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L’enchantement du CD « Duphly » d’Elisabeth Joyé : une entrée « de rêve » dans le classicisisme musical français du XVIIIème siècle !

15juil

Quelle merveille que le CD « Pièces de clavecin » de Jacques Duphly (1715-1789) que vient nous offrir la magnifique Elisabeth Joyé, sur le si beau « clavecin historique du château d’Assas«  (en Languedoc : clavecin qu’avait si bien servi, il y a quelque temps, Scott Ross, en son « intégrale » des 555 « Sonates » de Domenico Scarlatti… ; Scott Ross est mort au château d’Assas le 13 juin 1989 ; est-il besoin de le rappeler ?)

que nous propose, ce début d’été 2009, Alpha :

il s’agit du CD Alpha 150…

A mes yeux, voilà rien moins que le plus bel enregistrement de « musique baroque » de cette saison 2008-2009 ;

et, mieux encore, une « entrée » rêvée dans la musique française de la période dite « baroque«  (de l' »Orfeo » de Claudio Monteverdi, donné à la cour des Gonzague à Mantoue le 24 février 1607, à la mort de Jean-Sébastien Bach, à Leipzig, le 28 juillet 1750, pour aller au principal, et le dire trop vite… ;

les quatre « Livres » de « Pièces de clavecin » de Jacques Duphly ont paru respectivement en février 1744, octobre 1748, janvier 1758 et le 14 juillet 1768, pour être précis !) :

un enchantement absolu en son élégance tranquille, heureuse,

mais non dépourvue d’une certaine gravité,

en ombre portée, tout simplement, et sans façons aucunes, en quelque sorte, de ses « jeux » :

à la Chardin, si l’on veut ; un presque parfait contemporain, aussi, c’est à noter : Paris, 1699 – Paris, 1779…

Car,

de même que Chardin, qui s’est cantonné aux « Scènes de genre » et aux « Natures mortes » _ à l’exception de (très rares) « auto-portraits«  _, n’a pas accédé à la reconnaissance des « grands genres«  (la « peinture d’histoire« , le « portrait« , le « paysage« ),

Jacques Duphly n’a pas recherché une carrière à la Cour _ « il n’eut jamais de position officielle« , l’a formulé François Lesure, en sa préface aux « Œuvres pour le clavecin » de Duphly, éditées par Françoise Petit en 1967… _ : il s’est contenté d’enseigner _ avec grand succès _ le clavecin à Paris, à partir de 1742 ;

Pierre-Louis Daquin, affirme, en ses « Lettres sur les hommes célèbres sous le règne de Louis XV », en 1752, que les dons de claveciniste de Duphly étaient « supérieurs » ;

qu’il eut raison de gagner Paris (plutôt que de demeurer en poste _ d’organiste _ à Rouen : Carmes, Saint-Louis, Saint-Éloi, Notre-Dame de la Ronde ; ou Évreux : la cathédrale) ;

Paris où « il passe pour un très bon claveciniste » ;

précisant encore qu’« on lui trouve beaucoup de légèreté dans le toucher et une certaine mollesse _ « morbidezza« , en italien, c’est-à-dire « douceur« , « tendresse« , au lieu de « dureté«  _, qui, soutenue par des grâces, rend à merveille le caractère de plusieurs de ses pièces« .

Et Pascal Taskin _ (1723-1793) le « maître-facteur«  de clavecins de l’époque à Paris : « Facteur de Clavessins & Garde des Instruments de Musique du Roi, Eleve & Successeur de m. blanchet, demeure Même Maison, rue de la Verrerie, vis-à-vis la petite porte de S. Merry, a. paris« , comme lui-même se présentait… _ le tient pour un des meilleurs professeurs du moment…

Dans le livret du CD, Marie Demeilliez rappelle, page 12, à propos de la « notoriété » et « carrière » de musicien à Paris de Duphly,

que « s’affirmant dès son arrivée à Paris comme l’un des meilleurs clavecinistes de son temps,

il est l’un des rares musiciens français du XVIIIème siècle à pouvoir vivre de la composition et de l’enseignement du clavecin« .

Jacques Duphly, « né à Rouen en 1715« , est le « petit-fils du célèbre organiste Jacques Boyvin (1655-1706)« , et « l’élève de François d’Agincourt _ Rouen, 1684 – Rouen, 1758 _, alors titulaire de l’instrument de la cathédrale _ de Rouen _ et organiste de la Chapelle royale » _ à Versailles.

Cette « gravité« -là, de ton, est parfaitement sensible dans le jeu,

et la façon de faire sonner le clavecin « historique » du château d’Assas,

d’Elisabeth Joyé :

on le constate à comparer l’écoute de ce CD « Duphly » Alpha 150

à celle du CD « Duphly » Séon du maître Gustav Leonhardt,

enregistré à la Doopsgezinde Kerk d’Amsterdam en janvier 1973, sur un clavecin David Rubio en 1972, d’après un original de Pascal Taskin (1723-1793, donc) ; et produit par Wolf Erichson…

Si l’on compare cet enregistrement-ci (CD Alpha 150) d’Elisabeth Joyé

à l' »Intégrale  de l’Œuvre pour clavecin » _ c’est-à-dire de l’ensemble des « pièces » des quatre « Livres« _ enregistrée par Yannick Le Gaillard pour ADDA en 1988,

soit la durée de la sélection par Elisabeth Joyé (= de 14 titres) pour le CD Alpha : 75 minutes,

vis-à-vis des 223 minutes de l' »Intégrale » (soit 51 titres) de Yannick Le Gaillard en 4 CDs,

on mesure la portée (et le goût !) de la sélection : un tiers de la musique publiée…

Une pièce seulement des livres II (« La Félix« ) et IV (« La Pothoüin« ) _ ces deux pièces choisies aussi parmi les onze de la sélection de Gustav Leonhardt, en 1973 _ ;

mais sept du « Premier Livre » et cinq du « Troisième Livre«  :

dans son livret pour l' »Intégrale » de Yannick Le Gaillard,

Jacques Drillon qualifiait le « Premier Livre«  de « traditionnel«  : payant son tribut « aux aînés et à leur puissante leçon » ;

« le deuxième écrit dans l’euphorie du succès est beaucoup plus italien«  ;

« le troisième est le livre de la maturité : Duphly y intègre certaines de ses plus grandes pièces, comme sa chaconne, et de l’inspiration la plus élevée, comme « La Forqueray », ou « la Médée » »… ;

allant jusqu’à qualifier le « quatrième livre«  de « celui d’une certaine décadence« , comme si « le clavecin et sa musique ne pouvaient » plus que difficilement « survivre à leur propre somptuosité« … 

Dans sa préface, en ouverture au livret du disque d’Elisabeth Joyé,

Jean-Paul Combet se déclare « particulièrement touché que cet enregistrement d’Elisabeth Joyé ait pu s’inscrire dans la mémoire d’un lieu » tel que le château d’Assas (il vient d’évoquer la « trace artistique » de Scott Ross : « intacte » !).

Et il poursuit, à propos de la si remarquable interprète _ à laquelle rendent fort bien justice, quant à ses « sentiments« , les six photos prises d’elle à Assas _  :

« Cette grande pédagogue, si attentive à l’accomplissement de ses élèves (nombreux et illustres ! _ à commencer par Benjamin Alard et Sébastien Delage que j’ai déjà eu l’occasion de citer… _), sait comme personne ciseler le son et faire chanter le clavecin,

faussement réputé inexpressif.« 

Puis :

« Avec Duphly, ce sont les derniers feux de la grande tradition française du clavecin qui brillent _ et avec quelle profondeur et douceur de « charme » ! _ avec l’éclat de ce qui va disparaître.« 

Pour conclure :

« L’enregistrement, longuement pensé, préparé et mûri _ oui : avec la splendide fraîcheur de la spontanéité, elle aussi, et comment ! présente !.. _ ne pouvait avoir lieu qu’ici, à Assas, où vivent les _ couperiniennes _ « ombres errantes » de la musique française.« 

On ne saurait mieux dire !!!


Et plutôt que de vouloir « voir en Duphly le « Chopin du clavecin » »,

comme l’évoquait en son livret de 1989 Jacques Drillon,

c’est plutôt du côté de Debussy que j’irais rechercher quelque « comparaison » (mutatis mutandis !) de style musical,

en m’appuyant sur l’analyse du génie de « Claude de France » faite par Jean-Yves Tadié en son beau « Songe musical _ Claude Debussy« …

Cf à ce propos mon article du 10 mars 2009 : « la poétique musicale du rêve des “Jardins sous la pluie”, voire “La Mer”, de Claude Debussy, sous le regard aigu de Jean-Yves Tadié« …

Un disque d’autant plus beau que sobrement délicat et chantant, en ses moindres souffles et inflexions, que ce CD « Jacques Duphly : Pièces de Clavecin » (CD Alpha 150) par la magique, discrète, délicate, justissime Elisabeth Joyé…


Titus Curiosus, le 15 juillet 2009

la jubilante lecture des grands livres : apprendre à vivre en lisant « L’Exposition » de Nathalie Léger

15juin

Un grand livre _ tel que « L’Exposition » de Nathalie Léger _ est un livre qui vous entraîne, vous lecteur, à sa suite, dans une découverte, avec jubilation : la découverte d’un secret, d’abord enfoui dans (et sous) beaucoup d’apparences, sous beaucoup d’ignorance (et de naïveté de votre part ; comme, tout d’abord, en amont, celle de l’auteur, en son travail même d’écriture) ; tant objectivement _ en soi, dans le réel (touffu _ et dangereux !) auquel il (le livre !) se confronte _ que subjectivement _ pour soi-même, lecteur, a priori vierge (comme tout nouveau venu au monde) de beaucoup de bien des connaissances nécessaires pour seulement en venir à partager (en se forgeant de bric et de broc, toujours, quelque « expérience » qui tienne un tant soit peu la route ; et aide à cheminer, avancer, accomplir son chemin) ;

en venir à partager, donc, quelques « coins » de ce « secret » que l’auteur va peu à peu, au fil des lignes, des phrases, des pages, et par bribes _ lui aussi ! _, « exposer« , « révéler« , « mettre au jour« .

En cela, tout grand livre est une chasse au trésor…

Avec le risque qu’à la fin, en dépit de mille péripéties haletantes, et souvent exaltantes, entre quelques passages (reposants) de temps morts relatifs (pour souffler, récupérer, faire un peu le point, avant d’affronter une nouvelle étape affolante de découverte, par escalier), on se dise parfois : ce n’était donc que ça ? Tout ça rien que pour ça ?..

Tout grand livre est, en microcosme, ce que toute vie dans le monde (et face à lui et à ses dangers : le réel, on s’y heurte, on s’y blesse ; il a parfois trop vite raison de nous ; et on finira bien, un jour ou l’autre, de toutes façons, par en mourir : devoir baisser le pavillon ; définitivement en rabattre, en quelque sorte ; nos réserves d’énergie épuisées : la vie nous écartant alors, sous l’injonction salutaire : « au rebut » ! « place aux jeunes » !) ;

ce que toute vie dans le monde est : l’apprentissage d’une survie, à défaut, dans les meilleurs des cas, d’un accomplissement (demeurant, pour tant et tant, au stade seulement de promesse non tenue…).

Ne passez pas à côté !!!

Eh bien ! « L’Exposition » de Nathalie Léger,

comme « Zone« , de Mathias Enard,

comme « Traité des Passions de l’âme » d’Antonio Lobo Antunes,

comme « Entre nous » d’Elisabetta Rasy,

comme « Les Disparus » de Daniel Mendelsohn,

est de ces grands livres jubilants, chacun en son genre (parfois singulier), qui vous emportent et vous font découvrir (= partager un peu) un savoir formidable et irremplaçable sur le monde, le réel, la vie et les vivants, que chaque lecteur est amené à fréquenter, aux risques et périls de toute vie. En cela _ mais sans didactisme aucun ! _, ces grands livres nous font faire d’énormes bonds dans l’apprentissage du « métier de vivre« , comme l’appelait le très inquiet lui-même Cesare Pavese…

La quête _ et le schéma narratif _ de « L’Exposition » est très simple :

il s’agit d’une commande, passée à l’auteur, d’un « chargé de mission » à la direction du Patrimoine du ministère de la culture, d’organiser une exposition patrimoniale. Lisons :

« Je travaillais alors à un projet sur les ruines« , indique l’auteur, page 13, « encore un, une carte blanche proposée par la direction du Patrimoine. Il était question de « sensibilité de l’inappropriable », d’« effacement de la forme », de « conscience aigüe d’un temps tragique » _ indications de direction de recherche non négligeables, bien qu’ouvertes, laissant de la marge… « Chaque intervention devait se faire dans un monument historique. On me proposait le musée de C…«  _ ville marquée par le Second-Empire et l’empreinte de Napoléon III… « Il fallait choisir une seule pièce dans leur collection, puis « broder sur le motif », ainsi que me le recommanda le chargé de mission de la direction du Patrimoine avec un petit rire gêné comme s’il venait de faire une plaisanterie salace. Il fallait ensuite mettre en valeur la pièce choisie en sollicitant auprès d’autres musées le prêt d’œuvres contemporaines« _ de la « pièce » patrimoniale élue… Après une première piste bien vite abandonnée en découvrant que la « photographie » envisagée _ « l’étrange et fameuse image d’un vallon morne jonché de boulets, à moins que ce ne soient des pierres ou des crânes disposés régulièrement sur une nature trépassée« , issue d’un « reportage de Roger Fenton, le photographe britannique envoyé par la reine Victoria sur le front de la guerre de Crimée« _ ne faisait pas partie des collections du musée«  ; « c’est alors, tout en attendant l’inventaire que le chargé de mission avait promis de m’envoyer, c’est alors que j’ai cherché dans ma bibliothèque le catalogue sur cette femme, la Castiglione, ce catalogue que j’avais acheté _ par attraction _ et rangé aussitôt _ par répulsion : deux mouvements conjoints d’importance dans le processus même que va décrire « L’Exposition«   _, et dans lequel se trouvaient plusieurs documents appartenant au musée de C… .« 

Ce « passage«  _ l’écriture de Nathalie Léger procède par « passages« , séparés par des blancs, formant des « sauts« , à la façon d’un Pascal en ses « Pensées » ; ou d’un Nietzsche dans la plupart de ses essais (par exemple « Le Gai savoir« , ou « Par-delà le Bien et le mal » ;

les « sauts et gambades« , eux, d’un Montaigne, en ses « Essais » apparemment touffus (nous sommes dans une écriture maniériste) sont, très espièglement de la part de leur auteur, beaucoup plus complexes, défiant très crânement, et on ne peut plus ouvertement dès l« Avis au lecteur » liminaire, « l’indiligent lecteur« , eux !!!) _

ce « passage« , donc, est le sixième du livre (qui en comportera 100, tout rond !) ; il se trouve aux pages 13 et 14.

Si j’analyse les « passages » précédant celui-là, voici ce que cela donne :

Le premier « passage« , de six lignes seulement, en ouverture du livre, page 9, est une sorte de vademecum (pour soi) de l’auteur se mettant au travail (d’écrire _ et se livrant à son « génie » singulier…) :

« S’abandonner, ne rien préméditer, ne rien vouloir, ne rien distinguer ni défaire, ne pas regarder fixement, plutôt déplacer, esquiver, rendre flou et considérer en ralentissant la seule matière qui se présente comme elle se présente, dans son désordre, et même dans son ordre » _ je l’ai commenté dans mon article précédent, hier : « Sur la magnifique “Exposition” de Nathalie Léger, Prix Lavinal 2009 : l’exposition de la féminité et l’exhibition (sans douceur, ni charme = sans joie) comme privation de l’intime« …


Le second « passage » porte déjà sur l’apparent « sujet » de l’enquête : le secret de la beauté (ainsi que de la fascination pour sa propre image photographique) de la Castiglione, dont le nom même n’est pas encore mentionné dans les citations qui la désignent, cette beauté, ou plutôt la fascination (médusante ; ou jalouse, meurtrière) qu’elle exerce sur les autres femmes (page 116, on trouvera sur ce contexte d’extrême violence de la cour (impériale) en partance, sur les quais de la gare du Nord, pour Compiègne, l’expression : « des enjeux terribles, des haines, l’arrière-boutique saignante de la parade« ) ; les hommes, quant à eux, s’y laissant volontiers prendre, et succomber : ces citations, pages 9 et 10, sont empruntées à la princesse de Metternich. La narratrice commente simplement : « On contemplait sa beauté comme on allait voir les monstres« ...


Le troisième « passage » porte sur la découverte « par hasard » de la Castiglione et de ses images photographiques par la narratrice du récit, sous la forme d’un « catalogue » d’exposition de photographies, « La Comtesse de Castiglione par elle-même«  :

« C’est par hasard, en haut d’un petit escalier de bois dans la librairie délabrée d’une ville de province, que je suis tombée sur elle, frappée à mon tour, mais pour d’autres raisons _ qui vont faire rien moins que le « motif » discret de « L’Exposition«  Une femme a fait irruption sur la couverture d’un catalogue, « La Comtesse de Castiglione par elle-même« . J’ai été glacée par la méchanceté _ oui _ d’un regard, médusé par la violence _ oui _ de cette femme qui surgissait dans l’image. J’ai simplement pensé sans rien y comprendre _ alors _ : « Moi-même par elle contre moi » _ une expression (de « travail sur soi » : dialectique) qui ira s’éclairant… ; et combien superbement ! _, dans un bredouillement de l’esprit qui s’est un peu apaisé lorsque j’entendis _ de retour à Paris ? _ sur le trajet du 95 une femme faire à une autre le long récit gémissant des circonstances de sa jalousie _ un terme en effet intéressant. Au moment de descendre, elle lâcha pour résumer : « Tu comprends, mon problème, c’est pas lui, c’est elle, c’est l’autre« . Sur le trajet un peu sinueux de la féminité _ l’expression est magnifique : voilà le sujet de « L’Exposition » !!! le « motif » qui va travailler et l’auteur, et le livre… avant le lecteur ! ensuite… _, le caillou sur lequel on trébuche _ avant que de devoir « se rétablir«  _, c’est une autre femme (« l’autre » _ c’était ainsi que nous avions nommé la femme pour qui mon père avait quitté ma mère _ « Lautre », c’était devenu son nom, un nom qui permettait d’annuler sa qualité pour ne s’attacher qu’à sa fonction _ en effet ! _ ; « Lautre », celle qui n’était pas légitime, celle qui n’était pas la mère ; « Lautre », quoi qu’elle fasse, on la hait, on la désire _ dans l’ambivalence _ ). » Le dispositif narratif (de ces « passages«  : c’est mieux que « paragraphes«  !..) se met peu à peu et implacablement en place… Jusqu’à l’ultime mot, lors du centième, page 157 : « Atropos : l’Inexorable« … Mais, alors, ce sera gagné… Nous aurons, avec l’auteur _ sans doute… _, « vaincu«  : c’est-à-dire « surmonté« 

Le quatrième « passage » décrit une scène : de théâtre ? à moins que ce ne soit, plus surement, une photo : peut-être celle-là même de la couverture du « catalogue«  qui vient d’être évoqué : « Elle entre. Elle est dans le plein mouvement de la colère et du reproche. Elle fait irruption sur la droite de l’image _ le terme est important _ comme d’une coulisse masquée par un rideau _ est-ce à dire que le théâtre n’est, ici, que « métaphorique » ?.. De quoi est-ce donc ici l’« ekphrasis » ?.. Elle tient dans sa main ramenée contre sa taille un couteau qui luit obliquement en travers de son ventre. Le visage est fermé, la bouche mince, les lèvres serrées, le regard clair et dur, les cheveux sont plaqués en deux petits bandeaux secs séparés par une raie impitoyable, le couteau« … etc… « Tuerie de théâtre ? Oui, personne ne peut en douter, elle est sur une scène et fait mine de prendre soin que tout ça ait l’air véridique. Mais comme toute grande actrice, elle fait semblant de faire semblant« … Elle ne fait donc pas vraiment semblant… Du « vrai«  sourd de l’image… Le « passage » se conclut par la formule : « Cette femme entre, elle veut tuer. » Se venger…

Quelle place assigner à ce quatrième « passage« , pages 11 et 12, dans la progression de ce début de récit de « L’Exposition » ? Il semble bien, pourtant, qu’il s’agisse, déjà là, d’une « image » de la Castiglione se mettant elle-même en scène, dans le studio Mayer & Pierson (dont la mention n’apparaîtra qu’au onzième « passage« , page 19 _ mais lire, pour le lecteur, c’est nécessairement se souvenir ; opérer des connexions…) ; et sous l’objectif de Pierre-Louis Pierson, dont le rôle et le travail assigné par la commanditaire, est présenté et remarquablement détaillé _ Nathalie Léger est toujours magnifiquement (quoique toujours très sobrement : rien de trop) « détaillante« … _ dans le douzième « passage« , pages 20 et 21…

Enfin, le cinquième « passage« , juste avant celui de la « carte blanche » de « commande » d’une exposition pour la direction du Patrimoine, décrit la « re-découverte » du catalogue par la narratrice :

« J’ai recherché dans ma bibliothèque _ où il avait été enfoui, sinon même englouti, parmi tous les autres livres qui la constituent : c’est aussi à cela que servent les bibliothèques (cf le délicieux petit livre de Jacques Bonnet « Des Bibliothèques pleines de fantômes« ) _ le catalogue sur elle, ce catalogue que j’avais acheté et rangé aussitôt. J’y ai retrouvé immédiatement le dégoût _ très vif, et lancinant (comme une carie avancée avant qu’elle soit soignée) _ de ces images, de cette férocité, de cette mélancolie sans profondeur _ la formule, terrible, assassine, si l’on veut bien s’y arrêter un peu… _, de cette défaite » _ soit l’image faite chair de la « ruine«  Avec cette conclusion, tout de suite : « j’ai eu l’impression étrange _ cette « Inquiétante étrangeté« , « Das Unheimliche » dans l’article que lui consacre Freud en 1919 (cf « L’Inquiétante étrangeté et autres essais« ), et qu’il vaudrait mieux traduire, me semble-t-il, par « bizarre familiarité » _ de rentrer à la maison et, bien que cette maison soit détruite, d’y rentrer avec crainte, avec reconnaissance«  _ toujours cette même « ambivalence« , et comme pour « mettre enfin au clair«  des miasmes bien trop délétères encore, sinon…

Je ne reviens pas sur le sixième « passage« , décisif pour le dispositif narratif de « L’Exposition« .

Suivant, forcément (!), ce sixième « passage » de la commande de l’exposition (avec « le musée de C… » pour partenaire « proposé« ),

arrive le septième, qui « brode« , lui, dans l’esprit « en chantier » de la narratrice, sur le concept de « sujet« 

à partir d’une savoureuse _ on l’entend légèrement rouler les r _ remarque de Jean Renoir : « Le sujet m’a totalement boulotté ! Un bon sujet, ça vous prend toujours par surprise, ça vous amène«  : ça vient formidablement soulever et féconder votre inspiration, à partir d’un « terreau » qui dormait en attendant cette occasion de « s’éveiller » et de « se déployer » enfin ; d’exhaler toute la palette de ses fragrances ne demandant qu’à s’aviver… La « bête » (du « sujet« ), tel un python venant fasciner sa victime avant de la « boulotter« , très effectivement _ Nathalie Léger raconte, page 15 :

« Ce jour-là, j’ai pris un livre au hasard, c’était un livre sur les pythons, la dévoration par les pythons« , plus exactement, même... _ ; la « bête« , alors, « vous fait cracher ce que vous vous êtes enfoncé dans l’esprit, un sujet énorme et dissimulé _ enfoui, et sans doute même « refoulé« , dirait Freud ; cf ici le « Vocabulaire de psychanalyse«  de Laplanche et Pontalis _, incompréhensible _ tout d’abord _, puissant, plus puissant que vous, et d’apparence ténue le plus souvent, un détail, un vieux souvenir, pas grand chose _ apparemment, du moins ! d’abord… encore et toujours _, mais qui vous prend _ tel le serpent Python (celui-là même dont Apollon, le dieu de la lumière, du Soleil, de la musique et des Muses, débarrassa le territoire, devenant alors « sacré« , de Delphes, au pied du Montparnasse ; où s’installa alors l’oracle de la « Pythie«  _, mais qui vous prend et inexorablement _ ce sera, nous venons de le voir (et le dire), le mot de la fin du livre, « Atropos : l’Inexorable« , page 157 : mais enfin vaincu ! _, vous confond en lui pour régurgiter lentement quelques fantômes inquiétants, des revenants égarés mais qui insistent« , pages 15 et 16… Ces « fantômes » « égarés » et qui ne partent pas, mais « reviennent » et « insistent« , restent et campent là implacablement, nous allons les retrouver, dans les traits mêmes, s’épaississant de leur charbon (de noirceur), de la comtesse de Castiglione.

Ainsi, ce « passage«  sublime, qui débute page 77 :

« Il y avait dans la chambre d’enfant un placard dans le mur, une sorte d’armoire. On ouvrait ses lourds battants ouvragés avec une grosse clé, mais au lieu de trouver la profondeur obscure et mate d’un rangement silencieux _ muet, mutique : laissant en paix _, piles de draps ou de livres, on tombait brutalement sur son propre visage,

soi-même inattendu dans le miroir qui surmontait un petit lavabo et son nécessaire à toilette

soi-même pétrifié de se trouver là avant même de s’être reconnu _ en une opération laissant tranquillement le temps de s’identifier soi-même ; c’est la surprise ici qui oblitère cela ; ôte les défenses et boucliers traditionnels ; et nous livre au « médusement«  sans appel de Méduse… _,

inconnu _ ainsi, dans la surprise _,

s’égarant dans son propre regard _ qui n’a pas le temps d’opérer les efficaces « focalisations » habituelles _,

dépossédé de ce qu’on croyait pourtant le mieux à soi _ la contenance de son visage, celui que nous offrons quotidiennement à autrui dans le « commerce » de la socialité urbaine inter-humaine… _,

on se perd si facilement,

ou plutôt on se confond,

mais là, soudain, par surprise, tombant sur soi _ le miroir, lui, était caché dans l’armoire ! on ne s’attendait pas à ce qu’il allait, ainsi, nous montrer, nous imposer, sans nulle « préparation« , de nos propres traits… _,

c’est-à-dire précisément sur d’autres _ que soi en nous : nous y voilà donc !!! _,

on découvrait en un éclair la superposition de figures innombrables _ voilà ce qu’est être un « très grand écrivain » !.. _,

l’entassement des spectres qui n’en font d’ordinaire trompeusement qu’un«  _ soit soi-même comme un « spectre » abusé de ne pas savoir encore de quelles pyramides d’autres « spectres«  il est tout rapiécé !.. Nathalie Léger est une très très grande !!!

Le « passage » des pages 77 à 79, un des sommets de cette « Exposition » se poursuit par une parenthèse plus prosaïque, sous la forme d’une conversation (entre amies) :

« (Je me souviens d’une conversation _ un écrivain fait « feu de tout bois« , « convoque«  (comme il peut…) l’infinité de ses souvenirs, comme de ses lectures _ en sortant d’une exposition sur le portrait _ à ce propos, on pourra se reporter au très intéressant « cahier » sur le portrait, « Actualité du portrait« , dans le numéro de juin 2009 de « La Revue des Deux Mondes« … _ : « Comment tu te décrirais, toi ? Il ressemblerait à quoi ton propre portrait ? » _ dans, aussi, ce qu’est devenu l’état de notre langue orale… _, et mon amie essayant les mots, les appliquant à son visage avec la même incompréhension lente, le même sentiment d’étrangeté qu’on peut avoir lorsqu’on enfile un vêtement dont on ne comprend pas la forme : « Je ne sais pas, je ne me vois pas. Quand je me regarde dans un miroir, celle que je vois, c’est ma mère ; c’est elle que je vois lorsque je me regarde, moi, dans le miroir ; mais c’est une vision d’horreur, c’est « Psychose« , le visage de la mère grimée sur le visage du fils ») ».

Ce qui suit, la fin du « passage« , va encore plus loin, page 78 :

« Je m’enferme, je me déshabille, je m’approche _ en un double sens _, je regarde _ sans complément d’objet, intransitivement en quelque sorte… C’est incompréhensible, comme toujours _ cf les portraits et les auto-portraits « terribles«  de Francis Bacon ; et de Lucian Freud, plus encore : sublimes !!! _, c’est effrayant, cette forme en amande, ce trou, des plis, l’ombre noire qui cille autour, la clarté, la matière, et le trou,

j’écarte un peu : le trou reste le même, c’est toujours autour que ça s’agrandit, la clarté devient démesurée mais le trou reste le même, je regarde fixement, ce n’est plus l’œil, c’est le regard, mon regard qui me fixe et ne scrute de lui-même qu’un trou.« 

Avec ce commentaire, alors, emprunté au « Michel Strogoff » de Jules Verne _ je j’ai lu, quant à moi, enfant, dans l’édition en deux volumes de la Bibliothèque verte… :

« Ne reste que les larmes pour noyer cette vue, pour me sauver de l’aveuglement, comme Michel Strogoff échappant au bourreau qui l’aveugle grâce aux larmes qui noient son regard à la vue de sa mère tant aimée, « Ma mère ! Oui ! Oui ! A toi mon suprême regard ! Reste là, devant moi ! Que je voie encore ta figure bien aimée ! Que mes yeux ne se ferment en te regardant », mais les larmes ne viennent pas« …


Et ces deux autres « passages« -ci, très forts, aussi, sur les spectres « en soi« , page 118 et page 146 ; mais à nouveau à propos de la Castiglione :

le premier concerne

« le vrai cabinet, le vrai boudoir d’outre-tombe » de la Castiglione, tel que le révèle « une photographie opaque, presque noire, intitulée « Effet de clair-obscur » », parmi des « documents appartenant à Robert de Montesquiou sur la Castiglione« … « Le cabinet tel qu’il fut _ « rue Cambon, au-dessus de chez Voisin« , avait-il été indiqué page 44 _, surgissant sous mes yeux dans une étrange lueur trouée d’obscurité, est ici comme un gouffre caverneux enseveli sous un plissé blafard qui révèle sa vraie nature de suaire ;

sur le divan, la forme abandonnée d’une houppelande ou d’un tapis de peluche, à moins que ce ne soit l’inertie de la poussière qui forge dans ses remous _ car même la poussière a des remous : on peut même les lui demander… _ un fantôme livide _ de qui ? _ ;

quant au miroir, c’est une surface glauque agitée comme une goule et qui maintient sous son eau le portrait informe, le seul portrait en vérité _ de la Castiglione, en dépit de la multiplication forcenée des séances de pose et les clichés sans nombre (plus de 500 de répertoriés) pris dans l’« atelier de photographie«  de Pierre-Louis Pierson, et cela jusqu’à la mort de son « sujet« , le 28 novembre 1899… _, amas de figures passées, concrétion monstrueuse de souvenirs, le vrai visage de cette femme, un vrai visage«  _ enfin ! pas ces poses indéfiniment recherchées…

et le second, à l’occasion d’une réflexion fantasmée sur l’hypothétique « rencontre« , à Paris, « un matin du mois de juillet 1900« , lors de « l’Exposition universelle de 1900« , « au Champ-de-Mars« , de Sigmund Freud, en visite à Paris et de « l’exposition«  qui avait été bel et bien envisagée et « se serait appelée « La Plus Belle Femme du siècle » » de la collection des portraits photographiques de la comtesse de Castiglione :

« Sigmund Freud aurait visité l’exposition en se demandant, songeur : « Mais que veut la femme ? » On ne sait pas, on ne peut pas savoir ce qu’elle veut _ poursuit l’auteur, page 146 _, mais on peut savoir ce qu’elle fait en regardant les photos de la Castiglione : elle danse. Ça ne se voit pas, c’est invisible, mais, du matin au soir, dès qu’elle se retrouve sous le regard d’un autre _ et le point est crucial _, elle danse. On ne voit presque rien de cette danse-là. Seule la photographie rend visible ce mouvement incessant des spectres en elles _ voilà le fond de ce réel traqué ! _, ces allers et retours vers l’autre, ces reprises, ces sauts, en faisant paraître ce que certains chorégraphes nomment la « fantasmata »… ».

L’analyse de Nathalie Léger se fait très savante et plus que jamais perspicace ici, page 147 _ et me rappelle ce que mes propres recherches (sur la collection de manuscrits musicaux des ducs d’Aiguillon, conservée à Agen) m’ont fait entr’apercevoir à propos de cette forme de « danse«  ou « ballet«  que fut la « pantomime«  vers 1739-40, lors du passage à Paris de la Barbarina et de son chorégraphe Antonio Rinaldi, dit Fossano _ :

« C’est un maître ancien, un certain Domenico da Piacenza, qui en parle le premier vers 1425 dans son « De arte saltandi et choreas ducendi« . Le corps doit danser par fantasmata. Qu’est-ce que c’est ? C’est la manière avec laquelle, une fois le mouvement achevé, on immobilise le geste « comme si on avait vu la tête de Méduse ». Pour accomplir le mouvement, il faut figer un instant l’esprit du corps _ sic _, « fixer sa manière, sa mesure et sa mémoire, écrit-il, être tout de pierre à cet instant » _ la citation (de 1425) est merveilleuse ! _ ; l’esprit de la danse _ re-sic ; mais l’expression peut nous être cette fois davantage familière… _ est dans cette immobilisation de la figure, dans cet arrêt sur image _ pour le destinataire _ qui donne seul le sens _ c’est-à-dire « l’indique«  _ du mouvement. Et Nathalie Léger d’appliquer ce concept de « fantasmata«  aux photos de la Castiglione… La photographie permet de saisir, dans la danse incessante de la femme sous le regard de l’autre _ et cela va certes au-delà du cas particulier de la Castiglione ; et, plus loin encore : qu’en est-il de ce que devient aussi la gestuelle (« gestique«  existe-t-il ?) des « hommes«  aujourd’hui, je m’y interroge au passage… _, cet état de pierre qui révèle l’instantané d’un secret. C’est cela qu’elle _ la Castiglione _ aurait voulu exposer » _ en ses photos : dans le souci des « destinataires«  éventuels


Après ce passablement long développement autour du concept de « sujet » présent dans le septième « passage«  (pages15 et 16),

il me reste à indiquer que le quinzième « passage« , pages 26 et 27, déploiera le « sujet » en « motif » grâce à l’attention recueillie au « génie » même de Cézanne… Mais cela, je l’ai développé dans mon article d’hier, « Sur la magnifique “Exposition” de Nathalie Léger, Prix Lavinal 2009 : l’exposition de la féminité et l’exhibition (sans douceur, ni charme = sans joie) comme privation de l’intime« …

Page 27, encore dans la phase de « présentation » de sa « recherche« , de son « enquête« , en laquelle consistera ce livre de « L’Exposition« ,

Nathalie Léger se demande : « Quel est mon motif ?« 

Et répond : « Chose petite, très petite, quel en sera le geste ?« 

Un geste de congédiement…


Pour le moment,

tout au récit de l’aventure de l’exposition pour le « chargé de mission » de la direction du Patrimoine,

et se centrant sur l’étrangeté des photos de la Castiglione,

elle répond, page 27 :

« Je regarde son visage, ce « Portrait à la voilette relevée » de 1857, ses yeux tombant, cette bouche si lasse, pincée, cet air de deuil » _ Virginia Elisabetta Luisa Carlotta Antonietta Teresa Maria Oldoïni, née à Florence le 23 mars 1837 et morte à Paris le 28 novembre 1899, n’a pourtant, en 1857, que vingt ans !!! La tristesse de cette femme est effroyable _ ce mot tue ; et c’est là la raison de la si violente répulsion que suscitent, après sa beauté marmoréenne, de son vivant, ces photos conservées, désormais qu’elle est morte _, une tristesse sans émotion, la vraie défaite de soi _ rien moins !!! et à plate couture ! sans rémission ! _, un effondrement intérieur, la désolation » _ d’où cette misérable fin dans le « gourbi » de l’« entresol« , rue Cambon… Et Nathalie Léger d’introduire ce « coin » si pertinent entre « sujet » et « motif« , page 27 toujours : « La photographie peut en donner une image, mais pour en faire un motif, il faut autre chose, il faut par les mots, rapprocher, conjoindre, faire pénétrer« …


Ce que l’écriture de « L’Exposition » réalise par cette procédure des « passages » qui se suivent, s’entrecroisent avec suffisamment de « sauts » et d' »espaces » pour donner

_ à l’auteur écrivant comme au lecteur en sa lecture (ainsi qu’au jeu des « passages » eux-mêmes ; et à l’articulation des divers « documents » rassemblés) _

assez d’espace et de temps

_ « déplacer« , « esquiver« , « rendre flou » et « considérer en ralentissant (!!!) la seule matière qui se présente, dans son ordre et même dans son désordre« , a-t-elle commencer par prévenir, en son « passage » d’ouverture de « L’Exposition« , page 9 ! c’est on ne peut plus clair et précis, comme énoncé de « méthode«  d’écriture ! _

pour vraiment, et à assez de « profondeur« , réfléchir ; en s’appuyant sur un art très sûr _ de spécialiste du travail d' »archives« , à l’IMEC ?.. _ des citations, accès inespéré à ces « voix » que nous pouvons dès lors percevoir, jusqu’aux timbres de ceux qui les prononcent, polyphoniquement…

Pour le reste,

on lira soi-même l’histoire s’avançant de cette « enquête » méthodique et passionnée, d’une « exposition » (patrimoniale, à partir d’une photographie élue) en définitive avortée ;

qui ne donnera, en forme de merveilleuse compensation (mais probablement au centuple !!!) aux avanies endurées et pieds de nez, à « exposer« , d’une autre façon, à ceux qui, par leurs manœuvres (ou inertie), l’ont fait échouer,

que cet extraordinaire petit livre, tout menu, de 157 pages,

dont le « motif » de fond,

au-delà du « sujet » premier et apparent

_ mais les deux appartiennent au genre de « l’exposition » : sur l’extension du terme lui-même, découvrir page 111 ce qu’en propose magnifiquement le « Trésor de la langue française » _

n’est autre que « le trajet sinueux de la féminité«  (la formule se trouve page 11, dès le troisième « passage« )…

Et je conclurai sur cette  autre « révélation » du projet de fond, autour de ce « motif« , donc, à la page 108 :

« De quoi voulais-je parler ?

Aux abords de ce corps audacieux _ ce corps qui fend « l’espace du grand salon, la salle de bal, Compiègne, ou les Tuileries« , page 107 ;

« elle entre si assurée d’elle-même« , toujours page 107,

car « son corps lui va de soi » (page 108) ;

« elle traverse le vide immense du grand salon sans défaillir, elle entre dans le cercle éblouissant des regards, elle entre dans la salle de bal, elle fait le vide, laissant les autres (les inquiètes, les scrupuleuses, les attentives) se défaire autour de leur fragile et ardent secret » (page 108 encore) _,

(aux abords) de cette présence impétueuse,

de quel corps timide _ celui-ci : nous y voici !.. _ s’avançant contre son gré dans la lumière,

de quelle poussière, de quelle crainte, de quel regret ? »


Oui, ce livre a pour « motif » de fond « le trajet un peu sinueux de la féminité«  (page 11) de quelques unes, « aux abords » _ ne pas s’en laisser trop impressionner ! _ de quelques autres ;

ce que confirme encore cette note de l’auteur à la lecture d' »un journal » _ sans davantage de précision _, page 101 :

« Je lis dans le journal les propos d’une femme connue et célébrée pour sa beauté. On l’interroge : « Quel est votre meilleur ennemi ? » Elle répond : « la féminité »… ».

L’expression « meilleur ennemi » est celle-là même que Nietzsche réserve au véritable ami, dans son beau chapitre « De l’ami » de la première partie d' »Ainsi parlait Zarathoustra » :

« on doit avoir en son ami son meilleur ennemi » _ celui qui vous stimule (et aide) à vous dépasser effectivement vous-même afin de « devenir » enfin « ce que vous êtes » encore seulement en puissance pour ce moment…

Alors, il ne me semble pas que ni la mère

(pourtant quittée _ un moment ? _ pour « Lautre » : cf page 11 : « l’autre _ c’était ainsi que nous avions nommé la femme pour qui mon père avait quitté ma mère » ;

page 46, aussi, on a pu lire ces paroles de la mère : « Attention ! me dit doucement ma mère tandis que je me penchais pour embrasser le front de l’homme qu’elle avait aimé, attention, il est froid !« …),

ni sa fille

(en ce moment, « malgré l’avertissement maternel, je posai mes lèvres sans aucun pressentiment de ce que pouvait être ce froid, le froid de la mort, la dureté du visage glacé, l’entrechoquement des lèvres sur le visage du père fixement retenu dans ses traits,

absenté, tombé au fond de son propre masque, donné comme jamais (jamais je n’aurais osé poser sur lui mes lèvres avec cette dévotion) et retiré à jamais,

non pas fuyant, non pas insaisissable comme une présence qu’on voudrait retenir et qui échappe (…), non pas cette course éperdue vers ce qui se détourne, vers ce qui est douloureusement vivant et qui s’esquive précisément parce qu’il est vivant,

mais un visage,

ce visage,

entièrement offert et désormais inaccessible, platement retiré, placé bêtement à part, là dans la mort«  _ pages 46 et 47 _

soient des femmes rompues…

Un formidable livre d’apprentissage de l’important (du vivre)

et à mille lieues des pesanteurs du didactisme et des (atroces) clichés du « prêt-à-penser » et de la « bien-pensance« ,

que cette « Exposition » de Nathalie Léger,

et qui,

au passage, aussi,

honore grandement, de sa liberté comme de sa justesse et sa beauté _ son élégance _, le prix Lavinal 2009…

Titus Curiosus, ce 15 juin 2009 

Sur la magnifique « Exposition » de Nathalie Léger, Prix Lavinal 2009 : l’exposition de la féminité et l’exhibition (sans douceur, ni charme = sans joie) comme privation de l’intime

14juin

Pour rendre compte

et du délicieux moment, jeudi soir, de la remise du Prix Lavinal à Nathalie Léger, pour « L’Exposition« , aux Editions POL _ Jean-Paul Hirsch, directeur commercial des éditions POL et bras droit de Paul Otchakovsky-Laurens, était lui aussi présent à la fête _, au village de Bages, au milieu des vignes dominant la Gironde du château Lynch-Bages, en cette fin d’après-midi ensoleillée et agrémentée de brises, en ce Médoc très agréablement policé, désormais _ aux allures d’une un peu inattendue très douce Toscane atlantique, en quelque sorte… _,

et de la magnifique conférence _ quelle précision et quelle délicatesse dans l’analyse des nuances du qualitatif ! _ donnée par Nathalie Léger, vendredi soir, dans les salons Albert-Mollat (en dialogue avec Bernard Laffargue, qui avait très soigneusement préparé son programme de « questions« )

et de ma lecture enchantée de « L’Exposition« , plus encore

_ un très grand livre, léger et profond ! quelle maîtrise de l’expression comme des nuances les plus subtiles (et surtout justes !) du penser : une écriture classique « vibrante«  : celle qui a fait dire, à qui ? à André Gide ? en tout cas à Henri Maldiney (en « Regard, parole, espace » _ aux Éditions « L’Âge d’Homme« , en 1973 _que vient citer, à son tour, Francis Ponge dans « Pour un Malherbe« ) : « le classicisme n’est que la corde la plus tendue du baroque« … _,

je m’autorise à citer cette série de messages par courriels que je viens d’adresser :

à l’éditeur ;

et à l’auteur elle-même (en deux fois)…

Les voici dans l’ordre chronologique des envois ;

et selon la « méthode » même qui ouvre « L’Exposition » elle-même :

je lis, page 9 :

« S’abandonner, ne rien préméditer, ne rien vouloir, ne rien distinguer ni défaire

_ face à l’objet à découvrir : ici ce que je désire signifier plus ou moins vaguement à mon correspondant ; c’est un peu moins exigeant, quoique…, qu’une chose-objet à identifier et connaître, en dehors de soi, en son altérité objective (d’objet) qui vous résiste ! _,

ne pas regarder fixement »

_ mais en flux, plutôt, mouvant ; et de biais, qui plus est : sous des facettes variées, diverses et multipliées _ ;

voilà pour les consignes négatives (= ce qu’il faut éviter) ;

et maintenant voici les conseils positifs et dynamiques proposés (« plutôt« , avance avec délicatesse et modestie vraie l’auteur) :

« plutôt déplacer, esquiver, rendre flou

et considérer en ralentissant _ beaucoup de la réussite passe, en effet, par ce chemin-là _,

la seule matière qui se présente comme elle se présente _ simplement : c’est déjà bien assez complexe « à démêler« _, dans son désordre _ apparent _, et même dans son ordre » _ qui a bien du sens, si l’on essaie aussi de le déchiffrer…

Telle est l’ouverture _ fort éclairante, si l’on y fait assez bien attention, et si l’on y revient, à la « relecture » _, de « L’Exposition« … : c’est de l’inspiration et de la méthode, tant de l’écrire que du penser, le plus probe, que nous parle ici, en ouverture de son récit

_ je ne le qualifierai pas de « roman » : ne s’agissant pas ici de ce qu’Aragon, assez expert, lui, en la chose, a pu qualifier de « mentir vrai« … _

l’auteur magnifique, Nathalie Léger, de cette « aventure » d’un « motif« , à l’occasion

_ telle est la circonstance de départ, l' »accident« , on ne peut plus contingent, en sa « rencontre » avec l’auteur, qui met en branle la poursuite de ce « motif » (qui vient « boulotter » _ cf pages 15 et page 17 _ celle qui s’y livre) _ d’une proposition de création (avec « carte blanche« …) ;

à l’occasion d’une proposition (de monter une exposition)

de la part du département « Patrimoine » du Ministère de la Culture…

« Carte blanche » qui sera finalement, au bout du compte (et au vu de l’aboutissement de la recherche) retirée, la liberté des uns nuisant aux ambitions des autres :

cf là-dessus la (superbe de vérité) lettre lue (« par quelqu’un« , dans les services ; pas par « le chargé de mission » qui était le commanditaire du projet : injoignable, lui…) au téléphone, page 149 :

« Enfin, pour être tout à fait explicite, non seulement le projet ne me semble pas conforme à la sensibilité du public _ bien pensant… _ de notre musée _ de « C…« , il faut l’indiquer : une cité riche en souvenirs de Napoléon III, et du Second Empire… _,

mais, de surcroît, l’abjection

_ le projet initial portait très explicitement « sur les ruines« , page 13 ;

et « il était question dans la commande de « sensibilité de l’inappropriable », d’« effacement de la forme », de « conscience aigüe d’un temps tragique » (sic)…, toujours page 13 _

mais de surcroît l’abjection ne rentre pas dans l’idée que nous nous faisons de la mise en valeur de notre patrimoine » _ au-delà de la ville de « C… » même : des querelles à propos des états d’esprit « attendus«  des destinataires (et « publics« ) d’expositions…

Fin de l’incise.

Voici, et dans l’ordre chronologique des envois, ces courriels :

De :   Titus Curiosus

Objet : Sur le portrait (et l’exposition) + blog de Titus Curiosus
Date : 12 juin 2009 08:49:08 HAEC
À :  Editor

Merci de votre conseil de lire « La Cause des portraits » de Jean-Louis Schefer.

Le numéro de juin de la « Revue des Deux Mondes » est intitulé « Actualité du portrait« …
J’y ai, personnellement, tout particulièrement apprécié l’article (pages 152 à 159) que Jean-Pierre Naugrette consacre à Lucian Freud
« Lucian Freud, ou la surprise des corps« 
,
avec en exergue cette parole de Lucian Freud :
« En ce qui me concerne, la peinture n’est autre que la personne. Je veux qu’elle travaille pour moi
comme fait la chair
« .


Soit, ce superbe « travaille pour moi« , le concept « légérien » du « motif qui boulotte«  (pages 15 & 17) :

avec cette parole (à la radio _ page 15) de Jean Renoir, parlant de « La Règle du jeu » :
« Le sujet m’a totalement boulotté !
Un bon sujet, ça vous prend toujours par surprise, ça vous amène
« 


Nathalie Léger a l’art (très précis _ via l’IMEC ?..) des citations magnifiquement éloquentes
parce que de la plus grande justesse !


Nathalie Léger a appris
et « que le sujet, c’est justement lui qui vous tient«  _ au lieu que vous vous le teniez !
et que, ce « sujet« , « il peut ne tenir à rien«  _ c’est-à-dire à apparemment « pas grand chose«  _ ;
« d’apparence ténue le plus souvent, un détail, un vieux souvenir, pas grand chose« ,
il « vous prend et, inexorablement, vous confond en lui
pour régurgiter lentement quelques fantômes inquiétants,
des revenants égarés mais qui insistent
« …

D’où, à l’occasion de la réponse « à une carte blanche sur la ruine«  (page 17),
le « sujet« 
_ mais pas si contingent que cela, nous allons le découvrir, à la suite de l’auteur elle-même en son travail d’« écrire«  _
de « la vie de cette femme, la Castiglione« 
(qui « se fait photographier pour construire, sous l’apparence de la frivolité, ce que Poe appelait « l’habitacle de la mélancolie »  » _ page 92) :

« J’ai été happée, gobée par ce sujet-là.
J’ai tout fait pour le sauver,
c’est-à-dire tout fait pour m’en débarrasser,
mais j’étais déjà subrepticement boulottée par lui…
« 


Et,

le « sujet » devenant dynamiquement « motif« ,
cf le génie (sublimissime) de Cézanne, pages 26-27 :

« Pour en parler,
mieux vaudrait s’en tenir à ce qu’en disent les peintres :

« Je tiens mon motif »
, dit Cézanne à Gasquet _ cf Joachim Gasquet : « Cézanne« , aux Éditions Encre Marine ; et « Conversations avec Cézanne« , aux Éditions Macula. Qu’est-ce que le motif ? « Un motif, voyez-vous,
c’est ça… », dit Cézanne en serrant les deux mains. Il les rapproche, lentement les joint, les serre,
les fait pénétrer l’une dans l’autre, raconte Gasquet.
C’est ça.
« Voilà ce qu’il faut atteindre. Si je passe trop haut ou trop bas, tout est flambé »« .


Pour « faire un motif«  (page 27), « il faut par les mots
_ dans le cas de l’écrivain : les mots sont sa matière, ses moyens d’atteindre la chair,
et de la faire pétrir
_,
rapprocher lentement, conjoindre, faire pénétrer » des détails qui vont se mettre enfin à parler vraiment (= sortir de leur mutité coutumière)

Mais c’est très précisément là aussi le travail de celle qui conçoit et construit une exposition _ sur la Castiglione, par exemple _ ;
et doit « résister » aux conseils et pressions diverses (dans l’épisode du « conservateur en chef » du Musée de C…, pages 68 à 71 ; avant la lettre « coup-de-grâce » au ministère, des pages 149-150)…

Grande chose, donc, _ et sur l’inspiration ! de l’auteur, de l’artiste ! _ que ce petit livre de 157 pages qu’est « L’Exposition » :
l’exposition de soi (à commencer par leur corps), d’abord, de quelques femmes,
dont
,
outre, pages 37 à 39, Isabelle Huppert, par exemple
cf mon article à propos du film (et du roman) « Quignard versus Simenon au schibboleth de la vraisemblance (du “monde” créé) : “Villa Amalia” / “La fuite de Monsieur Monde” »

ou, page 40 (puis page 75), Marilyn Monroe,

la mère de la narratrice (passim

_ et c’est elle le pivot, bien involontaire, de sa part, certes, de ce grand livre _ ;

mais cf d’abord cet extraordinaire épisode de la photo à la plage, page 75 :

« Je me souviens de ma mère, l’été, décidant finalement de quitter sa serviette pour aller se baigner ; (…) elle s’y rend à contrecœur, le corps légèrement ployé à partir d’un point précis, le ventre, le sexe sans doute, se replier sur lui pour le dissimuler et dans cette discrète et pudique inflexion en profiter pout tout effacer, pour tout annuler, son corps, impossible à exposer, ce corps _ impossible d’y consentir« ) ;

mais aussi sa grand-mère (la mère de sa mère : « au corps souverain et idéalement conformé« , lui, page 74 ;

et dont « l’ombre portée » fait fléchir et ployer sa fille : « elle si tendre, si aimante, si confiante » dont le « fléchissement« , le « repli du corps sur lui-même« , « est bien la honte, le mot est comme une tombe« , page 74) ;

cette mère de sa mère, page 153, « le visage féroce et lumineux, cette allure étonnante, ce don d’élégance, le raffinement avec lequel, plus âgée, elle portait des perles en plastique achetées au Prisunic de la rue Gioffredo, l’évidence lorsqu’elle paraît dans l’image _ c’est-à-dire la photographie _, cette certitude » : que d’autres n’ont pas…

Dans un des articles de mon blog « En cherchant bien… »

consacré à cet immense livre qu’est « Zone » de Mathias Énard
« Emérger enfin du choix d’Achille !.. »

repris dans un second : « Le miracle de la reconnaissance par les lecteurs du plus “grand” roman de l’année : “Zone”, de Mathias Enard  »
je reprends l’expression de Mathias Énard de « la pyramide des pères«  _ et de l’injonction qu’elle comporte : au « choix d’Achille » _ :

Il y a donc aussi une « pyramide des mères« ,
mais en creux, elle, « invaginée« …


Ce que figure excellemment dans le livre l’épisode (pages 74 à 77) de la contemplation d’une photo de la mère de la narratrice à la plage _ je le relis :

« Je me souviens de ma mère, l’été, décidant finalement de quitter sa serviette pour aller se baigner« …
à l’eau « si fraîche » alors que « il fait si chaud » :
« pourtant elle s’y rend à contrecœur,
le corps légèrement ployé
à partir d’un point précis, le sexe sans doute,
se replier sur lui pour le dissimuler
et dans cette discrète et pudique inflexion
en profiter pour tout effacer, pour tout annuler,
son corps, impossible à exposer,
ce corps _ impossible d’y consentir
 » (page 75).

Souvenir doublement confronté
à des photos de Marilyn Monroe par Bert Stern
et à la toile « Phryné devant l’Aréopage » de Jean-Léon Gérome :
à leur commun geste
de « cacher son visage » (page 75).
« Ma mère, pour aller à l’eau, aurait dû se mettre son maillot sur la tête« … (page 77) !!!

C’est que les femmes entre elles, elles aussi, sont « terribles » ; et se font « honte« , en une « guerre » dans laquelle il s’agit de mettre « les autres (beautés) en déroute«  (page 10) devant soi…

Je vais achever ma lecture de « L’Exposition » : j’en suis à la page 92 _ c’était le vendredi matin, juste avant que je termine le livre…

Ravi de vous avoir rencontré.

Titus Curiosus


Ensuite, ces deux courriels adressés à l’auteur, Nathalie Léger,

hier soir et ce matin :

De :   Titus Curiosus

Objet : Sur l’exposition de la féminité
Date : 13 juin 2009 18:41:27 HAEC
À :   Nathalie Léger

Bravo pour votre présentation-commentaire, hier soir, de « L’Exposition« .

Le moment du village de Bages, ce quasi soir d’été, parmi ces belles vignes du Médoc, était, en effet, un moment de grâce (infiniment légère : zéphyrée…) :
c’était la joie d’une certaine reconnaissance (des autres : lecteurs…), pour celle qui fut très probablement une jeune fille timide, un peu incertaine d’elle-même :
avant cette « réalisation » en des œuvres
qui en sont vraiment

_ j’ai aussi jeté un œil sur « les Vies silencieuses de Samuel Beckett » ;
de même que je connais votre travail sur et pour Barthes !!!

« Journal de deuil« 

(cf mon article du 4 mars 2009 : « Lire ou pas “Journal de deuil” de Roland Barthes : chagrin à mort versus travail de deuil« ) ;

et « La Préparation du roman I & II« …

Merci de tout cela…

Et hier soir, le dispositif des salons Albert-Mollat a permis de parfaitement bien entendre et goûter la qualité
(de précision, délicatesse et infinie justesse) de votre penser et parler

_ en plus de celle de l’écrire : mais peut-on les disjoindre ?..

Jeudi soir, et non sans mauvaise conscience, je n’avais pas encore achevé la lecture de « L’Exposition« , entamée le matin seulement :
je m’étais procuré le livre dès réception de l’invitation de Denis Mollat
à être de la petite fête de Bages. Je m’en voulais un peu de ne pas avoir eu le temps _ par charge du travail professionnel _ d’aller au point final,
qui, donc, allait être « l’Inexorable« 
(page 157).
Soit ce qui met fin, en « coupant » ses derniers « possibles« , au « destin » d’une vie…
Avec sa théâtralité grandiloquente qui n’échappe pas complètement au ridicule, Malraux l’a formulé ainsi : « la mort transforme la vie en destin« …
Mais le « baroqueux » que je suis
n’est pas indifférent du tout au « memento mori«  : l’expression vient sous votre plume, page 149…

Au passage,
j’ai rédigé le texte de présentation du livret du CD de la déclamation, par Eugène Green, du « Sermon sur la mort » de Bossuet (CD Alpha 920, paru en 2002 & « Sermon sur la mort » de Bossuet) ;
dont le titre est « Lecture de Bossuet : la traversée du mystère, le singulier du Présent » ;
et les titres des sous-parties : « Dans le siècle et au milieu du monde _ chronique du temporel » ;
et « Poétique baroque de la présence : la fraîcheur du vent dans les plis« …

Ce que, page 44 de « L’Exposition« , vous dites de l’absence de vision _ par quiconque (un homme pour une femme, en l’occurrence) _ de « vacillement« ,
de
« tremblante lueur dans ses yeux brillant, comme une flaque de soleil à la surface des eaux » (in Ovide) : le « vacillement » de la joie vraie,
me semble éclairer la sécheresse de cœur de bien des personnes
,
au-delà du cas, ici (assez « gratiné« , il est vrai), de la « marmoréenne » comtesse de Castiglione :
du rivage de sa maison de famille de La Spezia, ne peut-on pas entrevoir les montagnes de marbre de Carrare ?..

Et qu’on ne s’y méprenne pas : il ne s’agit pas, pour ce « vacillement« , de « la fonction de l’orgasme«  (comme la nomme doctoralement Wilhelm Reich),
mais du « vent d’éternité » (irréversible, lui) d’un amour partagé, tout simplement.
Ce qui a fait dire à Spinoza _ un maître de la joie et de la béatitude _ que, parfois, « nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels«  :
quand la joie ressentie témoigne effectivement de l’actualisation de notre puissance…

C’est pour cela que je pense qu’une des clés de « L’Exposition » se trouve à la page 111 :
« Et moi qui voulais écrire sur la joie, sur l’ondée intérieure, le froissement là, très haut, saisissant à la gorge, un ravissement, le bonheur,
encore raté
« 

_ la Castiglione mettant son cœur décidément « un peu (trop) bas« …

(ainsi qu’elle se l’entend signifier par l’impératrice elle-même, au bal du ministère des Affaires étrangères, en février 1857 : page 124).

Non : vous dites simplement, dans « L’Exposition » de quelle base il nous faut, chacun d’entre nous, nous élever (nous défaire ; voire nous arracher)
pour atteindre cette rive _ décisive, alors _ de la joie vraie…

Vous en donnez en quelque sorte le « négatif » (photographique).

Et pour des photos de la joie _ et leur flou : la joie est toujours en mouvement (et d’expansion : cf Jean-Louis Chrétien : « La Joie spacieuse« )… _, je vous recommande l’œuvre de mon ami Bernard Plossu…
Il ne fige rien…

Je vais écrire un article sur « L’Exposition » (demain matin, sans doute) ;
que je place à hauteur du roman qui m’avait le plus impressionné, cette saison 2008-2009,
« Zone » de Mathias Énard : en un tout autre style ;

j’aime les deux…

Voici l’article sur « Zone » _ du 3 juin 2009 : reprenant un précédent (dès septembre : le 21; le jour de l’automne), à l’occasion de l’attribution du « prix du livre Inter » à ce roman… _ « Le miracle de la reconnaissance par les lecteurs du plus “grand” roman de l’année : “Zone”, de Mathias Enard »
qui justifie ma comparaison :
dans « L’Exposition« , c’est l' »invagination » _ en pyramide inversée _ des filles par rapport à toutes les mères dont elles sont issues,
qui se met en miroir
de la « pyramide des pères » qui accable les fils, en « Zone » (selon « le choix d’Achille« )…


Enfin
_ et vous pardonnerez peut-être cette prolixité gasconne… _,
je vous recommande l’œuvre de Daniel Mendelsohn, centrée sur la construction (très riche, et ouverte) de l’identité,
à partir d’une démarche d’enquête pleine de probité (et de persévérance) _ comme la vôtre…


Voici ce que j’en ai écrit sur mon blog « encherchantbien » en deux articles, les 8 et 9 février derniers, à propos de « L’Etreinte élusive » : « Désir et fuite _ ou l’élusion de l’autre (dans le “getting-off” d’un orgasme) : “L’Etreinte fugitive” de Daniel Mendelsohn » &, commentant le précédent, « Daniel Mendelsohn : apprendre la liberté par l’apprendre la vérité : vivre, lire, chercher »

Il faut lire aussi le plus admirable encore (que « L’Etreinte élusive« ) « Les Disparus« …
Vous découvrirez l’importance qu’y prennent les photos !!!

Mais pas pour « se dégoûter » (ni dégoûter les autres) « de la figure humaine« , comme vous le relevez, page 94, dans le délicieusement vénéneux « La Curée » _ de Zola : une cuvée délectissime, en effet…
Si vous ne le connaissez pas, essayez de jeter un œil sur le film (excellent) qu’en a tiré Roger Vadim, en 1965…

Et de cette enquête sur le chantier complexe et riche de l’identité personnelle,
Daniel Mendelsohn achève, en ce moment même en France et à Paris, le troisième volet :
sur ce que la culture (et la littérature) française(s) a (et ont) apporté au déploiement _ non achevé : le processus se poursuit… _ de son identité.

Bien à vous,

Titus Curiosus


P-s : j’espère que Monteverdi vous a mise en joie ;
il y a quelques années,
j’avais été comblé par un admirable « Retour d’Ulysse dans sa patrie« , dirigé par William Christie,
sur cette scène splendide du Grand-Théâtre (de Victor Louis : de 1776, il me semble)…

Suivi, ce matin à l’aurore de cet autre courriel, complétant le premier :

De :   Titus Curiosus

Objet : et l’exhibition comme « privation de l’intime »
Date : 14 juin 2009 07:43:17 HAEC
À :   Nathalie Léger

Suite à mon mail d’hier soir :

Et le contrepoint de « l’exposition » instrumentalisante (de soi ; ainsi que de rapports à d’autres que soi),
est

ce que le philosophe Michaël Foessel appelle très justement : « la privation de l’intime« .

Nous sommes alors aux antipodes de ce « charme« , de cette « douceur » vraie du regard, qui font si cruellement défaut à la Castiglione… :
en plein dans la « guerre » de ces armes que sont les apparences organisées
(de soi et de quelques autres, s’y prêtant),
celle qui vise la « déroute » des adversaires : sur un certain marché des séductions (et des images)…

Voici, si vous avez un peu de temps, ma réflexion (en un article de mon blog, le 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie« ) sur ce phénomène d’instrumentalisation et de pouvoir
bien à l’envers (et aux antipodes) de la joie
:
cette « joie » espérée, dites-vous en un éclair (qui illumine beaucoup des ténèbres arpentées dans « L’Exposition » !) : « l’ondée intérieure« , « un ravissement, le bonheur« , dites-vous si éloquemment page 111.

Mais si c’est « encore raté«  (dites-vous, page 111) cette-fois-ci,
ce n’est que pour l’objectif d’écriture
_ la « joie » ; et non pas « l’abjection« , après la « férocité«  _ de ce récit-ci (de « L’Exposition« ) : autour du projet
(= « une carte blanche proposée par la direction du Patrimoine« , page 13 ;
et pour la réalisation de laquelle on vous « proposait le Musée de C… » ) ;

autour du projet d' »exposition » sur le motif de la « ruine« 
_ qui ne se réalisera finalement pas,
suite au « refus » de votre « choix de la photo du reliquaire » par « le conservateur général du musée de C…« , ayant « écrit au ministère » son (vif ; et acerbe) mécontentement (page 149) ;
et
« le chargé de mission«  au département du « Patrimoine » du Ministère de la Culture devenant soudain injoignable : «  »sa mission est achevée », me dit-on« , page 150 ;
et par là-même s’est achevé le projet de l’exposition « sur les ruines » (page 13)… _

autour du mystère
de la férocité du regard

_ ainsi que de la très durable (jusqu’à sa mort) fascination pour sa propre image (photographique) :
« elle  se fait construire, sous l’apparence de la frivolité, ce que Poe appelait « l’habitacle de la mélancolie »«  ( page 92) _
de la Castiglione :

dont vous finissez (pages 142-144) par dégager sans doute le « secret » (« elle se saoule d’abjection« ) dans l’image que vous finissez par exhumer, « dans les sous-sols du musée de C… » :

« Voilà. C’est elle« , page 142 ; « je sais que c’est celle-là« , page 144)
la photographie du « reliquaire » au « chien mort«  (page 142) :
« autour de la dépouille de son chien mort _ « Sandouya » ? « Kasino » ? (page 50) _, la vieille Castiglione (…) s’agenouille la tête dans les mains et rejoue la scène de la déploration.
Elle devient chose parmi les choses, corps putréfié parmi la pourriture, seul tombeau possible pour son ineffable beauté, enfin
«  (page 142) ;

et encore ceci :
« Après l’enivrement de sa beauté, après l’extase,
elle se saoule d’abjection
« 
(page 143).


Car « ce » n’est pas du tout « raté« 

dans la vie qui est la vôtre,
puisque,

si vous savez dire (page 111) avec autant de sérénité que vous désiriez écrire « sur la joie » (et « le bonheur » qui en émane),
on sent bien que vous en avez une expérience précise de la réalité

et de la valeur

_ et combien, a contrario, le cas de la Castiglione en constitue le contre-exemple monstrueux…

De même que c’est une absolue réussite (d’écriture et de pensée)
que ce récit si juste
sur l' »exposition » de soi aux autres

en confrontant, même si c’est fort discrètement, l’histoire de votre mère

_ cette dernière aux prises avec sa propre mère, avec son fiancé et mari, et avec « Lautre » ;
ainsi, même si c’est très discret, qu’avec vous-même, sa fille : mais en contrepoint heureux, cette fois !.. :

« étant moi-même à ses côtés (et non « contre » elle), la soutenant, l’aimant, et elle, si tendre, si aimante, si confiante« , dites-vous de vous deux, très brièvement, page 74 ;

et vous lui rendez par là, et très discrètement, un magnifique hommage :

elle qui fut tout à la fois « joyeuse _ revoilà donc l’élément décisif ! _, scrupuleuse et songeuse« , dites-vous d’elle (et c’est presque la fin du récit de « L’Exposition« , à la page 156)…

en confrontant, donc, l’histoire de votre mère

_ mais aussi celle d’une Isabelle Huppert ou d’une Marilyn Monroe, face à l’exposition à la photo _

avec celle de la Castiglione ;

que constitue cette « Exposition » de 157 pages parue chez POL… :
et dont témoigne la réception (heureuse !) par les lecteurs (et ce prix Lavinal)…

Voici donc cet article (du 11 novembre 2008) sur l’analyse de Michaël Foessel de « La Privation de l’intime » : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie« …

Bien à vous,
et en osant espérer n’être pas trop importun par cette prolixité chronophage
(de gascon :

je suis aussi cousin avec Adolfo Bioy Casares ; ma mère _ qui a 91 ans _ est née Bioy ; d’une vieille famille béarnaise d’Oloron…)

Titus Curiosus

Ps :
j’ai adoré, sur le rapport avec sa mère, le livre d’Elisabetta Rasy, « Entre nous » (« Tra noi due« , en italien).
Et Elisabetta Rasy est devenue une amie.

En 2004-2005 et 2005-2006, j’ai fait travailler les élèves de mon atelier littéraire et photographique « Habiter en poète » sur le regard sur Rome d’Elisabetta Rasy dans ce roman (mâtiné d’autobiographie), « Entre nous » ;
qui est un « tombeau » à la mère ; de même que son roman « Pausilippe » était un tombeau au père : les deux sont parus en traduction française aux Éditions du Seuil…

L’enjeu de notre atelier (avec le photographe bordelais Alain Béguerie) étant d’aller en huit jours à Rome tenter de « saisir » et « restituer » par l’activité photographique (« inspirée » et persévérante ; ainsi que chanceuse…) le regard sur sa ville d’un grand écrivain contemporain…

En 2002-2003 et 2003-2004, nous avons accompli le même « travail » (merveilleux !) avec _ et dans _ la Lisbonne d’Antonio Antunes en son « Traité des passions de l’âme« .
Mais je n’irai pas jusqu’à dire que j’entretiens les mêmes rapports amicaux avec Antonio Lobo Antunes qu’avec Elisabetta : même si chacun d’eux a bien voulu échanger avec nous durant presque deux heures…

Alors, je me demandai :
comment interpréter vos dernières pages, après l’échec de l’exposition Castiglione-Musée de C… ?
Qui prononce, page 153, les paroles (mises en italiques) : « Or, un soir de novembre, peu de temps après la mort de ma mère, je rangeais des photos » ?
Est-ce votre mère ?..

Et qui dit  (page 154) :
« Certains jours, je suis comme cette vieille qui pleure assise devant les photos qu’elle fait glisser sur la toile cirée avec des gestes trop grands » ;
en présence de
« l’infirmière« 
(?) qui commente « cette manie qu’ont les vieux _ pas tous _ de pleurer dès qu’ils se souviennent« , « en rangeant les photos« ,
si ce n’est vous-même, cette fois :

« je suis comme cette vieille femme, je regarde les visages de ceux qui ont disparu,
je continue à faire glisser les images,
j’arpente le couloir
_ de la vie de chacun ? _ lente, penchée, misérable« 

En 2006, j’ai perdu mon père, né le 11 mars 1914

(en une cité au pied des Carpates, chef-lieu d’arrondisement du Bolechow du grand-oncle Shmiel Jäger de Daniel Mendelsohn, qui le fait revivre dans « Les Disparus« ) ;

homme particulièrement silencieux, avec lequel j’ai toujours eu des rapports assez peu faciles.
Il est mort après 6 mois d’Alzheimer en une maison de retraite à 5oo mètres de chez nous ; plus mutique que jamais.

Et depuis je suis dans un travail de deuil qui me fait, comme vous, « rebattre les cartes« …

Votre pudeur (de fille de votre mère), dans cette « Exposition« , est magnifique.

Outre les livres de Mendelsohn,
je vous recommande, donc, aussi, ces deux livres d’Elisabetta Rasy : « Entre nous » et « Pausilippe » : les photos aussi y sont présentes, et importantes.

Quant à moi, je ne prends personnellement jamais de photos _ je laisse faire mes trois filles…
Et je suis ami avec des photographes : Alain Béguerie ; Bernard Plossu.

Cf mon article, encore : « Attraverso Milano : le carton d’invitation alla mostra »

« L’Exposition » de Nathalie Léger : un très grand livre, dense et léger (= intense, précis, et sans pathos), de 157 pages ;

comme l’a bien souligné Jean-Michel Cazes au village de Bages, lors de la cérémonie solennelle d’intronisation (« Nathalie Léger à la lumière du Médoc« ) de Nathalie Léger et Jean-Paul Hirsch au sein de la joyeuse et sérieuse Commanderie du « Bontemps, Médoc, Graves, Sauternes et Barsac« …

Titus Curiosus, ce 14 juin 2009

une merveille de délicatesse et profondeur musicale : les oeuvres pour flûte et musette (de Philidor, Hotteterre, Boismortier…) du CD « Le Berger poète », par (et sous la direction de) François Lazarevitch

21mai

A écouter avec ravissement les Couperin _ Louis et François _, Charpentier et Rameau,

et tout particulièrement dans une récente rafale de CDs étonnamment vivants et magnifiquement justes, tant de rendu de l’esprit que de soin de l’interprétation, par une nouvelle excellente (et extrêmement réjouissante, donc) génération de « baroqueux« 

_ cf mes articles de musique des 9 et 13 mai : « Trois nouvelles merveilles musicales, encore, de “style français”, en CD : des oeuvres de Gottlieb Muffat, Jean-Philippe Rameau et Gabriel Fauré »

et « quand les musiciens aiment passionnément la musique : le cas de l’oeuvre de Rameau » ;

mais aussi, un peu plus lointainement ceux _ puisse l’énumération n’être pas trop décourageante !!! _ des 7 novembre 2008 : « Retour aux fondamentaux en musique : percevoir l’oeuvre du temps aussi dans l’oeuvrer de l’artiste » (sur les « Pièces de clavecin » de François Couperin et Jean-Philippe Rameau) ;

26 décembre 2008 : « Un bouquet festif de musiques : de Ravel, Dall’Abaco, etc… » (et Berlioz, et Carl-Philipp-Emanuel Bach, etc…) ;

12 janvier 2009 : « une merveilleuse “entrée” à la musique de goût français : un CD de “Sonates” de Jean-Marie Leclair, avec le violon de John Holloway » ;

28 janvier 2009 : « Le charme intense de la musique de style français (suite) : avec des oeuvres de Marc-Antoine Charpentier et Georg-Philip Telemann » ;

30 janvier 2009 : « Douceur (de la musique) française _ ou pas » (en comparant des œuvres de Carlo Graziani _ premier violoncelle dans l’orchestre de La Pouplinièire de 1747 à 1762 _ et Francesco-Maria Veracini) ;

2 février 2009 : « Le “sublime” de Marc-Antoine Charpentier + la question du “déni à la musique”, en France » ;

25 février 2009 : « La grâce (et l’intelligence) “Jaroussky” en un merveilleux récital de “Mélodies françaises”, de Jules Massenet à Reynaldo Hahn _ un hymne à la civilisation de la civilité » ;

10 mars 2009 : « la poétique musicale du rêve des “Jardins sous la pluie”, voire “La Mer”, de Claude Debussy, sous le regard aigu de Jean-Yves Tadié » ;

21 mars 2009 : « Musique et peinture en vrac _ partager enthousiasmes et passions, dans la nécessité et l’urgence d’une inspiration » (à propos de Rameau, Enescu, Martinů et Fasch : dans des oeuvres, toutes, d’esprit français !) ;

11 avril 2009 : « “Vive Rameau !” : le “feu” du génie de Rameau en un jubilatoire CD Rameau (”Zoroastre” et “Zaïs”) par Ausonia et Frédérick Haas » ;

et encore du 18 avril : « Du sublime dans la musique baroque française : le merveilleux “vivier” Marc-Antoine Charpentier…« … _,

j’aurais pu penser que j’avais « cueilli » la « crème » du meilleur du « Baroque français« …

Et pourtant je viens de tomber sous le charme intensément fruité, très puissant en même temps qu’infiniment doux et souple

(et d’une simplissime « évidence » musicale ! bravo !!!),

d’un CD titré « Le Berger poète » (CD Alpha 148 : « Suites et Sonates pour flûte & musette« ), par Les Musiciens de Saint-Julien, que dirige, de la flûte traversière et de la musette, le très talentueux et merveilleusement inspiré François Lazarevitch ;

l’article qui vient

venant comme prendre une place de choix au sein de cette série d’articles sur de très beaux CDs de musique de « goût », plus encore que de « style« , si je puis dire, « français« …

Et avant que de citer quelques extraits du très remarquablement éloquent « argumentaire » que donne, en avant de chacun des disques des « Musiciens de Saint-Julien« , son ensemble, François Lazarevitch

_ qui n’a rien d’un vulgaire « musiqueur » distributeur de tonneaux de musique comme d’autres de bière : au baril et à l’hectolitre… _,

il me faut dire d’abord la qualité du plaisir à écouter un programme aussi magnifiquement « choisi » que parfaitement élégamment, et avec « vie« , « donné«  par les interprètes-instrumentistes des « Musiciens de Saint-Julien« , entourant et donnant la répartie à François Lazarevitch à la flûte traversière et à la musette

_ le « portail » du CD Alpha 148 donnant à bien contempler (à loisir !) en gros-plan le somptueux « détail » de la musette du « Portrait du Président Gaspard de Gueidan (1688 – 1767) en joueur de musette« , de 1735, un somptueux lui-même tableau du merveilleux Hyacinthe Rigaud

(1659 – 1743 _ un peintre  véritablement majeur du « premier XVIIIème siècle« … : une exposition « Hyacinthe Rigaud intime » va se tenir très prochainement au musée des Beaux-Arts Hyacinthe Rigaud de Perpignan, du 23 juin au 30 septembre 2009),

visible (j’ai pu l’y contempler l’été dernier) au spendide Musée Granet d’Aix-en-Provence,

qu’analyse, avec son brio de « feu d’artifices » coutumier, mon ami de Québec Denis Grenier _,

et interprètes-instrumentistes que je veux citer :

Alexis Kossenko et Philippe Allain-Dupré (ami lui aussi) à la flûte traversière, tous deux ; Matthias Loibner, à la vielle à roue ; Lucas Guimaraes Peres, à la basse de viole ; André Henrich, au théorbe, au luth et à la guitare ; et Stéphane Fuget au clavecin.

On peut assez rarement écouter une musique aussi parfaitement vivante et « vraie« , je veux dire aussi poétiquement juste et tendre, en la moindre des nuances d’un phrasé aussi délicatement fin et lumineux des musiciens.

Pour (un peu) entrer en la compréhension du « secret » de pareille réussite,

et avant que Jean-Christophe Maillard, le maître bien connu de la musette (auprès duquel François Lazarevitch a appris cet instrument), ne détaille très compétamment le programme du concert si royalement « choisi » de ce si heureux enregistrement, aux pages 16 à 23 du livret du CD,

voici quelques extraits bien éloquents de l’argumentaire vif et rapide (en à peine deux pages du livret) de François Lazarevitch,

sous le titre « Le Berger poète« .

D’abord, autour des répertoires de la flûte traversière et de la musette

_ « instruments au rayonnement extraordinaire tout au long de la première moitié du XVIIIème siècle« , dit d’entrée François Lazarevitch en sa présentation, page 12 _

sous la Régence et le premier Louis XV

(= entre 1715 et 1740 :

Louis XV n’a pas encore vraiment entamé, alors, la « ronde« , éclatante, à la Cour de ses brillantes maîtresses ; des sœurs de Mailly-Nesles, la première à paraître officiellement en cet « office« , fut l’aînée, Louise-Julie, comtesse de Mailly, en 1737, seulement… ; la Pompadour n’apparaissant, elle, Jeanne Bécu, qu’en 1745 seulement…),

ce programme du « Berger poète » « n’évoque en rien l’univers pastoral » effectif (champêtre) :

« ainsi même la sonate pour musette extraite du fameux « Pastor Fido » publié par Nicolas Chédeville sous le nom _ usurpé ! _ d’Antonio Vivaldi est intrinsèquement une admirable pièce de virtuosité _ très éloignée du « champêtre » rural !.. _ dans le plus pur style d’une « sonata da chiesa » pour violon« , page 12 toujours…

C’est que ces instruments « sont attachés » tout symboliquement « à l’image«  _ « de cour« , héritée, via « L’Astrée » d’Honoré d’Urfé et les cours (ainsi qu’« Académies« ) italiennes (ultra raffinées) de la Renaissance, des Grecs et des Romains de l’Antiquité… _ du berger aussi ancienne qu’indélébile.

Avec cette symbolique forte, importante et particulièrement touchante qui s’attache alors à l’image du berger : ne craignant ni l’isolement ni le silence, la tête tournée vers le ciel, le berger médite sur les beautés de la nature dont il est partie intégrante. Par ses relations privilégiées avec la Nature, sa vie entière avec le mystère de la Création n’est que poésie. Toujours marchant, il est un homme libre, guidant son troupeau en huchant« …

Cf aussi le fait que « dans la tradition chrétienne, David est un berger ; et Jésus, le Bon Pasteur, né dans une étable, entouré de bergers, est la lumière et le guide de son troupeau« 

D’autre part, « la musique de Jacques Hotteterre et de ses contemporains est essentiellement française dans l’esprit :

le rondeau de la « sarabande«  de Pierre Danican Philidor,

« Le Rossignol en amour » de François Couperin,

tout comme le « menuet«  ou la « gavotte«  de Jacques Hotteterre

…des harmonies toujours en suspension,

des mélodies simples et suaves, finement ornées,

dont l’épanchement ne va jamais sans retenue.

Semblant ne vouloir jamais s’imposer _ mais seulement aimablement se proposer… _,

cette musique _ confie avec beaucoup d’émotion François Lazarevitch page 13 _ me touche délicatement et profondément _ oui ! ces deux caractères sont proprement essentiels ! _,

comme j’espère qu’elle touchera l’auditeur _ oui, tout autant, à la suite des interprètes !


Et le chef d’assurer, page 13 du livret :

« Enfin, le « Berger poète«  symbolise ce que je cherche en musique :

tenter toujours de tourner le dos à l’effet _ vide _,

et trouver la vérité simple _ elle est à conquérir _ du son qui n’a pas besoin de se grimer,

le franc-parler et le naturel de l’articulation _ du phrasé musical _,

la conscience de la hiérarchie subtile _ à l’infini ; certes _ des notes permettant une clarté de discours et une ornementation improvisée _ libre et vraie ! _ qui fasse sens

_ le principal est dit ici…

Une liberté fondée sur une conscience du tempo qu’il faut aiguiser _ oui, au doux fil du tranchant de la « lame«  de chaque instrument… _  jour après jour.

Chercher ce que peut être « le vray poids »

_ l’expression est empruntée au grand Georg Muffat, en sa « Préface » au « Florilegium II » de 1698 : « Premières Observations sur la manière de jouer les airs de Ballets à la Française«  _

de chaque temps musical ;

et essayer de comprendre toujours mieux _ l’impossible « miracle«  de la « balance«  _ où donner de la liberté et où être ferme »…


Le livret du même François Lazarevitch à son précédent CD « A l’Ombre d’un ormeau _ brunettes  & contredanses« , des Musiciens de Saint-Julien, CD Alpha 115,

précise lumineusement ces données et clés d’interprétation d’une musique si délicatement raffinée et tellement poétiquement touchante, dans le si parfait « naturel«  de sa si claire « simplicité«  :


« Il n’y a nulle si bonne et désirable finesse

que la simplicité« ,

reprend-il, page 14 de ce livret-là, de François de Sales.

Avec ce commentaire-ci, assez éclairant :

« La simplicité n’est pas la facilité, loin de là _ on veut bien le croire, d’expert ! _ ;

et ce naturel qui lui est attaché demande un profond et patient travail«  _ délicatement tenu bien discret, avec la plus exquise politesse, de l’évidence de l’auditeur…

Et « une part importante du paysage musical français du XVIIIème siècle » _ en effet _, « jusqu’ici », « n’a que très peu retenu l’attention.

C’est qu’il est fragile et discret !

En lui, pas de tours de force, pas de paillettes, pas d’éclat _ qui époustoufle et tétanise.

Juste _ et voici l’essentiel ! _ un peu de charme, de la légèreté et de la naïveté _ toute de douceur _ ;

l’esprit français de toujours, en somme« , page 14 : c’est magnifiquement résumé là !

Vient alors une excellente explication des sources vives de ce travail :

« la chanson et la danse _ jamais très loin de la musique française, en effet _ ont en commun de ne pouvoir tolérer le complexe, le « travaillé »…

Leur fonction même impose _ certes ! _ la simplicité.

Mais si leur difficulté est invisible, elle est surtout bien réelle ;

et c’est pour cela que ces mélodies _ objet propre de ce CD Alpha 115 « A l’Ombre d’un ormeau _ brunettes  & contredanses » !.. _ ont aussi été un important vecteur pédagogique dans la formation _ même _ du goût musical« , toujours page 14.

« Les petits airs sont le lieu privilégié _ précise, alors, d’expert, François Lazarevitch _ pour l’assimilation _ pédagogique musicale _ de l’articulation et du langage des petites notes d’agrément et des doubles élaborés » _ « le double est une variation du couplet d’un air ; cette pratique étant une part essentielle de l’art du goût du chant des XVII & XVIIIémes siècles« , vient préciser alors une note de bas de page…

« Quant aux danses, aucun précepte, aucune recette ne résumera jamais _ certes : le travail est infini… _ ce qui permet de créer l’impression _ décisive _ de mouvement ;

comment « marquer (…) si bien les mouvemens de la danse (…) qu’on se sent comme inspirer même malgré soy l’envie _ aux autres _ de danser » _ indiquait ce même Georg Muffat toujours en sa même importante « Préface » au « Florilegium II » de 1698 : « Premières Observations sur la manière de jouer les airs de Ballets à la Française« 

C’est en vivant le bal _ oui ! _ et en recherchant cette indicible sensation de communion dans le mouvement avec les danseurs _ oui… _ que l’on y parvient peu à peu« , indique, avec force encouragement, François Lazarevitch, page 15.


« D’un côté, la beauté de la danse repose _ oui _ sur la cadence, liée à la rigueur absolue _ certes _ du tempo ;

et de l’autre, le charme des petits airs dépend de la liberté prise souplement _ un terme décisivement crucial _ avec la mesure.

Et cette rigueur et cette souplesse sont les deux axes _ oxymoriquement conjoints ! _ qui mènent à la maîtrise _ non purement technique seulement : jamais simplement « carrément«  mécanique _ du temps et du phrasé, travail de toute une vie ».., commente ô combien justement ! François Lazarevitch, page 15.


De cette musique :

il s’agit de « dépasser le graphique (des notations si « bizarres » _ à la première lecture, au premier « déchiffrage« , de la partition… _) et de tenter de lui donner sens _ vivant ! et vrai ! _ afin de le rendre compréhensible et intéressant _ et même bien davantage : délectable ! _ tant pour l’exécutant que pour l’auditeur », page 15.


« Depuis lors
_ il s’agit des commencements de sa formation musicale auprès d’un de ses premiers « maîtres«  de musique : Daniel Brebbia (avec Pierre Boragno ; et Philippe Allain-Dupré ; et Jean-Christophe Maillard ; et d’autres encore…) _,

ce répertoire n’a jamais quitté mon esprit ;

et j’aimerais toujours me laisser toucher _ sans ankylose _ par le doux esprit de sa poésie

et la beauté sobre de ses mélodies,

antidote aux violences contemporaines », ajoutait encore François Lazarevitch ;

qui concluait alors :

« Le travail est là ;

alors continuons…« 

En effet… 

Un disque merveilleux de grâce et poésie musicales

que ce CD « Le Berger poète : Suites et Sonates pour flûte & musette« , par François Lazarevitch et Les Musiciens de Saint-Julien,

le CD Alpha 148, à paraître très prochainement…

Titus Curiosus, le 21 mai 2009

Trois nouvelles merveilles musicales, encore, de « style français », en CD : des oeuvres de Gottlieb Muffat, Jean-Philippe Rameau et Gabriel Fauré

09mai

Trois nouvelles merveilles de musique (ainsi que d’interprétations) d’œuvres de goût et style français, proposées ces derniers jours au disque (en 4 CDs) :

_ le double album des « Componimenti Musicali per il Cembalo«  (à Vienne, vers 1736) de Gottlieb Muffat (Passau, 1690 – Vienne, 1770), par la claveciniste Mitzi Meyerson :

soient les CDs Glossa GCD 921804 ;

_ les « Concerts mis en simphonie » qu’Hugo Reyne nous propose des « Concerts de Pièces de Clavecin, avec un Violon et une Viole, ou un 2e Violon ; par Mr. Rameau. 1741 » ;

ainsi que de la « Gavotte et ses doubles » (de la « Suite en la« ) qui concluent le « Troisième Livre » des « Pièces de clavecin » (en 1728) de ce même Jean-Philippe Rameau (Dijon, 1683 – Paris, 1764),

par La Simphonie du Marais, que dirige Hugo Reyne :

soit le CD Musiques à la Chabotterie 605006 ;

_ et le récital « Gabriel Fauré : violon, violoncelle, flûte, piano & orchestre« , soit un choix de 7 « œuvres concertantes : miscellanées«  (ainsi que le formule la livrettiste du CD, Hanna Krooz) de Gabriel Fauré (Pamiers, 1845 – Paris, 1924) :

en l’occurrence, la « Ballade » pour piano & orchestre opus 19 (de 1879-1881) ; la « Berceuse » pour violon & orchestre opus 16 (de 1878-1880) ; l' »Élégie » pour violoncelle & orchestre opus 24 (de 1883-1897) ; le « Concerto » pour violon & orchestre opus 14 (de 1878-1879) ; la « Romance » pour violoncelle & orchestre opus 69 (de 1894) ; la « Fantaisie » pour flûte & orchestre opus 79 (de 1898) ; et la « Fantaisie » pour piano & orchestre opus 111 (de 1918),

par Jean-Marc Phillips-Varjabédian, violon, Henri Demarquette, violoncelle, Juliette Hurel, flûte, Jérôme Ducros, piano, et l’Orchestre de Bretagne que dirige Moshe Atzmon :

soit le CD Timpani 1C1172.

« Merveilles », tant pour ce qu’il en est des œuvres que pour les interprétations, et à des titres divers, ainsi qu’on va le découvrir :

Pour Rameau, l’œuvre _ « Concerts de Pièces de Clavecin, avec un Violon et une Viole, ou un 2e Violon« , en 1741 _ est déjà bien connue ;

mais c’est ici une « mise en symphonie » de ces cinq « Concerts » que nous propose, avec une particulièrement magnifique intelligence du processus de ce qu’est la « concertation« , à partir d’un « Avis aux Concertans » (sic) du compositeur lui-même, sur la partition de 1741, Hugo Reyne,

prenant, le premier, recul sur l’habitude incrustée et fossilisée jusqu’ici, car pas assez réfléchie (re-visitée ; et donc « à re-penser » !) d’interprètes précédents (Daniel Cuillier, en 1992 ; Christophe Rousset, en 2000) ; qui se fiaient trop littéralement à la lettre d’un « arrangement« , postérieur (en 1768) de quatre ans à la mort du compositeur (survenue le 12 septembre 1764) de ces « Concerts de Pièces de Clavecin, avec un Violon et une Viole, ou un 2e Violon » ; et conservé à la Bibliothèque nationale de France :

cet « arrangement » de 1768 « est constitué _ je cite ici l’excellente présentation de son travail par Hugo Reyne à la page 4 du livret du CD _ de 5 parties séparées manuscrites pour 3 violons, alto et basses« . Mais, précise on ne peut plus justement Hugo Reyne, « les faiblesses de l’arrangeur sont de reprendre à l’identique certaines formules idiomatiques du clavier alors qu’il _ le transcripteur _ passe d’un instrument harmonique (le clavecin) à des instruments mélodiques (les violons).« 

Hugo Reyne précisant : « Par exemple, les arpèges de clavecin sont retranscrits _ paresseusement _ tels quels, passant maladroitement d’un instrument à un autre. Cette transcription attribue la main droite du clavecin au 1er violon, la main gauche aux basses, et le violon originel à un 2nd violon, ce qui est logique. Par contre, autre faiblesse, la viole (ou le 2nd violon) est distribuée à un 3ème violon qui se retrouve souvent à l’octave des basses ou à l’unisson de l’alto ; tandis que ce dernier se nourrit des notes du milieu du clavier et fonctionne _ oh le vilain processus en « musique baroque«  : rien ne devant jamais simplement « mécaniquement«  y « fonctionner«  !!! _ fréquemment à l’octave du 2nd violon. La partie des basses se divisant en 2 voix par moments ; et l’expression romantique « en sextuor » a été ajoutée par Saint-Saëns en 1896, lors de la publication des œuvres de Rameau sous sa direction » _ c’est en 1895 que Charles de Bordes, Vincent d’Indy et Camille Saint-Saëns avaient entrepris une édition des « Œuvres Complètes » de Jean-Philippe Rameau, à paraître aux Éditions Durand ; les publications s’échelonnèrent de 1895 à 1918, mais l’entreprise demeura inachevée : seulement 18 volumes ayant paru…

Hugo Reyne situe ainsi son travail ici par rapport à une tradition d’interprétation trop ankylosée depuis le revival de la fin du XIXème siècle, sous l’impulsion de l’équipe de la Schola Cantorum (inaugurée le 15 octobre 1896, autour des mêmes Charles de Bordes, Vincent d’Indy, etc.) :

« Cette édition des « Six Concerts en sextuor«  (le manuscrit _ de 1768 _ ajoutait effectivement un 6ème Concert, arrangé, lui, d’après des « Pièces de clavecin » _ de ce même Jean-Philippe Rameau) fit néanmoins les beaux jours de Rameau au 33 tours : les chefs Maurice Hewitt (dès 1952), puis Louis de Froment, Louis Auriacombe, Jean-François Paillard, Marcel Couraud, Jean-Pierre Dautel, etc. l’enregistreront avec leurs orchestres à cordes, perpétuant ainsi une tradition monochrome (cordes seules), oubliant malheureusement à quel point Rameau _ et cela, on ne le soulignera jamais assez !!! _ était un coloriste de l’orchestre. Les deux seules versions enregistrées à ce jour sur instruments anciens (Daniel Cuillier, en 1992, et Christophe Rousset, en 2000) proposent également cette version. »

Ce qui permet à Hugo Reyne de situer sa présente extrêmement bienvenue (et réussie !) « re-création » :

« Notre propos en enregistrant les « Concerts » est donc, un peu comme pour un tableau noirci, de retrouver _ en les ravivant _ ses couleurs d’origine (flûte, hautbois, basson). La comparaison va même plus loin, car les titres de chacune des pièces nous renvoient à l’univers pictural de ce milieu du XVIIIème siècle _ dont le livret offre de précieuses images (…) Nous avions à l’esprit l’image d’un petit orchestre de chambre entretenu par M. de La Pouplinière _ orchestre que dirigea Rameau lui-même vingt-deux ans durant ! de 1731 à 1753… _ ; et avons arrêté le nombre de musiciens-interprètes à treize : 3 violons I, 2 violons II, 1 alto, 2 violoncelles, 1 contrebasse, 1 flûte, 1 hautbois, 1 basson et un chef (nous-même, prenant la flûte pour « Les Tambourins« , « La Cupis » et « La Marais« ). »

« En ce qui concerne notre travail d’orchestration _ = de « mise en simphonie » ! ainsi que l’indique le titre même de ce CD : « Concerts mis en simphonie«  _, nous nous sommes référés à la phrase de l’« Avis aux concertans » de Rameau :

« le Quatuor y règne le plus souvent »

_ on appréciera la délicatesse du « jeu » ouvert par Rameau lui-même : en 1741, nous sommes encore dans l’ère (dite commodément par nous) « baroque » de l’interprétation…

Nous avons donc distribué notre partition en 4 parties : violon I (main droite du clavecin), violon II (violon originel), alto (viole ou 2nd violon) et basses (main gauche du clavecin et basses de la viole). La flûte et le hautbois venant _ très heureusement ! _ colorer les violons I ou II, le basson se mêler aux basses, et pour certaines pièces assurant des solos. (…)  Nous avons donc adapté les arpèges brisés du clavecin pour les approprier à la flûte. D’autres solos de bois sont confirmés _ et comment brillamment ! _ par Rameau dans ses opéras (les 2 flûtes de « La Cupis » _ dans un « Air tendre pour les Muses » du « Temple de la gloire« , en 1745 _, les petites flûtes du 1er « Tambourin » _ qui, provenant de l’ouverture de « Castor et Pollux« , en 1737, rejoindra le second « Tambourin » dans « Dardanus« , lors d’une reprise de ce dernier, en 1744 _, le hautbois et le basson du « 2nd menuet » _ dans « Les Fêtes de Polymnie« , en 1745 _, etc.) _ et c’est un point majeur, sinon crucial même, pour la compréhension de la musicalité propre de ces œuvres ! et donc leur plus juste interprétation ! Cependant, pour « La Livri« , nous avons préféré _ avis d’expert tout spécialement « musical«  _ renoncer à la version de « Zoroastre » _ la première de la « tragédie lyrique«  a lieu le 5 décembre 1749 à l’Académie royale de Musique _ afin de rester plus proche de l’écriture originelle de 1741, en donnant spécialement au basson la belle contrepartie de la viole ; et à l’alto l’arpègement syncopé de la main droite. Notre arrangement contient d’autres réjouissances encore, comme certains contrechants de flûte et hautbois dans « La Rameau » ou bien dans « La Marais » ; ou encore quelques ornements « à la Michel Legrand » _ why not ? si cette forme d’humour ou légèreté-là convient… _ dans « La Cupis« … »


« Enfin, nous devons signaler ici _ précise encore Hugo Reyne, à la page 5 du livret de ce CD _ l’existence d’un arrangement manuscrit contemporain de Rameau (conservé à la Bibliothèque nationale de Hongrie à Budapest) très mal réalisé, et qui n’a pas pu être joué tel quel à l’époque, qui a _ cependant _ l’avantage _ très significatif pour ce qu’il en était des interprétations de transcriptions ! _ de proposer, en plus des cordes, des parties de « flauto », « oboe » et « fagotto », ce qui nous a conforté _ si besoin en était encore !.. _ dans notre idée d’instrumentation. »

« Pour conclure cet enregistrement, nous avons, suivant l’exemple d’Otto Klemperer, qui, en 1968 revisitait _ voilà ce que doit être une « re-création » de musique ! _ la « Gavotte et ses doubles«  pour orchestre symphonique _ pas moins : et c’est sans doute trop !.. _ décidé de nous approprier aussi _ le résultat est une merveille ! _ ces sublimes _ en effet ! c’est un final somptueux !!! _ variations en les adaptant à notre façon _ comme toute interprétation vivante de cet art du « Baroque » : au sens le plus large _ Rameau en étant probablement le dernier grand (voire « sublime« …) représentant, jusqu’en ses sublimissimes « Boréades » de 1764, dont les représentations (sur la scène de l’Académie royale de Musique) furent hélas annulées par la disparition brutale du maître, le 12 septembre 1764…Vers ce moment, en effet, voilà que le siècle change d’« époque«  (et de « style« ) : on quitte le « Baroque«  pour, bientôt, le « Classicisme«  : approche l’heure qui vient de Haydn et Mozart, après le moment Gluck ; ainsi que le moment-charnière où les dernières (avant longtemps !) représentations des opéras de Rameau sont (ainsi, d’ailleurs que celles des indéboulonnables opéras de Lully), « adaptées«  au goût nouveau par un Pierre Montan-Berton…

Pour les deux autres CDs,

la « neuveté » des éclairages qu’apportent ces tout nouveaux enregistrements

est différente…

D’abord, nous découvrons enfin (si je puis me permettre cette expression), sous les doigts merveilleusement inspirés (et dansants) de Mitzi Meyerson, l’œuvre de Gottlieb Muffat

(Passau, 1690 – Vienne, 1770 : Gottlieb est le huitième des neuf enfants du magnifique Georg Muffat _ né, lui, le 1er juin 1653 à Megève, en Savoie, et mort le 23 février 1704 à Passau, en Bavière : un des plus somptueux musiciens de l’ère baroque ! et un de ceux (avec Johann-Sigismund Kusser et Johann-Kaspar-Ferdinand Fischer : dignes, eux aussi, de la plus haute délectation !) qui a diffusé _ combien brillamment ! _ et fait resplendir le « style » musical « français« , appris en sa jeunesse auprès de rien moins que Lully, à Paris, entre 1663 et 1669, en toute l’Europe baroque) :

Or, ce qui paraît vers 1736 à Vienne, et sous un titre de recueil en italien, « Componimenti Musicali per il Cembalo« , n’est rien moins que le « chant du cygne » (de toute beauté !) de la « Suite » de « goût français« , qui avait (possiblement) vu le jour sur les bords de la Seine autour de 1648 (au moment de la paix du « Traité de Westphalie« ), avec pour (peut-être, sinon probables) parrains les incomparables maîtres Johann-Jakob Froberger, Louis Couperin et autre Jacques Champion de Chambonnières ; ainsi que le luthiste Monsieur de Blanc Rocher, qui perdit la vie en chutant dans un escalier, un soir de fête…

Qu’on écoute les sept « Suites » de ce double album de Mitzi Meyerson ; de l' »Ouverture«  (à la française : lullyste !) de la « Suite V »  ouvrant le premier disque ; à la « Chaconne » de la « Suite VII«  qui conclut le second… La musique du fils, Gottlieb, à la cour impériale de Vienne, via la leçon, à la cour d’un prince-évêque bavarois, à Passau, du père Georg (disparu il y avait trente-deux ans en 1736), a toute la fraîcheur, la vivacité, l’élégance et la délicatesse qui font le charme d’éclat tout de discrétion, simplicité et beauté, de la « Suite » de « goût français« , en tout son parcours…

Et pour Gabriel Fauré,

pour terminer cette promenade musicale si délicieuse de charme,

nous prêtons (enfin ! un peu) mieux l’oreille à un aspect un peu négligé de son œuvre : son versant orchestral concertant, justement.

Si les deux sommets de ce CD « concertant » de Gabriel Fauré, sont, peut-être, la « Ballade » et la « Fantaisie » pour piano & orchestre (les deux !), le mérite de ces interprétations _ de pièces « libres » ! _ est d’abord celui des interprètes, magnifiques, tous et chacun, de charme, d’élégance, de fraîcheur, de vivacité : de beauté discrète et intense ; de vie.


Mais dans ces deux cas encore, après celui de l’occurrence-Rameau, c’est à la spécificité du style (musical) français que nous avons combien magnifiquement affaire :

au secret (issu de la danse) de sa légèreté libre et rayonnante de plénitude…

Titus Curiosus, ce 9 mai 2009,

se souvenant de Francine Lancelot

de sa personne, son sourire ;

et de son action en faveur de « La Belle dance« …

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