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L’enchantement du CD « Duphly » d’Elisabeth Joyé : une entrée « de rêve » dans le classicisisme musical français du XVIIIème siècle !

15juil

Quelle merveille que le CD « Pièces de clavecin » de Jacques Duphly (1715-1789) que vient nous offrir la magnifique Elisabeth Joyé, sur le si beau « clavecin historique du château d’Assas«  (en Languedoc : clavecin qu’avait si bien servi, il y a quelque temps, Scott Ross, en son « intégrale » des 555 « Sonates » de Domenico Scarlatti… ; Scott Ross est mort au château d’Assas le 13 juin 1989 ; est-il besoin de le rappeler ?)

que nous propose, ce début d’été 2009, Alpha :

il s’agit du CD Alpha 150…

A mes yeux, voilà rien moins que le plus bel enregistrement de « musique baroque » de cette saison 2008-2009 ;

et, mieux encore, une « entrée » rêvée dans la musique française de la période dite « baroque«  (de l' »Orfeo » de Claudio Monteverdi, donné à la cour des Gonzague à Mantoue le 24 février 1607, à la mort de Jean-Sébastien Bach, à Leipzig, le 28 juillet 1750, pour aller au principal, et le dire trop vite… ;

les quatre « Livres » de « Pièces de clavecin » de Jacques Duphly ont paru respectivement en février 1744, octobre 1748, janvier 1758 et le 14 juillet 1768, pour être précis !) :

un enchantement absolu en son élégance tranquille, heureuse,

mais non dépourvue d’une certaine gravité,

en ombre portée, tout simplement, et sans façons aucunes, en quelque sorte, de ses « jeux » :

à la Chardin, si l’on veut ; un presque parfait contemporain, aussi, c’est à noter : Paris, 1699 – Paris, 1779…

Car,

de même que Chardin, qui s’est cantonné aux « Scènes de genre » et aux « Natures mortes » _ à l’exception de (très rares) « auto-portraits«  _, n’a pas accédé à la reconnaissance des « grands genres«  (la « peinture d’histoire« , le « portrait« , le « paysage« ),

Jacques Duphly n’a pas recherché une carrière à la Cour _ « il n’eut jamais de position officielle« , l’a formulé François Lesure, en sa préface aux « Œuvres pour le clavecin » de Duphly, éditées par Françoise Petit en 1967… _ : il s’est contenté d’enseigner _ avec grand succès _ le clavecin à Paris, à partir de 1742 ;

Pierre-Louis Daquin, affirme, en ses « Lettres sur les hommes célèbres sous le règne de Louis XV », en 1752, que les dons de claveciniste de Duphly étaient « supérieurs » ;

qu’il eut raison de gagner Paris (plutôt que de demeurer en poste _ d’organiste _ à Rouen : Carmes, Saint-Louis, Saint-Éloi, Notre-Dame de la Ronde ; ou Évreux : la cathédrale) ;

Paris où « il passe pour un très bon claveciniste » ;

précisant encore qu’« on lui trouve beaucoup de légèreté dans le toucher et une certaine mollesse _ « morbidezza« , en italien, c’est-à-dire « douceur« , « tendresse« , au lieu de « dureté«  _, qui, soutenue par des grâces, rend à merveille le caractère de plusieurs de ses pièces« .

Et Pascal Taskin _ (1723-1793) le « maître-facteur«  de clavecins de l’époque à Paris : « Facteur de Clavessins & Garde des Instruments de Musique du Roi, Eleve & Successeur de m. blanchet, demeure Même Maison, rue de la Verrerie, vis-à-vis la petite porte de S. Merry, a. paris« , comme lui-même se présentait… _ le tient pour un des meilleurs professeurs du moment…

Dans le livret du CD, Marie Demeilliez rappelle, page 12, à propos de la « notoriété » et « carrière » de musicien à Paris de Duphly,

que « s’affirmant dès son arrivée à Paris comme l’un des meilleurs clavecinistes de son temps,

il est l’un des rares musiciens français du XVIIIème siècle à pouvoir vivre de la composition et de l’enseignement du clavecin« .

Jacques Duphly, « né à Rouen en 1715« , est le « petit-fils du célèbre organiste Jacques Boyvin (1655-1706)« , et « l’élève de François d’Agincourt _ Rouen, 1684 – Rouen, 1758 _, alors titulaire de l’instrument de la cathédrale _ de Rouen _ et organiste de la Chapelle royale » _ à Versailles.

Cette « gravité« -là, de ton, est parfaitement sensible dans le jeu,

et la façon de faire sonner le clavecin « historique » du château d’Assas,

d’Elisabeth Joyé :

on le constate à comparer l’écoute de ce CD « Duphly » Alpha 150

à celle du CD « Duphly » Séon du maître Gustav Leonhardt,

enregistré à la Doopsgezinde Kerk d’Amsterdam en janvier 1973, sur un clavecin David Rubio en 1972, d’après un original de Pascal Taskin (1723-1793, donc) ; et produit par Wolf Erichson…

Si l’on compare cet enregistrement-ci (CD Alpha 150) d’Elisabeth Joyé

à l' »Intégrale  de l’Œuvre pour clavecin » _ c’est-à-dire de l’ensemble des « pièces » des quatre « Livres« _ enregistrée par Yannick Le Gaillard pour ADDA en 1988,

soit la durée de la sélection par Elisabeth Joyé (= de 14 titres) pour le CD Alpha : 75 minutes,

vis-à-vis des 223 minutes de l' »Intégrale » (soit 51 titres) de Yannick Le Gaillard en 4 CDs,

on mesure la portée (et le goût !) de la sélection : un tiers de la musique publiée…

Une pièce seulement des livres II (« La Félix« ) et IV (« La Pothoüin« ) _ ces deux pièces choisies aussi parmi les onze de la sélection de Gustav Leonhardt, en 1973 _ ;

mais sept du « Premier Livre » et cinq du « Troisième Livre«  :

dans son livret pour l' »Intégrale » de Yannick Le Gaillard,

Jacques Drillon qualifiait le « Premier Livre«  de « traditionnel«  : payant son tribut « aux aînés et à leur puissante leçon » ;

« le deuxième écrit dans l’euphorie du succès est beaucoup plus italien«  ;

« le troisième est le livre de la maturité : Duphly y intègre certaines de ses plus grandes pièces, comme sa chaconne, et de l’inspiration la plus élevée, comme « La Forqueray », ou « la Médée » »… ;

allant jusqu’à qualifier le « quatrième livre«  de « celui d’une certaine décadence« , comme si « le clavecin et sa musique ne pouvaient » plus que difficilement « survivre à leur propre somptuosité« … 

Dans sa préface, en ouverture au livret du disque d’Elisabeth Joyé,

Jean-Paul Combet se déclare « particulièrement touché que cet enregistrement d’Elisabeth Joyé ait pu s’inscrire dans la mémoire d’un lieu » tel que le château d’Assas (il vient d’évoquer la « trace artistique » de Scott Ross : « intacte » !).

Et il poursuit, à propos de la si remarquable interprète _ à laquelle rendent fort bien justice, quant à ses « sentiments« , les six photos prises d’elle à Assas _  :

« Cette grande pédagogue, si attentive à l’accomplissement de ses élèves (nombreux et illustres ! _ à commencer par Benjamin Alard et Sébastien Delage que j’ai déjà eu l’occasion de citer… _), sait comme personne ciseler le son et faire chanter le clavecin,

faussement réputé inexpressif.« 

Puis :

« Avec Duphly, ce sont les derniers feux de la grande tradition française du clavecin qui brillent _ et avec quelle profondeur et douceur de « charme » ! _ avec l’éclat de ce qui va disparaître.« 

Pour conclure :

« L’enregistrement, longuement pensé, préparé et mûri _ oui : avec la splendide fraîcheur de la spontanéité, elle aussi, et comment ! présente !.. _ ne pouvait avoir lieu qu’ici, à Assas, où vivent les _ couperiniennes _ « ombres errantes » de la musique française.« 

On ne saurait mieux dire !!!


Et plutôt que de vouloir « voir en Duphly le « Chopin du clavecin » »,

comme l’évoquait en son livret de 1989 Jacques Drillon,

c’est plutôt du côté de Debussy que j’irais rechercher quelque « comparaison » (mutatis mutandis !) de style musical,

en m’appuyant sur l’analyse du génie de « Claude de France » faite par Jean-Yves Tadié en son beau « Songe musical _ Claude Debussy« …

Cf à ce propos mon article du 10 mars 2009 : « la poétique musicale du rêve des “Jardins sous la pluie”, voire “La Mer”, de Claude Debussy, sous le regard aigu de Jean-Yves Tadié« …

Un disque d’autant plus beau que sobrement délicat et chantant, en ses moindres souffles et inflexions, que ce CD « Jacques Duphly : Pièces de Clavecin » (CD Alpha 150) par la magique, discrète, délicate, justissime Elisabeth Joyé…


Titus Curiosus, le 15 juillet 2009

une merveille de délicatesse et profondeur musicale : les oeuvres pour flûte et musette (de Philidor, Hotteterre, Boismortier…) du CD « Le Berger poète », par (et sous la direction de) François Lazarevitch

21mai

A écouter avec ravissement les Couperin _ Louis et François _, Charpentier et Rameau,

et tout particulièrement dans une récente rafale de CDs étonnamment vivants et magnifiquement justes, tant de rendu de l’esprit que de soin de l’interprétation, par une nouvelle excellente (et extrêmement réjouissante, donc) génération de « baroqueux« 

_ cf mes articles de musique des 9 et 13 mai : « Trois nouvelles merveilles musicales, encore, de “style français”, en CD : des oeuvres de Gottlieb Muffat, Jean-Philippe Rameau et Gabriel Fauré »

et « quand les musiciens aiment passionnément la musique : le cas de l’oeuvre de Rameau » ;

mais aussi, un peu plus lointainement ceux _ puisse l’énumération n’être pas trop décourageante !!! _ des 7 novembre 2008 : « Retour aux fondamentaux en musique : percevoir l’oeuvre du temps aussi dans l’oeuvrer de l’artiste » (sur les « Pièces de clavecin » de François Couperin et Jean-Philippe Rameau) ;

26 décembre 2008 : « Un bouquet festif de musiques : de Ravel, Dall’Abaco, etc… » (et Berlioz, et Carl-Philipp-Emanuel Bach, etc…) ;

12 janvier 2009 : « une merveilleuse “entrée” à la musique de goût français : un CD de “Sonates” de Jean-Marie Leclair, avec le violon de John Holloway » ;

28 janvier 2009 : « Le charme intense de la musique de style français (suite) : avec des oeuvres de Marc-Antoine Charpentier et Georg-Philip Telemann » ;

30 janvier 2009 : « Douceur (de la musique) française _ ou pas » (en comparant des œuvres de Carlo Graziani _ premier violoncelle dans l’orchestre de La Pouplinièire de 1747 à 1762 _ et Francesco-Maria Veracini) ;

2 février 2009 : « Le “sublime” de Marc-Antoine Charpentier + la question du “déni à la musique”, en France » ;

25 février 2009 : « La grâce (et l’intelligence) “Jaroussky” en un merveilleux récital de “Mélodies françaises”, de Jules Massenet à Reynaldo Hahn _ un hymne à la civilisation de la civilité » ;

10 mars 2009 : « la poétique musicale du rêve des “Jardins sous la pluie”, voire “La Mer”, de Claude Debussy, sous le regard aigu de Jean-Yves Tadié » ;

21 mars 2009 : « Musique et peinture en vrac _ partager enthousiasmes et passions, dans la nécessité et l’urgence d’une inspiration » (à propos de Rameau, Enescu, Martinů et Fasch : dans des oeuvres, toutes, d’esprit français !) ;

11 avril 2009 : « “Vive Rameau !” : le “feu” du génie de Rameau en un jubilatoire CD Rameau (”Zoroastre” et “Zaïs”) par Ausonia et Frédérick Haas » ;

et encore du 18 avril : « Du sublime dans la musique baroque française : le merveilleux “vivier” Marc-Antoine Charpentier…« … _,

j’aurais pu penser que j’avais « cueilli » la « crème » du meilleur du « Baroque français« …

Et pourtant je viens de tomber sous le charme intensément fruité, très puissant en même temps qu’infiniment doux et souple

(et d’une simplissime « évidence » musicale ! bravo !!!),

d’un CD titré « Le Berger poète » (CD Alpha 148 : « Suites et Sonates pour flûte & musette« ), par Les Musiciens de Saint-Julien, que dirige, de la flûte traversière et de la musette, le très talentueux et merveilleusement inspiré François Lazarevitch ;

l’article qui vient

venant comme prendre une place de choix au sein de cette série d’articles sur de très beaux CDs de musique de « goût », plus encore que de « style« , si je puis dire, « français« …

Et avant que de citer quelques extraits du très remarquablement éloquent « argumentaire » que donne, en avant de chacun des disques des « Musiciens de Saint-Julien« , son ensemble, François Lazarevitch

_ qui n’a rien d’un vulgaire « musiqueur » distributeur de tonneaux de musique comme d’autres de bière : au baril et à l’hectolitre… _,

il me faut dire d’abord la qualité du plaisir à écouter un programme aussi magnifiquement « choisi » que parfaitement élégamment, et avec « vie« , « donné«  par les interprètes-instrumentistes des « Musiciens de Saint-Julien« , entourant et donnant la répartie à François Lazarevitch à la flûte traversière et à la musette

_ le « portail » du CD Alpha 148 donnant à bien contempler (à loisir !) en gros-plan le somptueux « détail » de la musette du « Portrait du Président Gaspard de Gueidan (1688 – 1767) en joueur de musette« , de 1735, un somptueux lui-même tableau du merveilleux Hyacinthe Rigaud

(1659 – 1743 _ un peintre  véritablement majeur du « premier XVIIIème siècle« … : une exposition « Hyacinthe Rigaud intime » va se tenir très prochainement au musée des Beaux-Arts Hyacinthe Rigaud de Perpignan, du 23 juin au 30 septembre 2009),

visible (j’ai pu l’y contempler l’été dernier) au spendide Musée Granet d’Aix-en-Provence,

qu’analyse, avec son brio de « feu d’artifices » coutumier, mon ami de Québec Denis Grenier _,

et interprètes-instrumentistes que je veux citer :

Alexis Kossenko et Philippe Allain-Dupré (ami lui aussi) à la flûte traversière, tous deux ; Matthias Loibner, à la vielle à roue ; Lucas Guimaraes Peres, à la basse de viole ; André Henrich, au théorbe, au luth et à la guitare ; et Stéphane Fuget au clavecin.

On peut assez rarement écouter une musique aussi parfaitement vivante et « vraie« , je veux dire aussi poétiquement juste et tendre, en la moindre des nuances d’un phrasé aussi délicatement fin et lumineux des musiciens.

Pour (un peu) entrer en la compréhension du « secret » de pareille réussite,

et avant que Jean-Christophe Maillard, le maître bien connu de la musette (auprès duquel François Lazarevitch a appris cet instrument), ne détaille très compétamment le programme du concert si royalement « choisi » de ce si heureux enregistrement, aux pages 16 à 23 du livret du CD,

voici quelques extraits bien éloquents de l’argumentaire vif et rapide (en à peine deux pages du livret) de François Lazarevitch,

sous le titre « Le Berger poète« .

D’abord, autour des répertoires de la flûte traversière et de la musette

_ « instruments au rayonnement extraordinaire tout au long de la première moitié du XVIIIème siècle« , dit d’entrée François Lazarevitch en sa présentation, page 12 _

sous la Régence et le premier Louis XV

(= entre 1715 et 1740 :

Louis XV n’a pas encore vraiment entamé, alors, la « ronde« , éclatante, à la Cour de ses brillantes maîtresses ; des sœurs de Mailly-Nesles, la première à paraître officiellement en cet « office« , fut l’aînée, Louise-Julie, comtesse de Mailly, en 1737, seulement… ; la Pompadour n’apparaissant, elle, Jeanne Bécu, qu’en 1745 seulement…),

ce programme du « Berger poète » « n’évoque en rien l’univers pastoral » effectif (champêtre) :

« ainsi même la sonate pour musette extraite du fameux « Pastor Fido » publié par Nicolas Chédeville sous le nom _ usurpé ! _ d’Antonio Vivaldi est intrinsèquement une admirable pièce de virtuosité _ très éloignée du « champêtre » rural !.. _ dans le plus pur style d’une « sonata da chiesa » pour violon« , page 12 toujours…

C’est que ces instruments « sont attachés » tout symboliquement « à l’image«  _ « de cour« , héritée, via « L’Astrée » d’Honoré d’Urfé et les cours (ainsi qu’« Académies« ) italiennes (ultra raffinées) de la Renaissance, des Grecs et des Romains de l’Antiquité… _ du berger aussi ancienne qu’indélébile.

Avec cette symbolique forte, importante et particulièrement touchante qui s’attache alors à l’image du berger : ne craignant ni l’isolement ni le silence, la tête tournée vers le ciel, le berger médite sur les beautés de la nature dont il est partie intégrante. Par ses relations privilégiées avec la Nature, sa vie entière avec le mystère de la Création n’est que poésie. Toujours marchant, il est un homme libre, guidant son troupeau en huchant« …

Cf aussi le fait que « dans la tradition chrétienne, David est un berger ; et Jésus, le Bon Pasteur, né dans une étable, entouré de bergers, est la lumière et le guide de son troupeau« 

D’autre part, « la musique de Jacques Hotteterre et de ses contemporains est essentiellement française dans l’esprit :

le rondeau de la « sarabande«  de Pierre Danican Philidor,

« Le Rossignol en amour » de François Couperin,

tout comme le « menuet«  ou la « gavotte«  de Jacques Hotteterre

…des harmonies toujours en suspension,

des mélodies simples et suaves, finement ornées,

dont l’épanchement ne va jamais sans retenue.

Semblant ne vouloir jamais s’imposer _ mais seulement aimablement se proposer… _,

cette musique _ confie avec beaucoup d’émotion François Lazarevitch page 13 _ me touche délicatement et profondément _ oui ! ces deux caractères sont proprement essentiels ! _,

comme j’espère qu’elle touchera l’auditeur _ oui, tout autant, à la suite des interprètes !


Et le chef d’assurer, page 13 du livret :

« Enfin, le « Berger poète«  symbolise ce que je cherche en musique :

tenter toujours de tourner le dos à l’effet _ vide _,

et trouver la vérité simple _ elle est à conquérir _ du son qui n’a pas besoin de se grimer,

le franc-parler et le naturel de l’articulation _ du phrasé musical _,

la conscience de la hiérarchie subtile _ à l’infini ; certes _ des notes permettant une clarté de discours et une ornementation improvisée _ libre et vraie ! _ qui fasse sens

_ le principal est dit ici…

Une liberté fondée sur une conscience du tempo qu’il faut aiguiser _ oui, au doux fil du tranchant de la « lame«  de chaque instrument… _  jour après jour.

Chercher ce que peut être « le vray poids »

_ l’expression est empruntée au grand Georg Muffat, en sa « Préface » au « Florilegium II » de 1698 : « Premières Observations sur la manière de jouer les airs de Ballets à la Française«  _

de chaque temps musical ;

et essayer de comprendre toujours mieux _ l’impossible « miracle«  de la « balance«  _ où donner de la liberté et où être ferme »…


Le livret du même François Lazarevitch à son précédent CD « A l’Ombre d’un ormeau _ brunettes  & contredanses« , des Musiciens de Saint-Julien, CD Alpha 115,

précise lumineusement ces données et clés d’interprétation d’une musique si délicatement raffinée et tellement poétiquement touchante, dans le si parfait « naturel«  de sa si claire « simplicité«  :


« Il n’y a nulle si bonne et désirable finesse

que la simplicité« ,

reprend-il, page 14 de ce livret-là, de François de Sales.

Avec ce commentaire-ci, assez éclairant :

« La simplicité n’est pas la facilité, loin de là _ on veut bien le croire, d’expert ! _ ;

et ce naturel qui lui est attaché demande un profond et patient travail«  _ délicatement tenu bien discret, avec la plus exquise politesse, de l’évidence de l’auditeur…

Et « une part importante du paysage musical français du XVIIIème siècle » _ en effet _, « jusqu’ici », « n’a que très peu retenu l’attention.

C’est qu’il est fragile et discret !

En lui, pas de tours de force, pas de paillettes, pas d’éclat _ qui époustoufle et tétanise.

Juste _ et voici l’essentiel ! _ un peu de charme, de la légèreté et de la naïveté _ toute de douceur _ ;

l’esprit français de toujours, en somme« , page 14 : c’est magnifiquement résumé là !

Vient alors une excellente explication des sources vives de ce travail :

« la chanson et la danse _ jamais très loin de la musique française, en effet _ ont en commun de ne pouvoir tolérer le complexe, le « travaillé »…

Leur fonction même impose _ certes ! _ la simplicité.

Mais si leur difficulté est invisible, elle est surtout bien réelle ;

et c’est pour cela que ces mélodies _ objet propre de ce CD Alpha 115 « A l’Ombre d’un ormeau _ brunettes  & contredanses » !.. _ ont aussi été un important vecteur pédagogique dans la formation _ même _ du goût musical« , toujours page 14.

« Les petits airs sont le lieu privilégié _ précise, alors, d’expert, François Lazarevitch _ pour l’assimilation _ pédagogique musicale _ de l’articulation et du langage des petites notes d’agrément et des doubles élaborés » _ « le double est une variation du couplet d’un air ; cette pratique étant une part essentielle de l’art du goût du chant des XVII & XVIIIémes siècles« , vient préciser alors une note de bas de page…

« Quant aux danses, aucun précepte, aucune recette ne résumera jamais _ certes : le travail est infini… _ ce qui permet de créer l’impression _ décisive _ de mouvement ;

comment « marquer (…) si bien les mouvemens de la danse (…) qu’on se sent comme inspirer même malgré soy l’envie _ aux autres _ de danser » _ indiquait ce même Georg Muffat toujours en sa même importante « Préface » au « Florilegium II » de 1698 : « Premières Observations sur la manière de jouer les airs de Ballets à la Française« 

C’est en vivant le bal _ oui ! _ et en recherchant cette indicible sensation de communion dans le mouvement avec les danseurs _ oui… _ que l’on y parvient peu à peu« , indique, avec force encouragement, François Lazarevitch, page 15.


« D’un côté, la beauté de la danse repose _ oui _ sur la cadence, liée à la rigueur absolue _ certes _ du tempo ;

et de l’autre, le charme des petits airs dépend de la liberté prise souplement _ un terme décisivement crucial _ avec la mesure.

Et cette rigueur et cette souplesse sont les deux axes _ oxymoriquement conjoints ! _ qui mènent à la maîtrise _ non purement technique seulement : jamais simplement « carrément«  mécanique _ du temps et du phrasé, travail de toute une vie ».., commente ô combien justement ! François Lazarevitch, page 15.


De cette musique :

il s’agit de « dépasser le graphique (des notations si « bizarres » _ à la première lecture, au premier « déchiffrage« , de la partition… _) et de tenter de lui donner sens _ vivant ! et vrai ! _ afin de le rendre compréhensible et intéressant _ et même bien davantage : délectable ! _ tant pour l’exécutant que pour l’auditeur », page 15.


« Depuis lors
_ il s’agit des commencements de sa formation musicale auprès d’un de ses premiers « maîtres«  de musique : Daniel Brebbia (avec Pierre Boragno ; et Philippe Allain-Dupré ; et Jean-Christophe Maillard ; et d’autres encore…) _,

ce répertoire n’a jamais quitté mon esprit ;

et j’aimerais toujours me laisser toucher _ sans ankylose _ par le doux esprit de sa poésie

et la beauté sobre de ses mélodies,

antidote aux violences contemporaines », ajoutait encore François Lazarevitch ;

qui concluait alors :

« Le travail est là ;

alors continuons…« 

En effet… 

Un disque merveilleux de grâce et poésie musicales

que ce CD « Le Berger poète : Suites et Sonates pour flûte & musette« , par François Lazarevitch et Les Musiciens de Saint-Julien,

le CD Alpha 148, à paraître très prochainement…

Titus Curiosus, le 21 mai 2009

quand les musiciens aiment passionnément la musique : le cas de l’oeuvre de Rameau

13mai

Quelques échanges de mails avec amis musiciens (et mélomanes passionnés),

en l’occurrence

Philippe Allain-Dupré, éminent flûtiste virtuose (cf pour écoute ! sa discographie…) et tout aussi éminent facteur de flûte (cf ceci : flûte renaissance),

et Maître Patrick Florentin, Secrétaire de la « Société Jean-Philippe Rameau » (chargée d’éditer l’œuvre intégrale _ enfin !!! nous n’en disposons toujours pas : pas encore !.. _, ainsi que de faire un point complet sur les sources de ce compositeur), conseiller au « Festival Baroque de Pontoise« , ainsi que Président de « La Simphonie du Marais » dirigée par Hugo Reyne ;

il n’y a pas que Debussy à aimer passionnément, en musicien, Rameau

(cf

à la suite de mon article du 9 mai 2009 « Trois nouvelles merveilles musicales, encore, de “style français”, en CD : des oeuvres de Gottlieb Muffat, Jean-Philippe Rameau et Gabriel Fauré » ;

ainsi qu’à celui du 11 avril 2009 « “Vive Rameau !” : le “feu” du génie de Rameau en un jubilatoire CD Rameau (”Zoroastre” et “Zaïs”) par Ausonia et Frédérick Haas » ;

l’article du 10 mars 2009 : »la poétique musicale du rêve des “Jardins sous la pluie”, voire “La Mer”, de Claude Debussy, sous le regard aigu de Jean-Yves Tadié« ) :

Voici ces échanges de courriels :

De :   Titus Curiosus

Objet : En souvenir d’un concert Rameau très émouvant
Date : 11 avril 2009 20:26:21 HAEC
À :  Philippe Allain-Dupré

En souvenir _ cf le post-scriptum à cet article du 11 avril ! _ du concert de Bruges le 7 août 1993 _ c’était, à l’église Sainte-Walburge, pour la session 1993 du « Festival de Flandres«  ; et, surtout, le soir même des obsèques du roi Baudouin… _,
cet article-ci :

« “Vive Rameau !” : le “feu” du génie de Rameau en un jubilatoire CD Rameau (”Zoroastre” et “Zaïs”) par Ausonia et Frédérick Haas »
et en regrettant de ne pas entendre plus souvent de Rameau au concert…

Bien à vous tous,

Titus

Et

De :   Titus Curiosus

Objet : Un article de musique
Date : 9 mai 2009 18:05:04 HAEC
À :   Philippe Allain-Dupré

Un article qui pourrait t’intéresser _ Philippe a joué à maintes reprises dans l’orchestre de La Simphonie du Marais ! dont lors de ce mémorable concert Rameau (« Des Ténèbres aux Lumières« ) à Bruges, le 7 août 1993 _ :

« Trois nouvelles merveilles musicales, encore, de “style français”, en CD : des oeuvres de Gottlieb Muffat, Jean-Philippe Rameau et Gabriel Fauré« 

Titus

voici, donc, cette réponse, on ne peut mieux éloquente-ci, de Philippe :

De :   Philippe Allain-Dupré

Objet : Rép : Un article de musique
Date : 13 mai 2009 08:41:47 HAEC
À :   Titus Curiosus

Ah Merci Titus
Oui Rameau est sublime !
Amitiés
Philippe Allain-Dupré

Et cet échange-ci, aussi, avec Patrick Florentin :

De :   Titus Curiosus

Objet : Ta part de travail dans le livret du CD Rameau
Date : 10 mai 2009 08:30:16 HAEC
À :  Patrick Florentin

Je n’ai pas réussi encore _ ce fut fait le lendemain, le dimanche 11 : Hugo Reyne rentrait de concerts « Bach«  à Tokyo avec Pierre Hantaï et Emmanuelle Guigues : leur CD de « Sonates pour flûte«  de Jean-Sébastien Bach paraîtra en septembre prochain, chez Mirare…  _ à joindre Hugo au téléphone
afin d’obtenir des précisions sur l' »Avis aux concertans » de 1741 de la « mise en concert » des « Pièces de clavecin« …
Hugo passant à une 2de opération : la « mise en symphonie »
_ des « Pièces«  (« de clavecin »…) que Rameau avait lui-même publiées, en partitions séparées, « mises en concert« 

Rameau a beaucoup appris des pratiques d’autres instruments que le clavecin et l’orgue
dès son activité au Théâtre de la Foire
_ à partir de 1723
Puis, à la direction de l’orchestre de M. de La Pouplinière _
à partir de 1731 : cf l’important « La Pouplinière et la musique de chambre au XVIIIe siècle » de Georges Cucuel, en 1913 (aux Éditions Fischbacher).
Et ensuite
_ à partir d’« Hippolyte & Aricie« , en 1733 _ à l’opéra _ = l’Académie royale de Musique

Il est intéressant de remarquer que Rameau quitte en 1753 la direction de l’orchestre de M. de La Pouplinière
pour la laisser à Johann Stamitz
_ 1717 – 1757 _, et à la nouvelle « mode » de la symphonie, en ses débuts.

Je m’y suis intéressé lors de mes recherches _ cf mon article dans le numéro des « Cahiers de l’Agenais«  de 1999  _ sur « la bibliothèque musicale des ducs d’Aiguillon » (au pluriel : le père, puis le fils ; voire le petit-fils),
et de Mangean
(ca 1710 – ca 1756)
La « symphonie » ne se développe pas seulement à (et depuis) la cour de Mannheim _ les Stamitz, Franz Beck, etc… _
ou en (et depuis) la Milan de Giambattista Sammartini
_ par où (ainsi que par Mannheim !) passera très bientôt le jeune Mozart, en mars 1770… ; Giambattista Sammartini : 1700 – 1775 _ ;
en France aussi…


Et l’opéra _ ou l’Académie royale de Musique _ y a sa place.

J’ai découvert les liens Barberina _ cf « La Pantomime » du « Quatrième Concert » _ / prince de Carignan
dans ces recherches sur la collection d’Aiguillon…


Carle Van Loo, autre ami de La Pouplinière,
était protégé par le prince de Carignan,
et avait pour épouse la cantatrice Cristina Somis,
de la famille du violoniste virtuose turinois
_ Giovanni Battista Somis : 1786 – 1763 _ …

Pour ne rien dire de l’incident de l’infidélité de la première Mme de La Pouplinière
avec le duc de Richelieu
_ troisième du nom : 1696 – 1788 _, en novembre 1748.

Marmontel le raconte dans ses « Mémoires »
sur lesquels je me suis penché aussi
quand j’étais « conseiller artistique » de « La Simphonie du Marais » : j’y ai beaucoup appris sur ce siècle…

La danse aussi, bien sûr, est très présente en ce siècle à Paris.
Et Rameau s’y déchaine…


Aussi, en viens-je à me demander quelle est ta part dans le livret du CD ;
tout à fait passionnant
_ et riche d’illustrations ! _sur le détail des 16 pièces mises en concert (+ les magnifiques « gavottes et leurs doubles« ).
Ainsi que sur la réflexion (finale) sur chacun de ces 5 concerts…


Peut-être rédigerai-je un 2d article là-dessus…

Titus

C’est désormais fait !

De :   Patrick Florentin

Objet : Rép : Ta part de travail dans le livret du CD Rameau
Date : 11 mai 2009 09:29:37 HAEC
À :   Titus Curiosus

Bonjour Titus,
Bravo pour ton article.

Je suis content que tu aies apprécié ce magnifique disque.

Cela fait longtemps (depuis 1996) qu’Hugo m’a parlé de ce projet de mettre « en simphonie » ce recueil de 1741.

Pour la partie texte, Hugo m’a laissé carte blanche sur l’introduction et le commentaire de chaque pièce. Toutefois Hugo a souhaité que chaque personnage fasse l’objet d’une illustration ; et j’y ai contribué en lui dénichant le portrait de la Boucon, de la Barberine (j’ai justement pensé à toi en évoquant ce personnage ! _ Patrick m’avait aidé quand, en 1998, je faisais des recherches autour du danseur Rinaldo Fossani (ou Antonio Rinaldi, dit aussi Fossano ; l’introducteur à Paris de Barberina Campanini, pour « Les Fêtes d’Hébé, ou les Talens Lyriques« , en mai 1739), pour certaines partitions _ dansées !!! _ de la bibliothèque des ducs d’Aiguillon _ ), de Laborde et bien sûr du tableau de Rameau que tu as vu à Bordeaux… _ où il avait été mis en vente publique.

S’agissant des textes, Hugo a trouvé l’idée _ excellente et si juste ! _ d’une dédicace pour chaque concert : l’hommage au Roi, les élèves de Rameau, le salon de la Pouplinière _ oui ! le foyer vivant et le centre de l’œuvre ! sur la rencontre Rameau/La Pouplinière, cf ceci, in Cucuel-1913, sur le « site Rameau«  _, le goût italien de Rameau _ tout à fait !!! _ et enfin les amis musiciens de Rameau _ ce qui nous permet de mesurer d’autant mieux combien Rameau tenait à cette œuvre !!!

Pour ce qui est du commentaire de la « gavotte« , il s’agit de la reprise d’un texte que j’avais écrit pour la revue Goldberg sur le « clavecin lyrique » de Rameau paru il y a de cela 5 ou 6 ans, dans un numéro consacré à Rameau _ le numéro 28, de juin-août 2004 ; cf l’article en post-scriptum.

J’espère avoir répondu à ta question sur ma part de travail dans ce disque, pour lequel j’ai eu la chance d’assister au montage.

Amitiés
Patrick

Titus Curiosus, ce 13 mai 2009


Post-scriptum :

Voici l’article de Patrick Florentin : « Le clavecin lyrique » de Rameau :

L’ironique Piron _ dijonnais (1689-1773) : il fut l’introducteur de son compatriote Jean-Philippe Rameau (1683-1764) auprès d’Alexandre Jean Joseph Le Riche de La Pouplinière de Cheveigné (1693-1762), fermier-général et mélomane passionné  _ disait de Rameau : “Toute son âme et son esprit étaient dans son clavecin ; quand il l’avait fermé, il n’y avait plus personne au logis”.

On ne saurait mieux exprimer l’attachement qu’éprouvait Rameau pour cet instrument auquel il consacra l’essentiel de sa musique instrumentale. Paradoxalement, ce que Rameau laissa pour le clavecin paraît peu important en quantité _ eu égard à l’ensemble des compositions _, bien que cette œuvre _ de clavecin _ couvrît quarante années de sa vie. Cependant, Rameau a pris le temps d’innover sans cesse _ oui ! c’est un homme « de génie«  _ en exploitant toutes les possibilités de l’instrument et en faire un tremplin _ oui ! _ pour la musique de ses opéras _ et c’est tout le mérite du CD des « Concerts mis en simphonie » de Jean-Philippe Rameau par La Simphonie du Marais, que dirige Hugo Reyne, soit le CD Musiques à la Chabotterie 605006, que de nous le donner à merveilleusement (finement) percevoir !..

« Premier livre de pièces de clavecin »

La première œuvre que Rameau ait jamais écrite, fut confiée au clavecin, sous la forme d’un « recueil » de dix pièces publié à Paris en 1706, accompagné d’une petite table d’agréments. Rameau, alors âgé de vingt-trois ans, a quitté Clermont, dont il tenait les orgues de la cathédrale, pour s’installer à Paris comme organiste et pour mieux entendre le maître qu’il admirait tant : Louis Marchand. Le « prélude » qui ouvre ce recueil est un hommage direct à ce musicien puisqu’il débute par une partie non mesurée, sous forme d’une magnifique improvisation, dans laquelle résonnent les accords de 7ème, 9ème et 11ème, suivie d’une « gigue à l’italienne » truffée de dissonances. Viennent ensuite deux « allemandes« , dont la « première » adopte une allure noble et grave avec des longues phrases de doubles croches, dans le style de d’Anglebert, tandis que la « seconde » reprend la même ligne mélodique avec plus de légèreté. La « courante » fait penser à la « deuxième » de la « Suite en ré mineur » de Marchand, non seulement à cause de l’accord de quinte au début du morceau, mais également dans le choix de l’allure et la tessiture. Dans les deux « sarabandes« , Rameau s’éloigne de l’architecture dévolue à ce style de danse en transformant la « première » en un « air tendre« , sans appui sur le deuxième temps, enchaînée à la « seconde« , qui l’imite dans le mode majeur. « La Vénitienne« , avec son rythme balancé, est certainement un souvenir du « Ballet » éponyme de Michel de la Barre (1705), dans lequel Rameau utilise pour la première fois la forme du rondeau. La « gavotte« , à trois voix, adopte un rythme énergique et occupe tout l’espace du clavier. Rameau y démontre sa parfaite maîtrise de la variation, comme en témoigne le dernier refrain de cette pièce. Le « menuet » qui termine ce « livre« , d’une manière élégante et simple, invite l’interprète à le compléter par des « variations » improvisées dans l’esprit du morceau précédent. Ainsi dans ce « premier recueil« , Rameau reste attaché au modèle de la suite de danses et tributaire du style de Marchand et d’Anglebert. Néanmoins, de nombreuses innovations dévoilent un style personnel qui apparaîtra de manière décisive dans ses ouvrages suivants.

« Deuxième livre de pièces de clavecin »

Rameau attendra la quarantaine et son retour définitif à Paris pour publier son « deuxième livre de clavecin » en 1724, précédé d’une « préface » très importante. La « Suite en mi » s’ouvre par une « allemande« , proche de Couperin (dans son « 17ème Ordre« ) de par son allure ample et son thème très développé. La « courante » très ornementée est conçue comme la « courante » du « livre précédent« , avec des valeurs pointées et un rythme à 3/2. Deux « gigues en rondeau » remplacent la « sarabande« . Dans la « première« , Rameau puise son inspiration dans la chanson populaire « Au bon roi Dagobert« . La « seconde gigue » n’est pas en reste avec son allure champêtre et ses couplets typés et variés. « Le Rappel des Oiseaux » écrit à deux voix, joue sur le décalage des syncopes évoquant un rassemblement d’oiseaux qui pépient entre eux. Rameau ne quitte pas son inspiration populaire dans les deux « rigaudons« . Le « premier » comporte un thème rapide en imitation. Le « deuxième » avec « son double« , est encore plus gai avec ses appuis harmoniques franchement marqués, immédiatement suivi d’une « variation » au rythme très orné à la main droite et la même ligne mélodique à la main gauche. Rameau revient à l’atmosphère champêtre avec une « musette en rondeau » à trois couplets entourant le refrain, comme dans les « rigaudons« . Rameau précise dans la « préface » du recueil que cette pièce peut être transposée pour être jouée avec la viole. « Le tambourin« , une des pièces les plus populaires de Rameau, également en rondeau, complète admirablement la « musette« , repris tous deux dans son opéra « Les Fêtes d’Hébé » _ donné le 21 mai 1739. « La Villageoise » est un rondeau en deux parties. La première, d’un style léger et agrémenté, fait penser à Couperin, tandis que dans la seconde, Rameau émancipe son allure brillante et virtuose.

La « Suite en ré » débute par un rondeau intitulé « Les Tendres Plaintes« , dont l’effet mélancolique est obtenu par le dégagement du troisième temps des liaisons notées à la main gauche. Rameau orchestrera cette pièce dans son opéra « Zoroastre » _ donné le 5 décembre 1749 _, avec une ornementation différente à la main droite. « Les Niais de Sologne« , tiré d’un « air populaire en rondeau« , au thème identique pour le refrain et les couplets, a un aspect volontairement lourd. Ce morceau, orchestré dans l’opéra « Dardanus » _ donné le 19 novembre 1739 _, est suivi de deux « variations » saisissantes : la « première » comporte un thème en triolets de croches à la main droite, qui se superpose aux croches égales à la main gauche. La « seconde« , extrêmement virtuose, joue sur l’opposition entre les doubles croches à la main gauche et les simples croches à des gammes descendantes qui se poursuivent aux deux mains. Dans le même esprit, « La Follette » est un rondeau joyeux écrit sur un rythme de gigue brisée par la présence de longues trilles qui déstabilisent volontairement l’allure de la pièce. Alors que le refrain paraît innocent, l’écriture des couplets crée la surprise des « Fêtes d’Hébé« . « Le Tourbillon » est un rondeau descriptif qui dépeint, comme l’a souhaité Rameau lui-même, “les tourbillons de poussière agités par les grands vents”. Alors que le refrain paraît innocent, l’écriture est bien imitée par son rythme ternaire et l’accent porté sur le premier temps. Rameau, on le voit, touché par l’art de Couperin dans ce « livre« , abandonne progressivement la suite de danses pour privilégier les pièces de caractère ou descriptives. Son style s’adoucit (rondeaux) et sa technique est remarquable par sa virtuosité (batterie, triolets de doubles croches).

« Troisième livre de pièces de clavecin. »

Quatre ans plus tard, Rameau prolonge son expérience en publiant un « nouveau recueil » intitulé « Nouvelles suites de pièces de clavecin« , précédé d’une « préface » comportant de précieux conseils d’interprétation. La « Suite en la » s’ouvre par des danses, sans rapport avec la chorégraphie. L’ »allemande » d’une écriture extrêmement fournie, reprend le thème de celle du « livre » de 1706, mais amplifiée par des phrases plus longues et des grands traits de doubles croches mêlés à des passages incessants entre les modes majeur et mineur. La « courante » rappelle aussi celle du « livre » de 1706 avec ses quartes montantes à la main droite très dynamiques, lui conférant un rythme bondissant éloigné de la danse pure. La « sarabande » s’inspire, en dépit des notes inversées, de la « seconde sarabande » du « premier livre« , tout en y ajoutant un caractère majestueux avec ses arpèges luthés au milieu de la deuxième partie et une marche harmonique superbe. Rameau l’orchestrera dans son opéra « Zoroastre« . Avec « Les Trois Mains« , Rameau fait illusion par le croisement des mains et les sauts de la main gauche dans le registre supérieur du clavier par-dessus la main droite. « La Fanfarinette« , par son titre affectif, cache mal un aspect martial appuyé. « La Triomphante » est un rondeau dont le thème repose sur des accords parfaits et des gammes lui donnant une allure opératique, dans lequel Rameau crée la surprise avec un effet harmonique au deuxième couplet. La « gavotte«  _ nous y voici ! _ comporte un thème orné comme s’il était joué au luth et rappelle des « airs populaires » que Rameau a pu entendre dans sa Bourgogne natale. Cette pièce qui rappelle l’ »Air » écrit par Händel dans sa « troisième suite de clavecin » de 1720, donne lieu à des « variations » d’intensité et de virtuosité grandissantes. Ainsi, dans le « premier double« , le thème est confié à la main gauche, tandis qu’une ligne continue de doubles croches est confiée à la main droite. Dans le « deuxième double« , c’est exactement l’inverse, tandis que dans le « troisième double« , le thème est confié aux parties de dessus et de basse, pendant que la « variation » se déroule dans le registre medium du clavier partagé entre les deux mains. Le « quatrième double » évoque plus Scarlatti avec ses notes répétées confiées aux deux mains. Le « cinquième double » voit le thème noyé dans les arpèges et les doubles croches à la main droite, tandis que dans le « sixième« , la main gauche se voit confier des sauts d’octaves avec notes répétées entre tierces et quintes dans une virtuosité extrême _ merci de cette analyse, excellente, en effet !

La « Suite en Sol » débute avec « Les Tricotets« , qui est un rondeau au style luthé et dont le titre se justifie par l’ambiguïté liée à la superposition des rythmes 3/4 et 6/8. « L’Indifférente« , écrite en duo, a une allure singulière avec ses croches confiées aux deux mains dans un mouvement uniforme et sans accent malgré le passage de quelques modulations. Les deux « menuets » majeur et mineur, comportent la même cellule rythmique basée sur des syncopes sur le premier temps. Ces deux danses seront reprises par Rameau, pour le « premier » dans son opéra « Castor et Pollux » _ donné le 24 octobre 1737 _, et dans « La Princesse de Navarre » _ donnée le 23 février 1745 _ pour le « second« . « La Poule » est une pièce descriptive célèbre dans laquelle Rameau s’est amusé à noter lui-même, sous le thème composé de cinq croches répétées suivies d’un arpège : “co co co co codai”. Cette cellule est ensuite amplifiée et transformée avec le martèlement d’accords et d’arpèges déchaînés conférant au morceau une puissance tragi-comique. « Les Triolets » par contraste, est une pièce tranquille qui rappelle « L’Indifférente » dans son déroulement doux et paisible. « Les Sauvages« , célèbre rondeau au rythme composé de sauts mélodiques en arpèges, est le seul témoignage vraisemblable des pièces écrites par Rameau pour le Théâtre de la Foire _ en 1725 : on avait « demandé«  à Rameau une danse de caractère pour l’exhibition d’Indiens de Louisiane… L’exotisme transparaît dans le « deuxième couplet » aux effets harmoniques volontairement rudes. Il connaîtra la gloire avec sa transposition dans l’opéra « Les Indes galantes » _ donné le 23 août 1735. « L’Enharmonique« , sous-titré « gracieusement« , est une pièce savante dans laquelle Rameau fait montre d’une écriture audacieuse sans être dépourvue de mélancolie. « L’Egyptienne » qui finit le recueil, rappelle comme « Les Sauvages« , le Théâtre de la Foire avec son rythme agité et ses traits de virtuosité en tout genre, transportant l’auditeur bien au-delà du clavecin.

Bien qu’ayant abordé le monde de l’opéra, Rameau n’en oublie pas son instrument fétiche. Ainsi, la partition des « Indes Galantes« , publiée en 1736, présente l’œuvre sous forme de « symphonies » et « airs » réduits à une ligne mélodique et aux deux parties de clavecin. Ces « arrangements » pour l’instrument, comportent 32 pièces qui utilisent toutes les ressources du clavier. Par ce travail de transcription, Rameau nous prouve qu’il peut simplifier son écriture en passant de l’orchestre au seul clavecin, tout en y ajoutant une ornementation propre à l’instrument. L’interprète a donc l’entière liberté _ ainsi que le « devoir » : du « jeu » attendu de l’interprète… _ de remplir lui-même _ selon son « génie » et l’inspiration du moment _ la partition d’effets propres en rapport avec sa connaissance de l’œuvre. Certains titres utilisent la figure des “batteries” déjà rencontrée dans « Les Cyclopes« , inexistant à l’orchestre (« Air pour Borée et la Rose« ) ou des pièces croisées sur deux claviers différents (« Air pour Zéphyre et la Rose« ). Par ailleurs, certaines pièces nécessitent l’intervention d’un deuxième clavecin dans lesquelles la basse est doublée à l’unisson, alors que les deux dessus jouent des thèmes différents (« tambourins« , « chaconne« ).

« Pièces de clavecin en concerts »

Avec les « Pièces de clavecin en concerts« , Rameau va encore plus loin dans son approfondissement musical de l’instrument _ nous y voilà ! _ lorsqu’il publie en 1741 un « recueil » composé de « cinq concerts » faisant dialoguer le clavecin avec un violon, une flûte ou un second violon et une viole de gambe. Cette expérience nouvelle lui est suggérée par Mondonville avec son « recueil » _ en quelque sorte pionnier _ de 1737. Rameau laisse au clavecin un rôle prédominant, tandis que les deux autres instruments se limitent _ dans quelle mesure ? _ à l’accompagner, allant jusqu’à adoucir le son pour ne pas le masquer. De ces seize pièces, quatre titres ont fait _ encore… _ l’objet d’un « arrangement » pour clavecin seul par Rameau lui-même : « La Livri« , « L’Agaçante« , « La Timide » et « L’Indiscrète« .

Trois nouvelles merveilles musicales, encore, de « style français », en CD : des oeuvres de Gottlieb Muffat, Jean-Philippe Rameau et Gabriel Fauré

09mai

Trois nouvelles merveilles de musique (ainsi que d’interprétations) d’œuvres de goût et style français, proposées ces derniers jours au disque (en 4 CDs) :

_ le double album des « Componimenti Musicali per il Cembalo«  (à Vienne, vers 1736) de Gottlieb Muffat (Passau, 1690 – Vienne, 1770), par la claveciniste Mitzi Meyerson :

soient les CDs Glossa GCD 921804 ;

_ les « Concerts mis en simphonie » qu’Hugo Reyne nous propose des « Concerts de Pièces de Clavecin, avec un Violon et une Viole, ou un 2e Violon ; par Mr. Rameau. 1741 » ;

ainsi que de la « Gavotte et ses doubles » (de la « Suite en la« ) qui concluent le « Troisième Livre » des « Pièces de clavecin » (en 1728) de ce même Jean-Philippe Rameau (Dijon, 1683 – Paris, 1764),

par La Simphonie du Marais, que dirige Hugo Reyne :

soit le CD Musiques à la Chabotterie 605006 ;

_ et le récital « Gabriel Fauré : violon, violoncelle, flûte, piano & orchestre« , soit un choix de 7 « œuvres concertantes : miscellanées«  (ainsi que le formule la livrettiste du CD, Hanna Krooz) de Gabriel Fauré (Pamiers, 1845 – Paris, 1924) :

en l’occurrence, la « Ballade » pour piano & orchestre opus 19 (de 1879-1881) ; la « Berceuse » pour violon & orchestre opus 16 (de 1878-1880) ; l' »Élégie » pour violoncelle & orchestre opus 24 (de 1883-1897) ; le « Concerto » pour violon & orchestre opus 14 (de 1878-1879) ; la « Romance » pour violoncelle & orchestre opus 69 (de 1894) ; la « Fantaisie » pour flûte & orchestre opus 79 (de 1898) ; et la « Fantaisie » pour piano & orchestre opus 111 (de 1918),

par Jean-Marc Phillips-Varjabédian, violon, Henri Demarquette, violoncelle, Juliette Hurel, flûte, Jérôme Ducros, piano, et l’Orchestre de Bretagne que dirige Moshe Atzmon :

soit le CD Timpani 1C1172.

« Merveilles », tant pour ce qu’il en est des œuvres que pour les interprétations, et à des titres divers, ainsi qu’on va le découvrir :

Pour Rameau, l’œuvre _ « Concerts de Pièces de Clavecin, avec un Violon et une Viole, ou un 2e Violon« , en 1741 _ est déjà bien connue ;

mais c’est ici une « mise en symphonie » de ces cinq « Concerts » que nous propose, avec une particulièrement magnifique intelligence du processus de ce qu’est la « concertation« , à partir d’un « Avis aux Concertans » (sic) du compositeur lui-même, sur la partition de 1741, Hugo Reyne,

prenant, le premier, recul sur l’habitude incrustée et fossilisée jusqu’ici, car pas assez réfléchie (re-visitée ; et donc « à re-penser » !) d’interprètes précédents (Daniel Cuillier, en 1992 ; Christophe Rousset, en 2000) ; qui se fiaient trop littéralement à la lettre d’un « arrangement« , postérieur (en 1768) de quatre ans à la mort du compositeur (survenue le 12 septembre 1764) de ces « Concerts de Pièces de Clavecin, avec un Violon et une Viole, ou un 2e Violon » ; et conservé à la Bibliothèque nationale de France :

cet « arrangement » de 1768 « est constitué _ je cite ici l’excellente présentation de son travail par Hugo Reyne à la page 4 du livret du CD _ de 5 parties séparées manuscrites pour 3 violons, alto et basses« . Mais, précise on ne peut plus justement Hugo Reyne, « les faiblesses de l’arrangeur sont de reprendre à l’identique certaines formules idiomatiques du clavier alors qu’il _ le transcripteur _ passe d’un instrument harmonique (le clavecin) à des instruments mélodiques (les violons).« 

Hugo Reyne précisant : « Par exemple, les arpèges de clavecin sont retranscrits _ paresseusement _ tels quels, passant maladroitement d’un instrument à un autre. Cette transcription attribue la main droite du clavecin au 1er violon, la main gauche aux basses, et le violon originel à un 2nd violon, ce qui est logique. Par contre, autre faiblesse, la viole (ou le 2nd violon) est distribuée à un 3ème violon qui se retrouve souvent à l’octave des basses ou à l’unisson de l’alto ; tandis que ce dernier se nourrit des notes du milieu du clavier et fonctionne _ oh le vilain processus en « musique baroque«  : rien ne devant jamais simplement « mécaniquement«  y « fonctionner«  !!! _ fréquemment à l’octave du 2nd violon. La partie des basses se divisant en 2 voix par moments ; et l’expression romantique « en sextuor » a été ajoutée par Saint-Saëns en 1896, lors de la publication des œuvres de Rameau sous sa direction » _ c’est en 1895 que Charles de Bordes, Vincent d’Indy et Camille Saint-Saëns avaient entrepris une édition des « Œuvres Complètes » de Jean-Philippe Rameau, à paraître aux Éditions Durand ; les publications s’échelonnèrent de 1895 à 1918, mais l’entreprise demeura inachevée : seulement 18 volumes ayant paru…

Hugo Reyne situe ainsi son travail ici par rapport à une tradition d’interprétation trop ankylosée depuis le revival de la fin du XIXème siècle, sous l’impulsion de l’équipe de la Schola Cantorum (inaugurée le 15 octobre 1896, autour des mêmes Charles de Bordes, Vincent d’Indy, etc.) :

« Cette édition des « Six Concerts en sextuor«  (le manuscrit _ de 1768 _ ajoutait effectivement un 6ème Concert, arrangé, lui, d’après des « Pièces de clavecin » _ de ce même Jean-Philippe Rameau) fit néanmoins les beaux jours de Rameau au 33 tours : les chefs Maurice Hewitt (dès 1952), puis Louis de Froment, Louis Auriacombe, Jean-François Paillard, Marcel Couraud, Jean-Pierre Dautel, etc. l’enregistreront avec leurs orchestres à cordes, perpétuant ainsi une tradition monochrome (cordes seules), oubliant malheureusement à quel point Rameau _ et cela, on ne le soulignera jamais assez !!! _ était un coloriste de l’orchestre. Les deux seules versions enregistrées à ce jour sur instruments anciens (Daniel Cuillier, en 1992, et Christophe Rousset, en 2000) proposent également cette version. »

Ce qui permet à Hugo Reyne de situer sa présente extrêmement bienvenue (et réussie !) « re-création » :

« Notre propos en enregistrant les « Concerts » est donc, un peu comme pour un tableau noirci, de retrouver _ en les ravivant _ ses couleurs d’origine (flûte, hautbois, basson). La comparaison va même plus loin, car les titres de chacune des pièces nous renvoient à l’univers pictural de ce milieu du XVIIIème siècle _ dont le livret offre de précieuses images (…) Nous avions à l’esprit l’image d’un petit orchestre de chambre entretenu par M. de La Pouplinière _ orchestre que dirigea Rameau lui-même vingt-deux ans durant ! de 1731 à 1753… _ ; et avons arrêté le nombre de musiciens-interprètes à treize : 3 violons I, 2 violons II, 1 alto, 2 violoncelles, 1 contrebasse, 1 flûte, 1 hautbois, 1 basson et un chef (nous-même, prenant la flûte pour « Les Tambourins« , « La Cupis » et « La Marais« ). »

« En ce qui concerne notre travail d’orchestration _ = de « mise en simphonie » ! ainsi que l’indique le titre même de ce CD : « Concerts mis en simphonie«  _, nous nous sommes référés à la phrase de l’« Avis aux concertans » de Rameau :

« le Quatuor y règne le plus souvent »

_ on appréciera la délicatesse du « jeu » ouvert par Rameau lui-même : en 1741, nous sommes encore dans l’ère (dite commodément par nous) « baroque » de l’interprétation…

Nous avons donc distribué notre partition en 4 parties : violon I (main droite du clavecin), violon II (violon originel), alto (viole ou 2nd violon) et basses (main gauche du clavecin et basses de la viole). La flûte et le hautbois venant _ très heureusement ! _ colorer les violons I ou II, le basson se mêler aux basses, et pour certaines pièces assurant des solos. (…)  Nous avons donc adapté les arpèges brisés du clavecin pour les approprier à la flûte. D’autres solos de bois sont confirmés _ et comment brillamment ! _ par Rameau dans ses opéras (les 2 flûtes de « La Cupis » _ dans un « Air tendre pour les Muses » du « Temple de la gloire« , en 1745 _, les petites flûtes du 1er « Tambourin » _ qui, provenant de l’ouverture de « Castor et Pollux« , en 1737, rejoindra le second « Tambourin » dans « Dardanus« , lors d’une reprise de ce dernier, en 1744 _, le hautbois et le basson du « 2nd menuet » _ dans « Les Fêtes de Polymnie« , en 1745 _, etc.) _ et c’est un point majeur, sinon crucial même, pour la compréhension de la musicalité propre de ces œuvres ! et donc leur plus juste interprétation ! Cependant, pour « La Livri« , nous avons préféré _ avis d’expert tout spécialement « musical«  _ renoncer à la version de « Zoroastre » _ la première de la « tragédie lyrique«  a lieu le 5 décembre 1749 à l’Académie royale de Musique _ afin de rester plus proche de l’écriture originelle de 1741, en donnant spécialement au basson la belle contrepartie de la viole ; et à l’alto l’arpègement syncopé de la main droite. Notre arrangement contient d’autres réjouissances encore, comme certains contrechants de flûte et hautbois dans « La Rameau » ou bien dans « La Marais » ; ou encore quelques ornements « à la Michel Legrand » _ why not ? si cette forme d’humour ou légèreté-là convient… _ dans « La Cupis« … »


« Enfin, nous devons signaler ici _ précise encore Hugo Reyne, à la page 5 du livret de ce CD _ l’existence d’un arrangement manuscrit contemporain de Rameau (conservé à la Bibliothèque nationale de Hongrie à Budapest) très mal réalisé, et qui n’a pas pu être joué tel quel à l’époque, qui a _ cependant _ l’avantage _ très significatif pour ce qu’il en était des interprétations de transcriptions ! _ de proposer, en plus des cordes, des parties de « flauto », « oboe » et « fagotto », ce qui nous a conforté _ si besoin en était encore !.. _ dans notre idée d’instrumentation. »

« Pour conclure cet enregistrement, nous avons, suivant l’exemple d’Otto Klemperer, qui, en 1968 revisitait _ voilà ce que doit être une « re-création » de musique ! _ la « Gavotte et ses doubles«  pour orchestre symphonique _ pas moins : et c’est sans doute trop !.. _ décidé de nous approprier aussi _ le résultat est une merveille ! _ ces sublimes _ en effet ! c’est un final somptueux !!! _ variations en les adaptant à notre façon _ comme toute interprétation vivante de cet art du « Baroque » : au sens le plus large _ Rameau en étant probablement le dernier grand (voire « sublime« …) représentant, jusqu’en ses sublimissimes « Boréades » de 1764, dont les représentations (sur la scène de l’Académie royale de Musique) furent hélas annulées par la disparition brutale du maître, le 12 septembre 1764…Vers ce moment, en effet, voilà que le siècle change d’« époque«  (et de « style« ) : on quitte le « Baroque«  pour, bientôt, le « Classicisme«  : approche l’heure qui vient de Haydn et Mozart, après le moment Gluck ; ainsi que le moment-charnière où les dernières (avant longtemps !) représentations des opéras de Rameau sont (ainsi, d’ailleurs que celles des indéboulonnables opéras de Lully), « adaptées«  au goût nouveau par un Pierre Montan-Berton…

Pour les deux autres CDs,

la « neuveté » des éclairages qu’apportent ces tout nouveaux enregistrements

est différente…

D’abord, nous découvrons enfin (si je puis me permettre cette expression), sous les doigts merveilleusement inspirés (et dansants) de Mitzi Meyerson, l’œuvre de Gottlieb Muffat

(Passau, 1690 – Vienne, 1770 : Gottlieb est le huitième des neuf enfants du magnifique Georg Muffat _ né, lui, le 1er juin 1653 à Megève, en Savoie, et mort le 23 février 1704 à Passau, en Bavière : un des plus somptueux musiciens de l’ère baroque ! et un de ceux (avec Johann-Sigismund Kusser et Johann-Kaspar-Ferdinand Fischer : dignes, eux aussi, de la plus haute délectation !) qui a diffusé _ combien brillamment ! _ et fait resplendir le « style » musical « français« , appris en sa jeunesse auprès de rien moins que Lully, à Paris, entre 1663 et 1669, en toute l’Europe baroque) :

Or, ce qui paraît vers 1736 à Vienne, et sous un titre de recueil en italien, « Componimenti Musicali per il Cembalo« , n’est rien moins que le « chant du cygne » (de toute beauté !) de la « Suite » de « goût français« , qui avait (possiblement) vu le jour sur les bords de la Seine autour de 1648 (au moment de la paix du « Traité de Westphalie« ), avec pour (peut-être, sinon probables) parrains les incomparables maîtres Johann-Jakob Froberger, Louis Couperin et autre Jacques Champion de Chambonnières ; ainsi que le luthiste Monsieur de Blanc Rocher, qui perdit la vie en chutant dans un escalier, un soir de fête…

Qu’on écoute les sept « Suites » de ce double album de Mitzi Meyerson ; de l' »Ouverture«  (à la française : lullyste !) de la « Suite V »  ouvrant le premier disque ; à la « Chaconne » de la « Suite VII«  qui conclut le second… La musique du fils, Gottlieb, à la cour impériale de Vienne, via la leçon, à la cour d’un prince-évêque bavarois, à Passau, du père Georg (disparu il y avait trente-deux ans en 1736), a toute la fraîcheur, la vivacité, l’élégance et la délicatesse qui font le charme d’éclat tout de discrétion, simplicité et beauté, de la « Suite » de « goût français« , en tout son parcours…

Et pour Gabriel Fauré,

pour terminer cette promenade musicale si délicieuse de charme,

nous prêtons (enfin ! un peu) mieux l’oreille à un aspect un peu négligé de son œuvre : son versant orchestral concertant, justement.

Si les deux sommets de ce CD « concertant » de Gabriel Fauré, sont, peut-être, la « Ballade » et la « Fantaisie » pour piano & orchestre (les deux !), le mérite de ces interprétations _ de pièces « libres » ! _ est d’abord celui des interprètes, magnifiques, tous et chacun, de charme, d’élégance, de fraîcheur, de vivacité : de beauté discrète et intense ; de vie.


Mais dans ces deux cas encore, après celui de l’occurrence-Rameau, c’est à la spécificité du style (musical) français que nous avons combien magnifiquement affaire :

au secret (issu de la danse) de sa légèreté libre et rayonnante de plénitude…

Titus Curiosus, ce 9 mai 2009,

se souvenant de Francine Lancelot

de sa personne, son sourire ;

et de son action en faveur de « La Belle dance« …

Du sublime dans la musique baroque française : le merveilleux « vivier » Marc-Antoine Charpentier…

18avr

Coup de cœur pour un nouveau merveilleux CD Marc-Antoine Charpentier :

après le CD Alpha 138 « Motets pour le Grand Dauphin » de l’Ensemble « Pierre-Robert » dirigé par Frédéric Désenclos (cf mon article du 2 février 2009 : « Le “sublime” de Marc-Antoine Charpentier + la question du “déni à la musique”, en France » ;

une impressionnante (de justesse musicale) version de la « Missa assumpta est Maria » (H. 11), par le Concert Spirituel que dirige Hervé Niquet (CD Glossa GCD 921617)…

« La « Missa assumpta est Maria«  (H. 11 _ au catalogue Hitchcock de l’œuvre de Charpentier) peut être considérée comme la plus extraordinaire des onze messes de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), mais aussi comme un chef-d’œuvre dans l’œuvre religieuse du compositeur. C’est la dernière des messes écrites par ce musicien dans les années 1698-1702, la première datant des années 1670. » (…) Elle « illustre le style de la maturité de Charpentier et résume toutes les qualités du plus génial _ à côté des Couperin, Louis (c. 1626-1661) et François (1668-1733) et Rameau (1683-1764), probablement, et pour ce moment « baroque » _ des compositeurs français : équilibre parfait entre intimité des voix et brillance chorale, richesse du langage harmonique et habileté du contrepoint ; et enfin un sens inouï des effets selon une conception typiquement française du sublime« , indique fort justement l’introduction de la notice dans le livret du CD, sous la plume de Fannie Vernaz (page 15) ; nous reportant à un article de Thierry Favier, « Lalande et le sublime : doctrines rhétoriques et tradition oratoire dans ses premiers grands motets« , in « Lalande et ses contemporains » (aux Éditions des Abesses, à Paris, en 2008, pages 119-141)…

Selon Catherine Cessac, en son indispensable « Marc-Antoine Charpentier« , aux Éditions Fayard (seconde édition _ remaniée en août 2004), l’œuvre fut probablement donnée pour la première fois le 15 août 1702 à la Sainte-Chapelle, « un des foyers musicaux les plus actifs de la capitale » (page 16) ; où Marc-Antoine Charpentier a été nommé en 1698 « maître de musique des enfants de la Sainte-Chapelle du Palais« La « grande version » de cette « Missa«  (H. 11) « requiert des effectifs imposants qui (de toutes façons) laissent supposer qu’elle ait été donnée au moins une fois dans le cadre d’une cérémonie exceptionnelle.« 

Et dans cette version que propose ici au disque Hervé Niquet, « on entendra _ ainsi que cela se pratiquait « au quotidien«  alors, si je puis dire, en son extrême variabilité… _ , outre les cinq parties ordinaires de la messe telles que Charpentier les a écrites _ en sa très précieuse (non détruite, non volée) « partition manuscrite et autographe » cataloguée H. 11 : « Kyrie« , « Gloria« , « Credo« , « Sanctus » & « Agnus Dei » (ainsi qu’un « Benedictus pour l’orgue«  _ plusieurs autres éléments provenant d’œuvres plus anciennes de Charpentier ou bien _ aussi _ des improvisations«  _ nécessaires, exigées par la partition même, ainsi que nous allons le constater ! (page 17) : ainsi, avant le « Christe« , « l’orgue joue(-t-il) ici un couplet« «  ; et « de même, après le « Christe », Charpentier indique « Icy l’on rejoue la simphonie de devant le Kyrie puis l’on reprend le Kyrie »

« A la fin du « Gloria », nous entendrons une pièce pour voix de basse a cappella « Pour plusieurs martyrs, motet à voix seule sans accompagnement, Sancti Dei per fidem vicerunt regna » (H. 361) de Charpentier, qui date du début des années 1690. Cette liberté prise par Hervé Niquet d’ajouter ici ce motet permet _ très judicieusement, remarque la livrettiste, page 17 _ un contraste total avec la fin du « Gloria » et une certaine méditation avant le « Credo », même si aucune indication dans la partition ne mentionne ici l’ajout d’une pièce«  _ et l’auditeur ne peut que s’en réjouir, tant l’effet est splendide et sans rien de forcé ou artificiel, page 18.


« A la fin du « Credo », Charpentier indique la présence d’une offertoire

_ sans davantage de précision notée : c’est une sorte de « pense-bête » pour lui-même ; d’avoir à choisir, sur le moment, entre diverses pièces également possibles, et à cette fin bien précise, entre ses partitions (fort bien classées ;

cf, sur ce point de la méticulosité de Marc-Antoine Charpentier,

ce qu’en mentionne mon propre livret pour le CD « Un Portrait musical de Jean de La Fontaine« , par la Simphonie du Marais, dirigée par Hugo Reyne, en 1996 : CD EMI 7243 S  45229 2 5… :

le programme (de ce CD EMI, en 1995-96),

construit autour de l’amitié (si importante pour La Fontaine : dont l’œuvre commence, en 1647, par une « chanson » à l’ami Maucroix, et se clôt, le 10 février 1695, par une « lettre » à ce même ami Maucroix ! cf ici le second volume des « Œuvres complètes » de Jean de La Fontaine, « Œuvres diverses », par Pierre Clarac, en 1958),

avait pour acmé l’œuvre quasi inconnue (et retrouvée par Hugo Reyne et moi-même) de Jean de La Fontaine, pour le livret, et Marc-Antoine Charpentier : le « petit opéra » « Les Amours d’Acis et Galatée », représentée à Paris, chez Monsieur de Rians, pour « carnaval », en février 1678…


Or, Hugo Reyne et moi-même n’avons pu

_ cf la note de Catherine Cessac à ce propos à la page 138 de son « Marc-Antoine Charpentier » en l’édition de 2004 _

reconstituer ce « petit opéra » qu’à partir de plusieurs pièces (instrumentales aussi bien que chantées) réutilisées pour d’autres œuvres par Marc-Antoine Charpentier (dont une reprise, le 17 octobre 1679, de sa pièce à succès « L’Inconnu »),

une partie des manuscrits très bien classés et conservés de Marc-Antoine Charpentier, et légués, plus tard, par son neveu à la Bibliothèque du Roi _ dont le volume de l’année 1678 ! mais pas celui de l’année 1679 ! _ ayant été volée à la Bibliothèque Nationale au cours du XIXème siècle…

Fin de l’incise sur la méticulosité de Marc-Antoine Charpentier ; et retour à la nécessité d' »une offertoire » :

« A la fin du « Credo », Charpentier indique la présence d’une offertoire » _

ce qu’Hervé Niquet ajoute effectivement en introduisant les symphonies « Pour un reposoir » (H. 508) de Charpentier, pièces instrumentales pour orchestre à cinq parties écrites au début des années 1670 pour les processions de la fête du Saint-Sacrement. On pourra y entendre, entre autres, une « Ouverture » à la française, ainsi qu’une « Allemande grave », témoignant _ commente Fannie Vernaz, page 18 _ d‘un réel talent du compositeur » aussi (oui !!!) en « sa musique instrumentale« 


« Après le « Sanctus », on peut lire l’indication _ de la main de Marc-Antoine Charpentier _ « Icy on chante une Elévation courte S’il y a le temps » ; suivie de cette autre indication « Benedictus pour l’Orgue ». Hervé Niquet insère donc ici le motet « O Salutaris » (H. 262) pour un dessus vocal, deux hautbois et basse continue, pièce écrite par Charpentier au début des années 1690. Ce type d’œuvres de courte durée était le plus souvent destiné à la messe pour apporter un climat particulier _ ad hoc la musique était d’abord fonctionnelle ! ce qui est loin d’interdire la beauté ! ou le sublime ! bien an contraire : tout se faisait selon le feu sacré... _ au cours de l’office _ de la sainte messe _ entre le « Sanctus » et le « Benedictus », au moment de la levée de l’hostie » _ et, donc, du rappel du mystère (sacré) de la transsubstantiation du Corps et du Sang du Seigneur Jésus-Christ…

« C’est ici _ souligne Fannie Vernaz, page 18 _ un moment _ musicalement _ très sensuel _ par sa douceur (et son élévation) _ où la voix de dessus, associée à la sonorité douce et plaintive _ à quel degré de calme ! _ des hautbois, exprime une _ très _ tendre ferveur. » Et « une pièce d’orgue improvisée succède aussitôt à cette élévation, comme il est expressément demandé par Charpentier. »

« Après le « Domine salvum fac regem »,

Charpentier indique « Passez au motet de sortie » ; mais malheureusement le manuscrit autographe ne présente que les portées vides d’un prélude à deux temps et à quatre parties instrumentales (dessus, haute-contre, taille et basse), sans armure » _ indique Fannie Vernaz page 18… Aussi « Hervé Niquet a(-t-il) choisi de donner un second « Domine salvum fac regem » (H. 291) de Charpentier, datant des années 1680. Ce motet est écrit pour deux chœurs à quatre voix (dessus, hautes-contre, tailles et basses) accompagnés d’un orchestre à quatre parties et basse continue, dans le même ton de mineur que celui du premier « Domine salvum » ; et dans un style très élégant, tout en retenue, et caractérisé par des rythmes pointés dans le plus pur style du baroque français » _ le résultat de cet enregistrement est, d’un bout à l’autre, je tiens à le souligner, magnifique d’évidence !

Je peux aussi reproduire le commentaire conclusif que donne Fannie Vernaz,

tant je partage cette « appréciation » de sa part :

« En plus _ en effet : c’est tout à fait intéressant quant à la « fabrique » (aussi improvisée pour la particularité, chaque fois, des circonstances ; ainsi qu’en fonction des moyens du bord !..) _ du travail approfondi sur la résolution des nombreux mystères de cette messe _ de Charpentier _,

l‘interprétation qu’en font Hervé Niquet et le Concert Spirituel met en valeur un choix de couleurs instrumentales et vocales étonnamment variées, avec une palette sonore très colorée, riche d’effets ; et par conséquent particulièrement émouvante«  _ oui !

Le choix de l’effectif proposé y contribue largement : treize musiciens, dont un continuo de quatre instrumentistes, offre un bel équilibre avec les parties solistes _ 5 chanteurs : 2 dessus, une haute-contre, une taille, une basse _  et chorales (onze choristes). Selon les différents dispositifs vocaux et instrumentaux _ en permanence variés ! contrastés _, cet ensemble permet de faire ressortir _ à ressentir _ toutes les nuances du texte _ c’est capital ! et dans le style français absolument nécessaire !!! _ et l’expression des émotions aussi ardentes que profondes _ rien à ajouter, ni retrancher ! Le Baroque est un dispositif de signification via le ressenti des affects en leurs figures…

Cette interprétation, ajoutée à la gravité solennelle _ certes ! il s’agit essentiellement là d’une fête de la foi !.. _ de cette œuvre majestueuse _ en effet ! sous le règne de Louis le Grand ! _ est aussi un bel hommage au compositeur dont la musique a su imposer un style particulier dans l’histoire musicale européenne _ à la jointure des styles français et italien : car c’est à Rome que Marc-Antoine Charpentier fut d’abord formé à la musique par Giacomo Carissimi… _ ; et a permis de révéler l’un des plus grands maîtres de la musique française » _ conclut fort justement Fannie Vernaz sa notice du livret de ce CD, page 19…

Une musique _ de Marc-Antoine Charpentier _ et une interprétation _ du Concert Spirituel et Hervé Niquet _ splendides,

qui  rendent merveilleusement le « sublime« 

de Marc-Antoine Charpentier

en ce très beau CD Glossa de la « Missa assumpta est Maria » (H. 11)


Titus Curiosus, ce 18 avril 2009

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