Posts Tagged ‘esprit

Trois (belles !) curiosités musicales _ dont une au splendide catalogue Alpha : les chansons de Gustave Nadaud, par Arnaud Marzorati

27avr

En rafale,

voici trois (très belles !) « curiosités » musicales discographiques :

1) la première est à mettre au compte du splendide _ voire époustouflant ! cette saison 2010 ; cf mon article du 14 mars 2010 : « Alpha, éditeur de la “présence” (au disque) de la musique : François Lazarevitch et Yves Rechsteiner, entre Céline Frisch et Benjamin Alard _ un catalogue de merveilles !«  _ catalogue Alpha :

il s’agit du CD Alpha 160,

une nouvelle pépite de ce sourcier assez prodigieux qu’est Jean-Paul Combet :

soit le récital La Bouche et l’oreille, composé de 17 chansons, de Gustave Nadaud (1820-1893),

auteur-compositeur _ à la fois ! _ de ces petites merveilles,

qu’a su dénicher ce musicien magnifique _ je veux dire bien plus qu’un magnifique interprète-chanteur _ qu’est Arnaud Marzorati, baryton.

Celui-ci explore, en effet, très méthodiquement, depuis une dizaine d’années, le répertoire _ un peu trop en déshérence, ces derniers temps, hélas ! de quoi nous privons-nous, aussi stupidement !?! _ de la chanson française :

depuis son premier CD pour Alpha (je veux dire en tant qu’initiateur de projet _ de concert ou de disque _ ; pas en tant qu’interprète pour divers chefs…),

le CD Alpha 075 (enregistré en 2004) de chansons de Jacques Prévert (1900-1977) & Joseph Kosma (1905-1969) : Et puis après… ;

puis, le CD Alpha 111 (enregistré en 2006) de cantates françaises de Jean-Baptiste Stuck (1680-1755) : Tyrannique empire… ;

et aussi  le CD Alpha 131 (enregistré en 2007) de chansons de Pierre-Jean de Béranger (1780-1857) : Le Pape musulman & autres chansons

Et maintenant voici que ce CD La Bouche et l’oreille de 17 chansons (paroles & musique, s’il vous plaît !) de Gustave Nadaud

est une réussite absolue

qui nous donne à écouter et jouir de tout un (grand) art de la chanson _ davantage pour des concerts privés, dans des salons un peu (mais pas trop !) encanaillés : avec juste ce qu’il faut d’esprit !, que pour des cafés-concerts, ou des concerts publics immenses… _ ;

et quand Gustave Nadaud se dit lui-même « modéré« ,

cela donne la mesure de ce qui pouvait alors se dire, ou plutôt se chanter ! et avec quelle poésie !

d’un art qui sait être « populaire » sans être ni vulgaire, ni populiste ! et raffiné, plein d’esprit _ français, justement !

Arnaud Marzorati nous offre tout cela avec précision, subtilité et liberté, tout à la fois,

jubilatoirement accompagné qu’il est _ comme au concert ! _ de musiciens (Daniel Isoir, au piano ; Stéphanie Paulet, au violon ; Alexandre Chabod, à la clarinette ; et Paul Carlioz au violoncelle) qui savent servir ce genre (entre deux, mais avec la liberté de ses audaces !) et ce répertoire…

Combien la chanson _ et la langue, le français parlé ! _ ont « perdu » _ en finesse comme en force de percussion ! _ depuis ce temps :

en gros celui du second empire et de la troisième république !

Quel plaisir d’écouter cette langue-là servie ainsi !!!


Qu’on en juge avec la chanson d’ouverture de ce récital, « La Vie moderne« , composée en 1857 :

« Vois-tu, là-bas, le tourbillon,

Qui, dans sa course échevelée,

Trace ce flamboyant sillon

A travers mont, plaine et vallée ?

Flamme et fumée, éclat et bruit,

S’éteindront sans laisser de traces :

Sais-tu quel est le char qui fuit ?

C’est ton existence qui passe !


Oui, le temps a doublé son cours,

L’humanité se précipite

Tous les chemins deviennent courts ;

L’océan n’a plus de limites.

La vie était longue autrefois ;

Sur la pente elle est entraînée ;

Nous vivons plus en un seul mois

Que nos aïeux dans une année.


La nature avait des poisons :

Le génie humain les révèle ;

Il arrache aux vieux horizons

Une perspective nouvelle.

Il a d’invisibles moteurs,

Des agents subtils, des essences

Qui savent calmer nos douleurs

Et décupler nos jouissances.

Les fleurs n’ont plus besoin d’été ;

Les fruits n’attendent plus l’automne ;

Ce que le sol n’a pas porté,

L’industrie active le donne.

Nous avons fait de nos loisirs

La mer et le ciel tributaires ;

Nos appétits et nos plaisirs

Épuisent les deux hémisphères.


Mais à peine respirons-nous

Dans cette course haletante ;

La vapeur nous emporte tous

Debout sur la machine ardente.

L’essieu se fatigue et se rompt,

Usé, vaincu par la distance ;

Ainsi bientôt se briseront

Les ressorts de notre existence.

L’aiguille avance ; soyons prêts !

Nous mourrons vieillis avant l’âge ;

Nos fils nous suivront de plus près

Dans le vertigineux voyage.

Ils auront la vie, à leur tour,

Plus rapide encore et meilleure ;

Ce que nous usons dans un jour,

Ils l’épuiseront dans une heure.

Ô le terrible enseignement !

Songes-y, l’instant est suprême.

Où trouveras-tu le moment

De te recueillir en toi-même ?

Beau voyageur, tu vas partir :

As-tu pris soin de bien vivre,

Ou le temps de te repentir ?

Le convoi passe, il faut le suivre !


Vois-tu, là-bas, le tourbillon« …


C’est superbe ! Une « vanité » à la Paul Virilio !

Bravo les artistes !

Et bravo l’éditeur (d’Alpha : Jean-Paul Combet _ il accomplit

(« monacalement« , dit Christophe Huss, en lui rendant, lui aussi hommage ! ;

soit, replacé dans le contexte de l’article de Christophe Huss :

« Il est clair qu’Harmonia Mundi a été ces cinq dernières années le phare de l’édition phonographique classique, l’éditeur qui a offert de beaux produits et des révélations artistiques dans de nombreux domaines

(cette considération n’enlève rien au génie de Jordi Savall sur Alia Vox,

au travail monacal d’Alpha _ voilà ! « monacal« , concerne la solitude, la rigueur, la vertu, presque l’austérité ; sinon la sainteté !.. _,

aux explorations de CPO

et à la constance de Bis)…« ,

disait-il en chroniquant un concerto pour clarinette de Mozart pas terrible, produit par Harmonia Mundi USA ;

et situant ainsi ce qui se fait actuellement de mieux, artistiquement, sur le marché de l’édition discographique !..)

il (= Jean-Paul Combet) accomplit un travail rare et magnifique ;

et cette saison-ci, tout particulièrement, est quasi sans déchets !)…

Mes deux autres satisfactions de « curiosité » concernent, elles, la période (des Arts ; de la musique) dite « baroque » : mais en des versions, toutes deux _ même si très diversement ! _ toutes de finesse et de subtilité.


2) D’abord, un rare _ par les pièces choisies ! d’abord… _ CD de musique de luth française au tournant des XVII & XVIII èmes siècles :

le CD Manuscrit Vaudry de Saizenay, interprété par Claire Antonini (CD AS Productions ASM 004)

d’après un des deux manuscrits conservés à la Bibliothèque municipale de Besançon (en l’occurrence le premier des deux : cote 279.152, très exactement !), de la main et du choix de Jean Etienne Vaudry de Saizenay, seigneur de Saizenay et Poupet, en Franche-Comté (non loin de Salins).

Né le 26 septembre 1678 à Saizenay, ce conseiller au Parlement de Besançon (de 1704 à 1725, date à laquelle il résigna sa charge) _ et qui mourut à Besançon le 21 juillet 1742 _, prit, pendant ses études à Paris, des leçons des maîtres luthistes Guillaume Jacquesson et Robert de Visée.


« Il entreprit alors de noter les nombreuses pièces de luth et de théorbe qu’il avait pu recueillir, souvent même auprès de ses maîtres ou de quelques uns des plus célèbres luthistes de son temps« , nous apprend, page 6, l’excellente notice du livret de ce CD, sous la plume plus qu’experte (!) de notre Claude Chauvel bordelais !.. Et « la rédaction de ses deux livres _ les seuls de sa main qui nous soient parvenus _ s’est poursuivie pendant plusieurs années, comme en témoigne la diversité stylistique du répertoire consigné« , pages 6-7.

Mais « alors que les luthistes du XVIIème siècle ont bien souvent une vision rétrospective _ et presque mélancolique _ de leur répertoire, Vaudry, sans ignorer la tradition des Gaultier et de Du Fault, fait une large place aux œuvres de ses proches contemporains Du But le Fils, Mouton et Gallot«  _ apparaissent ainsi, aussi, les noms de Emond (noté aussi « Aymond« , ou « Hémon« ), Du Pré (dit « d’Angleterre« ), Jacquesson ; ainsi que de Hardel (le claveciniste)…  De même que « pour son instrument, il n’hésite pas à transcrire : Lully, Marin Marais, Forqueray, Couperin, les pièces de théorbe et de guitare de Visée, Corelli, voire des chansons et autres vaudevilles à la mode«  _ soit le tout-venant de ce que pratiquait alors au quotidien un luthiste : interprète pour son plaisir, et celui de ses proches…

Aussi « son livre, rédigé d’une main uniforme (excepté les premières pièces), abonde (-t-il) en détail techniques (doigtés, tenues) et en signes d’interprétation (agréments, harpégements, séparations). Source unique _ voilà ! _ pour de nombreuses pièces, il en corrige parfois le texte ou précise les attributions. »  Avec cette conséquence notable que « la meilleure connaissance que nous avons aujourd’hui du répertoire du luth en France, au XVIIème siècle, doit beaucoup _ voilà _ à la passion _ musicienne autant que musicale : elles étaient alors confondues pour l’essentiel ! la musique se pratiquait plus qu’elle ne s’écoutait seulement… _ de Vaudry, autant qu’à sa diligence.« 

Ainsi « sa seule bibliothèque musicale, riche de publications les plus récentes _ alors : « contemporaines«  (de lui), dirions-nous maintenant _, prouve suffisamment le goût et l’éclectisme du personnage.«  Et « on déplorera, malheureusement, la disparition _ provisoire ? _ de trois autres manuscrits de luth qui figuraient dans la collection » ; « et, on le présume, quelques livres gravés, dont ceux pour la guitare de Robert de Visée« , page 7 du livret.

Tout un monde pour nous est ainsi restitué ! en ce récital de ce disque, sous les doigts fins, habiles et poétiques de Claire Antonini, sur un luth à 11 chœurs (un instrument réalisé par Paul Thomson, à Bristol, en 1997)…

Nous qui avons découvert aussi, naguère, en Jean de La Fontaine, un admirateur éperdu de cette musique si merveilleusement poétique : cf par exemple son éloquente (contre le trop « bruyant » et pas assez poétique nouveau genre musical qu’était le très ambitieux, lui, opéra de Lully…) « Épître à Monsieur de Nyert« 

(et mon texte pour le livret du CD « Jean de La Fontaine : un portrait musical« , par la Simphonie du Marais et Hugo Reyne : CD EMI 7243 5 45229 2 5, en 1996 ; CD dont j’avais composé le programme avec Hugo Reyne :

pour évoquer musicalement cette incisive et nostalgique, tout à la fois, « Épître à Monsieur de Nyert » _ dans laquelle le poète, amoureux fou de musique (et authentique initiateur de la critique de réception musicale ! La Fontaine fonde cette « esthétique«  : cela ne se sait pas assez ! même de la part de ce lafontainien éminent qu’est Marx Fumaroli : cf son Le poète et le roi _ La Fontaine en son siècle, paru en 1997) citait, mêlant les instruments et les genres :

« Boesset, Gaultier, Hémon, Chambonnières, La Barre,

Tout cela seul déplaît, et n’a plus rien de rare ;

On laisse là Du But, et Lambert et Camus ;

On ne veut plus qu’Alceste, ou Thésée, ou Cadmus« _

Avait été choisie alors la courante « L’Immortelle » du Vieux Gaultier, Ennemond,

qu’interprète magiquement, au théorbe, Vincent Dumestre, en ce disque enregistré l’été 1995 en l’abbatiale de Saint-Michel-en-Thiérache : j’y étais…)…

De même que nous avons découvert, aussi, et exploré, plus avant, ce goût, ou plutôt cette passion, pour cette musique,

aujourd’hui si méconnue _ mais que nous rendent les interprètes ! quand on va les écouter ! au concert comme au disque ! _,

dans les lettres « chantantes » si savoureuses de Madame de Sévigné à sa fille : toutes deux pratiquaient (plus que passionnément : à la folie !) la musique, et l’une, le chant, l’autre, la danse…


Enfin,

3) un CD d’une virtuosité époustouflante au service de la poésie de la musique

_ si rayonnante ! à conseiller d’urgence aux neurasthéniques ! _ :

l’interprétation par le génial flûtiste à bec Maurice Steger (et The English Concert, dirigé par Laurence Cummings, du clavecin…)

de versions orchestrées par Francesco-Xavero Geminiani,

et avec des agréments (virtuosissimes !) « of severall Eminent Masters« ,

tels que les Signori Cateni & Valentini, Pietro Castrucci, Christopher Petz, ou Jacques Paisible, tous présents alors à Londres,

des Sonates opus V d’Archangelo Corelli,

telles qu’elles eurent un succès fou (et durable : tout au long du XVIIIème siècle !) à Londres et en Angleterre, et tout le Royaume-Uni !

Le CD Harmonia Mundi Mr. Corelli in London _ Recorder Concertos ; La Follia (after Corelli’s op.5) CD HMU 907523,

par Maurice Steger, The English Concert & Laurence Cummings,

est ainsi une merveille de plaisir fou : rare !

Peut-être ce CD va-t-il même parvenir à détrôner la « merveille des merveilles » qu’est le double CD des Partitas (Clavier-Übung-I) de Jean-Sébastien Bach, par l’extraordinaire Benjamin Alard, l’album Alpha 157,

qui ne quitte pas ma platine depuis plus d’un mois

_ non plus que celle de Vincent, du rayon Musique de la librairie Mollat,

ainsi qu’il me l’a confié ;

et je ne crois pas trahir là un secret ! Il le fait largement partager !..

Un CD de pur bonheur ! A passer sans se lasser en boucle…


Titus Curiosus, ce 27 avril 2010

Entre « Recherche » et « recherche », le « flou » actif de l’esprit imaginant à l’heure des GPS…

17juil

Un très intéressant article, ce matin, de Pierre Assouline, sur son « irration » (de lecteur !) d’un « Vademecum«  _ en anglais « Companion to« … _ « pictural » pour la « Recherche » de Proust,

par un anglais un peu trop bien intentionné, selon Pierre Assouline, Eric Karpeles…

Voici l’article de Pierre Assouline, en date de ce 17 juillet

_ farci de mes commentaires, selon la coutume de ce blog-ci… _ :

« Les lecteurs de Proust ont-ils vraiment besoin d’un guide de musée ?« 

     « Prenez un grand roman, disons « A la recherche du temps perdu« . Prenez chacune des évocations d’œuvres d’art que vous y trouverez. Prenez le moteur de recherche du site du Louvre. Mettez les uns dans l’autre, remuez, faites revenir à feu doux et servez quand c’est prêt. Cela donne un beau plat qui a un drôle de goût.

Au départ, une vraie idée d’éditeur ; à l’arrivée une fausse bonne idée. C’est « Le Musée imaginaire de Marcel Proust«  (traduit de l’anglais par Pierre Saint-Jean, 350 pages, 32 euros, Thames and Hudson). On espère que ce n’est pas le début d’une collection ; et que nous ne sommes pas menacés d’un Balzac ou d’un Stendhal du même tonneau. Pourtant son auteur Eric Karpeles, peintre et auteur de textes sur l’esthétique, a crû bien faire. Constatant que la  « Recherche«  était profuse en références picturales, et imaginant sans peine que la mémoire visuelle, pour ne rien dire de la culture artistique, de ses contemporains avaient des limites, il a donc entrepris de mettre le portrait de Mehmet II par Gentile Bellini en face du _ voilà le procédé de ce livre : et ses économies de « recherche documentaire«  pour le lecteur, même à l’ère d’Internet ! _ passage où Proust dit que le jeune Bloch lui ressemble étrangement, un cardinal par Le Gréco en face d’une évocation de Charlus en “grand inquisiteur peint par Le Gréco”, le « Déjeuner sur l’herbe » de Manet en face d’une allusion métaphorique à un déjeuner sur l’herbe, la « Procession de mariage« de Giotto en regard d’une procession, et bien sûr l’évanouissement de Bergotte face au petit pan de mur jaune à la seule vue du Vermeer ! Il semble que l’on ait échappé de justesse à un lit de Caillebotte en face de “Longtemps, je me suis couché de bonne heure”…

Un extrait du roman sur la page verso, une reproduction de l’œuvre censée lui correspondre _ l’enjeu de cet article (de Pierre Assouline en son blog) ainsi que le bien-fondé, ou pas, du livre de Karpeles, se situant en cette visée de « correspondance« -là !.. _ sur la page recto, tous les tableaux du roman dans leur ordre d’apparition. C’est là une conception _ éditoriale, eu égard à un « marché«  (et à une « demande«  de la part de certains lecteurs, désirant parer au plus pressé (de « besoins » d‘ »identifications«  des allusions du texte)… _ très anglaise, et assez américaine _ l’éditeur du travail de Karpeles est Thames and Hudson _, qui consiste à toujours expliquer, rationaliser, dans un esprit positiviste, sinon pratique _ pour ne pas dire immédiatement (et économiquement) utilitaire (ou utilitariste). D’ailleurs, il n’est pas anodin de relever que là-bas, le livre s’intitule « Paintings in Proust. A visual companion to « In Search of lost time«  ». Un “companion”,delft1.1247783924.jpg c’est exactement cela, spécialité typique des librairies britanniques. Asseyez-vous, posez votre roman, on vous aide à le comprendre _ par des « identifications » ponctuelles : éliminant le « flou«  en votre esprit. C’est parfois utile pour les étudiants ou les chercheurs, pratique surtout _ c’est-à-dire économique en temps, en énergie, et en dépenses de tous ordres… Le procédé est déjà _ littérairement, et poïétiquement : pour l’élan de l’imaginaire ! ce que Baldine Saint-Girons appelle si justement « l’acte esthétique« , en son si judicieux « L’Acte Esthétique« , aux Éditions Klincksieck ; et autour de quoi tourne le tout aussi majeur « Homo spectator«  (« spectator«  en action ! pas passif !!!) de Marie-José Mondzain, aux Éditions Bayard : deux ouvrages indispensables pour mieux comprendre tous les enjeux d’une civilisation de l’audiovisuel hypertechnologisé : ici, lire les travaux de l’ami Bernard Stiegler ; en commençant, par exemple, par le plus récemment publié : « Pour en finir avec la mécroissance« , aux Éditions Flammarion… : voilà pour un bon « équipement«  (de lecture et d’intelligence) sur les enjeux actuels (« civilisationnels«  !) de l’« aisthesis«  _ ; le procédé est déjà lourd en soi ; il pèse _ et gravement : pardon pour la redondance ! _ sur la poésie-même des plus belles pages de ce roman par endroits si incroyablement léger_ oui : en sa lecture, comme en son écriture : des affaires de « souffles«  (et inflexions terriblement véloces, car fines ! ou « dansées« ) : c’est une affaire de « rythme« , une fois encore !!! Cf aussi la phrase unique (de 517 pages), sur ce modèle de prestesse proustien, du si merveilleux « Zone« , de Mathias Enard, paru en fin d’été dernier, 2008… : cf, sur lui, mon article du 3 juin dernier : « Le miracle de la reconnaissance par les lecteurs du plus “grand” roman de l’année : “Zone”, de Mathias Enard » _ alors qu’il a tout d’une brique. Le lecteur de la « Recherche«  n’a pas besoin _ du tout : voilà la raison de l’intervention ici de Pierre Assouline _ qu’un conservateur de musée lui prenne la main pour le guider _ fut-ce avec les « meilleures œillères » du monde ! ah ! la terrible soumission à ce que l’on prend aveuglément pour des « autorités«  !.. Autant obliger tout visiteur _ en rang d’oignons et file indienne, ou pas ! _ des Offices à porter et utiliser l’un de ces casques audio _ même démilitarisé… _ qui vous expliquent _ vous devenant passif : tel un utilisateur de GPS !!! dans le dédale pourtant charmant d’une ville encore pas trop connue… : « passif » et « captif » (satisfait ! cf l’illustration de la bêtise chez Flaubert, dans le « contentement de soi » béat d’un Monsieur Homais, in « Madame Bovary«  !) de ce qui devient pur réflexe à un stimulus pré-formé… _ ce qui se passe ! Le fait est que ça parle beaucoup « peinture » chez Proust. Tableaux, dessins, gravures et sculptures sont partout dans la « Recherche« . Ils ont toutes sortes _ oui ! _ de fonction : ils reflètent, authentifient, métaphorisent _ peut-il donc exister un mode d’emploi « sécurisé«  (en stéréotypes) des métaphores ?.. Mais le problème de ce « Musée imaginaire de Marcel Proust est dans son principe même _ coupant l’herbe sous le pied de toute recherche effective par l’imagination (mise en action) du lecteur lui-même : ainsi « assisté«  passivement !.. C’est cette recherche personnelle qui est l’œuvre (irremplaçable !) et du « regardeur » et du « lecteur«  vrais : pas réduits à une consommation préformatée d’images devenant de très réducteurs « clichés«  ; et « réducteurs de têtes« , ajouterait Dany-Robert Dufour (en son important « Art de réduire les têtes«  !)…

On croirait le trousseau de clés _ mécanisé _ d’un prétendu roman-à-clefs. Or un roman est fait pour laisser vivre _ et prospérer en un vagabondage libre : libéré ! avec un « jeu«  enthousiasmant ! _ l’imaginaire du lecteur. Tant mieux s’ils se trompe ou s’égare, là n’est pas la question _ en effet : bravo ! et merci ! Pierre Assouline ! de mettre si bien un peu les points sur les i du métier éditorial, du point de vue de ce que risque de devenir l’« in-activité«  de lire (de la part de lecteurs devenus ainsi  « non-lecteurs«  !), avec de tels « compagnons«  trop bien intentionnés : cela me rappelant la morale, délicatement incisive, de ce génie de La Fontaine, dans « L’Ours et l’amateur de jardins » !.. (« Fables« , VIII, X _ en 1678) : que je me permettrai d’adapter ainsi : « Rien n’est si dangereux qu’un ignorant (= ici « mal savant »…) ami ; Mieux vaudrait un sage ennemi«  _ ; à lui _ lecteur ; et à lui seul ! en une liberté construite, et non renoncée, surtout ! _ d’interpréter _ en cherchant !.. ; c’est un jeu jouissif ! _, de traduire les mots en sensations _ et vice versa Proust n’avait pas conçu sa cathédrale de papier _ (et de mots et phrases imprimés) : l’expression est à prendre au pied de la lettre _ comme un beau-livre illustré _ en effet ! Lorsqu’il écrit que la lumière se dégradait dans les escaliers d’un hôtel et convertissait leurs degrés “en cette ambre dorée, inconsistante et mystérieuse comme un crépuscule, où Rembrandt découpe tantôt l’appui d’une fenêtre ou la manivelle d’un puits”, a-t-on vraiment envie de retrouver sur la page en regard une reproduction du « Philosophe en méditation » (1632) ? Non, d’autant que ce pourrait être _ tout autant ! _ un autre tableau _ le « Rembrandt » de Proust étant lui aussi (et cela, « fondamentalement«  !) fort composite, le réduire ainsi à un exemple unique (et, d’autant, là où Proust, lui, les multiplie : « tantôt« , « ou«  !..), c’est couper les ailes au déploiement de son imaginaire en train de s’activer « dans le temps«  : pour quelle économie instantanée ? ; le contresens est alors tout à fait grave, en effet !., cher Pierre Assouline ! Merci de nous en prévenir ainsi en votre blog de salubrité publique  (pour une vraie « république des livres«  et de lecteurs « vrais« , en tout cas : pas trop « décérébrés«  encore, en voie d’être eux-mêmes réduits à de purs « arcs-réflexes« )Pareillement lorsque, à propos du baron de Charlus, l’écrivain évoque _ le mot impliquant du « flou«  _ ”une harmonie noir et blanc de Whistler”, on n’a nullement envie d’être dirigé bellini_mehmet_ii.1247783957.jpg_ illico presto et comme sur rails de voie unique _ vers la reproduction de « Arrangement en noir et or : le comte de Robert Montesquiou-Fezensac » du même peintre. Car ces choix figent _ voilà le crime ! _ notre imaginaire _ de poïesis en action _ et c’est le pire service _ magnifique expression ! _ que l’on puisse rendre tant au romancier qu’à ses lecteurs.

Nous qui avons vécu des années dans l’ignorance de la « Vue de Delft » _ il nous fallait « essayer«  de nous la « représenter«  : que de joie en cette incertitude (et son « tremblé« …) ; et cette « confiance«  accordée au talent d’ekphrasis de Proust ! _ tout en vibrant à l’émotion _ vibrée, dans la phrase même, ondulante, de Proust… _ de Bergotte, pourquoi nous obligerait-on _ robotisés (« à voie unique«  : c’est un comble !) que nous deviendrions _ à mettre les points sur les i ? Rien n’est émouvant comme la découverte et la rencontre inopinées _ bien plus tard qu’à la lecture… _, un après-midi de printemps à la faveur d’un égarement dans un musée, entre ce que l’on avait lu et ce que l’on voit enfin par hasard _ remerciant alors (personne ! ou plein d’intermédiaires…) la grâce de ce « hasard » de rencontre… Avis aux “companions” les mieux intentionnés : nous sommes encore _ mais pour combien de temps, cependant ?.. Que fait ici, et que ne fait pas, l’École, pour les nouvelles générations ?.. un certain nombre à ne pas prendre ombrage lorsque, relisant « A la recherche du temps perdu«  avec une volupté inentamée _ en effet ! sa « fraîcheur » s’enrichissant, même !.. _, nous ignorons _ mais oui ! ah cette stupidité (à la Homais !) de « craindre de mourir idiot«  au sens de non-savant, d’ignorant : l’ambigüité du terme étant très joliment dans ce cher La Fontaine (de « L’Ours et l’amateur de jardins » : « ignorant«  opposé à « sage« …)… _ ce qu’est la noblesse d’une « buire » de Venise, ou le sens de “mazulipatan”…   Qu’importe puisque Proust, comme ses personnages, étaient à la poursuite _ ouverte ; et non figée (et pour cause !) _ d’un rêve _ un « rêve«  est-il jamais « à satisfaire«  ? : là est tout ce qui sépare le libre désir du lourd besoin : rassasiable, mais très temporairement, lui… _ et que la puissance _ oui ! _ de la fiction _ le substantif émanant du verbe (et de l’activité) de « feindre«  : c’est tout le « jeu«  du faire-semblant, avec tout son « bougé » en acte… _ étant ce qu’elle est, nul ne pourra l’objectiver _ et la tuer en la figeant : ne serait-ce qu’en clichés !!! (et toute leur solennelle « bien-pensance«  N’a-t-il pas écrit _ Proust… _ que l’essentiel est dans “cette lumière  _ un principe de connaissance qui passe aussi, et nécessairement, par l’activité de l’esprit : biologiquement, en quelque sorte ; et le processus existe aussi, c’est même une fonction ô combien capitale du vivant et de la survie, chez les animaux ! _ qui fait tout le jour la beauté des objets et le soir tout leur mystère _ on notera le splendidement discret décalage proustien entre « tout le jour«  et le passage furtif, lui, du « soir« , avant la nuit _, qui en se retirant d’eux _ « eux«  : les objets disponibles pour l’activité d’un sujet _ modifie à tel point leur existence _ de choses inertes, en dehors de notre appréhension (à commencer par perceptive, et attentive : il faut aussi que le regard, en son mouvement même, en son flux, se focalise un tant soit peu _ mais pas à les figer ! _ sur eux ; et pas forcément programmatiquement !) _ que nous sentons bien qu’elle _ cette « existence«  d’« objets« -pour-nous, et en-dehors-de-nous, aussi… _ en est le principe _ extérieur, transcendant : avec toujours son « mystère«  (pour nous !) ; et le « flou« , forcément, et à l’infini (à des degrés variant…), de toute perception qualitative ; et non pas pragmatiquement utilitariste seulement : là-dessus, lire les analyses décisives de Bergson, auxquelles on doit bien davantage revenir… _ et qu’eux-mêmes semblent passer, dans ces minutes si inquiétantes et si belles _ les deux étant intimement liés : c’est une des clés de l’œuvre proustien : de son intense et permanente, oui, « vibration«  ! à la lecture ! pour peu qu’on fasse confiance à l’élan du souffle long et splendide de sa phrase… _, par toutes les affres de la mort” _ et « dans le temps« … : le dernier mot (de gratitude !) à la toute dernière page du « Temps retrouvé«  _ ?.. Et cette lumière _ infiniment vibrante pour le lecteur acceptant de se livrer à sa « vibration«  : sans clichés ! _, l’artiste qui l’a créée et nous l’a transmise _ par le dispositif écriture-lecture exclusivement _ après l’avoir rêvée _ oui ! = imaginée activement ! en son génie d’auteur ! _ n’était pas peintre, mais écrivain » _ en effet !

(”Arrangement en noir et or : le comte Robert Montesquiou-Fezensac« , par James Abbott McNeill Whistler 1891-1892 ; “Vue de Delft” de Jan Vermeer 1659-1660 ; “Le Sultan Mehmet II” de Gentile Bellini, 1480)

Voilà pour ce bel article de Pierre Assouline.

Bref, un « Vademecum » (« Companion to…« , en anglais) assez peu utile poïétiquement : c’est même un euphémisme…

Titus Curiosus, ce 17 juillet 2009

La grâce (et l’intelligence) « Jaroussky » en un merveilleux récital de « Mélodies françaises », de Jules Massenet à Reynaldo Hahn _ un hymne à la civilisation de la civilité

25fév

Je ne vais pas être objectif,

autant que j’annonce tout de suite et sans ambages la couleur

_ car je place (on ne peut plus « personnellement » : j’en demande bien pardon !) au pinacle de mon goût musical « personnel », donc, la mélodie française… cf mon article du 11 octobre, à propos de l’excellent (ravissant !) récital de Susan Graham : « Un Frisson français » (chez Onyx) ; « Un bouquet de “glamour” musical _ et autres _ pour “temps de crise”…  » _,

le récital de mélodies françaises (disons « fin-de-siècle« ) que vient nous offrir Philippe Jaroussky

avec un CD de « Mélodies françaises » _ c’est le sous-titre de ce CD, auquel on aurait bien fait de s’en tenir ! _

est une merveille de réalisation,

grâce à l’interprétation d’enchanteresse probité poétique et musicale

_ et il faut du génie pour pareille justesse dans le rendu avec autant de « naturel » de l’infinitésimal du camaïeu des plus infimes nuances, et toutes (et chacune) « à leur place » !.. :

tout « devant », ainsi « à sa place », mobile et émouvante,

par un travail formidablement patient et inspiré, exigeant, face à l’œuvre qu’il faut « donner » « telle quelle », en quelque sorte,

c’est-à-dire telle que cette œuvre sourd, sub specie æternitatis, du génie de l’artiste créateur à l’instant béni des Dieux de son « invention-naissance » par l’artiste-auteur-compositeur-créateur de l’œuvre ;

par un travail, donc, de fourmi, titanesque et minutieux tout à la fois, de « mise en place » des interprètes

dont n’est devenue, à l’instant de cette interprétation le plus possible « en toute simplicité » offerte ;

dont n’est devenue plus perceptible la moindre trace du plus petit effort qu’il a pourtant bien fallu fournir, essayer, donner, pour y atteindre et s’y hausser !) ;

tout (de l’œuvre « donnée) devant, ainsi, donc,

glisser et couler de source, avec la grâce heureuse, et bientôt, à l’instant même, c’est à dire immédiatement, partagée par nous, récepteurs de ce « don » de l’œuvre ainsi interprétée (et captée _ par l’ingénierie sonore ; et reçue par nous _ les auditeurs-récepteurs, auxquelles cette œuvre ainsi interprétée est « donnée ») ;

avec la grâce heureuse, donc,

de l’évidence sereine de la sensation (æsthesis), indissolublement poétique et musicale, ici, comblée ;

car tel est bien son miracle, sa « grâce », en effet… _,

grâce à l’interprétation d’enchanteresse probité poétique et musicale

de Philippe Jaroussky, contre-ténor _ qu’on n’attendait peut-être pas, bien à tort !, dans pareil répertoire : pour tout dire, je ne goûte pas particulièrement l’aigü de son timbre (!) dans le répertoire baroque;

à moins que ce ne soient des « volutes » (d’ornements de la ligne musicale) peut-être un peu trop maniéristes, ou maniérées :

est-ce affaire d’œuvres (non françaises, ou de style « français », en l’occurrence) ? est-ce affaire de rôles ? est-ce affaire de choix stylistiques de chefs (d’opéras _ haendeliens ? ; ou de cantates _ italiennes ?..) ; voire de directeurs artistiques ? ou même de conseillers (moins avisés qu’ici)… ;

en tout cas, ici, pour l’heure _ en ces magnifiques « mélodies françaises » « fin-de-siècle » -ci _,

le goût de Philippe Jaroussky frôle la perfection… _

et Jérôme Ducros, au piano ;

plus les (brefs) amicaux renforts

_ en guest-stars : mais la mélodie est un art on ne peut plus convivial d’écoutes réciproques, à commencer par les écoutes mutuelles (= « l’entente », au sens premier et propre ! enchanteresse alors !) des interprètes entre eux, comme en toute musique « de chambre », laquelle est le B-A BA de LA musique !.. ne jamais le perdre de vue (ni d’ouïe !) _

du violon de Renaud Capuçon (pour « Violons dans le soir » de Camille Saint-Saëns, sur un poème d’Anna de Noailles) ; du violoncelle de Gautier Capuçon (pour « Elégie » de Jules Massenet, sur un poème de Pierre Lorys) ; et de la flûte d’Emmanuel Pahud (pour « Viens, une flûte invisible soupire« , d’André Caplet, sur un poème de Victor Hugo).

Le CD est officiellement, et plutôt malencontreusement à mon goût (car trop « accrocheusement ») titré : « Opium«  _ en référence à ce sous-titre de la mélodie (fort belle !) bien mieux titrée, elle, « Tournoiement« , de Camille Saint-Saëns (sur un poème d’Armand Renaud, en 1870…) _

comme s’il s’agissait _ vulgairement _ de la promotion commerciale de quelque « parfum » aux pouvoirs possiblement envoûtants (= aphrodisiaques) : mais non ! il s’agit seulement de délicates et subtilement raffinées « mélodies françaises » à écouter avec sérénité et tendresse sur sa platine !

alors que l’interprétation (magnifique de lisibilité et d’impact : quelle intelligence de la sensibilité !) de Philippe Jaroussky est aux antipodes du moindre mauvais goût, aguicheur, appuyé, affriolant,

l’interprète s’en tenant, présente-t-il lui-même très sobrement au début du livret du CD (page 5), à ceci :

« J’ai choisi volontairement la prononciation la plus proche possible de la voix parlée actuelle _ sans trop d' »r » roulés, par exemple… ; on pourra comparer avec une version antérieure d’« A Chloris«  filmée, sur You Tube… : telle un brouillon…  _, afin que les mots résonnent de la façon la plus naturelle _ un terme qu’il nous faudra commenter ! _ dans l’imaginaire _ « fantaisie » est le mot que prononce Théophile de Viau, le poète, dans « A Chloris » (en post-scriptum, pour le plaisir, je donne l’intégralité de ces « stances »)… _ des auditeurs, en essayant d’écarter tout « affect » ou « surinterprétation«  _ en effet ! tant de la part du chanteur ; que de l’auditeur !!! _ ;

avec cette reconnaissante _qu’il en soit chaleureusement remercié ! _ précision, encore :

« Je tiens à remercier tout particulièrement Frédéric Faye qui m’a permis, par ses conseils tout au long de cet enregistrement, d’aller dans cette _ fort heureuse ! cf la version antérieure d’« A Chloris«  sur You Tube _ direction »  _ on ne peut plus judicieuse, en effet : l’art français proscrivant absolument (comme une horreur qui le saccage et, sans nul remède hélas le détruit !) de présenter si peu que ce soit à sa réception

_ et ce point constitue aussi une donnée fondamentale de la chose : cet art (du chant français), tout comme celui (= frère !) de la conversation, étant tout entier tourné vers l’interlocuteur, qu’il s’agit d’abord, et avec le plus grand tact, de respecter et servir ; et jamais de séduire, acheter, emporter, berner, violer _

l’art français proscrivant absolument de présenter à sa réception

la moindre prise que ce soit au plus léger début de plus petit soupçon _ mortel pour l’interprétation ! comme pour la réception de l’auditeur !!! _ de surcharge ou de boursouflure !!! 

Sur les vingt quatre mélodies composant le merveilleux bouquet de ce récital, « Opium« , donc,

dix-sept d’entre elles ont été composées et publiées _ les indications du livret n’étant pas tout à fait complètes à cet égard, c’est dommage… _ entre 188o, pour « Nell » (sur un poème de Leconte de Lisle), et « Automne » (sur un poème d’Armand Silvestre), de Gabriel Fauré, et « Les Papillons » (sur un poème de Théophile Gautier), d’Ernest Chausson ;

et 1901 , pour « Les Donneurs de sérénade » (sur un poème de Verlaine : « Mandoline« , le quinzième du recueil « Les Fêtes galantes« ), de Gabriel Dupont ;

en amont de ce moment (1880- 1901 : si fécond pour ce genre si quintessentiellement « français »), trois mélodies de 1869-70 :

« Elégie » (sur un poème de Pierre Lorys) et « Nuit d’Espagne » ( sur un poème de Louis Gallet) _ tout spécialement merveilleuses, les deux !!! _, de Jules Massenet, en 1869 ;

et « Tournoiement » (avec pour sous-titre « Songe d’opium » : sur un poème d’Armand Renaud), de Camille Saint-Saëns _ tout aussi éblouissante ! _, en 1870 ;

et, en aval, quatre mélodies, entre 1907 et 1914 , et une dernière en 1924 :

en 1907, « Violons dans le soir » (sur un poème d’Anna de Noailles), du même Camille Saint-Saëns (1835-1921) ; l’immortelle « A Chloris » (sur un poème, donc, tellement beau, de Théophile de Viau, de 1621), en 1913,

et l’exquise « L’Heure exquise » (sur un poème de Verlaine, « La lune blanche…« , le sixième du recueil « La Bonne chanson« ), du magnifique Reynaldo Hahn (1875-1947), en 1914 ;

et enfin, exception un peu plus tardive de ce somptueux « bouquet », en 1924, « Sonnet » (sur le sonnet « Ha ! Bel Accueil, que ta douce parole…« , du « Premier Livre des Amours« , de Pierre de Ronsard) de Paul Dukas..

On comprend que Philippe Jaroussky ait tenu à ne pas se priver, ni nous non plus, de ces sept mélodies-là : extraordinaires, en effet !

Et alors que son récital fait l’impasse _ j’ose espérer que c’est pour les réserver à un futur récital ! _ sur ces chefs d’œuvre que sont les mélodies de Henri Duparc, de Maurice Ravel _ ainsi que, même si plus tardives, de celles de Francis Poulenc…

Le choix des mélodies de ce récital-ci par Philippe Jaroussky et Jérôme Ducros est extrêmement judicieux, en son « unité », autour des deux dernières décennies du XIXème siècle principalement :

un moment « fin-de-siècle », si l’on veut, mais brillant des feux mordorés et chatoyants d’une France qui affirme avec sérénité (et sans hystérie) son génie, son âme et son esprit, dans ses Arts aussi : la France de la république (et des Lois) de Jules Ferry, se remettant, avec son élégance « essentielle (depuis François Ier au moins, et Joachim du Bellay : « France, mère des Arts, des Armes et des Lois…« , dans « Les Regrets« , à un retour de Rome…), de l’humiliation de la défaite par les Armes de 1870…

Personnellement, je ne partage pas du tout ! la thèse d’un goût dominant, sinon généralisé, voire uniforme, pour un certain décadentisme _ à la Huysmans (ou à la Des Esseintes) de « A rebours« , en 1884 _ que pense décrypter, dans la plupart de ces œuvres-là, le livrettiste de ce CD, Christophe Ghristi.


Si l’art français se démarque, certes, du goût germanique pour « la terre« , les brouillard
bien épais de chemins ne menant nulle part (« Holzwege« ) au cœur des forêts et vers les cimes de montagne, ce n’est pas pour autant un art de l’artifice et de « la chaleur _ vénéneuse _ des serres » (page 5 du livret) _ telle celle, superbe par ailleurs, de la demeure haussmannienne des Saccard, donnant sur le Parc Monceau, dans « La Curée » de Zola (en 1872 : une critique au vitriol des miasmes du second empire, qui vient juste de s’écrouler, d’un bloc, à Sedan, à la capitulation de Bazaine, le 27 octobre 1870)…

L’art français, éminemment civil (avec urbanité !) et civilisé, est celui d’une nature peignée : celle des jardins de Le Nôtre (si bien dits « à la française« , même s’ils sont aussi originaires des académies italiennes _ cf l’excellent « La France italienne _ XVI-XVIIèmes siècles » de l’historien Jean-François Dubost, aux Éditions Aubier-Montaigne, en 1998 _), et des « Fêtes galantes » de Watteau, auxquelles se réfère Verlaine, et qui inspirent, en effet, nos musiciens, ici Reynaldo Hahn (en 1892) et Gabriel Dupont (en 1901)…

C’est un Art de la ville et « urbain » _ en la polysémie du terme _ qui tient (toujours) compte des autres (= des personnes), des perspectives humaines, en la fantaisie et la grâce de ses alignements ; et qui n’a pas beaucoup de penchant ou d’attrait pour les vertiges du sauvage (« the wilderness« )…

Ce récital-ci, de Philippe Jaroussky et Jérôme Ducros, est ainsi

selon _ et là je retiens la remarque du livrettiste, page 6 _ non « pas la couleur (mais) rien que la nuance« , ainsi que « le recommandait Verlaine ;

et Hahn lui obéit : son « Offrande«  _ « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches… » _ ou « l’Heure exquise«  _ les deux mélodies d’après les poèmes de « La Bonne chanson« _ dédaignent les grands gestes et les éclats _ en effet _

pour une silencieuse intimité » _ oui ! celle des Couperin, par exemple… _ ;


ou selon cette autre « recommandation« , toujours d’après Verlaine, mais cette fois in « 
Les Fêtes galantes«  :

« chanter « Très crâne et avec élégance » »

Voilà ! Tout est ainsi résumé

Parmi mes découvertes singulières parmi les mélodies de ce programme,

je tiens à signaler celle de Cécile Chaminade (1857 – 1944), auteur d’un dynamique _ « et de la plus exquise excentricité » : en effet ! _ « Sombrero« , ainsi que d’un « Mignonne, allons voir si la rose« , d’après Ronsard, tout plein de « charme« , en 1894 : tout un esprit du temps nous est ainsi exquisément _ le mot revient, décidément _ rendu…

Bref, un must que ce CD « Opium _ Mélodies françaises », par Philippe Jaroussky et Jérôme Ducros

_ CD Virgin Classics 50999 216621 2 6 _,

afin de pénétrer toujours mieux (cf la série de mes articles antérieurs sur ce même « sujet » _ accessibles en remontant par la case « Archives »)

 _ et avec ravissement, tant l’esprit et l’âme (ainsi que tous les sens ; mais avec le filtre, toujours, de la civilité et de l’urbanité : sans y déroger jamais !) sont à la perfection « servis » ! _,

afin de pénétrer toujours mieux

le si beau goût (musical) français ;

quand son « art » (français, donc) de la civilisation

reçoit, ces derniers temps-ci,

d’un peu vilaines pichenettes et assez grossiers (vulgaires) accrocs…

D’où la mise en exergue d’un « hymne à la civilité »

_ quand la musique (du chant) adoucit (vraiment) les mœurs…

Titus Curiosus, ce 25 février 2009


Post-scriptum :

« A Chloris« , stances, en 1621,

de Théophile de Viau (Clairac, entre mars et mai 1586 – Paris, 25 septembre 1626) :

S’il est vrai, Cloris, que tu m’aimes,

Mais j’entends que tu m’aimes bien,

Je ne crois point que les rois mêmes

Aient un heur comme le mien.

Que la mort serait importune

De venir changer ma fortune

A la félicité des dieux !

Tout ce qu’on dit de l’ambroisie

Ne touche point ma fantaisie

Au prix des grâces de tes yeux.


Sur mon âme, il m’est impossible

De passer un jour sans te voir

Qu’avec un tourment plus sensible

Qu’un damné n’en saurait avoir.

Le sort qui menaça ma vie

Quand les cruautés de l’envie

Me firent éloigner du Roi

M’exposant à tes yeux en proie,

Me donna beaucoup plus de joie

Qu’il ne m’avait donné d’effroi.


Que je me plus dans ma misère!

Que j’aimai mon bannissement!

Mes ennemis ne valent guère

De me traiter si doucement.

Cloris, prions que leur malice

Fasse bien durer mon supplice.

Je ne veux point partir d’ici

Quoique mon innocence endure ;

Pourvu que ton amour me dure

Que mon exil me dure aussi.


Je jure l’amour et sa flamme

Que les doux regards de Cloris

Me font déjà trembler dans l’âme

Quand on me parle de Paris:

Insensé, je commence à craindre

Que mon Prince me va contraindre

A souffrir que je sois remis.

Vous qui le mîtes en colère,

Si vous l’empêchez de le faire

Vous n’êtes plus mes ennemis:


Toi qui si vivement pourchasses

Les remèdes de mon retour,

Prends bien garde quoi que tu fasses,

De ne point fâcher mon amour.

Arrête un peu, rien ne me presse,

Ton soin vaut moins que ta paresse,

Me bien servir c’est m’affliger;

Je ne crains que ta diligence,

Et prépare de la vengeance

A qui tâche de m’obliger.

In « Après m’avoir fait tant mourir« , Œuvres choisies de Théophile de Viau,

dans l’édition de Jean-Pierre Chauveau, en septembre 2002, dans la collection Poésie/Gallimard,

pages 64 à 67…

de la dimension de profondeur _ et avec intensité ! _ dans la musique française ; et son interprétation : le magnifique exemple Claude Debussy / Nelson Freire

16jan

En prolongement, en quelque sorte de mon précédent article, sur le tout aussi (grandiosement) magnifique « exemple » Jean-Marie Leclair / John Holloway (« dans » l’exceptionnel CD Sonatasde Jean-Marie Leclair _ CD ECM 2009 n° 476 6280) : « une merveilleuse “entrée” à la musique de goût français : un CD de “Sonates” de Jean-Marie Leclair, avec le violon de John Holloway« ,

je viens ici « partager » la joie profonde que donne le CD Decca 478 1111 « Debussy Nelson Freire« , qui vient tout juste de paraître, avec un programme _ tout aussi merveilleusement « choisi » ! _ d’interprétations du Livre I des « Préludes« , « D’un cahier d’esquisses« , « Children’s corner » et « Clair de Lune«  (extrait de la « Suite bergamasque« ) de Claude « de France« ,

je veux dire Claude Debussy (né le 22 août 1862 à Saint-Germain-en-Laye et mort le 25 mars 1918 à Paris : « Tirili, tirila, je suis tout bonnement de Saint-Germain-en-Laye, à une demi-heure de Paris« )… ;

CD enregistré à la Friedrich-Ebert-Halle, Harburg, Hambourg, les 11-15 juin 2008…

La musique requiert,

pour qui ne se contente pas de la « lire » sur partition,

la médiation d’une interprétation _ inspirée !!! _ d’un artiste, qui sache la rendre _ elle, la musique ! _ avec humilité et inspiration (« génie de l’auteur, es-tu là ? fais- nous la grâce de venir nous visiter !..« , sous ses doigts, sous sa voix, dans la tension tendre, et très intensément, d’un « jeu »,

et en un lieu et un instant donnés ;

la qualité de l’enregistrement offrant, ensuite, la disposition

_ technologique : commode ! vive le disque ! _

d’une « répétition » infiniment prolongée :

répétée donc, à volonté ; mais différente, et à son meilleur « enrichie »

_ cf ici les analyses irremplaçables de Deleuze (1925-1995) en son (très grand !) « Différence et répétition« , en 1968 ;

mais aussi le principe des « variations » (baroques), et de « diminutions » (juste avant…) ;

lire ici « L’Altération musicale » de l’ami Bernard Sève (en 2002) _,

la qualité de l’enregistrement offrant la disposition d’une « répétition », et à son meilleur « enrichie », donc,

de la « rencontre » avec l’attention (« requise »), et, « quand ça vient« , souvent, sinon à chaque fois, émerveillée, et non émoussée

_ et c’est là, sinon à terme (à Dieu ne plaise ! pas trop vite, pas trop tôt, prématurément !..), du moins au fil des écoutes (elles murissent !…), un critère de la valeur des divers éléments placés en « connexion »… _

d’une écoute qui « doit » _ c’est là son requisit propre ! _ se hisser, elle aussi, à ce niveau de « beauté » des précédents « sens » (en action) des précédents « intervenants » (en la « chaîne » du « donné-rendu » de l’œuvre…) :

au premier chef desquels _ of course ! _ le compositeur (« auteur » premier : à la source…) et l’interprète sont les « maillons » principaux, mais non exclusifs…

Chacun « amenant »

_ sinon « convoquant » (= « faisant venir » ; comme érotiquement : in english, to come !) _,

au jour « J »

_ jour de la création de l’œuvre par son auteur-créateur ;

jour de l’interprétation de l’œuvre par l’interprète (à l’enregistrement _ ou au concert ; ou à « l’audition ») ;

jour de l’audition (= acte æsthétique _ cf le si merveilleux et nécessaire (de lire) !L’acte esthétique” de Baldine Saint-Girons _

de l’auditeur-écouteur (qui en « jouit »…) _

chacun amenant, donc,

tout ce qui peut concourir _ poïétiquement ! _ au miracle du meilleur de la « rencontre » æsthétique, donc…

Bref,

et même si je découvre ce matin sur le site de Channel Classics les quelques « réserves » d’écoute _ ou plutôt d' »audition » (acoustique !) _, quant au travail d’ingénierie du son (pour Decca) de Philip Siney, de Christophe Huss

_ dont c’est en quelque sorte un « dada » ; et au point, hélas pour lui, de s’en gâcher totalement, et combien souvent, le plaisir !!! _,

en son article (débutant par un « Et un autre massacre, un !« ) ;

et même si je découvre les quelques « réserves » d' »audition » (acoustique !) de Christophe Huss

quant à la « réalisation » de Nelson Freire,

Christophe Huss use, tout de même _ ouf ! _ des expressions « le toucher miraculeux«  _ oui ! _

et « la science de la respiration _ absolument : quelle qualité d’écoute de la musique de la part de l’interprète ! _ de Nelson Freire«  ;

ainsi que « un des plus grands pianistes de notre temps » !..


Sur la qualité de l’écoute de Nelson Freire,

je relèverai, encore, cette remarque du livrettiste Olivier Bellamy, page 6 du livret du CD Decca :

« Le grand Claude-Achille (…) suggère au lieu d’évoquer. (…) Debussy écoute le vent du monde lui rapporter, d’est en ouest, rumeurs anciennes et sons nouveaux (…). Nul autre que Nelson Freire ne se sent plus proche de cette pudeur féconde _ une belle expression _, de ce raffinement silencieux _ c’est on ne peut plus juste ! Il adore aussi la délicatesse de la dédicace de « Children’s corner«  : « A ma chère petite Chouchou, avec les tendres excuses de son père pour ce qui va suivre ». Après la mort de Debussy, Alfred Cortot était venu jouer quelques « Préludes«  à sa fille chérie _ Claude-Emma (30 octobre 1905 – 14 juillet 1919), dite « Chouchou«  _ (qui rejoindra un an plus tard son père dans la tombe _ au cimetière de Passy _ ). Il avait demandé à l’adolescente : « Est-ce ainsi que ton père jouait ? » Chouchou avait répondu : « Oui, mais papa écoutait davantage… »

Ecouter et laisser s’exprimer la musique, voilà le secret.« 

Et Olivier Bellamy ajoute encore, à la suite :

« Chopin ne faisait pas autre chose _ en effet… _ : écoutant ce que lui confiait le piano sous la caresse de ses doigts habiles. » Oui ! 

Bref, ce CD « Debussy Nelson Freire » est un cadeau des Dieux…

Faites-vous en, déjà, une « petite idée »

_ même si rien ne convient moins bien à l’écoute musicale qu’une « idée »,

fût-elle « petite » !… _

en allant l’écouter :

car rien ne remplace l’écoute personnelle ; même si, aussi, il vaut mieux « écouter » (vraiment) plusieurs fois…

Bonne écoute !

Bon « enchantement » !

Bon « Debussy Nelson Freire » ! pour vous…

Titus Curiosus, le 16 janvier 2009

Jubilatoire conférence hier soir de Bernard Sève sur le « tissage » de l’écriture et de la pensée de Montaigne

14nov

Hier soir, à 18 heures à La Machine à Lire,

Bernard Sève a pu enfin

_ et avec quelle flamme ! en sa parole vive, précise et délicate _

« donner » _ nonobstant la délicate coordination des diverses disponibilités d’agendas des librairies bordelaises et du conférencier, assez fortement requis par ses tâches d’enseignant (de philosophie esthétique _ et notamment auprès de doctorants) à l’Université de Lille-3 _

pour la Société de philosophie de Bordeaux,

la conférence sur Montaigne, d’après son si lumineusement éclairant _ mon pléonasme est maladroitement volontaire ! _ « Montaigne. Des règles pour l’esprit« , paru aux PUF en novembre 2007 ;

que personnellement j’appelais fortement de mes vœux, depuis l’achèvement de ma lecture de ce « sésame » montanien…

Bernard Sève avait choisi hier soir de diriger aimablement et délicatement notre attention sur ce que j’intitulerais « le tissage » entre l’écriture si idiosyncrasique de Montaigne _ « à sauts et à gambades » ; lui dictant,

sous la dictée inspirante de son propre génie singulier, déjà,

ses longues, longues écharpes de phrases si caractéristiques (de sa langue si richement « imagée » d’écrivain)

à son secrétaire les notant en quelque sorte « à la volée » :

d’où cette allure de conversation, si vive, et si riche d’humour, du « texte » qui en fixe le parcours _ ;

Bernard Sève avait choisi de diriger notre attention sur ce que j’intitulerais

« le tissage » entre l’écriture si idiosyncrasique de Montaigne, donc,

et le penser

_ encore plus riche et nuancé que cet « écrire » :

collant si délicatement aux plus infimes nuances d’un pensable

si proche, lui-même, de ce que son corps comme son âme,

si unis, si amis, si mêlés,

soufflent à son « génie », à sa « fantaisie »,

à son esprit, précisément _ qu’il lui faut essayer de « régler » _,

entre l’abîme de la folie

_ dont nous a parlé hier soir Bernard Sève en cette si vibrante conférence _,

et « l’entretien des Muses«  _ selon le mot (musical), un peu plus d’un siècle plus tard, d’un François Couperin _ ; « l’entretien _ merveilleux  _ des Muses«  :

ainsi ai-je pu, à mon tour abonder, en ce sens-là, en rappelant que le dernier mot des « Essais de Messire Michel, Seigneur de Montaigne« 

_ puisque tel est le titre même que Montaigne a très précisément donné à son livre ! ainsi que nous l’a « rappelé » hier soir Bernard Sève ! (et écrit dans son article « Le « génie tout libre » de « l’incomparable auteur de l’Art de conférer » : ce que l’écriture de Pascal doit à Montaigne » _ in le numéro 55 / 2007 de « Littératures » : « Pascal a-t-il écrit les « Pensées » ?« , aux Presses Universitaires du Mirail) _,

en son dernier chapitre

de son ultime livre (« De l’expérience« , Livre III, chapitre 13),

est une invocation aux Muses et à Apollon.

Je lis :

« Les plus belles vies sont, à mon gré, celles qui se rangent au modèle commun et humain, avec ordre, mais sans miracle et sans extravagance. Or la vieillesse a un peu besoin d’être traitée plus tendrement. Recommandons-la à ce Dieu

_ Apollon, donc : le seigneur des Muses… : Apollon cytharède… _

protecteur de santé et de sagesse mais gaie et sociale :

« Frui paratis et valido mihi

Latoe, dones, et, precor, integra

Cum mente, nex turpem senectam

Degere, nec cythara carentem. »

_ sois, traduits, ces vers d’Horace, en l’Ode 31 du livre I (des « Odes« ) :

« Fils de Latone, puisses-tu m’accorder de jouir de mes biens en bonne santé, et, je t’en prie, avec des facultés intactes. Fais que ma vieillesse ne soit ni honteuse, ni privée de lyre« …

Je me contenterai de citer ces échanges de courriers électroniques du mois de décembre 2007,

issus de ma lecture toute fraîche de ce si beau et si utile _ pour pénétrer les merveilles du penser si riche et si précis en l’infinie subtilité de ses diaprures de Montaigne _ « Montaigne. Des règles pour l’esprit » :


De :       Titus Curiosus
Objet :     le « Montaigne » de Bernard Sève
Date :     7 décembre 2007 07:42:39 HNEC
À :       Frédéric Brahami


Cher Frédéric,

Je viens d’achever le « Montaigne » de notre ami Bernard Sève.
Quel livre éclairant !

même pour le « montanien » naïf que je suis,
par rapport aux « montaniens » ô combien cultivés que, lui et toi, vous êtes.

Quelle entrée précieuse _ que ces « Règles pour l’esprit » _ dans le lacis de l’écriture du matois gascon périgourdin !
Avec tout ce que cela peut révéler quant aux voies (et voix) multiples du cheminement philosophique,
je pense notamment aux chemins divers (jusqu’aux sentiers) du « concept »…


J’ai beaucoup apprécié ton entrée « montanienne » de l’article de laviedesidees.fr
_ en sa très belle recension « En-deçà, au-delà, du scepticisme« , du 3 décembre 2007 sur l’excellent site de « la vie des idées »… ;

Frédéric Brahami est l’auteur de livres très remarquables, dont « Le scepticisme de Montaigne » (aux PUF, en 1997) et « Le travail du scepticisme. Montaigne, Bayle, Hume » (également aux PUF, en 2001) _

à propos du « résumé » : « Tout abrégé sur un bon livre est un sot abrégé ».

Bernard Sève consacre un chapitre extrêmement intéressant, « Concepts, sentences et thèses« , à cette question,
avec notamment un détour par les distinctions bergsoniennes
, dans « La pensée et le mouvant« ,
entre « concepts raides », « concepts souples » et « concepts individuels »…
Il cite aussi le travail de Jean-Claude Pariente, « Le langage et l’individuel« , en 1973…

En tout cas, je me sens proche de ces cheminements-là _ les vôtres _,
d’où cette « étiquette » de « montanien naïf » que je pourrais sinon revendiquer,
du moins assumer…

As-tu reçu le passage _ prolixe _ de mon petit « essai » « Cinéma de la rencontre » ?
Si tu disposes d’un peu de temps,
il me plairait bien que tu me dises un petit mot de ce « montanisme » naïf de ma démarche.
Même s’il faudrait sans doute avoir la patience (et d’abord le temps) de lire l' »essai » en entier,
c’est son « tout » qui fait sens,
même pour un texte qui n’a certes pas le génie de celui de Montaigne…

Bien à toi,

Titus Curiosus

 De :      Bernard Sève

    Objet :     Réponse trop brève
Date :     7 décembre 2007 10:57:29 HNEC
À :       Titus Curiosus

Cher Titus Curiosus,

Merci de tout ce que vous dites du « Montaigne« .  Nous partageons un même amour pour son écriture, sa pensée, sa philosophie.  Je suis heureux que mon approche trouve des échos dans vos propres lectures de Montaigne, cela indique au moins que je ne me suis pas totalement égaré. Je suis intimement persuadé qu’il y a des forces et des richesses inouïes dans Montaigne, que la réduction que l’on fait ordinairement de sa pensée au « scepticisme » empêche, littéralement, de voir. J’essaie simplement d’attirer l’attention sur ces richesses, de les faire voir, c’est tout et c’est beaucoup.

Vous évoquez la possibilité que je vienne présenter le livre à Bordeaux.  Ce serait avec un très grand plaisir, et ce serait une occasion de vous revoir et de parler viva voce.

A très bientôt j’espère,

très amicalement à vous,

Bernard Sève

Le 20 mai 2003, j’avais eu le très grand plaisir, et la joie, de présenter Bernard Sève lors de sa conférence dans les salons Albert Mollat, autour de son passionnant « L’Altération musicale _ ou ce que la musique apprend au philosophe » (paru aux Éditions du Seuil en août 2002)…

De :       Titus Curiosus
Objet :     Attirer l’attention, faire voir, c’est tout et c’est beaucoup
Date :     7 décembre 2007 13:36:51 HNEC
À :       Bernard Sève


Cher Bernard Sève,

Comme je vous suis en votre lecture si fine et si judicieuse de Montaigne,
et comme je partage, aussi, les « règles » pratiques que vous savez en dégager…
Car Montaigne, sans didactisme, sans profession de foi d' »enseigner », nous propose modestement son exemple,
son exemple de « juger »,
en alerte de justesse, en permanence,
et joyeusement.


D’autre part, et surtout,
il n’y a aucune urgence à me lire…
J’espère qu’alors, si ce temps vient, vous serez un peu « amusé » de mes « extravagances », de mes « dé-prises » _ vous mettez un peu « en garde » contre elles _,
et j’ai même hâte _ je suis en train de me contredire, mais c’est une hâte toute « gratuite » et très joyeuse _ de la lecture que vous pourrez faire de mon petit « essai » sur le « Cinéma de la rencontre« ,
quand il me semblera « terminé ». Quel lecteur de luxe vous ferez !

Vos remarques _ et « distinguo » _ sur le caractère ou pas d' »interlocuteur » (de Montaigne) que pouvait lui être La Boétie, sont passionnantes, quant à ce qui sépare « conférer » et cette « amitié » unique de son espèce entre Etienne de La Boétie et lui…
Pour ma part, je suis assez demandeur d' »interlocuteur » dans la vie, et bien sûr rarement satisfait : demeurent cependant les livres : ils sont là, à peu près tranquilles dans leur disponibilité à nos questions et réactions…
Ou le fantasme de la « librairie » montanienne, et ses « prospects »…
Votre concept de « concept individuel » (d’après Bergson, et peut-être aussi Pariente) est passionnant, et me serait « d’usage », si je ne m’illusionne pas trop.


Mais je suis, pour l' »écrire », « du genre » de Montaigne :

« tant qu’il y aura de l’encre et du papier« , « j’ajouterai » des nuances, à l’infini des précisions, des « détails »…
Du moins pour ce qui est des nuances du qualitatif.
J’ai noté aussi votre remarque sur le peu de goût de Montaigne pour les raisonnements mathématiques.
Il n’aurait pas été un sectateur de Galilée. et son « utile » diffère considérablement de celui d’un Descartes.


Merci, donc, de votre réponse.

Et j’avise Corinne Crabos de la Librairie Mollat de votre « disponibilité à refaire le voyage de Bordeaux« …

Titus Curiosus

Voilà…

Hier soir, mon souhait d’écouter viva voce Bernard Sève sur Montaigne a été comblé.

Merci à lui.

Merci à la Société de philosophie. Merci à La Machine à Lire. Merci à tous ceux qui ont aidé à ce que Bordeaux et les Bordelais entende un peu ce qui m’apparaît constituer un merveilleux « sésame »

afin de mieux pénétrer le « monde montanien » ;

et la parole vive et douce et ferme

et généreuse

de celui qui leur fut un grand maire…

Titus Curiosus, ce 14 novembre 2008

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur