Quatorze heures pour résumer le talent protéiforme de Camille Saint-Saëns, en se focalisant sur ses chefs-d’œuvre, dans des interprétations superlatives, quelques-unes adoubées par le maître lui-même, et pour certaines inédites en CD.
Le premier des onze CD vous accueille avec la monumentale Symphonie no3 (1886), dont l’orchestre englobe un piano à quatre mains et un orgue. Comment ne pas donner raison à Paul de Louit qui couronnait dans sa discographie comparée la version new-yorkaise de Munch, avec Edouard Nies-Berger à la console ? Les scrupules et le sentiment grandiose qui animent cette gravure de 1949 gardent une fraîcheur, une puissance de conviction saisissantes.
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Dédicataire de la plus « révolutionnaire » des cinq symphonies de Saint-Saëns, Liszt fut avant cela l’inspirateur de ses quatre poèmes symphoniques, premiers du genre en France. Jean Martinon rend en 1960 toute sa légèreté diaphane au Rouet d’Omphale (1872) ; Louis Fourestier lance en 1953 le char de Phaéton (1873) sur les chapeaux de roues, quand Arturo Toscanini prend son temps en 1950 pour animer crescendo une Danse macabre (1874) grinçante à souhait – le compositeur innove en intégrant à son orchestre le xylophone que Holbein accrochait déjà au cou de la Mort. Et Dimitri Mitropoulos, dans La Jeunesse d’Hercule (1877), oppose en 1956 à l’orientalisme ensorceleur des bacchantes le lumineux dépouillement de la vertu.
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Aucun des clins d’œil adressés par Saint-Saëns à ses contemporains dans son Carnaval des animaux (1886) n’échappe à Leonard Bernstein en 1962 : ici scintille le plus translucide Aquarium de la discographie.
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Marathon concertant
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Jeanne-Marie Darré, élève d’Isidor Philipp et de Fauré (eux-mêmes élèves de Saint-Saëns), hérite ici des Concertos nos 1 (1858) et 3 (1869) où ses prises de risque, son jeu plein de panache, nous subjuguent. Arthur Rubinstein défend le no2 (1868), qu’il joua devant le maître en 1904, poussé par la direction de Chevillard « à galoper à fond de train pendant tout le morceau sur un tempo terrifiant, à tel point que le finale avait tout d’un feu d’artifice ! » – ce qui lui valut de recevoir la photo de l’auteur « avec admiration pour son grand talent ». Quelle répartie lui offre en 1958 Alfred Wallenstein ! Robert Casadesus a marqué de son empreinte le no 4 (1875) : comment ne pas fondre devant les majestueux phrasés que déploie en 1961 ce maître du jeu perlé, lui aussi sorti de la classe de Philipp – les deux andantes sont à tomber. Magda Tagliaferro, qui travailla avec Fauré, pose en 1954 une autre référence : son Concerto no5 (1895), dit « Egyptien », reste incomparable par l’éclat et la transparence de ses cascades d’arpèges, par la richesse du coloris, par cette caresse du chant…
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Saint-Saëns est loin d’avoir négligé les archets. Le Concerto pour violon no3 (1880) a trouvé en Zino Francescatti un interprète de rêve par le mordant fiévreux du discours et ses grâces de funambule – avec, en 1950, le solide soutien de Mitropoulos. Dans le Concerto pour violoncelle no1 (1872), c’est en concert à Lucerne en 1962 que nous subjuguent un Pierre Fournier et un Jean Martinon redoublant de panache.
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Joyaux chambristes
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Merci à Harmonia Mundi de nous avoir permis d’inclure ici le juvénile Quintette op. 14 (1855) enregistré il y a presque trente ans par Musique Oblique. Quelle lumière dans les entrelacs et le fugato du finale Allegro assai ma tranquillo ! Le piano d’Alice Ader et les cordes frémissantes de ses partenaires nous bouleversent par la tendresse superbement retenue et calibrée dans laquelle baigne l’Andante sostenuto (écoutez bien le thème principal, vous le retrouverez à peine altéré dans la mélodie Le Pas d’arme du roi Jean du CD VIII).
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Bravo à la flûtiste Joanna G’froerer, au hautboïste Charles Hamann et au clarinettiste Kimball Sykes qui entourent le clavier de Stéphane Lemelin dans l’espiègle Caprice sur des airs danois et russes (1887) – encore un bijou récent (2008) que vous entendrez ici grâce à l’amicale autorisation de Naxos.
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Régis et Bruno Pasquier, Roland Pidoux et Husseyin Sermet rendent tout son lustre au rare Quatuor avec piano no2 (1875) – quel frisson parcourt tout le Poco allegro più tosto moderato ! Notre gratitude va cette fois aux éditions Naïve, grâce auxquelles il redevient disponible en CD.
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Trois ans après des Variations sur un thème de Beethoven (1874) avec Yakov Zak au second piano, Emil Guilels s’accroche au luxueux attelage russe formé par Leonid Kogan et Mstislav Rostropovich pour un pétillant Trio avec piano no1 (1863). La trompette de Roger Delmotte, la contrebasse de Gaston Logerot et le Quatuor Pascal dialoguent en 1957 avec le clavier de Jeanne-Marie Darré dans le Septuor (1881), hommage enjoué au Grand Siècle. Vous attendent aussi la clarinette de Reginald Kell, la harpe de Lily Laskine, le violon de Jacques Thibaud, le Trio di Trieste (dans Rameau transcrit par Saint-Saëns)…
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Le piano retrouvé
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Elève et ami de Saint-Saëns, Isidor Philipp fut le gardien de ses préceptes esthétiques (sobriété de l’expression, clarté et vivacité du jeu, indépendance des doigts, pédale économe). Il a, hélas, laissé peu de témoignages officiels, tous précieux et réunis pour la première fois : la Sonate pour violon no1 (1885) avec André Pascal (ce finale échevelé !), la Sonate pour violoncelle no1 (1872) et deux mouvements de la no2 (1905) avec Paul Bazelaire (qui joua lui aussi avec Saint-Saëns), mais encore un Scherzo (1889) à deux pianos aux ruades irrésistibles.
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Toujours curieux des avancées techniques, Saint-Saëns s’est intéressé aux différents procédés d’enregistrements, au piano mécanique, au gramophone, dont vous trouverez des exemples. La sonorité très équilibrée, la dextérité, la fluidité du rythme et du phrasé y stupéfient. On en retrouve l’écho dans le jeu des élèves de Philipp : Jeanne-Marie Darré, Monique de La Bruchollerie, Guiomar Novaes. Mais aussi chez Cortot, dont le premier enregistrement (1919) de l‘Etude en forme de valse reste d’une féerie digitale insurpassée.
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Carnaval lyrique
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Saint-Saëns a tôt écrit pour la voix, explorant tous les genres, du pastiche dix-huitiémiste (Marquise, façon Massenet), à la ballade romantique (La Cloche où hypnotise le mezzo de Germaine Cernay, Le Pas d’arme du roi Jean enluminé par Charles Panzéra), sans oublier l’orientalisme de Nuit persane (1891), ici défendu par David Devriès, ténor léger au vibrato serré que Saint-Saëns adorait. Et partout, quel sens de la ligne !
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De sa vaste production lyrique, la postérité n’a longtemps retenu que Samson et Dalila, son sommet. La référence s’impose d’elle-même avec la gravure princeps de 1946. Deux gloires du palais Garnier s’y font face, le ténor ensoleillé de José Luccioni, et le mezzo sombre et capiteux d’Hélène Bouvier. Mais aussi, en bonus, Georges Thill et Germaine Cernay, tandis qu’irradient Rita Gorr, Maria Callas et le Grand Prêtre féroce d’Arthur Endrèze. Des raretés, issues d’archives radio ou de récitals jusqu’alors inédits en CD, vous permettront de découvrir des extraits de Parysatis (par Rita Streich), Phryné (par Andrée Esposito), Henry VIII (par Charles Cambon), Ascanio (par Lucy Arbell), Le Timbre d’argent (par Michel Dens et Ninon Vallin), Etienne Marcel (par Joan Hammond), La Princesse jaune (par Jean Mollien)…
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Une autre sélection d’importantes interprétations d’œuvres de Camille Saint-Saêns, ce maître _ à redécouvrir ainsi, par ces sélections de disques ! _ de la musique française,
que le disque heureusement conserve
et thésaurise,
à la disposition de notre curiosité…