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Redécouverte ce jour au CD de « L’art de la Fugue » de Johann-Sebastian Bach dans la très belle interprétation, un pur enchantement !, de l’Ensemble Les Récréations, en 2022…

23août

C’est la lecture de l’article « Les Récréations dans une version fervente et prospective de l’Art de la Fugue de Bach » de Bénédict Hévry, sur le site de ResMusica, à la date d’hier 22 août,

qui m’a renvoyé à l’écoute, qui m’avait déjà très favorablement marqué, de « L’Art de la Fugue » BWV 1080 de Johann-Sebastian Bach par l’Ensemble Les Récréations _ constitué de Matthieu Camilleri, violon, violon piccolo et alto ; Sandrine Dupé, violon et alto ; Clara Mühlethaler, alto et violon ; Julien Hainswort, violoncelle piccolo ; et Keiko Gomi, violoncelle _, dans le CD Ricercar RIC 453 _ enregistré à Basse-Bodeux, en Belgique du 12 au 15 septembre 2022 _ ;

« L’Art de la Fugue« , cette œuvre-phare de Bach, dont les nombreuses précédentes interprétations au disque m’avaient jusqu’ici paru la plupart bien austéres…

Et ma ré-écoute ce jour de ce CD Ricercar RIC 453 « Die Kunst der Fuge » de l’Ensemble Les Récréations _ écouter ici : cest superbe ! _, vient confirmer et mon admiration totale pour ce CD Ricercar RIC _ d’une durée de 73′ 43 de pur enchantement… _, et l’appréciation très laudative et excellemment argumentée de Bénédict Hévry en son article de ResMusica…

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proposent, avec une disposition en quatuor à cordes «augmenté»,  leur interprétation de l’Art de la Fugue, l’œuvre testamentaire  de . L’ensemble entend ainsi respecter à la lettre la partition et révèle avec son interprétation très fluide mais toujours habitée et expressive, la dimension de l’œuvre.

L’ensemble est constitué de jeunes musiciens bien connus dans les sphères de la musique ancienne et baroque notamment française _ et pour ma part je connais Sandrine Dupé depuis les années 1990, à Bordeaux… Si le groupe a cherché à ses débuts une certaine stabilité d’effectif, toujours placé sous la houlette de Mathieu Camilleri et Clara Mühlethaler, il affiche aujourd’hui une belle maturité et prestance avec le concours de – ici essentiellement au second violon mais aussi à l’alto – et de au violoncelle. Forts de leur démarche historiquement informée (notamment au sein de quelques uns des meilleurs ensembles baroques hexagonaux), les quatre amis adoptent la coupe du traditionnel quatuor à cordes classique, mais entendent par une étude philologique et contextuelle explorer les fondements même de la formule depuis les derniers feux de l’âge baroque jusqu’à l’avènement du premier classicisme.

s’attaquent donc aujourd’hui à un monument célébré mais énigmatique _ et semble-t-il  inachevé _ de l’Histoire de la musique occidentale, Die kunst der fuge, l’Art de la Fugue de . Outre le texte de présentation fort documenté de Gilles Cantagrel, nos interprètes nous signifient par un long avertissement  les tenants et aboutissants de leur réalisation. Nous aurons droit ici à une distribution instrumentale suivant à la lettre le texte tel qu’il nous est parvenu, selon le fameux manuscrit de Berlin complété par la première édition posthume et assez désordonnée de l’œuvre _ voilà. L’ensemble s’en tient aux quatorze contrepoints essentiels présentés dans l’ordre, éclatés en quatre groupes de fugues (quatre simples, trois strettes, huit fugues doubles ou miroirs , et enfin la fameuse triple fugue finale) séparés par un des quatre canons classés par ordre croissant de complexité de pensée.

Il s’agit donc de distribuer la polyphonie – souvent mais pas toujours « à quatre » – de la partition « théorique » et sans destination instrumentale précise, aux cordes des quatre instrumentistes de l’ensemble (dans une démarche à l’exact opposé des claviéristes, tel récemment Christophe Rousset, voyant dans le sillage de la thèse de Gustav Leonhardt l’Art de la Fugue comme une œuvre destinée au clavecin – ou à ses déclinaisons, l’orgue ou le piano).

La formule du quatuor à cordes moderne (deux violons, un alto et un violoncelle) demeure très incommodante pour adapter textuellement l’ensemble de l’œuvre au plus près des deux version princeps du texte – tous les quatuors l’ayant gravée (citons entre autres Juilliard, Emerson, Casals) doivent « bricoler » le texte quelque peu pour « coller » à la tessiture « obligée » de chaque instrument. Par exemple, pour le contrapunctus XI la seconde voix s’impose au violon-alto (malgré le déploiement dans l’aigu de la partie considérée….) car il manquerait une note grave au violon II au risque d’inverser et de défigurer certains motifs essentiels !). Mais ailleurs précisément l’instrument de la seconde voix (altus) est souvent mieux sonnante… au violon-alto qu’au violon II – souvent ailleurs replié dans le grave de la tessiture. La tierce voix de « ténor » est souvent idéalement rendue par le violoncelle piccolo cet instrument à cinq cordes aujourd’hui disparu, réhabilité par la pratique historiquement informée, et auquel Bach recourut plus d’une fois superbement au fil de ses cantates d’église ! De sorte qu’a émergé l’idée d’établir un quatuor élargi _ voilà _ avec le concours de au violoncelle piccolo, et de distribuer variablement les rôles  pour chaque « formant » du cycle.

Cette formule à « quatre plus un », hypervariable au fil des pages, à la distribution bien précisée dans la notice, permet de restituer le texte intégral sans aucune retouche _ dont acte. Avec aussi des contraintes parfois inattendues : le renversement inversus en miroir du contrepoint XIII – à trois –  fait que la partie du violon devient suraiguë, et recourt là pour son interprétation à un violino piccolo, plus petit et accordé une tierce plus haut que l’ instrument standard – celui que Bach utilisa par exemple en soliste dans le premier concerto brandebourgeois.

Certes le « vieux » Cantor de Leipzig  fait anachroniquement ici œuvre de synthèse, résumant deux ou trois siècles d’évolution de la pensée polyphonique avant lui.  Mais là où la version d’Hesperion XXI et de Jordi Savall – quatre violes doublées par un sévère  quatuor de vents – tirait l’œuvre vers l’ archaïsme, là où Musica Antiqua Köln jadis soulignait parfois le caractère presque dansant de certains contrepoints par des tempi plus échevelés, là où le très british Brecon Baroque de Rachel Podger, dans le projet de réalisation parfois assez proche du présent enregistrement, ne réussissait qu’à moitié son pari de restitution plus bariolée aux cordes et au clavecin, Les Récréations proposent une version techniquement irréprochable, textuellement convaincante, et musicalement extrêmement vivante _ voilà ! _ (dès les premiers contrepoints très allants malgré leur sévérité _ oui, oui _) voire virtuose, avec une conception pulpeuse et lustrale du son _ c’est cela. Si incontestablement l’œuvre se veut rétrospective, elle ouvre aussi, placée sous cet angle, de nouveaux enjeux à la fois scripturaux et esthétiques : on pense à la discipline imposée par le classicisme d’un Joseph Haydn qui reprend  le modèle fugué pour trois des finals de ses quatuors « du Soleil », sans parler de certaines incidences mozartiennes (adagio et fugue KV 546) ou de l’emploi obsessionnel de la fugue à des fins expressives du dernier Beethoven ou de Bartók en son premier quatuor ! Cette vision place donc aussi l’œuvre comme ouverte sur l’avenir d’une formule scripturale en pleine (re)définition  dans les années 1740 _ c’est là très vu…

La présente cursivité _ alerte, oui _ de l’interprétation (comme par exemple un fulgurant contrapucntus IX à la douzième) magnifie aussi l’extraordinaire tension harmonique « verticale » d’un discours pourtant a priori conçu comme la superposition de « lignes » horizontales :  il en va ainsi dans leur écriture serrée, pour les fugues strettes et surtout les contrepoints VIII et XI rarement entendus aussi aventureux _ oui _ par la mise en valeur de leurs dissonances passagères. Mais cette approche très vivante _ oui ! _, magnifiquement captée en l’église de basse-Bodeux en Belgique, n’empêche nullement le pathétisme presque éploré des canons « énigmatiques » à la douzième (plage 14), ou en augmentation et mouvement contraire (plage 19), joués comme il se doit en duo strict !

Pour la fameuse fuga a tre soggetti, tente le pari audacieux de « reconstituer » une possible coda à l’ensemble du cycle. Là où le discours se suspend, pour des raisons contingentes sans doute étrangères à la mort du Cantor _ mais inconnues de nous _, les interprètes respectent un court silence, puis entreprennent une des réalisations possibles d’une hypothétique strette finale pour parachever tout le cycle ; avec outre la superposition des trois sujets le retour « dans la gloire » du thème séminal et augural de tout l’ouvrage jusque là figuré en « ombres » au fil de cet ultime contrepoint…comme si, avec le sourire d’un sphynx, Johann Sebastian tendait la main à ses interprètes élus pour leur confier la clé ultime de son œuvre.

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Johann Sebastian Bach (1968-1750) : Die Kunst der Fuge BWV 1080.

Les Récréations : Matthieu Camilleri, Sandrine Dupé, Clara Mühlethaler, Julien Hainsworth, Keiko Gomi.

1 CD Ricercar RIC 453.

Enregistré en l’Eglise Notre-Dame de l’Assomption de Basse-Bodeux du 12 au 15 septembre 2022.

Notice de présentation en anglais, français et allemand.

Durée : 73:43

Quelle superbe et mémorable interprétation !!!

Ce vendredi 23 août 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un ravissant programme d' »Enfantines » (Bizet – Debussy – Fauré – Ravel – Aubert) par les délicieux Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle, en un très réussi CD « Passage secret » musical vers nos jeux de l’enfance…

21juin

Un ravissement programme d' »Enfantines » (Bizet – Debussy – Fauré – Ravel – Aubert), par Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle, en leur très réussi CD Alpha 1024 « Passage secret«  _ enregistré Salle Colonne à Paris au mois d’avril 2022… _,

ainsi que le remarque très justementnt aussi, sur le site de ResMusica, en un article intitulé « « Passage secret » hédoniste à quatre mains du duo Ancelle – Berlinskaïa« , Bénédict Hévry…

« Passage secret » hédoniste à quatre mains du duo Ancelle-Berlinskaïa

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Le duo publie chez Alpha ce réjouissant et solaire récital de piano français à quatre mains « Passage secret » entre grands classiques et la découverte de la ravissante Feuilles d’images de .

Le duo de piano Berlinskaya-Ancelle a déjà un long parcours artistique à son actif. Fusionnel à la ville comme à la scène il nous a déjà gratifié de huit superbes récitals discographiques, publiés jusqu’ici pour l’essentiel sur le label russe Melodyia. Le présent enregistrement, le premier réalisé pour la maison Alpha, explore cette fois le répertoire français à quatre mains écrit sous la Troisième République. Il est l’exact complément de leur disque Belle époque publié chez leur ancien éditeur. Cette fois, moins d’œuvres ou de noms plus rares (telles jadis celles signées Chaminade, Koechlin ou Hahn). Seul le méconnu et l’incontournable Debussy sont communs aux deux récitals… pour des œuvres fatalement différentes !

Ce nouvel enregistrement est un pur et gourmand _ voilà _ régal, tout d’abord par le réglage minutieux de l’instrument splendidement harmonisé, et par la prise de son d’Hughes Deschaux _ oui, oui ! _ à la fois capiteuse par sa légère réverbération et précise en sa définition spatiale  comme en sa restitution des moindres nuances dynamiques.

Il y a ensuite cette habile sélection – explicitée dans le magnifique texte de présentation signé par – de pages assez célèbres tantôt axées sur le descriptif de l’enfance, mais destinées à des pianistes aguerris (tels les Jeux d’enfants de Bizet ou la Suite Dolly de Fauré) tantôt délibérément écrites pour de jeunes pousses pianistiques encadrées (la Feuille d’images en cinq donnes de ) ou non (Ma Mère l’Oye) par leur mentor. Seule la petite suite de Debussy échappe un peu à ce champ sémantique. L’enchaînement des partitions est subtilement tracé que ce soit par le truchement d’Emma Bardac, mère de Dolly, probable maîtresse de avant de devenir Madame Debussy dix ans plus tard, ou par la solide amitié et l’estime réciproque qui liaient et Louis Aubert, créateur et dédicataire des Valses nobles et sentimentales.

Mais ce disque vaut avant tout pour ces interprétations capiteuses et enchanteresses _ voilà ! _, nimbées d’une impalpable poésie de l’instant, d’un réel et gouleyant plaisir ludique,  manière tendre et originale de respirer en musique _ oui _, dans l’intimité complice des quatre mains croisées au gré du clavier. Les Jeux d’enfants de sont ici un vrai régal _ oui, oui : écoutez-ici leur délicieux « Le Bal«  (1′ 41) _ par leur poésie de la précision quasi horlogère, depuis les balancements de l’Escarpolette au galop final du Bal, en passant  par l’évocation ici quasi-schumanienne du Petit mari petite femme, l’humour assez irrésistible du Volant, les hésitations aveugles du Colin maillard, ou les croquignolesques triolets du Saute-mouton. La Petite suite de Debussy est égrenée avec un hédonisme suave (En bateau) une poésie presque verlainienne (Menuet) ou une bonhomie savoureuse (Ballet final), là où la Dolly de Fauré, par son expression directe et généreuse, retrouve une spontanéité bienvenue qui faisait peut-être un rien défaut à la récente version plus gourmée de accompagné de (Hyperion). L’interprétation par le duo des cinq pièces enfantines de Ma Mère l’Oye de nous a paru un rien en retrait : on pourrait peut-être souhaiter un peu plus d’atermoiements aux errances de Petit Poucet ou plus de langueur négligée pour la valse lente si délicate des Entretiens de la Belle et la Bête, même si l’apothéose du Jardin féérique, avec ses crescendi ruisselants est splendidement menée. Enfin, il y a cette tendre découverte de la beaucoup plus tardive (1930) Feuille d’images de Louis Aubert, nostalgique regard dans le miroir vers cette époque faste et révolue de l’avant-guerre, une petite suite en cinq donnes détaillée avec un à-propos et une minutie sans faille et culminant en sa truculente et conclusive Danse de l’ours en peluche, donnée avec toute la goguenardise souhaitée.

Voici une anthologie de qualité superlative à la fois par la justesse du choix des œuvres, par la finition détaillée des interprétations, poétiques et minutieuses, et par l’adéquation stylistique à peu près parfaite de nos duettistes à chacune des différentes œuvres. Une réussite qui rappelle la compilation plus vaste encore du légendaire duo parue voici presque un demi-siècle et qu’Arion Music serait bien inspiré de rééditer !

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Passage secret.

Georges Bizet (1838-1875) : Jeux d’enfants, opus 22. Claude Debussy (1862-1918) : Petite suite, L. 65. Gabriel Fauré (1845-1924) : Dolly, opus 56. Maurice Ravel (1875-1937) : Ma mère l’Oye, M.60. Louis Aubert (1877-1968) : Feuille d’images.

Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle, piano à quatre mains.

1 CD Alpha Classics.

Enregistré à la Salle Colonne de Paris, en avril 2022.

Notice de présentation en français, anglais et allemand.

Durée : 73:39

Un CD proprement délicieux de passage musical (secret, intime) vers notre propre enfance…

Ce vendredi 21 juin 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et le somptueux cadeau, aussi, du CD Melodiya « Reminiscenza » de Ludmila Berlinskaïa, avec de sidérantes magiques justissimement raveliennes « Valses nobles et sentimentales »…

10juin

En forme de suite à mon article «  » du 7 juin dernier,

voici, ce lundi matin 10 juin, l’émerveillement _ absolu ! _ de mon écoute, au sein du magnifique CD Melodiya MEL CD 10 02526 « Reminiscenza » que m’a si gentiment adressé l’ami Manuel Cornejo, de sidérantes magiques raveliennes (en 1911) « Valses nobles et sentimentales« , sous les doigts sublimement inspirés, musicaux et éloquents, de Ludmila Berlinskaïa _ enregistrées à Moscou début juillet 2017…

Et en recherchant un peu, voici ce qu’en disait très justement, sur le site de ResMusica, le critique Bénédict Hévry, en date du 9 juin 2018, en un article intitulé « Reminiscenza, ou le labyrinthe du monde selon Ludmila Berlinskaïa » :

Reminiscenza, ou le labyrinthe du monde selon Ludmila Berlinskaïa

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71SG960Oj-L._SL1200_Quelques semaines après son récital en la salle Gaveau, nous parvient le nouveau disque de reprenant le programme de ce mémorable concert. Le concept permet de réunir, sous l’auspice des souvenirs, des pages opposées ou complémentaires, et met parfaitement en valeur les qualités pianistiques, musicales, et presque narratives _ oui, les deux _ de la pianiste russe qui vit aujourd’hui à Paris.

Fille de Valentin Berlinsky _ Irkoutsk, 1925 Moscou, 2008 _, le violoncelliste légendaire du quatuor Borodine de 1946 à 2007, Ludmila Berlinskaia a pu bénéficier des conseils et de la bienveillante attention d’éminents musiciens de la Russie soviétique. La marque de Sviatoslav Richter est tout à fait audible dans son jeu, tant par l’attention apportée aux vertus expressives du clavier que par la conception très architecturée, quasi-littéraire, du programme, sans que l’on ait pour autant la sensation d’avoir affaire à un simple épigone : ce poids de la grâce intuitive _ voilà _ typiquement féminine oublie la manière parfois plus brusque, léonine, de son maître à penser.

Le choix s’est orienté vers un juste partage entre deux sonates et deux cycles de huit pièces. Et sous le titre de « Reminiscenza » se cachent des références multiples : bien entendu, tout d’abord, la dixième sonate de , qui connaît ici une interprétation somptueuse, d’une engagement et d’une ferveur admirables, tant dans l’attention apportée aux nuances que dans la globalité de la trajectoire de l’œuvre. Mais les autres pièces du programme, au-delà des propres souvenirs de l’interprète, utilisent peu ou prou les effets de mémoire volontaire ou non, et d’ouverture du tiroir aux effluves passées : le Gesangvoll, mit innigster Empfindungconclusif de la Sonate opus 109 de Beethoven boucle la boucle par une réitération de son thème initial après bien des métamorphoses. Les pièces impaires (côté Florestan) et paires (côté Eusébius) des Kreisleriana de Schumann se répondent intimement par des bribes thématiques cycliques ; quant à l’Épilogue des Valses nobles et sentimentales de Ravel (par-delà la référence à Schubert), il égraine en quatre minutes le parcours total du cycle.

On admirera les contrastes de la sonorité de : tantôt assez courte, voire cinglante (par exemple dans un Ravel d’une conception très originale, imaginé loin des standards et clichés « français » superficiels et un peu éculés), ou ailleurs parfois plus enrobée et directement séduisante (premier temps de la Sonate de Beethoven, idéalement rêveur et timbré). Certes, on pourrait imaginer une plus grande différenciation des variations terminales de cette même sonate, telle, dans une conception voisine, la version ultime et très tranchée d’un Emil Gilels (DGG) ; mais le parcours des Kreisleiriana, tour à tour emportés sans précipitation (Argerich, DGG) ou méditatifs sans mièvrerie, nous aura semblé rarement aussi narratif, elliptique et justement tortueux à la fois dans son labyrinthe psychologique et musical : l’interprète semble, plus encore ici, prendre l’auditeur par la main et le guider d’étape en étape dans un voyage intérieur aux multiples entrelacs, pour un périple méditatif ou douloureux dont personne ne sortira indemne. Pour cette vision à l’inquiétante étrangeté (pour citer Freud à propos des Contes d’Hoffmann), ce merveilleux récital _ voilà ! _ mérite à lui seul d’être acquis, et permettra à bien des mélomanes de découvrir une pianiste éminente et attachante, qui par son destin musical et ses paris esthétiques a réussi – et comment ! – à se faire un prénom.

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« Reminiscenza ».

Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Sonate n° 30 en mi majeur op. 109 ;

Nikolaï Medtner (1879-1951) : Sonate n° 10 en la mineur « Reminiscenza » op. 38 n° 1 ;

Robert Schumann (1810-1856) : Kreisleriana op. 16 ;

Maurice Ravel (1875-1937) : Valses nobles et sentimentales.

Ludmila Berlinskaïa, piano.

1 CD Melodiya.

Enregistré en la grande salle du conservatoire de Moscou en juillet 2017.

Textes de présentation de l’artiste en russe, anglais et français.

Durée : 79:40

Un piano de Ravel justissimement somptueux…


Ce lundi 10 juin 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le Ravel à fuir (!!!), glacial et d’âge glaciaire, du piano trop mécanique de Keigo Mukawa : faire le test comparatif de l’enlevé et merveilleux « Rigaudon » du délicat et délicieux « Tombeau de Couperin »…

30mai

Ce n’est bien sûr pas tout à fait pour rien qu’en sa notice intitulée « L’homme Ravel : une dualité séduisante« , aux pages 13 à 16 de son double album Etcetera KTC 1816 « Keigo Mukawa – Maurice Ravel – Complete Works for Solo Piano«  _ enregistré au Chichibu Muse Park Music Hall  _,

Keigo Mukawa prononce rien moins que 6 fois le bien significatif qualificatif de « froid« ,

et qu’il utilise aussi 2 fois l’image éminemment répulsive de « sculpture de glace » pour qualifier son abord personnel du génie ravélien :

« À l’âge de treize ans, j’ai commencé à travailler sa « Sonatine« , c’était la première œuvre de Ravel que j’étudiais, et l’impression que me faisait sa musique _ voilà ! _ était celle d’une « sculpture de glace froide« . Probablement était-ce la texture de la musique, si précise, si réglée comme une mécanique parfaite _ voilà _, ou bien cette sonorité ferme construite avec des accords dissonants si bien calculés _ voilà encore _, qui m’ont évoqué cette sensation de froideur.

Plus tard, je suis entré au conservatoire de Paris en 2014 , là même où Ravel avait fait ses classes. J’ai pu étudier ses œuvres, en profondeur, et les jouer de nombreuses fois lors des concerts. Et même si Ravel est devenu le compositeur pour lequel j’éprouve le plus de sympathie, cette image de sculpture de glace n’a pas varié« …

Mais cette fâcheuse impression ne quitte pas hélas non plus l’auditeur que je suis de ce double CD de Keigo Mukawa, que, sur la foi malencontreuse de divers critiques musicaux _ par exemple Émilie Munera et Rodolphe Bruneau Boulmier, en leur émission En pistes ! de France Musique, ou Bénédict Hévry, le 7 mai dernier, sur le site de ResMusica en un article laudatif intitulé « Keigo Mukawa dans une éminente et fervente somme ravélienne«  ; mais aussi Bertrand Boissard, à la page 98 du numéro du mois de mai 2024 de Diapason ; ou encore Gérard Belvire, à la page 93 du numéro du mois de juin de Classica… _ je désirais vivement découvrir et connaître, et écouter :

or l’impression tout bonnement désastreuse que j’en ai à l’audition, est d’être livré ici à la tronçonneuse glacée et sans esprit de Glenn Gould débitant à la furibonde décérébrée les fugues mécaniques de Jean-Sébastien Bach, ou, pire encore, massacrant sans pitié les délicieuses délicates sonates pour piano, vives d’esprit, de Mozart…

J’ai donc procédé à un test comparatif _ qui a tant plu à mon petit-fils Gabriel, très fan de ce Rigaudon de Ravel… _ du preste et à jamais juvénile « Rigaudon » (dédié aux frères luziens Pierre et Pascal Gaudin _ beaux-frères de la cousine de Maurice : Magdeleine Hiriart-Gaudin… _) de cette merveille de finesse qu’est « Le Tombeau de Couperin » :


_ voici donc à écouter ici ce qu’y donne, en un podcast de 3′ 28, l’Assez vif de ce Rigaudon sous les doigts un poil balourds et mécaniquement tricotteurs _ sans esprit, et dénués de charme, et de fantaisie et malices et humour, si raveliens…  _, et surtout incomparablement trop lents pour la prestesse enjouée et mutine d’un rigaudon de ce basque mince et bondissant, et infiniment vif d’esprit, qu’était Maurice Ravel _ comparez avec les autres interprètes choisis ci-après… _, de Keigo Mukawa… 

_ et maintenant, sous les doigts bien plus justement mutins _ à la luzienne ! j’aime beaucoup, beaucoup ! _ de Martin James Bartlett, en ce podcast de 3′ 05…

_ ou encore, par Alexandre Tharaud, en un podcast magnifiquement preste et juvénile _ bravo ! bravissimo ! c’est à la perfection senti ! _ de 3′ 01…

_ et aussi par Bertrand Chamayou_ pas mal du tout non plus ! _ en un podcast de 3’06…

_ et encore par l’excellent Steven Osborne, en un podcast bien preste et alerte, lui aussi _ et comme il le faut !.. _, de 3’01…

Et maintenant faites votre choix !!!


Maintenant, en y réfléchissant encore un peu,

il me semble que cette approche trop strictement mécanique (et froide) du piano de Ravel de la part du jeune Keigo Mukawa, tient à sa pourtant juste principielle obsession (de métier) d’atteindre la perfection technique nécessaire, en effet, à servir l’idéal d’interprétation la plus juste possible des œuvres tout spécialement de Ravel, mais qui, pour le moment du moins de son propre parcours d’interprète très justement exigeant à l’égard de lui-même _ Ravel lui-même n’ayant jamais été, lui, un parfait interprète, ni au piano, ni à la baguette de chef, de ses propres génialissimes œuvres… _, passe encore, pour le moment du moins, à côté de l’objectif absolument fondamental, et rédhibitoire sinon, de l’interprétation ravelienne : servir l’esprit le plus fin, tendre, chaleureux, insidieusement torride même, voilà, de l’œuvre de Ravel, par la médiation seulement, si je puis le dire ainsi, de la parfaite maîtrise obligée, certes, en effet, de la technique, mais qui n’en qu’un nécessaire moyen, un étai, et qu’il faut absolument, à l’interprète, apprendre à dépasser-transcender, faire complètement oublier à l’auditeur ; sinon l’interprète, encore besogneux, malhabile, en reste, en effet, à une rédhibitoire réfrigérante « sculpture de glace » de cette musique subtilissime de Ravel, au-delà de son obligée perfection technique ; en ne réussissant pas, lui interprète, à atteindre et surtout faire s’envoler-virevolter-tournebouler dans le charme le plus pur et aérien, l’esprit ludique, finement sensuel et même érotique, de la sublime fantaisie narquoise du génie français absolu de Maurice Ravel compositeur ; dans l’esprit, mine de rien très audacieux et moderne, franchement rieur et léger, leste (car délesté…), d’un Couperin, d’un Rameau, mais aussi d’un Mozart, et même encore du jeune Mendelssohn _ par-delà, à la Nietzsche, le tragique fatal de toute vie, qui s’y perçoit bien sûr aussi, en filigrane estompé d’un constant et bien présent arrière-fond, sensible à l’horizon rosé des plus beaux soirs d’été…

Ce jeudi 30 mai 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ma curiosité Tansman : suite, au piano en 1939-40 et 1955, avec de nouvelles prometteuses ouvertures aussi…

10mai

La satisfaction éprouvée à l’écoute de 5 CDs consacrés, pour tout ou pour partie, à des œuvres d’Alexandre Tansman (Lodz, 11 juin 1897 – Paris, 15 novembre 1986),

dont témoignent mes deux articles d’avant-hier mercredi 8 mai «  » et hier jeudi 9 mai « « ,

a soulevé une vive curiosité de ma part d’en découvrir bien davantage par le disque ;

et c’est ainsi que j’ai pu, d’une part, dénicher ce matin chez mon disquaire préféré le CD de piano « Tansman – Piano Music » _ le CD Dux 1688, enregistré à Lodz les 11 et 12 août 2020 _ de la pianiste polonaise Hanna Holeksa interprétant les « 24 Intermezzi » (Paris, 1939, et Nice, 1940) ainsi que la « Sonate pour piano n°5 « À la mémoire de Bela Bartok » (Paris, 1955) ;

et, d’autre part, passer commande de 5 autres CDs consacrés, pour tout ou pour partie, à des œuvres d’Alexandre Tansman : 3 de pianos (d’époques diverses) _ et en avant-première, écoutez donc déjà ceci (61′ 02), par Maria Argenterio : c’est proprement jubilatoire ! _, et deux de musique de chambre _ mes répertoires préférés, avec la mélodie : j’aime les lignes claires…

Sur ce CD de l’excellente pianiste Hanna Holeksa (Bytom, 15 juillet 1977),

voici deux commentaires qu’en ont donné Jean-Charles Hoffelé en son article « Intermèdes de guerre« , en date du 15 novembre 2021,

et Bénédict Hévry, en son article « Vingt-quatre Intermezzi pour piano d’Alexandre Tansman, sublimés par Hanna Holaksa« ; le 22 novembre suivant :

INTERMÈDES DE GUERRE

La peste brune allait ravager l’Europe, mais Alexandre Tansman _ juif polonais, installé à Paris depuis la fin 1919, et ayant obtenu la nationalité française en 1938 _ n’avait pas encore quitté Paris lorsqu’il composa les deux premiers cahiers de ses 24 Intermezzi qui seront son carnet de notes d’exil. Les deux suivants furent mis au net à Nice _ en 1940 _ où, hébergé chez des amis, il attendait le sésame de son visa pour le Nouveau Monde.

Rien ne transparaît du drame, ces haïkus pianistiques sont vifs, débordés par cette plénitude _ voilà _ d’harmonies épicées, cette suractivité _ oui, oui _ rythmique pleine d’ostinatos, et une nostalgique discrète y paraît parfois, à peine avouée : la pudeur était le fort de ce petit homme_ deux points communs avec son maître Ravel _ qui cachait admirablement son génie _ et le mot n’est en effet pas galvaudé ! Mais un cri se fait entendre dans le chromatisme tortueux de l’Adagio lamentoso à la plage 21 du CD _ qui soudain colore de noir le 4e cahier _ de 1940 ; des 6 pièces de ce 4e cahier, regardez-ici la vidéo (de 14′ 33) _ : Tansman le reprendra tel quel pour en faire le mouvement lent de sa Quatrième Sonate _ dédiée à Elizabeth Sprague Coolidge, en 1941, à New-York. Hanna Holeksa en donne une lecture puissante _ voilà _, faisant entrer une dimension orchestrale dans ces pièces brèves _ oui _ qui résument l’esthétique comme l’artefact d’un compositeur parvenu à l’acmé de son art.

Quinze ans plus tard, la 5e Sonate _ en 1955 _, dédiée « à la mémoire de Béla Bartók » pour la commémoration des dix ans de sa mort, peut être qualifiée de chef-d’œuvre _ oui ! _, les ostinatos sont jouissifs au long du Molto vivace, et le Finale, commencé par un largo funèbre, impressionne, tout comme les souvenirs de Bach qui emplissent l’admirable Lento. Là encore, Hanna Holeksa est admirable de poésie, de brio et sait émouvoir _ oui.

Les archives de l’INA conservent d’ailleurs une interprétation de cette Sonate sous les doigts de compositeur _ lui-même _, Hanna Holeksa l’aurait-elle entendue ? D’ailleurs, quantité d’œuvres d’Alexandre Tansmansont conservées dans des interprétations de première force au sein des archives de la Maison ronde, quel éditeur _ voilà ! _ prendra l’initiative de les exhumer ?

LE DISQUE DU JOUR

Alexandre Tansman
(1897-1986)


24 Intermezzi (1939-1940)
Sonate pour piano No. 5 “À la mémoire de Béla Bartók”

Hanna Holeksa, piano

Un album du label DUX 1688


Photo à la une : le compositeur Alexandre Tansman – Photo : © Famille Tansman

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La pianiste polonaise Hanna Holeksa nous offre une nouvelle et superbe version discographique des rares Vingt-quatre intermezzi d’Alexandre Tansman composés à la veille _ pas tout à fait : à Paris en 1939, et à Nice au printemps et à l’été 1940 _de la Seconde Guerre mondiale. L’anthologie est complétée par l’imposante Sonate pour piano n° 5, de quinze ans postérieure _ en 1955 _ et dédiée à la mémoire de Béla Bartók.

Après des études musicales poussées en sa Pologne natale, Alexandre Tansman gagne Paris dès 1919, où il est présenté à Ravel _ voilà _, subjugué par le talent protéiforme et iconoclaste du jeune homme. Fort de cette relation le jeune compositeur pianiste pourra rencontrer Bartók, Prokofiev, Stravinsky, le groupe des Six, Roussel et sympathiser avec d’autres jeunes loups venus de l’Est parfaire leur art en bord de Seine : Martinů, Harsanyi, Tcherepnine, Mihalovici et lui-même fonderont l’école de Paris, mouvement renouvelant considérablement la donne néo-classique par l’apport des musiques populaires, folkloriques, voire extra-européennes, ou encore de jazz _ en effet, et c’est très important. On ne cesse de redécouvrir_ oui, oui… _  cet important compositeur qui, farouchement indépendant, a traversé le XXᵉ musical avec un exil forcé aux États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale. Et en particulier son œuvre pour piano protéiforme, _ c’est très juste _ partagée entre ravissantes pièces pédagogiques et substantiels projets compositionnels, suscite de plus en plus l’intérêt des interprètes _ en effet.

Les Vingt-quatre intermezzi datent de la période incertaine de la « drôle de guerre » : ils sont ordonnés en quatre cahiers de six, rédigés entre Paris pour les deux premiers (fin 1939) et à Nice (printemps et été 1940 _ et l’Occupation a alors bel et bien commencé ! _) où Tansman réside, sur le départ, près du consulat américain. Car pourtant naturalisé français par décret deux ans plus tôt _ en 1938 _, il sent monter dans la France, peu après partiellement occupée par l’envahisseur nazi, une vague d’antisémitisme sans précédent et craint _ non sans d’excellentes raisons !!! _ pour la sécurité de sa famille et de lui-même _ il est Juif. Il pourra s’exiler au départ du port méditerranéen aux États-Unis, où plusieurs tournées de concerts lui avaient valu de très solides amitiés, dont celle de Charlie Chaplin.

Ces vingt-quatre instantanés musicaux (entre une et trois minutes chacun) renvoient obliquement au cycle des 24 préludes de Chopin (l’on peut trouver même ça et là quelques citations cryptées) à la fois comme véritable art poétique de l’auteur et comme journal de bord tour à tour nostalgique (l’hommage à Brahms en guise de pénultième pièce _ ainsi que le titre d’« Intermezzi«  _) inquiet (le vingt-et-unième, de loin le plus développé, adagio lamentoso, réutilisé tel quel d’ailleurs comme mouvement lent de la quatrième sonate) ou ironique (les conclusions des deux premiers cahiers).

Ce cycle avait trouvé en Vladimir Jankélévitch, philosophe du je-ne-sais quoi et du presque-rien (dans l’esprit de ces bagatelles des profondeurs) ami proche du compositeur _ oui, oui _, un très fervent défenseur. On s’explique d’autant plus mal que ces magnifiques et magistrales miniatures extrêmement caractérisées aient attendu 70 ans pour être enfin gravées au disque ! En effet, la pianiste belge Éliane Reyes avait livré sa vision de ce quadruple cycle pour Naxos voici une douzaine d’années en première mondiale (Clef d’or ResMusica) : une interprétation fervente, toujours actuelle, mais peut-être un rien trop objective et quelque peu oblitérée par une prise de son trop directe et surtout un piano assez quelconque à la mécanique bien bruyante.

Hanna Holeksa, nouvelle venue, donne une approche plus diversifiée quant à ses intentions et plus fruitée dans sa réalisation. Elle peut compter sur un excellent instrument _ oui _, et surtout sur une captation assez capiteuse _ oui, oui _, nimbant le Steinway Modèle D d’une très légère mais agréable réverbération. La pianiste polonaise, déjà bien connue pour son travail chambriste au sein du Trio Vivo et lauréate de plusieurs concours internationaux, joue d’avantage sur la fluidité métrique (n° 4) ou l’ambivalence harmonique de ces pages (les numéros 1, 3, 7, 9, 15). La qualité du toucher (en particulier dans les n° 2 ou n° 19) est toujours au rendez-vous, la sonorité est variée et mordorée (n° 16, n° 19) ainsi que constamment la différenciation impeccable des plans sonores démêlant les écheveaux contrapuntiques les plus intriqués des pièces les plus cérébrales. Hanna Holeksa trouve la juste ambiance dès les premières notes de ces très brèves pages, du spleen laiteux du n° 2 à l’accablement grisâtre du n° 5, de la triste tendresse désabusée du n° 7 à l’ironie la plus amusée du n° 10, du rire sarcastique du n° 22 aux réminiscences d’ambiances tantôt ravéliennes (n° 11) ou romantiques et salonardes à jamais révolues (n° 15, l’hommage à Brahms du n° 23) dans une nostalgie teintée d’inquiétude (n° 17) _ très bien perçu.

Mais ailleurs, l’interprète se rappelle du sillage de la Nouvelle Objectivité dans la veine d’un Toch ou d’un Hindemith (n° 3), par les ostinati rythmiques implacables (n° 5) ou le néo-classicisme scriptural le plus austère (fugue du n° 6). Cette lucidité objectale l’amène à s’amuser des sortilèges du texte : sont ainsi délicieusement croqués les gruppetti et trilles néo-scriabiniens du n° 8, la savante désarticulation rythmique de l’allegro barbaro (clin d’œil bartokien _ oui _) dans un tempo di marcia du n° 12, l’incisivité implacable des accents presque jazzy _ oui _ du n° 14, ou la brutalité délibérée du n° 18. Cette approche idéalement versatile atteint à juste titre le comble de l’expression anxieuse et désespérée au fil du terrifiant _ voilà !adagio lamentoso du n° 21, tout en jouant aussi la carte de la distanciation amère pour boucler le cycle (n° 24) sur la ponte des pieds, porte ouverte vers un avenir incertain.

Là où Éliane Reyes avait choisi pour compléter son disque d’enregistrer (également en première mondiale) la Petite suite de 1917-19, délicieusement poétique malgré (ou à cause de ?) son projet pédagogique, et la brève valse-impromptu de 1940, Hanna Holeksa a opté pour la beaucoup plus substantielle Sonate pour piano n° 5 de 1955, composée à l’occasion du dixième anniversaire de la mort de Béla Bartók. Les qualités de toucher et de poésie déjà remarquées font mouche dans les deux mouvement centraux, tandis que les temps extrêmes, roidement menés, révèlent une pianiste aussi irréprochable que brillante et virtuose, qui se joue de toutes les chausse-trapes rythmiques et de l’aspect délibérément plus percussifs des temps extrêmes. De quoi conclure en beauté et avec éloquence ce maître-disque _ oui, oui.

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Alexandre Tansman (1897-1986) : Vingt-quatre intermezzi pour piano, en quatre cahiers ; Sonate pour piano n° 5 à la mémoire de Béla Bartók.

Hanna Holeksa, piano Steinway modèle D-274.

1 CD DUX.

Enregistré en la grande salle de concert de l’Académie de musique Grażyna et Kiejstut Bacewicz de Lódź du 8 au 12 août 2020.

Texte de présentation en polonais et en anglais. Durée : 63:00


En remarquant aussi, au passage, le travail discographique important, et de très grande qualité musicale, qu’accomplit en Pologne, à Lodz, en faveur de la diffusion discographique de l’œuvre musical d’Alexandre Tansma, le très intéressant label Dux, distribué en France par Distrart…

Qu’attend donc l’édition discographique française ?..

À suivre, bien évidemment, avec le plus vif intérêt !

Quelle splendide _ et originale _ musique !!!

Ce vendredi 10 mai 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

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