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L’apprentissage (à corps défendant) de l' »art d’aimer » à l’ère de l’injonction sexuelle et du couple : l’éclairage parfait du film d’Emmanuel Mouret

18avr

Le nouvel opus cinématographique d’Emmanuel Mouret, L’Art d’aimer _ paru ce mois d’avril en DVD _ est un régal _ infini ! la multiplication des visionnages du DVD ne faisant que l’amplifier-intensifier ! _ de justesse quant à la lucidité hyper-fine et délicate sur nos mœurs affectives (et sexuelles), à partir d’un regard de comédie _ celui (de cinéaste) d’Emmanuel Mouret : quelque part entre François Truffaut et Woody Allen, ou Marivaux et Feydeau, ou Musset et Pagnol… _ infiniment délicat sur un échantillon (assez varié) de bobos des beaux quartiers parisiens, et sur une palette suffisamment large d’âges _ allant des jeunes gens sincères (ou innocents) et libres, le très beau jeune couple Vanessa et William (qu’interprètent les radieux sur l’écran Élodie Navarre et Gaspard Ulliel) aux quadra-quinquagénaires au tournant de la ménopause et du démon de midi, le couple d’Emmanuelle, c’est elle qui est en crise, et de Paul, c’est lui qui sait rattraper la tentation des dérapages pulsionnels de sa compagne (qu’interprètent très finement aussi Ariane Ascaride et Philippe Magnan) _, idéalement interprétés par la crème des meilleurs acteurs français du moment, avec, en tête, les stupéfiants de vérité (!!!) Laurent Stocker (« de la Comédie-Française« …) et Julie Depardieu ; et c’est autour de la rencontre à rebondissements _ et dans de répétitifs tragi-comiques « noirs » _ de leurs deux personnages de célibataires contrits et tout à fait honnêtes, l’un et l’autre, Boris et Isabelle, qu’est construit l’écheveau de l’intrigue _ sans la moindre graisse, ni temps-mort : le montage est cette fois encore d’une habileté et élégance diaboliques ! _ du scénario.

Avec en contrepoint malicieux, le comique à épisodes _ les séquences 2, 4, 6 et 8 ont pour panneaux : 2 : « Le désir est inconstant comme les herbes dans le vent » ; 4 : « Patience«  ; 6 : « Patience, patience » ; et 8 : « Patience, mais pas trop«  _

de la difficultueuse conjonction sexuelle (voire sentimentale _ cf l’ultime parole naïvissime de la délicieuse voisine, dans la librairie de Boris, Passage Verdeau ; il ne faut pas la manquer, dans sa brièveté : « Je cherche un livre sur la complexité des sentiments ») en instance d’advenir (ou pas !) d’Achille _ « à ce moment célibataire« , dit-il… et de son un peu compliquée mais tout à fait adorable voisine _ nous ne connaîtrons pas son prénom _, qu’interprètent à la perfection l’élégant (et un peu décontenancé pour ce qui est de son personnage, Achille, mais il y a de quoi…) François Cluzet _ ici en un rôle à la Cary Grant _ et la toujours plus-que-parfaite _ en le comique de sa totale imprévisibilité ; et elle est, et à chaque fois, absolument épatante ! d’un Mouret à l’autre… _ Frédérique Bel…

L’intrigue de ce qui deviendra _ en l’ultime séquence, la numéro 9 : précédée du panneau : « Souvent les yeux nous mènent vers l’amour, parfois ils nous trompent »… : le concept d’art (d’aimer) devenant ici fort problématique…la rencontre _ elle-même à rebondissements avec « noirs » répétitifs, la série des uns (à l’hôtel), étant on ne peut plus volontaire, mais le tout dernier (chez Zoé et Jérémie), une panne d’électricité, pas… _ de ces deux célibataires (en attente-souffrance d’amour, mais parfaitement honnêtes !) que sont Isabelle et Boris

est précédée d’une sorte d’avant-séquence

_ appelons-la la séquence 0 : elle est annoncée par le panneau « Il n’y a pas d’amour sans musique«  _

sur un compositeur, Laurent _ qu’interprète le lumineusement beau, mais bientôt, et très vite, mélancolique, Stanislas Mehrar : un peu trop rare à l’écran… _, qui « rêvait d’entendre un jour » cette sorte de « musique particulière« qui « se produit » « au moment où l’on devient amoureux » (alors que, lui, Laurent, va mourir prématurément) :

« Il attendait cela _ nous révèle une voix-off, celle de Philippe Torreton, qui commentera tout le long de l’intrigue les péripéties (ainsi que l’enchaînement elliptique) des découvertes-explorations (et déconvenues, aussi, parfois) de l’amour des divers protagonistes, entre (et parmi) lez zébrures des divers désirs-pulsions… _ avec une grande impatience. Il n’avait jusqu’alors entendu que des bribes : deux-trois notes avec Annabel, et à peine plus avec Elisabeth. Son obsession _ car cela allait jusque là ! pour l’artiste créateur, il est vrai, qu’il était… _ était telle qu’il essayait d’imaginer _ mais pas complètement à partir de rien, cependant… _ cette musique lorsqu’il composait. Chose étrange, ceux qui écoutaient ses œuvres, étaient heureux de reconnaître en elles quelque chose qu’ils avaient connu _ une grâce qui s’imposait ? et qu’il fallait reconnaître ? et remercier ? _ lorsqu’ils étaient tombés amoureux, mais que lui n’avait toujours pas _ frontalement et assez clairement _ connu. Elles étaient nombreuses à se succéder dans ses bras. Et de toutes ses forces à chaque fois il désirait _ en vain : la grâce ne se convoque pas ! _ les aimer. Il espérait ; mais rien… Jamais la moindre mélodie _ un peu substantielle _ ne se fit entendre. Jamais il ne sut de qui son cœur avait été amoureux« … _ comme si le travail de création artistique parvenait un peu parfois à donner quelque apparence de forme à ce qui sinon demeurera flou et vague, et même inaperçu, et non vraiment ressenti : ou les aventures de l’aisthesis (par-dessus l’esthésique !) dans les Arts… D’où le demande, plus tard, de Boris, de « recommencer«  afin de tenter de dissiper un peu le « flou«  qu’impose le choc de l’excès de « nouveauté de la situation« 

La première séquence

_ appelons-la la séquence 1 ; elle est annoncée par ce panneau : « Il ne faut pas refuser ce que l’on nous offre«  ; nous découvrirons qu’elle se combinera, in fine, avec une séquence ultérieure, la séquence 3, avec Amélie et son ami Boris (ainsi que le mari d’Amélie, Ludovic ; le titre du panneau introducteur en sera : « Il est difficile de donner comme on le voudrait« …) ; pour aboutir, les principaux protagonistes de la 1 (Isabelle, Zoé, Jérémie) et de la 3 (Boris, Amélie, Ludovic) se réunissant,

pour aboutir, donc, au climax de la séquence finale (et la plus longue du film : 24 minutes, sur un total de 80), la séquence 9, précédée, quant à elle, du panneau : « Souvent les yeux nous mènent vers l’amour, parfois ils nous trompent« …  _

la première séquence, donc,

débute sur le déroulé d’un rêve _ qui se révélera en quelque sorte comme prémonitoire _ d’Isabelle (interprétée, donc, par la magnifique de justesse, toute en délicatesse d’innocence, Julie Depardieu), dans lequel (rêve) une amie, la très pétillante et volontariste Zoé (qu’interprète avec beaucoup de présence l’excellente Pascale Arbillot) lui récite avec la conviction de la plus parfaite évidence le B-A-BA de la doxa contemporaine (depuis Wilhelm Reich : La Fonction de l’orgasme…) sur le topos de la sexualité !, dès qu’elle apprend l’abstinence sexuelle prolongée d’Isabelle :

« Quoi ? Ça fait un an que tu n’as pas fait l’amour ? » ; « Tu devrais être dans une des phases les plus actives de ta vie. Un an, à ton âge, ça correspond à cinq ans dans le calendrier de la vie sexuelle » ; « sans compter que c’est très important pour la santé. Toutes les études démontrent qu’une sexualité accomplie fortifie notre organisme, notre cerveau, les humeurs » ; « C’est presque une question d’hygiène« 

Isabelle a beau lui rétorquer : « C’est quand même pas de ma faute si je ne tombe pas amoureuse !« ,

Zoé conseille à son amie : « en attendant, tu pourrais faire quelques petites rencontres pour te faire un petit peu du bien !..

Mais Isabelle : « Je n’y arrive pas, je suis trop timide ! Et puis, rencontrer quelqu’un uniquement dans ce but-là, moi, ça me met mal à l’aise« …

Et alors, toujours dans ce rêve détaillé d’Isabelle, Zoé de lui conseiller ceci :

« Et pourquoi tu ne demanderais pas à un ami ? » ; car « de nos jours, beaucoup d’hommes et de femmes pratiquent l’amitié sexuelle. Ça a beaucoup d’avantages !.. »

Et Zoé d’oser même envisager le principe suivant : « Idéalement, si le monde était mieux fait, il faudrait que l’on partage nos hommes avec nos copines célibataires » ; « je suis sérieuse : je suis pour le partage et la redistribution des richesses ; on paie bien des impôts à la communauté afin d’aider les plus pauvres… » ; « alors pourquoi on ne prêterait pas son compagnon à celles qui en sont démunis ?..« .

Et à l’objection d’Isabelle : « Mais faire l’amour n’est quand même pas faire un geste comme les autres !« ,

l’hyper-réaliste Zoé de répondre : « Si l’on regarde les choses en face, il ne s’agit que d’un massage qui ne se fait pas qu’avec les mains. Rien de plus, rien de moins ! On n’a pas besoin d’être amoureuse d’un kinésithérapeute pour qu’il nous fasse un massage !..« 

Et Zoé alors, toujours en ce rêve d’Isabelle, de généreusement proposer les services _ amicaux ! _ de son propre compagnon Jérémie à son amie célibataire en manque de relation sexuelle : « S’il couche avec toi pour te faire du bien, non seulement je ne serai pas jalouse, mais en plus je serai fière de lui !« …

Et le rêve d’Isabelle se conclut sur l’image du très gentil Jérémie _ interprété par le très charmant Michaël Cohen, apprécié dans le précédent Un Baiser, s’il vous plaît ! _ faisant pénétrer, pour ce simplement amical service, Isabelle dans sa chambre, chez lui et Zoé, pendant que Zoé s’éclipse pour aller passer ce moment au cinéma : « Bon ! A tout à l’heure. Je rentre à 21 heures. Tu veux rester dîner avec nous ?« …

Fin du rêve d’Isabelle.

La voix-off alors poursuit : « Bien qu’il n’existait aucun secret entre les deux amies _ Isabelle et Zoé, donc _, Isabelle nous a confié son rêve _ c’est donc que ce rêve a continué de la travailler… Cependant il arriva quelque chose de très troublant » : la réalisation de la proposition de Zoé de « prêter » les services (de massage corporel) de Jérémie à l’amie célibataire Isabelle, « restée un an sans faire l’amour« , comme le dit Zoé.

Ce que la voix-off commente : « Isabelle écoutait son amie, troublée par ses paroles, mais surtout troublée de voir son rêve qui se déroulait sous ses yeux » ; et « discrètement Isabelle se pinça : non, ça n’était pas un rêve !« …

Zoé en effet se mit à dire : « On peut faire du bien à quelqu’un même si on est amoureux d’une autre personne. C’est ça la bonté, la générosité ; l’amitié en quelque sorte« … Et surtout : « Eh bien, moi, si Jérémie acceptait de te faire un peu du bien, j’en serais tout à fait contente. Je serais même fière de lui ! Et si je le lui demandais ?« , Zoé de proposer carrément alors…

Et aux réticences répétées d’Isabelle : « Mais ça ne va pas ! Mais tu plaisantes ! Mais c’est gênant. C’est gênant pour moi. Mais ça ne se fait pas !« , Zoé de répliquer : « Et pourquoi ça ne se ferait pas ? On est libres, non ? » « Essaye ! « …

Mais Isabelle ne peut s’y résoudre.

Et la voix-off de conclure alors ce premier épisode _ et cette séquence 1 _ de l’aventure d’Isabelle : « Elles n’en parlèrent plus jamais. Isabelle ne sut jamais si elle avait eu tort ou raison de refuser » cette proposition des services de Jérémie par Zoé…

A la séquence 3 _ intitulée « Il est difficile de donner comme on voudrait«  _, nous faisons la connaissance d’Amélie (épouse bon chic bon genre de Ludovic) et de son ami Boris.

Boris : _ « Ça va ? Tu as l’air bizarre. On dirait que quelque chose ne va pas….« 

Amélie : _ « Non, non, je t’assure que tout va bien« … « C’est juste… que je me pose des questions… sur moi… » « Il y a que je ne suis pas satisfaite de moi« …

« Apparemment, tout va bien : je suis en couple ; je n’ai pas à m’inquiéter pour mon avenir professionnel ; j’ai des amis ; je suis en bonne santé. Et pourtant il me manque quelque chose : j’ai l’impression que ma vie manque de sens.

Que je vis trop égoïstement.

J’aimerais être plus généreuse ; j’aimerais donner. Donner aux autres. Apporter quelque chose« …

De fait Ludovic _ son mari : centré sur sa carrière d’homme d’affaires (interprété joliment, avec la distance de l’ennui qui convient au personnage, par Louis-Do de Lencquesaing) _ manifeste bien peu de désirs (à commencer par charnels) à l’égard de son épouse, nous nous en rendrons compte à plusieurs reprises, même si Amélie, elle, n’y prête pas vraiment attention : elle est une épouse _ bourgeoise bon chic, bon genre, donc ; et sans enfants _ du genre soumise… »En tout cas, si tu as quelque chose à me demander, quoi que ce soit, surtout tu n’hésites pas. Même si ça te paraît trop« , continue de proposer à son ami Boris la gentille Amélie…

Or, il se trouve que le parfait discret ami qu’est Boris a bel et bien (!) quelque chose _ et pas de petite importance ! _ à demander à sa vieille amie Amélie ; mais « c’est trop ! je ne peux te demander ça !« …
Amélie : _ « Mais non, au contraire, moi je veux que ce soit trop ! Je veux que ce soit énorme ! que ce soit démesuré !« …

Alors Boris finit par accepter de se lancer : « Eh bien ! voilà : bien que tu sois mon amie, je ne suis pas indifférent à une autre dimension _ qu’amicale ! _ de ta personne. J’ai pour toi une attirance qui ne fait que grandir d’années en années« …

_ « Mais quel genre d’attirance ? », Amélie ne voit décidément pas…

_ « Des rêves, des fantasmes…

Des pulsions !« , finit-il par lâcher.

_ « Mais pourquoi ne m’en avais-tu jamais parlé ?« 

_ « Je ne voulais pas que tu le prennes mal. Puis aussi vis-à-vis de Ludovic.« 

_ « Je ne vois vraiment pas quel genre de service je peux te rendre…« , poursuit la décidément hyper-godiche Amélie.

_ « Eh bien, peut-être que tu peux m’aider à y voir plus clair. Parfois je me demande si je ne suis pas amoureux de toi ! Et le problème est que ça a un effet négatif sur mes relations amoureuses. Mon esprit ne peut pas s’empêcher de se dire qu’avec toi ce doit être mieux qu’avec les autres filles…« 

_ « Mais non !« 

_ « C’est ce que je me tue _ à petit feu _ à me dire…« 

_ « Mais qu’est-ce que je peux faire ?« , continue à errer la godiche Amélie…

Et ici Boris lui saute littéralement dessus !

_ « Non, non, Boris !« 

_ « C’est juste pour que je sache !« 

_ « Boris, je ne serai jamais à la hauteur de tes fantasmes !« 

Et avec un ultime accès de grande bonne volonté, Amélie ajoute : « Je voudrais bien pour que tu vois… ; mais je ne peux pas vis-à-vis de Ludovic… »

Et l’échange va se conclure piteusement de leurs parts respectives :

_ « Je suis désolé !« 

_ Non, c’est moi !« 

_ « Non, c’est moi qui suis désolé« .

Match nul sur toute la ligne, de personnes (trop) bien élevées : 0 à 0…


Suivent alors,

avec la poursuite des péripéties à rebondissements de la difficultueuse rencontre sexuelle (ou/et affective ?) d’Achille et de son imprévisible voisine (elle : « Je ne sais pas encore si je suis amoureuse » ; « Pour moi, c’est important d’être sûre que je suis amoureuse avant d’aller plus loin… » ; lui : « Mais peut-être que vous l’êtes, mais n’en avez pas encore conscience. En faisant l’amour, ça va vous aider à vous en rendre compte ! » ; elle : « Ah ! en fait vous voyez ça comme un test ! » ; « Faire l’amour pour faire l’amour, ce n’est pas vraiment ma façon de penser. Pour moi, c’est quelque chose de sacré ! » ; lui : « Mais justement, c’est parce que c’est sacré qu’il faut le célébrer : il faut voir ça comme une cérémonie où on rend hommage à la nature… Hein ?! Mais oui, vous savez le désir pousse en nous comme les feuilles à un arbre… » ; elle : « Mais c’est joli ce que vous venez de dire !« , et elle le note sur son carnet ! ; lui : « Vous dites que vous aimez tout ce qui est naturel, et quand la nature s’exprime en nous, vous la refusez ! Mais enfin, nous n’y pouvons rien… C’est la nature qui est comme ça. Ce sont tous les atomes qui sont en nous qui s’attirent« … ; après un dernier embarras encore, il l’embrassera et elle finira par se laisser entraîner vers la chambre…), soient les séquences 4, 6 et 8,

suivent deux séquences sur la capacité d’un amour vrai

_ celui de Vanessa (envers William) et celui, réciproque et concomittant, d’Emmanuelle et Paul : la voix-off nous les a cités en exemples, avec celui de Zoé (envers Jérémie), lors de la séquence 0 (« Il n’y a pas d’amour sans musique«  !), de « ce moment où l’on devient amoureux » « se produit une musique particulière » !!!  _

à survivre aux pulsions adultères,

suivies ou pas (ou guère…) d’effectuation :

_ dans le cas d’Emmanuelle (en la séquence 5 : « Sans danger, le désir est moins vif« ), il n’y aura pas besoin (ou du moins guère) de passage à l’acte de sa part à elle, Emmanuelle : « la liberté qu’il _ Paul _ lui avait offerte, l’avait enchaînée à lui : l’attirance qu’elle avait pour tous les hommes ne faisait que raviver et intensifier le désir de Paul. Si bien qu’elle trouvait en lui tous les hommes qu’elle désirait« , en sa crise du démon de midi… ;

_ dans le cas de Vanessa, puis de William (en la séquence 7 : « Arrangez-vous pour que les infidélités soient ignorées« ), il y aura bien effectuation, mais expérimentale, en quelque sorte, au nom du principe _ ils sont jeunes… _ (ou doxa…) de « se parler librement et de ne jamais empiéter sur la liberté de chacun » ; « il faut aimer la liberté de l’autre et ne pas la craindre. La peur, c’est le repli ; et on s’était promis de ne pas vivre le repli« , ainsi que l’énonce William ; qui dit encore qu' »on ne grandit qu’à travers les épreuves et les expériences »  et « je n’ai pas envie qu’on soit un couple qui ait peur des expériences. Je n’ai pas envie qu’un jour tu m’en fasses le reproche » : le bilan de ces deux expériences d’adultère _ « simple et léger«  ; sans amour, ni lendemain : « tu me plais bien, voilà tout !« , dit Vanessa à l’assez quelconque Louis ; qui « a tellement de désir pour moi que ça me donne envie, tu comprends ?« , avait-elle confié à son compagnon William, en batifolant avec lui en forêt… _

le bilan de ces deux expériences d’adultère parallèles, un même vendredi soir, de Vanessa (avec son collègue de travail Louis, en partance le lendemain pour le Brésil) et de William (avec une très jeune stagiaire devant très vite rejoindre sa ville d’Angoulême) se révélant plus que piteux : _ « Tu m’as manqué ! » ; _ « Toi aussi !« . Et sur ce, fin de la séquence 7.

La séquence 9 (« Souvent les yeux nous mènent vers l’amour ; parfois ils nous trompent« ) est donc celle où se rejoignent d’une part la solitude célibataire d’Isabelle (issue de la séquence 1 : « Il ne faut pas refuser ce qu’on nous offre« ) et l’affaire du pressant désir d’adultère de Boris, avec une Amélie qui veut bien lui faire plaisir, mais sans que cela affecte son propre couple (dans la séquence 3 : « Il est difficile de donner comme on le voudrait »), ni sa propre pudeur…

Boris, à Amélie : _ « Ah, au fait, tu sais, c’est fini avec Marie. » _ « Vous vous êtes séparés ? » _ « Oui, ce week-end. » _ « Mais pourtant tu t’entendais bien avec elle... » _ « Oui, mais sans plus. Disons que ce n’était pas magique ! » _ voilà ce qu’opère l’amour vrai…

Mais Amélie : _ « Ton désir pour moi doit cesser ! C’est mauvais pour notre amitié.« 

Boris : « Je sais ; mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Je n’y peux rien !« 

..

Afin de vaincre sa propre (très forte !) pudeur et de se prêter ( le moins possible !) à une séance (unique) d’adultère expérimental (« pour voir » ! puisqu’elle lui avait promis de faire acte de générosité !) avec son ami Boris, Amélie accepte de se livrer une heure à lui en une chambre d’hôtel, mais à l’expresse double condition du noir absolu dans la chambre et du silence absolu entre les deux corps ainsi (pour que Boris sache…) réunis…

Et c’est là que l’intrigue de départ finit par se nouer, avec la rencontre d’Amélie et de son amie Isabelle, perdue de vue depuis pas mal de temps ; et à laquelle elle demande tout à trac de bien vouloir, elle, Isabelle, célibataire, de prendre la place promise par elle, Amélie, à son ami masculin, dans la plus stricte confidentialité des divers protagonistes.

Je n’en dirai pas plus :

non seulement Judith Godrèche, en Amélie, fait preuve de virtuosité jubilatoire au second degré pour les spectateurs très amusés que nous en sommes ! dans le rôle de l’hyper-godiche faiseuse de catastrophe _ à l’instar du personnage qu’interprétait tout aussi virtuosement Virginie Ledoyen dans Un Baiser, s’il vous plaît ! : Emmanuel Mouret adore ces situations de prodige d’abîme de sottise !… Et nous aussi !!! _,

mais le jeu de Laurent Stocker, Boris (_ « Comment l’as-tu trouvée ? » _  « Insignifiante, pas du tout mon type. A vrai dire même elle est limite antipathique« …), comme celui de Julie Depardieu, Isabelle (_ « C’est pas du tout mon genre ! J’aime pas du tout ce qu’il dégage physiquement ! Et puis ses goûts littéraires _ Boris et Isabelle sont tous deux libraires ! _ me semblent vraiment douteux !« ),

sont prodigieux de subtilité et justesse : dans le camaïeu ultra-fin de la palette des gestes et des regards, du plus hagard au plus jouissif retenu, puisqu’ils n’échangeront avant la chute finale que deux mots ; c’est la voix-off qui parle :

« Quant à  Isabelle et Boris, ils se croisèrent une fois, lors d’un anniversaire, celui de Zoé.

_ « Salut ! » _ « Salut !«  _ et ils se font une bise apparemment on ne peut plus conventionnelle

Ce furent les seules paroles qu’ils échangèrent durant toute la soirée. Qu’auraient-ils pu se dire ?« .. _ certes !

Et ici, clap de FIN !

Alors, sur le fond des choses, qu’en est-il de cet « art d’aimer » qu’essaie de nous montrer, dans cette succession rapide, légère et ultra-fine d’épisodes, ce film passionnant d’Emmanuel Mouret ?

Qu’en est-il de cette petite musique _ de grâce ! _ qui « se produit« , survient et surgit, « quand on devient amoureux« ,

et que le beau compositeur, Laurent, mort bien trop prématurément (!), « attendait« , et « jusqu’à l’obsesssion« , « avec grande impatience »,

au point « qu’il essayait d’imaginer cette musique lorsqu’il composait » ?

Et cela, à partir des quelques « bribes » « qu’il avait jusqu’alors entendues« , avec une Annabel et avec une Élisabeth ; mais qu’il « n’avait toujours pas connue » vraiment, au moment de sa mort, sous la forme d’une belle et vraie « mélodie » déployée ?

Puisque, « et de toute ses forces, à chaque fois, il désirait aimer, il espérait ; mais rien : jamais la moindre mélodie ne se fit entendre » ;

« et qu’il ne sut jamais de qui son cœur avait été amoureux »

C’est donc que lui, Laurent, l’artiste musicien, n’était pas parvenu à prendre tout à fait vraiment conscience d’un tel amour, si tant est qu’un tel réel amour avait de facto dépassé, en son cas, le stade de ce qui ne peut produire, et ne produit, que « des bribes » de musique »…

C’est un tel amour-là, et qui donne à entendre cette vraie mélodie-là, qu’attendait aussi, et très honnêtement, Isabelle, en sa situation d’abstinence sexuelle (« ce n’est tout de même pas de ma faute si je ne tombe pas amoureuse ?!« ) ;

ou encore la délicieusement hyper-spontanée mais aussi prudente à la fois (« Je ne sais pas encore si je suis amoureuse« , et « pour moi, c’est important d’être sûre d’être amoureuse avant d’aller plus loin » : « je préfère savoir avant« …) affriolante voisine d’Achille.

La question qui se pose alors est : comment le savoir ? l’apprendre ? le découvrir ? en prendre conscience ? et enfin vraie connaissance ?

En faisant déjà l’amour, comme le propose le vieux dragueur habile Achille ?

En « recommençant ! » la séance d’amour dans le noir à l’hôtel, comme le (re-)demande Boris ?..

..

C’est un peu une quadrature de cercle ; comme le révèle la succession désopilante des épisodes entre Achille et son adorable voisine (« Patience« , « Patience, patience« , « Patience, mais pas trop« ) : on avance dans le noir et au juger, dans cet appartement pourtant si blanc !

C’est en cela que si « art d’aimer » il y a, il ne s’agit certainement pas de recettes, ni de technique, mais de l’apprentissage d’un je ne sais quoi qui ne s’apprend _  et que peu à peu _ qu’à son corps défendant, et jamais par pure et simple imitation de modèle, ou copie…

Ce que révèlent magnifiquement en ce film si juste (!) les approches _ sur le mode de la comédie : ou comment un vieux dragueur (auquel on ne la fait pas…), peut tomber vraiment amoureux ! _ d’Achille et de son adorable affriolante voisine, d’une part ; et les expériences de jouissance dans le noir de Boris et Isabelle !!! _ sur un mode davantage tragi-comique : eux sont beaucoup plus sérieux ! sinon même austères ; mais ils apprennent vite aussi à se décoincer et exulter !!! la jubilation (à laquelle la caméra nous donne in extremis à assister) du très discret (dans un coin sombre…) feu d’artifices (mais les vrais amoureux sont toujours seuls au monde !) de la scène finale, est absolument superbe !!! _ d’autre part…

Et c’est cela qu’ignorera probablement à tout jamais la gentille Amélie, pourtant satisfaite d’être « en couple« , ou encore son affairé et bien distrait Ludovic de mari : le miracle de la grâce de la rencontre vraie n’ayant pas eu lieu pour eux…

Mais c’est aussi ce qu’ont connu _ et la musique qui l’accompagne… _ et Zoé, et Vanessa, et Emmanuelle et Paul, comme il nous est signalé par la voix-off de Philippe Torreton en ouverture du film ;

et qui préservera l’amour vrai de Vanessa et William, quand ils se seront exposés à des « expériences » hors amour vrai ;

de même que l’amour vrai d’Emmanuelle et l’admirable Paul, quand ils s’exposeront au passage du démon de midi d’Emmanuelle…


Comme quoi, en amour _ mais seulement quand amour vrai il y a ; et pas rien qu’ersatz ou qu’illusion d’amour ! il faut avoir croisé, et su cueillir, puis appris à cultiver, et à deux (!), en sa fraîcheur toujours renouvelée (!), cette grâce improbable de l’advenue effective (!), et sans contrefaçon, de la rencontre vraie ! _,

c’est seulement à son corps défendant (et au corps défendant de l’autre : amant et aimé) qu’on se livre

_ en toute « innocence des sens«  : Nietzsche sait en parler ; par exemple dans le chapitre De la chasteté, au livre premier d’Ainsi parlait Zarathoustra _

à l’apprentissage lent et patient (et riche de surprises renouvelées) du connaître ; cela n’a certes rien d’un savoir inné _ parce qu’il n’existe nul savoir inné ! _ : il faut nécessairement passer par cet apprentissage patient, patient, mais jusqu’à un certain point seulement : « pas trop » ! non plus… ; à corps défendant seulement , donc !!! _ et le sien, et celui de l’autre, l’aimé qui vous aime…

En acceptant effectivement de donner, et en toute innocence, de sa personne ; à corps perdu…

Comme le figurent dans le film déjà Achille et sa voisine quand ils commencent _ et c’est peu à peu : progressivement, et même par paliers ! ou épisodes… _ à se livrer innocemment vraiment, enfin, l’un à l’autre, de plus en plus (et de mieux en mieux) démunis, c’est-à-dire se dépouillant peu à peu de leurs anciennes certitudes, en commençant à s’en dénuder _ en tous les sens, et sans impudeur ! _ pour se donner, par amour _ seulement ! _, à l’autre…

_ sur cette dénudation, ce beau passage-ci vers le final du quatrième et dernier épisode (à rebondissements) de la rencontre-approches complexes entre le dragueur expérimenté, mais désorienté ici, Achille, et son affriolante voisine :

Ils viennent de s’embrasser et ont commencé de se dénuder.

Elle : _ « On n’avait pas dit qu’on ne faisait que s’embrasser ? »

Lui : _ « Ça n’empêche pas de se dénuder… »

Elle : _ « Non, se dénuder, c’est aller trop loin !.. »

Lui : _ « Pourquoi ? »

Elle : _ « Parce que ! Ça me donne trop envie !..  »

Lui : _ « Mais enfin ! quand je vous embrasse, ça ne vous donne pas envie ?.. »

Elle : _ « Si ! Mais si en plus on se met à se dénuder, moi, je perds tous mes moyens de résister… »

Lui : _ « Moi aussi, je perds tous mes moyens… Moi, j’ai envie de vous ! Si vous saviez comme j’ai envie de vous… Je n’en peux plus !.. »

Et il la réembrasse… Fin de l’incise sur le moment de début de dénudation entre Achille et son adorable voisine…

On comprend que cela, toujours quelque peu affolant, puisse de fait réclamer, de chacun et de tous, un minimum, non seulement de courage, mais aussi d’assurance, qui se forgera pour chacun peu à peu, avec un minimum de chance…

Et comme le figurent encore plus magnifiquement _ c’est-à-dire davantage tragi-comiquement, eux : ils sont sérieux ! sinon austères… _ au final de la séquence terminale du film, les admirables regards et gestes et postures de ces amoureux seuls-au-monde _ c’est à prendre à la lettre _ que sont, s’étant enfin trouvés et connus (dans le noir ! et à répétitions !), Boris et Isabelle (hors du souci _ social, surtout pour le regard des autres ; pas vraiment authentique, donc… _, eux, d' »être en couple » ; et d’être vus des autres…).

Et Laurent Stocker et Julie Depardieu sont ici exceptionnels de talent !

Et ce processus de connaissance progressive _ de l’autre comme de soi, dans l’épaisseur soyeuse, voire voluptueuse, de la relation amoureuse vraie : il y faut cette grâce ! _ n’a pas non plus de fin, non plus qu’elle ne connaît d’épuisement du désir-appétit de cette connaissance, de cet amour : infinis et inépuisables les deux…

Car telle est cette « complexité des sentiments » vrais, sur laquelle l’adorable affriolante voisine d’Achille cherche _ in fine de ce qui nous est montré dans le film de son (ou leur, désormais) histoire _ aussi à se renseigner en un livre (L’art d’aimer d’Ovide ?.. ou peut-être les sublimissimes Lettres de la religieuse portugaise de Guilleragues ?..) en requérant du libraire Boris quelque conseil avisé de lecture…

Comme dans le théâtre de Marivaux, la moindre inflexion de voix, ou de geste, sans compter le poids du moindre silence, réclame du spectateur de ce très impressionnant _ par la finesse de sa profonde subtile vérité ! _ film d’Emmanuel Mouret qu’est L’Art d’aimer, une hyper-attention, afin de ne rien laisser échapper : tout va si vite, dans l’élégance de cet art subtil et doucement léger de la comédie de mœurs, sans répétitions, ni effets surlignés appuyés…

Et bien sûr, à mille lieues de la plus bénigne vulgarité, comme du moindre trash sadique violent _ nul revolver ici…

Et enfin rien que l’art _ éblouissant (!) _ de dialoguiste d’Emmanuel Mouret

mérite de passer à la postérité,

et ses répliques d’être apprises par cœur !!!

Titus Curiosus, ce 18 avril 2012

 

 

 

Le livre va-t-il « survivre » à Internet ? une « alerte » et une stratégie de « riposte » de Bruno Racine (cf aussi Roger Chartier…)

31oct

Un très intéressant article dans l’édition de ce samedi 31 octobre du « Monde » _ « Il ne faut pas édifier de ligne Maginot«  _ « sous la plume » (ou par les doigts sur le clavier…) de Bruno Racine, Président de la Bibliothèque nationale de France ;

juste après une « libre opinion » passionnante dans ce même « Monde » il y a quatre jours _ intitulée « L’avenir numérique du livre«  _ par Roger Chartier,

Président du Conseil scientifique de la Bibliothèque nationale de France, ce très grand « historien des pratiques culturelles (qui) a pris pour objet principal de son étude la lecture, ainsi que le livre sous l’Ancien Régime et dans les temps modernes, y compris dans leurs aspects les plus matériels (diffusion, sociétés de pensée, bibliothèques, académies, imprimeries, etc.)« , auteur des « Origines culturelles de la Révolution française«  (aux Éditions du Seuil, 1990, réédité depuis), suivi de nombreux travaux scientifiques comme « Culture écrite et société. L’ordre des livres (XIVe -XVIIIe siècle) » (aux Éditions Albin Michel, 1996) ou « L’Histoire de la lecture dans le monde occidental » (avec Guglielmo Cavallo, aux Éditions du Seuil, 1997-2001)…

et dans le champ des explorations lucidissimes d’un Bernard Stiegler _ par exemple dans l’important « Pour en finir avec la mécroissance«  (avec les contributions éclairantes d’Alain Giffard et de Christian Fauré, aux Éditions Flammarion en 2009) ; cf mon article du 31 mai 2009 : « Très fortes conférences…«  _

et d’un Régis Debray en son « labourage » méthodique de la « médiologie » _ « Cahiers de médiologie : une anthologie« 

Voici cette contribution à l’action de connaissance, ainsi qu’au débat, de Bruno Racine, ce jour _ avec mes farcissures ! (ou sans : « Il ne faut pas édifier de ligne Maginot« , au choix…) _ :

« Après avoir bouleversé les industries de la musique et de l’audiovisuel, la lame de fond numérique _ voilà la « révolution en marche » !.. pas rien qu’un tsunami ponctuel ! une irréversible fractale qui modifie sans retour toute la géographie installée des continents !.. _ aborde au rivage du livre. Ne pleurons pas la fin d’un monde : l’histoire de l’écrit _ cf Roger Chartier et Régis Debray, passim _ est jalonnée d’évolutions techniques _ successives ; Bernard Stiegler renvoie régulièrement au travail-maître de Sylvain Auroux « La révolution technologique de la grammatisation« , paru aux Éditions Pierre Mardaga, le 1er avril 1995… _ qui en ont modifié le support, le contenu et les modes de lecture _ un objet d’analyse passionnant ! et aux enjeux (« civilisationnels« ) assez considérables (cf Bernard Stiegler…) que ces « modes de lecture«  ; ainsi que leur(s) « déstabilisation« (s) _, entraînant dans leur sillage les mutations culturelles et économiques successives qui fondent _ de fait ? de droit ? _ notre civilisation _ pouvant aussi l’effondrer ?.. Et ce ne sont pas (jamais) tout à fait les mêmes (personnes, classes, institutions, États, etc… : en tout cas des forces qui avancent leurs pions, se taillent des territoires…) qui en « profitent«  ; ou en subissent les conséquences… Des batailles féroces se livrant sur ces « champs » : « réformes«  (et « contre-réformes« ), « révolutions » (et « contre-révolutions« ), etc… Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle étape de cette histoire. Les maillons traditionnels de ce qu’il est convenu d’appeler en France « la chaîne du livre » s’en trouvent bousculés _ et doivent y réagir ; envisager, sinon une riposte, du moins une stratégie, non seulement de « survie » plus ou moins « précautionneuse« , mais d’« adaptation« , ou plutôt « accommodation«  (un distinguo crucial !) offensive ; de « mise à profit » (et « conquête » !) : en déterminant, au-delà simplement des moyens à mettre en œuvre, les finalités (essentielles !) à servir ; et selon quelles priorités (ou hiérarchie) !!!

L’arrivée en Europe du Kindle d’Amazon, l’annonce par Google de l’ouverture prochaine d’un service de librairie en ligne _ et à rien moins que l’échelle du monde : instantanément, quasiment, ainsi « googelisé » ?.. _ et, bien plus largement, la révolution de l’accès au savoir _ sans tri ? sans le tamis de quelque « krisis » (= une « critique« … ; relire, après le « Socrate«  rendu à jamais (en dépit de ses propres arguments : éternisés, in « Phèdre« , contre l’écrit !) accessible, en sa « voix« , par les « Dialogues«  de Platon (qui envisage et œuvre pour une autre forme de pouvoir ! que celle de Socrate…) ; relire, donc, Kant : sa décisive « Critique du jugement«  !..) ? _ rendue possible par les nouvelles technologies de l’information et de la communication _ Bernard Stiegler préfèrant, quant à lui, substituer à ces expressions (« obsolètes« , dit-il) celles de « technologies cognitives et culturelles«  _ suscitent des inquiétudes _ voire des paniques _ parmi lesquelles il importe de faire le tri _ voici l’apport que se propose de nous offrir en cet article Bruno Racine. Le numérique invite à reconsidérer la définition même de l’objet livre _ peut-être : en sa matérialité physique, manipulable : tourner ses pages au rythme de lecture et de notre œil et de notre intellect, du moins… _ et à repenser l’écosystème _ vaste, riche, complexe ; matérialisé, lui aussi, notamment, en des murs d’« entreprises«  ayant pignon sur rue ; investies dans de la pierre aussi… _ qui s’est construit autour de lui. La numérisation massive des fonds conservés par les bibliothèques _ oui ! _ et l’usage qui en est fait _ plus encore : il s’agit bien sûr de « services » (plus ou moins publics ou privés, aussi : les enjeux socio-politiques en sont considérables ! et « civilisationnels« , je ne dis pas !!! cf le jeu des forces qui s’y empoignent, à commencer électoralement ! mais à quels degrés de conscience ??? bien divers…)… _ par des opérateurs privés _ nous y voici ! et voilà ce qui mobilise aujourd’hui, en cet article-ci, et la réflexion et la plume de Bruno Racine _ transforment notre rapport _ à tous et à chacun : lecteurs alphabétisés (et plus ou moins « cultivés« , au participe passé, et « se cultivant« , au participe (actif et créatif !) présent !.. y compris ces « oisifs qui lisent«  que Nietzsche, en son indispensable (« Ainsi parlait Zarathoustra _ un livre pour tous et pour personne« , Livre premier, chapitre « Lire et écrire« ), disait « haïr«  !.. : « je hais les oisifs qui lisent«  ; et « se crétinisent« , pourrions-nous préciser ; même si des moyens beaucoup plus performants en vitesse (audio-visuels) ont été depuis mis en place pour y aider… _ au patrimoine écrit _ que gèrent, notamment, des bibliothèques telle que celle (Nationale de France) dont Bruno Racine a présentement la responsabilité politique…


Parallèlement, les liseuses, téléphones intelligents et ordinateurs de poche se multiplient et offrent des supports de lecture supplétifs _ voilà _ du livre papier dont on aurait tort toutefois de prédire la disparition prochaine _ en effet : à preuve par l’exemple : une librairie performante comme la librairie Mollat est, en ce temps de crise, assez richement « achalandée«  ; on afflue en ses nombreuses allées… Enfin, la place prise dans l’économie de la culture par les grands opérateurs privés du numérique _ voilà ! _ et leur pénétration rapide _ oui _ des marchés français et européens abolissent les frontières des métiers du livre _ certes _ et en ébranlent les fondements économiques et juridiques _ un fait très important : une dynamique qui ignore le vide en s’y engouffrant…

Prenons garde à ne pas tomber dans la déploration prématurée _ sans rien faire contre ce qui la menace ? cf à nouveau Bernard Stiegler, « Pour en finir avec la mécroissance » et « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations » ; même si celui-ci ne se tient certes pas dans le registre de la « déploration«  ! ni de l’inactivité !.. ce n’est pas un « mélancolique«  _ de la mort de la lecture attentive _ s’en soucier, cependant : à l’école ! tellement esquintée, cette école ; si peu (et mal) centrée sur l’activité exigeante et formatrice d’actants authentiquement dynamiques !.. _, de l’agonie des circuits de distribution et de médiation classiques _ l’édition, les librairies _, voire de la fin programmée de l’exception culturelle française _ assez mal en point sous les coups de boutoir des auto-prétendus « réalistes » « aux manettes«  en France comme à l’Union Européenne (et ailleurs aussi…)… _, sans voir aussi dans cette nouvelle donne _ offerte et imposée par les applications avancées de ces applications inventives et pragmatiques, elles-mêmes, du numérique _ un formidable élan vers des formes d’expression, de création et de partage inédites _ en effet ! à commencer par un blog tel que celui-ci !..

Nouvelle donne

Il n’y a là nul angélisme : le numérique interpelle _ dynamiquement ! _ la chaîne du livre et ses acteurs traditionnels _ et met au défi les ressources du « génie » (= l’ingéniosité ; appuyée sur l’ingénierie…) pour y « répondre » efficacement : autrement que par quelque « ligne Maginot » (en 39-40 ; lire ici Marc Bloc : « L’Etrange défaite«  : admirable analyse de la défaite…), si l’on s’appuie déjà sur la métaphore (militaire) du titre de l’article, mise en avant par Bruno Racine en son titre ici… La législation sur la propriété littéraire et le système de rémunération des auteurs ne pourront rester immuables _ sans doute. La question du prix du livre numérique, les modalités de réutilisation et de partage des fichiers, leur protection et leur sauvegarde, ou encore l’interopérabilité de leurs formats constituent autant d’enjeux majeurs _ certes ! _ qui doivent faire l’objet d’une concertation _ dont l’ordre est à préciser ! _ avec les pouvoirs publics _ à quel échelon ? que sont-ils ? que valent-ils (en terme de « démocratie« , veux-je dire…) ? _ et ne peuvent _ en droit ? selon quels fondements ? une question aussi « à creuser » d’urgence ! au secours Antoine Garapon ! et Mireille Delmas-Marty ! _ faire les frais _ certes ! _ de règles imposées _ sans répliques… _ par les seuls opérateurs privés _ qui ont aussi le bras assez long politiquement (cf les lobbies de Bruxelles, aussi ; et d’ailleurs…). La nouvelle donne numérique _ s’installant ainsi très vite _ implique de redéfinir _ et très urgemment _ les liens qui unissent ces acteurs _ certes ! « embarqués« , volens nolens, sur un même bateau… La Bibliothèque nationale de France (BNF) s’y est attelée depuis plusieurs années _ dont acte, Monsieur le Président…

Le signalement d’ouvrages de l’édition contemporaine dans « Gallica« , qui met en place une offre légale et payante de contenus sous droits, participe d’une volonté d’établir de nouveaux modèles économiques _ oui _ et de contribuer à fédérer _ certes : un concept utile… (en phase de faiblesse…) _ la chaîne du livre français. Les discussions menées _ maintenant _ par la BNF avec des partenaires privés s’inscrivent dans le dialogue nécessaire _ vitalement ! _ avec les nouveaux acteurs du numérique _ partenaires de « négociations«  devenus (bien) « obligés«  _ et ne constituent en aucun cas un renoncement _ nous notons bien le distinguo… _ à ses missions de service public _ officielles ; statutaires _ qui consistent notamment à diffuser ses fonds patrimoniaux _ un bien public fondamental, en effet.

Qu’ils s’appellent Google ou Amazon, les géants du numérique ont su _ de fait ! _ séduire l’internaute _ sur un marché d’offre « libre«  Ils font peur parce qu’ils sont dotés de moyens financiers sans commune mesure _ sur le marché de fait (voire la « guerre« ) de la concurrence _ avec les nôtres, et parce que leurs desseins, en profondeur _ voilà le principal : les finalités sous-jacentes ; et le plus souvent masquées : hors d’atteinte des décisions (et d’abord débats) politiques authentiquement (ou même pas, d’ailleurs !) « démocratiques«  !!! _, diffèrent de nos attentes. Alors, menace, concurrence ou complémentarité ? Tout dépendra du rapport de forces _ voilà ! et celui-ci dépend de ce que font (et avec quel succès) ou ne font pas (ou font mal) les divers « acteurs » de ce jeu (qui s’impose à eux) en situation (au départ du moins) défensive ; réagissant (avec un petit temps de retard) aux offensives d’autres, plus entreprenants et avec de remarquables succès… Ce qui est certain, c’est que l’on ne répondra pas à ce défi _ en effet _ en édifiant d’improbables « lignes Maginot« , comme l’a dit le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand _ le ministre de tutelle de Bruno Racine ; et dont l’oncle avait pu lire le « Vers l’armée de métier » d’un certain Charles de Gaulle, publié en 1934...

En France et en Europe, les libraires, les éditeurs, les bibliothèques sont loin d’être démunis _ certes _ : leur histoire, leur savoir-faire, leurs fonds sont des atouts de poids, mais ces atouts risquent d’être très amoindris _ voilà une donnée conjoncturelle, ou circonstancielle, si l’on veut, importante en une « guerre de mouvements » comme celle qui fait l’objet de l’article (et des soins, sur le terrain, plus encore !) de Bruno Racine… _ si chacun agit en ordre dispersé. La lame de fond numérique n’a pas encore _ voilà _ déferlé sur la chaîne du livre _ dont les maillons ont une « solidarité » factuelle ! _, mais tous les signes précurseurs sont là _ avec la conséquence que « à bon(s) entendeur (s), salut !«  Si, grâce à l’engagement de l’Etat et de l’Union européenne, les différents acteurs savent s’unir _ est-ce donc un « savoir » difficile ? y aurait-il, aussi, « des loups » déjà « dans la bergerie«  ?.. _ sur des positions communes _ et lesquelles ?.. _, il sera possible de faire prévaloir _ voilà ! _ la diversité des contenus _ une donnée factuelle, sinon « de droit« , importante jusqu’ici des cultures européennes _ et le rayonnement de notre culture » _ menaçant, lui, d’être de plus en plus « éteint«  ; toutefois, on peut aussi s’inquiéter du précédent de ce que déjà la France ou l’Europe n’a (ou n’ont) pas su faire dans l’immédiat après-guerre sur le front de l’industrie cinématographique (face à  l’entreprise « Hollywood« ) ; je me souviens bien d’avoir entendu, il y a quelques années à Mérignac, au « Pin Galant« , une intervention particulièrement judicieuse sur ce fait historique-là de Catherine Lalumière, lors d’une « rencontre« , autour de l’« Europe de la culture« , organisée par Sylviane Sambor (et le « Carrefour des Littératures« ) ; étaient présents aussi, je me souviens, José Saramago et Eduardo Lourenço…

Titus Curiosus, ce 31 octobre 2009

Post-scriptum :

A cet article (d' »alerte«  :

en faveur d’une action véritablement « commune » des acteurs concernés)

de Bruno Racine,

je joins ici l’article de Roger Chartier cité plus haut,

« L’avenir numérique du livre«  _ toujours avec mes farcissures ;

ou sans : « L’avenir numérique du livre« , au choix…) _ :

« Googlez « google » sur Google Recherche dans www.google.fr : l’écran indique la présence du mot et de la chose dans « environ 2 090 000 000 » documents. Si vous n’êtes pas inquiet du sacrilège, renouvelez l’opération en googlant « dieu » : « environ 33 000 000 » de documents vous seront alors proposés.

La comparaison suffit pour comprendre pourquoi, ces derniers mois ou ces dernières semaines, tous les débats à propos de la constitution de collections numériques ont été hantés _ voilà ! _ par les incessantes initiatives _ de légitimité à examiner _ de l’entreprise californienne. La plus récente, annoncée il y a quelques jours à la Foire du livre de Francfort, est le lancement de la librairie numérique payante Google Edition, qui exploitera commercialement une partie des ressources accumulées dans Google Books.

L’obsession « googlienne« , aussi légitime soit-elle, a pu faire oublier certaines des questions fondamentales _ ce sont celles-là que Roger Chartier commence dans cet article-ci à inventorier _ que pose la conversion numérique _ cf « La Grande conversion numérique«  de Milad Doueihi, aux Éditions du Seuil _ de textes existant dans une autre matérialité, imprimée ou manuscrite. Cette opération _ de numérisation _ est au fondement même de la constitution de collections numériques permettant l’accès à distance des fonds conservés dans les bibliothèques.

Bien fou serait celui qui jugerait inutile ou dangereuse cette extraordinaire possibilité offerte à l’humanité. « Quand on proclama que la bibliothèque comprenait tous les livres, la première réaction fut un bonheur extravagant », écrit Jorge Luis Borges _ in « La Bibliothèque de Babel« , dans le (grand !) recueil « Fictions«  _ ; et c’est une même immédiate félicité que produit la nouvelle Babel numérique. Tous les livres pour chaque lecteur, où qu’il soit : le rêve est magnifique, promettant un accès universel aux savoirs et à la beauté _ wow !

Il ne doit _ cependant _ pas faire perdre raison. Le transfert du patrimoine écrit d’une matérialité à une autre n’est _ certes _ pas _ en effet _  sans précédents _ historiques. Au XVe siècle, la nouvelle technique de reproduction des textes _ par l’imprimerie _ se mit massivement au service _ forcément ! _ des genres qui dominaient _ déjà _ la culture du manuscrit : manuels de la scolastique, livres liturgiques, compilations encyclopédiques, calendriers et prophéties.

Dans les premiers siècles de notre ère, l’invention du livre qui est encore le nôtre, le codex, avec ses feuillets, ses pages et ses index _ un tournant décisif _, accueillit dans un nouvel objet les écritures chrétiennes et les œuvres des auteurs grecs et latins. L’histoire n’enseigne _ cf déjà Hegel… _ aucune leçon, malgré le lieu commun, mais, dans ces deux cas, elle montre un fait essentiel pour comprendre le présent, à savoir qu’un « même » texte n’est plus le même _ voilà !!! _ lorsque change le support de son inscription ; donc, également, les manières de le lire et le sens que lui attribuent ses nouveaux lecteurs _ soient ses « réceptions » actives ; soit toute une « constellation«  vibrionnante cruciale (= « contextuelle«  mouvante…) tout « autour«  de ce « texte« 

Les bibliothèques _ professionnellement, en quelque sorte… _ le savent, même si certaines d’entre elles ont pu avoir, ou ont encore, la tentation de reléguer loin des lecteurs, voire de détruire, les objets imprimés dont la conservation semblait assurée par le transfert sur un autre support : le microfilm et la microfiche d’abord, le fichier numérique aujourd’hui. Contre cette mauvaise politique, il faut rappeler que protéger, cataloguer et rendre accessible (et pas seulement pour les experts en bibliographie matérielle) les textes dans les formes successives ou concurrentes qui furent celles où les ont lus leurs lecteurs du passé, et d’un passé même récent, demeure une tâche fondamentale _ une mission de « droit«  universelle… _ des bibliothèques _ et la justification première _ voilà ! _ de leur existence comme institution et lieu de lecture _ publics ! et « universels«  (« de droit«  !)…

A supposer que les problèmes techniques et financiers de la numérisation aient été résolus ; et que tout le patrimoine écrit puisse être _ très effectivement _ converti sous une forme numérique, la conservation et la communication de ses supports antérieurs n’en seraient pas moins _ elles aussi _ nécessaires _ « de droit«  ! donc… Sinon, le « bonheur extravagant » promis _ aux « lecteurs » les plus curieux et boulimiques, du moins ; tels un Borges ; ou un Bioy… _ par cette bibliothèque d’Alexandrie enfin réalisée se paierait au prix fort de l’amnésie _ on ne peut plus effective : dans les têtes de millions de personnes !.. pas aussi curieuses, ni boulimiques qu’un Borges… _ des passés qui font que les sociétés sont ce qu’elles sont.

Et ce d’autant plus que la numérisation des objets de la culture écrite qui est encore la nôtre (le livre, la revue, le journal) leur impose une mutation bien plus forte _ aujourd’hui _ que celle impliquée _ jadis _ par la migration des textes du rouleau au codex. L’essentiel _ nous y voici !!! _ ici me paraît être la profonde transformation de la relation _ à effectuer ! par le « lecteur«  effectif… _ entre le fragment et la totalité _ cette dernière se trouvant alors « oubliée« , effacée des esprits ainsi « oublieux« 

Au moins jusqu’à aujourd’hui, dans le monde électronique, c’est la même surface illuminée de l’écran de l’ordinateur qui donne à lire les textes, tous les textes _ identiquement, ainsi… _, quels que soient leur genre ou leur fonction _ sans nul « relief« , ni « hiérarchie«  Est ainsi rompue la relation _ effective… _ qui, dans toutes les cultures écrites antérieures, liait étroitement des objets, des genres et des usages _ avec reliefs et hiérarchies, précisément ; rappelés par la matérialité même des « supports » et des « cadres » (de l’opération de « lecture« ) forcément sensiblement perçus… C’est cette relation qui organise les différences immédiatement perçues _ voilà ! par des personnes qui en soient (vraiment !) ; soient des « lecteurs« , et pas de simples « déchiffreurs » (d’« informations« ) _ entre les différents types de publications imprimées _ proposées ! _ et les attentes _ esquissées, avancées, construites _ de leurs lecteurs _ actifs _, guidés dans l’ordre ou le désordre des discours par la matérialité même _ voilà ! _ des objets qui les portent _ matériellement _ cf dans cet « ordre de choses« , la difficilement résistible expansion actuelle des feuilles de journaux « gratuits« 

Et c’est cette même relation qui rend visible _ au « lecteur«  un peu plus que « déchiffreur«  _ la cohérence _ et « consistance«  aussi … _ des œuvres _ au-delà de la « page«  lue _, imposant la perception _ par le « lecteur«  _ de l’entité textuelle _ intégrale _, même à celui qui n’en veut lire que quelques pages. Dans le monde de la textualité numérique, les discours ne sont plus inscrits dans des objets _ matériels spécifiques : le livre, la revue, le journal, etc… _, qui permettent de les classer, hiérarchiser _ voilà _ et reconnaître dans leur identité propre _ voire singulière. C’est un monde de fragments décontextualisés, juxtaposés _ épars, quasi brisés (schizophréniquement…)… _, indéfiniment recomposables _ en d’infinies alternatives (kaléidoscopiques !) dénuées le plus souvent de tout « relief« _, sans que soit nécessaire ou désirée _ ni même seulement envisagée !.. par qui « déchiffre«  à la va-vite… _ la compréhension de la relation qui les inscrit _ voilà ; et les « relie » avec une certaine « consistance » ainsi... _ dans l’œuvre dont ils ont été extraits _ ou « coupés«  (« schizés« …) : la signification même de la réalité (et « consistance« , donc) d’une « œuvre » pouvant aller, même, jusqu’à être « perdue de vue« , « noyée« 

On objectera qu’il en a toujours été ainsi dans la culture écrite, largement et durablement construite _ in concreto _ à partir de « recueils » d’extraits, d' »anthologies » de lieux communs (au sens noble de la Renaissance), de « morceaux choisis« . Certes. Mais, dans la culture de l’imprimé, le démembrement _ voilà ! la « mise en pièces«  par charcutage… _ des écrits est accompagné de son contraire _ tout aussi effectif _ : leur circulation _ physique _ dans des formes qui respectent leur intégrité et qui, parfois, les rassemblent _ toujours physiquement ; pour commencer, du moins… _ dans des « œuvres« , complètes ou non. De plus, dans le livre lui-même, les fragments sont nécessairement, matériellement, rapportés à une totalité textuelle, reconnaissable _ matériellement, donc _ comme telle..

Plusieurs conséquences découlent de ces différences fondamentales _ entre le jadis (le codex, puis le livre imprimé) et le maintenant « numérique«  L’idée même de « revue » devient incertaine, lorsque la consultation des articles n’est plus liée à la perception immédiate d’une logique éditoriale _ entreprise par un éditeur ou une équipe éditoriale : « responsable« … _ rendue visible _ in concreto _ par la composition de chaque numéro ; mais est organisée à partir d’un ordre _ seulement _ thématique _ inerte _ de rubriques. Et il est sûr que les nouvelles manières de lire _ le plus souvent proches du déchiffrage minimal… _, discontinues et segmentées _ kaléidoscopiques _, mettent à mal les catégories qui régissaient le rapport _ activement pensé, lui… _ aux textes et aux œuvres, désignées, pensées _ voilà ! _ et appropriées dans leur singularité et cohérence _ et mises en relation à des « auteurs« , responsables de leur signature, en bout de « ligne«  de ces diverses opérations et « acteurs« 

Ce sont justement ces propriétés fondamentales de la textualité numérique et de la lecture face à l’écran _ tels étant les facteurs à prendre ici en compte _ que le projet commercial de Google entend exploiter _ à divers égards. Son marché _ c’est là sa logique dominante ! _ est celui de l’information _ ponctuelle (et rapide : « Time is money«  ; comme « Money is time« ) ; pas celui de la pensée, de la méditation, de la réflexion, de la culture critique « filée« Les livres, tout comme d’autres ressources numérisables, constituent un immense gisement _ quasi immédiatement disponible _ où elle _ cette « information« , donc _ peut être puisée _ et livrée telle quelle, plus ou moins (et plutôt plus que moins…) brute… Comme l’a écrit Sergey Brin, l’un des cofondateurs de l’entreprise _ Google _ : « Il y a _ en soi, déjà là… _ une fantastique quantité _ juteusement intéressante ! _ d’informations dans les livres. Souvent, quand je fais une recherche _ au moins thématiquement « active » !.. _, ce qui se trouve _ déjà ; « placé«  là (pas n’importe comment !) par un « auteur«  : en effet !.. _ dans un livre est cent fois au-dessus de ce que je peux trouver sur un site électronique » _ faute de « vrais » « auteurs » ; de « vraies » « personnes« , commenterais-je…

De là, la perception immédiate et naïve de tout livre, de tout discours comme une banque de données _ la métaphore est déjà parlante… _ fournissant les « informations » à ceux qui les cherchent. Satisfaire cette demande et en tirer profit, tel est le premier but _ pragmatique à très court terme (faute de « patience«  sollicitée…) ; et très juteux : pour l’entreprise au premier chef ! _ de l’entreprise californienne ; et non pas construire une bibliothèque universelle _ à la Borges de la nouvelle de « Fictions«  _ à la disposition de l’humanité.

Google ne semble d’ailleurs pas très bien _ technologiquement _ équipé pour le faire, à en juger par les multiples erreurs de datation, de classification et d’identification produites par l’extraction automatique _ certes : algorithmique… _ des données et relevées avec ironie par Geoffrey Nunberg _ dans son article « Google’s Book Search: A Disaster for Scholars«  _ dans The Chronicle of Higher Education du mois d’août _ le 31 août précisément. Pour le marché de l’information, ces bévues sont secondaires _ statistiquement négligeables eu égard à la somme (= foultitude !) des « services rendus«  informationnels… Ce qui importe, c’est l’indexation et la hiérarchisation des données et les mots-clés et rubriques qui permettent d’aller au plus vite _ le temps et l’argent pressent !.. _ aux documents les plus « performants » _ « thématiquement » (et non « problématiquenent« , pour reprendre un distinguo très utile d’Élie During _ cf mon article du 17 avril 2009 : « élégance et probité d’Elie During…« … ;

voici la citation : « La pensée a une forme, mais elle doit se comprendre dans toute son extension, de façon à y inclure formats et dispositifs, gestes et procédés _ disait Elie During _ : c’est là le facteur décisif ; ce qui distingue irrémédiablement une problématique (effective : dynamisante !) d’une thématique (inerte ; et par là stérilisante, plombante : aveugle et sans filiation en aval) ; problématique où se donne à ressentir (et retentir, pour commencer) la complexité en jeu des modalités actives de l’espace et du temps, tout d’abord » ; fin de la citation de cet article du 17 avril…),

selon la satisfaction « de fait«  (et non « de droit«  !..) des « usagers« 

Cette géniale découverte d’un nouveau marché _ fructueux pour l’entreprise initiatrice _, toujours en expansion, et les prouesses techniques qui donnent à Google un quasi-monopole sur la numérisation de masse ont assuré le grand succès et les copieux bénéfices _ voilà ! tel étant l’« étalon«  de mesure de la valeur (marchande) ! _ de cette logique commerciale. Elle suppose la conversion électronique de millions de livres, tenus comme une inépuisable mine d’informations  _ voilà…

Elle exige, en conséquence, des accords passés ou à venir avec les grandes bibliothèques du monde _ principaux « lieux«  (et aisément repérables !) de ce « gisement« _, mais aussi, comme on l’a vu, une numérisation d’envergure _ c’est la « somme » totale qui « compte«  ; on ne regarde pas tant au « détail« … ; le raisonnement, quantitatif, fonctionne sur de « grandes masses«  _, guère préoccupée par le respect _ et selon quelles normes de droit ? là où tout, « sans tabous« , « se négocie » et « se marchande«  _ du copyright ; et la constitution d’une gigantesque base de données, capable d’en absorber d’autres et d’archiver _ aussi : vive la capacité mémorielle simplement algorithmique !… _ les informations les plus personnelles sur les internautes _ = un gigantesque fichier (à exploiter, comme à vendre…) de clients potentiels !.. _ utilisant les multiples services proposés par Google.

Toutes les controverses actuelles _ qui agitent les divers « acteurs » de ce « jeu«  aux enjeux capitaux ! du devenir et du « livre«  et de la « lecture«  elle-même… _ dérivent de ce projet premier _ de Google. Ainsi, les procès faits par certains éditeurs (par exemple La Martinière) pour reproduction et diffusion illégales d’œuvres sous droits ; ou bien l’accord passé entre Google et l' »Association des éditeurs » et la « Société des auteurs » américains, qui prévoit le partage des droits demandés pour l’accès aux livres sous copyright (37 % pour Google, 63 % pour les ayants droit)… Ce « settlement » inquiète _ en effet _ le Department of Justice puisqu’il pourrait constituer une possible infraction à la loi antitrust ; et il reviendra le 9 novembre devant le juge new-yorkais chargé de le valide _ puis à la Cour suprême des Etats-Unis…

Ou encore, le lancement spectaculaire de Google Edition, qui est, en fait, une puissante librairie numérique _ « en ligne« _ destinée à concurrencer Amazon dans la vente _ on ne peut plus effective… _ des livres électroniques. Sa constitution a été rendue possible par la mainmise de Google _ déjà _ sur cinq millions de livres « orphelins« , toujours protégés par le copyright _ certes _, mais dont les éditeurs ou ayants droit ont disparu _ et ne se plaindront donc pas ! _, et par l’accord qui légalisera _ par transaction « amiable«  _, après coup, les numérisations pirates _ d’abord « illégales » ; mais plus ensuite de cela : merci les avocats et les juges…

Les représentants de la firme américaine courent _ donc _ le monde et les colloques pour proclamer _ urbi et orbi _ leurs bonnes intentions _ rhétoriques _ : démocratiser l’information ; rendre accessible les livres indisponibles ; rétribuer correctement auteurs et éditeurs ; favoriser une législation sur les livres « orphelins« . Et, bien sûr, assurer la conservation « pour toujours » d’ouvrages menacés par les désastres qui frappent les bibliothèques _ comme le rappelle _ si opportunément : à la bonne heure !.. _ Sergey Brin dans un article _ « A Library to Last Forever«  _ récent _ le 8 octobre _ du New York Times, où il justifie l’accord soumis au juge par les incendies qui détruisirent la bibliothèque d’Alexandrie ; et, en 1851, la bibliothèque du Congrès _ de Washington : « pour durer éternellement«  ; enfin !.. ô la merveilleuse « assurance«  (contre la mort même)…

Cette rhétorique _ juridique, commerciale et idéologique : oui ! relire ici la force de la mise en garde de Socrate in le plus que jamais pertinent (et urgent) « Gorgias«  de Platon… _ du « service du public » et de la « démocratisation universelle » ne suffit _ hélas _ pas pour lever les préoccupations _ de droit, surtout _ nées des entreprises de Google. Dans un article _ « Google & the Future of Books«  _ du New York Review of Books du 12 février et dans un livre très bientôt publié « The Case for Books : Past, Present and Future » (Public Affairs), Robert Darnton convoque les idéaux des Lumières pour _ nous _ mettre _ tous _ en garde contre _ l’impérialisme de _ la logique du profit _ non désintéressé _ qui gouverne les entreprises googliennes. Certes, jusqu’ici une claire distinction est établie entre les ouvrages tombés dans le domaine public, qui sont accessibles gratuitement sur Google Books, et les livres sous droits, orphelins ou non, dont l’accès et maintenant l’achat sur Google Edition sont payants.

Mais rien n’assure que dans le futur l’entreprise, en situation de monopole _ avec ce qui en découle pragmatiquement… _, n’imposera pas _ de fait, et selon ce que devient, de par le monde (et les États…), la « Justice«  _ des droits d’accès ou des prix de souscription considérables _ en l’absence de concurrence effective alors… _ en dépit de l’idéologie _ doucereuse, sirénique… _ du bien public et de la gratuité qu’elle affiche _ généreusement _ actuellement. D’ores et déjà, un lien existe _ bien _ entre les annonces publicitaires, qui assurent les profits considérables _ voilà ! _ de Google, et la hiérarchisation _ essentiellement comptable… _ des « informations » qui résulte de chaque recherche _ d’« utilisateurs » internautes… _ sur Google Search _ certes : beaucoup le « savent«  déjà ; mais pas tous ; pardon pour l’euphémisme !..

C’est dans ce contexte _ historique : de court comme de long (et très long) terme : brûlamment « actuel«  donc !.. _ qu’il faut situer les débats suscités par la décision _ d’ores et déjà advenue _ de certaines bibliothèques de confier la numérisation de tout ou partie de leurs collections à Google, dans le cadre d’une convention ; ou, plus rarement, d’un appel d’offres _ concurrentiel, lui… Dans le cas français, de tels accords et les discussions ouvertes pour en signer d’autres ne concernent jusqu’à maintenant que les livres du domaine public _ ce qui, on l’a vu, ne protège pas les autres, scannés dans les bibliothèques américaines. Faut-il poursuivre dans cette voie ?

La tentation _ pragmatico-économique _ est forte dans la mesure où les budgets réguliers _ fort minces ; et le plus souvent en fortes baisses !.. _ ne permettent pas de numériser _ in concreto_ beaucoup et vite. Pour accélérer la mise en ligne, la Commission européenne, les pouvoirs publics et certaines bibliothèques ont donc pensé _ jugé… _ qu’étaient nécessaires _ plus qu’utiles : judicieux, financièrement d’abord… (et par là « légitimes«  !.. dans « le monde tel qu’il va«  désormais ; « réalistement« , donc !.. au moins eu égard à la pression des « comptables«  !..) _ des accords avec des partenaires privés et, bien évidemment, avec le seul qui _ de fait _ a _ présentement _ la maîtrise technique (d’ailleurs gardée secrète _ forcément !..) autorisant des numérisations massives _ inutile de le nommer… Au nom du « réalisme«  pragmatique le mieux entendu…

De là, les négociations, d’ailleurs prudentes et limitées, engagées entre la Bibliothèque nationale de France (BNF) et Google. De là les désaccords _ se faisant jour, de-ci, de-là… _ sur l’opportunité _ ou « légitimité » ?.. selon quels « fondements » ?.. _ d’une telle démarche, tant en France qu’en Suisse, où le contrat signé entre la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne et Google a entraîné une sérieuse discussion (_ « Google dévore les livres« _ Le Temps du 19 septembre).

A constater la radicale différence qui sépare les raisons, les modalités et les utilisations des numérisations des mêmes fonds lorsqu’elle est portée par les bibliothèques publiques et _ c’est là l’autre terme de l’alternative ! _ par l’entreprise californienne, cette prudence est plus que justifiée ; et pourrait, ou devrait, conduire _ par prudence quant à la détermination de qui dispose du « final cut » !.. ; et de qui s’en dessaisit… _ à ne pas céder à la tentation. L’appropriation privée _ voilà ! _ d’un patrimoine public, mis à disposition d’une entreprise commerciale, peut apparaître comme choquante _ bel euphémisme…

Mais, de plus, dans de nombreux cas, l’utilisation par les bibliothèques de leurs propres collections numérisées par Google (et même s’il s’agit d’ouvrages du domaine public) est _ d’ores et déjà _ soumise à des conditions _ acceptées par contrat signé par elles : un « passage«  par quelques « fourches caudines » ?.. _ tout à fait inacceptables, telles que l’interdiction d’exploiter les fichiers _ ainsi _ numérisés _ « de leurs propres collections« , donc !.. _ durant plusieurs décennies ; ou celle de les fusionner avec ceux d’autres bibliothèques. Tout aussi inacceptable _ eu égard au droit public des démocraties : dont le « souverain » demeure (en théorie) « le peuple« _ est un autre secret : celui qui porte sur les clauses _ notamment financières ; mais pas seulement, loin de là… _ des contrats signés avec chaque bibliothèque.

Les justes réticences _ avance donc Roger Chartier, s’en faisant ici le rapporteur… _ face à un partenariat _ cf Jean de La Fontaine : « Le Pot de terre et le Pot de fer« , « Fables« , V, 2… ; et « Les Animaux malades de la peste« , VII, 1 ; voire « Le Chat, la belette et le petit lapin« , VII, 16 _ aussi risqué _ telle la signature d’un chèque en blanc ?.. _ ont plusieurs conséquences _ quant à des mesures de garanties préventives à prendre impérativement et d’urgence ! D’abord, exiger _ pour les éventuels contrats à passer : mais comment l’obtenir concrètement, au-delà de (vagues, si elles sont seulement énoncées…) « promesses«  qui ne seront guère (ou pas du tout !) tenues… ; on ne peut plus cyniquement… _ que les financements publics des programmes de numérisation soient _ de la part des gouvernements des États ! _ à la hauteur des engagements, des besoins et des attentes _ des usagers les mieux exigeants _ ; et que les États _ que deviennent-ils donc, eux-mêmes, au fait (!), par les temps qui courent ?.. _ ne se défaussent pas sur des opérateurs privés _ comme cela se pratique pourtant de plus en plus ; et s’affiche même comme « ligne politique«  « saine«  !.. _ des investissements culturels à long terme qui leur incombent _ l’acceptent-ils donc ? ces États ?.. et devant les « peuples » ? dont ils ne sont, in fine, que les « représentants«  (strictement contractuels, « mandatés«  ; et pour une période strictement limitée) ?..

Ensuite, décider des priorités _ sans abandonner un tel pouvoir de décision (du choix de ces « priorités« …) à d’autres ; et contrôler ce qu’il en advient… _, sans nécessairement penser que tout « document » a _ en soi _ vocation à devenir numérique ; puis, à la différence du « gisement d’informations » googlien, construire _ d’intelligence « la meilleure » (en consultant « vraiment » des « autorités » « culturelles » incontestables compte tenu des formidablement majeurs ! enjeux « civilisationnels«  !) ; pas seulement l’intelligence performante technologiquement ; ou rien que rentable financièrement… : il s’agit là rien moins que de la responsabilité des « valeurs«  de référence de notre « monde commun«  à bâtir (cf Cornélius Castoriadis : « L’Institution imaginaire de la société » ; ou Bernard Stiegler : passim : par exemple « Mécréance et discrédit«  _ des collections numériques cohérentes, respectueuses des critères d’identification et d’assignation des discours qui ont organisé et organisent encore la culture écrite et la production imprimée _ un point capital !

L’obsession, peut-être excessive et indiscriminée, pour la numérisation ne doit pas _ non plus _ masquer un autre aspect de la « grande conversion numérique », pour reprendre l’expression du philosophe Milad Doueihi _ cf « La Grande conversion numérique« , aux Éditions du Seuil _, qui est sans doute, avec Antonio Rodriguez de las Heras _ l’auteur du livre électronique « Los estilitas de la sociedad tecnológica« , notamment… _, l’un de ceux qui insistent sur la capacité de la nouvelle technique à porter des formes d’écriture originales _ vraiment ! _, libérées des contraintes imposées, à la fois, par la morphologie du codex et le régime juridique du copyright _ c’est un facteur intéressant… Cette écriture palimpseste et polyphonique, ouverte et malléable, infinie et mouvante _ ce peut-être une richesse de vraie « création«  de la part du « génie » humain, en effet ; et de ses capacités formidables de « progrès«  (authentique !)… _, bouscule les catégories qui, depuis le XVIIIe siècle, sont le fondement de la propriété littéraire.

Ces nouvelles productions écrites, d’emblée numériques _ tels les blogs… _, posent dès maintenant la difficile question _ concrète et hypertechnologique _ de leur archivage et de leur conservation. Il faut y être attentif _ aussi ! _ ; même si l’urgence aujourd’hui _ et la priorité, selon Roger Chartier _ est de décider comment et par qui doit être faite _ et surveillée (contre des « abus«  de droit humain authentique) : l’enjeu (de « pouvoir« ) est, et au plus beau sens du terme, « politique«  !!!.. il concerne la Cité (mondiale, désormais…) d’un monde « commun«  et vraiment « humainement«  « partagé«  _ la numérisation du patrimoine écrit ; en sachant que la « république numérique du savoir » _ son concept est utile autant que beau ! _, pour laquelle plaide avec tant d’éloquence l’historien américain Robert Darnton _ de lui, par exemple : « Édition et sédition : l’univers de la littérature clandestine au XVIIIème siècle« , aux Éditions Gallimard… _, ne se confond _ décidément _  pas _ tristement réductivement… _ avec ce grand marché de l’information auquel Google et d’autres proposent leurs produits ».

Roger Chartier est professeur au Collège de France.

« Livrez-vous ! » à la lecture, le studio de la photographe Mélanie Gribinski au coeur de la librairie Mollat du 18 avril au 9 mai : portraiturer le lecteur en sa lecture

14avr

A propos de la proposition de « portraits » _ photographiques _ de lecteurs

se livrant à la lecture

au sein même des (vastes) espaces de la librairie Mollat :

« Livrez-vous !« , du 18 avril au 9 mai,

« Mélanie Gribinski réalise votre portrait dans son studio de photographe installé au centre de la librairie Mollat à Bordeaux.

Venez accompagné du livre de votre choix,

livre du moment, livre de chevet, livre préféré, livre rare, petit ou grand livre, livre de la librairie ou de votre bibliothèque« …

Livrez-vous !

ce petit échange de correspondances

entre Mélanie Gribinski, l’artiste-photographe qui va oeuvrer en un studio monté ad hoc au sein des (larges) espaces de la librairie, rue Vital Carles (ou rue Porte-Dijeaux)

et Titus Curiosus, le blogger qui fait part de ses curiosités et enthousiasmes :

Le 12 avr. 09 à 23:35, Mélanie Gribinski a écrit :

Bonjour,
Je me permets cet envoi de la part de Bernard Plossu.
Cordialement.
Mélanie Gribinski

——– Message original ——–
Sujet:    LIVREZ-VOUS! – librairie Mollat à Bordeaux
Date:    Sun, 12 Apr 2009 22:14:31 +0200
De:    Mélanie Gribinski


LIVREZ-VOUS !
du 18 avril au 9 mai 2009

Mélanie Gribinski réalise votre portrait dans son studio de photographe installé au centre de la librairie Mollat à Bordeaux.

Venez accompagné du livre de votre choix, livre du moment, livre de chevet, livre préféré, livre rare, petit ou grand livre, livre de la librairie ou de votre bibliothèque…

Mélanie Gribinski est photographe portraitiste, spécialisée dans le portrait Noir & Blanc à la chambre grand format.

Après avoir été élève du photographe Reza à l’école de photographie MJM, dont elle est sortie, en 1989, avec le premier prix décerné à l’unanimité, elle a travaillé au laboratoire  professionnel de photographie Imaginoir à Paris avec des photographes tels que Sebastião Salgado, Sarah Moon, Gisèle Freund, Raymond Depardon…

Elle a photographié près de cinquante psychanalystes, parmi les plus grands noms de la psychanalyse française,

puis a réalisé une série de portraits de poètes, invités du Centre international de poésie à Marseille. Elle a fondé les éditions « La Chambre » et a publié notamment un recueil de photographies et de planches contacts inédites de la photographe Denise Colomb sous le titre « Instantanés« .

Elle élabore actuellement un ensemble de portraits et d’entretiens autour du travail de certains éditeurs installés en Aquitaine.

Les portraits d’artistes et d’intellectuels sont ces centres d’intérêts photographiques.

L’essentiel de son travail est visible sur le site www.melaniegribinski.com

Librairie Mollat – 15 rue Vital Carles 33000 Bordeaux tél. 05 56 56 40 00 – http://www.mollat.com/

Avec cette rafale de messages en réponse à cet « envoi » :

De :   Titus Curiosus

Objet : Rép : [Fwd: LIVREZ-VOUS! – librairie Mollat à Bordeaux]
Date : 13 avril 2009 06:07:33 HAEC
À :   Mélanie Gribinski


Merci beaucoup de votre envoi.

Bernard Plossu m’a en effet déjà parlé de vous ;
au moins pour votre travail sur les psychanalystes.
Et d’autres fois.

Portraiturer est fascinant ; et un magnifique défi…
Je viendrai avec joie !!!

En plus,
« Livrez-vous » est une « idée » (et, mieux, un « projet », un processus, un faire artistique) magnifique ;
nous tous sommes si coincés ; si peu enclins à donner quelque chose de nous ;
alors nous livrer !!!


La lecture le permet peut-être en effet davantage : l’auteur déjà s’est (plus ou moins,
et selon son degré de rapport à la vérité !)
livré lui-même en son écriture,
et se tient disponible, entre les lignes, entre les mots,

à la juste distance du rythme de lecture
et de la curiosité du lecteur ;
à condition, toutefois, que ce dernier désire le découvrir vraiment, en sa distance et en sa singularité,
sans s’identifier
stupidement à lui, ni le vampiriser…
C’est tout un art de confiance et de respect mutuel…

Alors pour ce qu’il en est du portraitureur et du portraituré !..

Votre projet est passionnant.
Et déjà la photo exemplaire de votre projet
est engageante, en sa beauté…

J’ai écrit un essai,
que Bernard Plossu a pu lire, puisque je le lui ai communiqué,
qui s’intitule « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise« ,
avec pour sous-titre « un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni« …

Ainsi qu’un article « Pour célébrer la rencontre« …
qu’avait publié sur son site « Ars Industrialis »
Bernard Stiegler (en mars 2007)…

A très bientôt,

Titus Curiosus

Et

Vous pouvez aussi jeter un œil sur mon blog En cherchant bien
sur le site de la librairie Mollat ;

avec son premier article programmatique (où je cite Bernard Plossu),
le 3 juillet 2008 :
« Le Carnet d’un curieux » ;

et avec celui-ci, commentant une photo de Bernard Plossu :

« Attraverso Milano _ le carton d’invitation alla mostra »


J’en suis à plus d’une centaine d’articles depuis…

Par exemple, dernièrement, celui-ci,
à propos de 3 philosophes amis :

« Energie, joie, reconnaissance _ et amitiés aussi : la grâce des oeuvres et de l’Art : François Noudelmann, Gilles Tiberghien, Bruce Bégout »

A suivre,

Titus Curiosus

Et j’ai même adressé à Mélanie Gribinski mon article « Pour célébrer la rencontre »

qu’avait publié en mars 2007 « Ars Industrialis« ,

le site de Bernard Stiegler…

Voici ce que répond, sous cet accablement (de textes à lire), l’artiste photographe,

en pleins préparatifs (urgentissimes : le 18, c’est dans quatre jours) de son dispositif pour son travail à partir du samedi 18 avril prochain, en son studio photographique monté (pour trois semaines) en plein cœur de la librairie Mollat :

Le 14 avr. 09 à 00:15, Mélanie Gribinski a écrit :

Bonjour Titus Curiosus,

Vous m’envoyez tout à trac un flot de lecture dans lequel je n’ai malheureusement pas le temps de me plonger en ce moment, car très prise par la préparation du dispositif que je mets en place chez Mollat.
Mais je prendrai volontiers le temps de faire connaissance avec vos textes après la rencontre !

A bientôt donc.
Mélanie Gribinki

Ma réponse ce matin :

N’ayez crainte :
le temps (de…) vient (ou, parfois, pas). On le prend (ou, parfois, pas).
C’est là règle du jeu de la vie ; particulièrement dans le monde hyper-pressé (et hélas faux) qui est
(du moins se veut tant…) le nôtre
(cf les analyses de Paul Virilio sur la vitesse _ par exemple « La Vitesse de libération » ; ou « Vitesse et politique« , en 1977, aux Éditions Galilée _ ;
et les équivalences Time / Money…) ;
ou, a contrario, le temps hyper-alenti et déployé d’une psychanalyse…


Mais, justement, l’artiste est celui qui, contre ce temps faux-là (marchand ; à « rentabiliser », croient-ils…), apprend à (et sait, peu à peu) mettre en place une autre temporalité (vraie, elle),
où mieux vivre, vraiment s’épanouir
(parfois _ ce n’est pas tout à fait sur commande !.. ; ni mécanique…).

Soit la vérité (et la béatitude : par la joie ; à distinguer du plaisir) versus la plus-value monétaire…

Qu’est-ce donc que je perds quand « je perds mon temps » ; et que ma vie se passe à rien qu’à « la gagner » ?..

Notre époque

_ individu (ou plutôt la « personne » ; avec un vrai visage ; et pas rien que des « mines »…) ; individu par individu _

aurait tout « intérêt » (vrai !) à réfléchir enfin un peu (et mieux) à l’échelle de ses valeurs ; à la revoir ; à la remettre vite _ il y a urgence ! pour tous, comme pour la planète _ sur ses pieds…


Dans l’article (déjà long, en effet : plus qu’une photo faite, certes !) que je vous ai envoyé (« Pour célébrer la rencontre« ),
je développe un peu l’image du petit dieu espiègle Kairos (à apprendre à « accueillir ») ;
un dieu pourvu aussi
, en plus de ce qu’il donne (!) généreusement, d’un rasoir tranchant.

Le temps des préparatifs (d’un dispositif) est assez magnifique : car c’est un temps de préparation d’une fête (possible) à venir…
Et la fête vient !

Alors quand il s’agit de préparatifs d’un dispositif artistique !

Surtout, tout spécialement, pour ce préparatif de « rencontre » qu’est un portrait _ et photographique, qui plus est…
Quel défi (temporel) ! Stimulant !

Dans le genre des portraits, mais pas photographiques,
pour ma part, j’apprécie tout particulièrement ceux de Lucian Freud
_ cf par exemple, pour un début de « connaissance » de cet artiste majeur : « Lucian Freud : l’observation de l’animal« , par Sebastian Smee, aux Éditions Taschen…


Mais le temps de peindre
n’est certes pas le temps de photographier…


Quant au temps de lire (un livre _ puisque c’est un élément essentiel de votre dispositif « Livrez-vous !«  en votre « studio de photographe » de 3 semaines « au centre de la librairie Mollat » !) : c’est un temps d’intense intimité…

Le regard du lecteur étant tourné
vers ce que dit la parole
éminemment (et pour toujours !) vive _ désormais écrite : elle se tient tranquillement à disposition _ de l’auteur : à distance importante, voire considérable, d’espace et de temps
(et même carrément par-delà la disparition _ physiologique _ de l’auteur : devenu, dissous, poussière et « fantôme » : sans chair ni os…).

Un échange sub specie aeternitatis, dirait Spinoza (cf « L’Ethique« ) : c’est ce qu’offre la grâce de l’Art (vrai)… Une fête, absolument !!!


Je suis ravi de faire votre connaissance _ et ainsi, de cette façon (!) : à l’œuvre…
Bernard Plossu m’a à plusieurs reprises parlé de vous » : c’est un « passeur » éminemment positif…

Et le 18 avril, c’est en effet, samedi prochain, très bientôt ! Tous mes vœux vous accompagnent !!!

Titus Curiosus

Venez donc vous livrer à ce « Livrez-vous ! » !

et participer à ce projet (d’artiste) magnifique !!!


Titus Curiosus, ce 14 avril 2009

Le « bisque ! bisque ! rage ! » de Dominique Baqué (« E-Love ») : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la « liquidation » du sentiment _ et de la personne)

22déc

Sur « E-Love _ petit marketing de la rencontre« , par Dominique Baqué, aux Éditions Anabet :

le livre de 130 pages, excellemment écrit (et c’est un euphémisme !) par une _ par ailleurs… _ très intéressante critique d’Art

(dont la photographie ;

cf par exemple, en 2004, son « Photographie plasticienne : l’extrême contemporain » ; et, en 2006, « Identifications d’une ville » _ les deux aux Éditions du Regard),

est paru en juillet 2008 ;

et vient de bénéficier dune incivive et passionnante « lecture » par le toujours très avisé (et affuté) Yves Michaud, en son blog « Traverses » sur le site de Libération, le 7 décembre dernier :

« Méfiez-vous, fillettes« , s’intitule l’article remarquable, lui aussi, qui a attiré mon attention, et « ouvert » ma « curiosité » sur ce livre important :

quant à un peu mieux clairement saisir l’air du temps…

La quatrième de couverture a l’avantage de résumer _ grosso modo _ le propos général de l’ouvrage :

« Un journal de bord _ Oui ! _ écrit à la première personne les très authentiques péripéties d’une femme prise dans les filets d’un site de rencontres _ ou plutôt d’une addiction à un tel site ; ainsi qu’à ce qui, en cascade, va s’ensuivre (en déboulant, à « train d’enfer«  : « freins«  et « marche arrière«  comme coupés !…)…

Après dix ans de vie commune et un divorce incendiaire _ là étant le branle sine qua non de l’aventure et des accélérations de ses tourbillons _, l’auteur(e) se lance _ mais sans le savoir ni le vouloir vraiment ! _ à la découverte _ malgré elle : c’est loin d’être une enquête sociologique méthodique programmée ! _ des mœurs de ses contemporains masculins  : « je cherche un homme (40-50), cultivé et curieux, tendre et cérébral, pour construire _ eh ! oui ! _ une relation durable. Hommes mariés, séducteurs d’un soir et allergiques au tabac, merci mais… non merci ».

Derrière l’échange des mails, des « chats », des occasions manquées et des aventures sexuelles compulsives, la narratrice n’épargne personne, pas plus les hommes qu’elle-même _ certes pas, en effet ! elle fut fort courageuse (sinon, à une ou deux « occasions« , même carrément téméraire) ! _, n’oubliant jamais _ enfin, presque ! _ qu’il s’agit d’un jeu _ le terme demandant, toutefois, à être un peu plus « éclairé«  _ dont il lui faudra progressivement _ à son corps (ainsi qu’âme) défendant ! _ décrypter les règles _ de fait : de  marché…

En filigrane de ce récit, se dessinent les désirs _ est-ce bien tout à fait le mot juste ?.. _ d’une société _ elle-même ? ou bien plutôt ses « membres«  : épars, et éparpillés ?.. _ qui, n’ayant plus _ ou plutôt consentant (eux-mêmes !) à ne plus vouloir si peu que ce soit le prendre _ le temps d’aimer _ et voilà bien le cœur de cible de l’affaire ! _, accélère le tempo et suscite de nouveaux _ sociologiquement, probablement ; car pour le reste, un amour est-il jamais « ordonné«  ??? _ désordres amoureux.

Premiers tâtonnements _ où l’on (= l »héroïne de l’aventure) s’égare, se perd…

« Ma faiblesse est de ne pas savoir résister au désir _ (réductivement !) physique et hic et nunc ! _ d’un homme. Toujours cette faille narcissique qui demande à être comblée » _ se dit à maintes reprises à elle-même l’auteur(e),

en « Alice«  (« Cendrillon«  dénudée ; à moins qu’elle ne se retrouve aussi en guenilles) en ce « Wonderland«  de notre « modernitude«  assez confortablement installée… :

« Wonderland«  d’instants (extatiques) pas trop longs

d’à portée de clavier, et tout de suite, à présent, désormais !.. n’arrêtant plus le « Progrès«  (de plaisirs _ orgasmiques _ remarquablement « bien tempérés« ) !…

Regardons-y donc _ attentivement intensivement : dans le détail… _ d’un peu plus près.

En fait,

« Divorcée. Me voici donc divorcée _ elle n’en revient pas…

 Je répète ces mots avec incrédulité

_ il va lui falloir bien des épreuves pour l’affronter et l’assumer vraiment ; et c’est à la dernière page seulement que Dominique Baqué acceptera le fait (d’absolue singularité) de l’amour (ou/et de son absence) : qu’il « n’est pas un produit marketing«  : soit la phrase finale de ce petit (grand) livre, à la page 124… _,

comme s’ils ne me concernaient pas, comme s’ils n’avaient pas pu m’arriver, à moi. Surtout avec cet homme _ « D.« , son « ex-mari » (page 4) _ que j’avais aimé à corps et cœur perdus.« 

Tel est l’incipit de l’essai « E-Love _ Amours & Compagnie« ,

est-il indiqué (en titre) à la page 1 (d’un premier chapitre « En faillite« )

à la place de « E-Love _ petit marketing de la rencontre« , sur la couverture !!!

Le paragraphe qui suit l’explicite : « Le divorce est comme un incendie qui dévore tout sur son passage : les êtres, mais aussi les souvenirs, les objets, les lettres, les photographies. Abrasée, calcinée, je n’existe plus«  : effondrée, avec ce sol qui se dérobe sous son pas, tout se dissout donc…

Dominique quitte donc la maison commune

avec ses « quelques biens _ pour l’essentiel des livres, trop de livres, ces livres qui envahissent mes appartements successifs et dévorent ma vie au point, parfois, de m’empêcher de la vivre _,

et accompagnée de ma fille, âgée de huit ans, qui, comme tous les enfants du divorce, fait les frais de l’incommensurable bêtise des adultes« ,

car l’enfant (de l’amour ou pas) demeure bel et bien, lui,

toute femme abandonnée ne devenant pas nécessairement Médée ;

non plus que Didon…

« Seule , je le suis doublement : trois semaines à peine avant que je fasse mes cartons, D., mon ex-mari, s’affichait _ voilà donc l’expression terrible ! _ avec une nouvelle compagne,

alors même qu’il proclamait, il y a peu encore, vouloir vivre une impériale solitude.

Je suis donc à terre, déchue

et en proie au plus cruel _ et abrasif _ des questionnements : qu’ai-je donc été pour cet homme _ est-ce donc là l’aune du réel ? _ si, après dix ans de vie commune, je suis

aussi rapidement

_ le critère de la vitesse importe à la mesure du rapport entre temporalité et consistance de la réalité, face à la perpective (de quelle consistance, elle ?) de l’éternité ;

cf Spinoza : « Nous sentons _ mais quand, comment, à quelles conditions de réalité (vérité) ? _ et expérimentons _ le questionnement redouble et jusqu’à l’infini le quid déjà ressenti au premier « niveau«  et « degré«  du (simple) sentir _ que nous sommes éternels« … _ ;

si, après dix ans de vie commune, je suis aussi rapidement

et facilement

remplacée ? _ voilà la pire blessure : la mise au néant de l’irremplaçable singularité du soi (pour l’autre aussi)…

Dix ans d’erreurs et d’illusions _ mises ainsi à la poubelle _, peut-être _ le mot est paradoxalement une opportunité de réconfort : et si le pire n’était pas le plus sûr ?..

The wrong woman in the wrong place… _ sur quelque échiquier (social) pré-programmé ; pré-installé…

quelque chose comme une erreur de parcours _ en une carrière : et si là était précisément l’erreur de fond (encore !) de Dominique Baqué, du moins au moment de l’écriture de ce premier chapitre ?..

La jalousie est une tyrannie _ sociale, encore !.. quand donc s’en extirpera-t-elle ?.. _ que je connais trop bien, pour l’avoir vécue à chaque fois qu’un homme me trompait » _ dit l’auteur(e), page 4. Et :

« je hais cette nouvelle femme presque autant que D.,

je hais leur bonheur _ ah! bon ! comment peut-elle le croire ? sachant ce qu’elle sait de son ex-mari… : elle est vraiment bien déprimée… _

si rapidement acquis _ un bonheur s’acquiert-il ? Non ! Voilà une des « erreurs«  de base, ici… _ ;

ce cadeau qui lui a été fait _ et par qui donc ??? _ à lui,

et non à moi _ que d’erreurs ! déjà… ,

de retrouver _ encore une nouvelle erreur _ les transports des premiers commencements _ que de naïvetés (de midinettes) ! que d’ignorances ! que d’inexpériences de cinquante ans de vie pourtant !…Qu’apprend-on donc de l’Art (vrai) et de la culture (quand elle est authentique) ?..

Au résultat, page 5,

« maintenant, c’est le silence _ de la solitude _ qui m’assourdissait«  _ à la place des cris (de dispute) d’un couple « mal assorti« , sans amour vrai…

« Certes, je suis de nature solitaire, les groupes me terrifient et je n’ai que peu d’amis

_ même si Dominique Baqué ajoute immédiatement, dans le souffle même de sa phrase : « mais je puis dire qu’ils _ elles, d’ailleurs _ répondent à ma haute exigence en matière d’amitié« .

Mais là, le silence était tel qu’il se cristallisait dans la pièce, se faisait minéral : on aurait pu le toucher.« 

Aussi, avec le recul de la réflexion, la conclusion semble-t-elle bel et bien s’imposer :

« C’est ce silence, bien davantage que le manque d’un corps _ tel que celui de son « ex-mari«  ; d’« un corps«  plus que d’une âme ? ou d’un visage ? et d’une vraie conversation ?.. _ qui m’a redonné le désir _ ou le besoin ? _ d’un homme _ quel qu’il soit ? _ à mes côtés _ pour « re-former«  un « couple« , en quelque sorte…

Après une telle épreuve de plusieurs mois _ car le temps passe _, j’avais d’ailleurs revu à la baisse mes exigences _ de quel ordre, quant à l’altérité d’autrui ?.. _ : je ne demandais même plus à l’autre ces conversations que j’affectionne sur la culture contemporaine _ sont-elles de suffisamment de consistance, cependant ? _ ; non, je voulais juste parler, dialoguer, raconter ma journée, écouter de la bouche d’un autre les nouvelles de son monde à lui _ ici (« son monde à lui« ), il y a progrès…


Mais la réalité _ en son « manque«  !!! _ était _ se révélait _ sans appel : il n’y avait personne à mes côtés _ dans mon lit ? seulement ?..

Pour la première fois de ma vie amoureuse _ envisagée et comme une continuité, comme un dû, comme une norme (sociale !) _,

rien _ et non pas « personne«  !!! _,

absolument rien _ encore ! _ ne se présentait«  _ comme corps d’usage à proximité immédiate, probablement ! Dans le décor familier (de l’appartement), en quelque sorte…

«  »Sors ! », me répétaient mes amies. »

Mais : « Je me méfie des galeristes, que _ en tant que « critique d’Art«  _ je soupçonne d’être aimable pour tirer de moi quelque article _ à leur profit _ profitable ;

et je tiens en piètre estime humaine _ voilà un critère un peu plus intéressant, enfin ! _ les artistes au narcissisme souvent démesuré,

incapables de s’intéresser _ ah ! l’intérêt ! et la rareté du désintéressement ! pour ne rien dire de la folie de la générosité passionnelle ! _ à autre chose qu’à leur œuvre _ en prolongement de leur (tout) petit égo _ :

j’ai d’ailleurs pris pour principe de ne regarder que les œuvres

et de ne plus jamais chercher à connaître leurs auteurs »

_ mais que peut donc « valoir«  l’œuvre de quelqu’un dont on n’a pas le moindre désir de faire (vraiment) la connaissance ?

Et en irait-il de même de tous les « rapports«  humains : en ne « s’intéressant«  rien qu’aux actes et aux résultats, bien séparément, surtout, des personnes dont ces actes et ces résultats émanent ; et (personnes) dont on se préservera avec tous les préservatifs possibles et imaginables au monde !..

« Quant aux collègues de l’université où j’enseigne,

soit ils sont déjà mariés _ et il est hors de question pour moi de jouer les backstreet _,

soit ils incarnent tout ce que je déteste dans l’université prétendument de gauche qui est la mienne :

dogmatiques et intolérants pour l’intérieur _ si tant est que cela puisse seulement se dire ! _,

vaguement négligés _ cheveux douteux, gros pull et pantalon en velours côtelé, épais mocassins _ pour l’extérieur.
Bref, l’antidote même au désir…
« 


Mais, page 8, « je n’en demeurais pas moins désespérément seule.

Décidément, il me fallait _ oh ! la fâcheuse confusion du désir avec le besoin ! _ un compagnon. Et vite«  _ qui plus était !.. Comme si le salut se trouvait dans de pareilles configurations !!! Cherchez l’erreur !..

avec ce commentaire hyper-lucide, à côté, cependant : 

« D’autant que la haine _ voilà le terreau de tout cela : sur le ressentiment, lire Nietzsche (« La Généalogie de la morale« ,  » Par-delà le Bien et le mal« , etc…)… _ ;

D’autant que la haine se nourrit de vengeance _ tout part ici de là _, et que, oui, je voulais me venger _ Bisque ! bisque! rage !!! _ de ce bonheur _ vraiment ? un peu moins se laisser prendre aux « images«  et aux récits « rapportés«  _ trop expansif _ ou seulement démonstratif, exhibé, voire exhibitionniste ? _ que D. affichait

_ voilà donc le mot ! nous ne sortons guère du monde de la « publicité« , de la « publication«  (et de ce que Michaël Foessel analyse si joliment sous son expression si juste de « La Privation de l’intime » cf mon article du 11 novembre dernier : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la démocratie » _ 

jusque dans les rues, m’avait-on rapporté _ bien sûr : le « dispositif«  (social) fonctionne à plein (et envers le seul amour-propre socialisé)…

Alors, page 8 : « Ce n’est qu’en me souvenant d’articles consacrés dans la presse à l’expansion des sites de rencontres _ de quel type ? Dominique Baqué ne semble pas s’en inquiéter ; ni au présent de son histoire ; ni à celui de son écriture : elle demeure encore (un peu) trop « collée«  à son sujet ; et à sa « mésaventure«  _ que, peu à peu, l’idée a pris corps _ significative tournure ! quant à la représentation, même métaphorique d’un corps (et du peu de réflexion sur « tout ce que peut un corps« , ainsi que le formule l’admirable Spinoza, en son « Éthique« …) _ de m’inscrire sur l’un d’entre eux… »

« Pour moi _ continue Dominique Baqué, page 9 _, s’inscrire sur un site de rencontres resta l’aveu d’un échec ;

d’une incapacité à séduire _ séduire est-il de l’ordre de la stratégie ? de la technique ? de l’instrumental ? _ par des voies que j’oserais dire plus « naturelles » _ moins « artificieuses«  et « factices« , plutôt _, la signature d’un abandon.

J’hésitai longtemps avant d’y souscrire.

En revanche, une fois que la décision fut prise,

je mis tout en œuvre pour y adhérer vraiment _ elle met le paquet ! Et j’y crus, au début, tant il est vrai que pour toute chose _ naïveté signifie « neuveté«  _ « les commencements sont les temps les plus beaux »... Sauf que l’enfance est aussi le sommeil de la raison…

Je me garderai bien de déflorer le reste,

qui est passionnant,

pour cette Alice – Cendrillon au « Pays des Merveilles«  !

Je me contenterai de relever quelques annotations :


Page 29-30, cette confidence de Paul :

« « Pour un homme, le site c’est extraordinaire, c’est comme une boulangerie géante où l’on choisirait ses gâteaux… » Un peu interloquée par la comparaison pâtissière, je la trouvai par la suite très juste : Paul avait formulé tout haut ce que tant d’internautes pensaient tout bas, derrière _ par rapport à l’interlocutrice _ leur écran. Le Net était un hypermarché du sexe,

et celle qui en attendait autre chose _ « construire une relation authentique« , avait écrit Dominique sur sa petite annonce ; « séducteurs d’un soir, non merci«  (page 14) _ risquait fort d’être déçue. Ce fut, si je puis la formuler ainsi, la première « leçon » de mon apprentissage sur le réseau« , page 30 du chapitre « Premiers tâtonnements« …


Pages 67-68, au final du chapitre « Compulsion et rentabilité« , et à propos de l’« addiction« , confrontée à l’accumulation des « déceptions«  :

« La puissance du Net (…) joue fort efficacement sur la dialectique du « décept » et de la réparation narcissique.

Lorsque vous venez de vous faire éconduire, plus ou moins brutalement, par un homme,

vous êtes en état de grande vulnérabilité psychique ;

vous venez de subir quelque chose de l’ordre de la blessure narcissique ;

et cette blessure réclame réparation _ au sens freudien du terme  _ ou comment ne pas demeurer scotché, encalminé, à l’échec ?

Mais comment réparer ? Aussi incroyable que cela puisse paraître à ceux qui sont extérieurs au réseau,

en attendant le prochain flash…

Car, et c’est une autre force du système _ et c’est là un des apports fructueux de l’analyse de Dominique Baqué _, vous repartez vierge, si j’ose dire, à chaque expérience : tout est oublié,

c’est la prochaine expérience,

le prochain partenaire _ et ils sont légion à se bousculer à votre portillon ! comme les non-joueurs au Loto qui ont 100 % de chances de ne pas y gagner ! _,

qui seront les bons _ ou la force (magicienne) de la croyance !

La capacité d’oubli sur le Net est extraordinaire. C’est elle qui permet qu’à chaque fois la machine puisse se relancer.

Qu’un homme _ au sens physiologique _ vous flashe et vous adresse des mails flatteurs, puis érotiques,

contribue ainsi très vite _ et très facilement _ à une restauration narcissique _ bien peu exigeante, par là _,

quand bien même celle-ci est sujette à caution

et tout à fait provisoire.

Mais cela,

vous choisissez _ dans la fébrilité de l’instant et de ce qu’il semble offrir de possibilités _ de l’ignorer _ soit vous illusionner ! _,

et donc de poursuivre.

La puissance du Net joue avec et sur des pulsions archaïques fondatrices du psychisme » _ infantile, et infantilisant, donc : en jouant l’exclusivité du « principe de plaisir«  par rapport au « principe de réalité«  !..

« D’autant plus que, dans cet univers de la marchandise qu’est le réseau,

la machine induit d’elle-même des comportements addictifs : le sujet y voit son désir certes mis à mal _ par le réel auquel il vient, durement et durablement, se cogner _, mais sans cesse relancé par la compulsivité des annonces. Plus je consomme, plus le désir en redemande _ mieux et davantage : le manque se creuse, qu’il faut très vite combler.

La machine s’affole :

je passe de corps en corps,

de lit en lit. Malgré moi, malgré les puissances de la rationalité qui m’enjoignent de tout arrêter,

je poursuis,

prise dans les rets de ce jeu,

et la fascination _ du « joueur » : cf Dostoïevski _ pour le toujours-davantage.


Mais
que l’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit guère de libertinage _ pratique sexuelle hautement cérébrale à laquelle la littérature, dix-huitiémiste notamment, a donné des lettres de noblesse.

Les joueurs du Net ne peuvent être des libertins,

parce qu’ils sont happés par l’univers de la marchandise.

Et dans cet univers, il y a peu de surprise,

peu de marge de liberté aussi : chacun est programmé,

qu’il le sache lucidement ou non,

pour une sorte de parcours fléché

au terme duquel

on ne rencontre jamais l’autre,

mais une marchandise.« 

Tout est donc exhumé ici !..

« Ainsi pourrait-on dire que le pornographique s’est saisi d’un outil, le Net,

et qu’il contribue largement au devenir-marchandise des corps _ vidés d’âme : voilà !!!
Sans issue.
« 

Vient alors, au chapitre « Je suis foutue » _ car « amoureuse !«  _ page 72, ce qui s’avèrera la seule vraie rencontre (du moins possible) : avec quelqu’un ! qui soit une « personne«  !.. (et pas rien qu’un porteur d’un sexe ; ou de plusieurs…) :

« J’attends. Je l’attends _ Nathan _, depuis une demi-heure maintenant (…) lorsque soudain il est devant moi, haletant d’avoir trop couru, dans l’envol de son trench blanc et son parfum de Lucky Strike. Je lève les yeux,

et enfin surgit un visage. Nathan a un visage,

là où les autres n’avaient que des têtes… _ comme c’est magnifiquement ressenti…

Et aussitôt résonne en moi la phrase de Roland Barthes s’apercevant _ dans « Fragments d’un discours amoureux«  _, comme une évidence brutale, qu’il est amoureux : « Je suis foutu »…

Surtout ne rien laisser transparaître de mon éblouissement,

même si, tout en parlant, je ne cesse d’admirer la beauté brune et sèche de son visage,

qui n’est pas sans évoquer celui de l’acteur Laurent Terzieff dans sa jeunesse…

Très vite, avec Nathan, la complicité se noue : il entretient avec la langue le même rapport que moi à l’écriture,

c’est dire combien il aime converser

et surtout, par comparaison avec ses prédécesseurs, combien sa parole fait sens…

Etc… page 73… Tout cela _ quant aux conditions du « sens«  _ est en effet très important…

… 

Mais, bientôt, page 78, un peu plus tard ce même soir :

« Nous faisons l’amour. Mal.

Nathan est peut-être un libertin, comme il me l’a laissé entendre à diverses reprises _ cette longue soirée-là, déjà _,

mais c’est un amant médiocre.
A la vérité, je ne suis même pas déçue,

je m’en moque.
Car pendant l’amour, je n’ai cessé de contempler
_ mais regarder ainsi, est-ce aimer ? ou seulement « tomber amoureux«  ? _ son visage sublime, concentré,

dépourvu de toute expressivité _ ah ! bon ! Presque dur.

Etc…

Le chapitre suivant, intitulé « La douleur » _ pages 85 à 89 _,
réserve quelques jolies surprises,

bel et bien « libertines« , effectivement, cette fois-ci…

Avec suites bien décevantes _ je n’en dirai pas davantage ici _ pour Dominique.

Avec un épilogue (tardif) le 1er janvier 2008 :

« Je n’aurai la clef de cet abandon que le le 1er janvier 2008 lorsque, mue par je ne sais quelle nostalgie,

j‘adresserai à Nathan, sur son adresse électronique personnelle _ et non sur le « site de rencontres«  _, un mail de bonne année,

qui se voulait élégant et distancé, mais non exempt de mélancolie,

puisque je lui avouais

qu’il avait été le seul homme à avoir su m’émouvoir

_ le mot compte : prémisse à l’émergence (mort-née ?..) de sentiments ? _

depuis mon divorce.

Il me répondit ce qui suit :

« Bonne année à toi, Dominique.

Si j’ai cessé tout contact avec toi,

c’était pour que la coupure soit nette et sans appel.

Je voulais _ ah ! le vouloir en ces « affaires«  ! est nul et non advenu ! _ pour nous deux une relation sans concessions,

où tu aurais tenu le rôle d’objet sexuel _ voilà qui est on ne peut plus clair !

J’avais trop d’amitié pour toi pour te l’imposer _ ce « rôle«  d’« objet«  _ ,

et trop de désirs _ mais est-ce bien là le terme adéquat ? au moins, est-ce ainsi, que lui, Nathan, se dit, à lui-même d’abord, l’éprouver… _ pour ne pas le regretter.

Nathan. »

Les deux derniers chapitres d' »E-Love » s’intitulent « l’amour sans amour« 

et « une affaire de marketing » :

à relier avec le projet de Dominique de « construire une relation authentique«  (page 14)…

« Echaudée par ma dernière relation avec Mounir, lasse soudain, je cessai de consulter le site de rencontres sur mon ordinateur«  (page 105).

« J’étais déjà quelque peu misandre avant cette expérience, je le devins davantage encore.
Je ne comprenais décidément rien à ces hommes qui, tels des girouettes, disent et se dédisent,

n’accordent aucune valeur à la parole donnée _ comment vivre sans confiance vraie ? _,

se comportent comme des goujats,

n’honorent pas les rendez-vous convenus.
et qui, surtout,

ne semblent rien savoir de ce qu’ils veulent vraiment,

ni de ce qu’ils traquent sur le réseau.« 

« Pourquoi n’avoir pas arrêté, de nouveau ? »

« C’est la narration, par ma fille, de ce qui semblait être un bonheur édénique

entre D., mon ex-époux, et sa nouvelle compagne,

qui, de rage,

me réinstalla face au clavier.

Piètre argument en vérité _ convient-elle _ : je savais d’ores et déjà que je ne trouverais jamais l’équivalent _ mais que vaut ici ce vocabulaire (d' »équivalence« ) ? _ sur le site

de ce bonheur supposé _ deux termes à mettre aussi, et de toute urgence, au trébuchet !..

Je commençais à me sentir vraiment désabusée : toutes mes illusions s’étaient envolées au fil des rencontres _ qui n’en étaient que de grimaçantes, affreuses, caricatures ! _ ;

et aussi (page 116) :

« Mounir, Olivier, Nathan, Charles, Mario et tant d’autres encore

m’apprirent la multitude des corps ;

mais la relative indifférenciation des pratiques,

quand bien même un amant était plus attentionné qu’un autre,

ou plus performant,

ou plus inventif _ Mario étant, je l’ai dit, celui qui me donna le plus de plaisir.

Mais il existe paradoxalement un ennui, à la longue, de passer de corps en corps,

tant la sexualité, somme toute, propose peu de variations :

en ce sens,

j’irai jusqu’à dire que

la pornographie,

précisément parce qu’elle est la caricature codée de la sexualité,

en propose une certaine vérité.

C’est cette répétition du même dans l’autre,

et plus encore le devenir-marchandise des corps,

qui me semblent caractériser la vie sexuelle sur le Net,

et qui ont fait que, peu à peu, malgré mon addiction, je m’en suis détachée :

je crois finalement plus passionnant _ mais la passion, Dominique,

se prête-t-elle jamais,

ni si peu que ce soit,

à quelque comparaison que ce soit ??? _

d’explorer les possibles d’un seul corps _ mais s’agit-il bien de « propositions«  d’« expérimentations«  (= « explorations« ) ? _

que d’échanger des corps

qui,

du fait même de l’échange,

en deviennent indifférenciés,

l’altérité se perdant dans une sorte de communauté molle…

_ ou la pataugeoire gluante du nihilisme…

Par ailleurs,

une telle sexualité oblitère la parole :

je veux dire par là que la parole y est réduite à sa simple fonction

d’introduction

et d’accompagnement.

 Elle ouvre _ a minima !!! _ la rencontre,

permet diplomatiquement _ très minimalement encore !!! _ que l’accouplement ne soit pas trop brutal

_ on appréciera l’oxymore, entre « degré de brutalité«  et « permissivité diplomatique«  ! par où « faut-il«  donc venir « en passer«  ? et pour quels « résultats« , diantre, bigre !?! Quels Thermopyles (de la relation :

mais entre quoi : entre des corps ?

et réduits, qui plus est, à de purs sexes ?

quelle étrange (drastique) « réduction«  gymnique ?! ) ?! _,

mais ne vise à rien d’autre qu’à l’amener _ cet accouplement-là !..

Tout ça rien que pour ce si peu-là !..

Les mails et surtout les chats sont dotés d’une seule fonction _ toujours la réduction (du « modèle«  d’instrumentalisation « économique« ) _ :

après des circonvolutions et détours plus ou moins développés _ plutôt les « abréger« , parant (seulement) au plus pressé (et à moindre coût) : « time is money« , « isn’t it ? » _,

fixer le premier rendez-vous qui,

en principe,

amènera _ et le plus tôt sera le mieux _

à la relation sexuelle _ soit l’objectif (orgasmique) !

Quant à la parole vivante _ on admirera l’adjectif _ du rendez-vous _ en tant que tel _,

elle prend le relais :

elle est purement marchande et fonctionnelle _ ne s’agissant que d’une transaction à régler (vite fait, bien fait)…

Une borne phonique automatisée ferait quasiment aussi bien _ voire mieux _ l’affaire !..


Il est très rare qu’elle donne lieu à une véritable conversation

_ tout un art ! et toute une culture ;

sinon, une « civilisation«  (« des mœurs« , nous dirait un Norbert Elias  : l’édition originale de son livre datant _ très significativement _ de 1939 (et en Angleterre) !!!..

Et sur « l’art de la conversation » lui-même,

on se reportera à la très remarquable anthologie réunie en 1997 par Jacqueline Hellegouarc’h, aux Classiques Garnier : l’anthologie va du Père Bouhours à l’Abbé André Morellet)… _ ;


Il est très rare qu’elle donne lieu à une véritable conversation _ donc, je reprends _,

un authentique débat d’idées _ quelle idée ! saugrenue !!! en pareille tractation d’« accouplement«  (de sexes)… _,

puisque l’essentiel _ aïe ! _ se joue ailleurs,

dans la rencontre _ réduite au strict physiologique (génital) _ des corps.


En fait la parole _ puisque c’est d’elle qu’il s’agit dans cette notation importante de Dominique Baqué _,

participe d’une même mécanique

que l’ensemble des rapports sur le Net :

c’est, elle aussi, une « parole marchande »

qui suit les sentiers très balisés d’un questionnaire soumis à peu de variations

_ profession, enfants, projets, précédentes rencontres sur le réseau, etc… _,

et coupe court _ certes ! ce n’est pas là le bon « flux«  !.. et « couper court«  est tout son office !… _

à tout véritable dialogue,

chacun des protagonistes ne se demandant qu’une chose :

« Est-ce qu’il/elle me plaît ? Est-ce que moi je lui plais ?.. »

_ dans l’unique perspective, et à très court terme (pour ne pas dire « immédiat« ), d’être tout simplement « agréé«  (comme sexe…) à la chose à accomplir (ou pas) ici et maintenant : sur le champ et sur l’heure (et, éventuellement, un lit)…

Cf Crébillon fils, en 1755 : « La Nuit et le moment« ...

« C’est pourquoi

_ et c’est la conclusion de ce chapitre « L’amour sans amour » _

les chats et les mails sur le Net

sont d’une telle pauvreté sémantique

_ et humaine « non-inhumaine« ,

ainsi que le dirait un Bernard Stiegler (dans « Prendre soin 1 _ de la jeunesse et des générations« )... _ :

ils ne cherchent pas à faire sens,

mais _ rien que _ à être efficaces,

à frapper leur cible _ obtenir leur effet…

Nul besoin de littérature pour cela…


Sauf pour ceux qui ne vivent que dans le virtuel

_ cela devient de plus en plus (technologiquement ) possible ! _

et ne passent _ même… _ jamais au stade de la rencontre _ il y en a, même s’ils sont

_ pour le moment, encore, probablement… _

minoritaires _ ;

pour les autres (que ces partisans du virtuel-là),

il s’agit d’accélérer le tempo de la rencontre _ en effet ! _

pour plus vite passer à l’acte _ ce sont des hyper-actifs !!! et à quoi bon perdre son temps

en circonvolutions (et préliminaires intempestifs) ?..


Car le temps du Net

n’est pas de l’ordre de la temporalité ordinaire _ c’est fort bien vu !!! _ :

c’est un temps compressé,

où chacun s’applique à faire vite _ sans perdre la moindre once de son temps (de vie : si précieux !..) _,

dans l’urgence sexuelle _ cela vaut mieux que d’employer le beau mot de « désir«  en pareille occurrence… _

des corps

_ strictement envisagés dans l’ordre du pur physiologique :

bien séparés ici de quelque âme que ce soit :

tant celle de soi, que celle de l’autre ;

ainsi que de celles de tous les autres…

Il n’y a plus ici que de ces poupées à la Bellmer :

point qui n’échappe d’ailleurs pas à certains de ces « sexo-protagonistes«  :

dont Nathan (page 79) :

« Est-ce ce que tu veux jouer à la poupée avec moi ? »

Et va s’ensuivre,

après « un relooking complet«  (toujours page 79),

toute une opération (dans le quartier du Palais Royal) où se précise ce « qu’il appelle jouer à la poupée avec lui » (page 82),

que commente ainsi Dominique :

« je me savais exhibitionniste, mais n’avais eu jusqu’alors aucune occasion de manifester cette préférence sexuelle : Nathan m’a tout de suite devinée« …


Quant à Charles,

après avoir prononcé (page 64) « cette phrase que je n’ai entendue de la part d’aucun autre homme : « Fais de moi ce que tu veux, je suis ta pute »,

il « s’adresse maintenant » (page 65) à Dominique « comme à une pute » :

ce qui vaut ce commentaire de l’auteur :

« j’ai toujours eu des difficultés à accepter, voire même à entendre, la crudité de la parole sexuelle masculine. »

Avec cette « leçon«  de l’expérience (page 66) :

« Je me sens en péril : peut-être suis-je allée trop loin dans les sites de rencontres.

C’est la compulsivité qui, après une euphorie factice, a déclenché mon angoisse.

Je suis en train de m’égarer dans des rapports sexuels dépourvus de sens

_ comme en Art, comme en tout, c’est bien la question du sens qui est cruciale !!! _,

je ne fais que participer à l’échange généralisé _ interchangeable jusqu’à plus soif ! et à n’en plus pouvoir mais… _ des corps sur le réseau.« 


« Il n’est pas sûr, loin s’en faut _ commente alors Dominique, page 66 toujours) _ que cela convienne à mon mode d’être _ et c’est probablement un euphémisme…

Que veux-je prouver ? _ et à qui donc ?.. Que je peux séduire, encore ? C’est fait.

Mais à quel prix…
Quelques images brouillées, des bribes de souvenirs, des prénoms qui se mélangeront dans ma mémoire oublieuse
. »

Mais la carrière de « poupée soumise » que Dominique avoue avoir « donc accepté de devenir » pour Nathan (page 85)

s’arrêtera là ;

et pas de son fait, mais de celui de Nathan,

qui choisit (par là) de la préserver d’y donner suite.

J’ai déjà, plus haut, indiqué pourquoi, avec ce « dernier mail de Nathan« , « le 1er janvier 2008«  (page 89) :

« Je voulais pour nous deux une relation sans concessions _ bigre ! _,

où tu aurais tenu le rôle d’objet sexuel _ voilà la clé de ce mot de « poupée«  !..

J’avais trop d’amitié _ un rapport à autrui « non-inhumain«  !.. _ pour te l’imposer

_ à une esclave ; à une bête domptée ; à une chose « dés-humanisée«  !.. ;

et trop de désirs _ sado-masochistes _ pour ne pas le regretter«  :

Nathan (militant _ pour les élections municipales à Bordeaux _ du PS : page 87) a su tout de même, de ces « désirs« -là, faire son deuil, avec elle, du moins ; sinon avec d’autres…

Voilà qui donne aussi pas mal à penser…

Quant à Mounir,

« Mounir _ même _ n’est plus Mounir«  (page 102), le jour où pour la première fois il l’emmène chez lui :

« Les caresses sont plus rudes qu’à l’accoutumée. Mounir me pénètre plus rapidement

et, pour la première fois, il parle. D’une voix péremptoire, sans appel.

_ « Dis-moi que tu es ma chose. »

Cette fois-ci, je sens que ce n’est pas comme avec Olivier,

je pressens que

si je me moque,

les choses vont mal tourner,

même si je ne sais de quelle façon.

Mounir n’est plus Mounir. Je répète donc, d’une voix atone que, oui, je suis sa chose.
Mais Mounir veut, si j’ose dire
_ et c’est bien de « volonté«  (et du seul rapport de forces) qu’il s’agit là _ des aveux complets.

_ « Dis : « Je suis ta pute« .

_ …
_ Dis-le ! » (page 102)…


(…)

Soudain, dans le combat qui s’engage, je comprends que je suis perdante.

Pour d’inexplicables raisons, Mounir a changé.

Personne ne sait où je suis ce soir-là _ le point (contextuel) est d’importance.

Si les choses dérapent _ (!!!) _ personne ne viendra à mon aide.
Je choisis de capituler, dans un souffle.

La mort dans l’âme _ qui demeure, donc…

Je suis vaincue.

Et à propos de cette « énigme » de « la transformation de Mounir« ,

ces réflexions, encore, page 103 :

« Je crois que, pour la première fois chez lui, en territoire conquis,

il put enfin laisser libre cours à ses fantasmes

_ ce qu’il se retenait de faire chez moi :

assumer sa domination sur moi,

me chosifier,

me traiter comme une putain.

Soit le fantasme finalement le plus partagé par les hommes du Net

_ ou une « nouvelle«  « humanité« , probablement…

(…)

Face à une femme du réseau _ d’une « nouvelle » « humanité« , probablement aussi… _,

ils s’arrogent immédiatement le droit d’en faire une chose,

de la constituer en marchandise…

Dans le meilleur des cas,

d’en faire une pure surface de projection fantasmatique ;

dans le pire,

de la traiter comme une putain,

les conventions sociales ayant explosé _ dans les rapports « humains«  _ avec une violence inouïe » .

Alors, au bilan de son dernier chapitre, d’à peine 5 pages (intitulé « Une affaire de marketing« ),

« après cinq mois de pratique intensive du Net » _ tel en est l’incipit, page 119 _, et « pour une seule vraie rencontre, celle de Nathan« ,

Dominique Baqué ne peut plus refuser « l’évidence » :

« je n’avais été _ et cela, depuis la rédaction de l’annonce _ qu’un pur produit de marketing. Une marchandise à vendre, ou plutôt à louer, avant date de péremption«  _ sur ce marché-là, s’entend… ; avec un « statut » guère « différent, rétribution en moins« , de celui des « femmes des célèbres vitrines rouges d’Amsterdam… »

C’est que « le Net se repaît de mensonges.

Qui voudrait donner de soi une image juste ?

Entre l’image plus ou moins formatée par les codes publicitaires que l’on expose sur le Net

et la propre projection fantasmatique de celui auquel elle _ cette « image« -là _ s’adresse,

se joue déjà un double effet de décalage _ en est-on forcément, et dans quelle mesure, dupe ?..

Dès lors, il ne peut y avoir que maldonne _ pour tous ? même les corps (ou sexes) ?..

Et duperie.


Et cela pour ne rien dire de ce (« authenticité« , « tendresse« , « sensualité« ) que « promettent«  ou « proposent«  _ comment faut-il le qualifier ?les « annonces«  elles-mêmes…

« Vaste histrionisme de ces annonces,

mensonge élevé au rang d’un art ubuesque,

comédie des sentiments,

leurre des apparences.

Car tout est _ donc... _ leurre et mensonge sur le Net » :

« l’annonce _ en tant qu’« appel à la consommation

qui se modélise d’ailleurs assez souvent sur le modèle publicitaire » _ ;

« la photographie«  ;

« mais surtout, et plus gravement, c’est la rencontre elle-même qui est un leurre :

parce que chacun est pour l’autre,

au mieux,

une surface de projection fantasmatique ;

au pire,

un produit à consommer le plus vite possible ;

l’autre est nié

dans son altérité même«  _ voilà le plus « grave » et destructeur, en effet, des liens de personne à personne ; dans la vérité des regards et des visages… ;

pour ne rien dire de ce qui est détruit

de la personne même ; elle-même

_ si tant est qu’une identité puisse (jamais !) s’établir et se constituer à l’écart de ses rapports avec les autres, bien sûr !!!


Dominique Baqué le dégage parfaitement, page 121 :

« Dans ce monde du leurre et de la marchandise,

il ne peut y avoir ni « envisagement »

_ un autre disait on ne peut plus explicitement : « la tête sous l’oreiller«  ; et, seul, le seul le sexe « offert »  _ ;

ni dialogue

comme vecteur _ dynamisant ! vers toi !.. _ de sens :

tout est réglé mécaniquement _ « protocolisé« , en quelque sorte (avec masque);

le monde des possibles est comme écrasé ;

ne reste que le parcours fléché _ et à tapis roulant _

entre deux sujets _ en fait « objets assujettis«  ; certes pas « sujets s’inventant leur propre devenir« , « librement«  !.. _

qui n’adviendront jamais l’un à l’autre _ non plus qu’à eux-mêmes, d’ailleurs,

en ce bal des ectoplasmes (hyper) sexués…

Le triste, est que « cependant vous poursuivez,

car vous êtes devenue addict

_ addict aux visages _ ou plutôt masques-leurres (et sans visage, justement !!!) _ qui se déroulent _ ou dévident _ sur l’écran _ électronique _, chaque soir ;

aux flashs et aux mails ;

à cette excitation factice

dont vous ne parvenez plus à vous passer _ du frisson de nuage de possibles (en grappes, et comme à l’infini) suscitant de l’attente… _ ;

tant il est vrai _ réellement avéré _ que le réseau est une addiction comme une autre,

avec sa part d’irrationalité et ses zones d’ombre _ qui peuvent, de fait, charmer _ ;

et dont il est extrêmement difficile de se défaire,

malgré coups bas, humiliations et rendez-vous manqués » _ à croire que le masochisme primaire et la pulsion de mort, sont considérablement puissants, dirait Freud (en ses « Essais de psychanalyse« )…

« Dommage que l’on ne puisse filmer ni enregistrer ces rencontres piteuses et drolatiques

_ je me souviens d’en avoir été jadis le témoin (très amusé !), en un lieu voué à de telles « rencontres«  « de sexe« , vacancières _,

cela ferait des sketches à l’humour imparable » _ à la Dino Risi : « Les Monstres » et « Les Nouveaux monstres« , autant que « Le Fanfaron » ; plus encore peut-être que bien des comédies acides de Woody Allen… _, s’amuse alors Dominique Baqué, page 122.

« Une véritable comédie humaine s’y déroulerait sous nos yeux,

avec pour enjeu majeur « ça ».

Ça : faire l’amour _ baiser, niquer.

Car l’une des caractéristiques majeures des rencontres sur le Net

étant une formidable accélération _ cf Paul Virilio _ du temps,

vous pouvez vous retrouver dans le lit

de celui qui était un parfait inconnu il y a une heure à peine

_ ce qui a pour effet pervers

_ par la (seule) pente (raide) à toujours « passer à autre chose«  !.. _

d’épuiser la possibilité même d’une relation ;

ou de la réduire fatalement, si j’ose dire, à n’être que la répétition de cette première fois :

soit une relation strictement sexuelle,

où jamais la dimension affective

_ vécue désormais comme « étrangère«  et « surnuméraire«  : « parasite«  ! _

ne viendra _ de « l’extérieur«  ! _ s’immiscer«  :

voilà qui donne bien à penser…

Roland Barthes développant cette analyse de la bien plus grande obscénité du sentiment (que du sexe)…

Et si,

en dépit du « Méfiez-vous, fillettes« , par lequel le bien avisé _ et avisant !!! _ Yves Michaud ponctue on ne peut plus clairement, par ce titre, son article sur ce lucide livre de Dominique Baqué,

« vous voulez y aller malgré tout _ Mesdames _,

alors affutez vos armes,

soyez drôle,

cynique ;

transformez-vous en guerrière du sexe : séduisez, prenez et jetez = vengez-vous bien !..

Surtout n’attendez rien d’autre des hommes _ à commencer par l’envisagement de « construire une relation authentique » (page 14)…

Amusez vous comme savent le faire les hommes.
Devenez une dominatrice
_ à votre tour, faites d’eux vos « poupées » !..

Ainsi le Net deviendra pour vous _ aussi, à votre tour, donc ! _ ce qu’il est et n’a jamais cessé d’être : l’espace d’un échange généralisé des _ seuls _ corps _ ayant abandonné ce qui leur restait (peut-être ?) d’âme au vestiaire…

N’y cherchez surtout pas l’amour _ qui ne se recherche jamais !

il ne fait qu’être trouvé, rencontré, accueilli ;

et c’est déjà beaucoup, si le voilà qui vient à passer pas trop loin de votre attention flottante… ;

cela doit (ou devrait) finir tout de même par s’apprendre, à un certain âge ;

du moins, cela (je veux dire un tel « apprentissage » ; une telle « sagesse de l’amour« )

peut (ou pourrait) raisonnablement s’espérer

(sans aller, cependant, jusqu’à s’escompter, toutefois !)… _ :

il ne sera pas au rendez-vous

_ car tel n’est pas (du tout !) le mode d’« arriver«  (= « survenir« ) de l’amour…

« L’amour n’est pas _ du tout ! il le fuit même irrévocablement ! comme la peste ! _ un produit marketing...


L’heure du marché viendrait-elle soudain de passer

cet automne ?..

Titus Curiosus, le 21 décembre 2008

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