de leur « essentielle différence » :

« alors que Mallarmé à tout sacrifié à son œuvre, le jeune Valéry qui commence ses Cahiers se soucie maintenant de renforcer davantage son pouvoir _ d’invention-création par l’esprit _ que de le traduire _ ce « pouvoir« -ci : poïétique, et au sens le plus large : au-delà tant du poème que de la littérature… ; on comprend pourquoi Paul Valéry donnera le nom de « Poétique«  à la chaire que lui offrira le Collège de France, en 1937 : voilà son objet tant principal que principiel : la genèse de la création du génie au travail… _

le jeune Valéry qui commence ses Cahiers se soucie maintenant de renforcer davantage son pouvoir

que de le traduire en des livres _ bouclés, finis _,

et préfère déjà l’exercice _ infini, lui ; indéfiniment poursuivi et repris… _ de l’œuvre à son accomplissement«  _ fini : « la bêtise«  étant, comme souvent, « de conclure« … ; page 155 donc. Et on sait que la « bêtise » n’est « pas le fort«  de Monsieur Teste

Michel Jarrety dira, page 709, que « le tableau que Paul Valéry brosse de la création littéraire _ tel est bien son objet : comprendre et éclairer ce processus imprévisible (= non mécanique ; non algoritmique) de création ! _ est finalement celui d’un ensemble d’aléas, d’obstacles, inégalement surmontés _ voilà : surmonter !!! _, et de repentirs _ aussi : certes ! _ où se sont manifestés tant de moi différents que la figure de l’auteur _ et son aura narcissique _ s’en trouve presque dissoute » _ c’est pré-foucaldien !..

Ce trait-ci _ de négligence relative de l’accomplissement du penser en œuvres achevées _

distingue d’ailleurs

celui _ Paul Valéry _ qui fut marqué à son départ par l’esthétique _ toute d’« évocations » approchées, sinon approximatives ; et toujours approchantes : à l’infini d’un sfumato _ symboliste

_ et Michel Jarrety de citer, pages 1115-1116, un splendide article de Paul de Man (le futur grand ami de Jacques Derrida), venu assister à une conférence donnée à Bruxelles le 9 janvier 1942, par Paul Valéry (sur ses « souvenirs poétiques« ) ; et « recueillir » les « propos » du maître : l’article s’intitule « Paul Valéry et la poésie symboliste » et a paru dans l’édition des 10-11 janvier du Soir de Bruxelles :

« larticle qu’il rédige ce jour-là demeure précieux par le témoignage qu’il nous offre de la découverte qu’une jeune intelligence, tout à coup, pouvait faire d’un vieil écrivain » ; j’y reviendrai un peu plus loin, tant je trouve sa teneur significativement pertinente quant au statut de l’Art et de son Idéal ! Disons pur le moment que selon Paul de Man, la « génération » de Paul Valéry (= la génération « du symbolisme« ), parvint à faire son salut, parce qu’elle trouva une valeur qui permettait de concentrer ses appétits spirituels » « _ il venait de préciser que « le symbolisme était un élargissement extraordinaire de la fonction artistique qui était appelée à embrasser toutes les branches et tous les secteurs de l’activité humaine« , page 1115. Et « cette valeur était l’art«  _ dont tant l’accomplissement, de la part de l’artiste, que le goût (pour accéder à ses jouissances), de la part du public, impliquaient le « respect pour certaines formes de l’intelligence humaine qui ne peuvent s’exercer que dans le calme et la sérénité » (et pas « l’agitation«  ! « grinçante«  et « mécanisée » « du monde moderne« …) ; « et ce respect, Paul Valéry l’a conservé ; et il reste l’élément principal de ses préoccupations et de ses actes. Et cela suffit à donner à cet homme, qu’on a voulu dépeindre comme frivole et léger, une gravité sans bornes lorsqu’il parle de certains aspects de la vie présente« , page 1116 _

et celui,

qu’est le musicien amoureux de poésie : Lucien Durosoir,

_ je poursuis, en filigrane, ici, ma comparaison de ces deux « formes«  de « génie créateur«  en cette première moitié du XXème siècle : deux artistes majeurs !.. et tous deux assumant (même si ce sera selon des formes différentes, et même dissymétriques, à la fin…) leur très puissante singularité ! _

qui se réfère, lui (en frontispice _ c’est à relever _ de beaucoup de ses œuvres musicales),

au modèle d’œuvre _ achevée, au double sens du terme : et dans le temps, et dans la réalisation de son « Idéal artistique«  ! _ des Parnassiens (Leconte de Lisle et Hérédia),

ou, aussi, de l’école romane (de Jean Moréas)

en un geste que je qualifierai, pour l’instant, de « classicissant« ; dans la valorisation d’un modèle (visé) achevé de « forme » (soit à l’inverse de l’inachevé et du sfumato ! symboliste…) ;

même si « libre« , formidablement libre, dans le « jeu » vibrant de ses « mouvements » généreusement riches et puissants,

et richement et puissamment contrapointés, en ce qui se tisse musicalement… _ j’y reviendrai : j’y travaille !

Même si les positions de l’écrivain-poète Paul Valéry

et du musicien Lucien Durosoir

se rejoignent, en revanche et aussi _ et c’est loin d’être négligeable _, sur la place qu’ils accordent au statut _ marginal ; sinon parasite ! _ de la « publication » du meilleur de leur travail : le succès public, la réception des œuvres, n’est, ni pour l’un, ni pour l’autre, leur criterium de valeur de l’Art !..

Ni pour Paul Valéry, ni pour Lucien Durosoir, publier n’est une fin _ et encore moins une priorité ! _ artistique ; mais menace bien plutôt, et même assez gravement, l’authenticité (= la « pureté« …) du travail de l’œuvre _ de la part de (par), et en l’artiste _ :

c’est en effet cette « authenticité«  _ et donc « pureté » ! Valéry engagera un vif débat sur ce qualificatif (et l’idée de « poésie pure« ) avec l’Abbé Brémond (suite à la parution d’un Avant-propos, ou préface, qui fait ainsi alors du bruit dans le Landerneau des Lettres, à un (médiocre) recueil de vers d’un jeune admirateur de ses propres vers, Lucien Fabre : Connaissance de la déesse, en avril 1920) ;

et page 292 Michel Jarrety citait cette expression de 1904 : « seules restent donc paisibles les plus pures heures du petit matin, entre la lampe et le soleil, quand tout le monde dort encore«  à propos des conditions optimales que Valéry revendique pour le travail du penser (et écrire : les deux sont liés pour lui) en son dispositif de fécondité créative… _,

c’est en effet cette « authenticité » _ et « pureté » ! _

qui constitue, et cela, pour l’un, Valéry, comme pour l’autre, Durosoir _ avec la même probité envers l’« Idéal » poétique artistique _, la valeur première pour ces deux créateurs éminemment singuliers, chacun en leur art _ et en leur poïétique ! où se déploie et s’épanouit (en un « jeu » poursuivi, subtilement ajointé, de « formes« …) leur « génie«  _, et si parfaitement originaux : hors écoles et hors courants…

Je reviens à la « tension » chez Paul Valéry entre ce que j’ai qualifié plus haut d’un « très puissant et authentiquissime « Idéal d’Art » », d’une part,

et, d’autre part, « l’obligation d’assumer les nécessités du quotidien« , qui va donner occasion à certains malentendus, et même d’acerbes critiques _ pittoresques : on va le découvrir _ de quelques uns…


Paul Valéry,

dont le tempérament (de « sourcier » amoureux surtout des « départs » ; et « exaspéré de la répétition » : à l’identique !..) lui fait privilégier les « commencements » aux « poursuites », « continuations » et, a fortiori, « achèvements » et « terminaisons », ainsi que nous venons de le voir

_ « Valéry est l’homme de l’entame et du commencement, de la note et du fragment« , dit Michel Jarrety page 162… ; après, il lui faudra, non sans efforts contre lui-même,« ajointer«  et « classer«  ;

et « toute sa difficulté à écrire tiendra souvent au très haut horizon qu’il s’assigne d’abord, avant de laisser inachevés bien des textes _ soit d’assumer de bout en bout (= jusqu’au bout d’une œuvre qu’il pût considérer comme enfin achevée !) pareil différentiel de tension ! _, faute d’avoir su les conduire à la perfection qu’il aurait souhaité leur donner«  ;

et « cette modestie est l’autre face de son orgueil« , commente parfaitement justement Michel Jarrety, page 207 :

Paul Valéry n’est ainsi « homme de lettres«  (« il n’a pas envie de faire de livre« , page 212),

ou même poète (!),

que « par raccroc« 

(cf cet extrait, page 535, du Journal de Gide, rapportant ces mots de Paul Valéry lors d’une conversation entre eux le 20 décembre 1922 : « On veut que je représente la poésie française. On me prend pour un poète ! Mais je m’en fous, moi, de la poésie. Elle ne m’intéresse que par raccroc. C’est par accident que j’ai écrit des vers. Je serais exactement le même si je ne les avais pas écrits« …) : Paul Valéry est d’abord et fondamentalement un penseur du penser,

en sa fondamentale intrépidité !..

Ou un poéticien _ à travers le jeu de la concrétude des formes

en déplacement (tectonique)…

Voilà de quoi soumettre et à Michel Deguy, et à Martin Rueff ;

cf mes articles « la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff _ deuxième parution »

et « De Troie en flammes à la nouvelle Rome : l’admirable “How to read” les poèmes de Michel Deguy de Martin Rueff _ ou surmonter l’abominable détresse du désamour de la langue« 

Et même,

pour me recentrer sur les tendances parfois apparemment velléitaires de Valéry (« Son caractère le porte à la velléité« , insiste Michel Jarrety, page 519, en commentant des remarques de Catherine Pozzi : « le curieux de l’esprit valéryen, c’est qu’il est capable de partir pour une découverte extraordinaire et qu’il se perd (et l’oublie) au bout de quelques pas ; même qu’il ne la voit plus. L’esprit sans volonté, étincelles sans effet«  ; et celle-ci ajoutant alors, pro domo : « Il savait bien qu’il lui fallait une volonté et un esprit de renfort »… : de fait, Valéry lui confie alors la tâche de « mettre de l’ordre«  dans ses si précieux Cahiers !.. ; lui préférant continuer de se consacrer exclusivement à la continuation, aurorale, de leur écriture !!! à l’invention-création ! plutôt qu’à quelque (re-)mise en ordre),

Paul Valéry confiera (cf page 402) à son ami le peintre Jacques-Émile Blanche, en une conversation que celui-ci rapportera,

cette distinction-ci de sa personnalité :

« Personne ne peut influer sur ma pensée ; mais en ce qui concerne mon comportement dans la vie, je reste sans volonté, j’obéis«  : c’était à propos de sa « conversion« , vers 1917, « en homme de salon« , par les soins, aux tous débuts, de Madame Mühlfeld (dite « la Sorcière«  : Jeanne Meyer, épouse de Lucien Mühlfeld ; puis, devenue veuve, de Pierre Blanchenay : ce sera une amie très fidèle de Paul Valéry…) :

de bonne compagnie, et merveilleux causeur,

l’indifférence (voire un certain je-m’en-foutisme : une façon à lui de prendre du recul, de la hauteur, surtout… eu égard à la dynamique verticale de son « Idéal d’Art«  !) de Paul Valéry,

le laisse être entraîné dans l’action (et « le monde«  ; en le distinguant de l’esprit !) où d’autres que lui veulent (assez fort) l’amener… :

Michel Jarrety commente ici, pages 406-407 :

« En quelques semaines _ en 1917 : loin du front, il est vrai… : Paul Valéry se rend la première fois dans le salon de Madame Mühlfeld le 5 juin 1917 (cf page 402) _,

la vie de Valéry a basculé de la quasi réclusion _ rue de Villejust _ aux mondanités«  ;

« c’est comme une métamorphose« 

_ ce que Michel Jarrety caractérise dans la découpe de sa biographie, comme la phase du « retour (1917-1926)«  de Paul Valéry à la publication de ses œuvres (1926 étant l’année de son « apothéose« ), mettant fin à la phase du « repli (1897-1917)« , ou maturation relativement secrète de la créativité valéryenne… _ ;

et un peu plus tard, Valéry lui-même dira (la citation se trouve pages 406-407) de cette part, ici, des mondanités :

« vers le soir, depuis 1918-1919, je n’ai pas envie de travailler. J’ai eu mon matin si cher, et il me plaît _ c’est un critère très fort en lui ! _ de ne pas demeurer sans conversation, sans l’imprévu (limité), les formes et les libertés mondaines, etc.«  (Valéry est aussi un boulimique de curiosité ! tous azimuts ; y compris ce « monde« -là…) ;


même si, plus encore et surtout,

« c’est aussi qu’il songe à l’avenir. Sa situation financière est suspendue à la santé du Patron«  (ce sera le 14 février 1922 que disparaîtra son employeur, Édouard Lebey, l’ancien patron de l’agence Havas, qui l’employait comme secrétaire particulier quelques heures par jour (entre dix heures et treize heures, surtout), depuis le 1er août  1900 ; et lui laissait aussi pas mal de temps libre) ; et, lui, Paul Valéry, « d’un jour à l’autre, peut être amené à vivre de sa plume » exclusivement, désormais… : cela le travaille, sinon le ronge…

Valéry confie à Jacques-Émile Blanche, qui le rapporte (page 442) : « Ma situation est pendue à un fil. Adieu les réflexions infinies

_ voilà ce qui aussi, en effet, l’inquiète… ; dans un entretien de 1935 avec Dorothy Dudley, que celle-ci publiera (dans la revue The Nation, le 18 septembre), il se plaindra de la détérioration imposée maintenant au travail (créateur) de l’esprit : « Il y a une raison pour laquelle les intellectuels ne peuvent pas travailler aujourd’hui : c’est que leur travail n’est pas souhaité ; et qu’en outre il n’y a pas de loisir pour cela. Se ménager du temps est nécessaire pour l’esprit.

Pour l’esprit, il faut du temps perdu« , page 942 _

« Ma situation est pendue à un fil. Adieu les réflexions infinies

et les expériences idéales ! Il faut descendre dans la rue et pousser sa petite voiture des quatre saisons« 

_ avec ses marchandises périssables à proposer à vendre à des chalands acheteurs-consommateurs… _ ;

Michel Jarrety commente : « d’où l’énergie que déploie Valéry pour solidement bâtir _ intransitivement ! _ sur la réputation que lui a faite _ dans « le monde«  des salons !.. _ la Jeune Parque _ et une stratégie s’organise«  dès 1917… ; fin de cette longue incise _,

Paul Valéry, donc,

sépare très nettement œuvre privée

(= les trente mille pages des Cahiers qu’il poursuivra jusqu’à son lit de mort, et dénuées de tout souci de « pose » à l’égard d’éventuels _ impossibles ! _ lecteurs ; avec cette remarque très notable de Paul Valéry, relevée par Michel Jarrety, à la page 1198 de cette biographie, et d’ordre quasi testamentaire, le mercredi 30 mai 1945 : _ la note commence par « Où je me résume«  ! _ :

« Je crois que ce que j’ai trouvé d’important _ je suis sûr de cette valeur _

ne sera pas facile à déchiffrer de mes notes.

Peu importe«  : cela sera l’affaire de l’effort des éventuels (improbables) lecteurs !.. A chacun sa part d’effort, voilà ! ; Valéry a accompli la sienne, d’auteur, dans le travail quotidien auroral des trente mille pages de ces Cahiers ! Au lecteur qui les explorera de bien vouloir entreprendre de « dé-chiffrer » maintenant !

Valéry a toujours été méfiant vis-à-vis des considérations d' »ordre » :

par exemple, en 1938, à propos de ce qu’il allait proférer en son Cours de Poétique au Collège de France, page 1032 : « Je ne sais vraiment pas que dire à mes disciples. Ce n’est pas que la matière manque _ mais l’ordre ; qui est ici impossible ; ou plutôt nécessairement falsificateur« …

Le souci de l’ordre est ainsi distinct, pour lui, et « inverse« , du souci (qui le passionne, lui !) de la création-invention ; et, ainsi, second ; et secondaire…

_ j’adhère assez aussi à ces considérations, pour ma part, si je puis me permettre ; même si j’ai tendance à faire un peu plus confiance que Valéry à la portée, avec à sa part de hasard circonstanciel, du souffle ; et de sa capacité (propre ! une vertu !) de « tenue«  ; par le rythme de la phrase…

Paul Valéry, donc,

sépare très nettement œuvre privée

et œuvre publique…


Celle-ci répond, pour le principal (= d’ordre empirique, ici), à des sollicitations de circonstance, et à des considérations (utilitaires) qui demeurent secondaires, pour Valéry _ sans vanité aucune ;

et même si, aussi, peu à peu lui deviendra « plus amer le sentiment de soumission que les commandes font peser sur lui«  (page 821 se trouve cette remarque à propos de ce « sentiment« -là en 1932),

c’est toute sa vie qu’il conservera, au moins idéalement, sa hiérarchie des priorités ! et se ménagera toujours le temps auroral lumineux de l’invention ouverte, en ses Cahiers !

Il ne cherche pas de reconnaissance (d’esprit) par les autres ; sa forme de personnalité n’en ayant pas besoin

_ de même qu’il est, aussi, vierge de toute préoccupation de prosélytisme de sa part, du moins pour ce qui caractérise l’ordre des « sentiments« , de ce qui est simplement (à l’état brut)  « éprouvé«  :

« Écrire«  est pour lui « une opération _ de dispositifs _ toute distincte de l’expression instantanée de quelque « idée » par le langage immédiatement excitée » ;

et, évoquant en 1937 dans une lettre à Émilie Noulet (donnée page 995) ce qu’il nomme « ses particularités insulaires » :

« Je ne me suis jamais connu le souci de faire partager aux autres mes sentiments sur quelque matière que ce soit«  ; et _ comme spinoziennement _ « ensuite, comme je ne m’intéresse pas à modifier les sentiments des autres, je me trouve, de mon côté, assez insensible _ aussi _ à leur dessein de m’émouvoir. Je ne me sens aucun besoin des passions de mon prochain ; et l’idée ne m’est jamais venue de travailler pour ceux qui demandent à l’écrivain qu’il leur apprenne ou qu’il leur restitue ce que l’on découvre, ou ce que l’on éprouve, simplement en vivant«  _ soit végétativement…

Pas de confusions, donc, en ces matières.

Paul Valéry _ comme Lucien Durosoir, non plus _ ne donne pas dans l’expressionnisme

_ leur « Idéal d’Art« , à l’un comme à l’autre, comporte de l’élévation…

« La forme« 

_ Valéry a « le sens du métier et de la forme« , dit Michel Jarrety à propos des goûts (jusqu’à Cézanne, les Nabis, Picasso en 1901, Gauguin et Matisse) et dégoûts (le cubisme et ce qui suivra) de Valéry en matière d’arts plastiques _,

« la forme » y a ses exigences :

à Bergson, le 11 novembre 1929, Valéry déclare (page 750) :

« Je suis un formel _ ce qui n’est pas du formalisme ! _,

et le fait de procéder par les formes, à partir des formes vers la matière des œuvres ou des idées, donne l’impression d’un intellectualisme par analogie avec la logique.

Mais ces formes sont intuitives dans l’origine »

_ c’est un point qui le sépare probablement d’une démarche davantage « philosophique«  : conceptuelle seulement ;

et j’ajoute ici que, à mes yeux, il en va de même de la composition que pratique en sa musique Lucien Durosoir : ni formalisme sec, ni expressionnisme brut, donc ;

mais la plasticité se moulant dans des « formes«  se métamorphosant

avec une somptuosité de puissance _ sobre, sans recherche d’effets !..  ; et pleine, « habitée«  d’un « monde«  vrai ! qui se déploie : tectoniquement !.. _, assez peu fréquente en l’Art français…

En ces affaires publiques,

les considérants de Valéry

_ la « galette« , se plaît-il à qualifier le premier d’entre eux ; « un jour _ Paul avait vingt-quatre ans _, il s’est risqué à affirmer _ en une lettre à André Gide du 4 février 1895, citée page 174 _ qu’on ne doit rechercher la gloire que pour la « galette » qu’il est avouable _ au moins à cet âge : vingt-quatre ans _ de guigner ; et que la gloire, « il faut vraiment être sidéré d’erreur pour la courir« … De fait, jamais l’œuvre de Valéry ne courtisera le succès ! Ce qui peut-être (par défaut de ce qui se pare alors du nom d’« universalisme« , lui coûtera le prix Nobel de Littérature… Le jury lui préférera l’œuvre supposée plus « accessible«  (romanesque) de Roger Martin du Gard en 1937… _

les considérants de Valéry, donc,

sont presque seulement d’intérêt en ces affaires publiques ;

et il les place à un rang qui demeure pour lui secondaire, et très relatif (non « noble » ! « noble est ce qui trouve en soi-même sa fin, et celle de toute chose«  : cette considération (quasi nietzschéenne) de 1905, en un Cahier, que cite Michel Jarrety page 307, ne sera jamais caduque ! de fait pour lui…)

_ même si :

« pas de silence, de suite _ dans le suivi des idées à faire advenir, mettre au jour _, de profondeur, sans argent ; pas de noblesse _ de l’œuvrer _, sans calme«  (écrit-il pour lui in ses Cahiers, en 1904 _ il vit désormais « en famille« , rue de Villejust… : en plus de son épouse Jeannie, et de la sœur de celle-ci, Paule Gobillard (cette nièce de Berthe Morisot est, elle aussi, peintre), vient de lui naître un fils, Claude, le 14 août 1903 : que viendra rejoindre une petite Agathe, le 7 mars 1906 ; le petit dernier, François, naîtra, lui, seulement en 1916, le 17 juillet) _ : les conditions matérielles (« argent » et « calme » matériel) « jouent« , et ont leur poids ! sur cela aussi : les conditions (en amont des œuvres) nécessaires (au « silence« , au suivi, à la « profondeur », à la « noblesse« ) à l' »authenticité » (ou « pureté« , on l’a vu) de l’opération de la création artistique…


Mais c’est la considération de la « noblesse » (= la finalité suprême de l' »Idéal » de l’Art, où se profile sa vocation d’artiste-créateur) qui importe et l’emporte, en la balance, sur les « expédients » et moyens.

Valéry valorise « le soi-même, incapable de se construire ou d’être construit par quiconque (d’autre que soi !) _ l’authentique _ voilà ! _ par excellence _ ;

cependant que les Lettres (trop mondaines) sont simulation et comédie. Figure et montre de penser et de parler mieux que… soi-même ; feinte fureur et profondeur ; élégance combinée ; perpétuelle triche. Le plus grand art _ rhétorique, ici ! _ de l’auteur est de se faire prêter _ faussement _ le plus possible par qui le lit. Mais il me serait insupportable, quant à moi, de subir qu’on m’attribue _ à tort, donc _ une belle idée, qui ne serait que née _ par pure contingence de conjonction de hasards ou projection rien qu’imaginaire… _ du lecteur et de mon écrit« , écrivait-il dans un de ses Cahiers, en 1905 (toujours page 307). Cela demeure valide toute sa vie.


Par exemple, plus tard, dans une lettre (du 9 janvier 1931, page 621) à son frère aîné Jules (Doyen de la Faculté de Droit de Montpellier),

et alors qu’il est « désormais un ambassadeur officieux de la République » (expression de Michel Jarrety, à propos des activités de Paul Valéry à la S.D.N., par exemple l’année 1927, à la page 664), et qu’il devra à longueur de temps, désormais, « jouer les Bossuet de la IIIème République » (citation d’une lettre à Gide, du 7 juin 1932, donnée à la page 833),

à son frère Jules, donc,

Paul Valéry dit ceci de l’Académie française :

« Quant à moi _ c’est-à-dire indépendamment du souci du confort familial _, je crois que si c’était à refaire, je ne présenterais pas à l’Académie. Je l’ai fait par considération pour les miens ; et les enfants en profitent, en somme _ matériellement. Mais, personnellement _ c’est-à-dire sur le versant de l’œuvre à mener _, les ennuis passent beaucoup les avantages qui en résultent ; les avantages, fumée« …

Plus généralement, Valéry méprise l’utilitarisme :

quand il se consacrera

_ en 1926, « sa carrière a pris un nouveau tour ; mais aussi les affaires internationales et plus largement politiques, l’intéressent plus que la littérature«  maintenant, remarque Michel Jarrety page 646 _

à des conférences sur « le devenir de la civilisation« , dans les années trente _ cf ainsi la parution en 1931 de ses Regards sur le monde actuel_,

il déplorera, en 1933, le fait de plus en plus avéré que « notre politique se réduit dans les esprits qui la façonnent à une invention d’expédients«  _ voilà ! _ ; et regarde « la nécessité politique d’exploiter tout ce qui est dans l’homme de plus bas dans l’ordre psychique comme le plus grand danger de l’heure actuelle« , page 869 :

sachant depuis pas mal de temps (1925) « que l’essentiel de son œuvre _ écrite _ est maintenant derrière lui ; et que ce qu’il écrit désormais, fût-ce avec un éclat qu’on admire, n’est que la menue monnaie d’autre chose _ que le manque de temps l’empêche de poursuivre« ,

il se dédie surtout à une action, nationale ou internationale (pour la S.D.N.) en faveur de la culture et des valeurs de la civilisation :

« Notre urgence à nous, c’est la vie de l’esprit« , déclare-t-il le 8 juillet 1931 à la première session du Comité permanent pour les Lettres et les Arts, à la S.D.N. à Genève _ page 795 _ ;

ces valeurs de la culture et de la civilisation, qu’il sait si bien voir de plus en plus très gravement menacées,

en un « état _ déliquescent _ de la civilisation où la vitesse et l’érosion de la sensibilité _ quelle justesse ! Que dirait-il aujourd’hui ?!! _ menacent la vraie culture« , page 862 _ la détachant de « celles » (les simili « cultures«  : cf Huxley, cf Orwell) qui n’en ont que les oripeaux (nominaux) mensongers !

Il se méfie aussi de l’évolution d’une « éducation _ ah ! _ dont l’objet est bien moins, à ses yeux, la véritable formation de « l’homme de notre temps » _ qui doit, comme toujours, et avec des prodiges de soins, s’instituer ! il n’y a pas, jamais, de génération spontanée… _ que la délivrance, ou l’acquisition _ quand seront-ils à vendre ? _ d’un diplôme, « ennemi mortel de la culture » _ c’est dit ! _ en ce qu’il crée des « illusions de droits acquis », le diplômé conservant « toute sa vie ce brevet d’une science momentanée et purement expédiente »«  _ revoilà le même terme ! _ : en une conférence aux Annales, le 16 janvier 1935 ;

« Je vous avoue que je suis si effrayé de certains symptômes de dégénérescence et d’affaiblissement que je constate (ou crois constater) dans l’allure générale de la production et de la consommation intellectuelles _ expressions pareillement à relever ! cf nos pseudo « industries culturelles«  ! _, que je désespère parfois de l’avenir« , est-il aussi rapporté de cette conférence, page 919.

C’est « qu’il y a aujourd’hui _ dit-il le 1er avril 1935, à Nice, où se tiennent les Cinquièmes Entretiens de la S.D.N., en réponse à un très beau discours de Thomas Mann lu à la tribune par Jules Romains (cf pages 927-928) _ une qualité de lecteurs _ voilà un critère éminemment crucial ; et basique quant à la formation des esprits des hommes : l’intelligence de Valéry pointe réalistement l’essentiel ! _ inférieure à celle d’il y a cinquante ans«  ;

et qu’un « certain soin de la forme » disparaît, aussi _ et ce « soin«  a des effets (civilisationnels : à terme !) de très longue (et profonde) portée… ; cf aussi l’expression déjà citée de Paul de Man, page 1116 : « On ne peut pas, sans conséquences néfastes, perdre tout respect pour certaines formes _ voilà ! _ de l’intelligence humaine qui ne peuvent s’exercer que dans le calme et la sérénité«  _, page 928 ;

et _ le 20 juillet 1937, à Nice, aux Huitièmes Entretiens de la S.D.N. _, Valéry brosse « une sorte de tableau du « mépris croissant » dont l’esprit fait l’objet _ en Europe alors _, et de la situation des intellectuels qui, en dépit des honneurs _ formels ! _ qu’on leur accorde, ne sont que des « voix sans force » _ = sans autorité de l’esprit ! _ parce qu’ils sont simplement « renvoyés à leurs études et à leurs spéculations » » _ rien que théoriques !.. _, page 1001.

Il y a là une tragédie des intelligences les plus lucides, face à la peu résistible puissance des « expédients » ô combien plus efficaces, eux, de la propagande _ on ne dit pas encore alors « la communication«  _ et du rouleau-compresseur des modernes Père Ubu _ Paul Valéry a été un ami d’Alfred Jarry… _ se déchaînant alors, face aux faiblesses (sinon complaisances) de ceux qui savent si mal leur résister _ viendra, entre autres, la débâcle de mai-juin 40…

D’un autre côté,

et à rebours si l’on veut,

assez vite, « on n’a pas manqué de se gausser de le voir _ lui, Paul Valéry _ recevoir, tout ensemble et quêter, les prix, les honneurs, et ce que Catherine _ Pozzi, sa première maîtresse (il fait sa connaissance le 17 juin 1920) _ nomme « les prébendes ». Mais cette course aux ressources _ c’est le mot le plus juste ! _, Valéry a-t-il d’autre choix _ pratique _ que d’y céder ?« , remarque Michel Jarrety page 546.

« Ni ses œuvres poétiques ni ces proses difficiles que sont La Soirée ou l’Introduction ne peuvent lui apporter le revenu confortable dont bénéficient les grands romanciers _ du côté des « productions«  et plus encore « consommations«  plus ou moins « intellectuelles », ainsi qu’il les nomme déjà… L’inquiétude constante de ne pouvoir subvenir  aux besoins de sa famille, cette inquiétude qui a toujours été la sienne depuis le début de son mariage, pourquoi cesserait-elle après la mort du Patron qui, tout à l’inverse, ne peut que l’aggraver ? Ce que certains considèrent comme un appât du gain sur lequel ils s’empressent de jeter l’opprobre, n’est d’abord, parmi tant d’angoisses qui le taraudent, que la réponse à une peur de manquer qui ne le quittera pas« , explique Michel Jarrety page 547.

Elle est bien, en effet, cette « inquiétude » valéryenne, « la réponse à une peur de manquer qui ne le quittera pas«  ; mais « maintenant que la gloire _ gagnée depuis sa fréquentation des salons parisiens à partir de 1917 : Valéry avait alors quarante-six ans _, peut se convertir en or, cette alchimie est comme une victoire sur son propre passé _ de difficulté à bien vivre sans l’aide de sa mère et de son frère ; ou les rentes de son épouse. Et puis cette revanche est aussi _ en quelque façon, même si pas la plus courante (cela se verra à ses échecs au prix Nobel) _ littéraire« ,  page 547 aussi.

En 1923, une lettre du 30 juin 1923 de Robert Desnos

lui balance ceci :

« Monsieur,  je ne vous fais pas l’honneur de vous fréquenter. Peut-être aurais-je cependant recherché votre société si depuis quelques années elle ne s’apparentait à ce que l’Académie  _ Valéry n’en fait pas encore partie : il y sera élu le 19 novembre 1925 ; mais Desnos semble subodorer l’attraction de cette trajectoire pentue… _ peut produire de plus lamentable dans les salons de vieilles rombières et de jeunes « pédérastes » (qu’ils disent) _ impuissants en réalité. Soyez heureux _ mais à quel pauvre compte ! Votre poésie qui put passer _ naguère _ pour du marbre s’est dévoilée _ maintenant qu’il reçoit le Prix des Peintres « pour l’ensemble de son œuvre« , le 15 juin 1923… _  fromage mou, puis vaseline à l’usage des jeunes ci-dessus. Primée comme il convient à pareille cochonnerie par un jury de crétins et d’imbéciles, Ô vous qui avez connu le Vinci _ voilà l’admiration ! _, il n’y a pas de doute que vous ne réalisiez une fortune dans ce honteux négoce. Étant, dieux merci (?), encore assez jeune pour parler poësie et peinture (celle des poëtes) je vous fais mes compliments sur votre récente prise de patente _ aggiornamento de la « prébende«  ! _ et vous adresse tout ce que je peux trouver d’ignominieux et d’insultant dans mes sentiments à l’égard d’un triste sire. Robert Desnos 9 rue de Rivoli« . « Valéry, l’épistole lue, se contente, avant de la ranger, d’inscrire froidement sur l’enveloppe : « Lettre d’injures de M. Robert Desnos« « , commente page 551 Michel Jarrety.

A comparer  avec ces lignes de Jacques Madaule, « le 1er décembre 1937, lorsque la Revue Esprit rend compte de l’attribution du prix Nobel _ de Littérature _ à _ Roger _ Martin du Gard« . « C’est pour étriller » Valéry, « de manière assez rude » :

« Paul Valéry était candidat. A quoi n’est-il pas candidat ? Aucun poète depuis longtemps n’aura pratiqué l’art de faire argent avec la poésie«  _ ou, du moins, l’aura qui peut envelopper ou suivre certaines activités littéraires… Et Madaule « de conclure sans pitié » : « Nous sommes aussi heureux du succès de Martin du Gard que de l’échec de Paul Valéry.«  Martin du Gard, quant à lui, rapportera qu’en Suède, il s’est « souvent entendu poser des questions du genre de celle-ci : « Votre Paul Valéry, c’est une intelligence un peu confuse et assez prétentieuse, n’est-ce pas ?« , page 1009… Tel était _ déjà ! _ l' »air du temps« …

Ou encore avec cette « flèche » de Fernand Vandérem dans Candide, le 4 novembre 1938 :

« La nomination de Paul Valéry à la chaire de « poétique » du Collège de France n’a surpris personne puisqu’elle ne formait qu’une étape de plus dans ce qu’on pourrait appeler, avec lui, sa « conquête méthodique » _ allusion (érudite ! et vacharde…) à un des tous premiers articles (et remarquable de lucidité nous dirions « géopolitique« …) de Valéry, Une Conquête méthodique, paru en janvier 1897 dans la revue londonienne The New Revew de son ami William Henley, sous le titre (modifié) de La Conquête allemande _ de tous les plus hauts postes venant à vaquer dans les lettres », page 1008…

« C’est qu’il n’est pas fâché _ non plus _ de se construire _ ces années vingt : et c’est une manière de « stratégie«  aussi, en effet _ une figure d’écrivain singulier, de donner à comprendre au lecteur que son image ne saurait se réduire simplement à celle du poète, qui n’est qu’une part de sa vérité« , analyse Michel Jarrety page 574 ; la remarque concerne la publication, en novembre 1924, d’un de ses Cahiers, le Cahier B 1910.

Et, correspondant à l’année 1925, Michel Jarrety écrit, page 595, je le redis ici :

« Tout le premier, il sait que l’essentiel de son œuvre est maintenant _ il a cinquante-quatre ans _ derrière lui ; et que ce qu’il écrit désormais, fût-ce avec un éclat qu’on admire, n’est que la menue monnaie d’autre chose _ que le manque de temps _ devenu endémique _ l’empêche de poursuivre » _ avec assez d’assiduité : ses Cahiers, toujours…

D’autant qu’il multiplie, en France comme à l’étranger, les conférences : « elles constituent un complément de revenu substantiel« , page 624 ; mais avec « un coût dont il ne cessera de se plaindre davantage : la fatigue« , page 625. Désormais _ on est en 1926 _, « Valéry n’écrit plus que sous la pression de commandes« , page 633

_ à comparer avec la retraite « studieuse« , en son « ermitage«  landais de Bélus, de Lucien Durosoir à partir du 4 septembre 1926 ;

mais celui-ci, avant de s’installer ainsi dans les Landes, avait fui Paris et la région parisienne :

entre juin 1922, soit six mois après l’accident de sa mère (à la mi-décembre) en leur domicile de Vincennes,

et le 4 septembre 1926, soit leur installation définitive à Bélus, village des Landes,

Lucien Durosoir, accompagnant (et accompagné de) sa mère Louise, a passé 16 mois chez lui à Vincennes et 32 mois loin de Paris (en Bretagne, en Provence, et aussi, déjà dans le Sud-Ouest : Vieux-Boucau et Hendaye ; ainsi que trois cures à Bourbonne-les-Bains) : soit une proportion d’un tiers (Paris) / deux tiers (la province)…

C’est ce monde de « mondanités« -là qu’a fui Lucien Durosoir _ ainsi que les concerts : deux seulement consacrés à ses œuvres durant cette période, et les deux à Paris : un, public, le 2 février 1922 ; l’autre, privé, le 25 octobre 1924 (les 7 concerts d’œuvres de Lucien Durosoir, entre le 10 novembre 1920 et le 19 juin 1934, auront tous lieu à Paris, ou région parisienne) _ afin de se consacrer pleinement désormais à la création musicale ;

fin de l’incise Durosoir…

Revenons à Paul Valéry, en 1926 : « Ce qui dans sa vie était hâte, est devenu tourbillon. Ce ne sont plus quelques dames qui le demandent _ dans les salons du boulevard Saint-Germain, à partir du salon de Madame Mühlberg _ ; c’est tout Paris maintenant qui le réclame pour dîner, parler, penser, préfacer« , écrit page 636 Michel Jarrety ;

il est vrai que Paul Valéry est beaucoup moins « présent » en journée et soirée au domicile familial, rue de Villejust ; il donne aussi un peu de son temps à celles qui seront ses maîtresses, à partir de 1920 et jusqu’à la fin : Catherine, Edmée, Renée, Émilie, Jeanne (qui le quitte le 1er avril 1945 _ »coup de hache«  qui va l’achever : il va mourir le 20 juillet ; soit 111 jours plus tard… _ : elle épouse son confrère éditeur Robert Denoël…)

(et d’autres ; dont, peut-être _ Michel Jarrety n’évoque ici que leur durable amitié _ Victoria Ocampo, la belle-sœur de mon cousin Adolfo Bioy : quand celle-ci est de passage à Paris ; mais elle a bien d’autres amants, dont Roger Caillois et Drieu La Rochelle) ; elle a invité Paul Valéry à venir séjourner à Buenos-Aires ou Mar del Plata…

Et « sa carrière _ celle de Paul Valéry, bien sûr ! _ a pris un autre tour ;

mais aussi les affaires internationales, et plus largement politiques, l’intéressent plus que la littérature« , page 646.

« Désormais ambassadeur officieux de la République »,

« dans les milieux de la République, le voilà maintenant qui évolue comme un poisson dans l’eau.

Décidément, synthétise Michel Jarret page 664,cette année 1926 qui s’achève

est bien un tournant _ pour la carrière de Paul Valéry _ ; et le pouvoir de nouveau le séduit« …


« Comment être sur tous les fronts et prendre le temps d’écrire quand il faut constamment parler ?« 
, commente Michel Jarrety, page 693.

Et Julien Luchaire _ « intellectuel désintéressé«  (Bordeaux, 1876 – Paris, 1962) _, « qui a laissé des mémoires écrits avec élégance et élévation« ,

« brosse de Valéry un portrait noble et pénétrant« , page 763 _ on va pouvoir ici en juger _ :

« J’avais été curieux de voir comment se comporterait, dans l’imprécis et le discursif, des débats d’une commission _ à la S.D.N. _, ce condensateur de pensées ; il s’y montra plus que courtois : d’une gentillesse parfaite. Il s’adaptait d’abord au captieux ordre du jour, puis s’échappait à la poursuite d’un vol d’idées si subtilement accordées qu’on ne pouvait le suivre : il s’en apercevait, revenait de bonne grâce, puis recommençait. Ce délicat oiseau, aux plumes chatoyantes, venu d’on ne sait quelle île lumineuse et parfumée, heurtait ses ailes aux barreaux de sa cage : on voyait seulement sur son fin visage maigre une contraction rapide, qui se fondait en un sourire.

Mais la vie tout entière était pour lui une cage. Je l’ai vu parfois triste. Pour tenir son rang, dans une société qui, après l’avoir laissé longtemps dans l’obscurité, avait fait de lui un prince sans apanage _ et voilà bien en effet le nœud de l’affaire ! _, il devait faire le métier de conférencier, pour lequel il n’avait aucun goût _ c’étaient les petits comités d’initiés qui convenaient à ce brillant causeur. Quand on ne publie que de courtes œuvres splendidement hermétiques _ en effet ! « élitiste«  n’était pas encore du vocabulaire du tout-venant… _, il faut encore, pour monnayer un peu le titre envié de membre de l’Académie française, continuer à fréquenter _ ô le pensum ! _ les salons qui vous l’ont procuré. Valéry devait souvent jouer cette comédie mélancolique, qui aurait pu s’intituler : le Mondain malgré lui _ c’est magnifiquement bien observé ! Et le pire est peut-être de s’apercevoir parfois _ en pleine conscience _ qu’on s’y résigne _ au lieu d’activités infiniment plus créatrices !..

Il se levait avant l’aube, pour pouvoir _ encore _ travailler en paix dans son bureau qu’encombraient ensuite les vains courtisans de sa gloire. Puis il partait _ l’après-midi ou le soir _ pour les lieux dorés où la même gloire _ vaine ! = la réputation de la part de ceux qui ne savent pas… _ attend des hommes de génie les mots spirituels ou profonds qu’ils n’ont pas toujours envie de dire.


La tristesse de Paul Valéry était pour moi son trait le plus frappant ; elle me le rendait très cher _ Julien Luchaire est décidément très sensible et très fin… _, ce que je n’avais jamais osé lui dire ; elle contrastait de la façon la plus séduisante avec la vivacité de ses gestes, sa chaude voix méditerranéenne, et la flamme de sa persistante jeunesse _ oui ! _ qui s’allumait facilement dans ses yeux clairs. Tristesse de l’homme qui passe à réfléchir sur la vie, que rien n’empêche d’aller en pensée jusqu’au fond de la vie, et d’y trouver la douleur. Souffrance de l’être né extrêmement sensible, et qui s’est donné pour tâche d’accroître jusqu’au paroxysme _ oui ! _ sa faculté de sentir

_ en l’Esthétique, déjà constituée « par tous les ouvrages qui s’y trouvent consacrés« , Paul Valéry propose de se repérer en la répartissant « en deux groupes«  :

celui de la Poïétique (qui « assemblerait  tout ce qui concerne la production des œuvres » et regrouperait « d’une part l’étude de l’invention et de la composition, le rôle du hasard, celui de la réflexion, celui de l’imitation ; celui de la culture et du milieu _ ce qui (« invention« , « composition« , « hasard« , « réflexion«  !), lui, l’intéresse en priorité ! _ ; d’autre part, l’examen et l’analyse des techniques, procédés, instruments, matériaux, moyens et suppôts d’action« …) ;

et celui qu’il choisit de nommer l’« Esthésique » : « j’y mettrais tout ce qui se rapporte à l’étude des sensations » (brutes, en quelque sorte ; et concerne beaucoup moins le travail de l’artiste-créateur… ; cf page 1003 : in son Discours au IIe Congrés International d’Esthétique et de Science de l’Art, le 8 août 1937…). Mais ce n’est pas encore là ce qu’il va explorer en son Cours de Poétique du Collège de France…

Mais même en ses Leçons de Poétique, données au Collège de France, Paul Valéry ne s’est jamais voulu un pédagogue didacticien, surplombant une fois pour toutes, d’en-haut, ce qui ne cessait de sourdre peu à peu (et plus encore, allait sourdre) de son chantier en cours _ et work in progress

Ainsi Valéry ne manquait-il pas d’ironiser sur Hegel et ses abstractions… Pour lui, tout se jouait nécessairement dans la survenue figurée des formes, et la plasticité infinie du ballet des mouvements de leur formation, genèse et métamorphoses en cours ; et qu’il convoquait…

Et « au mois de mars 1941, devant un micro à la radio, il _ Paul Valéry _ confiera que son cours _ au Collège de France _ « n’est pas un enseignement » _ de quelque corpus académique à synthétiser et re-transmettre _, et qu’il est « fondé uniquement sur l’observation personnelle » et sur son « expérience propre » : « Je ne sais pas autre chose que ce que j’ai fait moi-même »« , rapporte Michel Jarrety, page 1007 : devait-il donc comme s’en excuser ?.. Que non !

Et Michel Jarrety de remarquer aussi, juste avant, pour corriger quelques impressions (plutôt déçues) d’auditeurs, que :

« comment, à seulement écouter ce texte très écrit et souvent difficile, être sensible à la complexité, et surtout à la nouveauté _ assez radicale _ de la pensée _ originale ! et en cela singulière… _ de la littérature que ces pages _ du Cours de Poétique _ développent ?« ..

Puis d’annoncer, en commentaire on ne peut plus judicieux, que « le bouleversement qu’elles portent en germes, on ne s’en avisera vraiment que dans les années soixante et soixante-dix, quand l’Université, s’éloignant _ par exemple dans (avec ; et par) le penser d’un Roland Barthes… _ de l’histoire littéraire, portera davantage intérêt aux faits de langage et aux formes » _ les re-voilà ! ; ainsi qu’aux dispositifs (notamment langagiers).

Et d’ajouter ici : « Par leurs titres mêmes, deux nouvelles revues, Tel Quel et Poétique, attesteront alors la place qu’aura prise la pensée _ toute en action : en son seul courageux « faire«  _ de Valéry« … Je pense ici aussi aux démarches de Deleuze, de Foucault, de Derrida, de Lyotard…

Fin de cette longue incise sur le Cours de Poétique au Collège de France ;

et retour au portrait de Paul Valéry tel que le brosse superbement Julien Luchaire, rapporté page 763.


N’étant pas romancier ni dramaturge, un Valéry n’a pas eu la joie de la compagnie d’êtres vivants issus de sa propre fantaisie ; poète, il ne s’amusait pas, comme d’autres, avec les images et les sons ; il ne s’en servait que pour donner corps
_ ou formes… _ à la plus sensible pensée, pour la précipiter _ voilà : à la manière des chimistes _ en un dur et éclatant cristal ; il devait y comprimer _ voilà ! _ l’émotion même ; il n’avait pas le soulagement de s’y abandonner.

Et le tourment s’accroît lorsque « l’esprit consacré à l’Esprit » songe à quel point ce qu’il y a de plus pur _ un concept assez valéryen, en son approche concrète de l’« Idéal«  _ dans l’homme _ c’est de cela qu’il s’agit ! _ est peu de choses dans le chaos des affaires humaines _ infiniment moins pures, donc, dans ce mélange sur-embrouillé (et tragique de ses millions de victimes !) _, et que, se sentant appelé à les conduire, l’esprit doit le plus souvent les fuir et, pour survivre, se réfugier en lui-même. Valéry était sans doute venu à Genève _ à la S.D.N. _ avec un frêle espoir qu’on y trouverait quelques accommodements entre l’Esprit et l’Action«  _ extrait de la « Confession d’un Français moyen« , de Julien Luchaire…

Au final de tout cela,

c’est un Valéry secret (et audacieusement singulier !) qui se fait peu à peu jour, à la lecture de ce Paul Valéry, ce beau, grand et généreux livre de Michel Jarrety ;

et un Valéry dont l’œuvre visible, publié, et le plus aisément accessible,

n’apparaît, enfin, que comme l’infime partie émergée

d’un formidable gigantesque iceberg : les trente mille pages de ses Cahiers matinaux _ voire matutinaux !.. _ ;

à charge, pour le lecteur

que chacun peut (ou doit, lui aussi, courageusement) être,

d’en dégager (enfin ?) de l’ordre ;

quelque ordre ;

sinon son ordre sien

_ on peut penser ici à la réception (distraite !) par Paul Valéry de la lecture que fit de son Cimetière marin, et de tout son Charmes , Alain (« à la fin de 1928, le volume sera publié chez Gallimard sous le titre de Charmes _ poèmes de Paul Valéry _ commentés par Alain« ) : Valéry laisse au lecteur la responsabilité de sa lecture ;

et Michel Jarrety, d’ajouter, page 717 :

« En plaçant Charmes sous le signe des idées _ et non par l’approche des « formes« … _, en écrivant ce qu’il a déjà écrit dans ses Propos avant de le répéter à Lefèvre : « Paul Valéry est notre Lucrèce » _ cf de Frédéric Lefèvre : « Une heure avec Alain« , in Les Nouvelles littéraires, 18 février 1928 _,

il n’est pas sûr qu’Alain n’ait pas, lui aussi, conforté la légende du poète de l’intellect« 


Voici,

en manière de conclusion un peu interrogative face au mystère de la singularité-Valéry,

le portrait de Paul Valéry que traça la plume d’Alain à la suite du déjeuner qui l’avait réuni au poète, sous les auspices de Henri Mondor, au restaurant La Pérouse, le 26 juin 1928 ;

et qui est présent dans le commentaire par Alain du Charmes de Valéry paru chez Gallimard :


« Cet homme, petit, porte une tête redoutable par l’attention et le mépris, aussi par une gaîté de bon aloi, remarquable par une puissance d’expression tragique incomparable. Il y a de l’amitié dans cette expression et une absence (comme il dit) ou une distraction (comme on dit) effrayante, au-dessous d’une boîte carrée de combinaisons où dort tout le langage. Les gros yeux, brillants comme des diamants, refusent le petit objet et s’égalent à l’univers auquel ils sont tangents par leur courbure, ils voient au loin et ils voient des rapports. Les sourcils menacent les naïfs« … _ cela aussi, c’est écrire ! Pages 716-717…

Voilà donc ce parcours de l’aventure valéryenne _ un exemple.


Un exemple à la fois poétique et poïétique

de la tension de l' »Idéal d’Art« 

et des nécessités adjacentes

_ et adjuvantes, pour le meilleur ; mais aussi dissolvantes, ravageuses, pour le pire :

à nous de « retourner«  l’obstacle en élément dynamisant ! en pharmakon

cf cette expression, page 709, à propos de cet « ensemble d’aléas, d’obstacles inégalement surmontés, et de repentirs où se sont manifestés tant de moi différents que la figure de l’auteur s’en trouve presque dissoute » :

ou métamorphosée ; re-construite, la « figure« , en des ré-inventions (artistes), à condition qu’elles soient lumineuses de probité (ou « pures« ) ;

la nuance du « presque« , à propos de la « figure«  près d’être « dissoute« , étant déjà intéressante _,

et de l' »économie« , assez incontournable, « du quotidien« ,

telle qu’elle m’apparaît,

cette « tension » porteuse,

à la lecture, à laquelle je me suis essayé, des 1212 pages (sans les notes, index, bibliographie, table des matières) de ce magnifique Paul Valéry de Michel Jarrety…


Un exemple auquel je puis comparer

celui du musicien Lucien Durosoir (1878-1955) à l’œuvre, lui aussi,

face à ce nœud paradoxalement très intime de l’articulation entre

un très proche « Idéal d’Art » _ qualitatif ! et centripète _

et les prégnances plus communes, et relativement assez partagées _ quantitatives, et centrifuges… _, de « l’économie du quotidien « …


L’œuvre de Durosoir, quoique (ou parce que !) totalement impubliée de son vivant,

dispose d’un fini _ classicisant ? _ remarquable,

en ce qu’il _ l’artiste ! _ surmonte

et met en « formes« , tellement intenses, fortes,

de flux denses déjà lumineux :

c’est _ processus et résultat : poiesis et œuvre finale _

proprement bouleversant…

« Ô récompense après une pensée

Qu’un long regard sur le calme des dieux !« 

Paul Valéry, Le cimetière marin (in Charmes)

Titus Curiosus, ce 26 août 2010

Le terrible déficit démocratique du « machin » européen : quelques enjeux de la crise grecque à l’aune des spéculations allemandes, selon Daniel Cohn-Bendit

29avr

Hier, mercredi 28 avril 2010, un excellent article dans Libération, à la page 4 :

une interview lucidissime du très souvent plus que fin Daniel Cohn-Bendit : «L’Allemagne ne jure que par une chose : la pédagogie du fouet», par Jean Quatremer _ nourrie de mes farcissures, si on le veut bien… : on peut aussi leur sauter par-dessus… _ :

Monde 28/04/2010 à 00h00

«L’Allemagne ne jure que par une chose : la pédagogie du fouet»

Interview

Daniel Cohn-Bendit explique _ bien clairement _ les réticences de Berlin à l’idée de secourir une Grèce en faillite :

15 réactions

Par JEAN QUATREMER BRUXELLES (UE), de notre correspondant

Daniel Cohn-Bendit est coprésident du groupe des Verts au Parlement européen. De nationalité allemande, il a été élu alternativement en France et en Allemagne. Il analyse les réticences _ d’expert ! _ de Berlin à venir en aide à la Grèce.

On a assisté à une campagne xénophobe dans une partie de la presse allemande à l’égard des Grecs, ceux-ci se voyant qualifiés de «menteurs», de «voleurs», de «fainéants». A-t-elle trouvé un fort écho dans la classe politique ?

Cette campagne folle _ voilà : déraisonnable, irrationnelle : une pente fâcheuse s’accentuant ces derniers temps-ci par divers coins (et pas seulement « coins« , hélas) de notre Europe : je me sens, pour ma part, et personnellement, si j’ose dire, très « européen«  _, qui a même vu des députés _ qui devraient faire preuve d’un peu plus de responsabilité civique (et d’un peu moins de populisme : carriériste ! ; les avantages et « extras«  afférant à la fonction étant assez confortables : par exemple, en France, ceux tenant à leurs « retraites« … : « charité bien ordonnée » ; nous connaissons la suite ! c’est triste !) _ suggérer aux Grecs de vendre leurs îles _ !!! à des promoteurs immobiliers, et autres patrons de BTP : allemands, par exemple ! _ pour combler leur déficit budgétaire, montre qu’il y a un repli sur soi d’une partie de l’élite _ le terme est-il vraiment approprié : nomenklatura conviendrait mieux ! _ politique, intellectuelle _ aïe !!! qui sont-ils donc ? qui Daniel Cohn-Bendit peut-il pareillement qualifier ? des journalistes ?.. _ et économique, qu’elle soit de droite ou de gauche d’ailleurs.

Il est de bon ton de penser, au sein de cette _ pseudo _ élite, que si la zone euro _ voilà ce qui les intéresse : un territoire de souveraineté économique et financière ! « sous contrôle«  de « bénéfices«  ! _ est confrontée à une crise, c’est parce que Berlin _ à la longue histoire : passée la parenthèse de Bonn (et de Pankow)… _ n’a plus la mainmise _ voilà _ sur l’Europe _ soit la cour de son jardin (ou Empire) _ et que les autres pays n’ont pas adopté _ = rallié _ le modèle allemand, du moins le modèle _ idéal = idéologique _ qu’elle aime projeter à l’extérieur.

Cela étant, ce n’est pas la première fois _ en effet ! _ que l’Allemagne connaît ce type de sursaut national : le chancelier Helmut Kohl lui-même _ mais oui ! de même que Helmut Schröder, ensuite…  _ ne voulait pas que ce qu’il appelait avec mépris le «Club Med», c’est-à-dire l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la Grèce, entrent dans l’Euro _ le nouveau nom du Mark… Finalement, il l’a accepté en échange du _ verrou (de sécurité) du _ pacte de stabilité, qui garantissait que la monnaie unique ressemblerait au Deutsche Mark _ voilà !

Cette campagne antigrecque n’est donc pas de la xénophobie ?

Pas au sens classique _ la nuance est intéressante ! _ du terme. La France pense _ se représente, s’imagine (narcissiquement) _ que l’Europe est une grande France ; et l’Allemagne _ chacune dans sa bulle ; Sloterdijck dirait dans sa « sphère«  ; cf Sphères _ pense que la zone euro est une grande Allemagne _ mais pas tout à fait selon la même représentation de la « grandeur« , toutefois : entre le roi-soleil (de Versailles) et le roi-soldat (de Potsdam), une vieille rivalité de « double«  : cf René Girard : Achever Clausewitz, chapitre VII, « La France et l’Allemagne« , pages 269 à 327 : je viens de le lire… C’est du souverainisme économique _ ou pratique d’« empire«  _, qui se traduit par des relents xénophobes dans les tabloïds _ et dans les esprits et les cœurs des plus fragiles et perméables à cette rhétorique…

Le fond du problème est que la nouvelle _ générationnellement _ classe dirigeante, au-delà des préoccupations de politique intérieure _ ah ! la cuisine électorale ! demeurer au pouvoir… _ de Merkel, entretient désormais une distance _ = insensibilité, froideur _ émotionnelle vis-à-vis de l’Europe. L’Allemagne, durant la crise, n’a accepté qu’à reculons des solutions européennes, car elle pensait _ = croyait : le philosophe Alain distingue admirablement « penser«  de « croire«  _ pouvoir s’en sortir _ et faire des bénéfices _ par ses propres forces. La réalité l’a _ durement ! _ détrompée. L’élite médiatique et politique ne comprend pas _ c’est dangereux ! la bêtise… _ la nécessité _ bien comprise au niveau, déjà (= primaire !), des seuls « intérêts«  : à la anglo-saxonne, utilitariste… _ de la solidarité _ voilà ! _ et pense _ croit ! _ que l’Allemagne peut vivre _ et prospérer _ seule. Elle ne jure que par une chose, la pédagogie du fouet _ = la schlague… _ : il faut fouetter les mauvais élèves _ voilà : ces récalcitrants à la raison universelle ! _ de l’UE jusqu’à ce qu’ils se comportent _ selon le dressage behavioriste bien compris _ comme le veulent les Allemands.

S’agit-il d’une volonté de dominer l’Europe ?

Je crois plutôt que l’Allemagne, comme le dit le philosophe allemand Ulrich Beck _ cf son Pour un empire européen  _, se pense désormais comme une grande Suisse ou une petite Chine exportatrice. Comme elle est dans l’UE et dans l’euro, elle doit faire avec, mais elle veut mener la barque au plus près de ses intérêts nationaux _ business is business ; et c’est tout ! Une idéologie en expansion depuis Thatcher et Reagan…

Les hésitations allemandes, depuis le début de la crise grecque, ont fait chuter l’euro face au dollar. Berlin ne veut plus d’un euro fort ?

Je suis persuadé que le gouvernement, en laissant pourrir _ voilà ! _ la situation grecque, a sciemment _ oui _ voulu faire une dévaluation compétitive de l’euro _ rien moins ! tout bénéfice pour soi seul… _ afin de favoriser son commerce extérieur _ c’est tellement important ! Il savait qu’en hésitant à venir en aide à la Grèce, il pousserait _ immédiatement _ les marchés, toujours inquiets _ et immédiatement « réactifs«  au moindre « signe » : cf « État de vigilance«  de Michaël Foessel… _, à vendre de l’Euro. C’est un succès _ bravo ! _ puisque les exportations allemandes se sont envolées. Le pays s’est offert le luxe _ narcissiquede démontrer _ urbi et orbi _ qu’il pouvait à lui seul _ voilà la logique du pouvoir… _ décider de faire baisser _ par les autres _ l’Euro, ce qui montre que le souverainisme économique allemand est à court terme payant _ que demandent les spéculateurs, en effet, sinon du rendement et profit au plus court terme ?..

Cela va conforter l’élite _ de pouvoir : la nomenklatura qui fait, en parfaite bonne conscience et satisfaction de soi, ses choux gras… _ dans son approche de l’Europe : c’est désespérant _ conclut Dany, qui raisonne à un peu plus long terme ; et un peu plus « responsablement« , semble-t-il, lui…

Toutefois, une partie des médias conservateurs, comme le Frankfurter Allgemeine Zeitung et Die Welt, commence à réaliser _ avec un chouia de plus de plus de recul : plus lucidement _ que Merkel _ la bonne crémière… _ joue avec le feu _ voilà _ et lui conseillent d’accepter le plus rapidement possible _ ça urge ! il y a le feu au lac ! _ une aide à la Grèce.

Est-ce que Berlin accepterait l’Euro aujourd’hui ?

Lâcher le Mark aujourd’hui serait _ empiriquement _ impossible. Ceux qui ont fait l’Euro _ en 1998 et jusque là _, ce sont ceux qui avaient encore conscience _ voilà _ des raisons pour lesquelles on a construit _ même de bric et de broc ce « machin«  assurément bien trop bancal qu’est encore _ l’Europe : ils avaient vécu la Seconde Guerre, ce qui n’est pas le cas des dirigeants actuels _ plus étourdis… Les politiques ne sont plus conscients _ c’est dangereux ! _ des nécessités historiques _ lourdes ! terribles ! _, ils sont dans la gestion quotidienne _ sans assez d’esprit de perspective… _ d’une crise qu’ils ne maîtrisent pas.

Au secours ! donc ! Il y a péril en la demeure ! Réveillons-nous vite !

C’est une autre Europe que ce sinistre « machin« -là,

celui qui suscite (et fonctionne avec) des Durão Barroso, Van Rompuy, Catherine Ashton et autres fantoches _ au service de quels intérêts ? Pas ceux de la démocratie, en tout cas ! Les citoyens n’ayant aucun pouvoir de contrôle ni de sanction sur les décisions qui en émanent !!! c’est grave ! _,

qu’ont voulu beaucoup de ceux qui ont voté « Non » au référendum français du 29 mai 2005 à propos de la bien mal nommée alors « constitution » européenne ! 

La puissance ne fait pas tout ; elle n’est qu’un moyen : aux services de fins,

à déterminer démocratiquement ; c’est-à-dire après débats contradictoires suffisants et bien informés !

En attendant,

la démocratie souffre !


Dans le numéro de ce même jour, mercredi 28 avril 2010,

Libération proposait aussi, à la page 19 cette fois,  un très intéressant _ encore ! _ « Rebonds » de Bernard Guetta : « Quatre raisons de ne pas désespérer de l’Europe » :

j’y renvoie bien volontiers aussi ; les analyses en sont et très précises et très nuancées !.. Et contribuent excellemment au débat en cours : à étoffer d’urgence en qualité !


J’apprécie pas mal Libération ces temps-ci…


Titus Curiosus, ce 29 avril 2010

Post-scriptum,

le lendemain, 30 avril :

Cf aussi ces deux _ excellents ! _ commentaires de lecteurs

à un éditorial du Monde (du 29 avril, lui aussi : L’Europe à quitte ou double ) :

_ « On ne pouvait rêver meilleure démonstration _ en effet ! _ des insuffisances _ le mot est faible (et dépend du point de vue selon lequel on se place : il y a des « insuffisances«  voulues et calculées… _ du traité de Lisbonne (né TCE, à un poil près) : l’attribution du pouvoir effectif _ voilà ! _ à une délégation des exécutifs nationaux, l’inexistence de toute coordination politique européenne entre partis _ supposés ou s’affichant comme _ « proches » _ pourtant… _, la réduction du Parlement _ européen _ à un rôle de chambre d’enregistrement (quand le Parlement s’oppose à la Commission, c’est la Commission qui l’emporte… ; et ne parlons pas du Conseil !) ; tout a contribué à la prévalence de « politiques de clocher« , à l’horizon limité aux prochaines élections nationales (quel qu’en soit le niveau).

Tentant d’expliquer cela, il y a quelques années _ vers 2005… _, je me suis fait traiter d' »eurosceptique« , d’anti-européen, de dinosaure bolchevique, d’hugolien attardé ; j’ai reçu des leçons de « réalisme politique » _ ah ! le grand argument ! _ et je ne sais combien d’homélies « économiques«  _ pragmatiques = le fin fond de la légitimité ! Aujourd’hui, c’est « la Chine«  !..

Messieurs les « réalistes« , chers « politiques » _ concitoyens ! _, vous avez voulu à toute force le traité de Lisbonne ? Vous l’avez ! Jusqu’à la courbure sigmoïde… » _ on ne saurait mieux dire !!! Le lecteur a signé « Crétin notoire« 

_ « Ou quand l’Europe paye le prix d’être dirigée par une majorité de populistes de droite enclins avant tout à plaire à leur électorat national » _ c’est aussi parfaitement résumé : par « Kevin« 

Il faut parfois un peu de temps pour que les choses deviennent plus claires aux esprits un peu plus lents…

En attendant, les dégâts s’accumulent : pour certains, du moins ; mais pas pour tous, non plus !!! « Les affaires » tournent mieux que jamais…

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