Afin de préparer un portrait, à paraître dans La Croix (publié ce vendredi 5 octobre, veille de la représentation, samedi 6, de Fidelio au Théâtre des Champs-Élysées, où le ténor américain incarne Florestan), j’ai eu la chance de recueillir cet entretien avec Michael Spyres.
Il est long mais si éclairant _ oui ! _ sur la personnalité et l’engagement _ magnifique _ de ce formidable artiste _ oui ! _ que je vous le propose dans son intégralité.
Non sans remercier chaleureusement ma collègue Célestine Albert qui en a assuré la traduction, bien mieux que je ne l’aurais fait.
Bonne lecture et à très bientôt !
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Vous interprétez prochainement à Paris le rôle de Florestan dans Fidelio de Beethoven. Comment abordez-ce personnage ? Comment le décrire musicalement et psychologiquement ? Quelle sont les difficultés du rôle.
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Michael Spyres : Je pense que la meilleure façon d’aborder le personnage de Florestan est de le faire à travers le prisme des Lumières. Il faut comprendre la densité et la profondeur des personnages typiques de cette période _ voilà, c’est capital. L’allégorie de la grotte de Platon est très présente dans le livret et l’on doit voir Florestan comme l’incarnation de l’injustice _ subie _ ou, en des termes qui correspondent davantage à la philosophie jungienne, de l’animal piégé dans une forme humaine.
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Le personnage de Florestan représente la condition humaine, et la lutte intérieure qu’un homme éprouve dans sa quête d’espoir et de liberté. Beethoven, comme Mozart avant lui, était bien conscient de ces mythes ancrés dans la tradition maçonnique _ en effet _ (il n’y a certes toujours pas de preuve irréfutable que Beethoven ait été lui-même Franc-maçon, mais il avait de nombreux amis qui l’étaient). En fait, le parcours et la dualité de Florestan et Leonore sont à mettre en parallèle avec ceux de Pamina et Tamino, dans la Flûte enchantée. L’objectif _ commun à ces deux œuvres _ est de réaliser que nous devons œuvrer ensemble à trouver une harmonie intérieure, au sein du monde physique. Nous devons tous aspirer à être justes et courageux, afin de donner un sens à ce monde _ voilà. Tous les personnages et thèmes évoqués mettent en perspective les désirs du public de l’époque de se libérer de gouvernements tyranniques.
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Face à l’étendue de ces sujets, je dirais que la plus grande difficulté dans l’interprétation du rôle de Florestan est de rester dans la technique, et de ne pas se laisser emporter par l’émotion _ le pathos _ en chantant…
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Votre répertoire est extrêmement vaste. Est-ce important pour vous de chanter des œuvres si variées, de Mozart à Gounod en passant par Berlioz ? Comment abordez-vous un nouveau personnage ? Y en a-t-il que vous savez que vous allez abandonner avec l’évolution de votre voix ? Est-ce difficile ?
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Michael Spyres : C’est amusant que vous me demandiez cela, car j’ai fait énormément de recherche sur les répertoires des chanteurs passés. Florestan sera mon 77e rôle dans, au total, 70 opéras différents. Placido Domingo est le seul ténor contemporain ayant interprété plus de rôles que moi, et j’ai bon espoir de rattraper son total de 150 rôles ! Je ne dis pas cela pour me vanter, mais plutôt pour que les gens prennent conscience qu’il n’est pas si rare qu’un chanteur ait une carrière aussi variée que la mienne, même au XXe siècle. Si l’on s’intéresse aux grands ténors du passé, tels que Jean de Reszke, Mario Tiberini, Manuel Garcia, Giovanni David ou, le plus grand d’entre tous, son père Giacomo David _ Presezzo, 1750 – Bergame, 1830 _, on constate à quel point les répertoires de ces chanteurs légendaires étaient vastes. Leur carrière est devenue pour moi une réelle obsession _ voilà. Si eux l’avaient fait, j’en étais capable aussi.
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Au fil de mon parcours, j’ai appris quelque chose d’absolument essentiel _ voilà _, que peu de gens _ surtout ceux qui font carrière de chanteurs _ ont la chance d’intégrer : la voix et la technique ont besoin de ces variations pour rester performantes, ne pas devenir rigides. Je dois avouer qu’il est de plus en plus difficile de maintenir certains rôles à mon répertoire, comme les Rossini les plus légers, mais je chanterai toujours du Rossini et du Mozart, tout en continuant, dans les années à venir, à m’essayer aux répertoires plus lourds : Verdi, Wagner et le grand opéra français.
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Au Met à la fin des années 1800, De Reszke chantait Roméo, Tristan et Almaviva dans la même semaine, ce qui nous semble insensé aujourd’hui. Très peu de personnes sont prêtes à sortir de leur zone de confort, mais c’est pourtant précisément ce qui m’a permis d’acquérir l’expérience et la technique qui en découle _ voilà _, pour survivre _ et épanouir ! _ dans cette folle profession !
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De plus en plus, vous devenez un grand interprète de l’opéra français _ en effet ! Est-ce un répertoire que vous aimez particulièrement ? Pourquoi ? Et comment avez-vous travaillé votre diction pour parvenir à ce point de perfection ?
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Michael Spyres :J’aime le répertoire français dans toute sa splendeur. La musique et les sujets abordés _ Michael Spyres ne les sépare pas ! _ sont d’un génie inégalé _ voilà ! Les idéaux fondamentaux de la Renaissance et de la Révolution sont au cœur même du Grand Opéra français, et il n’y a pas de forme d’art plus élevée qu’une pièce comme Les Troyens de Berlioz.
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J’ai grandi en pensant que j’aimais l’opéra italien, puisque c’est l’une des seules formes d’opéra populaire aux Etats-Unis. Mais dès que j’ai commencé à étudier l’opéra sérieusement, le style français a pris possession de mon cœur et mon âme. Si les grandes questions de la vie vous importent et que vous lui cherchez un sens, comment ne pas être en admiration face aux accomplissements de la France, depuis l’époque Baroque et jusqu’au XXe siècle ? La France était le centre névralgique de tous les idéaux occidentaux et il n’est pas étonnant que Rossini, Donizetti, Meyerbeer et Verdi soient tous allés chercher leur liberté artistique en France.
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Quant à mes capacités linguistiques en Français, je suis totalement autodidacte. J’ai toujours été assez entêté, mais je crois aussi que, comparé à d’autres, j’ai un don pour imiter les sons parfaitement, parce que je suis obsédé par la conception même des sons. Pour tout vous avouer, mon objectif dans la vie était de devenir doubleur de dessins animés, et c’est d’ailleurs ainsi que je me suis mis au chant. Honnêtement, le français est la langue que j’ai eu le plus de mal à maîtriser à cause de son incroyable manque de logique en termes de voyelles ! Ce n’est pas du tout une critique, mais tout comme avec l’anglais, il est très difficile pour une personne dont le français n’est pas la langue maternelle d’en maîtriser toutes les exceptions…
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Quelle est votre relation avec votre voix ? Est-ce toujours une amie, devez-vous parfois lutter avec elle? Devez-vous penser à la ménager ou au contraire à repousser ses limites ?
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Michael Spyres :Je peux sincèrement dire que ma vie est le chant. J’ai commencé à chanter avant même de savoir parler. Je viens d’une famille qui vit en musique, dans laquelle chaque personnes sait chanter et a toujours chanté. Ma mère et mon père étaient tous deux professeurs de chant et nous chantions en famille à chaque mariage, enterrement, ou événement de notre enfance. Ma sœur est aujourd’hui à Broadway et mon frère et moi tenons la compagnie d’opéra de notre ville natale. Ma femme _ Tara Stafford _ est également chanteuse et, en avril dernier, nous avons produit ma version et traduction de Die Zauberflöte. Ma femme chantait la Reine de la nuit, ma mère s’est chargée des costumes, mon père a fabriqué le décor et mon frère interprétait Tamino, en plus d’être assistant metteur en scène. Comme vous pouvez le constater, je ne suis jamais seul dans mon voyage musical, et je peux toujours compter sur ma famille lorsque j’ai besoin d’aide.
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Je crois qu’il est nécessaire de repousser ses limites en tant que chanteur pour comprendre son instrument. J’ai le sentiment que très peu de personnes explorent réellement leur voix et, du coup, très peu savent la maîtriser. J’ai eu la chance d’avoir assez tôt deux professeurs de musique en l’espace de trois ans. Ils m’ont appris les bases d’une bonne technique lyrique, mais j’ai abandonné les études à 21 ans _ en 2000 _ pour prendre une direction radicale. J’ai constaté que la seule façon pour moi de prendre le contrôle de ma vie et de réussir dans le monde de l’opéra était d’apprendre de mon côté _ par moi-même _ à contrôler cet instrument qui est en moi. Le chemin pour devenir ténor a été long et plein d’épreuves mais, finalement, le chant doit être un accord organique entre vous et votre voix, sans influence extérieure. Les professeurs et livres de technique ont un rôle inestimable mais, si vous n’avez pas une confiance absolue dans vos propres axiomes et votre structure, vous êtes voué à l’échec.
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Il y a peu de ténors, c’est une voix qui fascine le public et on imagine que vous subissez une grande pression de la part du monde musical. Comment y résistez-vous ? Comment refusez-vous les propositions qui ne vous conviennent pas ou ne vous plaisent pas ?
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Michael Spyres : Pour être tout à fait honnête, je n’arrive pas vraiment à dire non, et c’est quelque chose que j’essaye d’apprendre avec l’âge. L’an dernier, je suis arrivé à un stade de ma carrière assez crucial, parce qu’ il y a dix ans, je m’étais fixé comme objectif d’explorer un maximum de répertoires, et je m’épanouis dans les « challenges ». Mais j’ai été confronté à mes limites physiques et au vieillissement. Au cours de la saison 2017-2018, j’ai joué dans 8 productions, fait 7 concerts dans 8 pays différents, et j’ai fini par devoir, pour la première fois, annuler un concert et une représentation parce que j’étais malade. Au cours de cette dernière année, mes opportunités de carrière ont vraiment pris un tournant, et je suis dans la position merveilleuse de pouvoir choisir ou décliner une proposition.
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La plupart des gens considèrent que le chanteur est seul responsable de son parcours, mais vers 20 ans _ en 1999 _, j’ai constaté que l’image que l’on se fait de sa propre voix n’est pas forcément celle que se font les autres. L’une des principales raisons qui m’a poussé à varier autant mon répertoire venait aussi du constat que chaque pays avait sa propre opinion de ma voix. J’ai découvert que, pour réussir, il fallait trouver un compromis entre ce que vous voulez faire et les besoins de l’industrie et du marché musicaux. Je fais partie d’un groupe très restreint de chanteurs qui peuvent dire non. Mais le plus important dans ma prise de décision est de savoir si le rôle me correspond _ voilà _ et s’il fait _ vraiment _ évoluer ma carrière.
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Je n’ai que récemment atteint un niveau qui me permet de choisir un rôle. Je me demande alors : « cette œuvre a-t-elle une bonne raison d’exister ? » La plupart des gens n’aiment pas l’avouer, mais de nombreux opéras ont été composés simplement dans une recherche de profit ou par pur narcissisme, et, de ce fait, me semblent n’avoir guère ou même aucune de raison _ solide _ d’être interprétés.
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Je ne me prononce pas sur les différentes productions, intellectuelles ou non, mais je suis vraiment heureux de pouvoir désormais choisir sans avoir à dire oui à tout. Je veux aller de l’avant, et je consacre ma carrière à promouvoir les opéras les plus bouleversants et les plus importants, ceux qui ont été composés pour élever l’humanité à un plus haut niveau de conscience en nous forçant à l’introspection et à l’éveil de notre esprit.
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Quels sont les interprètes actuels ou passés, chanteurs ou instrumentistes (ou même comédiens, écrivains, peintres…) qui vous inspirent et enrichissent votre propre travail d’artiste ?
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Michael Spyres : La liste est longue, mais je dirais que les personnes qui m’ont le plus influencé sont, toutes catégories confondues : Wassily Kandinsky, Francisco Goya, René Magritte, Hieronymus Bosch, Michael Cheval, Norman Rockwell, Harry Clarke, Thomas Hart Benton, Jan Saudek, Hundertwasser, Alphonse Mucha, Jordan Peterson, Jonathan Haidt, Thomas Sowell, Michio Kaku, Stephen Pinker, Camille Paglia, Mario Lanza, Nicolai Gedda, Roger Miller, Nick Drake, Tom Waits, Air, Andrew Bird, Harry Nilsson, Kishi Bashi, Sleepwalkers, J Roddy Walston and the Business, Vulfpeck, Maria Bamford, Hans Teeuwen, Norm Macdonald, Reggie Watts, Thaddeus Strassberger, Le Shlemil Theatre, John Eliot Gardiner, Wes Anderson, Terry Gilliam, Alejandro Jodorowsky, Rossini, Berlioz, et surtout, ma famille.
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Comment avez-vous décidé de consacrer votre vie au chant ? Avez-vous parfois douté ? Comment, aux Etats-Unis, la musique classique (et, plus particulièrement l’opéra) est-elle considérée dans la société ? Est-ce un art populaire ou au contraire plutôt élitiste ?
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Michael Spyres : Comme je vous le disais, la musique coule dans les veines de ma famille, mais je ne me suis mis à envisager cette carrière qu’à 21 ans _ en 2000. Mon rêve était de devenir le futur Mel Blanc (la voix qui doublait tous les dessins animés d’antan) et d’entrer dans ce milieu de l’animation, si possible en devenant acteur pour Les Simpson. Après une période de réflexion, j’ai compris que si je ne tentais pas une carrière dans la musique et plus particulièrement, l’opéra, je le regretterais.
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Je suis l’homonyme de mon oncle Michael. Son rêve était de devenir chanteur d’opéra, mais il est décédé d’un cancer de la gorge à l’âge de 38 ans, alors que je n’étais qu’un bébé. J’ai grandi dans l’ombre de cette histoire, en sentant que mon destin était au moins d’essayer d’embrasser la carrière qu’il n’avait jamais pu avoir.
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Bien-sûr, j’ai eu des doutes, toute ma « vingtaine » _ entre 1999 et 2009, donc _ a été remplie de doutes… Mais quand j’ai eu trente ans _ en 2009 _, j’ai su avec certitude que je pouvais faire carrière dans l’opéra.
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La musique classique, et l’opéra en particulier, sont considérés comme une forme d’art élitiste aux Etats-Unis, mais cette perception est en train de changer avec les plus jeunes générations qui découvrent la joie et les messages profonds véhiculés par la musique. Mais soyons honnêtes, l’opéra et la musique classique ont, en effet, toujours été une forme d’art élitiste, tout simplement parce qu’il faut beaucoup d’argent et de temps aux artistes pour arriver au niveau de compétence nécessaire à cette profession. Pour réussir quelque chose d’aussi beau que le classique ou l’opéra, l’élitisme est et a toujours été une force. Même si je pense que tout le monde peut apprécier cet art, il reste dominé par un petit groupe d’artistes et de philanthropes.
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Je peux dire toutefois que l’opéra et la musique classique me semblent bien plus démocratiques aux Etats-Unis qu’en Europe où une grande partie du budget est subventionné par l’Etat. Chez nous, les gens sont très fiers d’apporter leur soutien et nos budgets sont presque entièrement financés par des personnes privées.
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Êtes-vous engagé sur le plan social, éducatif, voire politique ? Être un artiste donne-t-il selon vous des responsabilités dans la société ?
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Michael Spyres :Je suis très investi dans le monde des arts, et je crois de tout mon cœur qu’il est de notre devoir en tant qu’artistes d’enseigner et de donner son temps à la communauté et à la société au sens large. L’enseignement est aussi dans mon ADN, puisque tous les membres de ma famille ont été professeurs à un moment ou un autre.
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J’ai, en outre, la chance de pouvoir changer la vie de beaucoup de personnes à travers mon rôle de directeur artistique de la compagnie d’opéra de ma ville natale : l’opéra régional de Springfield _ tout proche de la petite ville natale, Mansfield, de Michael Spyres. Mon frère, ma mère et moi avons réalisé des projets ensemble, ils ont notamment écrit deux opéras pour enfants. Nous avons tourné dans les écoles les plus pauvres de notre région avec ces deux créations originales et, à travers l’opéra, nous avons réussi à transmettre des leçons importantes sur la vérité et la responsabilité.
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Je crois que beaucoup d’artistes oublient qu’il est de leur devoir de mettre en lumière certains problèmes de la société. Éduquer le public au sens large est primordial. Mon père, comme professeur de musique, m’a appris que cet art était une forme de méta-éducation et qu’à travers elle, on pouvait enseigner une grande variété de sujets. Avec une simple chanson, vous pouvez apprendre une langue, des maths, de la géographie, de la sociologie, de la philosophie… La musique est un point d’entrée vers la compréhension de l’humanité _ voilà ! _ et, en tant qu’artistes, nous sommes en possession d’un outil de transmission très puissant, qui connecte les gens.
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Lorsque vous voyagez pour vos concerts, avez-vous le sentiment que, depuis l’élection de Donald Trump, l’Amérique est vue différemment dans le monde ?
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Michael Spyres : Je suis sûr que certaines personnes perçoivent désormais les Etats-Unis différemment, mais cela n’a jamais été un problème pour moi. Ayant vécu 17 ans en Europe, dans six pays différents, j’ai pu voir des aspects à la fois merveilleux et terribles dans chacun d’entre eux, y compris le mien.
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Mais j’ai fini par comprendre qu’il ne fallait pas s’attarder sur les effets que la pensée ou la projection collective d’une nation toute entière peuvent avoir sur vous. Je crois en la souveraineté individuelle et à l’éveil intellectuel _ soit l’idéal kantien d’autonomie de la personne… _ et j’essaye de vivre et d’avancer en fonction de cela.
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L’un des plus beaux moments de ma vie a été de chanter en duo avec ma femme à Moscou, à un moment où la relation avec les Etats-Unis était assez compliquée… Après le concert, deux hommes sont venus nous parler dans un anglais parfait pour nous dire à quel point cela les avait touchés de m’entendre chanter dans leur langue natale et combien ils pensaient que notre concert avait apaisé les tensions. Certaines personnes se sont mises à pleurer lorsque j’ai chanté « Kuda, kuda… » dans Eugène Oneguin, et il n’y a pas de sentiment plus grand, ni de façon plus douce, d’apaiser les mœurs que par la musique.
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J’ai l’impression que, trop souvent, les gens se laissent dominer par des tendances naturelles « tribales », mais un grand air ou lied peut transcender tout cela, et aider au bien commun de l’humanité, dans la lutte, la joie, le deuil ou l’amour.
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En dehors du chant, quelles sont les arts ou les activités qui vous sont nécessaires, qui nourrissent votre esprit et votre émotion ? Comment parvenez-vous à garder votre équilibre de vie avec un métier si exigeant et si prenant ?
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Michael Spyres : J’ai très peu de hobbies parce que ma vie est principalement partagée entre ma carrière de chanteur, ma compagnie d’opéra et mon rôle de père. Je joue de la guitare et du piano quand j’en ai l’occasion, chez moi, et j’aime emmener mes fils explorer les bois de notre ferme. Mais honnêtement, quand je ne travaille pas, je passe une grande partie de mon temps à lire des livres de philosophie, de psychologie, d’économie et de sciences.
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Quant à la recherche d’un certain équilibre, c’est vraiment le défi le plus difficile à mes yeux, parce que lorsque vous adorez votre job et que vous aimez travailler autant que moi, vous devez constamment vous forcer à faire des pauses. Le fait d’avoir mes deux fils et ma femme m’aide à rester ancré dans la réalité, et je dirais que le plus dur avec cet emploi du temps de plus en plus chargé est de trouver l’équilibre entre mon t,emps de travail et ma famille.
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J’ai beaucoup de chance d’avoir cette carrière, et je n’ai pas encore trouvé beaucoup d’aspects négatifs liés au succès, outre la pression grandissante que je m’impose pour me donner à 100%. J’ai eu beaucoup d’emplois différents dans ma vie, gardien, jardinier, professeur, serveur, ouvrier du bâtiment, et je suis vraiment heureux de pouvoir gagner ma vie en rendant les gens heureux… Qu’y a-t-il de plus gratifiant ?
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Une nouvelle saison musicale commence, vous préparez bien sûr les prochaines… quels sont les projets mais aussi les envies qui vous tiennent le plus à cœur : nouveaux rôles, nouveaux chefs, metteurs en scène ou partenaires, nouveaux pays ?
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Michael Spyres : Comme l’an passé, je suis incroyablement pris, mais j’ai évidemment hâte de jouer dans Fidelio, et ensuite, de retourner au Carnegie Hall avec John Eliot Gardiner. En octobre, je ferai mes débuts au Concertgebouw d’Amsterdam et juste après, j’interprèterai mon premier récital avec Mathieu Porduoy, à Bordeaux. Au début de l’année 2019, je jouerai pour la première fois au Teatro Carlo Felice de Gênes à l’occasion d’un récital avec ma chère amie Jessica Pratt, puis je me rendrai au Wiener Staatsoper !
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Après Vienne, je ferai mes débuts à Genève, aux côtés de ma collègue Marina Rebeka, pour une Le Pirate de Bellini que nous enregistrerons également. En avril, j’aurai le privilège de jouer le fameux rôle de Chapelou dans la production de Michel Fau du Postillon de Longjumeau, qui sera présenté pour la première fois depuis 1894 à l’Opéra-Comique. Fin avril, j’aurai la chance de réaliser un nouveau rêve en m’associant avec de fantastiques collègues, Joyce Didonato et John Nelson, dans l’interprétation et l’enregistrement pour Erato de mon rôle préféré : Faust dans La Damnation de Faust, de Berlioz.
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En mai 2019, je reviens une fois de plus à Paris en tant que soliste du Lelio de Berlioz, avec François Xavier-Roth. Je ferai également mes débuts en tant que Pollione dans Norma de Bellini, et le mois sera marqué par mon retour à l’Opernhaus de Zurich. Entre ces deux performances, je retournerai à l’Oper Frankfurt dans le cadre d’une tournée en récital. Je terminerai la saison en jouant le rôle principal dans l’opéra épique Fervaal, de Vincent D’Indy, au Festival de Radio France Occitanie, à Montpellier.
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Souhaitez-moi bonne chance et… une bonne santé !
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Emmanuelle Giuliani