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Balance de « l’humain » au stade gazeux du luxe : le diagnostic d’Yves Michaud

31déc

Pour continuer à réfléchir sur l’état présent de l' »humain« , tel que le présentent des phénoménes d' »aisthesis »  comme ceux qu’analyse Yves Michaud en son blog de Libération « Traverses« ,

et poursuivant lui-même sa réflexion de son opus de 2003 : « L’Art à l’état gazeux _ Essai sur le triomphe de l’esthétique« ,

voici

ces réflexions-ci,

en réponse à certains des « commentateurs« 

de son tout récent article « Le Luxe à l’état gazeux« , in Libération, en date du 29 décembre dernier, avant-hier :

Le luxe à l’état gazeux

Luxe et art ont une signification qui se recoupe(nt) sur certains points intéressants. Le luxe renvoie à l’idée d’abondance, de profusion, mais aussi de décoration et d’ornement, avec une connotation ambivalente de louange et de dénonciation. « Luxe » et « luxure » sont des doublets.

Il y a aussi, dans l’idée de luxe, celle d’un écart par rapport à la règle et à la ligne droite: le mot « luxation » vaut pour les articulations abimées et a la même étymologie. Or l’art et l’ornement ont aussi une origine étymologique indo-européenne qui en fait un écart et un ajout par rapport à la nature : l’art est ce qui se superpose et s’articule à la nature. C’est sur ce point qu’art et luxe se rejoignent : le luxe et l’art sont des ajouts décoratifs ou ornementaux, qui ne sont ni naturels ni indispensables, qui impliquent une déviation par rapport au naturel ; et souvent même un excès, avec la dépense somptuaire qui va de pair. Toutes les cultures associent art, dépense, artifice et excès non naturel.

De fait, toujours et partout l’art a été un luxe : non seulement parce qu’il va au delà du nécessaire, mais aussi parce qu’il met en œuvre des matériaux précieux, des habiletés techniques rares et coûteuses ; et qu’il est destiné à des usages précieux, qu’ils soient religieux ou séculiers. La fameuse « Salière » de Benvenuto Cellini fabriquée en 1542-1543 pour François Ier, coûta à l’époque 1000 écus d’or. On n’est pas très loin du crâne en platine de Damien Hirst (« For the Love of God« ) de 2007, avec ses 8601 diamants, vendu pour 74 millions d’euros.

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Ce lien d’excès et d’artifice entre art et luxe persiste aujourd’hui avec la corrélation entre nouvelles formes de l’art et nouvelles formes du luxe.

Pour ce qui est de l’art (au sens des arts visuels), il consiste de moins en moins en « œuvres« , pour  la bonne raison que se sont généralisées les stratégies « à la Duchamp » de production de ready-mades ; et que tout peut faire œuvre, y compris l’infime ou l’invisible. L’art consiste _ avec ou sans insister ? _, en fait _ c’est le cas de le dire ! _, de plus en plus, en expérience _ voilà : et de la part de qui ? de l’artiste qui le propose ? du public qui en fait l’« expérience » ?.. _ d’environnements et d’effets multi-sensoriels où sont réunis stimuli visuels, sonores, odeurs, ambiances et atmosphères dans des installations _ d’artistes (affirmés tels)…

Dans le même temps, la hiérarchie _ reconnue, grosso modo, socialement _ des arts a changé, avec un retour au premier plan de l’architecture, un développement du design, y compris comme design sonore, et le succès grandissant d’arts mineurs comme la cuisine, les parfums, la mode, le maquillage. L’art est devenu _ sociétalement ; sinon sociologiquement… _ un art d’environnement ou encore « ambiantal« .

Ces changements vont de pair avec une nouvelle forme d’expérience de l’art _ voilà ! _, distraite et flottante _ de la part du public, cette fois ; mais s’agit-il ici d’un « Homo spectator » (selon Marie-José Mondzain) ? et en un « Acte esthétique » (selon Baldine Saint-Girons) ?.. L’empirisme d’analyse d’Yves ici s’amuse, vraiment, beaucoup ! J’entends d’ici son rire empiriste ! La valeur principale au cœur de l’art est désormais _ sociétalement et sociologiquement : Pierre Bourdieu, l’inénarrable analyste de « La distinction _ critique sociale du jugement« , en 1979, éclate lui aussi de rire de dessous la tombe ! _ celle du divertissement _ « entertainment » ! dans le vocabulaire des entrepreneurs des studios de Hollywood, chaînes de télévision en pagaille, et autres vendeurs de « temps de cerveau humain » disponible… _ et du plaisir _ l’appât minimal et basique ; jusque dans le commerce de la pornographie… _ réunis dans un hédonisme _ voilà la philosophie qui a le vent en poupe : le plaisir est bien son carburant ! _ sans engagement _ surtout pas ! car alors, adieu Berthe !..  _ ni moral ni politique ; ou alors tellement léger _ quelques secondes : pas trop de temps à perdre, non plus, quand même… just for the fun _ qu’il n’est plus un engagement. L’expérience est celle d’une cénesthésie (complexe de sensations) débouchant éventuellement sur des partages _ tout de même : un minimum de connivences (langagières) comme « autorisation« , de fait, d’un minimum, cependant, de « légitimité » de l’éprouvé, même aussi « léger » et aussi peu « engageant » : les autres partagent-ils mon point de vue ? ouf ! me voilà rassuré ! la solitude (de l’éprouvé), ou « a-normalité« ,  étant rien moins que terrifiante : « monstrueuse«  !.. _ d’émotions. L’expérience esthétique contemporaine est une expérience diffuse, l’expérience d’un environnement saisi de manière inattentive et distraite, perçu _ juste _ « en passant«  _ dans la rue, par exemple ; et si possible « passante« , « passagère », la rue : sinon, pas de vérificateur (de conformisme) ! Quel effroi ! et quelle inutilité, aussi… Elle est fortement dépendante de moyens technologiques très avancés _ vive (et vivement, aussi !) la caution du « moderne« , de l’« up-to-date » ! _ et largement répandus, avec une base de production industrielle évidente _ l’invisibilité, la non-exhibition, n’ayant pas la moindre fonctionnalité ; et les exemples (les dits « people » : ils ont tellement besoin du regard populaire ! ainsi que de l’audimat : sinon ils seraient plus nus que nus…) venant de haut !

De ce point de vue, il devient difficile de faire la différence entre œuvre à proprement parler _ en dur ? durable ? et par quels facteurs, donc ?.. on doit se le demander aussi… _, décoration, environnement et expérience de consommation commerciale. Ceci va de pair dans nos sociétés de consommation et de plaisir avec une esthétisation _ soft, très soft… _ de la vie qui touche de plus en plus de domaines : la mode, le design, l’esthétique corporelle, la cuisine, la culture physique, la chirurgie esthétique, le secteur du luxe et jusqu’aux beaux sentiments _ affichés, sinon ça n’en mérite pas la peine ! _ qui sont devenus obligatoires sous peine d’incorrection politique ou morale _ car voilà le nouveau standard (d’intégration/exclusion) !

Dans l’idée courante, l’industrie du luxe produit sous des noms _ magiques ! _ de marque prestigieux des objets _ de prix d’achat conséquent ! _ faits de riches matériaux travaillés par des artisans exceptionnels pour des élites _ mais qui « le valent bien » vraiment, elles ! Pas seulement au niveau du slogan à l’adresse de tout un chacun acheteur de produits seulement « dérivés« , selon le slogan (efficace !) de l’Oréal, la marque de Liliane Béttencourt… Il faut déjà réfléchir qu’une somme _ réunie, rassemblée, pas seulement amassée _ d’objets fait un décor et un décor une ambiance, comme celle que l’on trouve quand on visite les demeures des « grands collectionneurs«  _ type Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent…

Les industriels du luxe poursuivent cette production, notamment à destination de leurs nouveaux marchés, ceux qui ont le mieux résisté à la crise, les marchés des pays émergents d’Extrême-Orient ou des Émirats arabes.

Il y a cependant un écueil très dangereux _ de banalisation ! _ pour les firmes comme pour les consommateurs, celui de la production industrielle de produits de luxe, qui deviennent en réalité ce qu’on appelle des « produits dérivés » et donc des produits de grande consommation _ la plus large possible : chiffre de vente oblige ! _, même si demeure le fétichisme _ sinon, pas d’achat ! _ de la marque.

Le secteur des parfums est, à cet égard, exemplaire, puisque les parfums sont pour la plupart produits par des maisons prestigieuses de haute couture dont les produits propres _ les vêtements _ sont inabordables _ of course ! et off course_ pour le consommateur moyen : la femme qui achète un parfum Saint-Laurent ne s’habille en général pas _ c’est ici un euphémisme _ de robes originales Saint-Laurent _ vivent (et prospèrent) les conduites magiques de « participation » imaginative…

Comme variante de cet écueil, il y a cet autre danger _ pour les finances des détenteurs de droit des « marques » ! pas pour ceux qui se parent des ersatz… _ qu’est la contrefaçon : elle se répand elle aussi de manière industrielle _ appât des gains obligent ! _ au même rythme que la production originale ; et elle ne peut guère être combattue qu’au nom de principes juridiques dès lors que tous les produits dérivés se rapprochent les uns des autres au point de se confondre _ aïe ! _ pour des raisons de production de masse _ il faut donc maintenir soigneusement les « distinctions » marquées dûment autorisées, labélisées…

Des enquêtes récentes sur les produits que les personnes de revenus supérieurs associent _ imaginativement sociétalement _ avec le luxe aux USA, en France et au Japon témoignent d’un changement significatif de la perception _ sociétale _ du luxe, et qui s’accorde avec ceux à l’œuvre dans les arts visuels _ dûment estampillés, eux, probablement, du moins : le doute s’y insinuerait-il donc ?..


Certes les Français comme les Américains associent encore l’idée du luxe à des objets comme les voitures, les bijoux, les œuvres d’art, les vêtements, les montres, mais ils associent aussi le luxe avec avions privés, yachts, hôtels, villas, voyages, parfums, clubs réservés, toutes choses qui renvoient à des expériences _ voilà ! _ comme celles du voyage, du tourisme, de l’évasion rapide et rare _ et chère. Le luxe, c’est en ce sens l’expérience de la vie légère et rêvée _ exotiquement _, une qualité d’expérience rare réservée à des happy few _ pouvant se les payer (ou faire offrir) ; jusqu’à en faire étalage ; cf le bling-bling des people au pouvoir dans ce que sont devenues nos malheureuses démocraties ! _, en échappant _ ouf ! vive la « distinction«  bourdieusienne… _ aux objets banals produits en masse pour les masses. La plupart des industriels du luxe confirment cette évolution : face à l’industrialisation de produits qui sont au bout du compte très proches, qui sont de toute manière banalisés et n’ont plus de luxe que la marque _ aïe ! _, il leur faut désormais soit vendre ces produits comme des expériences _ subtiles ! _ particulières, soit vendre des expériences luxueuses tout court.

La publicité du marketing expérientiel _ un concept bien intéressant ! _vend non pas des parfums pour parfumer, mais des expériences de parfums Dior, ou Saint-Laurent, ou Prada _ mazette !

On n’a pas été assez attentif à certains comportements en apparence seulement bizarres ou excentriques qui font entrer dans le monde de l’expérience tout court _ mais une expérience rare _ difficile d’accès _ considérée comme nouveau luxe, par exemple les premiers balbutiements du tourisme spatial. Seules quelques personnes peuvent s’offrir (et songent pour le moment à s’offrir) ces voyages en orbite qui coûtent des dizaines de millions de dollars. Le luxe ici, c’est celui d’une expérience réservée à quelques-uns seulement, comme dans le temps on s’achetait un « baptême de l’air » en avion ou en hélicoptère, voire, il n’y a pas si longtemps, une escapade en Concorde menant de Paris à Paris via le survol aussi rapide qu’absurde de la côte atlantique de la France.

La fascination pour les privilèges _ voilà : l’inverse de l’égalitaire ; cf le « Qu’est-ce que le mérite ? » d’Yves Michaud ; et mon entretien avec lui dans les salons Albert-Mollat le 13 octobre dernier ; ou mon article sur tout cela : « Où va la fragile non-inhumanité des humains ?«  _, pour les « listes« , pour les carrés réservés, les clubs exclusifs _ fermés aux autres ! renvoyés à leurs misérables pénates de ploucs ! _, pour les traitements différenciés des consommateurs selon leur pouvoir d’achat _ au niveau même des cartes bancaires _ relèvent aussi de ce transfert de la qualité de luxe sur des expériences rares et réservées _ qui en leur fond _ voilà un critère assez intéressant… _ peuvent être aussi inintéressantes _ tiens-donc : selon quels critères ? et quels « fondements » ?.. ah ! ah ! _ que l’expérience ordinaire _ trop « commune » ; pas assez « branchée«  _ ouverte à tous, mais dont la condition de rareté exclusive fait toute la précieuse différence _ rien que structurelle ; de comparaison strictement « idéelle«  : sans contenu ; et sans fond ! Voilà l’authentique misère se pavanant en transports et résidences « de luxe« … Quand ces rois-là _ cf le magnifique conte d’Andersen « Les Habits neufs du roi«  _ sont plus nus que nus !!!

Toujours selon ces enquêtes, les Japonais demeurent, en revanche, étonnamment traditionalistes, puisqu’ils continuent d’associer prioritairement le luxe aux montres, aux sacs à main, aux automobiles, aux bijoux, aux habits et aux chaussures. Il faudrait cependant prendre en compte qu’ils ont une conception de l’art et des expériences esthétiques fortement différente des nôtres, faisant depuis bien longtemps place à des qualités sensibles qui ne sont pas des qualités d’objets _ en dur _, mais d’expériences _ justement… _ et d’environnements (le vieux, le fragile, la beauté de l’âme intérieure ou celle de la nature en train de changer) _ de l’homo spectator ; et de l’actus aestheticus, si je puis dire ; en un contexte plus prégnant, in fine, que le seul objet envisagé en lui-même…

Au fond, de même que l’art est devenu gazeux, le luxe aussi se transforme ou, mieux, se vaporise en expériences _ gazeuses… Le parfum, si central dans l’esthétique de Baudelaire _ certes ! _, mérite de retrouver aujourd’hui la place pivot qu’il devrait tenir dans toute conception de l’expérience esthétique en général _ y compris authentique ; je renvoie ici aux œuvres-maîtresses de mes amies Baldine Saint-Girons, « L’Acte esthétique« , et Marie-José Mondzain, « Homo spectator » : des must !

Même si la formule est à l’emporte-pièce, on peut dire : «Finis les objets _ en dur _, bienvenue aux expériences _ gazeuses _ _ soit le statut de privilège du « singulier » jusque dans la sensation la plus évanescente : soigneusement présentée (à acheter : cher !) comme « hors-normes« 

Photo © AFP (La Salière de Benvenuto Cellini)
Photo © Reuters (Crâne de diamants de Damien Hirst)

Rédigé le 29/12/2009 à 12:34 dans Arts

Commentaires

« L’expérience » une fois morte et nous avec, il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes, à travers le culte de qualités d’expériences qui ne doivent rien à l’attention que l’on y porte, comme la question de la dérive le proposait et l’engage, mais à une fuite en avant dans le calculable que l’on thésaurise, avec l’avidité de celui qui toujours inquiet de ce qu’il risquerait de manquer reste étanche aux effets de présences qui s’offrent à lui, dans le plus simple appareil et d’un splendide dénuement.

Rédigé par : bénito | 30/12/2009 à 14:03

C’est ce très remarquable « commentaire« -ci, de Bénito, que je souhaiterai « commenter » un peu en détail ici même, maintenant :

«  »L’expérience » une fois morte, et nous avec » : devons-nous nous résigner à ce « constat«   ? Que Georges Didi-Huberman qualifierait sans doute d’« agambien » ; mais estimerait d’un pessimisme excessif : « à mieux gérer« , selon une autre expression, encore, après celle de « destruction de l’expérience« , de Walter Benjamin, que cite Didi-Huberman.

« il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide _ = un symptôme de nihilisme ! parfaitement !!! et gravissime… _ dans la recherche de différenciation _ si dérisoirement vaines !

et il faut en effet, et très énergiquement, en éclater de rire !!! montrer le degré astronomique : kakfaïen (cf son immense  « Journal« ) ! bernhardien (cf son autobiographie si géniale, ainsi que le magnifique opus ultimum « Extinction«  ) ! kertészien (cf  ce chef d’œuvre absolu qu’est « Liquidation« ) ! de leur « ridicule«  ! _

il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation

des zombies _ oui : il faut le proclamer sans cesse ; jusqu’à courir le crier sur tous les toits de la planète : ce ne sont rien que des « zombies« , ces pauvres fantôches qui se pavanent à « faire« , aux micros et devant les caméras des journalistes (complices pour la grande majorité d’entre eux ! des « chiens de garde« , dirait Nizan…), « les importants » ! _

des zombies 

parallèles _ qui ne se rencontrent jamais ; même et surtout en des fantômes de rapports amoureux ; cf le lacanien : « il n’y a pas de rapports sexuels » ; cf aussi le judicieux et très clair « Éloge de l’amour » d’Alain Badiou, ainsi que mon article récent sur cette conférence (donnée à Avignon, avec Nicolas Truong, le 14 juillet 2008), le 9 décembre dernier : « Un éclairage plus qu’utile (aujourd’hui) sur ce qu’est (et n’est pas) l’amour (vrai) : “L’Eloge de l’amour” d’Alain Badiou«  _

que nous sommes » :

que nous sommes, sinon déjà devenus,

du moins en train de devenir, bel et bien, en effet ; si nous n’y résistons pas si peu que ce soit ! un peu plus, davantage, en tout cas, que nous ne le faisons, bien trop mollement, pour la plupart d’entre nous !..

A preuve,

cette incise :

hier même, à mon envoi de l’article commentant la belle et forte indignation de Henri Gaudin quant à l’indigne, en effet, « restauration » qui menace un des plus sublimes hôtels parisiens du règne de Louis-le-Juste (en 1640, ou 42), à l’étrave si belle de l’Île Saint-Louis : « Le courage d’intervenir d’un grand architecte, Henri Gaudin : le devenir de l’Hôtel Lambert dans une société veule« , que voici :

De :   Titus Curiosus

Objet : Un article à propos de l’Hôtel Lambert

Date : 28 décembre 2009 17:28:12 HNEC
À :   Barocco

Voici l’article
en hommage à l’Art du siècle de Louis XIII :
http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2009/12/26/le-courage-dintervenir-dun-grand-architecte-henri-gaudin-le-devenir-de-lhotel-lambert-dans-une-societe-veule/
Titus

Ps :
voici aussi _ il n’y a là rien de vraiment « personnel«  (à éviter de rendre public sur le blog)…  _ le mot que je viens de recevoir de Marie-José Mondzain _ à laquelle j’avais adressé ce même article _ :

merci cher Titus
grâce à vous je lis des livres que je ne penserais jamais à lire
j’écoute des musiques que je n’aurais jamais connues sans vous
oui je lis vos longues phrases et je m’y retrouve très bien !
plein de  vœux chaleureux et d’amitié fidèle

mjm

un ami,

très remarquable entrepreneur de produits artistiques de la plus haute qualité _ il s’agit de ce qui se fait de mieux aujourd’hui dans l’offre musicale _, a répondu ceci à l’envoi de cet article à propos de l’Hôtel Lambert » :

De :   Barocco

Objet : Rép : Un article à propos de l’Hôtel Lambert

Date : 30 décembre 2009 15:02:07 HNEC
À :   Titus Curiosus

Cher Titus,
Merci de ton envoi, toujours pertinent et impertinent. On y voit que tu n’as pas perdu l’espoir, ce qui n’est pas mon cas…
Le dicton de saison : meilleurs vœux !
Amitiés,

Barocco

Nous en sommes donc là en notre belle France… Fin de l’incise ;

et retour au commentaire mien du « commentaire » par bénito de l’article d’Yves Michaud !

« il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes,

à travers le culte _ voilà _ de qualités d’expériences

_ des individus les ressentant, fugitivement, en leur subjectivité, seulement : ce qui fait le fond, rien moins de la thèse d’Yves Michaud _

qui ne doivent rien _ ni ces « expériences« -ci, ni leurs « qualités« -là… _ à l’attention que l’on y porte

_ et c’est là, ce point-ci de l’« attention«  !, tout le point décisif de l’analyse très fine de bénito ! _ ;

comme la question de la dérive _ qui intéresse Bénito sur son propre blog… _ le proposait

_ en marquant l’affaiblissement, précisément, de cette « attention« -ci en question : fuie ! esquivée ! voire anesthésiée, carrément, dès qu’elle engage à si peu que ce soit :

de l’ordre de ce qu’une Baldine Saint-Girons qualifie si justement d’un « acte » proprement « esthétique » !.. ;

et donneur, lui, « l’acte esthétique«  vrai,

non pas de « plaisir« ,

mais, proprement

_ à mille lieux de l’hédonisme et du dilettantisme (que dénonçait le grand Étienne Borne _ 1907 – 1993 _, en son lumineux « Problème du mal« , en 1963, aux Presses Universitaires de France… _,

donneur de « joie » :

« joie » où s’exprime, se déploie et s’épanouit, aussi _ et c’est même essentiel ! pour l’« humanité«  même de la personne !!! _, quelque chose des qualités propres (en expansion alors) du sujet singulier qui les vit, qui les sent et ressent (et les « expérimente« , ainsi que l’exprime superbement la langue précise et éclairante de Spinoza :

en ces occurrences, un peu rares, certes, là, mais il nous revient de le « découvrir » personnellement, et de l’« apprendre« , et « cultiver » _ cf ici aussi l’immense Montaigne, en ses « Essais« , tout spécialement le dernier, qui ne s’intitule pas tout à fait pour rien « de l’expérience« , au chapitre 13 de son livre III !… _ « découvrir« , « apprendre » et « cultiver » par nous-même : « nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels«  ;

en ces « joies« -là ! où nous passons, on ne peut plus et on ne peut mieux effectivement, à une puissance supérieure ; ainsi que le détaille Spinoza en son « Éthique » (V, 23)…) ;

car c’est du « déploiement » même de nos « qualités » propres et singulières qu’il s’agit bien à l’occasion des joies de ces « expériences » épanouissantes de « rencontres« -là !  » ;

fin de l’incise sur la « joie » même de l’« acte esthétique«  _,

Je reprends donc le fil de la phrase de Bénito :

il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes, à travers le culte de qualités d’expériences qui ne doivent rien à l’attention que l’on y porte

comme la question de la dérive le proposait

et l’engage _ on ne peut plus concrètement ; empiriquement _,

mais à une fuite en avant _ oui ! infinie… et pour rien… : dans la pure vanité du vide... _

dans le calculable que l’on thésaurise » _ voilà la fausse-piste et l’impasse proposée par la pseudo modernité capitalistique ; là-dessus lire Locke, qui, en père-fondateur de la « pensée libérale«  moderne, en « crache » carrément, et noir sur blanc, le morceau (en son « Essai sur l’entendement humain« , en 1689) à propos des astuces pour faire « travailler » (d’autres que soi) en (les) faisant « désirer » (quelque hypothétique, seulement fantasmée, « consommation«  du pseudo « objet du désir« ) en perpétuelle « pure perte« , ou insatisfaction empirique ! Lire donc un peu (et/ou un peu mieux) les philosophes pour comprendre mieux notre présent ; plutôt que bien des économistes qui vous embrouillent tout, au jeu du bonneteau… _,

« avec l’avidité de celui qui

toujours _ mais mal _ inquiet de ce qu’il risquerait de manquer _ c’est là le leurre du piège même si bien décrit par Locke _

reste étanche _ l’adjectif est superbe, bénito ! _ aux effets de présences _ mais, oui : cf ici le magnifique travail, en 1991, de George Steiner : « Réelles présences _ les arts du sens« … ; mais cf aussi les travaux de Georges Didi-Huberman sur la scintillance vibrante des images pour nous _ qui s’offrent à lui,

dans le plus simple appareil

et d’un splendide dénuement« 

_ c’est absolument superbe de justesse ; et me rappelle le plus éclairant des analyses les plus récentes de Georges Didi-Huberman, justement, tant dans « Quand les images prennent position« , à propos de Brecht, que dans « Survivance des lucioles« , que je viens juste de terminer de lire : à propos de Pasolini, notamment, outre Walter Benjamin et Giorgio Agamben _ Pasolini suivi tout au long du parcours de son œuvre, et d’écrivain comme de cinéaste. Un livre très intéressant en la finesse précise de ses éclairages !..

Voilà qui en une phrase unique dégage l’essentiel _ à mes yeux du moins : c’est cette position-ci  que j’estime (et à un rare point de perfection, même !) juste ; et partage !

Le reste des « commentaires » va probablement un peu moins, ou un peu moins bien, à l' »essentiel » !

Les voici, néanmoins :

Excellent !

Rédigé par : Newsluxe | 29/12/2009 à 19:19

Sur la tension « luxe » (gazeux) / « œuvre » (dure), cf mon article « http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2009/12/26/le-courage-dintervenir-dun-grand-architecte-henri-gaudin-le-devenir-de-lhotel-lambert-dans-une-societe-veule/ »

Titus Curiosus

Rédigé par : Titus Curiosus | 29/12/2009 à 18:09

A relier avec le concept de « destruction de l’expérience » chez Walter Benjamin ; puis Giorgio Agamben ;
ainsi que la « réplique » à cette expression _ en fait des « nuances« , plutôt… _ de la part de Georges Didi-Huberman en son tout récent « Survivance des lucioles » : afin d' »organiser le pessimisme« , comme il le présente…
Pour ma part, je « résiste » (à ces « faits de société« , sinon « de mode » ! de l’ordre du « gazeux« , cher Yves !) sur la « ligne« , voire la « pierre de touche« , plus « dure » _ est-ce là une illusion idéaliste ?.. _ de l’œuvre…
Suis-je en cela hors « empirisme » ?..
En tout cas, je renâcle…

Titus Curiosus

Rédigé par: Titus Curiosus | 29/12/2009 à 17:52

Intéressant. Je ne trouve guère toutefois d’allusion, dans cette longue réflexion, à l’art musical _ et donc au luxe musical, puisque selon YM les deux notions entretiennent des liens assez étroits.

Rédigé par : Sessyl | 29/12/2009 à 17:41

le luxembourg a surement la même racine.

Rédigé par : Salade | 29/12/2009 à 16:32

bravo! pour le texte, le luxe c’est surtout un mélange de style et d’intelligence, surtout d’intelligence

Rédigé par : romain | 29/12/2009 à 15:54

J’ai l’impression que les commentaires sur ce blog seraient un luxe : du simple fait de leur rareté.
La fosse d’aisance d’un bidonville suburbain serait-elle de l’art, un ready made ?

Rédigé par : JPL | 29/12/2009 à 14:10


Voilà !

Voilà de quoi méditer sur et le devenir des Arts, et le devenir de l’expérience esthétique _ en ses acceptions contradictoires, même !


Titus Curiosus, ce 31 décembre 2009

Le devenir de la « langue littéraire » en France de 1850 à aujourd’hui : un admirable travail pour comprendre ce qui menace de mort l’exception (culturelle) française et les « humanités »

30déc

« La langue littéraire _ Une histoire de la prose en France, de Gustave Flaubert à Claude Simon » est un ouvrage, sous la direction de Gilles Philippe et Julien Piat, aux Éditions Fayard, absolument passionnant, qui explore avec une réjouissante précision d’analyse (dans le détail !) la construction dans la France d’entre 1850 et 1980 d’une langue

_ cette « langue littéraire » d’une prose un peu « artiste« , précisément :

de Flaubert, et des frères Goncourt à Claude Simon, en passant par Émile Zola, Charles Péguy, Marcel Proust, Jean-Paul Sartre & Roland Barthes, pour ne retenir que les plus représentatifs des représentants des divers styles qui, tour à tour, affleurent, règnent, un moment (1860, 1880, 1900, 1920, 1940, 1960, avant la défaillance des années 80), puis laissent la place à d’autres… ;

que révèlent et analysent magnifiquement les six contributeurs à cet ouvrage : Stéphane Chaudier, Michel Murat, Gilles Philippe, Julien Piat, Christelle Reggianni et Stéphanie Smadja… _

langue ayant des fonctions idéologiques cruciales (« artistes« , « culturelles« , apparemment ; mais non sans de subtiles vraies jouissances !..) pour l’imaginaire national,

tout particulièrement sous la III ème République,

mais aussi en ce qui lui succède, jusqu’à aujourd’hui,

sur le déclin, puis face au renouveau, de la rhétorique :

déclin constant de la rhétorique au XIX ème siécle (avec déclin, aussi, concomitant, de l’enseignement du latin) ;

puis renouveau _ actuel _ de la rhétorique, lié au déploiement irrésistible et maintenant mondialisé du marketing au XX ème siècle…

Quid, ici, au passage, de ce « chiffon rouge » de l’« identité nationale » ?..

La rhétorique _ utilitaire : en matière de communication et de pouvoir sur l’autre _ étant l’autre de la « littérature » en matière de « langue » !..

Et la « prose littéraire » se construisant, historiquement, donc, une notable « place » entre la poésie, d’une part, et la prose scientifique _ et d’« essai« , et, encore, de pure information (communication & propagande)… _ d’autre part…

Cela permet de comprendre, en regard, le devenir (historique) de l’école (formatrice des esprits) ;

et plus généralement de la culture (« humaniste«  :

à distinguer, donc _ c’est ma conviction _ de ce que Michel Deguy nomme le « culturel » : pleinement idéologique, lui)…

C’est, alors, de rien moins que de la nature _ essentiellement « plastique » et « flexible » (sur cette différence, cf les travaux de Catherine Malabou : par exemple « Ontologie de l’accident _ essai sur la plasticité destructrice » ; ou « La Plasticité au soir de l’écriture _ dialectique, destruction, déconstruction« …), et donc éminemment fragile _ de l' »humain » lui-même _ cf aussi le radical « Humain, inhumain, trop humain«  d’Yves Michaud, réfléchissant sur l’œuvre de Peter Sloterdijk (dont l’important « Règles pour le parc humain« , aux Éditions Mille et une nuits)… _ qu’il s’agit dans cette histoire des « humanités » et de leur langue,

en partie du moins  :

la partie non strictement positive _ voire « positiviste«  _, préciserai-je, de la formation des personnes (et de ce que Walter Benjamin appelle « l‘expérience« , menacée de « destruction » ! _ jugeait-il, en les passablement inquiétantes, déjà, années 30…

Cf là-dessus le passionnant récent ouvrage de Georges Didi-Huberman : « Survivance des lucioles« , face au « pessimisme« , à mieux « organiser« , selon lui, d’un Giorgio Agamben ; dès « Enfance et histoire _ destruction de l’expérience et origine de l’Histoire« , son premier livre publié, en 1977…) ;

celle qui rivalise, justement, avec la langue « positive » des « sciences« , surtout les plus « dures » _ mais les autres aussi (dites « sciences humaines«  ; cf les positions là-dessus d’un Pierre Bourdieu…) _, pour tenir,

avec un succès assurément fragile et à bien mesurer, aussi, dans ses fluctuations

_ cf par exemple, « sur le terrain«  (éminemment sensible d’un réel assez décisif ! pour l’individu !), la fonction des « Grandes Écoles«  en France ; et la place, minime, pour ne pas dire infime, mais non sans une certaine aura, toutefois, des filières dites « littéraires«  par rapport aux filières dites « scientifiques » (en fait « techno-scientifiques » et même, désormais, carrément « techno-commerciales » : vers où penchent donc, de fait, ces disciplines « ingénériales«  ?.. « polytechniques » ?..) ; et les conséquences qui s’ensuivent dans les hiérarchies sociales qui, en partie assez considérable, en résultent… _

cette langue (« littéraire » ; ou des « humanités« ) en tant que partie non strictement positive de la formation « humaine » des personnes

qui rivalise, donc _ avec ses styles ! jusques et y compris un « style«  authentiquement personnel, singulier ; comme en quelques artistes ! _, avec la langue « positive« 

pour tenir le haut-du-pavé !.. Face au « dés-humain » et « dés-humanisant » de ce qu’affrontent (et deviennent !.. passivement ; à leur corps _ et âme ! _ défendant, même _ quand et si âme il y a…) les personnes dans les applications massives on ne peut plus effectives, et certes bien efficaces, toujours sur le terrain _ en dur ! _ du réel, du concept pragmatique managérial  de « ressources humaines » !


Soit le « dés-humanisé » de l’homme

comme pur et simple « simple moyen« , seulement _ le reste étant sans utilité (dite alors « économique« ) ! _, dans le flux _ seul « intéressant » !.. _ des profits _ comptables _ de ventes _ qui prévalent ! voire seuls « comptent » ! _ de « marchandises » où il _ l’homme, encore _ tente de surnager…

Soit, un enjeu historique rien moins que civilisationnellement _ ou historialement, pour d’autres _ crucial ;

et qui aide, au passage, peut-être à saisir un peu mieux ce qu’a pu être et a effectivement été _ voire résiste un peu encore… _ « l’exception française »

face au rouleau compresseur mondialisé _ globish, en version de « langue«  _ du libéralisme pragmatique anglo-saxon triomphant…

Le détail des analyses, sur 534 pages (d’une très grande richesse), des auteurs de cet ouvrage, « La langue littéraire _ Une histoire de la prose en France, de Gustave Flaubert à Claude Simon« , _ Stéphane Chaudier, Michel Murat, Gilles Philippe, Julien Piat, Christelle Reggianni et Stéphanie Smadja, je rappelle les noms de chacun de ces contributeurs remarquables ! _ est absolument passionnant !

Une mine de culture sensible de la plus haute qualité ! déjà !

Et donc un must pour l’homme cultivé !..

En plus de la grâce gratuite de ses enchantements sans nombre pour l’intelligence de la sensibilité, de l' »aisthesis« …


Un très grand livre que ce « La langue littéraire _ Une histoire de la prose en France, de Gustave Flaubert à Claude Simon« …


Titus Curiosus, ce 30 décembre 2009

Le courage d’intervenir d’un grand architecte, Henri Gaudin : le devenir de l’Hôtel Lambert dans une société veule

26déc

Henri Gaudin vient intervenir publiquement dans le dossier _ en balance, sur la sellette _ du devenir urbanistique (l’île Saint-Louis dans le cœur de Paris) et architectural (l’Hôtel Lambert, un chef d’œuvre de Le Vau) de l’Hôtel Lambert, cette sublime « étrave » au-dessus de la Seine :

dans le numéro du 25 décembre du Monde, « Ne défigurons pas l’hôtel Lambert !, par Henri Gaudin« …

Le courage et l’autorité vraie (d’un artiste réel _ non faisandé, lui !) sont assez rares dans une société de plus en plus veule _ et décomplexée dans sa propension au cynisme (du pouvoir de fait de l’argent) ; et à la corruption (eu égard au Droit) _ pour s’y arrêter un moment, le remarquer, le signaler, lui donner un tant soit peu d’écho au milieu des paillettes de la trêve joliment dite « des confiseurs« …

Ou à propos de la sauvegarde du patrimoine des pierres ; et du sens même de l' »habiter » humain (et inhumain)… Cf ici la parole décisive de Hölderlin…

Voici ce bel article _ et courageux _ de celui, l’auteur des importantes « Considérations sur l’espace« ,

dont Paul Virilio disait, en préface au livre (précédent de l’architecte) « Seuil et d’ailleurs« , en 1992 :

« Henri Gaudin n’est pas un architecte qui écrit, mais plutôt un écrivain, un homme de lettres qui bâtit avec le béton, la pierre ou les mots _ les uns ou/et les autres. Peu importe finalement le matériau, puisque seul compte pour lui le passage, le transfert _ voilà ! _ d’un récit à un autre récit, d’un lieu à un autre lieu. Comment dès lors s’empêcher de le suivre avec curiosité _ oui : vertu précieuse ! _ au travers des méandres d’une pensée qui souvent vous égare _ par ses détours ô combien nécessaires ! à mille lieux du strictement immédiatement utile, c’est-à-dire rentable pour le (seul) profit financier (le plus rapide possible _ Paul Virilio est bien un penseur de la vitesse…), auquel certains veulent réduire l’« économique » (revenir ici à Aristote : « Les Économiques » !!!)… _ pour mieux donner à percevoir _ c’est si précieux, en régime d’anesthésie générale ! On nous endort !... _ le seuil _ crucial ! C’est un terme très présent aussi chez Michel Deguy ; cf mon article d’avant-hier… La ligne de partage des eaux entre le vrai et le faux ? Journal intime tout autant que traité théorique, l’ouvrage d’Henri Gaudin débouche sur l’espérance d’une complexité grandissante _ l’exact opposé de la complication ! ou de la complaisance au vertige maniériste _ qui favoriserait enfin l’ouverture d’esprit, la complicité entre l’architecture et la littérature« , écrivait Paul Virilio…


Voici donc cette splendide « intervention » de Henri Gaudin, architecte, et un peu plus, donc, que de ce seul métier-là, dans Le Monde d’hier (édition datée du 25 décembre, ce jour) ; elle est intitulée, dans le journal, « Ne défigurons pas l’hôtel Lambert !, par Henri Gaudin«  :

« C’est une indignation _ voilà ! _ à la mesure du forfait _ voilà d’abord ! _ qu’on se prépare à commettre à son encontre _ il s’agit de ce joyau d’architecture et d’urbanisme, les deux, qu’est l’Hôtel Lambert (1642), de Louis Le Vau (Paris, 1612 – Paris, 1670), en étrave sur la Seine, de l’Île Saint-Louis, au cœur même de Paris _ : le projet de restauration de l’hôtel Lambert. Cet édifice majeur de l’architecte Le Vau, se dresse sur l’étrave de l’île Saint-Louis, en épousant la courbe de la Seine. Il est rare qu’un tel dynamisme s’allie avec la rigueur d’un ordonnancement au rythme souverain _ qu’on viendrait donc casser…

C’est le quai d’Anjou en son entier qui vient se terminer _ par lui _ sur un jardin suspendu. L’île ménage une proue que domine le corps principal du prestigieux édifice, à la façon dont une passerelle se dresse sur un vaisseau _ Henri Gaudin est aussi un amoureux fou de l’eau, des rives, des ports ; et des bateaux… Le mouvement est si juste, l’assise du jardin suspendu si assurée, le rythme des fenestrages si délicat, l’architecture si dynamique _ adjectifs qualificatifs éminemment sensibles ! _ qu’on croirait voir le bâtiment glisser _ oui : voler même, sans tout à fait désirer s’envoler : il se contente de frémir ! _ le long de la Seine en exposant _ délicatement _ son étrave au courant _ que finit par rejoindre, par un plouf, lui, un Guillaume Apollinaire, un peu plus en aval, au pont Mirabeau… _, sans autre âge que celui de la jeunesse et du futur _ rien moins ! Voilà où existe la vraie modernité !

En abîmer les traits _ comme le ferait, irrémédiablement, le passage à la réalisation de ce « projet de restauration« -là… _, c’est meurtrir la ville _ gravement, grièvement même… _ avec laquelle le magnifique hôtel Lambert fait corps _ physico-biologiquement… Au point qu’on peut parfaitement l’entendre respirer et chanter, pour peu qu’on prête oreille à son souffle chantant : à sa mélodie, comme à ses harmoniques…

Si comme le dit Victor Hugo, « l’usage appartient _ usufruitièrement… ; pour un temps ; car c’est nous (davantage mortels que nous sommes, physico-biologiquement) qui, d’abord, passons (un peu) plus vite : que la beauté des œuvres… _ à quelques-uns et la Beauté appartient _ un peu plus durablement, grâce aux œuvres qui passent, certaines d’entre elles, du moins, un peu plus lentement, tout de même, que nous _ à tous », c’est nous tous _ dotés de nos sens, et pas seulement le regard : encore faut-il apprendre à les « éduquer« , tous ces sens-là… _ qui en sommes les destinataires _ capables de la « recevoir« , l’« éprouver«  : en une « expérience«  ; peut-être en train de se perdre, s’effondrer, celle-là (l’« expérience«  toute personnelle de la « Beauté« ), comme s’en inquiétait, un des tout premiers, un Walter Benjamin (à la suite, sans doute, de Baudelaire)… Qui n’a pas ressenti _ quelques uns, malgré tout : Béotiens, gougnafiers, goujats, barbares (jusqu’à, eux, même « sortir leur revolver« …) _ qu’on ne saurait _ hélas : de droit ! _ séparer la singularité prestigieuse _ architecturale _ de cet édifice _ de pierres _ du tout _ urbanistique _ qu’est la ville ? La manifestation _ éclatante de grâce ! _ de sa beauté dépasse _ en la sidérant _  notre propre personne _ certes : sublimement, même… _ et intéresse la communauté _ non seulement citoyenne démocratique, mais « humaine« , pas moins !.. _ en son entier. Témoignant d’une époque _ d’un classicisme encore baroquisant : 1640, ou 42 ; c’est encore le règne de Louis XIII (et de Richelieu, qui va mourir cette année-là : le 4 décembre 1642, à l’âge de cinquante-sept ans ; Louis XIII le suivra de près dans la tombe, mourant, lui, à Saint- Germain-en-Laye le 14 mai 1643 ; il était né le 27 septembre 1601 à Fontainebleau) _ d’intense activité esthétique et éthique _ les mœurs se raffinaient ; débutait, encore au milieu, certes, de la manie passablement meurtrière , encore, des duels, et à l’Hôtel de Rambouillet, « l’âge de la conversation«  _, l’excellence de son architecture _ française ! Que fait donc le ministre Besson !!! Quid, ici, de l’« identité nationale«  ?!! _, comme toute œuvre d’aujourd’hui, offre sa puissance créatrice à travers le temps _ à nous de la laisser rayonner, au lieu de, stupidement, l’interrompre : en la massacrant (pour une multiplication de salles de bains, d’ascenseurs et d’emplacements de parking)…

Le Vau, son architecte, n’est pas seulement contemporain _ 1612-1670 _ de son siècle, il s’adresse _ oui !

et à dimension d’éternité ; cf John Keats (Finsbury Pavement, près de Londres, 31 octobre 1795 – Rome, 24 février 1821) : « A thing of beauty is a joy for ever« … :

« A thing of beauty is a joy for ever :
Its loveliness increases; it will never
Pass into nothingness; but still will keep
A bower quiet for us, and a sleep
Full of sweet dreams, and health, and quiet breathing
« … (dans « Endymion« , qui paraît à Londres en 1818…) _


à des générations futures, à tous ceux _ en voie de raréfaction ? devenant électoralement minoritaires ? _ qui pensent que la modernité est de tous les âges _ voilà ! le mauvais goût, certes, lui aussi : et incomparablement plus amplement ! vivent nos démocraties populistes ! _, à ceux qui stigmatisent la bassesse par l’exigence _ la plus noble _ de l’esprit _ bassesse et exigence : voilà ! A ne pas trop intervertir ! cependant… Ne défigurons pas une beauté _ telle est bien en effet la menace présente ! _ sous la séduction de laquelle nous tombons tous _ pour peu que nous y soyons, chacun, réellement et activement attentifs ! Soyons à son écoute _ proprement musicale ! 1640-42, c’est l’heure des musiques de Moulinié, Guédron, Boesset, qu’a (et ont) su si magnifiquement (nous) rendre Vincent Dumestre et son « Poème Harmonique«  ; cf le sublime coffret de 3 CDs Alpha « Si tu veux apprendre les pas à danser _ Airs et ballets en France avant Lully« , CDs Alpha 905 : une merveille de vie (et de tout un « monde«  d’extrême beauté !) restituée ! _, respectons l’intransigeance _ parfaitement noble et gracieuse, tout à la fois ! pas « m’as-tu vue«  _ de son architecture, admirons la richesse des prestigieuses peintures de Le Sueur et de Le Brun. Écoutons-en, encore, tout le concert merveilleux des voix… Sur ces conditions-là d’« accueil« , par chacun (= personnellement), de la beauté, relire inlassablement le lumineux « L’Acte esthétique » de Baldine Saint-Girons ; tout particulièrement le récit de la « rencontre-découverte«  avec la ville de Syracuse, en compagnie de deux amis, au chapitre premier, si je puis me permettre ce conseil un peu précis …

Hélas ! le projet de « réhabilitation » manifeste l’intention de construire un parking sans se soucier _ bien effectivement, pourtant ; on ne peut plus élémentairement pragmatiquement ! _ des bouleversements des sols et du dommage causé _ ainsi, si ce projet venait à se réaliser _ aux substructions intouchées depuis 1640.

Lord Byron, Ruskin, Wagner, Proust, tous amoureux de Venise, ont-ils jamais exigé _ mais étaient-ils, eux, il est vrai, somme  toute, assez fortunés, pour l’obtenir ?!.. ils n’y étaient, aussi, que de passage ; et ne prétendaient pas, par l’achat, à un droit de « propriété«  _ que leur carrosse et plus tard leur voiture pût accéder à l’intérieur des palais dans lesquels ils résidaient ? Quelle aberration d’exiger _ pour s’y « installer » et y « demeurer » un peu, en ce « cœur« , vibrant de vie, de Paris… _  l’intrusion d’un parking à l’intérieur de l’édifice, de construire trois ascenseurs, de soustraire des pièces _ les casser, les détruire ; les remplacer par autre chose de mieux adapté à leur présente « commodité« , ou « confort » de « résidents«  à demeure… _ d’une délicate harmonie au profit de salles de bains multiples, d’altérer la proportion de certains salons, de supprimer des manteaux de cheminées et des escaliers élégamment balancés _ la beauté, qui avait résisté au passage du temps : délicate « harmonie« , « proportion« , « élégance«  balancée, faisant brutalement les frais de pareilles « soustraction« , « altération« , « suppression« 

Ignore-t-on _ conseils d’experts aidant… _ que par la surenchère _ hyper-luxueuse _ d’aménagements superflus de salles de bains et par la transformation du chef-d’œuvre en hôtel de luxe, on expose dès lors l’édifice aux impératifs d’une technique qui impose _ technologiquement, bien sûr _ des passages de gaines de ventilation en tous sens, altérant _ gravement, grièvement même _ l’ensemble de la construction et menaçant, par l’ampleur de locaux sous le jardin suspendu, l’intégrité _ de viabilité « technique » élémentaire ! Et patatras !!! _ des fondations _ mêmes.

C’est ne pas entendre _ en tous ses sens ! _ les harmoniques _ au-delà de la strate première des mélodies _ de proportions savantes, c’est être aveugle au rayonnement _ en effet ! l’Art irradie et impulse ! _ qu’émettent _ oui ! toujours ! et encore ! _ les prestigieuses œuvres des peintres Le Sueur et Le Brun, auquel on doit la Galerie des glaces de Versailles ; c’est ne pas écouter ce dont les murs ont _ musicalement _ perçu les échos _ dont ils ont reçu, et perpétuent, jusqu’ici, une subtile imprégnation… Oui ! ces murs ont une âme _ voilà ! _, ces espaces sont investis _ poétiquement ! _ de ce dont ils ont été témoins _ et cela au profit de (plus prosaïques) glou-glous d’évacuation de bondes et tuyauteries de plusieurs salles de bains… Les Nymphes et Dryades (de la Seine) qui fréquentent encore le lieu vont déserter à jamais ce merveilleux rivage parisien…

Il est paradoxal de maltraiter ce qui est _ artisanalement _ authentique et de se soustraire au respect _ admiratif, avec combien d’émotion ! _ d’une œuvre prestigieuse dans le même temps qu’on s’affaire _ contrevenant à l’esprit même d’une époque _ à placer sur les façades des colifichets (pots à feu et autres pots à fleurs) dérisoires _ à l’ère, il est vrai, de la duplication effrénément dé-complexée (cf les parcs d’attraction touristiques de La Vegas, Macao, etc.., aux portillons desquels se bousculent, en foules, des chalands : sources de devises…)…

Qui peut être dupe de cette manière de nous donner _ sur le dossier, du moins _ le change en s’affairant maladroitement _ comme maniéristement (en kitch, seulement !) : à contresens même des fusées et bouillonnements délicats du classicisme naissant _ à l’inessentiel ? Mutiler salons et escaliers, rehausser le soubassement par un parapet qui alourdit sa proportion est une faute _ d’Art. Peindre des menuiseries en trompe-l’œil sur la façade, une mascarade _ ridicule : mais qui en rit à l’heure des révérences kitch ?.. Cf les « installations » _ « festives«  (ainsi que les énoncerait un Philippe Muray) _ à Versailles de Jeff Koons ; cf mon article du 12 septembre 2008 : « Decorum bluffant à Versailles : le miroir aux alouettes du bling-bling«  Et comment peut-on faire disparaître _ à jamais _ de vieux appareillages de pierre dont les assises disjointes témoignent de l’empirisme _ si savant _ des savoir-faire et du travail _ si délicat, alors… _ des maçons ?

Laissons _ donc _ à leur simplicité _ belle, pure _ de vieilles cheminées qui font bon ménage avec l’esprit _ oui _ du Grand Siècle et sont des marques touchantes _ pour les non insensibles, du moins _ de la vie quotidienne _ qui survit un peu ainsi ; cf le témoignage des « scènes de genre » d’alors… Comble de cynisme _ le mot est lâché ! _ : sous couvert de respect _ affiché seulement (et mensongèrement, davantage qu’illusoirement, probablement…), à l’heure de la débauche dévergondée et décomplexée (au pouvoir !) des faux-semblants en tous genres ! affichés ! _ du passé, on se propose de détruire d’authentiques lucarnes et leurs balcons en fer forgé pour leur substituer des succédanés dont la proportion maladroite brise le mouvement ascendant du motif d’entrée _ et voilà ! Ah, les belles âmes que sont les sectateurs d’une authenticité _ de façade seulement !!! _ au service de laquelle on sacrifie le vrai _ irremplaçable, lui _ à la mythologie _ idiote _ de la symétrie et de l’équilibre.

Niaiseries des « nigauds aux goûts appris » _ seulement ; et non, hélas, « compris«  _, persiflait Stendhal, désignant les contempteurs de la dissymétrie et de l’irrégularité de l’admirable place du Quirinal, à Rome _ en ses belles « Promenades dans Rome«  ; cf aussi, hélas, a contrario, le triste contresens (angevin seulement, de Saint-Florent-sur-Loire) de l’« Autour des sept collines«  de Julien Gracq, si insensible à l’idiosyncrasie de la beauté romaine : lui a « tourné autour«  sans jamais savoir y pénétrer si peu que ce soit (le texte original est à la librairie José Corti)…

Peut-on briser _ incisivement ! _ la carapace d’indifférence dont se revêt _ face aux manigances de certains puissants, aidés de la propagande bulldozer de la plupart des medias (au nom de « l’air du temps«  paré des plumes (de paon) de la « modernité«  : la « mode« ... cf le petit livre récent de Marie-José Mondzain : « La Mode«  _ la société ? A travers les mouvements d’indignation contre la mutilation de l’hôtel Lambert, on a l’espoir que oui. Nombreux sont _ encore _ ceux qui saisissent _ et ressentent _ qu’une œuvre est un maillon _ en effet ; et une pierre de touche… _ de la longue chaîne _ à la fois forte et fragile _ de la modernité qui parcourt les siècles, et qui ont foi _ plutôt qu’en le pouvoir (actuel) de leur argent _ en la vie _ tout aussi uniment fragile et forte ! _ de l’esprit _ et en la « civilisation«  Ils savent que, dans une époque d’intense activité éthique et esthétique _ mais où se situe sur ce terrain-là, la nôtre, d’« époque » ?.. _, les créateurs refusent de n’être que les hommes du présent _ à courte vue _, et s’adressent à ceux qui vivront le futur _ il est vrai qu’à d’autres époques on s’est mis à bâtir à beaucoup plus « courte vue« , donc ; pour le « rapport«  (financier) le plus rapide, voire immédiat, possible ; sans souci du « durable » ; ni, a fortiori, de l’« éternel » : l’« inhumanité« , à commencer par architecturale (en dur, mais promise, forcément, à rapide, aussi, obsolescence !), débutant-là son expansion… Et maintenant prolifèrent les investissements « spéculatifs«  (« après nous, le déluge !« ) des fonds de pension…

Si ce bâtiment _ l’Hôtel Lambert, de Louis Le Vau, donc _ est grand _ oui _, c’est parce qu’il est le point d’orgue _ un concept musical, encore, qui implique un souci de l’« ensemble«  ; et de l’altérité : à « intégrer » avec souplesse et délicatesse ; tout un art, en effet !.. _ d’un ensemble _ urbain et urbanistique _ qui s’appelle l’île Saint-Louis. Comme être singulier _ certes ; et même qui « impressionne » !.. _, il _ le bâtiment, la bâtisse _ n’en fait pas moins partie d’un tout _ en effet : à l’heure de l’individualisme débridé ! _, tant il a d’affinités avec des proximités _ l’ïle Saint-Louis tout entière ! _ qu’il emporte _ oui ! _ dans son élan _ splendide ! en effet : voilà ce qu’apporte(nt), à la lecture, le regard et l’écriture, en relais, superbes, d’un Henri Gaudin !.. Avec quelle grâce il se greffe _ à « se fondre« , préciserait Henri Bergson, en son « Essai sur les données immédiates de la conscience«  _ au quai d’Anjou ! Cet édifice met en branle _ il « inspire » l’« Homo spectator«  (et son « Acte esthétique » !..) par sa superbe « respiration » même… _ l’imagination, et nous porte _ nous, « promeneurs«  ou « visiteurs«  « flâneurs«  (un peu mieux que « touristes«  : « consommant« , surtout, ou de plus en plus, à la va-vite, des « clichés » ; et du « simili« -vrai, proposé à très rapide « identification«  : à la louche ; selon la politique à grande échelle mondialisée des « tour-operators« …) ; d’une cité telle que Paris _ à l’essentiel _ voilà : la beauté, la vérité, la justice _ par sa qualité de trait, sa qualité de tension _ oui : c’est un rythme ! _, sa façon d’avoir créé un avenir _ de goût sublime. Ne nous leurrons pas ! Et donc ne laissons pas détruire cela… Qui est sans prix ! S’en rend-on assez compte en hauts-lieux (« de pouvoirs« ) ?.. Ou quand toutes les villes du monde finissent par se ressembler…

Sur le devenir des villes du monde, je renvoie au passionnant « Mégapolis _ les derniers pas du flâneur » de Régine Robin ; et à mon article du 16 février 2009 sur ce très riche travail : « Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin« 

Musil _ hyper-lucide lui aussi ; cf le beau livre de Jacques Bouveresse (sur son œuvre) : « La Voix de l’âme et les chemins de l’esprit : dix études sur Robert Musil«  : Musil (1888-1942), un contemporain capital, décidément… _ nous invite _ en un essai (majeur !) de 1922 intitulé « L’Europe désemparée, ou petit voyage du coq à l’âne« … _ à voir clair : « Jamais plus _ redoute-t-il _ une idéologie unitaire, une « culture » _ vraie ; pas de l’ordre de ce que Michel Deguy qualifie de « le culturel«  ; cf mon article précédent : « la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff«  _ ne viendront d’elles-mêmes dans notre société blanche… » C’est pour cette raison qu’on peut être _ à très juste titre ! _ fasciné par l’intensité créatrice _ admirable concept ; et percept ! _ de l’admirable édifice de Le Vau, et que ce n’est pas _ en droit ! _ à lui _ l’édifice de Louis Le Vau _ de se conformer à nos usages, mais à nous _ et qui que nous soyons ! _ de savoir vivre selon _ »vivre selon«  : ou la question de l‘ »ordre » des valeurs ; doublée de celle de ce qui vient les « fonder«  « vraiment«  ! loin du bling-bling ou des commodités _ de fait, lui et elles _ du tout-venant : salles-de-bains, parking, etc… On peut certes se loger (et « parquer«  !..) ailleurs à Paris que Quai d’Anjou… _ ce qu’il émet _ toujours : « a thing of beauty«  ! « a joy for ever« , disait Keats… _ d’échos harmonieux _ musaïques ; Michel Deguy, tout comme Martin Rueff, ont cette musaïque (et musicale ; poétique) oreille _ cf mon précédent article du 24 décembre… Cela doit-il ne concerner que quelques happy few, seuls « demeurés« , et pour combien de temps, vraiment « humains«  ? Cf ici le « Humain, inhumain, trop humain«  de l’ami Yves Michaud…

Former l’aisthesis est, par là, un « enjeu » (éducatif « civilisationnel«  !) à la fois général et singulier

_ cf aussi, du très attentif Jacques Bouveresse, et encore sur l’hyper-sensible Musil, le plus que très judicieux « Robert Musil _ l’homme probable, le hasard, la moyenne et l’escargot de l’Histoire«  : à propos de l’importance et limites (!) des comptes statistiques !.. Et eu égard à ce que Walter Benjamin nomme « la destruction _ générale et singulière, donc ! _ de l’expérience«  ;

et que reprend, en (tout) son œuvre, Giorgio Agamben ; et ce, dès son tout premier livre, au sous-titre parlant ! : « Enfance et Histoire _ Destruction de l’expérience et origine de l’Histoire«  ;

ainsi que le fait remarquer Georges Didi-Huberman à la page 61 de son tout récent « Survivance des lucioles« , paru le 8 octobre dernier : pour en contester le diagnostic, il est vrai ; et y répliquer… :

« les lucioles n’ont disparu qu’à la vue de ceux qui ne sont plus à la bonne place pour les voir émettre leurs signes lumineux«  ; et il poursuit, présentant l’objectif même de son livre : « on tente de suivre la leçon de Walter Benjamin, pour qui déclin n’est pas disparition. Il faut « organiser le pessimisme », disait Benjamin«  ; « et les images _ pour peu qu’elles soient rigoureusement et modestement pensées _ ouvrent l’espace pour une telle résistance« , propose donc en son ouvrage Georges Didi-Huberman…

Cf aussi mon article du 14 avril 2009 à propos du livre précédent de Georges Didi-Huberman « Quand les images prennent position«  : « L’apprendre à lire les images de Bertolt Brecht, selon Georges Didi-Huberman : un art du décalage (dé-montage-et-re-montage) avec les appoints forts et de la mémoire activée, et de la puissance d’imaginer« .

Fin de l’incise à propos de Musil et de Benjamin : on mesure les enjeux de ce débat de « civilisation«  !.. _

former l’aisthesis est, par là, un « enjeu » (éducatif « civilisationnel«  !) à la fois général et singulier

on ne peut plus « prioritaire«  (cf aussi le très important « Le Partage du sensible«  de Jacques Rancière) « de civilisation« , à cette heure de croisée des chemins ; face aux nouveaux barbares (du bling-bling et du fric : qui se croient tout permis ; faute de moins en moins de contre-pouvoirs ; ou d« autorités«  qui aient le courage de leur « faire face«  ; à commencer « leur signifier leur fait«  !!!) ; sur le terrain même de la hiérarchie des valeurs !..

Cf aussi là-dessus, encore, l’urgentissime « Prendre soin _ De la jeunesse et des générations« , du lucidissime, également, Bernard Stiegler…

J’ai entendu, dans la consternation, que les défenseurs de l’intégrité d’un fleuron de notre culture étaient des xénophobes _ eu égard à la nationalité (quatarie…) des propriétaires du lieu. Je m’insurge ! Le sont _ « xénophobes » !.. _ ceux qui menacent l’intégrité d’un patrimoine _ et son « identité« ‘, cher sourcilleux Éric Besson (expulseur d’Afghans pauvres et hyper-démunis, eux, en avion direct pour Kaboul…) ! _ ; ceux qui ruinent les inventions de vivre _ encore une superbe expression ! en ce splendide article ! _ des Asiatiques, des Amérindiens, de l’islam, et participent à la destruction des cultures qui font monde _ « faire monde » : un enjeu essentiel face à la dés-humanisation ! galopante ; et l’« im-monde« 

Où l’on reconnaîtra que les premiers destructeurs c’est nous : à Pékin, à Shanghaï, en Europe et ailleurs. »


Architecte…

 

 Henri Gaudin

Une intervention décisive salutaire d’un artiste qui fait autorité ; là où prétendent dominer les postures _ vaines ! _ des imposteurs (friqués) !

Un blog peut (ou doit) se faire l’écho de tels émois (esthétiques et artistiques, les deux indissolublement conjoints !)

qui ne se résignent pas à ce qu’on est en train de défaire, pierre à pierre, de ce qui « faisait notre monde« 

en sa plus belle « humanité« …

En amoureux du classicisme baroquisant, j’y fais donc, modestement, de ma place toute provinciale, « écho« …

Titus Curiosus, ce 26 décembre 2009

Entre « Recherche » et « recherche », le « flou » actif de l’esprit imaginant à l’heure des GPS…

17juil

Un très intéressant article, ce matin, de Pierre Assouline, sur son « irration » (de lecteur !) d’un « Vademecum«  _ en anglais « Companion to« … _ « pictural » pour la « Recherche » de Proust,

par un anglais un peu trop bien intentionné, selon Pierre Assouline, Eric Karpeles…

Voici l’article de Pierre Assouline, en date de ce 17 juillet

_ farci de mes commentaires, selon la coutume de ce blog-ci… _ :

« Les lecteurs de Proust ont-ils vraiment besoin d’un guide de musée ?« 

     « Prenez un grand roman, disons « A la recherche du temps perdu« . Prenez chacune des évocations d’œuvres d’art que vous y trouverez. Prenez le moteur de recherche du site du Louvre. Mettez les uns dans l’autre, remuez, faites revenir à feu doux et servez quand c’est prêt. Cela donne un beau plat qui a un drôle de goût.

Au départ, une vraie idée d’éditeur ; à l’arrivée une fausse bonne idée. C’est « Le Musée imaginaire de Marcel Proust«  (traduit de l’anglais par Pierre Saint-Jean, 350 pages, 32 euros, Thames and Hudson). On espère que ce n’est pas le début d’une collection ; et que nous ne sommes pas menacés d’un Balzac ou d’un Stendhal du même tonneau. Pourtant son auteur Eric Karpeles, peintre et auteur de textes sur l’esthétique, a crû bien faire. Constatant que la  « Recherche«  était profuse en références picturales, et imaginant sans peine que la mémoire visuelle, pour ne rien dire de la culture artistique, de ses contemporains avaient des limites, il a donc entrepris de mettre le portrait de Mehmet II par Gentile Bellini en face du _ voilà le procédé de ce livre : et ses économies de « recherche documentaire«  pour le lecteur, même à l’ère d’Internet ! _ passage où Proust dit que le jeune Bloch lui ressemble étrangement, un cardinal par Le Gréco en face d’une évocation de Charlus en “grand inquisiteur peint par Le Gréco”, le « Déjeuner sur l’herbe » de Manet en face d’une allusion métaphorique à un déjeuner sur l’herbe, la « Procession de mariage« de Giotto en regard d’une procession, et bien sûr l’évanouissement de Bergotte face au petit pan de mur jaune à la seule vue du Vermeer ! Il semble que l’on ait échappé de justesse à un lit de Caillebotte en face de “Longtemps, je me suis couché de bonne heure”…

Un extrait du roman sur la page verso, une reproduction de l’œuvre censée lui correspondre _ l’enjeu de cet article (de Pierre Assouline en son blog) ainsi que le bien-fondé, ou pas, du livre de Karpeles, se situant en cette visée de « correspondance« -là !.. _ sur la page recto, tous les tableaux du roman dans leur ordre d’apparition. C’est là une conception _ éditoriale, eu égard à un « marché«  (et à une « demande«  de la part de certains lecteurs, désirant parer au plus pressé (de « besoins » d‘ »identifications«  des allusions du texte)… _ très anglaise, et assez américaine _ l’éditeur du travail de Karpeles est Thames and Hudson _, qui consiste à toujours expliquer, rationaliser, dans un esprit positiviste, sinon pratique _ pour ne pas dire immédiatement (et économiquement) utilitaire (ou utilitariste). D’ailleurs, il n’est pas anodin de relever que là-bas, le livre s’intitule « Paintings in Proust. A visual companion to « In Search of lost time«  ». Un “companion”,delft1.1247783924.jpg c’est exactement cela, spécialité typique des librairies britanniques. Asseyez-vous, posez votre roman, on vous aide à le comprendre _ par des « identifications » ponctuelles : éliminant le « flou«  en votre esprit. C’est parfois utile pour les étudiants ou les chercheurs, pratique surtout _ c’est-à-dire économique en temps, en énergie, et en dépenses de tous ordres… Le procédé est déjà _ littérairement, et poïétiquement : pour l’élan de l’imaginaire ! ce que Baldine Saint-Girons appelle si justement « l’acte esthétique« , en son si judicieux « L’Acte Esthétique« , aux Éditions Klincksieck ; et autour de quoi tourne le tout aussi majeur « Homo spectator«  (« spectator«  en action ! pas passif !!!) de Marie-José Mondzain, aux Éditions Bayard : deux ouvrages indispensables pour mieux comprendre tous les enjeux d’une civilisation de l’audiovisuel hypertechnologisé : ici, lire les travaux de l’ami Bernard Stiegler ; en commençant, par exemple, par le plus récemment publié : « Pour en finir avec la mécroissance« , aux Éditions Flammarion… : voilà pour un bon « équipement«  (de lecture et d’intelligence) sur les enjeux actuels (« civilisationnels«  !) de l’« aisthesis«  _ ; le procédé est déjà lourd en soi ; il pèse _ et gravement : pardon pour la redondance ! _ sur la poésie-même des plus belles pages de ce roman par endroits si incroyablement léger_ oui : en sa lecture, comme en son écriture : des affaires de « souffles«  (et inflexions terriblement véloces, car fines ! ou « dansées« ) : c’est une affaire de « rythme« , une fois encore !!! Cf aussi la phrase unique (de 517 pages), sur ce modèle de prestesse proustien, du si merveilleux « Zone« , de Mathias Enard, paru en fin d’été dernier, 2008… : cf, sur lui, mon article du 3 juin dernier : « Le miracle de la reconnaissance par les lecteurs du plus “grand” roman de l’année : “Zone”, de Mathias Enard » _ alors qu’il a tout d’une brique. Le lecteur de la « Recherche«  n’a pas besoin _ du tout : voilà la raison de l’intervention ici de Pierre Assouline _ qu’un conservateur de musée lui prenne la main pour le guider _ fut-ce avec les « meilleures œillères » du monde ! ah ! la terrible soumission à ce que l’on prend aveuglément pour des « autorités«  !.. Autant obliger tout visiteur _ en rang d’oignons et file indienne, ou pas ! _ des Offices à porter et utiliser l’un de ces casques audio _ même démilitarisé… _ qui vous expliquent _ vous devenant passif : tel un utilisateur de GPS !!! dans le dédale pourtant charmant d’une ville encore pas trop connue… : « passif » et « captif » (satisfait ! cf l’illustration de la bêtise chez Flaubert, dans le « contentement de soi » béat d’un Monsieur Homais, in « Madame Bovary«  !) de ce qui devient pur réflexe à un stimulus pré-formé… _ ce qui se passe ! Le fait est que ça parle beaucoup « peinture » chez Proust. Tableaux, dessins, gravures et sculptures sont partout dans la « Recherche« . Ils ont toutes sortes _ oui ! _ de fonction : ils reflètent, authentifient, métaphorisent _ peut-il donc exister un mode d’emploi « sécurisé«  (en stéréotypes) des métaphores ?.. Mais le problème de ce « Musée imaginaire de Marcel Proust est dans son principe même _ coupant l’herbe sous le pied de toute recherche effective par l’imagination (mise en action) du lecteur lui-même : ainsi « assisté«  passivement !.. C’est cette recherche personnelle qui est l’œuvre (irremplaçable !) et du « regardeur » et du « lecteur«  vrais : pas réduits à une consommation préformatée d’images devenant de très réducteurs « clichés«  ; et « réducteurs de têtes« , ajouterait Dany-Robert Dufour (en son important « Art de réduire les têtes«  !)…

On croirait le trousseau de clés _ mécanisé _ d’un prétendu roman-à-clefs. Or un roman est fait pour laisser vivre _ et prospérer en un vagabondage libre : libéré ! avec un « jeu«  enthousiasmant ! _ l’imaginaire du lecteur. Tant mieux s’ils se trompe ou s’égare, là n’est pas la question _ en effet : bravo ! et merci ! Pierre Assouline ! de mettre si bien un peu les points sur les i du métier éditorial, du point de vue de ce que risque de devenir l’« in-activité«  de lire (de la part de lecteurs devenus ainsi  « non-lecteurs«  !), avec de tels « compagnons«  trop bien intentionnés : cela me rappelant la morale, délicatement incisive, de ce génie de La Fontaine, dans « L’Ours et l’amateur de jardins » !.. (« Fables« , VIII, X _ en 1678) : que je me permettrai d’adapter ainsi : « Rien n’est si dangereux qu’un ignorant (= ici « mal savant »…) ami ; Mieux vaudrait un sage ennemi«  _ ; à lui _ lecteur ; et à lui seul ! en une liberté construite, et non renoncée, surtout ! _ d’interpréter _ en cherchant !.. ; c’est un jeu jouissif ! _, de traduire les mots en sensations _ et vice versa Proust n’avait pas conçu sa cathédrale de papier _ (et de mots et phrases imprimés) : l’expression est à prendre au pied de la lettre _ comme un beau-livre illustré _ en effet ! Lorsqu’il écrit que la lumière se dégradait dans les escaliers d’un hôtel et convertissait leurs degrés “en cette ambre dorée, inconsistante et mystérieuse comme un crépuscule, où Rembrandt découpe tantôt l’appui d’une fenêtre ou la manivelle d’un puits”, a-t-on vraiment envie de retrouver sur la page en regard une reproduction du « Philosophe en méditation » (1632) ? Non, d’autant que ce pourrait être _ tout autant ! _ un autre tableau _ le « Rembrandt » de Proust étant lui aussi (et cela, « fondamentalement«  !) fort composite, le réduire ainsi à un exemple unique (et, d’autant, là où Proust, lui, les multiplie : « tantôt« , « ou«  !..), c’est couper les ailes au déploiement de son imaginaire en train de s’activer « dans le temps«  : pour quelle économie instantanée ? ; le contresens est alors tout à fait grave, en effet !., cher Pierre Assouline ! Merci de nous en prévenir ainsi en votre blog de salubrité publique  (pour une vraie « république des livres«  et de lecteurs « vrais« , en tout cas : pas trop « décérébrés«  encore, en voie d’être eux-mêmes réduits à de purs « arcs-réflexes« )Pareillement lorsque, à propos du baron de Charlus, l’écrivain évoque _ le mot impliquant du « flou«  _ ”une harmonie noir et blanc de Whistler”, on n’a nullement envie d’être dirigé bellini_mehmet_ii.1247783957.jpg_ illico presto et comme sur rails de voie unique _ vers la reproduction de « Arrangement en noir et or : le comte de Robert Montesquiou-Fezensac » du même peintre. Car ces choix figent _ voilà le crime ! _ notre imaginaire _ de poïesis en action _ et c’est le pire service _ magnifique expression ! _ que l’on puisse rendre tant au romancier qu’à ses lecteurs.

Nous qui avons vécu des années dans l’ignorance de la « Vue de Delft » _ il nous fallait « essayer«  de nous la « représenter«  : que de joie en cette incertitude (et son « tremblé« …) ; et cette « confiance«  accordée au talent d’ekphrasis de Proust ! _ tout en vibrant à l’émotion _ vibrée, dans la phrase même, ondulante, de Proust… _ de Bergotte, pourquoi nous obligerait-on _ robotisés (« à voie unique«  : c’est un comble !) que nous deviendrions _ à mettre les points sur les i ? Rien n’est émouvant comme la découverte et la rencontre inopinées _ bien plus tard qu’à la lecture… _, un après-midi de printemps à la faveur d’un égarement dans un musée, entre ce que l’on avait lu et ce que l’on voit enfin par hasard _ remerciant alors (personne ! ou plein d’intermédiaires…) la grâce de ce « hasard » de rencontre… Avis aux “companions” les mieux intentionnés : nous sommes encore _ mais pour combien de temps, cependant ?.. Que fait ici, et que ne fait pas, l’École, pour les nouvelles générations ?.. un certain nombre à ne pas prendre ombrage lorsque, relisant « A la recherche du temps perdu«  avec une volupté inentamée _ en effet ! sa « fraîcheur » s’enrichissant, même !.. _, nous ignorons _ mais oui ! ah cette stupidité (à la Homais !) de « craindre de mourir idiot«  au sens de non-savant, d’ignorant : l’ambigüité du terme étant très joliment dans ce cher La Fontaine (de « L’Ours et l’amateur de jardins » : « ignorant«  opposé à « sage« …)… _ ce qu’est la noblesse d’une « buire » de Venise, ou le sens de “mazulipatan”…   Qu’importe puisque Proust, comme ses personnages, étaient à la poursuite _ ouverte ; et non figée (et pour cause !) _ d’un rêve _ un « rêve«  est-il jamais « à satisfaire«  ? : là est tout ce qui sépare le libre désir du lourd besoin : rassasiable, mais très temporairement, lui… _ et que la puissance _ oui ! _ de la fiction _ le substantif émanant du verbe (et de l’activité) de « feindre«  : c’est tout le « jeu«  du faire-semblant, avec tout son « bougé » en acte… _ étant ce qu’elle est, nul ne pourra l’objectiver _ et la tuer en la figeant : ne serait-ce qu’en clichés !!! (et toute leur solennelle « bien-pensance«  N’a-t-il pas écrit _ Proust… _ que l’essentiel est dans “cette lumière  _ un principe de connaissance qui passe aussi, et nécessairement, par l’activité de l’esprit : biologiquement, en quelque sorte ; et le processus existe aussi, c’est même une fonction ô combien capitale du vivant et de la survie, chez les animaux ! _ qui fait tout le jour la beauté des objets et le soir tout leur mystère _ on notera le splendidement discret décalage proustien entre « tout le jour«  et le passage furtif, lui, du « soir« , avant la nuit _, qui en se retirant d’eux _ « eux«  : les objets disponibles pour l’activité d’un sujet _ modifie à tel point leur existence _ de choses inertes, en dehors de notre appréhension (à commencer par perceptive, et attentive : il faut aussi que le regard, en son mouvement même, en son flux, se focalise un tant soit peu _ mais pas à les figer ! _ sur eux ; et pas forcément programmatiquement !) _ que nous sentons bien qu’elle _ cette « existence«  d’« objets« -pour-nous, et en-dehors-de-nous, aussi… _ en est le principe _ extérieur, transcendant : avec toujours son « mystère«  (pour nous !) ; et le « flou« , forcément, et à l’infini (à des degrés variant…), de toute perception qualitative ; et non pas pragmatiquement utilitariste seulement : là-dessus, lire les analyses décisives de Bergson, auxquelles on doit bien davantage revenir… _ et qu’eux-mêmes semblent passer, dans ces minutes si inquiétantes et si belles _ les deux étant intimement liés : c’est une des clés de l’œuvre proustien : de son intense et permanente, oui, « vibration«  ! à la lecture ! pour peu qu’on fasse confiance à l’élan du souffle long et splendide de sa phrase… _, par toutes les affres de la mort” _ et « dans le temps« … : le dernier mot (de gratitude !) à la toute dernière page du « Temps retrouvé«  _ ?.. Et cette lumière _ infiniment vibrante pour le lecteur acceptant de se livrer à sa « vibration«  : sans clichés ! _, l’artiste qui l’a créée et nous l’a transmise _ par le dispositif écriture-lecture exclusivement _ après l’avoir rêvée _ oui ! = imaginée activement ! en son génie d’auteur ! _ n’était pas peintre, mais écrivain » _ en effet !

(”Arrangement en noir et or : le comte Robert Montesquiou-Fezensac« , par James Abbott McNeill Whistler 1891-1892 ; “Vue de Delft” de Jan Vermeer 1659-1660 ; “Le Sultan Mehmet II” de Gentile Bellini, 1480)

Voilà pour ce bel article de Pierre Assouline.

Bref, un « Vademecum » (« Companion to…« , en anglais) assez peu utile poïétiquement : c’est même un euphémisme…

Titus Curiosus, ce 17 juillet 2009

L’exploration « inspirée » de Jean-Louis Schefer de son goût des « portraits »

14juil

J’ai achevé hier soir la lecture _ pas de première facilité ; il m’a fallu pas mal m’accrocher, parfois, pour poursuivre… ; le livre n’étant pas tout à fait « fait pour le lecteur » : très indirectement seulement ; car c’est avec soi-même (= lui-même) que l’auteur d’abord s’y « explique« , déplie, déploie, découvre un peu, ou beaucoup… _

j‘ai achevé hier soir, donc, la lecture de « La Cause des portraits » de Jean-Louis Schefer,

livre que m’avait vivement conseillé son éditeur _ aux Éditions POL _ Jean-Paul Hirsch,

au café Lavinal, au village de Bages, le jeudi 11 juin dernier,

lors de la remise « ensoleillée » _ un pur moment de grâce _ du Prix Lavinal à Nathalie Léger, pour son magnifique « L’Exposition » :

sur lui, cf en priorité mon article du 15 juin (plutôt que celui du 14 ou celui du 17) : « la jubilante lecture des grands livres : apprendre à vivre en lisant “L’Exposition” de Nathalie Léger » ; ce grand livre, très vif et incisif, très aéré (court : de 157 pages toniques !), méritait au moins trois articles pour le « fouiller » un peu ; et « débattre » un peu avec lui : ce à quoi je m’essaie en ce blog…

Le livre de Jean-Louis Schefer est d’un autre « tonneau« , lui :

199 pages de phrases parfois infinies de recherche de l’énigme de soi _ aussi et surtout peut-être comme « auteur » (de livres sur des « tableaux« ), et selon certaines « musiques«  ; même si c’est on ne peut plus modestement ; et non sans beaucoup d’ironie, vraiment, à l’égard de soi : Jean-Louis Schefer s’appliquant régulièrement au cours de son enquête la métaphore (kleistienne ?..) des marionnettes _,

en creusant, avec bien de la cocasserie parfois _ comme un canari un os blanc de seiche (cf la réjouissante description du jeu des « deux infectes canaris » de la « couturière Carabosse«  de la rue Le Marrois, page 106) _, tout ce que peut offrir l’effort de la mémoire,

à quelques soixante années de distance (de l’été 1947 ou 1948), pour le principal de ce « travail« … ;

mais l’enquête tire,

et en vue de l' »essentiel«  _ pour un jeune auteur de 70 ans : il est né le 7 décembre 1938 _,

les « ficelles » (de « marionnettes » _ à la Kleist, donc…) de toute une vie,

de son « éveil« , surtout, _ alors et longtemps resté confus, tout ensommeillé qu’il demeurait : encore immergé dans « la nuit«  _ à ce qui devait se révéler une « vocation » (au déchiffrement de « portraits« …)…

Ce travail d’enquête ayant, forcément _ comme pour tous les plus grands livres : Montaigne, « Les Essais«  ; Shakespeare, « La Tempête«  ; Cervantès, « Don Quichotte« … :

tous combien plus auroraux que crépusculaires en leur « lumière«  ! _,

quelque chose de « testamentaire« 

en sa vivacité inspirée…

L’excellente émission de Frédéric Ferney « Le Bateau Libre » du 11 juillet 2009 (la sixième) consacre treize minutes à une très instructive interview de Jean-Louis Schefer sur ce livre ;

accompagnée, dans la marge, sur le site du « Bateau Libre« , de cette très judicieuse citation (à la page 197, je viens de la retrouver…) de « La Cause des portraits » :

« Qu’ai-je jamais eu de plus précieux et quel trésor

_ voilà ! _

plus sublime ou mieux caché que ces images et scènes suspendues et qui sont désormais dans ma vie le centre vide

_ oui : d’un maelstrom _

et l’énigme infinie

_ et en cela infiniment fascinante _

vers laquelle

_ voilà la direction ! _

je me déplace

_ et œuvre _

sans le savoir

_ jamais assez : on tourne encore autour, en tentant de s’en approcher, en « cabotant«  comme on peut : par l’écriture en acte… _,

comme si un fil

_ celui, kleistien, des marionnettes _,

une malice

_ qui fait trébucher _

du chemin, un vice du temps

_ un clinamen lucrécien ! Jean-Louis Schefer l’évoque lui-même une fois, page 189 _

me contraignaient

_ encore et toujours _

à arpenter

_ un terme kafkaïen, cette fois, in « Le Château » et « Le Procès«  : autres chefs d’œuvre de la plus haute volée du comique ! cf l’article de mon ami Vaclav Jamek « Les paradoxes de l’humour« , in le n° 415 du Magazine littéraire, en décembre 2002 _,

peser

_ la source et l’acte même du « penser«  actif ! _,

mesurer et manier

_ cela demeure toujours à réaliser, en effet : de main d’homme… _

cette matière et cette boue

_ »homme«  provenant d’« humus » (et de l’humilité)… _

dont, certainement, je suis fait, ou les bulles de savon

_ thème de choix, enfantin et ludique, de ces « Vanités«  hollandaises, souvent sublimes, que Jean-Louis Schefer a pu contempler dans les musées du pays d’Almelo et d’Hengelo, ces petites villes et villages découverts, eux, en ces vacances de 1947 ou 48… : « Hengelo, près de Almelo, au nord d’Arnhem, de Deventer, dans la province d’Overijessel, au milieu d’une plaine basse très abondamment irriguée, coupée de routes, de canaux, semée de boqueteaux de trembles, très légers, et de sapins bas, ne montant jamais très haut dans le ciel mais plutôt, de temps en temps, secoués par le vent, rincés par la pluie qui laisse le ciel régulièrement balayé, rafraîchi et où ne monte jamais une trop grande chaleur«  (page 56) _

les bulles de savon, donc _ telles celles du souffleur de Chardin ! et celles de l’enfance rêveuse décrites aux pages 22 et 23 : en « cette physique d’eau savonneuse et de poussières dansantes aux rayons du soleil« _,

soufflées dans des pailles, dont la nacre irisée emporte avec elle les petits visages d’un carnaval de sucre« 

_ mais dont quelque chose aussi s’est conservé : en quelle « espèce de liquide conservateur ? » (page 25) :

c‘est la tâche de ce livre d’« exploration«  fervente et inspirée, tout autant qu’ouverte à l’improbable,

de le (re-)« mettre à jour« , en quelque sorte,

avec délicatesse, patience dans l’attention aux plus improbables et inaperçus « détails« ,

et, aussi, une étrange féconde force…

Le second et avant dernier chapitre du livre, « La Nuit« 

_ il va de la page 169 à la page 193 ;

le premier, « Les Voyages« , de la page 9 à la page 168, est la « matière«  même (de sortie de l’« enfance«  et d’initiation à ce qui serait une « éducation esthétique«  : l’expression se trouve page 13 : « mon éducation est esthétique« ) des souvenirs recherchés et « travaillée« , ardemment, en ce livre… ;

et, l’ultime « Cause des portraits« , est lapidaire : 5 pages à peine de conclusion, et toute provisoire ! _

creuse la réflexion sur ce face-à-face _ à soixante-dix ans : l’âge était donc venu, cet hiver 2008-2009 de l’écriture fervente de ce livre… _ en un mouvement tournant, à nouveau, de passacaille (ou chaconne) :

je lis, page 177, ceci :

« Est-ce pourquoi avançant pourtant

_ mais justement !!! _

dans mon âge

_ le « dans » doit être pris au pied de la lettre : « dedans«  _,

je marmonne aujourd’hui

_ jours de l’écrire ; et du penser ; et du « se souvenir«  en cherchant à « dé-chiffrer«  enfin un peu mieux ce qui fut « une sorte d’anabase«  (page 124) du rien moins que « Golgotha de l’enfance«  (l’expression se trouve à la page 191)… _

ces toutes petites ritournelles

_ cf l’usage deleuzien (dans « Mille plateaux«  et dans « Qu’est-ce que la philosophie ?« ) de ce concept de « ritournelle«  ici… _

qui me tiennent dans leurs ficelles

_ de marionnettes kleistiennes _

et tirent mes bras

_ d’agissant comme d’écrivant _

comme si la toute première marionnette dans laquelle

_ l’expression est, bien sûr, à relever ! _

nous avons commencé

_ ah ! les « commencements d’une vie«  ! n’est-ce pas, François Mauriac ? le très beau (et pas assez connu) texte mauriacien de ce titre est paru aux Éditions Grasset en 1932 :

nous commençons comme « marionnette«  ;

pour ne rien dire de ce qui suit et/ou continue ; en fonction des conséquences et des degrés d’un « éveil«  : certains (et bien plus nombreux que les seuls « Sept Dormants d’Éphèse«  !..) continuant probablement de bien dormir, profondément, toujours… _

n’avait pas grandi

_ du tout _

et faisait battre notre cœur ; petites scènes, événements invisibles qui doivent

_ selon leur logique propre, autonome _

continuer de parler tout seuls sans mon concours ; ou bien musique dont j’entends la voix monter, et toujours la même : « Erwache Dich, ruft uns die Stimme«  ; la voix qui me relève la nuit, qui dit et chante : « Eveille-toi », qui ne vient pas en même temps que le visage. « Erwache Dich ! », sans doute parce que mon film n’est pas terminé

_ peut-il l’être jamais ?.. _

et les voix mal raccordées aux visages parlants »,

page 177, donc…


Voici le passage, page 189, qui me paraît très éclairant _ pour des philosophes, du moins _ sur le clinamen qui préside à la compréhension par Jean-Louis Schefer de sa propre « anabase«  :

« Suis-je alors, comme par magie, affecté d’un retour du temps ?

_ telle une question proustienne :

mais est-ce seulement passivement ?..

Est-ce justement son essence

_ celle-là même du temps !

mais y a-t-il « temps«  pour d’autres que des vivants-mortels ?.. _

qui se constitue

_ elle a donc une « histoire« , cette « essence du temps«  _

ou devient visible

_ phénoménalement, en quelque sorte, alors, et seulement ;

ou secondairement :

en une « expérience » plus ou moins ressentie ;

et plus ou moins clairement ressentie, certes :

que de degrés !..

même pour un seul et même individu, en son parcours de vie… _

non par une succession d’images, de scènes formant des souvenirs,

mais comme l’économie de la mémoire

_ même _

tantôt imaginée comme un système d’épargne

et tantôt comme une force ;

et dont le fonctionnement mystérieux obéirait à l’espèce d’effacement fulgurant

_ hors temps _

du temps

que me semble encore désigner le clinamen de Lucrèce :

là et alors,

qui ne désignent plus ni lieu ni temps,

la chose

_ si difficilement figurable en « images« , en « scènes«  _

passe à l’état d’être atomique

_ fondamentalement _

sans n’être dorénavant plus assignable par aucun repère :

elle est devenue la pensée même.
Ce que la métaphore de Lucrèce m’avait semblé présenter comme l’équilibre d’une éternité d’un maintenant

dans lequel le temps comme succession d’instants

disparaissait ?« 

La réflexion se poursuivant à la page suivante, page 190 :

« Mystère essentiellement infantile des secrets du passé que nous gardons comme des secrets, sur lesquels des images auraient posé leur sceau

_ bloquant provisoirement ou définitivement l’exploration des métamorphoses :

page 116, Jean-Louis Schefer use de l’expression « le catalogue des métempsycoses«  _ ;

et des images qui, tout comme dans les rêves

_ avec leur « ombilic«  _

tiennent la place d’un monde dans lequel il n’y aurait ni temps, ni figure.« 

Et l’auteur de s’interroger :

 » Quelle espèce de durée donner à ces images éparses et comme tissées d’allers et retours perpétuels

_ car non seulement elles reviennent, mais nous aussi, nous n’arrêtons pas d’essayer de les  décrypter, à l’occasion, en l’impression d’« inquiétante étrangeté« , ou plutôt de « familiarité bizarre« , en nous heurtant régulièrement à elles, pour peu que nous soyons un peu curieux, et osions, tel Persée, affronter Méduse… _,

comme par le mouvement d’un fuseau passant et repassant sous la trame ? Comment peindre ce brouillard

_ mon propre « essai » porte le titre de « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise _ ou un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni«  : c’est dire si tout cela vient me « parler«  aussi… _

et le mouvement de ces atomes dans leur chorégraphie

_ tout d’abord _

incompréhensible ?« 

Jean-Louis Schefer avance alors ceci :

« Sans doute ne reste-t-il que des atomes ; sans doute aussi la mémoire nous contraint-elle au jeu d’une comédie

_ cocasse, éminemment drolatique  ! le texte s’y déchaîne parfois, notamment à propos de remarques sur la vie familiale (au sein de laquelle le rôle de pivot de la mère de l’auteur, délicieusement croquée alors… : notamment en son catholicisme « passionné, intransigeant« , qui « doit sans doute nous laver des restes familiaux _ du côté paternel : des Schefer _ d’une fausse religion, le protestantisme, dont il est évident à ses yeux et dans son expérience qu’elle est d’essence mondaine«  (page 156), sans qu’elle en soit, non plus, jamais la dupe !..) _

dont nous serions moins l’auteur ou le metteur en scène

qu’un protagoniste d’occasion et de hasard,

puisqu’à tel moment il nous faut comprendre

(comme dans l’anonymat terrifiant des rôles où nous placent les rêves)

que la mémoire était le dernier terme d’abolition du temps.

Nous n’y faisons pas notre retour comme un acteur

mais comme une chose 

égalisée dans l’immense matière du temps

_ l’expression est magnifique de justesse _

qui vient de cesser,

de perdre son rythme,

de lâcher l’espèce de palpitation

_ quasi toujours haletante, dans le temps subi _

du destin ;

comme rejetés sur la grève

_ de la mer du Nord hollandaise, en l’occurrence _,

au milieu de débris d’algues, de coquilles fossiles

_ si nous atteignons par là un temps plus cosmique,

non plus décompté en heures, minutes et secondes,

c’est précisément parce que la mémoire nous fait revenir là

et tels que nous avons cessé d’être :

chose à peine,

empreintes déjà fossiles portées par un autre temps que nous ne savions pas exister

parce que son ordre n’était que le mystère continu et inapparent de la vie,

du tableau des phénomènes

et du déroulement des événements.
Mais peu de choses passent au tableau,

bien peu organisent des scènes,

presque rien n’entre en composition dans une histoire.

Ainsi

_ cependant, pour peu qu’on y prête quelque attention et qu’on s’y « focalise« , à contresens des « brouillards«  et des « vues brouillées » où tout dérape _

le Golgotha de l’enfance,

l’aquarium absent

_ refusé par la mère _

qui n’a fait qu’alimenter des rêves de poissons captifs,

ainsi les poussières

_ lucréciennes : c’est toujours du clinamen qu’il s’agit là… _

d’un rayon de soleil« ,

page 191…


Le résultat, c’est,

pages 93 et 94, que

« ces souvenirs _ retrouvés _ ne sont plus miens

que parce qu’ils sont toute l’attente, dont je suis alors saisi

_ et « inspiré » !.. en deux mois d’écriture frénétique et sans rature !.. _,

du style (de la partition, de la musique entière)

dont je suis désormais la seule possibilité

_ d’où la mission testamentaire aurorale, bien plus que crépusculaire !

Ils sont miens parce que sortant du paradoxal anonymat des rêves,

c’est encore moi tel que je puis me figurer comme le paramètre d’inconnu qui s’ajoute, chaque seconde, au monde

_ tel un point de vue singulier, monadique (à la Leibniz de « La Monadologie« )…

Sentant comme un regret, un remords, mesurant une espèce de retard de figure et de langage touchant la vie même

_ en son flux jaillissant et fécond _,

je vais doter d’un style ce qui n’est que ma _ forcément modeste _ participation au monde.
La naïveté de mon langage, la légèreté de ma croyance au monde et ma foi inébranlable en l’existence inexpliquée des autres,

en somme le besoin même de l’enfance,

arrangeront tour à tour des tableaux,

des récits,

des raisonnements » _ en une œuvre un peu variée, somme toute : mais autour d’un même pivot… Pages 93 et 94…


Voilà.

« Je n’ai fait toute ma vie que chercher une seule image

et recopier mille tableaux

qui m’ont appris la patience, une délicatesse de touche, le soin des détails,

à recopier des scènes ou des paysages dont le silence, enfin, était toujours

moins l’attente d’une action imaginaire

que celle d’une musique _ la musique des sphères, dont se rapproche un Bach... _ jusque là jamais entendue.

Les études, latin, allemand, grec, philosophie,

les livres

n’ont été que le passe-temps de cette tâche toujours plus urgente

comme si ma vie, jusqu’à maintenant, avait dépendu,

et le seul salut dans une guerre qui n’aurait jamais pris fin,

de l’amitié des Chardin,

des tourments d’une âme du Greco,

de la dernière sérénité bleue de Matisse,

tous ceux avec qui, je crois, j’ai appris la musique la plus secrète« , pages 34 et 35.

Et le catalyseur-« introducteur«  (= « initiateur«  : il en faut !) de cette découverte existentielle fondamentale

fut la rencontre, en un train filant vers la Hollande, en 1947 ou 48, de Françoise,

bientôt, aussi, « fille de Dieu » (page 37) ;

« épouse du Christ« , elle lui dira alors (à Lisieux) : « reviens me voir, je ne m’appelle plus Françoise« , page 38.

L’école :

« La petite vie de laboratoire qu’impose l’école ne réussit qu’à découvrir, comme levant le coin d’un voile, un monde de frustration, sans beauté, sans nuances _ qualitatives _, sans intelligence _ c’est grave ! mais combien juste, hélas, le plus souvent !.. _,

inaugurant la séparation dramatique de l’intelligence et de la sensibilité,

ruinant au nom d’une définition obtuse de la réalité _ galiléo-cartésienne (+ Adam Smith…) _ le génie d’intuition que nous portions en nous ;

et que seule la rêverie forcenée nous permet, des années durant _ par la suite !!! et obstinément… _ de maintenir vivant ou de nourrir« , page 144.

Car l‘ »enseignement de la réalité«  que pratique l’école « restera sans prise sur la pâte de rêves dont nous avons, tous plus ou moins _ cf Shakespeare… _, été façonnés« , page 153…


Ce que Françoise lui fait alors découvrir,

ce sont les « objets vrais, des objets infinis dont la peinture et la musique seraient le reposoir« , page 165…

C’est que « le monde commence alors _ dans l’enfance _ par être sentimental : sans la rudesse du besoin, sans le tourment du désir, il est _ ce monde pour nous, en effet _ une partition sentimentale

sur laquelle toutes sortes de choses décident de nos attachements fantômes

à travers lesquels nous espérons

_ avec plus ou moins de succès, en nos « rencontres » singulières : notamment d’œuvres d’art… _

une lumière plus grande et plus douce, une musique plus éternelle«  _ fondamentale, page 181.

Un livre initiateur d’expérience vraie !

que cette « Cause des portraits« 

de Jean-Louis-Schefer…

A suivre ! Un deuxième volume devant poursuivre la réflexion…

Titus Curiosus, le 14 juillet 2009

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