Archives du mois de juin 2024

Le charme intense et la tendresse profonde des bouleversants « Czech Songs » de Bohuslav Martinu, Antonin Dvorak, Hans Krasa et Gideon Klein, par Magdalena Kozena et le Czech Philharmonic dirigé par Sir Simon Rattle, en un CD absolument admirable…

25juin

Passionné de musique tchèque et morave, ainsi que de mélodies, que je suis,

c’est instantanément que je me suis tourné vers le CD Pentatone PTC 5187 077 « Czech Songs » de Magdalena Kozena et le Czech Philharmonic sous la direction de Sir Simon Rattle,

pour mon enchantement de ces mélodies graves et bouleversantes de tendresse de Bohuslav Martinu (Policka, 8 décembre 1890 – Liestal, 28 août 1959) _ pour 14 mélodies _, Antonin Dvorak (Nelahozeves, 8 septembre 1841 – Prague, 1er mai 1904) _ pour 7 mélodies _, Hans Krasa (Prague, 30 novembre 1899 – Auschwitz, 17 octobre 1944) _ pour 4 mélodies : plus tragiques… _ et Gideon Klein (Prerov, 6 décembre 1919 – Fürstengrube, 6 décembre 1945) _ pour la berceuse finale _,

servies idéalement par la subjugante voix mordorée de la mezzo Magdalena Kozena, parfaite, et par un Orchestre, le Czech Philharmonis, d’une bouleversante douceur, conduit idéalement par la tendresse idoine de Simon Rattle…

Et voici ce qu’en a dit hier 24 juin, sur son site Discophilia, l’excellent Jean-Charles Hoffelé, en un article intitulé « Merveilles oubliées«  _ et ce mot de « Merveilles » n’est en rien galvaudé, tant pour ces œuvres absolument magnifiques ainsi splendidement ressuscitées et incarnées en leur prégnante-étreignante tendresse-douceur pour nous, que pour leur radieuse et bouleversante interprétation, tant de la mezzo mélodiste qu’est la fée magigienne Magdalena Kozena, au timbre d’or, que de l’orchestre, le Czech Philharmonic, ici au cœur du plus émouvant de son arbre généalogique tchèque, en ce CD éminemment singulier si magistralement réussi : un must !

MERVEILLES OUBLIÉES

Qui connaît ces rêves éveillés que sont les Nipponari ? Les sept haïkus, que Martinů _ consulter ici le catalogue complet de ses œuvres, de 1900-1903 à 1959 _ aura mis en musique, proposant pour chacun d’entre eux un alliage spécifique, sont l’écho sonore de sa visite à une exposition d’estampes _ l’œuvre (H. 68) a été créée à Brno en 1912.

Encore étudiant au Conservatoire de Prague, déjà si singulier, son orchestre à géométrie variable est empli de musique française, d’un raffinement inouï _ oui ! _ dont Sir Simon Rattle se régale, encorbelant le chant _ magnétique, profond _ de Magdalena Kožená _ écoutez déjà cet extrait : c’est sublime…

Le cycle, que Martinů orchestra en 1912 (alors même que Maurice Delage mettait le point final à ses Poèmes hindous _ écoutez-ici par la grande Janet Baker… _, les deux œuvres ont des ressemblances troublantes, d’abord par leurs écritures instrumentales si subtiles), est un pur bijou _ oui ! _ dont on tient, il me semble, seulement le second enregistrement _ le précédent enregistrement au CD de ces « Nipponari«  de Bohuslav Martinu, fut celui de la mezzo Dagmar Pecková avec l’Orchestre symphonique de Prague placé sous la direction de Jiří Bělohlávek, en septembre 1988, pour le label Supraphon ; soit le CD SU 3956-2 ; écoutez-ici, et comparez…

Il suffit à commander l’acquisition de ce disque précieux aussi _ oui _ par les Quatre mélodies avec orchestre d’Hans Krása, ces Lieder _ tragiques et poignants ; composés très précocément, dès 1920, à l’âge de 21 ans … _ où, là encore, l’orchestre est un univers _ oui, oui, oui. Un de ses opus majeurs _ quelle force ! quelle puissance, ici… _, s’y infusent les raffinements de l’instrumentation française, appris auprès d’Albert Roussel, et les nouvelles musiques de la Seconde École de Vienne. Il y a du Schönberg dans son chant _ oui _, et du Berg dans la dramaturgie de l’orchestre, ce que Magdalena Kožená et Sir Simon Rattle réunissent avec art _ oui, oui : tout de sublime évidence… _, aidés par les timbres singuliers _ uniques, en effet _ des Pragois _ totalement nécessaires et irremplaçables ici. L’ajout _ à ce programme magnifiquement choisi, composé et mené _ des encore plus rares _ magnifiques ! éblouissantes dans le naturel de leur apparente simplicité… _ Petites chansons sur une page de Martinů _ H. 294, au catalogue ; composées en 1942-1943, aux États-Unis : j’en possède un enregistrement Supraphon SU 4235-2, dans la version originale avec piano, le CD « Bohuslav Martinu – Songs«  de Martina Jankova, soprano, Tomas Kral, baryton, et Ivo Kahanek, au piano, enregistré en la Salle Martinu de l’Académie de Musique de Prague au mois de juin 2017 (cf mon bref article « «  en date du 6 juillet 2019 _, orchestrés _ superbement : quelle bouleversante et irradiante tendresse ici !.. _ par Jiří Teml, augmente _ oui ! Et il faut en effet le souligner… _ le plaisir ! _ et c’est bien là ce que j’ai moi aussi personnellement très intensément ressenti ici, avec cette interprétation-incarnation profonde, douce et subtile, en même temps que très naturelle, évidente et comme directe, de Magdalena Kozena, le Czech Philharmonic et Sir Simon Rattle : un véritable enchantement…

Centre du disque, d’admirables _ divines !!! _ mélodies _ purs chefs d’œuvre très injustement méconnus… _ de Dvořák, certaines orchestrées _ aussi : et magnifiquement ! _ par Jiří Gemrot, où la mezzo déploie ses mots ambrés _ oui _, coda _ très émouvante, encore… _ avec la Berceuse juive que Gideon Klein écrivit le 6 février 1943, sans se douter encore que les Nazis l’assassineraient vingt mois plus tard _ l’histoire tchèque, au cœur le plus sensible de notre vieille Europe, est ainsi cruellement marquée d’abominables catastrophes…

LE DISQUE DU JOUR

Czech Songs

Bohuslav Martinů (1890-1959)


Nipponari, H. 68 « Chants
populaires japonais »

Petites chansons sur une page, H. 294 (orchestration : Jiří Teml)


Antonín Dvořák (1841-1904)


Chants nocturnes, B. 61
(5 extraits : No. 1. Umlklo stromů šumění ; No. 2. Mně zdálo se ; No. 3. Já jsem ten rytíř ; No. 4. Když Bůh byl nejvíc rozkochán ; No. 7. Když jsem se díval do nebe)

Cyprès, B. 11 (2 extraits : No. 5. Ó byl to krásný zlatý sen ; No. 11. Mé srdce často v bolesti – orchestration : Jiří Gemrot)


Hans Krása (1899-1944)


4 Mélodies avec orchestre, Op. 1


Gideon Klein ( 1919-1945)


Berceuse (orchestration : Jiří Gemrot)

Magdalena Kožená, mezzo-soprano
Orchestre Philharmonique Tchèque
Sir Simon Rattle, direction

Un album du label Pentatone PTC5187077

Photo à la une : la mezzo-soprano Magdalena Kožená – Photo : © DR

Quelles œuvres !!!

Et quelle interprétation !!!

Et quelle magnifique composition de programme : vers le tragique…

Un CD tout simplement admirable…

Ce mardi 25 juin 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’alto à l’anglaise de Timothy Ridout : son très beau CD « Britten – Vaughan-Williams – Hindemith – Martinu »…

24juin

Mon article «  » du 20 mai dernier (2024) faisait le point sur les CDs Harmonia Mundi , soient

d’une part le CD HMM 902618 « Elgar, Viola Concerto – Bloch, Suite for viola and orchestra », avec Martyn Brabbins dirigeant le BBC Symphony Orchestra _ un CD enregistré à Londres au mois d’avril 2022 _,

et d’autre part le double CD HMM 905 376.77 « Timothy Ridout – A Lionel Tertris Celebration – original works and transcriptions for viola and piano of works of  Lionel Tertris, Ludwig van Beethoven, Felix Mendelssohn, Robert Schumann, Johannes Brahms, Gabriel Fauré, William Wolstenholme, Cecil Forsyth, Ralph Vaughan Williams, Fritz Kreisler, William Henry Reed, Frank Bridge, John Ireland, York Bowen, Rebecca Clarke et Eric Coates » , avec les seuls pianistes Frank Dupree et James Baillieu _ enregistrés à Londres aux mois de janvier et d’avril 2023.

C’est alors que j’ai découvert l’existence d’un autre CD de l’excellent altiste britannique Timothy Ridout pour le label suisse Claves, cette fois,

le CD Claves 50-3000 « Britten- Vaughan-Williams – Hindemith – Martinu » _ enregistré à Lausanne au mois de septembre 2019, et paru en 2020 _, avec l’Orchestre de chambre de Lausanne placé sous la direction de Jamie Phillips,

un CD que je me suis alors empressé de commander à mon disquaire préféré,

et qui me plaît énormément…

 


Ce lundi 24 juin 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Avec le clavecin toujours très expressif de Philippe Grisvard, l’Ensemble Diderot de Johannes Pramsohler nous offre un splendide « Berlin Harpsichord Concertos », avec en particulier un enthousiasmant Concerto en ré mineur de Christophe Nichelmann (1717 – 1762)…

23juin

C’est très fidèlement et avec très grande satisfaction que je suis très attentivement la superbe production discographique des disques Audax et de l’Ensemble Diderot _ les deux fondés par le violoniste baroque Johannes Pramsohler _qui nous offre aujourd’hui un très réjouissant CD Audax ADX 11211 « Berlin Harpsichord Concertos« ,

avec quatre Concertos pour clavecin _ dans la mouvance hyper-stimulante du très grand Carl-Philipp-Emanuel Bach (Weimar, 8 mars 1714 – Hambourg, 14 décembre 1788) _ de Christoph Nichelmann (Treuenbritzen, 13 août 1717 – Berlin, 20 juillet 1762), Carl-Heinrich Graun (Wahrenbrück, 7 mai 1704 – Berlin, 8 août 1759), Christoph Schaffrath (Hohnstein, 1709 – Berlin, 7 février 1763) et Ernst-Wilhelm Wolf (Grossenbehringen, 25 février 1735 – Weimar, 1er décembre 1792), avec, au clavecin, l’excellent Philippe Grisvard _ cf par exemple, et parmi pas mal d’autres, mon article du 11 mai 2022 «  » ;

ainsi que mon article du 11 août 2019, quand je les ai entendus en concert : « « 

Christoph Nichelmann a été élève à Leipzig de Wilhelm-Friedemann Bach (Weimar, 22 novembre 1710 – Berlin, 1er juillet 1784 _ _ et Whilhelm-Friedemann Bach a résidé à Leipzig de 1722 jusqu’en 1733, où il s’en va à Dresde _), le frère aîné de CPE Bach (Weimar, 8 mars 1714 – Hambourg, 14 décembre 1788) ;

et il se pourrait bien que le 17 octobre 1730, à Leipzig, le jeune Christoph Nichelmann ait été, à l’âge de 12 ans, le soprano soliste de la fameuse Cantate BWV 51 « Jauchzet Gott in allen Landen ! » de Johann-Sebastian Bach (Eisenach, 21 mars 1885 – Leipzig, 28 juillet 1750)…

..

L’enthousiasmant « Concerto en ré majeur » de Christoph Nichelmann, composé vers 1745, constitue probablement le sommet de cette magnifique interprétation, en ce CD « Berlin Harpsichord Concertos« , des décidément toujours excellents Philippe Grisvard et Ensemble Diderot…

Dans ma discothèque personnelle,

j’ai aussi pu mettre la main sur une très bonne interprétation d’un « Concerto en mi majeur » de ce même Christoph Nichelmann, par la claveciniste Christine Schornsheim et la Berliner Barock-Compagney _ ce concerto a été enregistré à Berlin au mois de mars 1997 _, en un triple album Capriccio 49541 de « Konzerte – Concertos » des Fils Bach (Carl-Philipp-Emanuel, Wilhelm-Friedemann et Johann-Christian), Johann-Philipp Kirnberger, Johann-Gottfried Müthel, Francesco-Antonio Rossetti, Ernst-Wilhelm Wolf et Johann-Gottlieb Naumann…

Et j’ai retrouvé aussi une splendide « Sonate en mi mineur pour Hautbois et Basse continue » de Christoph Nichelmann en un CD Capriccio 10414 intitulé « Abendmusik auf Schloss Rheinsberg » de cette même Berliner Barock-Compagney _ enregistré au château de Rheinsberg au mois de novembre 1990 _, avec le hautbois virtuose de Wolfgang Kube, et le clavecin de Christine Schornsheim…

Chistoph Nichelmann : un épatant compositeur de l’empfindsamkeit, à redécouvrir !..

Et Philippe Grisvard et l’Ensemble Diderot : régulièrement épatantissimes…

Ce dimanche 23 juin 2024, Titus Curosus – Francis Lippa

Quand, et avec son intensité stupéfiante, le Quatuor Tana nous fait découvrir aussi, après ceux de Steve Reich et Philip Glass, les 4 Quatuors (de 1983, 1984, 1985 et 2014) du compositeur polonais Krzysztof Baculewski…

22juin

Le 19 mai dernier, au soir d’un magique concert donné par le Quatuor Tana _ constitué de Antoine Maisonhaute, Ivan Lebrun, violons, Takumi Nozawa, alto, et Jeanne Maisonhaute, violoncelle _ au château de Mombet, à Saint-Lon-les-Mines, en Chalosse, dans le cadre de l’édition 2024 du « Mai musical Lucien Durosoir« ,

j’en ai rédigé un compte-rendu enthousiaste, « « ,

tant pour ce qui concerne les œuvres, stupéfiantes, les Quatuors n°3 de Lucien Durosoir (de 1934), et n°1 de György Ligeti (de 1954), que pour leur magistrale interprération par le splendide Quatuor Tana…

Du Quatuor Tana, je possédai à ce jour les 3 _ magnifiques ! _ CDs suivants :

_ le CD Megadisc Classics MDC 7877 « Steve Reich – WTC 9/11 – Different trains » _ enregistré au Studio Passavant au mois de juin 2016

_ le double CD Megadisc Classics MDC 7880 « Philip Glass – Seven String Quartets » enregistré à la Grande des Villarons et paru en 2018

_ le CD Soond SND 22020 « Philip Glass – Tana Quartet – String Quartet n°9 King Lear – String Quartet n°8 » _ enregistré au Théâtre d’Arras au mois de septembre 2021 ; et admirez ici cette vidéo de 11′ 48…

Aussi ai-je aussitôt très vivement aspiré à découvrir d’autres performances de tels interprètes aussi superbement intensément si justement « présents » en un tel concert…

Et ai-je illico presto commandé à mon disquaire préféré le CD « Krzysztof Baculewski – String Quartets« , le CD Dux 1238 _ enregistré à Luslawice, en Pologne, du 7 au 15 février 2017 ; et distribué par Distrart… _,

comportant les Quatuors n°1 (de 1984), n°2 (de 1985), n°3 (de 1986) et n°4 (de 2014) de ce compositeur polonais, né à Varsovie le 26 décembre 1950, toujours pleinement actif…

Et en recherchant dans les coins quelque attention portée par quelque critique mélomane,

j’ai découvert un site intitulé « operacritiques« , sous la signature d’un certain David Le Marrec, comportant, à la date mercredi 22 mars 2023 un long article développé intitulé « Quatuor & répertoire : entretien avec le Quatuor Tana » _ en l’occurrence le premier violon Antoine Maisonhaute _, dont je propose ici la lecture, et qui aborde un peu, au passage, l’œuvre de Krzysztof Baculewski, mais qui est surtout intéressant dans son effort de caractérisation du travail assez original et singulier du Quatuor Tana, dont l’intensité de jeu a frappé aussi David Le Marrec, lors d’un concert, en avril 2019, à Bourron-Marlotte, en Seine-et-Marne :

dont je retiens _ moi, Titus Curiosus _ un très vibrant et ô combien justifié, sinon indispensable !, éloge de la curiosité

de la part de ces splendides interprètes que sont, au disque comme au concert, les Tana…

Voici donc ce riche entretien d’Antoine Maisonhaute avec David Le Marrec :

mercredi 22 mars 2023

Quatuor & répertoire : entretien avec le Quatuor Tana

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Une série spéciale en quatre épisodes autour de la question du répertoire du quatuor à cordes. Pour cela, je m’entretiens avec Antoine Maisonhaute, du Quatuor Tana.
…Vous pouvez l’entendre par ici :
…Le flux RSS (lien à copier dans votre application de podcast)
https://anchor.fm/s/c6ebb4c0/podcast/rssou sur :
Google
Spotify
Deezer
Amazon
¶ etc.

Vous pourrez aussi y trouver quelques podcasts de vulgarisation très généraux sur l’opéra, le début de la reprise de la série Musique ukrainienne, une brève histoire de l’opéra italien à la conquête du monde, ainsi que quelques comptes-rendus de concerts trop bavards pour mes traditionnelles recensions Twitter… J’attends d’être un peu plus aguerri pour me lancer dans la grande adaptation de la série Pelléas……
Et comme d’habitude, la transcription suit. D’une part mon script (ce qui explique le style plus relâché, les répétitions… c’est prévu pour l’oral). D’autre part, pour ceux qui ne souhaitent pas écouter le fichier sonore, un résumé des réponses d’Antoine Maisonhaute { entre accolades }.
…Bonne écoute ou bonne lecture !…


Bienvenue dans cette nouvelle série du podcast de Carnets sur sol  !

Aujourd’hui, j’inaugure des entretiens avec des professionnels de la musique _ voilà. C’est un format que je n’ai jamais pratiqué, parce que je trouve que le format est en général très convenu, on félicite les artistes de bien jouer, on pose quelques questions faussement intimes, et on fait la promotion du disque ou du concert du moment.

Vous verrez que sur tous ces points, cet entretien adopte d’autres perspectives. Tout ce que vous n’avez peut-être même pas pensé à demander sur le quatuor à cordes !

Épisode 1  : Ma vie / La rencontre

Je commence à vous raconter pourquoi ce quatuor est singulier _ excellente perspective ! _, et d’où me vient cette envie d’échange. En vous livrant un peu de ma vie.

1.1. Les nouveautés

Nous sommes en avril 2019. Je tâche depuis peu de me tenir au courant des nouveautés, pas tant pour le dernier récital de la vedette Deutsche Grammophon que pour ne pas manquer les pépites de compositeurs que je ne connais pas _ voilà ! _ chez de petits labels riches en découvertes _ voilà une tout à fait excellente curiosité ! _ : comme je ne connais pas même leurs noms, si je les laisse passer, je ne les rencontrerai jamais ! _ et rencontrer vraiment, et pas superficielement, ni trop vite, est aussi essentiel ! Par ailleurs, il m’est déjà arrivé de croire pendant des années qu’une œuvre n’était pas disponible (ou pas dans une interprétation satisfaisante) et de me rendre compte par hasard que, depuis ma dernière vérification, plusieurs années plus tôt, on disposait d’un disque !

Je me suis donc mis à suivre les parutions de nouveautés discographiques, en particulier chez CPO (le label spécialiste des romantiques et décadents germaniques) et DUX (un label polonais qui ne publie que des œuvres exaltantes) _ et bien distribué en France par Distrart…

Je lance donc, sans rien y connaître, le disque _ des Tana _ de quatuors de Krzysztof Baculewski, un compositeur polonais né en 1950, et dont les quatuors (1984, 1985, 1986, 2014) semblent suivre l’évolution des esthétiques germaniques du premier XXe siècle, avec plus de radicalité au fil des œuvres, mais aussi plus d’épure et de concentration. Corpus absolument admirable _ oui, oui ! _, que j’ai beaucoup réécouté.

Je note mentalement le nom du Quatuor Tana, que je suppose polonais, et dont j’admire le mérite et l’engagement _ voilà : superbe et généreux ! _, pour enregistrer quelque chose d’aussi rare et qui leur sera si peu demandé en concert  !

1.2. Le concert

Un mois plus tard, en mai 2019. Comme chaque année, je parcours l’ensemble de la programmation de musique classique d’Île-de-France, et ce samedi-là, j’avais jeté mon dévolu sur un programme contenant le Quatuor de Debussy, le Premier Quatuor de Hahn, et un quatuor du compositeur (vivant) Jean-Paul Dessy Tuor Qua Tuor, dans une petite église du Gâtinais.

L’association ProQuartet, qui promeut le quatuor à cordes en Île-de-France, a deux bases d’opération  : un siège à Paris, mais aussi une zone d’influence dans le Sud-Ouest de la Seine-et-Marne (le long du Transilien R, qui passe par Fontainebleau, puis Nemours ou Montereau). Le choix du lieu, excentré par rapport à la capitale, mais dans un lieu où un public régulier et cultivé est assez présent, n’était pas totalement dû au hasard  : Reynaldo Hahn a séjourné dans la ville _ tiens, tiens !

Me voilà donc parti un samedi après-midi pour Bourron-Marlotte : une heure de train depuis la Gare de Lyon, avec une fréquence d’un train par heure… transi sous la neige fondue du mois de mai, j’ai même dû, au retour, monter dans un train en sens inverse pour me tenir chaud et ensuite patienter dans un couloir de la gare de Nemours où les dealers de coke opéraient à leur aise. L’église Saint-Sévère, qui conserve encore sa masse du XIe siècle (époque où elle était carrée), quoique largement remaniée au XIXe siècle, a trois particularités  : 1) des collatéraux qui s’arrêtent net au niveau du transept (sans croisillons, sans doute une économie au moment de l’élargissement de la nef) 2) des culs-de-lampe très expressifs aux visages simiesques 3) elle est loin de la gare.

Je me souviens encore d’être saisi par l’humidité glaciale de la neige fondue, traîtrement survenue en ce début de mai.

Du concert, j’avais surtout retenu le quatuor de Dessy, qui avait la particularité rare d’être un quatuor mené par le violoncelle – qui impulse la matière, commence les mouvements, régle le tempo… La matière première pourrait être qualifié d’essentielle, ni tonale (ce n’est pas aussi rudimentaire), ni atonale complexe, ni postmoderne-planante, vraiment une belle exploration de matériaux simples, qui s’achève en un souffle incantatoire – souffle littéral également, les deux violons pour finir soufflent dans leur âme.

Un petit goûter était organisé ensuite, dans la base du clocher-porche. Je n’ai pas osé déranger, et j’ai beaucoup regretté de ne pas avoir vu le bonheur sur leurs visages en annonçant que j’avais adoré leur disque Baculewski _ voilà ! _, sur lequel je me figurais qu’ils ne devaient pas avoir eu beaucoup de retour de la part de leur public de concert. (A fortiori alors qu’il venait de sortir quelques jours plus tôt.)

1.3. Le projet

Aussi, lorsque j’ai reçu la proposition d’entretien, j’ai bondi sur l’occasion  : d’abord de leur crier mon bonheur d’avoir connu Baculewski et Dessy grâce à eux, ensuite de leur poser non pas des questions traditionnelles, mais ce que j’avais réellement envie _ soit la curiosité du mélomane, aussi… _ de savoir. Elles sont peut-être un peu intrusives par certains côtés, mais c’était une occasion particulière d’avoir à ma disposition un ensemble aussi courageux et atypique.

Toutes les virgules de la série sont empruntées à un enregistrement libre de droits : il s’agit de la célèbre intégrale des Quatuors de Beethoven par le Quatuor Végh, sa première, celle de 1952 _ bravo ! Vous y entendez :

¶ en début d’épisode, un extrait du premier mouvement du quatuor n°10 ;
¶ en fin d’épisode, un extrait du deuxième mouvement du quatuor n°8 ;
¶ au début de chaque question, les accords introductifs du même quatuor n°8 ;
¶ à la fin de chaque question, le final du quatuor n°7.

Épisode 2  : Répertoire

QUESTIONS SUR LE REPERTOIRE

À l’occasion de leur concert aux Bouffes du Nord lundi 27 mars prochain, où ils joueront à la fois le Premier Quatuor de Ligeti et le Quintette Annonciation de Philip Glass, j’ai d’abord voulu les interroger sur leur répertoire très particulier _ en effet…

Il est exceptionnellement vaste, et contient surtout des compositeurs vivants _ voilà.

C’est Antoine Maisonhaute, le premier violon du quatuor, qui a pris le temps de me répondre.

1) Votre répertoire contient très peu des quatuors habituels du répertoire _ voilà ! _ : énormément de contemporain, et même pour les choses plus anciennes, beaucoup de raretés : Grétry, Nielsen, Lekeu, Caplet, Villa-Lobos, Durosoir _ nons y voici ! _, Wissmer, Alfvén (qui ne figure même pas dans les catalogues couramment disponibles du compositeur !)…  Pourquoi ce choix d’échapper au répertoire balisé ?  Est-ce le plaisir de la découverte, la volonté de se positionner sur un segment qui était peu occupé ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : En effet, le désir de découverte. }

2) Comment les projets se constituent-ils ?  Faites-vous les choix et cherchez-vous un label, ou des producteurs se proposent-ils ?
Typiquement, pour Baculewski, il y a toute une série chez DUX : est-ce le label qui vous a mandaté, vous qui lui avez proposé ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : DUX est bien venu les chercher en connaissant leur curiosité. J’ajoute que DUX a même publié dans les années précédentes tout un cycle de Baculewski, musique pour flûte, pour orchestre, pour chœur. Dans les autres cas, ce sont plutôt les Tana qui choisissent un éditeur susceptible de soutenir leurs projets originaux. }

Pour préciser, « Volts » est leur album regroupant des pièces au format inhabituel : quatuor à cordes avec bande préenregistrée pour Romitelli, œuvres ouvertes avec parties improvisées (Deejay de Gilbert Nouno), et même des instruments construits par les membres du quatuor (qui incluent, si j’ai bien compris, un système d’amplification électronique interne et non externe comme d’ordinaire) pour les pièces de Canedo, Arroyo et Havel.

C’est aussi leur album que je préfère (avec Baculewski évidemment) : quatuors au langage assez radical (rien de tonal là-dedans), qui porte bien son titre, aussi bien avec les procédés d’amplification que les figuralismes électriques et la tension extrême de l’exécution _ un trait bien caractéristique de l’interprétation des Tana. Très dynamique et impressionnant. Ça peut s’écouter à l’instinct, en se laissant porter par l’énergie qui en émane _ oui, oui _, sans même comprendre la forme ou le langage.

(Je suis aussi impressionné par la façon dont les Tana parviennent à changer totalement leur timbre d’un disque à l’autre, d’une œuvre à l’autre… c’est une question que je leur pose après.)

3) Pour un quatuor qui n’a même pas de Schubert à son répertoire courant, est-il facile de vivre ?  [la liste que j’ai eue n’était pas à jour, il y en avait deux _ de Schubert _ et ils les jouent régulièrement !] J’imagine que vous avez dû en étudier tout de même pour des concours, ou à la demande de programmateurs pour des couplages ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Ils en font donc, appris pendant leurs études ! Davantage de classiques du XXe siècle, qui facilitent les transitions vers les œuvres contemporaines dans les programmes. }

4) D’un point de vue pratique (et économique), est-ce plus difficile parce qu’il faut sensibiliser le public à une musique plus diverse et difficile que les œuvres qu’il connaît par cœur (autrement dit, pas facile de remplir avec du quatuor contemporain), ou bien l’existence d’institutions qui financent et programment régulièrement la création permet-elle au contraire de bénéficier d’un confort matériel suffisant ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Les institutions et les festivals spécialisés financent en partie la musique contemporaine, oui. Les membres du quatuor sont persuadés que le public aime découvrir, s’il est accompagné (ils ont l’habitude de présenter les œuvres _ et c’est en effet  très important _, de « dédramatiser »). Peut-être l’avenir, au moment où les grandes maisons ne remplissent plus avec les œuvres anciennes et célèbres, même avec des stars. Serait-ce le moment du grand retour de la création ?  Les plus difficiles à convaincre sont les programmateurs. }

5) Contrairement à la plupart des ensembles spécialisés, vous disposez d’un répertoire qui couvre un nombre considérable d’esthétiques : depuis les partitions radicales de Lachenmann jusqu’à la simplicité extrême de Glass, en passant par tout le continuum des musiques qui revendiquent l’héritage tonal , ou syncrétiques comme Fedele… Je me demandais la discipline que cela requérait en termes de culture musicale, pour savoir ce qui est attendu dans des univers aussi différents. On l’entend très bien dans vos disques, le timbre de l’ensemble, les phrasés diffèrent totalement, ce doit être un travail colossal pour concevoir et réaliser cela ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Travail très spécifique pour être capable de changer le son, notamment en fonction des lieux. Ne jouent pas de la même façon selon les salles, et peuvent s’adapter au dernier moment. }


Épisode 3  : Les concerts

6) Comment parvenez-vous à toucher le public avec un répertoire qui est si différent de ses habitudes (ils sont peu donnés et entendus, et bon nombre de quatuors qui échappent aux logiques tonales) : avez-vous des astuces ?  Vous reposez-vous d’abord sur la qualité de la musique (et l’ardeur _ oui ! _ de l’exécution) ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Donner des pistes d’écoute au public. Ne servirait à rien de chercher une logique tonale. Le public se sent plus en confiance lorsqu’il repère des éléments. La qualité de la musique de création dépend bien sûr des œuvres, mais le quatuor les sert toutes avec le même dévouement. }

7) Evidemment, une question me brûle les lèvres : que pensez-vous du répertoire actuel de quatuor ?  De mon point de vue de spectateur très régulier des concerts de quatuor, j’ai l’impression que les ensembles les plus célèbres rejouent toujours les quelques mêmes dizaines de titres, et que le jeu est plutôt de présenter une nouvelle version d’oeuvres déjà très bien connues du public _ en effet… J’étais curieux, considérant votre démarche complètement opposée, de la façon dont vous le perceviez.

J’ai été très heureux de la réponse. Antoine Maisonhaute n’a pas retenu ses coups. En écoutant son analyse, je criais « tue ! Tue ! » comme si j’assistais à un match de MMA (oui, on ne crie pas « tue » à un match de MMA, mais j’ai les images mentales que je veux). Avec beaucoup de pondération, il dresse en tout cas un état des lieux que je constate et partage – notamment autour du risque de muséification et d’atrophie _ voilà _ de toute la musique classique.

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Tendance à ronronner avec des œuvres qui ont fait leurs preuves, et toujours réinventer le fil à couper le beurre. Peu de prises de risque. Entretiennent un musée, et participe un peu à l’extinction du genre. Pas en phase avec les préoccupations de notre époque. Alors qu’il y a un siècle, les interprètes vedettes faisaient beaucoup de créations, voire composaient. Dommage de jouer à l’infini les mêmes œuvres, ce qui n’apporte plus rien à la musique ou au répertoire, et d’une certaine façon empêche penser les enjeux du classique aujourd’hui. }

BOUM.


8) Du point de vue l’identité sonore, comment définiriez-vous le Quatuor Tana ?  J’ai l’impression que votre son s’adapte énormément au répertoire, mais vous avez sans doute des tropismes ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Son assez clair et projeté. Dépend du répertoire, mais comme ont travaillé énormément d’esthétiques, jouent différemment aujourd’hui à partir de ce qu’ils ont observé dans le contemporain, en termes de son. Tentative du pianissimo le plus extrême chez Debussy tenté sul ponticello, sur le chevalet, avec du souffle dans le son, expérience vécue auparavant dans la musique contemporaine, expérience qui sert donc ensuite à s’approcher de l’indication de Debussy. }


Épisode 4  : Les corpus

Pour parler de concret, j’avais envie d’avoir votre opinion sur certaines musiques que vous jouez.

9) Je commence par Baculewski bien sûr : qu’est-ce que cette musique apporte au répertoire selon vous ?  Quelles sont les qualités qui vous ont frappé ? (Pour ma part, en tant qu’auditeur, c’est l’intégration des langages passés et l’évolution du style au fil des quatuors, mais du point de vue des interprètes, je ne sais pas.)

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Comme d’autres musiques des pays de l’Est, grand rapport à la tradition et en même temps dans l’air du temps. Pēteris Vasks par exemple. Très virtuose, instrumental, mais aussi beaucoup de finesse dans la recherche d’une nouvelle façon de composer pour le quatuor. Ils n’ont pas hésité à accepter, mais ont dû travailler très longtemps, musique particulièrement virtuose. Musique de réconciliation de la modernité et de l’auditeur, sans être passéiste. Beaucoup d’émotions passent malgré sa nouveauté. }

Ce point de vue de l’intérieur est très intéressant : je n’aurais pas spontanément rapproché Vasks de Baculewski, en tout cas le Vasks pour cordes (je le sens davantage dans sa musique chorale), mais je partage tout à fait l’idée de cette sensibilité particulière des nations « périphériques » à la création d’avant-garde, aussi bien en Scandinavie que chez les Slaves, qui écrivent de la musique nouvelle dans un langage qui a évolué mais conserve des liens évidents avec la tradition, de façon parfois plate, ou bien, dans les œuvres réussies, de façon particulièrement touchante, riche et stimulante.

À l’écoute du disque, j’ai eu l’impression, un peu comme en écoutant Grażyna Bacewicz, qui n’est pas du tout de la même génération, de suivre l’évolution des esthétiques germaniques de la premier moitié du XXe siècle, traversant un nombre d’esthétiques sonores très variées, avec plus de radicalité au fil des œuvres, mais aussi plus d’épure et de concentration.

Je trouve ce corpus particulièrement admirable, et je vous recommande chaleureusement le disque chez DUX, le label à suivre avec CPO si vous aimez les découvertes qui ne déçoivent pas.

10) Pour Philip Glass, que vous donnez en concert bientôt aux Bouffes du Nord, je suis au contraire _ pas moi : j’ai bien lu ce qu’en dit Karol Beffa en son passionnnant « L’Autre XXe sièclee musical«  ; et regardez et écoutez  la vidéo (de 53′) de mon entretien avec lui à la Station Ausone le 25 mars 2022 : nous y abordons le cas Philip Glass _ très rétif (je trouve sa répétition oppressante, en plus des « fautes » d’harmonie qui prennent nos habitudes à rebrousse-poil). Ce qui me rend d’autant plus curieux de ce qui vous intéresse ou vous touche dans cette musique !  D’un point de vue plus pratique, comment faites-vous pour ne pas perdre le fil _ oui, oui… _ du nombre de réitérations des boucles ?  Y a-t-il des techniques spécifiques à ce répertoire minimaliste ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Touché par sa sincérité, l’absence de prétention, une forme d’authenticité. Particulièrement accessible en tant que personne, remarquable par son humilité, disponible pour aider les artistes à monter les œuvres. Énorme culture de la musique, en particulier de la musique européenne du XXe, et trace son propre sillon personnel, avec ces « fautes » délibérées. Beaucoup d’épigones ne parviennent pas à faire du Philip Glass en voulant l’imiter. Pour les répétitions des boucles, demande simplement de la concentration. }

Ce n’est pas totalement de la provocation si je relève que Philip Glass est gentil – en réalité, pour des compositeurs vivants, il n’est pas absurde que le caractère entre en ligne de compte, il n’est que de voir les musiciens vedettes qui font du mal autour d’eux.

Par ailleurs, il est toujours profondément stimulant d’entendre l’éloge – y compris chez certains de mes amis les plus proches – de musiques qu’on déteste, voire qu’on trouve médiocres. C’est l’occasion d’un décentrement _ toujours crucial et nécessaire ! Là-dessus, cf l’article programmatique (et parfaitement emblématique) de mon blog, paru le 3 juillet 2008 : « « , qui n’a pas vieilli d’un iota : « dans l’ouverture de grand air, ou plein vent, de pas trop vissées serré curiosités _ j’aime qu’il y ait un minimum de jeu, et que ça flotterisquer un œil à côté de la perspective incitée, en se déplaçant un pas plus loin que la place marquée, à peine, un brin, à l’écart, en ce coin-ci, passant la porte entrebâillée, ou derrière la palissade _ dans l’ouverture, donc, d’un peu larges et mobiles (boulimiques ?) curiosités plurielles« , écrivais-je même très précisément alors, en juillet 2008… _, de comprendre d’autres approches de la musique : cette répétition que je trouve à la fois ennuyeuse et oppressante crée chez d’autres au contraire une forme d’ivresse passive, de voyage intérieur… en tout cas Glass produit des effets assez singuliers _ voilà ! _, que je n’attribue pas forcément à la qualité intrinsèque de sa musique, mais qui sont bel et bien là. Et c’est toujours passionnant d’entendre les autres développer des éloges et des exégèses sur ce qui nous échappe _ c’est très juste !

A fortiori lorsqu’ils sont eux-mêmes engagés dans la production de cette musique : on ne peut pas soupçonner, vu leur répertoire totalement interlope, que les Tana jouent Glass pour faire comme tout le monde ou brosser les programmateurs dans le sens du poil !

11) J’accueillerais avec plaisir vos suggestions, parmi votre répertoire ou vos disques : par exemple un quatuor qui vous tient à cœur, que vous voudriez faire plus largement découvrir, ou encore qui pourrait recevoir un large succès auprès du public.

{ Résumé de la réponse d’A.M. : La musique de chambre de Jacques Lenot. Musique de grande qualité. Évolution musicale qui retrace des trajectoires de vie. }

Sélection surprise !  J’ai vraiment eu de la peine à venir à bout du disque lorsque je l’ai écouté il y a quelque temps, j’avais trouvé tout cela vraiment atonal-radical-ascétique, sans rien pour me raccrocher dans les textures ou les effets.

Cet éloge met à nouveau en évidence une chose très importante : plus on dispose de musiques différentes, plus on est susceptible de trouver un langage qui parle à notre sensibilité propre _ voilà. Tout cela est d’excellent bon sens, et au service de la culture.

C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle je rouspète devant le conservatisme _ et l’étroitesse coutumière, dominante _ de la programmation, en particulier en concert. En Île-de-France, j’ai largement de quoi m’occuper au concert 465 jours par an, mais je pense à tous ceux qui n’ont pas d’appétence pour Mozart, Schumann ou Debussy, et qui ne trouvent pas leur place.

Exemple évident, le répertoire des concerts de piano seul. Moi, ce qui me touche au piano, ce sont surtout les cycles poétiques français du début du XXe siècle et la musique futuriste russe. J’ai longtemps cru que les récitals de piano n’étaient pas pour moi, parce qu’on ne jouait qu’une portion étroite du répertoire (classicisme et romantisme germanique, Debussy-Ravel, saupoudré d’un peu de Chostakovitch et de Prokofiev).

Et c’est vraiment le risque aussi avec le quatuor.


Je tiens à remercier vivement Antoine Maisonhaute, premier violon du quatuor Tana, d’avoir répondu aussi franchement à mes questions, peut-être insolites ou un peu intrusives. Et aussi, plus largement, de faire vivre le répertoire le plus varié au disque et au concert. C’est très précieux. En quelques années, le Quatuor Tana a ouvert plus de portes que des dizaines de quatuors vedettes (qui jouent certes très bien Beethoven et Schubert) pendant toutes leurs carrières combinées. Ils font une différence _ très salutaire et bienvenue _ dans le monde de la musique.

Vous pourrez les entendre aux Bouffes du Nord à Paris lundi 27 mars prochain, si vous supportez mieux que moi Philip Glass – mais les entendre dans le Premier Quatuor de Ligeti, justement une œuvre extraordinairement virtuose et zébrée de part en part de références sérieuses ou facétieuses au patrimoine, ce doit être une expérience remarquable _ absolument ! cf précisément là-dessus mon article du 19 mai dernier : « «  le soir du concert des Tana à Saint-Lon-les-Mines, auprès de mes amis Luc et Georgie Durosoir. J’avais été très marqué par ce qu’ils proposaient dans Debussy : beaucoup de respiration entre les accords, une belle netteté des volutes, des poussées inattendues de lyrisme, un goût évident pour ce tourbillon qui découle des empilements et mutations du motif-clef… J’imagine quelque chose de similaire, une réinvention des possibilités sonores _ voilà ! _ comme l’évoquait Antoine Maisonhaute précédemment.

Au disque, ils ont laissé une vaste palette de leur talent : monographies Baculewski, Lenot, Glass, Achenberg, mais aussi des anthologies très stimulantes comme Shadows (œuvres de Yann Robin, Raphaël Cendo, Franck Bedrossian) ou Volts dont j’ai parlé plus tôt.

S’il faut en recommander deux, Baculewski (chez DUX) pour le versant qui fait référence au patrimoine – ça peut quasiment s’écouter comme du quatuor romantique, on y trouve des progressions harmoniques enrichies très lisibles – et l’anthologie thématique Volts (chez Paraty), pour l’énergie hors du commun et l’originalité des profils sonores.

Je vous souhaite une belle exploration. À bientôt sur ce support ou un autre !

Les très intenses Tana sont absolument à suivre…

Et vive la curiosité !

Ce samedi 22 juin 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un ravissant programme d' »Enfantines » (Bizet – Debussy – Fauré – Ravel – Aubert) par les délicieux Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle, en un très réussi CD « Passage secret » musical vers nos jeux de l’enfance…

21juin

Un ravissement programme d' »Enfantines » (Bizet – Debussy – Fauré – Ravel – Aubert), par Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle, en leur très réussi CD Alpha 1024 « Passage secret«  _ enregistré Salle Colonne à Paris au mois d’avril 2022… _,

ainsi que le remarque très justementnt aussi, sur le site de ResMusica, en un article intitulé « « Passage secret » hédoniste à quatre mains du duo Ancelle – Berlinskaïa« , Bénédict Hévry…

« Passage secret » hédoniste à quatre mains du duo Ancelle-Berlinskaïa

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Le duo publie chez Alpha ce réjouissant et solaire récital de piano français à quatre mains « Passage secret » entre grands classiques et la découverte de la ravissante Feuilles d’images de .

Le duo de piano Berlinskaya-Ancelle a déjà un long parcours artistique à son actif. Fusionnel à la ville comme à la scène il nous a déjà gratifié de huit superbes récitals discographiques, publiés jusqu’ici pour l’essentiel sur le label russe Melodyia. Le présent enregistrement, le premier réalisé pour la maison Alpha, explore cette fois le répertoire français à quatre mains écrit sous la Troisième République. Il est l’exact complément de leur disque Belle époque publié chez leur ancien éditeur. Cette fois, moins d’œuvres ou de noms plus rares (telles jadis celles signées Chaminade, Koechlin ou Hahn). Seul le méconnu et l’incontournable Debussy sont communs aux deux récitals… pour des œuvres fatalement différentes !

Ce nouvel enregistrement est un pur et gourmand _ voilà _ régal, tout d’abord par le réglage minutieux de l’instrument splendidement harmonisé, et par la prise de son d’Hughes Deschaux _ oui, oui ! _ à la fois capiteuse par sa légère réverbération et précise en sa définition spatiale  comme en sa restitution des moindres nuances dynamiques.

Il y a ensuite cette habile sélection – explicitée dans le magnifique texte de présentation signé par – de pages assez célèbres tantôt axées sur le descriptif de l’enfance, mais destinées à des pianistes aguerris (tels les Jeux d’enfants de Bizet ou la Suite Dolly de Fauré) tantôt délibérément écrites pour de jeunes pousses pianistiques encadrées (la Feuille d’images en cinq donnes de ) ou non (Ma Mère l’Oye) par leur mentor. Seule la petite suite de Debussy échappe un peu à ce champ sémantique. L’enchaînement des partitions est subtilement tracé que ce soit par le truchement d’Emma Bardac, mère de Dolly, probable maîtresse de avant de devenir Madame Debussy dix ans plus tard, ou par la solide amitié et l’estime réciproque qui liaient et Louis Aubert, créateur et dédicataire des Valses nobles et sentimentales.

Mais ce disque vaut avant tout pour ces interprétations capiteuses et enchanteresses _ voilà ! _, nimbées d’une impalpable poésie de l’instant, d’un réel et gouleyant plaisir ludique,  manière tendre et originale de respirer en musique _ oui _, dans l’intimité complice des quatre mains croisées au gré du clavier. Les Jeux d’enfants de sont ici un vrai régal _ oui, oui : écoutez-ici leur délicieux « Le Bal«  (1′ 41) _ par leur poésie de la précision quasi horlogère, depuis les balancements de l’Escarpolette au galop final du Bal, en passant  par l’évocation ici quasi-schumanienne du Petit mari petite femme, l’humour assez irrésistible du Volant, les hésitations aveugles du Colin maillard, ou les croquignolesques triolets du Saute-mouton. La Petite suite de Debussy est égrenée avec un hédonisme suave (En bateau) une poésie presque verlainienne (Menuet) ou une bonhomie savoureuse (Ballet final), là où la Dolly de Fauré, par son expression directe et généreuse, retrouve une spontanéité bienvenue qui faisait peut-être un rien défaut à la récente version plus gourmée de accompagné de (Hyperion). L’interprétation par le duo des cinq pièces enfantines de Ma Mère l’Oye de nous a paru un rien en retrait : on pourrait peut-être souhaiter un peu plus d’atermoiements aux errances de Petit Poucet ou plus de langueur négligée pour la valse lente si délicate des Entretiens de la Belle et la Bête, même si l’apothéose du Jardin féérique, avec ses crescendi ruisselants est splendidement menée. Enfin, il y a cette tendre découverte de la beaucoup plus tardive (1930) Feuille d’images de Louis Aubert, nostalgique regard dans le miroir vers cette époque faste et révolue de l’avant-guerre, une petite suite en cinq donnes détaillée avec un à-propos et une minutie sans faille et culminant en sa truculente et conclusive Danse de l’ours en peluche, donnée avec toute la goguenardise souhaitée.

Voici une anthologie de qualité superlative à la fois par la justesse du choix des œuvres, par la finition détaillée des interprétations, poétiques et minutieuses, et par l’adéquation stylistique à peu près parfaite de nos duettistes à chacune des différentes œuvres. Une réussite qui rappelle la compilation plus vaste encore du légendaire duo parue voici presque un demi-siècle et qu’Arion Music serait bien inspiré de rééditer !

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Passage secret.

Georges Bizet (1838-1875) : Jeux d’enfants, opus 22. Claude Debussy (1862-1918) : Petite suite, L. 65. Gabriel Fauré (1845-1924) : Dolly, opus 56. Maurice Ravel (1875-1937) : Ma mère l’Oye, M.60. Louis Aubert (1877-1968) : Feuille d’images.

Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle, piano à quatre mains.

1 CD Alpha Classics.

Enregistré à la Salle Colonne de Paris, en avril 2022.

Notice de présentation en français, anglais et allemand.

Durée : 73:39

Un CD proprement délicieux de passage musical (secret, intime) vers notre propre enfance…

Ce vendredi 21 juin 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

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