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Le lumineux génie d’arpenteur des villes de Régine Robin : un très profond retour à Berlin, en « Un Roman d’Allemagne » (aux Editions Stock)

30nov

De même que

dans le sublime arpentage de villes de l’hyper-généreuse et infatigable _ de curiosité à la fois ludique, joyeuse et non dénuée de gravité, infiniment perspicace en la profonde lucidité hyper-sensible de son regard de vérité _ Régine Robin,

Le Mal de Paris (en 2014) fait couple, par contraste, avec Mégapolis _ les derniers pas du flâneur (en 2009)

_ cf mes deux articles du 26 mars 2014 et du 16 février 2009 : Régine Robin, formidable exploratrice des méga-villes en mouvement : le cas-malaise de Paris et Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin _,

de même l’époustouflant, parce que très profond, Un Roman d’Allemagne qui vient de paraître ce mois de novembre, et toujours dans la très belle et importante collection Un ordre d’idées de Nicole Lapierre aux Éditions Stock,

fait couple, par approfondissement _ pardon de la répétition, mais nous sommes aussi dans le forage… _, cette fois, et par un amour qui plus que jamais la travaille, avec le si étincelant, déjà, Berlin chantiers _ essai sur les passés fragiles (en 2001),

qui m’avait si fort impressionné à la lecture

_ et si manque pour ce Berlin chantiers un article de ma part, c’est seulement que ce blog-ci (ouvert le 3 juillet 2008 avec l’article programmatique le carnet d’un curieux ) n’existait pas encore.

Et, en ce programmatique article, auquel je demeure plus que jamais fidèle, je citais, sinon Berlin, du moins ce que je nommais déjà des « villes-mondes«  : « Rome, Prague, Istanbul, Lisbonne, Naples, Buenos-Aires, etc… » :

c’est là dire mes affinités avec le regard et l’écriture, qui vont de pair, de cette prodigieuse regardeuse empathique, avec tout le recul de son intelligence si vive et si aigüe, si véloce et plus encore si juste, car on ne la lui fait pas, jamais !, sur fond de son inépuisable culture, qu’est Régine Robin !

C’est l’excellent Patrick Boucheron qui, le 17 novembre dernier, à Sciences-Po-Bordeaux,

en réponse à la question que je suis posais sur ce qui dans Mégapolis de Régine Robin pouvait éclairer sa propre réflexion sur « le projet urbain » pour lequel il est invité cette saison 2016-2017 à la chaire Gilles-Deleuze,

m’a appris la toute récente parution ce mois de novembre de ce magnifique Un Roman d’Allemagne, sur lequel rien n’a semble-t-il paru jusqu’ici dans la presse, du moins celle que que je lis.

A l’exception d’une fort belle recension de Georges-Arthur Goldschmidt, intitulée Une Allemagne vue de si près,

sur le site En attendant Nadeau.fr ;

et que voici :

Une Allemagne vue de si près
par Georges-Arthur Goldschmidt


Dans Un roman d’Allemagne, Régine Robin revient avec toute sa perspicacité et sa sensibilité sur une thématique qu’elle avait traitée avec son érudition et son énergie coutumières dans Berlin chantiers, à savoir la mémoire allemande prise entre national-socialisme et « Wiedergutmachung » (réparation), comme on disait en RFA, la partie occidentale de Allemagne. Le livre de Régine Robin porte essentiellement sur la RDA, cette partie de l’Allemagne anciennement occupée par l’Union soviétique et pour laquelle la question de la réparation ne se posait pas, préservée qu’elle prétendait être de toute « culpabilité » _ à l’égard du fascisme _ du fait de sa nature socialiste.

Largement autobiographique, issu pour une grande part de son destin personnel de rescapée _ l’auteur est née en 1939 à Paris, de parents Juifs polonais réfugiés _, ce livre est édifié sur le « trébuchement « de la mémoire allemande. Dans la moindre ville où résidait une victime du nazisme (juif, communiste, sinti, homosexuel, etc.), de petits pavés gravés en rappellent _ désormais _ le souvenir. Régine Robin y situe sa propre mémoire, prise entre le yiddish, le français, sa langue maternelle, et l’allemand. Comme elle le dit elle-même, elle « a traversé plus de soixante-quinze ans des XXe-XXIe siècles, partagé les enthousiasmes de l’après-guerre et les désenchantements qui les ont suivis ; a vu les idéologies du siècle tourner, le communisme disparaître, se couvrir d’opprobre, alors qu’il avait représenté l’horizon et le principe espérance _ selon l’expression d’Ernst Bloch, en 1954, à laquelle fit face, en 1979, le principe responsabilité, de Hans Jonas… _ au lendemain de la guerre ».

D’où les déambulations, les errances, les dénégations et les retournements berlinois qui habitent ces pages denses et précises _ oui. On voit surgir des personnages souvent inconnus et des itinéraires qui en disent long sur l’état de choses en RDA finissante et sur la façon d’aborder ce passé toujours présent. Il en surgit des inconnus qui auraient tout aussi bien pu prendre place dans l’Histoire, tels cette Eve et ce Peter que le mur _ dressé le 13 août 1961 (cf page 40 du livre) _ séparera à jamais, ou cette Eva Platz d’abord échouée à Cuba au lendemain de la Nuit de Cristal, et qui, après être passée par l’Allemagne de l’Ouest, finit sa vie en RDA. Ce sont de multiples apparitions qui, toutes, ramènent à cette présence souterraine _ oui, et à divers titres _ dans la mémoire de la terreur nazie ; ainsi la ligne S3 de la S-Bahn, ce chemin de fer intérieur qui dessert Berlin et passe par des lieux historiques comme le cimetière où est enterrée Rosa Luxemburg, et qu’empruntèrent aussi deux tueurs de femmes de l’époque hitlérienne. L’anecdotique fait la substance de l’historique.
Régine Robin capte tous ces aspects de Berlin et les donne à voir avec toute la pesanteur de l’époque nazie, où le peuple était mêlé au crime, à celle de la RDA, paralysée par la stupidité de ses gouvernants. On se demande ce qu’avaient bien pu faire ces vieillards qu’elle croise dans les rues de Berlin ; peut-être l’un d’eux avait-il connu ce jeune musicien juif Konrad Latte qui avait, de planque en planque, pu survivre à Berlin, aidé entre autres par le pianiste Edwin Fischer, ou comme Marie Jalowicz Simon, une jeune juive, elle aussi cachée par des Berlinois. C’est, en effet, la Shoah qui est le fond de voix _ voilà ! _ de ce livre, cette survie toujours miraculeuse où régnaient la terreur absolue et le crime absolu érigé en morale nationale. En RDA, où tous étaient antifascistes, surtout les anciens nazis, « on exalta la libération grâce aux Soviétiques, et toutes les dates qui pouvaient s’y raccrocher, mais on occulta la spécificité du génocide des Juifs, qui fut classé dans la même catégorie générique que toutes les autres victimes du fascisme ». Tel est bien le fond sur lequel s’édifie la conscience allemande, sur ce qui ne fut jamais commis encore et reste en filigrane irréparable.

Le parcours historique que ce livre reconstitue est décrit au travers des éléments les plus caractéristiques. L’ouvrage célèbre _ dirigé par Harald WelzerGrand-papa n’était pas un nazi, auquel le livre fait référence, le montre bien : personne, parmi les témoins interrogés, n’a participé en rien au génocide juif… À chaque instant Régine Robin s’est heurtée à cette dénégation de fond _ oui _ si nette, et qui est de même nature _ probablement oui _ que le consentement initial qui a rendu la Shoah possible [1]. Un roman d’Allemagne est une anthologie passionnante des tours et détours des exercices mémoriels au travers de divers personnages qui ont eu un rôle politique ou littéraire.

« Nous sommes tous des Juifs allemands », conclut Régine Robin à l’issue de ce remarquable ensemble d’études qui touchent au cœur de la réalité de ce pays désormais réunifié et fort loin de ces passés [2].

1. Cf. Patrice Loraux, Consentir, Le Genre Humain. Éditions du Seuil, nº 22, novembre 1990

2. Voir Gérard Noiret, Poésie du monde. Berlin, dans EaN n°20.

Je reprends ici  le fil de mon discours, et le récit de ma découverte, grâce à Patrick Boucheron, de la parution toute récente de ce si beau et si important Un Roman d’Allemagne :

et voici pour cela mon courriel du 25 novembre dernier à Régine Robin :

Chère amie,

venant juste d’achever ma première lecture de votre magnifique (et troublant) Un Roman d’Allemagne,
je me propose de suggérer à la librairie Mollat _ ainsi qu’au Goethe Institut de Bordeaux _ de vous inviter à nouveau
pour venir présenter à Bordeaux ce très fascinant travail,
qui fait couple au moins avec Berlin Chantiers,
de même que Le Mal de Paris fait couple avec Mégapolis

C’est l’excellent Patrick Boucheron,
venu à Sciences-Po Bordeaux jeudi il y a 8 jours, à propos du « projet urbain » auquel il a été sollicité d’apporter sa réflexion d’éminent historien,
qui, à ma question post-conférence _ c’était la toute première question _ comparant ce qu’il venait de brillamment proposer, à votre si riche Mégapolis,
a indiqué que venait de paraître _ et je l’ignorais ! _ de vous ce nouvel opus, Un Roman d’Allemagne ;
que me suis empressé d’aller acheter et lire (dévorer) !

Ensuite, et en aparté, au moment des petits-fours, Patrick Boucheron _ nous correspondons par courriels à l’occasion _ m’a confié n’avoir pas lu Mégapolis,
à la différence de Berlin Chantiers, La Mémoire saturée _ sur lequel il a insisté dans sa réponse à ma question _ et Le Mal de Paris.

Je l’ai vivement incité à se plonger, pour approfondir sa réflexion sur « les projets urbains », dans votre Mégapolis !

J’ai pas mal de questions à vous poser concernant votre très vive fascination pour Berlin (et la RDA),
alors que vos parents venaient de Pologne (Kaluszyn, à l’est de Varsovie),
et parlaient yiddish et polonais surtout
_ mais allemand aussi, comme mon père (né en mars 1914, à Stanislawow, à l’extrême sud de la Galicie, lui).

Ce tropisme (de quasi Ossie) envers Berlin et la RDA
est-il surtout dû au fait prégnant des convictions communistes de votre père ?

Mais je me suis posé aussi de semblables questions
à propos de l’attachement à Berlin _ au point de choisir d’y vivre plutôt qu’à Budapest _ d’Imre Kertesz,
qui n’était certes pas (et n’avait jamais été) communiste, lui _ cf son superbe Le Refus.
Quel immense écrivain !
Mais je me suis aussi interrogé sur sa durable absence de critiques envers la société occidentale, lors de ses divers témoignages _ Sauvegarde, journal 2001-2003, Dossier K., L’Holocauste comme culture, L’Ultime auberge ; mais nul regard critique de sa part… _ sur sa durable vie quotidienne à Berlin,
alors que j’y étais très attentif…

De toutes façons, Un Roman d’Allemagne est un chef d’œuvre !!!
C’est proprement éblouissant.

Je vous embrasse,
en vous supposant parisienne en ce moment…

Francis

D’autre part, Régine Robin, ayant été l’épouse du metteur en scène, berlinois, Wolfgang Epstein _ mais j’ignore tout de lui _,

a vécu aussi, et assez longtemps à Berlin… 

Voilà, pour commencer…

Titus Curiosus, ce mercredi 30 novembre 2016 

la traversée du siècle d’un honnête homme (et beau garçon) en quelques fécondes rencontres d’artistes-créateurs en des capitales cosmopolites : le parcours de Peter Adam de Berlin à La Garde-Freinet, via Paris, Rome, New-York et Londres

02mai

Non sans quelques points communs _ nous allons le découvrir… _ avec cet immense livre qu’est « Le Lièvre de Patagonie » de Claude Lanzmann :

une autre traversée _ un peu chahutée _ du siècle en quelques judicieuses rencontres (et un chef d’œuvre cinématographique !),

voici que Peter Adam _ ou Klaus-Peter Adam, un garçon juif allemand, au départ, natif de Berlin en 1929, puis devenu citoyen britannique vers 1965, peu après le décès de sa mère, la battante et admirable Louise, le 6 mai 1965 :

cf page 214 : « j’optai à cette époque pour la nationalité anglaise.

Depuis longtemps j’essayais de me débarrasser du garçon allemand _ qu’il était de naissance : la famille (juive) de son père venait de « Chodzesin, une petite ville de Prusse orientale. Mon arrière grand-père, Jacob Adam, y était né en 1789. Depuis le XVIIIème siècle, sa famille vivait du commerce du drap de laine. Cette activité les avait menés jusqu’en Pologne et en Lituanie« , page 14 ; « du côté de ma mère, les Leppin et les Gurke _ Gurke signifiant « concombre » _, étaient d’un tout autre genre : pauvres, chrétiens, et de souche paysanne« , page 20 _

afin de n’avoir de racines que dans l’imaginaire.« 

Et il poursuit : « Il se produisit mille choses dans ma vie et je possédais une énergie et une curiosité infinies. Je laissais l’univers tourbillonner autour de moi, espérant ne pas m’y noyer

_ le titre original de ce « Mémoires à contre-vent« , traduit par l’auteur lui-même en français en 2009, était, en anglais, en 1995 (pour les Éditions Andre Deutsch, à Londres) : Not drowning, but waving _ an autobiography

Je m’acceptais tel que j’étais, je n’étais gêné ni par mes défauts, ni par mes qualités. J’essayais, comme toujours _ en effet ! _ d’être honnête avec moi-même« 

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

_ mais cet amoureux de longue date de la France

avant même d’y venir séjourner, pour la première fois, en 1950

(cf au chapitre « Alma mater, 1949-1950« , les pages 139 à 146 :

« En 1950, je partis pour la première fois à Paris. Mon ami Klaus Geitel étudiait là-bas et je décidai de lui rendre visite. A Paris, Klaus m’attendait gare du Nord avec deux amis. J’étais tellement excité que j’entendis à peine leurs noms. Le premier, Hans Werner Henze, était un compositeur allemand ; le second, Jean-Pierre Ponelle, un scénographe français«  : mais oui !..) ;

puis, une seconde fois, en 1951, au chapitre suivant, « Mes premiers pas d’intellectuel _ Paris 1950-1953«  :

« A l’automne 1951 _ ayant obtenu « une bourse d’un an du gouvernement français, ainsi qu’une inscription à la Sorbonne« , page 147 _, je débarquais à Paris pour la seconde fois«  :

« J’arrivais au bon moment. Le passé était enfin soldé ou presque. La France de la Quatrième République commençait à se moderniser.  (…) Les gens avaient l’air riche ; ils possédaient un goût inné pour la qualité et le style _ voilà _, doublé d’un sens aigu de la compétition« , page 147 ; « Alors qu’à Berlin, nous avions essayé de construire un nouveau monde, les Français jouaient au ping-pong avec leur héritage culturel, retournant les idées dans tous les sens, juste pour le plaisir. Je me sentis immédiatement chez moi, le lycée de Berlin m’ayant bien préparé à ce perpétuel désir de théoriser et de synthétiser les idées. Les bâtiments de la Sorbonne reflétaient ce même esprit libre et chaotique. Les vieux couloirs sombres fourmillaient d’étudiants bruyants et fougueux. Les murs étaient recouverts de slogans très politiques, culturels ou sexuels, combinant parfois les trois en même temps comme dans celui-ci : « Fais-toi sucer en Russie, Simone ! » », page 148

il avait fait ses études secondaires au lycée français de Berlin, dès 1940, page 58)

mais cet amoureux de longue date de la France,

donc,

y vit désormais, depuis août 1989, à demeure, cela fait vingt-et-un ans

(depuis sa retraite de reporter et réalisateur de la BBC, en août 1989 : car c’est là, à la BBC, que se déroula, en effet, sa « principale«  carrière, du 4 avril 1968, à la cérémonie de départ de sa retraite, en août 1989) :

en son « cabanon«  du Mazet, à La Garde-Freinet, dans les Maures, et non loin de Saint-Tropez

_ Facundo Bo et Peter Adam découvrirent, en effet, cette thébaïde « un matin de 1970«  :

« un petit vallon où des moutons broutaient près des oliviers.

C’était l’endroit dont nous _ Facundo & Peter _ rêvions _ 12 000 mètres carrés isolés du monde et un petit cabanon. Nous l’achetâmes aussitôt.

La Garde-Freinet allait devenir notre port d’attache pour les quarante années à venir« , page 275 _

mais cet amoureux de longue date de la France y vit désormais à demeure,

avec son compagnon Facundo Bo : compagnon depuis leur coup de foudre lors d’un « dîner snob« , en 1968, à Paris ;

cf page 236 : « Durant la réalisation de ce documentaire _ pour la BBC : La maison Christian Dior, en 1968, donc _,

j’eus l’occasion, un soir, d’être invité à un de ces dîners snobs dont les Français raffolent. J’étais assis en face d’un jeune acteur argentin au physique extraordinaire, au type légèrement indien. Comme d’habitude, je parlais beaucoup, faisant de mon mieux pour impressionner. J’avais appris l’art de l’autodéfense et ajouté du cynisme à mon scepticisme naturel. Intrigué par les yeux inquisiteurs de ce garçon, je parlais des souffrances au Biafra _ dont Peter revenait d’y réaliser un reportage particulièrement périlleux (et tragique !) : il en fait le récit aux pages 227 à 232 _, mais également du grand bal de l’Opéra de Paris _ le Bal des petits lits blancs _ auquel j’avais assisté la veille. Je révélais ainsi l’un de mes nombreux paradoxes dont je n’étais pas très fier.

Facundo _ c’était le prénom de ce garçon très beau et gêné _ ne prononça pas un seul mot de la soirée. A la fin, au moment de partir, je lui glissai mon adresse à Londres.

Trois semaines plus tard, je reçus une lettre : « Cher Peter, détruisez cette lettre, je n’ai jamais écrit une telle lettre à personne, mais pendant ces trois dernières semaines, je n’ai pas arrêté de penser à vous et je voulais simplement vous le dire. Je vous prie de m’excuser ». La lettre était signée Facundo Bo.

Trois heures plus tard, je m’envolai pour Paris« 

« Je crois au coup de foudre _ poursuit-il aussitôt, toujours page 236, en commentaire rétrospectif. Pendant les quarante-deux ans à venir _ de 1968, leur rencontre, jusqu’en 2010, où paraissent ces « Mémoires » en traduction française _, Facundo serait la source de beaucoup de mes joies et de mes chagrins _ la maladie de Parkinson de Facundo déclarée « à l’âge de quarante ans« , « l’empêchant petit à petit _ lui acteur brillant de la troupe de théâtre TSE, d’Alfredo Arias _ de monter sur scène« , découvre-t-on, à un coin de page, page 412 ;

cf aussi, le jour de son départ de Londres pour gagner la France, page 440 : « Je ne savais pas alors combien ma nouvelle vie à Paris _ et au Mazet, à La Garde-Freinet _ allait m’apporter de joie d’amour solide et de douleur aussi, liée à la fragilité croissante _ parkinsonienne ! _ de Facundo. Mais jamais je n’ai regretté ma décision«  _ de venir vivre définitivement en France : avec Facundo Personne ne m’a jamais été aussi proche ; et je pense _ écrit-il maintenant en 2009-2010 _ que personne ne le sera jamais. Facundo devint le centre absolu de ma vie«  _ voilà !..  _

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ publié en 1995 à Londres sous le titre de Not drowning but waving _ an autobiography _ de sa traversée _ Berlin, Paris, Rome, New-York, Londres, La Garde-Freinet _ du siècle,

tout à la fois en beau garçon _ ce peut être un atout ; du moins pour commencer, en se faisant « remarquer«  ; car à la longue n’être que le « petit ami de« … s’avère un peu court pour poursuivre et s’établir au moins un peu…

et en honnête homme

et artiste _ filmeur du monde et de la création artistique : ce sera là sa « vocation«  _ probe _ absolument ! et sans compromission aucune :

certains de ses très proches et meilleurs amis se suicideront face à la « détérioration«  (Peter Adam emploie le mot « dégradation« , page 410, en son chapitre « Inventaire« …) de ce monde :

le magnifique « grand reporter«  James Mossman (celui-là même qui l’avait fait engager à la BBC : c’était le 4 avril 1968), le 5 avril 1971 ;

le peintre Keith Vaughan, le 4 novembre 1977… ;

mais encore, page 427 :

« Au travail, le suicide mon collègue Julian Jebb s’ajouta à la longue liste de mes collègues disparus, dont l’esprit toujours en éveil _ pourtant ! _, n’avait pas été capable d’arrêter la course à l’autodestruction _ voilà _ : les grands reporters James Mossman, Robert Vas et Ken Sheppard. Le garçon qui s’occupait de la maison de Tony Richardson à La Garde-Freinet, tua d’abord sa petite amie avant de se donner la mort. La boisson et la solitude durant les longs mois d’hiver au Nid du Duc _ le hameau de la colonie Richardson, l’auteur du film Tom Jones, à La Garde-Freinet _ l’avaient poussé à cet acte terrible, disait-on. La fille de Lawrence Durell, Sappho, se pendit« … Bref, « la mort continuait à jalonner ma route« , remarque Peter, page 427…

« Dans les années quatre-vingt, mon histoire d’amour avec la Grande-Bretagne touchait _ ainsi _ à sa fin. Mme Thatcher n’avait pas encore engagé _ profondément, pas encore _ sa politique absurde et désastreuse _ humainement : Peter Adam ne mâche pas ses mots ! _, mais un nouveau climat social se faisait _ déjà _ sentir, sapant _ durement _ les qualités de ce pays que j’avais tant apprécié. L’Angleterre, comme beaucoup de pays d’ailleurs, entraînée par son désir insatiable et impétueux de richesses, prônait _ maintenant _ l’arrivisme, la ruse, l’avidité comme qualités essentielles. Les inégalités flagrantes, la cruauté des riches, la complaisance des gens au pouvoir et la corruption _ lire ici Paul Krugman… _ devenaient monnaie courante. Je regardais les yuppies, interchangeables avec leurs chemises à rayures, leurs bretelles rouges, leurs manteaux à épaules marquées, leurs BMW, leur arrogance, leurs femmes à sac à mains à chaînes dorées _ on ne disait pas encore le bling-bling… J’observais la nouvelle génération, son appétit féroce, sa frénésie de consommation, son égoïsme impitoyable _ voilà _, et la comparais à ma propre génération qui avait l’espoir chevillé au corps que la vérité et la beauté _ voilà _ finiraient par l’emporter sur les mensonges et la laideur du monde _ quelle belle actualité ! toujours…

Bien sûr cette dégradation _ voilà _ ne se produisit pas en un jour. Ce n’était que le début d’un profond et triste changement qui, hélas, se propageait _ bientôt _ partout«  _ de par notre monde commun, pages 409-410…  _,

voici _ je reprends l’élan de ma phrase _  que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ paru en anglais en 1995, lui _ de la traversée de son siècle :

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme et artiste probe

soucieux de la justesse…

en beau garçon, d’abord _ et le livre est généreusement (et judicieusement) agrémenté de photos de nombreuses personnes rencontrées et narrées _ :

via ses rencontres sexuelles (avant l’amour vrai de Facundo Bo, en 1968, donc : Peter aura alors trente-huit ans _ mais tout cela fort discrètement, et sans le moindre exhibitionnisme, ni a fortiori sensationnalisme ! très loin de là ! Peter Adam a beaucoup de délicatesse et pudeur…) et amicales, plus encore (dont certaines féminines : Hester Chapman et Prunella Clough, à Londres),

celles-ci _ « rencontres« , donc _ vont lui ouvrir bien des portes, bien des « clans«  (ou « réseaux » d’amis :

par exemple, pages 201-202, en débarquant de New-York à Londres,

ce passage-ci, clé ! :

« Parmi les quelques adresses que j’avais _ à Londres, donc, en 1958 _, aucune ne fut plus précieuse et appréciée que celle d’un ami d’Edward Albee _ merci à lui de cette « adresse«  ! de ce « contact«  décisif… _, Patrick Woodcock.

Patrick était le médecin du Gotha artistique londonien _ rien moins ! _ : de Noël Coward à Marlene Dietrich, de Peggy Ashcroft à David Hockney, de Peter Brook à Christopher Isherwood. (…)

Comme à Paris, Rome et New-York _ c’est un point décisif du parcours (et la vie !) de Peter ! _, j’ai eu la chance _ encore faut-il apprendre et à la saisir et plus encore à la cultiver ! et ne pas trop, non plus, la gâcher… _, d’être adopté _ apprécié par, aimé de _ par un clan _ voilà _

pour lequel j’étais _ du moins tout d’abord, au départ :

cela se dissipant cependant assez vite (cf la conclusion plus négative, en 1955, de l’épisode romain et sa « clique« , page 184 : je vais le préciser par le détail un peu plus loin)… _

un objet de curiosité : « Allemand, Juif, non émigré et sorti de l’Allemagne indemne. « How intersting« , disait-on » _ pour commencer, donc ; ici, c’était en 1958, Peter a vingt-neuf ans 

il est aussi très « beau garçon«  (cf les photos généreusement données du livre) ; et éminemment sympathique, plus encore : il a du charisme…

« Patrick était absolument convaincu qu’il était le mieux placé pour tout organiser _ sic _ et décida de me prendre sous son aile _ cela peut effectivement aider… Il m’ouvrit les portes _ voilà ! _ de la vie culturelle _ artistique _ londonienne qui comptait un nombre impressionnant de talents. Tous ses amis « baignaient » _ en effet _ dans l’art, faisaient de la critique de livres ou allaient s’applaudir les uns les autres sur la scène ou à l’écran.« 

Aussi

« la plupart de mes _ nouveaux _ amis _ vrais _ venaient _ -ils _ de son « écurie ».


Avec nombre d’entre eux j’entretenais
_ très bientôt, vite, aussitôt, déjà : c’est un talent ! _ une amitié _ et c’est là l’élément majeur (et de fond !) pour Peter ! _

qui allait s’approfondir _ voilà ! _ au fil des ans : une preuve de leur endurance _ à me supporter, souffrir, et accepter (et aimer)… _ et d’une certaine fidélité _ toujours de la modestie, avec les euphémisations : c’est là une vertu ; Peter n’a pas que des défauts… _ de ma part.

Pour quelqu’un qui vit seul _ pas « en couple« , donc : Peter assume son « célibat« … _,

les amis sont essentiels _ voilà.

Ils m’aidèrent à surmonter _ et durablement, pas à court terme : la dimension temporelle est capitale en ces affaires (existentielles) affectives ! _ mon sentiment _ endémique _ de déracinement _ qui comporte, aussi, il est vrai, l’avantage (non recherché !) du « décalement« , si crucial (pour la vie !), du regard… _,

car je portais en moi _ pour jamais _ des séquelles _ indélébiles, donc _ de mon enfance solitaire _ depuis, au moins, à l’âge de onze ans, le lycée (français, à Berlin, et puis à Züllichau, en Silésie) pour un enfant Juif (bien que ne portant pas l’étoile jaune, Louise, sa mère, étant « aryenne« …) en Allemagne nazie… _ et la nostalgie de mon adolescence _ à la Libération joyeuse, en même temps que pauvre, à partir de 1946… :

un passage assurément important de ce livre, pages 201-202, donc, comme on constate !..)

en beau garçon, d’abord,

via ses rencontres sexuelles et _ surtout, plus encore ! _ amicales

_ je reprends et poursuis maintenant ma phrase _,

celles-ci lui ouvrant bien des portes, bien des « clans » (ou « réseaux » d’amis) :

d’artistes, de créateurs, surtout ! _ c’est là l’élément majeur ! _, dans les diverses capitales que Klaus-Peter (bientôt Peter), va traverser :

Paris,

Rome : Peter devient le compagnon pour un temps, en 1955, d’Enrico Medioli, ami et collaborateur bientôt de Luchino Visconti ;

je m’y attarde un peu, maintenant (j’aime Rome !) :

« Je me rendais souvent à Rome. J’y découvrais un passé splendide. Alors que Paris représentait pour moi l’élégance et le raffinement _ voilà _ international, Rome incarnait _ oui : charnellement _ une grande civilisation ; même le chaos et la pauvreté des rues _ certes _ étaient parés _ oui _ d’une dignité intemporelle _ comme c’est juste ! Tout avait _ le baroque (même borrominien !) est ici mesuré ! sans morbidité : à la Bernin, plutôt… _ des proportions parfaites : les façades ocres baignées par la lumière de l’après-midi _ cf ici les descriptions si justes de mon amie Elisabetta Rasy en son magnifique « Entre nous » ; cf mon article sur son récit autobiographique suivant (« L’Obscure ennemie« ), toujours à Rome : « Les mots pour dire la vérité de l’intimité dévastée lors du cancer mortel de sa mère : la délicatesse (et élégance sobre) parfaite de “L’Obscure ennemie” d’Elisabetta Rasy« _, les toits avec leurs jardins suspendus, les terrasses des gens riches : tout semblait exprimer la sensualité, la douceur de vivre et le bien-être«  _ on ne saurait mieux dire !, page 181 ;

« Pendant l’un de mes nombreux voyages à Rome, j’avais rencontré Enrico Medioli. Enrico était un ami de Luchino Visconti et allait devenir bientôt l’un de ses plus proches collaborateurs. Avec Suso Cecchi d’Amico, il fut le scénariste de Rocco et ses frères, Sandra, Les Damnés, L’Innocent et Violence et passion.

Enrico incarnait pour moi la perfection : il était blond, aristocrate dans son comportement comme dans son style, grand, élégant, mondain, cultivé et possédait un humour caustique. Il était issu d’une grande famille de Parme et avait souffert de la tuberculose, ce qui ne fit qu’accroître à mes yeux son aura romantique. Il conduisait des voitures de sport et vivait dans un appartement avec terrasse qui surplombait les toits de la cité éternelle.

Il connaissait toutes les personnes qui valaient la peine _ voilà _ d’être connues à Rome.

Autour d’Enrico gravitait la jeunesse dorée. La plupart travaillaient dans le cinéma«  _ soit un medium en pointe :

voilà deux éléments importants dans la « formation«  du jeune Klaus-Peter (qui a alors à peine vingt-cinq ans), on va s’en rendre peu à peu mieux compte… ;

avant d’être plaqué (un peu abruptement !) par Enrico à Cortina d’Ampezzo :

« Enrico avait une énergie contagieuse. Nous allions jusqu’à la plage de Fregene si souvent filmée par Fellini _ dans Huit-et-demi, ou Juliette des esprits, par exemple _, pour déjeuner dans des restaurants que seuls les Romains connaissaient, ou nous dînions dans les établissements huppés de la via Appia. Enrico, qui qualifiait ces endroits de piccole trattorie, molto semplice, était salué par la moitié des clients. Nous prenions l’apéritif chez Bricktop’s et la granita di limone chez Rosati’s _ Piazza del Popolo….

Au fil des mois, l’usure _ cependant _ se fit sentir dans notre couple _ un mot qui sera rarement employé par l’auteur, en ces 443 pages, notons-le au passage. La clique romaine perdait _ pour Klaus-Peter _ son charme _ surtout vaporeux _, comme moi je perdais le mien à leurs yeux _ au pluriel… Je roulai dix-huit heures en voiture de Naples à Cortina d’Ampezzo, où Enrico possédait un chalet, pour apprendre qu’il pouvait juste m’accorder un dîner.

Je compris le message« , page 184…

Avec ce commentaire-ci : « Je revis Enrico quelques années plus tard à Londres où il montait _ comme Luchino Visconti ; ou comme Franco Zeffirelli : les metteurs en scène italiens s’enchantent à mettre leur talent à la disposition de l’opéra _ sa version de La Somnambula à Covent Garden. »

« Comme on perd facilement _ pas seulement de vue ! _ les gens dans la vie ! Pendant un moment, on les voit tout le temps, trois fois par semaine, on les appelle au milieu de la nuit, et puis tout à coup, ils disparaissent. Heureusement j’ai gardé beaucoup de mes relations _ voilà le terme approprié. Plus tard, j’ai eu la chance de revoir certains d’entre eux comme Luchino Visconti, Alberto Moravia, Maria Callas, Giuseppe Pattroni Griffi et Mauro Bolognini, Lila Di Nobili, Franco Zeffirelli et Giorgio Strehler. Cette fois-ci _ nouvelle _ c’était à titre professionnel _ pour des reportages filmés par Peter pour la BBC : entre 1968 et 1989 _ et quelques uns sont même devenus _ à des degrés divers : mais un palier important étant tout de même franchi ! _ des amis.« 

« Comme toujours, je désirais davantage _ relationnellement ; Klaus-Peter se remémore ici sa situation (notamment) affective en 1955 _

et voulais faire de nouvelles découvertes.

Il était temps de passer à autre chose« , pages 184-185 : un passage très important, mine de rien, que ce séjour italo-romain de Klaus-Peter, en 1955… 

mais surtout New-York :

cf le chapitre « America here I come _ 1956-1957« , pages 187 à 211 : venant aux États-Unis surtout pour y améliorer son anglais, Peter y fait la connaissance d’Edward Albee _ « un jeune auteur dramatique« _ et Richard Barr _ »un producteur de théâtre renommé« _, page 193. « Edward et Richard me firent rencontrer _ un terme important ! _ John et Tamara Ennery » _ lui avait été le mari de Tallulah Bankhead ; elle, née Tamara Gergeyeva, avait été l’épouse de Georges Balanchine, au temps des ballets russes de Serge Diaghilev : page 195.

Et enfin Londres, donc :

où Klaus-Peter _ devenu désormais définitivement Peter _ va s’installer, en 1958,

et, non sans difficultés et péripéties, trouver

et un travail qui soit et durable _ enfin : au bout de dix ans cependant ; Peter a commencé par faire ses gammes cinématographiques avec des films publicitaires _ et satisfaisant pour lui _ ce sera à la BBC, en 1968 ;

et pour vingt-deux ans, de 1968 à 1989, à l’âge de sa retraite professionnelle… _,

et _ plus encore ! _ sa vocation de créateur et artiste _ le principal pour lui ! mais il n’en a probablement pas encore vraiment conscience alors… _ :

cf le merveilleux compliment que lui fera Luchino Visconti, en remerciement du documentaire de Peter sur le tournage de Mort à Venise, en 1970 :

« Seul un artiste peut en voir _ = voir vraiment ! : cf le concept d’« acte esthétique » de Baldine Saint-Girons… _ un autre, merci. Amitié, Luchino« , en dédicace à « un très beau livre : Vecchie Immagine di Venezia, vieilles photographies de Venise«  ;

« Il y avait aussi une photo dédicacée : « Pour ta Mort à Venise sur ma Mort à Venise. »

De toute ma carrière _ d’homme d’images filmées _ aucun compliment ne m’a fait un tel plaisir« , page 267 _ :

je veux dire sa « vocation » _ émergeant peu à peu : suite à diverses rencontres, non programmées : par conjonctions de hasard _ de réalisateur de films et reportages culturels, ou plutôt : artistiques (et sur _ à propos… _ d’autres créateurs-artistes, en fait) à la BBC…

voici _ donc : je reprends une fois encore l’élan de ma phrase _

que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

une somptueuse traversée de son siècle _ pas facile pour un garçon juif berlinois ! né en 1929 ! _,

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme

et artiste probe absolument et sans compromission soucieux de la justesse…

J’y viens maintenant…

Ce très grand livre qu’est Mémoires à contre-vent, est construit en trois grandes parties,

autour de la « formation » d’un homme

(et un artiste : Klaus-Peter Adam, devenu par son passage aux États-Unis, en 1956-1957, puis sa vie en Angleterre, de 1958 à 1989 ; et sa naturalisation anglaise, en 1965 : cf page 214, « un sujet de Sa Majesté » ! ; devenu « Peter Adam« , maintenant)

représentatif surtout d’une génération (d’Européens),

ainsi que l’auteur présente cet « essai » d’autobiographie d’abord tout à la fin, pages 438 à 440, de son dernier chapitre, « Le temps des moissons _ 1987-1989« , pour l’édition anglaise, parue en 1995 :

« J’avais l’impression d’avoir vécu plusieurs vies, adopté plusieurs cultures, rêvé et parlé dans plusieurs langues. En même temps j’étais de nulle part, un étranger partout. C’était ce qui me convenait le mieux.

Mon pays natal était un pays imaginaire, fabriqué à partir de souvenirs et d’amis.

Je songeais alors à écrire un livre sur mon enfance et à raconter l’histoire de ce garçon allemand au sang juif qui avait survécu au nazisme.
(…)

Je ne voulais certainement pas me construire une postérité

_ « d’encre et de papier«  : à côté de celle, familiale, de ses neveux, les fils de sa bien aimée sœur jumelle, Renate ;

ou du neveu de Facundo : Marcial di Fonzo Bo, un comédien de grande qualité (auquel, ainsi qu’à Facundo, est dédiée, remarquons-le aussi, cette version française de son autobiographie, Mémoires à contre-vent, page 7).

Je voulais transmettre

non pas mon histoire personnelle,

mais celle de toute une génération _ voilà ! _ marquée par l’Histoire en pleine mutation.

Il y avait eu beaucoup de récits _ écrits et publiés _ sur les bourreaux et les victimes, mais très peu sur la vie quotidienne de gens ordinaires, pris dans le tourbillon de l’Histoire.

Je souhaitais parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal »
_ selon l’expression de Hannah Arendt :

de fait les chapitres « allemands«  (1 à 3 : pages 13 à 88), à Berlin, puis au lycée français mis « à l’abri à la campagne« , en 1943, « à Züllichau, une petite ville de Silésie«  (page 86) ;

et les chapitres « autrichiens« , après que Klaus-Peter, expulsé pour judéité du lycée, début 1944, a rejoint les siens, qui s’étaient réfugiés déjà bien loin de Berlin, « à Tressdorf, dans une vallée perdue de la Carinthie«  (page 86, aussi ;

le premier chapitre « autrichien«  (le chapitre 4 : pages 89 à 104) est joliment intitulé « Intermède pastoral _ 1944-1945« … ;

et le suivant (pages 105 à 116 : « Après-guerre et nouveau départ _ 1945-1946« ) raconte ce qui suit la fin de la guerre et le retour, difficile à Berlin ; jusqu’à ce que le narrateur nomme, au bas de la page 116, « le début de l’après guerre« ) ;

sont des chapitres magnifiques de ces « Mémoires à contre-vent«  sur les conditions de survie des gens ordinaires sous le nazisme… _ ;

Je souhaitais _ donc, je reprends la phrase de Peter Adam… _ parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal » 

et montrer que, malgré tout, le bonheur pouvait survivre _ par résilience, ainsi que Boris Cyrulnik nomme ce processus… _ dans l’épreuve.

Peut-être y avait-il tout de même quelque chose dans cette vie et cette carrière en dents de scie _ voilà : je vais m’y pencher un peu… _ qui méritait d’être préservé » _ et transmis : pages 438-439…

D’autant que

« écrire mes mémoires se révéla _ à l’auteur que va devenir (et se découvrir : par là même !) aussi Peter Adam, à partir de 1990, par ce livre improbable et « ouvert«  de « retour«  sur sa vie… _ passionnant. Cela devenait mon jardin secret, des moments d’évasion _ créatrice ! _ dans un monde de contraintes. (…)

Ma curiosité _ d’analyse, maintenant, comme en actes : par les émissions à concevoir et à réaliser pour la télévision ! entre 1968 et 1989 _ m’avait amené plus loin dans la vie que je ne le pensais _ tout d’abord ; au départ…

La plupart des rencontres ont lieu par hasard. Ce que le désir, les intrigues et la détermination en font _ ensuite : tout un travail et une œuvre ! _ me paraissait plus intéressant que la rencontre elle-même _ advenue, survenue. Il y avait bien évidemment eu des expériences décisives, mais souvent je n’en avais pris conscience qu’après coup. Tout était lié _ ce fut sans doute la découverte la plus surprenante que je fis en écrivant« , page 439 ;

en ce même esprit, Peter a rapporté, page 411, ce mot, « une fois« , de son ami Bruce Chatwin (cf le récit de leur amitié de onze ans, de 1978 au décès de Bruce, le 18 janvier 1989 : aux pages 379 à 384 ; « Ce n’était pas facile d’être ami avec Bruce. Il menait plusieurs vies à la fois et ne permettait pas qu’elles se mélangent ou s’entrecroisent. En société, il était très réservé sur sa vie privée et ne laissait jamais transparaître ses sentiments« , page 380)


Bruce citant Le Portrait de Dorian Gray d’
Oscar Wilde : « Il s’efforçait de rassembler _ lui ; et non sans difficultés dues à tant et tant de hasards d’abord, et à son corps défendant, surtout, subis _ les fils écarlates de sa vie et d’en tisser un dessin«  : unifié, donc, où « tout« , finissant comme par « émerger«  du désordre ou chaos même, vécu par surprise en premier,
vient apparaître en quelque sorte enfin « lié«  et « en place« , « en ordre« , ou presque…

Telle, aussi, une image en un tapis…

Pages 410-411, Peter Adam a aussi écrit, à propos de sa « découverte » de l’écriture :

« Je n’avais jamais écrit de livre _ écrire des scénarios ou des articles _ utilitaires _ n’était pas la même chose _, mais je découvris  rapidement quel plaisir c’était. Rien dans ma vie professionnelle ne m’avait autant stimulé que la relation intime entre l’auteur et sa page, quand tout à coup des mots et des phrases émergent de nulle part«  : c’est la plus stricte vérité !.. Quelle jouissance ainsi rencontrée !

Et un peu différemment, encore,

en l' »épilogue » de 2o09-2010 _ rajouté pour cette « traduction« -« adaptation » française d’un livre qui avait été rédigé presque vingt ans plus tôt : entre 1990 et 1995 ; au moment de sa retraite (de son travail de « documentariste » à la BBC, en 1989) _ :


« En racontant ma vie une fois de plus en une autre langue _ en français, après l’anglais, cette fois _, je me suis découvert une perception du monde qui altérait _ et enrichissait _ la vision _ première _ que j’en avais vingt ans plus tôt _ en 1990. Certains événements n’avaient plus l’importance que je leur accordais en 1995 _ ou en 1989 ou 90… Des amitiés et des rencontres que je croyais emblématiques s’étaient fondues _ depuis lors _ dans l’ombre du temps.

Ainsi raccourci  _ ah! bon ! _ et réédité, Mémoires à contre-vent est un livre nouveau et très différent _ pour Peter le premier _ de Not Drowning, bur Waving.

Notre société et l’ordre du monde _ et nos regards (selon d’autres focalisations : neuves, plus perspicaces : c’est le gain du mûrir…) qui s’ensuivent… _ se sont profondément modifiés durant les vingt dernières années. Des systèmes totalitaires se sont écroulés, mais les droits de l’homme sont _ plus encore _ une vue _ seulement _ de l’esprit. Nous sommes encore bien loin du paradis terrestre où nous pourrions vivre en parfaite liberté, sans conventions hypocrites et libres de tout conformisme _ comme Peter l’a (ou l’avait) longtemps espéré…

Dieu nous est revenu _ de sa mort ! _ à travers deux conceptions qui sont une menace pour notre liberté : le fanatisme dérivé de l’islam et le zèle religieux d’une Amérique conservatrice _ jolie nuance… Dans certaines parties du monde, les bâtiments détruisent _ oui _ le paysage. Ailleurs, la terre _ livrée aux guerres de l’eau _ meurt de soif ; et les famines dues à la sécheresse chassent des populations entières _ émigrant _ de leur pays. Ils mettent leur vie en danger _ de se noyer _ pour traverser les mers à la recherche d’une existence meilleure dans un monde qui les rejette. Utopie mortifère _ combien !

Nous sommes tourmentés de toutes parts : la bêtise du pouvoir, l’imposture des politiques, les démocraties branlantes, la tyrannie des statistiques _ oui, oui, oui, oui ! _, l’omnipotence de la science _ et de ses expertises stipendiées _, l’absence _ veule _ de spiritualité, la fascination _ si niaise ! _ pour les people, cette triste pathologie de la vie moderne fondée sur la culture _ infantilisée _ du _ miséreux _ narcissisme.

Le superficiel règne en maître _ voilà ! Dans un monde obsédé par l’argent, il reste fort peu de place pour la métaphysique _ ou la poésie et le poétique… L’ennui général, très bien repéré par Hannah Arendt et Simone de Beauvoir, est devenu la condition humaine _ quasi générale sur la planète. Voilà pourquoi les gens ont désormais besoin d’être constamment _ et en pure perte _ divertis _ par l’entertainment (régnant à la télévision : même à la BBC ?..).

Il est devenu indispensable d’être joignable partout, à tout moment ; et cela se traduit par des heures de communication stériles _ c’est aimable _ via Internet ou les textos _ quelle sordide dérision !


La langue se banalise, le vocabulaire s’appauvrit ; nous sommes bombardés d’informations
_ et clichés _ ; mais le véritable échange d’idées _ condition de la vraie démocratie, pourtant _ est devenu bien rare. Les rapports épistolaires qui permettaient d’exprimer _ en la « formant«  vraiment _ la profondeur d’une pensée ou d’un sentiment _ plutôt que l’impact brut d’émotions _, ce magnifique plaisir _ certes _ de l’écriture, tombe en désuétude.


Trop de choses se ruent vers l’abîme
_ du nihilisme _ ; et je ne m’en console pas« , page 442…

A contrario, toutefois,

les « artistes » que Peter Adam a « eu le privilège de filmer » (et bien d’autres encore, aussi) « sont la preuve _ vive, vivante ! _ que l’humanité est encore et sera toujours capable de résister _ voilà ! _ à la conspiration _ grégaire _ de la médiocrité«  _ et de ses « statistiques«  ! pages 442-443.

Car « l’art nous donne accès _ en finesse et délicatesse _ à la richesse du monde dans ses dimensions _ qualitatives _ les plus complexes _ et diaprées : jusqu’au sublime…

La vie sans art n’est qu’une source _ minimalement _ tarie.

Seul le travail de l’esprit _ voilà _ peut nous offrir une existence plus vaste _ et libre en l’amplitude de ses mouvements _ que notre bref intermède biologique« , page 443 : bravissimo, M. Peter Adam !!!

La première partie du livre _ soient les chapitre 1 à 6, de la page 13 à la page 134 _ restitue le « terreau » de la génération de ceux qui ont été enfants sous le nazisme _ même si c’est non sans résistance critique dans le cas de la famille Adam, et de la mère, Louise, devenue veuve en 1935.

La seconde partie _ soient les chapitres 7 à 12, de la page 135 à la page 219 _ présente la période d’errances _ avec assez peu de boussoles _ cosmopolites (Paris, Rome, New-York, Londres) et les difficultés _ d’orientation _ de Klaus-Peter, puis Peter, avant de réussir à trouver le « dispositif » professionnel qui lui permettra de devenir véritablement lui-même ; et d’accomplir (en œuvres ! de partages) une « vocation« …

La troisième partie _ soient les chapitres 13 à 33 + l’« épilogue«  ajouté à la version française de la page 221 à la page 443 _ décrit l’éclosion (assez rapide : le chapitre 13 : « Témoin : Berlin, Biafra« , en 1968 et 69) et la maturation-maturité _ sereine _ de l’artiste-témoin :

et de son temps,

et des démarches de création des artistes ses contemporains (et souvent amis, vraiment !),

que sut devenir Peter Adam ;

avant de passer, in fine, à l’écriture _ puis la réécriture ! maintenant… _ du « témoignage » de son propre œuvrer…

Car très vite, dès 1969, « on avait demandé à James Mossman de reprendre la rédaction d’un magazine culturel hebdomadaire, Review, l’émission d’art la plus réputée de la BBC. (…) C’était l’occasion de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Serait-il _ Jim _ capable de briser cette notion élitiste du bon goût qui dominait encore les reportages culturels de la BBC sans tomber dans le piège de la vulgarisation ou des généralisations _ tout Art est initiation à la singularité ! _ simplistes ?

Jim finit par accepter ce poste de rédacteur en chef, à condition que je l’accompagne dans cette aventure. Ce ne fut pas un choix facile, car j’aimais beaucoup les actualités. Je postulai donc pour ce nouveau travail, et fus embauché comme rédacteur en chef de cette émission artistique hebdomadaire.

Je venais de tourner une nouvelle page ; et un autre chapitre de ma vie commençait. J’avais quarante ans« , page 241.

Vont suivre vingt ans (1969-1989) de réalisations de films pour faire connaître _ en donnant à ressentir _ (par la BBC) le sens des créations artistiques modernes et contemporaines _ avec témoignages (= interviews ouvertes…) des créateurs, si possible, et documents audio et visuels à l’appui.

Ainsi _ parmi les projets entrepris et parfois avortés en chemin, ou effectivement réalisés et passés à l’antenne _ :

des émissions sur André Malraux (pages 243 à 245), Rudolf Noureev (245 à 248)

_ avec aussi, un reportage sur « Cuba : Art et révolution _ onze ans après » (249 à 257) _,

« Visconti au travail » pour Mort à Venise (259 à 267), Vladimir Nabokov (269 à 270), Andy Warhol (270 à 273), Doris Lessing (279 à 280), l’hommage, suite à sa mort par suicide, à James Mossman _ « J’intitulai l’émission To be a witness (« Être un témoin« )… _ (280 à 282), Borges (283 à 287)

_ avec, alors, la double décision, page 287, « de rester au département des Arts ; et de me consacrer à des films plus longs«  : c’est-à-dire moins courts ! afin de mieux rendre compte de ce qu’est la créativité singulière d’un artiste…

Hans Werner Henze (289 à 292), Man Ray (292 à 295), « Rêves royaux : Visconti et Louis II de Bavière« , à propos du tournage de Ludwig, le crépuscule des dieux (295 à 298)

_ avec, alors, une série de six émissions, « Eux et nous« , « sur l’art et la culture au sein des six pays fondateurs de la Communauté européenne » (pages 301 à 311) ; ainsi qu’une émission hebdomadaire consacrée au théâtre dans toute l’Europe (313 à 319) _,

« L’Esprit du lieu: la Grèce de Lawrence Durrell » (321 à  325)

_ la publication, en 1987, d’un livre de Peter Adam, « Eileen Gray, a biography » (paru aussi en traduction française, aux Éditions Adam Biro), consacré à son amie « la grande designer Eileen Gray«  qui vécut de 1878 à 1976 (327 à 333) _,

le « nouveau cinéma allemand » de Volker Schlöndorff, Wim Wenders, Werner Herzog, Hans Jürgen Syberberg et Rainer Werner Fassbinder (335 à 340), Jeanne Moreau (340 à 345), « Alexandrie revisitée : l’Égypte de Durrell » (347 à 351), Lillian Hellman et Lotte Lenya (353 à 367), « Diaghilev : une vision personnelle » (369 à 375), Edward Albee, « Un auteur dramatique face au théâtre » (385 à 388), David Hockney (388 à 394), une série consacrée aux « Maîtres de la photographie« , dont André Kertész, Alfred Eisenstaedt, Bill Brandt et Jacques-Henri Lartigue (395 à 407), « Richard Strauss « ressuscité » » (415 à 423) ; une dernière série (de 100 heures) consacrée à « L’Architecture au carrefour« , avec une trentaine d’architecte interviewés, dont I. M. Pei, Richard Rogers, Richard Meier, Norman Foster, Jean Nouvel et Arata Isozaki (page 425), « Gershwin « ressuscité » » (page 133), Buñuel (pages 433 à 434) ; et, pour finir, deux émissions d’une heure consacrées à « l’Art du troisième Reich » (435 à 438)…

Ces Mémoires à contre-vent (aux Éditions de La Différence) : un travail magnifique d’humaniste libre et exigeant !

« Passeur » de la poiesis des artistes ses contemporains les plus authentiques

par l’image filmique de la plus grande qualité ! dans le plus scrupuleux souci de l’intelligence du sens !

Bravo !

Titus Curiosus, ce 2 mai 2010

 

La joie sauvage de l’incarnation : l' »être vrais ensemble » de Claude Lanzmann _ dans l »écartèlement entre la défiguration et la permanence », « là-haut jeter le harpon » ! (VII)

07sept

Alors, quelle fut la solution poïétique cinématographique d' »auteur » de Claude Lanzmann ?

d’œuvre en œuvre « se confirmant » et « s’engrossant«  _ cf l’usage de ces deux verbes à la page 243 du « Lièvre de Patagonie« …)

depuis l’affrontement à l’énigme de « Pourquoi Israël« 

jusqu’au projet non, à ce jour encore, réalisé de l’opus cinématographique « nord-coréen«  (= la « brève rencontre de Pyongyang » cette semaine _ et cette « folle journée » du dimanche de canotage sur le fleuve Taedong-gang, tout spécialement ! qui la clôt en apothéose ! _ de la fin août 1958…),

en passant par le « monument«  (le mot est de Simone de Beauvoir, page du « Lièvre de Patagonie« , page 271 : « Il s’agit d’un monument qui pendant des générations permettra aux hommes de comprendre un des moments les plus sinistres et les plus énigmatiques de leur histoire« ) de « Shoah«  ;

à propos duquel, « Shoah« , ce jour même, je peux lire dans l’édition papier du « Monde« , à la page 3 du cahier « Littérature » et sous la plume de Yannick Haenel (et Franck Nouchi le « rapportant » en son article) cette phrase importante-ci, que je détache :

« « Shoah » est un film à venir, écrit Yannick Haenel _ donc, rapporte Franck Nouchi _ dans « Jan Karski« , son dernier ouvrage : « on commence à peine à penser _ rien moins !!! en 2009 : plus de six décennies après la survenue de la « Chose«  ; et encore vingt-quatre plus tard que le film même qui la fait (un peu ; jamais complètement : c’est tellement impossible !) « comprendre«  dans la matérialité précise de ses « détails« , « rapportés«  au plus fidèle par la « reviviscence«  des « témoignages«  si précieusement alors « recueillis« , en cette aventure filmique de ce film, « Shoah« , si singulier lui-même, par Claude Lanzmann !.. _,

on commence à peine à penser _ tant cela paraît d’abord, et même ensuite, impensable ! sur « l’impensable« , cf page 83 du « Lièvre de Patagonie« , et à propos de la mort et du néant évoqués par un poème de Monny de Boully, dont quatre vers ont été choisis (« j’ai fait graver ce défi immortel sur la stèle qui surplombe la tombe de ma mère, au cimetière du Montparnasse« ), cette expression de Claude Lanzmann, page 83 : « sur la stèle, on peut donc lire aussi quatre vers d’un de ses poèmes _ de Monny, donc, le « Rimbaud serbe« _, déchirant poème sur la mort et le néant impensables, impensable pensée«  : c’est le cœur de l’énigme même à laquelle tout le « Lièvre de Patagonie«  ose, et en permanence, se confronter !..  _

on commence à peine à penser

ce qu’un tel film donne à entendre«  _ le mot est à prendre à la lettre, par ce qui se donne à recevoir, accueillir, via les oreilles et le cerveau, des « récits de parole«  des « témoignages » proférés par la voix, accompagnée de l’expression des visages ; et l’expression en son entier étant aussi « reprise » en chapeau pour donner son titre à l’article de Franck Nouchi sur l’événement (dans l’histoire de notre inculture-culture) que constitue aussi, de fait, ce livre de Yannick Haenel, « Jan Karski« , à propos de ce que, d’abord, surtout, a fait (« fin août«  1942, pour ses deux « venues dans le ghetto«  de Varsovie ; et quelques jours avant « le 11 septembre 1942« , « voir un camp d’extermination des Juifs« ) ; et de ce que, ensuite, a écrit (en 1944 : « écrire un livre était encore une manière de franchir la ligne : une façon nouvelle de transmettre le message, comme si je passais de la parole à un silence étrange _ un silence qui parle« , fait superbement « penser«  et dire Yannick Haenel à Jan Karski, page 142 de son livre) ; Jan Karski ;

avec, sur la même page du Monde de ce vendredi 4 septembre, encore, un très beau « commentaire » à propos du « mandat » de « témoin »

(« Une chose est certaine, la posture du témoin qui a été mienne dès mon premier voyage en Israël _ en 1952 _, et n’a cessé de se confirmer et s’engrosser au fil du temps et des œuvres _ voilà ! _, requérait que je sois à la fois dedans et dehors, comme si un inflexible mandat m’avait été assigné« , disait Claude Lanzmann aux pages 243-244 de son « Lièvre« …),

sous la plume toujours infiniment sensible et justissime _ cf son plus qu’indispensable « « Qui si je criais… ? » _ Œuvres-témoignages dans les tourmentes du XXe siècle« , paru aux Éditions Laurence Teper en 2007 _ de Claude Mouchard ;

et pas seulement du « mandat de témoin » de Claude Lanzmann lui-même : en tant qu’« accoucheur«  (et « passeur« , aussi, transmetteur à bien d’autres, via ses propres œuvres : de cinéma de « reviviscence » des « témoignages« , précisément) ; en tant qu’« accoucheur« , donc, de « témoignages«  (des victimes, des bourreaux, des témoins plus ou moins extérieurs, ou passifs ou complices, volens nolens : « il s’agissait d’un film, j’étais à la recherche de personnages » s’exprimant eux-mêmes en personne en direct, en quelque sorte, à l’écran ; et pas de documents d’archives, page 432) ;

c’est à propos du travail, aujourd’hui, d’écrivains, tels que Yannick Haenel pour ce « Jan Karski« , ou Bruno Tessarech, pour « Les Sentinelles » ;

je lis ce qu’énonce le grand Claude Mouchard :

« ces deux romanciers nés après guerre, se retournent _ littérairement : à la recherche d’une « ré-incarnation« , pourrait-on dire… : par le souffle du style ! _ sur cette période qu’ils n’ont pas vécue en s’efforçant d’allier _ conjuguer, fondre… _ à leur écriture de « fiction » la connaissance précise _ historiographique _ des événements et si possible (mais là il arrive que les choses se gâtent), une charge de pensée. C’est la preuve qu’une transmission des témoignages s’opère ou se cherche _ aussi et spécifiquement _ en littérature _ en effet ! Cette exigence de transmettre _ oui _ est d’ailleurs d’emblée présente chez Haenel puisque, dans la première partie du livre _ « Jan Karski«  : pages 13 à 34… _, nous découvrons Karski par le regard du romancier, qui lui-même le découvre dans « Shoah« , de Claude Lanzmann _ avant de le « découvrir«  encore, en une seconde partie, pages 35 à 113, en tant que « témoignant directement« , en « auteur«  de son livre, en 1944 (paru sous le titre, en anglais, de « Story of a Secret State » ; le livre est traduit en français en 1948 : « Histoire d’un État secret » _ celui du gouvernement clandestin polonais en exil, à Paris, puis à Londres (ainsi que de son bras armé de la Résistance sur place, dans la Pologne occupée par les nazis et par les soviétiques !) _ ; et re-publié en 2004 sous le titre, cette fois, de « Mon témoignage devant le monde _ histoire d’un secret« , aux Éditions Point de Mire ; son tirage est épuisé… ; avec une nuance  d’importance toutefois : de 1948 à 2004, le « secret«  passe de la clandestinité de l’État polonais au mutisme mal assumé des États alliés à propos de l’Extermination alors en cours des Juifs d’Europe…). Le lecteur devient donc lui-même une manière de témoin _ à son tour ! s’il est, montaniennement surtout, « de bonne foi » ; sinon, « qu’il quitte » de tels « livres » !!! _, qui reçoit ce que l’auteur (Haenel), devenu transitoirement témoin d’une œuvre _ et le film de Claude Lanzmann, en 1985, et le livre de Jan Karski, en 1944 _, lui confie du témoignage _ par deux fois, en le film de Lanzmann (en 1977), et en son propre livre (en 1944) _ d’un autre (Karski), le témoin _ direct, lui _ des faits«  :

« on est fin août«  1942, page 90, du « Jan Karski » ; « il est allé deux fois dans le ghetto«  de Varsovie (la seconde étant « le jour suivant » le premier : en pénétrant par le « même immeuble, même chemin« ), page 32 ; « une maison de la rue Muranowska dont la porte d’entrée donne à l’extérieur du ghetto, et dont la cave mène à l’intérieur« , page 96 ; ou plutôt « il revient deux jours plus tard« , page 99 ;

et « quelques jours après sa seconde visite au ghetto de Varsovie, le chef du Bund, qui lui a servi de guide, propose à Jan Karski de « voir un camp d’extermination des Juifs« , page 101 : plutôt que du camp de Belzec lui-même, « il s’agirait _ avance Yannick Haenel _ du camp d’Izbica Lubelska« , page 101 (cf les pages 101 à 105 du livre de Haenel : terribles !) _ ;

et qui tragiquement échoue, ce Jan Karski de l’Histoire, à faire « reconnaître«  et « interrompre«  : par des interventions ciblées _ par exemple autour d’Auschwitz _ ces « faits« -là, par Roosevelt ou Churchill… _

Le lecteur devient donc lui-même une manière de témoin, qui reçoit ce que l’auteur (Haenel), devenu transitoirement témoin d’une œuvre, lui confie du témoignage d’un autre (Karski), 

le témoin

des faits _ eux-mêmes. Un témoin qui a d’ailleurs, historiquement, un statut particulier. Qu’il s’agisse de la Shoah, du goulag, ou du génocide cambodgien, nombre de témoignages émanent des victimes. Karski, lui, n’était pas juif. Polonais catholique et résistant, ce n’est pas en victime, mais en bystander (même s’il refuse de rester _ seulement _ dans cette position « à côté ») qu’il témoigne de ce qu’il a vu dans le ghetto de Varsovie et dans un camp _ en avant de celui de Belzec. C’est donc un « témoin-messager ». Ils ne furent pas nombreux dans ce cas« 

Fin de l’incise sur le commentaire si juste de Claude Mouchard ;

et je termine maintenant ma (toute première) phrase :

Alors, quelle fut la solution poïétique cinématographique de Claude Lanzmann ?

solution d’œuvre en œuvre « se confirmant » et « s’engrossant« ,

depuis l’affrontement à l’énigme, d’abord, de « Pourquoi Israël » (1973 _ le titre le dit lui-même !.. affirmativement !) en en proposant, en trois heures et quart de film de « témoignages« , pas moins, une première réponse, un premier éclairage,

jusqu’au projet non, à ce jour encore du moins, réalisé de l’opus cinématographique « nord-coréen«  (= la « brève rencontre de Pyongyang » cette semaine _ et cette « folle journée«  _ de la fin août 1958…),

en passant par le « monument » de « Shoah » (1985 _ de neuf heures et dix minutes rien que de « témoignages« , encore…) ;

ainsi que « Tsahal » (1994 _ de quatre heures et cinquante minutes) ;

« Un Vivant qui passe » (1997 _ une heure et cinq minutes) ;

et « Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures » (2001 _ une heure et trente cinq minutes)

quelle fut la solution poïétique cinématographique de Claude Lanzmann

au « mystère » découvert peu à peu par lui ;

et qui,

« vérifié » « dans le désespoir, pendant la réalisation de « Shoah« , lorsque je fus _ pleinement _ confronté aux paysages de l’extermination

_ tout d’abord (au village de Treblinka, à partir de la page 492 (« le détonateur manquait. Treblinka fut la mise à feu« ) du « Lièvre«  _

en Pologne« 

(« confrontation« 

_ cette « confrontation entre la persévérance dans l’être de ce village maudit, têtue comme les millénaires, entre la plate réalité d’aujourd’hui et sa signification effrayante dans la mémoire des hommes«  qui « ne pouvait être qu »explosive« , page 492 _

qui fut en effet « alors » _ en février 1978 _, pour lui, Claude, « un bouleversement inouï, une véritable déflagration ; la source de tout« , même !., page 169 : Claude Lanzmann le détaille magnifiquement au chapitre XX, aux pages 490 à 498),

quelle fut alors la solution poïétique cinématographique de Claude Lanzmann

au « mystère » découvert peu à peu par lui ;

et

qui

« se déclara » à lui, sans doute tout d’abord, en constatant, rétrospectivement, un jour

_ non précisé dans le livre, autour des deux pages 169 et 170 ;

et « constat«  qui fait, probablement, pleinement partie intégrante du « travail de deuil«  se poursuivant toujours, toujours, en Claude (« les novembre ne me valent rien, c’est le mois de la mort d’Évelyne« , page 189) de la perte de sa sœur Évelyne, par suicide, le 18 novembre 1966 _,

en constatant, rétrospectivement, un jour

la disparition du café « Royal »

(« un café très animé de Saint-Germain-des-Prés _ un vrai bistrot avec un grand comptoir courbe, de hauts tabourets rouges et une large arrière-salle _ situé juste en face des Deux-Magots, au coin de la rue de Rennes et du boulevard Saint-Germain« , page 169 _ je m’ y suis rendu ce samedi 5 septembre ! à la place du Royal, une boutique Armani…)

où s’était passé, « en un éclair« , page 170, une scène cruciale (avec la survenue improbable et inattendue _ et très malencontreuse pour Évelyne et son mari, Serge Rezvani… _ de Gilles Deleuze) pour le destin de sa sœur Évelyne, suicidée, dans certaines (longues, souterraines, certes) « suites » (plus de seize ans plus tard) de « cela«  _ = cet « éclair« -là, entre ces paires d’yeux-là, en ce lieu-ci… _, le 18 novembre 1966…

Alors quelle fut la solution poïétique cinématographique de Claude Lanzmann

au « mystère » découvert peu à peu par lui

du « combat » _ voilà le cœur de l’obsédant « mystère » ! _, de l' »écartèlement entre la défiguration et la permanence » ?..

des lieux _ à Paris, à Berlin, à Pékin et Shanghaï ; ou Pyongyang !!! _ ;

ainsi, peut-être aussi que le « combat«  et l' »écartèlement entre la défiguration et la permanence«  des personnes elles-mêmes qui y sont passées (et, certaines d’entre elles, au moins, ne sont plus ; sinon, pour et par nous, par le souffle vibrant de la mémoire en travail ; et son « imageance » ; versus les forces d’annihilation, et concertées ou pas, de l’oubli…) ?..


Car « permanence et défiguration des lieux

sont la scansion du temps de nos vies« , toujours page 169 :

« dans le temps« , conclut Proust sa « Recherche« 

Et « ce combat, cet écartèlement entre la défiguration et la permanence« 

sont bien « la source de tout«  (page 169, toujours)

de tout l’œuvre lanzmannien ;

à commencer par la « quête » (de « vérité » et « pour l’éternité«  !) cinématographique (via l’obtention et l’« incarnation«  des « témoignages« ) de Claude Lanzmann cinéaste ;

à laquelle s’ajoute, peut-être,

sur un mode de « compensation« ,

ou pas (c’est à considérer !),

à l’arrêt _ provisoire ou définitif ? qui le sait ? depuis le « Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures«  paru sur les écrans en 2001… _ de ses tournages,

à laquelle s’ajoute, peut-être, dis-je,

la « dictée«  de ce « Lièvre de Patagonie« -ci à Juliette Simont et Sarah Streliski :

quand la voix « dicte«  (et le livre « recueille ») ce que la caméra et le micro ne captent pas (ou plus !?!) sur la bande unique, en anneau de Moebius, du film de cinéma…

Nous allons bien voir…

Avec cette remarque d’apparence d’abord assez anodine que voici, pages 169-170 :

« Saint-Germain-des-Prés ou le Quartier latin ne sont certes pas des hauts lieux de massacre _ tels Treblinka, Sobibor, Belzec, Majdanek, Chelmno ou Auschwitz-Birkenau _ : que le Royal, la librairie Le Divan, au coin de la rue Bonaparte, à l’autre bout de la place, ou encore, Boulevard Saint-Michel, les Presses universitaires de France, théâtre de mes larcins _ d’étudiant, l’année de « frasques » 1946… cf tout le chapitre VIII _ aient dû, avec tant d’autres, céder _ voilà la « défiguration » !.. _ à la pandémie de la mode, est simplement triste » _ et significatif de la « croissance » rampante rapide du « nihilisme« _ ;

mais donnant lieu à la conclusion majeure qui la suit immédiatement, page 170 :

« Davantage, peut-être :

vivants, nous ne reconnaissons plus _ à mesure que, peu à peu, et d’abord assez insensiblement, du temps passe _ les lieux de nos vies ;

et éprouvons _ parfois, à l’occasion, alors un peu brutale, et nous surprenant... _ que nous ne sommes plus

les contemporains de notre propre présent« , page 170 du « Lièvre« , donc :

celui-ci, « notre propre présent« , nous filant, hors de perception, entre les doigts et nous échappant, insaisi,

ayant cessé, assez surprenamment, lui comme nous-même, d’« être vrais ensemble« 

Quelque chose de notre « co-présence » (et « con-temporanéité«  ! donc…)

est-il, ou pas, cependant,

de quelque façon, ou pas,

« rattrapable«  ?..

Voilà, en tout cas, la question (ou l' »opacité« ) à propos de ce « mystère » de l' »écartèlement » entre « permanence » et « défiguration » se combattant sans cesse

(et des degrés possibles d’une élucidation éventuelle de celui-ci)

qu’il me plairait _ sans la défigurer ; ou la détruire… _ d’éclairer un peu ici,

en conclusion enfin (et synthèse de l’esthétique d' »auteur » de cinéma de Claude Lanzmann),

de ma lecture de cet immense, on ne le dira jamais assez, « Lièvre de Patagonie » ;

et de ce « feuilleton de l’été » de ce blog…

Indépendamment de la configuration (« défiguration » versus « permanence« , donc) de ce carrefour parisien de Saint-Germain-des-Prés (baptisé « Carrefour Jean-Paul Sartre-Simone de Beauvoir« , qui plus est !),

et à côté des expériences foudroyantes, elles, des lieux de l’extermination industrielle des Juifs d’Europe sur le territoire de l’actuelle Pologne,

et à côté, aussi, des cas rapidement évoqués de Pékin et Shanghaï

(par où Claude Lanzmann est passé lors de ses deux voyages en Chine, en 1958 et en 2004 ; cf ses remarques des pages 328-329 :

à Shanghaï : « presque cinquante ans après, la métamorphose de la Chine me sauta _ presque « lièvrement«  _ au visage ; m’enthousiasma _ cf aussi le « Les Transformations silencieuses » et « La Propension des choses«  de mon ami François Jullien… _ ; je n’en dirai rien, sauf ceci : à Shanghaï, j’ai pris un bateau qui descendait le Huangpu jusqu’à sa confluence avec le Yangzi Jiang, où les deux fleuves deviennent une mer sans rivages. Pendant les trois heures de la navigation, on éprouve physiquement la puissance de la Chine, la conscience qu’elle a de cette puissance et sa façon orgueilleuse de le montrer« , page 328 ;

et à Pékin : « Pékin : ses dix périphériques ; ses gratte-ciel qui s’édifient à grande allure, changeant en quelques semaines le paysage urbain au point que les Pékinois eux-mêmes semblent dépaysés _ cf du même François Jullien « Dépayser la pensée«  _ dans leur propre ville devenue épicentre de la mondialisation _ lire aussi le très riche et passionnant « Mégapolis » de Régine Robin ; et mes deux articles sur ce travail en ce blog-ci… _ ; l’éblouissement absolu de la Cité interdite et du temple du ciel enfin offerts à tous ; Pékin le jour ; Pékin la nuit, avec ses restaurants, ses bars, ses prostituées mongoles à forte stature et terrassante beauté« , page 329…) ;

c’est la comparaison des deux cas de Berlin et Pyongyang

qui me semble la plus, et de manière assez éblouissante, parlante :

Pyongyang, elle, est la ville de l’impossible métamorphose d’un peuple tout entier « essoufflé » _ et pas que par le tabac ! _ dans un temps (totalement !) figé qui ne sait rien construire, tout en détruisant beaucoup, dans son temps (étatique) doublement immobilisé :

« La Corée du Nord a arrêté le temps deux fois au moins : en 1955, à la fin de le guerre ; et en 1994, à la mort de Kim-Il-sung« , page 335… Et « Un demi-siècle de mobilisation _ paralysante ! _, un demi-siècle sans tirer un coup de feu, cela ne peut être et se poursuivre sans un très puissant dérivatif : le tabac. Malgré défilés, pas de l’oie et rodomontades, l’armée coréenne est à bout de souffle. Cela se vérifie d’ailleurs à la faible amplitude de l’élévation, chez eux, du mollet tendu ; dérisoire si on le compare au jeté nazi du même pas de l’oie, grimpant haut, à la perpendiculaire du bassin« , page 337.


Les solutions cinématographiques pour « donner à voir«  (page 341)

« de la façon la plus saisissante, tout ce que j’ai narré plus haut _ pages 331 à 341 ; cf aussi mon propre précédent article de cette série _ sur la ville _ de Pyongyang _, le vide, la monumentalisation, la mobilisation permanente, le tabac et l’essoufflement généralisé, la faim, la terreur, la suspension du temps pendant cinquante ans ; montrant que tout a changé ; rien n’a changé ; tout a empiré. Et, sur des plans du Pyongyang contemporain, une voix off, la mienne aujourd’hui, sans un acteur, sans une actrice, sans reconstitution, eût raconté _ sur la bande-son de ce film « à venir«  _, comme je l’ai fait _ en le récit « parlé«  qu’a recueilli, via les doigts, sur le clavier de l’ordinateur, de Juliette Simont et de Sarah Streliski, la page du livre, cette fois _ dans le chapitre précédent, la « brève rencontre » de Claude Lanzmann et Kim Kum-sun. Il s’agirait d’un très minutieux et sensible travail _ de « construction«  riche et complexe, de « vérité » : sans trucages ni artifices séducteurs, mensongers _ sur l’image et la parole, le silence et les mots, leur distribution _ « scandée« , avec les « trous«  du souffle… _ dans le film, les points d’insertion

_ ultra-sensibles ! la « rencontre » (du souvenir énoncé par la voix du passé, éloigné mais revisité par le récit mémoriel, et des images fortes, en un autre sens, du présent des lieux, vides de la présence recherchée à re-trouver, re-rencontrer, de la ville…) trouvant à miraculeusement s’y « incarner«  _

Il s’agirait d’un très minutieux et sensible travail sur l’image et la parole, le silence et les mots, leur distribution dans le film,

les points d’insertion, donc,

je reprends cette phrase décisive de Claude Lanzmann, page 342,

du récit du passé _ par la voix off qui se souvient ! au présent de sa vibration ! _  dans la présence _ à l’image : de ce qui se donne à percevoir visuellement dans l’aujourd’hui _ de la ville _ dont l’« opacité«  effarante du « vide » se perce alors et ainsi _ ; discordance et concordance _ luttant avec acharnement entre elles : un « combat » et un « écartèlement » permanent de ce qui se refuse et se laisse pourtant appréhender (mais seulement à qui « cherche«  à « vraiment«  voir et à « vraiment«  entendre _ comme amoureusement : il n’y a que l’amour vrai à ne pas être aveugle ! _ si peu que ce soit, à contresens des « faux-semblants«  !) en « ressuscitant » du fait de ce que vient dire la voix vive du « témoin » qui se souvient, en une « vision » (ou « voyance« , page 285 _ ou même « imageance« , pour reprendre le concept-clé de ma lecture de l’« Homo spectator » de Marie-José Mondzain) hyper-hallucinée autant que très précise ! _ qui culmineraient en une temporalité unique _ un ruban de Moebius _, où la parole se dévoile comme image et l’image comme parole« 

Les solutions cinématographiques pour « donner à voir«  (page 341)

« de la façon la plus saisissante, tout ce que j’ai narré plus haut sur la ville » _ de Pyongyang aujourd’hui _ et la « brève rencontre » avec Kim Kum-sun en 1958

sont passionnantes !

Et, par contraste, en positif, cette fois, Berlin !

« J’aimais _ en 1947-4849 ; page 207 _, j’aime toujours Berlin ; et je n’en aurais jamais fini avec l’énigme _ voilà le passionnant de l’inépuisable singularité des « énigmes » : de villes, comme de personnes (telles que la mère de Claude, Pauline-Paulette Grobermann-Lanzmann-de Boully ; ou sa seconde épouse, berlinoise rencontrée à Jérusalem, Angelika Schrobsdorff)…  _ que l’ex-capitale du Reich, capitale aujourd’hui _ = l’« aujourd’hui«  de l’écriture de ce « Lièvre de Patagonie«  _ de l’Allemagne réunifiée, représente _ encore, toujours _ pour moi. Je peux passer des heures au Paris Bar ou au Café Einstein _ toujours ces merveilleux lieux de rencontres possibles (des autres), et d’une convivialité possible des différences et singularités, que sont les cafés de l’Europe… _, où inlassablement je confronte _ voilà : en « imageance«  ; et victorieusement : dans la joie… _ le spectacle de ces couples de jeunes Allemands, avenants, libres, sérieux, à toutes _ et combien diverses ! riches de leur vivante complexité !.. _ les images de ma mémoire ancienne.

Depuis 1948, je suis revenu bien des fois à Berlin, mais quelques années après la chute du Mur, au cours d’une croisière sur la Spree, la rivière de la ville, j’avais été saisi _ très positivement _ par l’architecture du nouveau Berlin, légère, aérienne, inventive _ voilà ce qui doit être, au meilleur du « génie » humain ! _ ; qui défiait _ avec l’« esprit«  incisif, créatif et joyeux, au-delà ses ironies mordantes, d’un Brecht ! _ le Berlin en ruines que j’avais connu autrefois ; et sa première reconstruction dont j’avais été _ alors, cet après-guerre _ le témoin ; comme si l’Histoire imposait à cette métropole un recommencement _ affirmatif, vivace : de « lièvre » ironique joyeux en son « bondissement«  _ perpétuel.

Bien plus tôt, dès 1989, j’avais découvert le Bauhaus-Archiv, le long du Landwehrkanal dans lequel fut jeté le corps de Rosa Luxemburg après son assassinat

(mon ami Marc Sagnol, grand chasseur de traces juives en Allemagne, en Europe de l’Est, en Russie, en Ukraine, ou en Moldavie, a été le premier à me montrer l’endroit où flottait entre deux eaux son cadavre ; je m’y rends maintenant, sans en saisir tout la raison, à chacun de mes séjours ; c’est comme une obligation intérieure à laquelle je ne puis me soustraire _ comme on le oit même les parenthèses de Claude Lanzmann sont essentielles, capitales ! _),

et d’autres lieux non construits, de vastes espaces abandonnés au cœur de Berlin de part et d’autre du tracé du Mur.

J’étais allé à maintes reprises à Berlin-Est pendant les interminables années de la guerre froide, avec un laissez-passer, mais je n’avais jamais vu ces endroits-là, car, jouxtant le Mur, ils étaient interdits.

Or ces lieux vagues et vides étaient précisément _ c’est ce dont je prenais conscience _ ceux de l’institution nazie. Si je les avais vus avant de réaliser « Shoah », je n’aurais sûrement pas été capable de les lire et de les décrypter _ il y faut l’apprentissage d’une culture « incarnée » on ne peut plus personnellement… A cause de « Shoah », mon regard était devenu perçant et sensible _ l’« expérience«  (afin de bien mieux « percevoir«  : ressentir et comprendre tout à la fois) se formant et se forgeant dans le mûrissement même de ce que vient mettre à notre portée et nous offrir du temps.

Le nom de la Prinz-Albrecht-Strasse me parlait _ désormais ! _ ; c’était là et dans les environs immédiats que se trouvaient les édifices de la terreur nazie, le Reichssicherheitshauptamt, le Auswärtiges Amt, la Gestapo : le centre du totalitarisme hitlérien.

Dans un de ces terrains vagues, si on descendait quelques marches, on accédait à une petite exposition souterraine, une enfilade de quelques salles, pas grandes du tout, avec des photographies ; certaines connues, d’autres moins ; légendées de textes sobres et forts _ cf mon article à propos . Le lieu était nommé « topographie de la terreur ». Je m’étais demandé quels Allemands avaient eu l’idée de cela ; et j’éprouvais pour eux, sans les connaître, une sympathie vive. Le passé revivait _ voilà : les « légendes«  « sobres et fortes«  ajoutant pas mal de choses aussi aux « images«  des photos… cf mon article du 14 avril 2009 à propos du passionnant travail de légendage du « Kriegsfibel » de Bertolt Brecht, in « Quand les images prennent position _ L’Œil de l’Histoire, 1 » de Georges Didi-Huberman _

Le passé revivait

par ces quelques salles ouvertes dans ce no man’s land que personne _ de si peu que ce soit « autorisé« , « académique« _ ne revendiquait ; où tout semblait possible _ facteur fondamental de l’« imageance«  de l’« Homo spectator« , comme du « génie«  créatif (pardon du pléonasme !) de l’artiste « auteur« ….

Je compris alors que Berlin était une ville sans pareille ; car on pouvait à travers ce paysage urbain déchiffrer tout le passé
_ passablement tourneboulé ! _ de notre temps ; appréhender _ de façon « saisissante » !.. _, comme dans des coupes géologiques, ses différentes _ comme superposées ; et, ainsi conservées, nous demeurant splendidement co-présentes _  strates _ le Berlin impérial, le Berlin wilhelminien, le Berlin nazi, le Berlin allié, le Berlin rouge, communiste _ qui coexistent, se conjuguent, se fondent en quelque chose _ un richissime ruban de Moebius _ d’unique pour l’Histoire du XXème siècle.

Pour moi, il y avait là une sorte de miracle mémoriel _ l’opposé de l’éradication-annihilation par le vide de Pyongyang, par conséquent _, un fragile miracle qu’il fallait préserver à tout prix. Je pensais que si les concepteurs et les architectes du nouveau Berlin voulaient assumer leurs responsabilités devant l’Histoire, ils ne devaient pas toucher à cela ; mais garder au contraire un vide _ respirant ! _ au cœur de la ville : ce trou, que, par devers moi, j’appelais « trou _ actif ! _ de mémoire ». Je me souviens avoir discouru là-dessus au cours d’un colloque, sans aucun espoir, car les promoteurs immobiliers ont le dernier mot ; et le plein l’emporte toujours _ sur le vide et l’élan (respiratoire, voire dansé !) de la remémoration de la personne singulière ; portée par ses « ailes du désir«  en quelque sorte… Mon « trou » rêvé n’existe plus aujourd’hui : c’est la nouvelle Postdamer Platz, avec son architecture futuriste, souvent admirable.

En vérité j’ai aimé Berlin dès la première année _ de séjour là-bas, en 1947 ou 48… _ ; j’avais surmonté ma peur de l’Est. L’effondrement du IIIe Reich, la capitulation avaient généré chez les Berlinois une sorte de liberté _ du « génie«  effectif, à l’œuvre (poïétique) : à la Kant… _ débridée et sauvage, alliée à une discipline et un courage inouïs« , pages 207 à 209 :

ce passage en forme d’« Ode à Berlin«  est particulièrement magnifique…

C’est le rythme de la scansion qui compte, l’élan et l’effectivité du souffle qui passe par les interstices et les espaces troués entre les strates, pour un sujet vivant qui se souvient et parle (et « crée«  aussi ainsi !) enfin,

amoureusement…

Voilà ce « souffle » qui « passe » dans la construction et le montage inspiré des divers « témoignages » des personnes, par les moindres inflexions de leur voix comme par les rumeurs de leur visage,

dans l’art de « vérité » du cinéma (de l’« être vrais ensemble« ) de Claude Lanzmann,

en tous et en chacun de ses opus…

Et voilà aussi pourquoi j’ose encore espérer la « réalisation » filmique de cet impossible opus « nord-coréen » de la « brève rencontre » à Pyongyang en 1958,

avec le chant de sa voix off sur l’« assise » d’images du vide de la ville monumentalisée d’aujourd’hui !…

D’où ce sublime hommage, évoqué page 83,

« défi immortel sur la stèle qui surplombe la tombe de ma mère, au cimetière du Montparnasse«  ;

ces « quatre vers _ gravés sur le marbre de la stèle pour l’« éternité » de la « présence » des disparus qui juste en contrebas reposent _ d’un des poèmes » de Monny de Boully ;

« déchirant poème sur la mort et le néant impensables ;

impensable pensée :

   « Passé, présent, avenir, où êtes-vous passés

     Ici n’est nulle part

     Là-haut jeter le harpon

     Là-haut parmi les astres monotones » »

Quel sublime « immortel défi«  ! que celui de la « présentification » à jamais

de qui « éternellement » on aime…

Titus Curiosus, ce 7 septembre 2006

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