Posts Tagged ‘engagement

Quand, et avec son intensité stupéfiante, le Quatuor Tana nous fait découvrir aussi, après ceux de Steve Reich et Philip Glass, les 4 Quatuors (de 1983, 1984, 1985 et 2014) du compositeur polonais Krzysztof Baculewski…

22juin

Le 19 mai dernier, au soir d’un magique concert donné par le Quatuor Tana _ constitué de Antoine Maisonhaute, Ivan Lebrun, violons, Takumi Nozawa, alto, et Jeanne Maisonhaute, violoncelle _ au château de Mombet, à Saint-Lon-les-Mines, en Chalosse, dans le cadre de l’édition 2024 du « Mai musical Lucien Durosoir« ,

j’en ai rédigé un compte-rendu enthousiaste, « « ,

tant pour ce qui concerne les œuvres, stupéfiantes, les Quatuors n°3 de Lucien Durosoir (de 1934), et n°1 de György Ligeti (de 1954), que pour leur magistrale interprération par le splendide Quatuor Tana…

Du Quatuor Tana, je possédai à ce jour les 3 _ magnifiques ! _ CDs suivants :

_ le CD Megadisc Classics MDC 7877 « Steve Reich – WTC 9/11 – Different trains » _ enregistré au Studio Passavant au mois de juin 2016

_ le double CD Megadisc Classics MDC 7880 « Philip Glass – Seven String Quartets » enregistré à la Grande des Villarons et paru en 2018

_ le CD Soond SND 22020 « Philip Glass – Tana Quartet – String Quartet n°9 King Lear – String Quartet n°8 » _ enregistré au Théâtre d’Arras au mois de septembre 2021 ; et admirez ici cette vidéo de 11′ 48…

Aussi ai-je aussitôt très vivement aspiré à découvrir d’autres performances de tels interprètes aussi superbement intensément si justement « présents » en un tel concert…

Et ai-je illico presto commandé à mon disquaire préféré le CD « Krzysztof Baculewski – String Quartets« , le CD Dux 1238 _ enregistré à Luslawice, en Pologne, du 7 au 15 février 2017 ; et distribué par Distrart… _,

comportant les Quatuors n°1 (de 1984), n°2 (de 1985), n°3 (de 1986) et n°4 (de 2014) de ce compositeur polonais, né à Varsovie le 26 décembre 1950, toujours pleinement actif…

Et en recherchant dans les coins quelque attention portée par quelque critique mélomane,

j’ai découvert un site intitulé « operacritiques« , sous la signature d’un certain David Le Marrec, comportant, à la date mercredi 22 mars 2023 un long article développé intitulé « Quatuor & répertoire : entretien avec le Quatuor Tana » _ en l’occurrence le premier violon Antoine Maisonhaute _, dont je propose ici la lecture, et qui aborde un peu, au passage, l’œuvre de Krzysztof Baculewski, mais qui est surtout intéressant dans son effort de caractérisation du travail assez original et singulier du Quatuor Tana, dont l’intensité de jeu a frappé aussi David Le Marrec, lors d’un concert, en avril 2019, à Bourron-Marlotte, en Seine-et-Marne :

dont je retiens _ moi, Titus Curiosus _ un très vibrant et ô combien justifié, sinon indispensable !, éloge de la curiosité

de la part de ces splendides interprètes que sont, au disque comme au concert, les Tana…

Voici donc ce riche entretien d’Antoine Maisonhaute avec David Le Marrec :

mercredi 22 mars 2023

Quatuor & répertoire : entretien avec le Quatuor Tana

http://piloris.free.fr/css/images/tana_ http://piloris.free.fr/css/images/tana_

http://piloris.free.fr/css/images/tana_ http://piloris.free.fr/css/images/tana_

Une série spéciale en quatre épisodes autour de la question du répertoire du quatuor à cordes. Pour cela, je m’entretiens avec Antoine Maisonhaute, du Quatuor Tana.
…Vous pouvez l’entendre par ici :
…Le flux RSS (lien à copier dans votre application de podcast)
https://anchor.fm/s/c6ebb4c0/podcast/rssou sur :
Google
Spotify
Deezer
Amazon
¶ etc.

Vous pourrez aussi y trouver quelques podcasts de vulgarisation très généraux sur l’opéra, le début de la reprise de la série Musique ukrainienne, une brève histoire de l’opéra italien à la conquête du monde, ainsi que quelques comptes-rendus de concerts trop bavards pour mes traditionnelles recensions Twitter… J’attends d’être un peu plus aguerri pour me lancer dans la grande adaptation de la série Pelléas……
Et comme d’habitude, la transcription suit. D’une part mon script (ce qui explique le style plus relâché, les répétitions… c’est prévu pour l’oral). D’autre part, pour ceux qui ne souhaitent pas écouter le fichier sonore, un résumé des réponses d’Antoine Maisonhaute { entre accolades }.
…Bonne écoute ou bonne lecture !…


Bienvenue dans cette nouvelle série du podcast de Carnets sur sol  !

Aujourd’hui, j’inaugure des entretiens avec des professionnels de la musique _ voilà. C’est un format que je n’ai jamais pratiqué, parce que je trouve que le format est en général très convenu, on félicite les artistes de bien jouer, on pose quelques questions faussement intimes, et on fait la promotion du disque ou du concert du moment.

Vous verrez que sur tous ces points, cet entretien adopte d’autres perspectives. Tout ce que vous n’avez peut-être même pas pensé à demander sur le quatuor à cordes !

Épisode 1  : Ma vie / La rencontre

Je commence à vous raconter pourquoi ce quatuor est singulier _ excellente perspective ! _, et d’où me vient cette envie d’échange. En vous livrant un peu de ma vie.

1.1. Les nouveautés

Nous sommes en avril 2019. Je tâche depuis peu de me tenir au courant des nouveautés, pas tant pour le dernier récital de la vedette Deutsche Grammophon que pour ne pas manquer les pépites de compositeurs que je ne connais pas _ voilà ! _ chez de petits labels riches en découvertes _ voilà une tout à fait excellente curiosité ! _ : comme je ne connais pas même leurs noms, si je les laisse passer, je ne les rencontrerai jamais ! _ et rencontrer vraiment, et pas superficielement, ni trop vite, est aussi essentiel ! Par ailleurs, il m’est déjà arrivé de croire pendant des années qu’une œuvre n’était pas disponible (ou pas dans une interprétation satisfaisante) et de me rendre compte par hasard que, depuis ma dernière vérification, plusieurs années plus tôt, on disposait d’un disque !

Je me suis donc mis à suivre les parutions de nouveautés discographiques, en particulier chez CPO (le label spécialiste des romantiques et décadents germaniques) et DUX (un label polonais qui ne publie que des œuvres exaltantes) _ et bien distribué en France par Distrart…

Je lance donc, sans rien y connaître, le disque _ des Tana _ de quatuors de Krzysztof Baculewski, un compositeur polonais né en 1950, et dont les quatuors (1984, 1985, 1986, 2014) semblent suivre l’évolution des esthétiques germaniques du premier XXe siècle, avec plus de radicalité au fil des œuvres, mais aussi plus d’épure et de concentration. Corpus absolument admirable _ oui, oui ! _, que j’ai beaucoup réécouté.

Je note mentalement le nom du Quatuor Tana, que je suppose polonais, et dont j’admire le mérite et l’engagement _ voilà : superbe et généreux ! _, pour enregistrer quelque chose d’aussi rare et qui leur sera si peu demandé en concert  !

1.2. Le concert

Un mois plus tard, en mai 2019. Comme chaque année, je parcours l’ensemble de la programmation de musique classique d’Île-de-France, et ce samedi-là, j’avais jeté mon dévolu sur un programme contenant le Quatuor de Debussy, le Premier Quatuor de Hahn, et un quatuor du compositeur (vivant) Jean-Paul Dessy Tuor Qua Tuor, dans une petite église du Gâtinais.

L’association ProQuartet, qui promeut le quatuor à cordes en Île-de-France, a deux bases d’opération  : un siège à Paris, mais aussi une zone d’influence dans le Sud-Ouest de la Seine-et-Marne (le long du Transilien R, qui passe par Fontainebleau, puis Nemours ou Montereau). Le choix du lieu, excentré par rapport à la capitale, mais dans un lieu où un public régulier et cultivé est assez présent, n’était pas totalement dû au hasard  : Reynaldo Hahn a séjourné dans la ville _ tiens, tiens !

Me voilà donc parti un samedi après-midi pour Bourron-Marlotte : une heure de train depuis la Gare de Lyon, avec une fréquence d’un train par heure… transi sous la neige fondue du mois de mai, j’ai même dû, au retour, monter dans un train en sens inverse pour me tenir chaud et ensuite patienter dans un couloir de la gare de Nemours où les dealers de coke opéraient à leur aise. L’église Saint-Sévère, qui conserve encore sa masse du XIe siècle (époque où elle était carrée), quoique largement remaniée au XIXe siècle, a trois particularités  : 1) des collatéraux qui s’arrêtent net au niveau du transept (sans croisillons, sans doute une économie au moment de l’élargissement de la nef) 2) des culs-de-lampe très expressifs aux visages simiesques 3) elle est loin de la gare.

Je me souviens encore d’être saisi par l’humidité glaciale de la neige fondue, traîtrement survenue en ce début de mai.

Du concert, j’avais surtout retenu le quatuor de Dessy, qui avait la particularité rare d’être un quatuor mené par le violoncelle – qui impulse la matière, commence les mouvements, régle le tempo… La matière première pourrait être qualifié d’essentielle, ni tonale (ce n’est pas aussi rudimentaire), ni atonale complexe, ni postmoderne-planante, vraiment une belle exploration de matériaux simples, qui s’achève en un souffle incantatoire – souffle littéral également, les deux violons pour finir soufflent dans leur âme.

Un petit goûter était organisé ensuite, dans la base du clocher-porche. Je n’ai pas osé déranger, et j’ai beaucoup regretté de ne pas avoir vu le bonheur sur leurs visages en annonçant que j’avais adoré leur disque Baculewski _ voilà ! _, sur lequel je me figurais qu’ils ne devaient pas avoir eu beaucoup de retour de la part de leur public de concert. (A fortiori alors qu’il venait de sortir quelques jours plus tôt.)

1.3. Le projet

Aussi, lorsque j’ai reçu la proposition d’entretien, j’ai bondi sur l’occasion  : d’abord de leur crier mon bonheur d’avoir connu Baculewski et Dessy grâce à eux, ensuite de leur poser non pas des questions traditionnelles, mais ce que j’avais réellement envie _ soit la curiosité du mélomane, aussi… _ de savoir. Elles sont peut-être un peu intrusives par certains côtés, mais c’était une occasion particulière d’avoir à ma disposition un ensemble aussi courageux et atypique.

Toutes les virgules de la série sont empruntées à un enregistrement libre de droits : il s’agit de la célèbre intégrale des Quatuors de Beethoven par le Quatuor Végh, sa première, celle de 1952 _ bravo ! Vous y entendez :

¶ en début d’épisode, un extrait du premier mouvement du quatuor n°10 ;
¶ en fin d’épisode, un extrait du deuxième mouvement du quatuor n°8 ;
¶ au début de chaque question, les accords introductifs du même quatuor n°8 ;
¶ à la fin de chaque question, le final du quatuor n°7.

Épisode 2  : Répertoire

QUESTIONS SUR LE REPERTOIRE

À l’occasion de leur concert aux Bouffes du Nord lundi 27 mars prochain, où ils joueront à la fois le Premier Quatuor de Ligeti et le Quintette Annonciation de Philip Glass, j’ai d’abord voulu les interroger sur leur répertoire très particulier _ en effet…

Il est exceptionnellement vaste, et contient surtout des compositeurs vivants _ voilà.

C’est Antoine Maisonhaute, le premier violon du quatuor, qui a pris le temps de me répondre.

1) Votre répertoire contient très peu des quatuors habituels du répertoire _ voilà ! _ : énormément de contemporain, et même pour les choses plus anciennes, beaucoup de raretés : Grétry, Nielsen, Lekeu, Caplet, Villa-Lobos, Durosoir _ nons y voici ! _, Wissmer, Alfvén (qui ne figure même pas dans les catalogues couramment disponibles du compositeur !)…  Pourquoi ce choix d’échapper au répertoire balisé ?  Est-ce le plaisir de la découverte, la volonté de se positionner sur un segment qui était peu occupé ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : En effet, le désir de découverte. }

2) Comment les projets se constituent-ils ?  Faites-vous les choix et cherchez-vous un label, ou des producteurs se proposent-ils ?
Typiquement, pour Baculewski, il y a toute une série chez DUX : est-ce le label qui vous a mandaté, vous qui lui avez proposé ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : DUX est bien venu les chercher en connaissant leur curiosité. J’ajoute que DUX a même publié dans les années précédentes tout un cycle de Baculewski, musique pour flûte, pour orchestre, pour chœur. Dans les autres cas, ce sont plutôt les Tana qui choisissent un éditeur susceptible de soutenir leurs projets originaux. }

Pour préciser, « Volts » est leur album regroupant des pièces au format inhabituel : quatuor à cordes avec bande préenregistrée pour Romitelli, œuvres ouvertes avec parties improvisées (Deejay de Gilbert Nouno), et même des instruments construits par les membres du quatuor (qui incluent, si j’ai bien compris, un système d’amplification électronique interne et non externe comme d’ordinaire) pour les pièces de Canedo, Arroyo et Havel.

C’est aussi leur album que je préfère (avec Baculewski évidemment) : quatuors au langage assez radical (rien de tonal là-dedans), qui porte bien son titre, aussi bien avec les procédés d’amplification que les figuralismes électriques et la tension extrême de l’exécution _ un trait bien caractéristique de l’interprétation des Tana. Très dynamique et impressionnant. Ça peut s’écouter à l’instinct, en se laissant porter par l’énergie qui en émane _ oui, oui _, sans même comprendre la forme ou le langage.

(Je suis aussi impressionné par la façon dont les Tana parviennent à changer totalement leur timbre d’un disque à l’autre, d’une œuvre à l’autre… c’est une question que je leur pose après.)

3) Pour un quatuor qui n’a même pas de Schubert à son répertoire courant, est-il facile de vivre ?  [la liste que j’ai eue n’était pas à jour, il y en avait deux _ de Schubert _ et ils les jouent régulièrement !] J’imagine que vous avez dû en étudier tout de même pour des concours, ou à la demande de programmateurs pour des couplages ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Ils en font donc, appris pendant leurs études ! Davantage de classiques du XXe siècle, qui facilitent les transitions vers les œuvres contemporaines dans les programmes. }

4) D’un point de vue pratique (et économique), est-ce plus difficile parce qu’il faut sensibiliser le public à une musique plus diverse et difficile que les œuvres qu’il connaît par cœur (autrement dit, pas facile de remplir avec du quatuor contemporain), ou bien l’existence d’institutions qui financent et programment régulièrement la création permet-elle au contraire de bénéficier d’un confort matériel suffisant ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Les institutions et les festivals spécialisés financent en partie la musique contemporaine, oui. Les membres du quatuor sont persuadés que le public aime découvrir, s’il est accompagné (ils ont l’habitude de présenter les œuvres _ et c’est en effet  très important _, de « dédramatiser »). Peut-être l’avenir, au moment où les grandes maisons ne remplissent plus avec les œuvres anciennes et célèbres, même avec des stars. Serait-ce le moment du grand retour de la création ?  Les plus difficiles à convaincre sont les programmateurs. }

5) Contrairement à la plupart des ensembles spécialisés, vous disposez d’un répertoire qui couvre un nombre considérable d’esthétiques : depuis les partitions radicales de Lachenmann jusqu’à la simplicité extrême de Glass, en passant par tout le continuum des musiques qui revendiquent l’héritage tonal , ou syncrétiques comme Fedele… Je me demandais la discipline que cela requérait en termes de culture musicale, pour savoir ce qui est attendu dans des univers aussi différents. On l’entend très bien dans vos disques, le timbre de l’ensemble, les phrasés diffèrent totalement, ce doit être un travail colossal pour concevoir et réaliser cela ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Travail très spécifique pour être capable de changer le son, notamment en fonction des lieux. Ne jouent pas de la même façon selon les salles, et peuvent s’adapter au dernier moment. }


Épisode 3  : Les concerts

6) Comment parvenez-vous à toucher le public avec un répertoire qui est si différent de ses habitudes (ils sont peu donnés et entendus, et bon nombre de quatuors qui échappent aux logiques tonales) : avez-vous des astuces ?  Vous reposez-vous d’abord sur la qualité de la musique (et l’ardeur _ oui ! _ de l’exécution) ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Donner des pistes d’écoute au public. Ne servirait à rien de chercher une logique tonale. Le public se sent plus en confiance lorsqu’il repère des éléments. La qualité de la musique de création dépend bien sûr des œuvres, mais le quatuor les sert toutes avec le même dévouement. }

7) Evidemment, une question me brûle les lèvres : que pensez-vous du répertoire actuel de quatuor ?  De mon point de vue de spectateur très régulier des concerts de quatuor, j’ai l’impression que les ensembles les plus célèbres rejouent toujours les quelques mêmes dizaines de titres, et que le jeu est plutôt de présenter une nouvelle version d’oeuvres déjà très bien connues du public _ en effet… J’étais curieux, considérant votre démarche complètement opposée, de la façon dont vous le perceviez.

J’ai été très heureux de la réponse. Antoine Maisonhaute n’a pas retenu ses coups. En écoutant son analyse, je criais « tue ! Tue ! » comme si j’assistais à un match de MMA (oui, on ne crie pas « tue » à un match de MMA, mais j’ai les images mentales que je veux). Avec beaucoup de pondération, il dresse en tout cas un état des lieux que je constate et partage – notamment autour du risque de muséification et d’atrophie _ voilà _ de toute la musique classique.

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Tendance à ronronner avec des œuvres qui ont fait leurs preuves, et toujours réinventer le fil à couper le beurre. Peu de prises de risque. Entretiennent un musée, et participe un peu à l’extinction du genre. Pas en phase avec les préoccupations de notre époque. Alors qu’il y a un siècle, les interprètes vedettes faisaient beaucoup de créations, voire composaient. Dommage de jouer à l’infini les mêmes œuvres, ce qui n’apporte plus rien à la musique ou au répertoire, et d’une certaine façon empêche penser les enjeux du classique aujourd’hui. }

BOUM.


8) Du point de vue l’identité sonore, comment définiriez-vous le Quatuor Tana ?  J’ai l’impression que votre son s’adapte énormément au répertoire, mais vous avez sans doute des tropismes ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Son assez clair et projeté. Dépend du répertoire, mais comme ont travaillé énormément d’esthétiques, jouent différemment aujourd’hui à partir de ce qu’ils ont observé dans le contemporain, en termes de son. Tentative du pianissimo le plus extrême chez Debussy tenté sul ponticello, sur le chevalet, avec du souffle dans le son, expérience vécue auparavant dans la musique contemporaine, expérience qui sert donc ensuite à s’approcher de l’indication de Debussy. }


Épisode 4  : Les corpus

Pour parler de concret, j’avais envie d’avoir votre opinion sur certaines musiques que vous jouez.

9) Je commence par Baculewski bien sûr : qu’est-ce que cette musique apporte au répertoire selon vous ?  Quelles sont les qualités qui vous ont frappé ? (Pour ma part, en tant qu’auditeur, c’est l’intégration des langages passés et l’évolution du style au fil des quatuors, mais du point de vue des interprètes, je ne sais pas.)

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Comme d’autres musiques des pays de l’Est, grand rapport à la tradition et en même temps dans l’air du temps. Pēteris Vasks par exemple. Très virtuose, instrumental, mais aussi beaucoup de finesse dans la recherche d’une nouvelle façon de composer pour le quatuor. Ils n’ont pas hésité à accepter, mais ont dû travailler très longtemps, musique particulièrement virtuose. Musique de réconciliation de la modernité et de l’auditeur, sans être passéiste. Beaucoup d’émotions passent malgré sa nouveauté. }

Ce point de vue de l’intérieur est très intéressant : je n’aurais pas spontanément rapproché Vasks de Baculewski, en tout cas le Vasks pour cordes (je le sens davantage dans sa musique chorale), mais je partage tout à fait l’idée de cette sensibilité particulière des nations « périphériques » à la création d’avant-garde, aussi bien en Scandinavie que chez les Slaves, qui écrivent de la musique nouvelle dans un langage qui a évolué mais conserve des liens évidents avec la tradition, de façon parfois plate, ou bien, dans les œuvres réussies, de façon particulièrement touchante, riche et stimulante.

À l’écoute du disque, j’ai eu l’impression, un peu comme en écoutant Grażyna Bacewicz, qui n’est pas du tout de la même génération, de suivre l’évolution des esthétiques germaniques de la premier moitié du XXe siècle, traversant un nombre d’esthétiques sonores très variées, avec plus de radicalité au fil des œuvres, mais aussi plus d’épure et de concentration.

Je trouve ce corpus particulièrement admirable, et je vous recommande chaleureusement le disque chez DUX, le label à suivre avec CPO si vous aimez les découvertes qui ne déçoivent pas.

10) Pour Philip Glass, que vous donnez en concert bientôt aux Bouffes du Nord, je suis au contraire _ pas moi : j’ai bien lu ce qu’en dit Karol Beffa en son passionnnant « L’Autre XXe sièclee musical«  ; et regardez et écoutez  la vidéo (de 53′) de mon entretien avec lui à la Station Ausone le 25 mars 2022 : nous y abordons le cas Philip Glass _ très rétif (je trouve sa répétition oppressante, en plus des « fautes » d’harmonie qui prennent nos habitudes à rebrousse-poil). Ce qui me rend d’autant plus curieux de ce qui vous intéresse ou vous touche dans cette musique !  D’un point de vue plus pratique, comment faites-vous pour ne pas perdre le fil _ oui, oui… _ du nombre de réitérations des boucles ?  Y a-t-il des techniques spécifiques à ce répertoire minimaliste ?

{ Résumé de la réponse d’A.M. : Touché par sa sincérité, l’absence de prétention, une forme d’authenticité. Particulièrement accessible en tant que personne, remarquable par son humilité, disponible pour aider les artistes à monter les œuvres. Énorme culture de la musique, en particulier de la musique européenne du XXe, et trace son propre sillon personnel, avec ces « fautes » délibérées. Beaucoup d’épigones ne parviennent pas à faire du Philip Glass en voulant l’imiter. Pour les répétitions des boucles, demande simplement de la concentration. }

Ce n’est pas totalement de la provocation si je relève que Philip Glass est gentil – en réalité, pour des compositeurs vivants, il n’est pas absurde que le caractère entre en ligne de compte, il n’est que de voir les musiciens vedettes qui font du mal autour d’eux.

Par ailleurs, il est toujours profondément stimulant d’entendre l’éloge – y compris chez certains de mes amis les plus proches – de musiques qu’on déteste, voire qu’on trouve médiocres. C’est l’occasion d’un décentrement _ toujours crucial et nécessaire ! Là-dessus, cf l’article programmatique (et parfaitement emblématique) de mon blog, paru le 3 juillet 2008 : « « , qui n’a pas vieilli d’un iota : « dans l’ouverture de grand air, ou plein vent, de pas trop vissées serré curiosités _ j’aime qu’il y ait un minimum de jeu, et que ça flotterisquer un œil à côté de la perspective incitée, en se déplaçant un pas plus loin que la place marquée, à peine, un brin, à l’écart, en ce coin-ci, passant la porte entrebâillée, ou derrière la palissade _ dans l’ouverture, donc, d’un peu larges et mobiles (boulimiques ?) curiosités plurielles« , écrivais-je même très précisément alors, en juillet 2008… _, de comprendre d’autres approches de la musique : cette répétition que je trouve à la fois ennuyeuse et oppressante crée chez d’autres au contraire une forme d’ivresse passive, de voyage intérieur… en tout cas Glass produit des effets assez singuliers _ voilà ! _, que je n’attribue pas forcément à la qualité intrinsèque de sa musique, mais qui sont bel et bien là. Et c’est toujours passionnant d’entendre les autres développer des éloges et des exégèses sur ce qui nous échappe _ c’est très juste !

A fortiori lorsqu’ils sont eux-mêmes engagés dans la production de cette musique : on ne peut pas soupçonner, vu leur répertoire totalement interlope, que les Tana jouent Glass pour faire comme tout le monde ou brosser les programmateurs dans le sens du poil !

11) J’accueillerais avec plaisir vos suggestions, parmi votre répertoire ou vos disques : par exemple un quatuor qui vous tient à cœur, que vous voudriez faire plus largement découvrir, ou encore qui pourrait recevoir un large succès auprès du public.

{ Résumé de la réponse d’A.M. : La musique de chambre de Jacques Lenot. Musique de grande qualité. Évolution musicale qui retrace des trajectoires de vie. }

Sélection surprise !  J’ai vraiment eu de la peine à venir à bout du disque lorsque je l’ai écouté il y a quelque temps, j’avais trouvé tout cela vraiment atonal-radical-ascétique, sans rien pour me raccrocher dans les textures ou les effets.

Cet éloge met à nouveau en évidence une chose très importante : plus on dispose de musiques différentes, plus on est susceptible de trouver un langage qui parle à notre sensibilité propre _ voilà. Tout cela est d’excellent bon sens, et au service de la culture.

C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle je rouspète devant le conservatisme _ et l’étroitesse coutumière, dominante _ de la programmation, en particulier en concert. En Île-de-France, j’ai largement de quoi m’occuper au concert 465 jours par an, mais je pense à tous ceux qui n’ont pas d’appétence pour Mozart, Schumann ou Debussy, et qui ne trouvent pas leur place.

Exemple évident, le répertoire des concerts de piano seul. Moi, ce qui me touche au piano, ce sont surtout les cycles poétiques français du début du XXe siècle et la musique futuriste russe. J’ai longtemps cru que les récitals de piano n’étaient pas pour moi, parce qu’on ne jouait qu’une portion étroite du répertoire (classicisme et romantisme germanique, Debussy-Ravel, saupoudré d’un peu de Chostakovitch et de Prokofiev).

Et c’est vraiment le risque aussi avec le quatuor.


Je tiens à remercier vivement Antoine Maisonhaute, premier violon du quatuor Tana, d’avoir répondu aussi franchement à mes questions, peut-être insolites ou un peu intrusives. Et aussi, plus largement, de faire vivre le répertoire le plus varié au disque et au concert. C’est très précieux. En quelques années, le Quatuor Tana a ouvert plus de portes que des dizaines de quatuors vedettes (qui jouent certes très bien Beethoven et Schubert) pendant toutes leurs carrières combinées. Ils font une différence _ très salutaire et bienvenue _ dans le monde de la musique.

Vous pourrez les entendre aux Bouffes du Nord à Paris lundi 27 mars prochain, si vous supportez mieux que moi Philip Glass – mais les entendre dans le Premier Quatuor de Ligeti, justement une œuvre extraordinairement virtuose et zébrée de part en part de références sérieuses ou facétieuses au patrimoine, ce doit être une expérience remarquable _ absolument ! cf précisément là-dessus mon article du 19 mai dernier : « «  le soir du concert des Tana à Saint-Lon-les-Mines, auprès de mes amis Luc et Georgie Durosoir. J’avais été très marqué par ce qu’ils proposaient dans Debussy : beaucoup de respiration entre les accords, une belle netteté des volutes, des poussées inattendues de lyrisme, un goût évident pour ce tourbillon qui découle des empilements et mutations du motif-clef… J’imagine quelque chose de similaire, une réinvention des possibilités sonores _ voilà ! _ comme l’évoquait Antoine Maisonhaute précédemment.

Au disque, ils ont laissé une vaste palette de leur talent : monographies Baculewski, Lenot, Glass, Achenberg, mais aussi des anthologies très stimulantes comme Shadows (œuvres de Yann Robin, Raphaël Cendo, Franck Bedrossian) ou Volts dont j’ai parlé plus tôt.

S’il faut en recommander deux, Baculewski (chez DUX) pour le versant qui fait référence au patrimoine – ça peut quasiment s’écouter comme du quatuor romantique, on y trouve des progressions harmoniques enrichies très lisibles – et l’anthologie thématique Volts (chez Paraty), pour l’énergie hors du commun et l’originalité des profils sonores.

Je vous souhaite une belle exploration. À bientôt sur ce support ou un autre !

Les très intenses Tana sont absolument à suivre…

Et vive la curiosité !

Ce samedi 22 juin 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Christian Poltéra parfait cette fois encore dans le violoncelle grave et chantant de Prokofiev : probité, justesse, engagement, poésie…

18juin

Christian Poltéra (Zurich, 1977) est un musicien que j’apprécie tout particulièrement pour l’intégrité, la justesse, la musicalité et la poésie profonde et sans affectation, ainsi que l’engagement, de ses interprétations ;

et dont je suis fidèlement avec très grand plaisir, chaque fois, les puissantes prestations discographiques, pour le label BIS _ en de très belles prises de son, aussi…

Et une fois de plus il me comble au disque,

cette fois, dans la belle œuvre pour violoncelle _ tardive dans le catalogue du compositeur... _ de Serge Prokofiev,

en son CD « Poltéra plays Prokofiev« , le CD Bis-2617 SACD _ enregistré les 12 et 13 mars 2021 à Lahti, en Finlande, pour le « Symphony-Concerto Op. 125 pour Violoncelle et Orchestre » _ écoutez ici _ ; et les 26, 27 et 28 mai 2023 à Neumarkt in der Oberpfalz, en Allemagne, pour la « Sonate pour violoncelle seul Op. 134«  _ écoutez ici  _ et la « Sonate en Do majeur pour Violoncelle et Piano Op. 119 » _ écoutez ici _, avec le Lahti Symphony Orchestra placé sous la direction d’Anja Bihlmaier, et le piano de Juho Pohjonen…

Un modèle de musicalité, grave et chantante…

Ce mardi 18 juin 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ravel ravelissime ! L’enchantement du sublime CD « Maurice Ravel In search of Lost Dance », du Linos Piano Trio…

13juil

Supérieur encore aux  promesses dont je faisais état en mon article du 5 juillet dernier « « , à propos de l’interprétation du Trio en la mineur de Ravel par le Trio Helios

_ « regarder et admirer cette admirable interprétation-ci (de 26′ 33), en concert, le 28 septembre 2019, au Festival de Musique de Chambre de Trondheim, de ce sublime Trio de Ravel« , écrivais-je alors… _ ;

et consécutivement au très prometteur article « En Trio » de Jean-Charles Hoffelé, le 24 mai précédent _ lui aussi emploie le mot d’« enchantement«  _,

et venant de recevoir ce jeudi 13 juillet ce CD « Maurice Ravel In search of Lost Dance » par le Linos Piano Trio, soit le CD Avi Music 8553526 _ enregistré à Baden-Baden au mois de septembre 2022 _, que j’avais pris soin de commander, lui aussi, à mon disquaire préféré,

ce magique CD Ravel, ravelissime, du Linos Piano Trio _ appréciez cette trop brève vidéo de 1′ 22 ; ainsi que celle-ci de 4′ 48… _, est d’une écoute enchanteresse…

Il comporte,

outre le Trio avec Piano en la mineur de Maurice Ravel _ jamais entendu, pour ma part, à ce niveau d’incarnation-engagement ! _,

de sublimes arrangements, par le Linos Piano Trio lui-même, de la Pavane pour une Infante défunte et du Tombeau de Couperin :

des interprétations à tomber par terre de bonheur !

Le Linos Piano Trio : un ensemble à suivre de très près…

Ce jeudi 13 juillet 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

La plus récente actualité discographique du courageux et audacieux « exploreur » du répertoire baroque Johannes Pramsohler, de son Ensemble Diderot, et de son label Audax…

07déc

Aujourd’hui, 7 décembre 2021,

voici le neuvième article que, depuis le 28 avril 2018, je viens consacrer au courageux et inventif violoniste baroque italien Johannes Pramsohler, son Ensemble Diderot, et son label discographique Audax…

 1°  le 28 avril 2018 : 

2° le 13 mai 2018 :  

3° le 2 août 2018 : 

4° le 19 octobre 2018 : 

5° le 26 juin 2019 : 

6° le 19 juillet 2019 : 

7° le 11 août 2019 : 

8° le 15 octobre 2020 : 


Aujourd’hui donc, 7 décembre 2021,

je veux revenir sur deux parutions discographiques relativement récentes, en son label Audax, du violoniste Johannes Pramsohler et son Ensemble Diderot :

_ le CD « The Berlin Album » (Audax 13726), enregistré à Toblach les 6-7-8-9-10 décembre 2019, et paru en 2020,

et comportant des Sonates en trio de Georg-Anton Benda (1722 – 1795), Johann-Gottlieb Graun (1703 – 1771), Johan-Philipp Kirnberger (1721 – 1783), Johann-Abraham-Peter Schulz (1747 – 1800) et Johann-Gottlieb Janitsch (1708 – 1763) ; ainsi qu’une Fugue de la princesse Anna-Amalia de Prusse (1723 – 1787),

interprétées par Johannes Pramsohler et Roldan Bernabé, violons, Gulrim Cho, violoncelle, et Philippe Grisvard, clavecin et pianoforte ;

_ le CD « Concertos pour violon _ The beginnings of the violin concerto in France » (Audax 13782), enregistré à Toblach les 16-17-18 décembre 2020, et paru lui aussi en 2020,

et comportant des Concertos de Jacques Aubert (1689 – 1753), Jean-Marie Leclair (1697 – 1764), Jean-Baptiste Quentin (ca. 1690 – ca. 1742), André-Joseph Exaudet (1710 – 1762) et Michel Corrette (1707 – 1795),

interprétés par Johannes Pramsohler, Roldan Bernabé, Mario Konaka et Simone Pirri, violons, Georges Barthel, flûte, Alexandre Baldo, alto, Gulrim Cho, violoncelle, François Leyrit, contrebasse, et Philippe Grisvard, clavecin et pianoforte.

Pour « The Berlin Album« ,

je renvoie à cette intéressante chronique, intitulée « La Trilogie berlinoise« , de Sébastien Holzbauer, du 27 décembre 2020, sur le site « Muse baroque » :

CDS & DVDS, CRITIQUES

La trilogie berlinoise (The Berlin Album, Pramsohler, Ensemble Diderot – Audax)

Ich bin ein Berliner

 
The Berlin Album, sonates en trio de Benda, Graun, Kirnberger, et alii

Georg Anton Benda (1722–1795) : Trio sonata in E Major
Johann Gottlieb Graun (1703–1771) : Trio sonata in A Major, GWV Av:XV:41 (scordatura) 
Johann Philipp Kirnberger (1721–1783) : Trio sonata in D Minor
Princess Anna Amalia of Prussia (1723–1787) : Fugue in D Major
Johann Abraham Peter Schulz (1747–1800) : Trio sonata in A Minor
Johann Gottlieb Graun : Trio sonata in G Major “Melancholicus & Sanguineus”, GWV A:XV:11
Johann Gottlieb Janitsch (1708–1763) : Trio sonata in G Major

 …
Ensemble Diderot :
Johannes Pramsohler & Rodan Bernabé, violons,
Gulrim Choi, violoncelle,
Philippe Grisvard, clavecin et pianoforte.
1 CD Audax, enr. décembre 2019.
Johannes Pramsohler et ses fidèles, à qui l’on doit l’exhumation méthodique _ oui _ de répertoires rares _ oui _, ont décidé de s’aventurer sur des terres encore plus inconnues, vers l’Est et la lointaine Germanie, au royaume de Prusse. Poursuivant leur tour d’Europe de la sonate en trio après Dresde, Paris, puis Londres, l’ensemble Diderot aborde Berlin, ou plutôt Potsdam, et avance dans le siècle des Lumières par rapport à ses opus précédents. Evitant soigneusement les principaux acteurs musicaux du temps (Frederic II ou Carl Philipp Emanuel Bach), nos explorateurs ont décidé d’aborder un répertoire trop méconnu, celui des partitions de la Princesse Amélie de Prusse, de Johann Abraham Peter Schulz, sans renier des compositeurs de la demi-obscurité tels Benda, Kirnberger le théoricien, Graun (attention ce n’est point Carl Heinrich) ou Janitsch.
On goûte un album doux et rêveur _ en effet _, à l’épanchement mélodique et la souplesse toute solaire, d’un soleil givré hivernal, pastel, aux reflets argentés. Les archets de Johannes Pramsohler & Rodan Bernabé, gracieux et souples, tressent le cocon réconfortant d’une bonne tasse de thé. Par rapport aux remarquables Paris Album ou London Album précédents (Audax), une atmosphère nouvelle, celle de l’Empfindsamkeit prédomine, mélange d’intimité chaleureuse, d’épanchement psychologique, mais aussi de sorte de sentimentalisme galant et légèreté préromantique. Avouons que ces compositions ne sauraient égaler la profondeur d’un Sébastien de Brossard, Henri Purcell ou Telemann des albums précités.
Toutefois, avec conviction, l’Ensemble Diderot tire le meilleur _ oui _ de ses œuvres élégantes et se fait le tenant de la ligne claire : textures aériennes, clarté confondante des pupitres, équilibre favorisant les aigus. Partout règne le même raffinement, d’une mondanité libre _ c’est tout à fait cela. Il en surgit parfois de manière inattendue un éclair plus torturé à l’instar du Larghetto de Benda, ou du très noble Affetuoso de Graun dans la sonate en trio cyclothymique justement intitulée Melancholicus & Sanguineus, sans conteste l’une des plus originales et personnelles du programme. Ce mouvement est interprétée avec un abandon ciselé, suivi d’un Allegro carré italianisant avec que la sonate ne se conclue sur un Allegro di molto à la simplicité virtuose et jubilatoire.

On découvre également à la seconde écoute _ bienvenue, en effet _ du disque des détails insoupçonnés. La sonate en trio de Kirnberger débute sur un Andante archaïsant aux chromatismes soignés, tandis que l’Allegro avec ses entrées fuguées rappelle l’écriture d’un Bach. On ajoutera enfin que l’Ensemble Diderot a choisi de varier de manière bienvenue le soutien harmonique, et Philippe Grivart passe ainsi avec le même naturel du clavecin au pianoforte. On regrettera enfin que la captation ne donne pas la part belle au violoncelle discret de Gulrim Choi, trop en retrait. Sensible, communicatif, ce Berlin Album dissimule derrière son apparente simplicité des délices pour les oreilles attentives. A quand la suite du Grand Tour ? Saint-Petersbourg peut-être ?
Sébastien Holzbauer
Technique : enregistrement clair et précis, avec un soin tout particulier apporté aux violons et aux aigus du spectre.

Étiquettes : , , , , , , , , , , ,

 Et pour ce qui concerne le CD des « Concertos pour violon _ The beginnings of the violin concerto in France« ,
voici une courte vidéo du Largo du Concerto à cinq instruments d’Exaudet. 
Ainsi que ces brefs commentaires des magazines BBC Music et Gramophone, rapportés par le site Boxset.me, en date du 8 octobre 2021 :

 

Une aventure de recherche musicale d’œuvres demeurées méconnues et assez peu interprétées,

de la part de ce passionné, et toujours intéressant, qu’est Johannes Pramsohler.

Ce mardi 7 décembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’admirable engagement du ténor Michael Spyres : deux passionnants entretiens sur l’humanité splendide de son parcours pas seulement musical

19déc

En écoutant le très beau récital Espoir _ soit le CD Opera Rara ORR251 _

du ténor américain Michael Spyres

_ né en 1980 à Mansfield (Missouri) _,

admirable tout spécialement tant dans le répertoire rossinien que dans Berlioz

ainsi que l’opéra français,

je découvre un  très bel _ et très attachant : quelle humanité splendide éclaire et fait rayonner cet artiste !!!entretien, en 2018, de celui-ci

avec Emmanuelle Giuliani.

Le voici _ avec mes farcissures.

Entretien avec Michael Spyres

 

 

 

 

 

Afin de préparer un portrait, à paraître dans La Croix (publié ce vendredi 5 octobre, veille de la représentation, samedi 6, de Fidelio au Théâtre des Champs-Élysées où le ténor américain incarne Florestan), j’ai eu la chance _ oui ! _ de recueillir cet entretien avec Michael Spyres.

Il est long mais si éclairant sur la personnalité et l’engagement de ce formidable artiste que je vous le propose dans son intégralité. Non sans remercier chaleureusement ma collègue Célestine Albert qui en a assuré la traduction, bien mieux que je ne l’aurais fait.

Bonne lecture et à très bientôt !


 Vous interprétez prochainement à Paris le rôle de Florestan dans Fidelio de Beethoven. Comment abordez-ce personnage ? Comment le décrire musicalement et psychologiquement ? Quelle sont les difficultés du rôle.

Michael Spyres : Je pense que la meilleure façon d’aborder le personnage de Florestan est de le faire à travers le prisme des Lumières _ en effet. Il faut comprendre _ bien sûr ! _ la densité et la profondeur des personnages typiques de cette période. L’allégorie de la grotte de Platon est très présente dans le livret et l’on doit voir Florestan comme l’incarnation de l’injustice ou, en des termes qui correspondent davantage à la philosophie jungienne, de l’animal piégé dans une forme humaine.

Le personnage de Florestan représente la condition humaine et la lutte intérieure qu’un homme éprouve dans sa quête d’espoir et de liberté _ une thématique qui résonne puissamment dans la personnalité même de Michael Spyres, et son parcours existentiel, au-delà de son parcours professionnel. Beethoven, comme Mozart avant lui, était bien conscient de ces mythes ancrés dans la tradition maçonnique (il n’y a certes toujours pas de preuve irréfutable que Beethoven ait été lui-même Franc-maçon, mais il avait de nombreux amis qui l’étaient). En fait, le parcours et la dualité de Florestan et Leonore sont à mettre en parallèle avec ceux de Pamina et Tamino, dans la Flûte enchantée. L’objectif est de réaliser que nous devons œuvrer ensemble à trouver une harmonie intérieure, au sein du monde physique. Nous devons tous aspirer à être justes et courageux _ un idéal en perte de vitesse à l’heure du narcissisme égocentré d’un utilitarisme de très courte vue… _, afin de donner un sens à ce monde. Tous les personnages et thèmes évoqués mettent en perspective les désirs du public de l’époque de se libérer de gouvernements tyranniques _ oui.

Face à l’étendue de ces sujets, je dirais que la plus grande difficulté dans l’interprétation du rôle de Florestan est de rester dans la technique et de ne pas se laisser emporter par l’émotion en chantant…

 Votre répertoire est extrêmement vaste. Est-ce important pour vous de chanter des œuvres si variées, de Mozart à Gounod en passant par Berlioz ? Comment abordez-vous un nouveau personnage ? Y en a-t-il que vous savez que vous allez abandonner avec l’évolution de votre voix ? Est-ce difficile ?

..;

Michael Spyres : C’est amusant que vous me demandiez cela, car j’ai fait énormément de recherche sur les répertoires des chanteurs passés _ et pas seulement des compositeurs : voilà qui est passionnant. Florestan sera mon 77e rôle dans, au total, 70 opéras différents. Placido Domingo est le seul ténor contemporain ayant interprété plus de rôles que moi, et j’ai bon espoir de rattraper son total de 150 rôles ! Je ne dis pas cela pour me vanter, mais plutôt pour que les gens prennent conscience qu’il n’est pas si rare qu’un chanteur ait une carrière aussi variée _ un point notable _ que la mienne, même au XXe siècle _ voilà qui élargit considérablement les focales… Si l’on s’intéresse _ culturellement _ aux grands ténors du passé, tels que Jean de Reszke, Mario Tiberini, Manuel Garcia, Giovanni David ou, le plus grand d’entre tous, son père Giacomo David, on constate à quel point les répertoires de ces chanteurs légendaires étaient vastes. Leur carrière _ et ce qui en découle pour l’interprétation _ est devenue pour moi une réelle obsession. Si eux l’avaient fait, j’en étais capable aussi _ voici le défi que se donne Michael Spyres pour ses propres interprétations…

Au fil de mon parcours, j’ai appris quelque chose d’absolument essentiel, que peu de gens ont la chance d’intégrer : la voix et la technique ont besoin de ces variations _ de répertoire _ pour rester performantes, ne pas devenir rigides _ voilà. Je dois avouer qu’il est de plus en plus difficile _ physiquement, pour la voix, en son évolution _ de maintenir certains rôles à mon répertoire, comme les Rossini les plus légers, mais je chanterai toujours du Rossini et du Mozart, tout en continuant, dans les années à venir, à m’essayer aux répertoires plus lourds : Verdi, Wagner et le grand opéra français.

Au Met à la fin des années 1800, De Reszke chantait Roméo, Tristan et Almaviva dans la même semaine, ce qui nous semble insensé aujourd’hui. Très peu de personnes sont prêtes à sortir de leur zone de confort, mais c’est pourtant précisément ce qui m’a permis d’acquérir l’expérience _ voilà _ et la technique _ aussi _ qui en découle _ tout se tient… _, pour survivre dans cette folle profession !

De plus en plus, vous devenez un grand interprète de l’opéra français. Est-ce un répertoire que vous aimez particulièrement ? Pourquoi ? Et comment avez-vous travaillé votre diction pour parvenir à ce point de perfection ? 

Michael Spyres : J’aime le répertoire français dans toute sa splendeur _ c’est dit. La musique et les sujets abordés _ qui importent donc à Michael Spyres _ sont d’un génie inégalé. Les idéaux fondamentaux de la Renaissance et de la Révolution sont au cœur même du Grand Opéra français _ voilà _ et il n’y a pas de forme d’art plus élevée qu’une pièce comme Les Troyens de Berlioz _ en effet !

J’ai grandi en pensant que j’aimais l’opéra italien, puisque c’est l’une des seules formes d’opéra populaire aux Etats-Unis. Mais dès que j’ai commencé à étudier l’opéra sérieusement, le style français a pris possession de mon cœur et mon âme _ voilà une affinité essentielle qu’a ainsi découverte Michael Spyres. Si les grandes questions de la vie vous importent _ voilà _ et que vous lui cherchez un sens _ au-delà des utilités fonctionnelles de circonstance… _, comment ne pas être en admiration face aux accomplissements de la France _ et du génie français, voilà _, depuis l’époque Baroque _ dès le début du XVIIe siècle et le gallicanisme des rois Bourbon _ et jusqu’au XXe siècle ? La France était le centre névralgique de tous les idéaux occidentaux _ oui _ et il n’est pas étonnant que Rossini, Donizetti, Meyerbeer et Verdi soient tous allés chercher leur liberté artistique _ voilà le concept _ en France.

Quant à mes capacités linguistiques en Français, je suis totalement autodidacte. J’ai toujours été assez entêté, mais je crois aussi que, comparé à d’autres, j’ai un don pour imiter les sons _ les phonèmes _ parfaitement, parce que je suis obsédé par la conception même des sons. Pour tout vous avouer, mon objectif dans la vie était de devenir doubleur de dessins animés, et c’est d’ailleurs ainsi que je me suis mis au chant. Honnêtement, le français est la langue que j’ai eu le plus de mal à maîtriser à cause de  son incroyable manque de logique en termes de voyelles ! Ce n’est pas du tout une critique, mais tout comme avec l’anglais, il est très difficile pour une personne dont le français n’est pas la langue maternelle d’en maîtriser toutes les exceptions…

Quelle est votre relation avec votre voix ? Est-ce toujours une amie, devez-vous parfois lutter avec elle? Devez-vous penser à la ménager ou au contraire à repousser ses limites ?

Michael Spyres : Je peux sincèrement dire que ma vie est le chant. J’ai commencé à chanter avant même de savoir parler. Je viens d’une famille qui vit en musique, dans laquelle chaque personne sait chanter et a toujours chanté. Ma mère _ Terry Spyres _ et mon père _ Eric Spyres _ étaient tous deux professeurs de chant _ voilà _ et nous chantions en famille à chaque mariage, enterrement, ou événement de notre enfance. Ma sœur _ Erica Spyres _ est aujourd’hui à Broadway, et mon frère _ Sean Spyres _ et moi tenons la compagnie d’opéra _ the Springfield Regional Opera _ de notre ville natale _ Springfield, Missouri, est en effet la grande ville proche de sa petite ville natale, Mansfield, Missouri. Ma femme _ Tara Stafford-Spyres _ est également chanteuse et, en avril dernier, nous avons produit ma version et traduction de Die Zauberflöte. Ma femme chantait la Reine de la nuit, ma mère _ Terry _ s’est chargée des costumes, mon père _ Eric _ a fabriqué le décor et mon frère _ Sean _ interprétait Tamino en plus d’être assistant metteur en scène. Comme vous pouvez le constater, je ne suis jamais seul dans mon voyage musical et je peux toujours compter sur ma famille lorsque j’ai besoin d’aide.

Je crois qu’il est nécessaire de repousser ses limites en tant que chanteur pour comprendre _ voilà _ son instrument. J’ai le sentiment que très peu de personnes explorent réellement leur voix _ l’authentique curiosité est bien rare ! _ et, du coup, très peu savent la maîtriser. J’ai eu la chance d’avoir assez tôt deux professeurs de musique en l’espace de trois ans. Ils m’ont appris les bases d’une bonne technique lyrique, mais j’ai abandonné les études à 21 ans pour prendre une direction radicale. J’ai constaté que la seule façon pour moi de prendre le contrôle de ma vie et de réussir dans le monde de l’opéra était d’apprendre de mon côté _ de manière autonome _ à contrôler cet instrument qui est en moi. Le chemin pour devenir ténor a été long et plein d’épreuves mais, finalement, le chant doit être un accord organique entre vous et votre voix, sans influence extérieure _ « Vademecum, vadetecum« , telle est la juste devise des éducateurs libérateurs… Les professeurs et livres de technique ont un rôle inestimable mais, si vous n’avez pas une confiance absolue dans vos propres axiomes et votre structure, vous êtes voué à l’échec _ oui. L’apprentissage cultivé (à bonne école) de son autonomie est en effet fondamental.

Il y a peu de ténors, c’est une voix qui fascine le public, et on imagine que vous subissez une grande pression de la part du monde musical. Comment y résistez-vous ? Comment refusez-vous les propositions qui ne vous conviennent pas ou ne vous plaisent pas ?

Michael Spyres : Pour être tout à fait honnête, je n’arrive pas vraiment à dire non, et c’est quelque chose que j’essaye d’apprendre avec l’âge _ oui, cela aussi s’apprend, et toujours à son corps défendant ; en apprenant, peu à peu, à toujours un peu mieux résister. L’an dernier _ en 2017, donc _, je suis arrivé à un stade de ma carrière assez crucial, parce qu’ il y a dix ans, je m’étais fixé comme objectif  d’explorer un maximum de répertoires, et je m’épanouis dans les « challenges » _ les défis à soi-même. Mais j’ai été confronté à mes limites physiques et au vieillissement. Au cours de la saison 2017-2018, j’ai joué dans 8 productions, fait 7 concerts dans 8 pays différents et j’ai fini par devoir, pour la première fois, annuler un concert et une représentation parce que j’étais malade. Au cours de cette dernière année _ 2017 _, mes opportunités de carrière ont vraiment pris un tournant et je suis dans la position merveilleuse _ oui, à l’âge de 38 ans en 2018 _ de pouvoir choisir ou décliner une proposition.

La plupart des gens considèrent que le chanteur est seul responsable de son parcours, mais vers 20 ans, j’ai constaté que l’image que l’on se fait de sa propre voix n’est pas forcément celle que se font les autres. L’une des principales raisons qui m’a poussé à varier autant mon répertoire venait aussi du constat que chaque pays avait sa propre opinion _ réception _ de ma voix _ toujours en fonction d’un contexte culturel particulier… J’ai découvert que, pour réussir _ professionnellement : obtenir des contrats _, il fallait trouver un compromis entre ce que vous voulez faire et les besoins de l’industrie et du marché musicaux. Je fais _ donc désormais _ partie d’un groupe très restreint de chanteurs qui peuvent dire non. Mais le plus important dans ma prise de décision est de savoir si le rôle me correspond _ vocalement et culturellement _et s’il fait évoluer _ positivement : progresser _ ma carrière _ selon l’idéal que Michael Spyres se donne.

Je n’ai que récemment atteint un niveau qui me permet de choisir un rôle. Je me demande alors : « cette œuvre a-t-elle une bonne raison d’exister ? » _ en elle-même, et indépendamment du contexte des circonstances où  elle a pu voir le jour… La plupart des gens n’aiment pas l’avouer mais de nombreux opéras ont été composés simplement dans une recherche _ très circonstancielle _ de profit ou par pur narcissisme _ de son créateur _, et, de ce fait, me semblent n’avoir guère ou même aucune de raison d’être _ maintenant, et à l’aune de l’éternité _ interprétés.

Je ne me prononce pas sur les différentes productions, intellectuelles ou non, mais je suis vraiment heureux de pouvoir désormais choisir sans avoir à dire oui à tout. Je veux aller de l’avant _ artistiquement et culturellement : voilà ! _ et je consacre ma carrière à promouvoir les opéras les plus bouleversants et les plus importants, ceux qui ont été composés pour élever l’humanité _ culturellement _ à un plus haut niveau de conscience en nous forçant à l’introspection et à l’éveil de notre esprit _ cette prise de position est donc à bien remarquer.

Quels sont les interprètes actuels ou passés, chanteurs ou instrumentistes (ou même comédiens, écrivains, peintres…) qui vous inspirent et enrichissent votre propre travail d’artiste ?

Michael Spyres : La liste est longue mais je dirais que les personnes qui m’ont le plus influencé sont, toutes catégories confondues _ on remarquera ici que Michaël Spyres commence par citer des peintres, bien avant des chanteurs, des chefs d’orchestre (un seul : John Eliot Gardiner) et des compositeurs (deux : Rossini et Berlioz) _  : Wassily Kandinsky, Francisco Goya, René Magritte, Hieronymus Bosch, Michael Cheval, Norman Rockwell, Harry Clarke, Thomas Hart Benton, Jan Saudek, Hundertwasser, Alphonse Mucha, Jordan Peterson, Jonathan Haidt, Thomas Sowell, Michio Kaku, Stephen Pinker, Camille Paglia, Mario Lanza, Nicolai Gedda, Roger Miller, Nick Drake, Tom Waits, Air, Andrew Bird, Harry Nilsson, Kishi Bashi, Sleepwalkers, J Roddy Walston and the Business, Vulfpeck, Maria Bamford, Hans Teeuwen, Norm Macdonald, Reggie Watts, Thaddeus Strassberger,  Le Shlemil Theatre, John Eliot Gardiner, Wes Anderson, Terry Gilliam, Alejandro Jodorowsky, Rossini, Berlioz, et surtout, ma famille.

Comment avez-vous décidé de consacrer votre vie au chant ? Avez-vous parfois douté ? Comment, aux Etats-Unis, la musique classique (et, plus particulièrement l’opéra) est-elle considérée dans la société ? Est-ce un art populaire ou au contraire plutôt élitiste ?

Michael Spyres : Comme je vous le disais, la musique coule dans les veines de ma famille, mais je ne me suis mis à envisager cette carrière qu’à 21 ans. Mon rêve était de devenir le futur Mel Blanc (la voix _ le fait est très remarquable _ qui doublait tous les dessins animés d’antan) et d’entrer dans ce milieu de l’animation, si possible en devenant acteur pour Les Simpson. Après une période de réflexion, j’ai compris que si je ne tentais pas une carrière dans la musique _ et pas seulement la diction _  et plus particulièrement, l’opéra, je le regretterais.

Je suis l’homonyme de mon oncle Michael. Son rêve était de devenir chanteur d’opéra mais il est décédé d’un cancer de la gorge à l’âge de 38 ans, alors que je n’étais qu’un bébé. J’ai grandi dans l’ombre de cette histoire, en sentant que mon destin était au moins d’essayer d’embrasser la carrière qu’il n’avait jamais pu avoir.

Bien-sûr, j’ai eu des doutes, toute ma « vingtaine » a été remplie de doutes… Mais quand j’ai eu trente ans, j’ai su avec certitude que je pouvais faire carrière dans l’opéra.

La musique classique, et l’opéra en particulier, sont considérés comme une forme d’art élitiste aux Etats-Unis, mais cette perception est en train de changer avec les plus jeunes générations qui découvrent la joie et les messages profonds _ c’est donc fondamental pour Michael Spyres _ véhiculés par la musique. Mais soyons honnêtes, l’opéra et la musique classique ont, en effet, toujours été une forme d’art élitiste, tout simplement parce qu’il faut beaucoup d’argent et de temps _ bien sûr _ aux artistes pour arriver au niveau de compétence _ artisanale _ nécessaire _ oui ! _ à cette profession. Pour réussir quelque chose d’aussi beau que le classique ou l’opéra, l’élitisme est et a toujours été une force. Même si je pense que tout le monde peut apprécier cet art, il reste dominé par un petit groupe d’artistes et de philanthropes.

Je peux dire toutefois que l’opéra et la musique classique me semblent bien plus démocratiques aux Etats-Unis qu’en Europe où une grande partie du budget est subventionné par l’Etat. Chez nous, les gens sont très fiers d’apporter leur soutien et nos budgets sont presque entièrement financés par des personnes privées.

Êtes-vous engagé sur le plan social, éducatif, voire politique ? Être un artiste donne-t-il selon vous des responsabilités dans la société ?

Michael Spyres : Je suis très investi dans le monde des arts et je crois de tout mon cœur qu’il est de notre devoir en tant qu’artistes d’enseigner _ oui ! _ et de donner son temps à la communauté et à la société au sens large _ c’est là une mission civilisationnelle. L’enseignement est aussi dans mon ADN, puisque tous les membres de ma famille ont été professeurs à un moment ou un autre.

J’ai, en outre, la chance de pouvoir changer la vie de beaucoup de personnes à travers mon rôle de directeur artistique de la compagnie d’opéra de ma ville natale : l’opéra régional de Springfield _ Missouri. Mon frère _ Sean _, ma mère _ Terry _ et moi avons réalisé des projets ensemble, ils ont notamment écrit deux opéras pour enfants _ dont Voix de ville. Nous avons tourné dans les écoles les plus pauvres de notre région avec ces deux créations originales et, à travers l’opéra, nous avons réussi à transmettre des leçons importantes sur la vérité et la responsabilité.

Je crois que beaucoup d’artistes oublient qu’il est de leur devoir de mettre en lumière certains problèmes de la société. Éduquer le public au sens large est primordial _ et c’est fondamental : face à la crétinisation galopante des esprits. Mon père, comme professeur de musique, m’a appris que cet art était une forme de méta-éducation et qu’à travers elle, on pouvait enseigner une grande variété de sujets _ bien sûr. Qu’est-ce qu’une éducation qui n’est pas artistique !?! Avec une simple chanson, vous pouvez apprendre une langue, des maths, de la géographie, de la sociologie, de la philosophie… La musique est un point d’entrée vers la compréhension de l’humanité _ oui _ et, en tant qu’artistes, nous sommes en possession d’un outil de transmission _ et plus encore formation-libération _ très puissant, qui connecte _ de manière désintéessée et généreuse _ les gens _ pour le meilleur, et pas pour le pire.

Lorsque vous voyagez pour vos concerts, avez-vous le sentiment que, depuis l’élection de Donald Trump, l’Amérique est vue différemment dans le monde ?

Michael Spyres : Je suis sûr que certaines personnes perçoivent désormais les Etats-Unis différemment, mais cela n’a jamais été un problème pour moi. Ayant vécu 17 ans en Europe, dans six pays différents, j’ai pu voir des aspects à la fois merveilleux et terribles dans chacun d’entre eux, y compris le mien.

Mais j’ai fini par comprendre qu’il ne fallait pas s’attarder sur les effets que la pensée ou la projection collective d’une nation toute entière peuvent avoir sur vous. Je crois en la souveraineté individuelle _ de la personne ayant conquis son autonomie _ et à l’éveil intellectuel _ et culturel : seul vraiment épanouissant _ et j’essaye de vivre et d’avancer en fonction de cela.

L’un des plus beaux moments de ma vie a été de chanter en duo avec ma femme _ Tara _ à Moscou, à un moment où la relation avec les Etats-Unis était assez compliquée… Après le concert, deux hommes sont venus nous parler dans un anglais parfait pour nous dire à quel point cela les avait touchés de m’entendre chanter dans leur langue natale et combien ils pensaient que notre concert avait apaisé les tensions. Certaines personnes se sont mises à pleurer lorsque j’ai chanté « Kuda, kuda… » _ l’admirable air de Lenskidans Eugène Oneguine et il n’y a pas de sentiment plus grand, ni de façon plus douce, d’apaiser les mœurs que par la musique.

J’ai l’impression que, trop souvent, les gens se laissent dominer par des tendances naturelles « tribales », mais un grand air ou lied peut transcender tout cela _ vers l’universel _ et aider au bien commun de l’humanité, dans la lutte, la joie, le deuil ou l’amour.

En dehors du chant, quelles sont les arts ou les activités qui vous sont nécessaires, qui nourrissent votre esprit et votre émotion ? Comment parvenez-vous à garder votre équilibre de vie avec un métier si exigeant et si prenant ?

Michael Spyres : J’ai très peu de hobbies parce que ma vie est principalement partagée entre ma carrière de chanteur, ma compagnie d’opéra et mon rôle de père. Je joue de la guitare et du piano quand j’en ai l’occasion, chez moi, et j’aime emmener mes fils explorer les bois de notre ferme. Mais honnêtement, quand je ne travaille pas, je passe une grande partie de mon temps à lire des livres de philosophie, de psychologie, d’économie et de sciences _ des livres d’humanités.

Quant à la recherche d’un certain équilibre, c’est vraiment le défi le plus difficile à mes yeux, parce que lorsque vous adorez votre job et que vous aimez travailler autant que moi, vous devez constamment vous forcer à faire des pauses _ certes. Le fait d’avoir mes deux fils et ma femme m’aide à rester ancré dans la réalité _ oui _ et je dirais que le plus dur avec cet emploi du temps de plus en plus chargé est de trouver l’équilibre entre mon temps de travail et ma famille.

J’ai beaucoup de chance d’avoir cette carrière et je n’ai pas encore trouvé beaucoup d’aspects négatifs liés au succès, outre la pression grandissante que je m’impose pour me donner à 100% _ bien sûr. J’ai eu beaucoup d’emplois différents dans ma vie, gardien, jardinier, professeur, serveur, ouvrier du bâtiment, et je suis vraiment heureux de pouvoir gagner ma vie en rendant les gens heureux… Qu’y a-t-il de plus gratifiant ?

Une nouvelle saison musicale commence, vous préparez bien sûr les prochaines… quels sont les projets mais aussi les envies qui vous tiennent le plus à cœur : nouveaux rôles, nouveaux chefs, metteurs en scène ou partenaires, nouveaux pays ?

Michael Spyres : Comme l’an passé, je suis incroyablement pris mais j’ai évidemment hâte de jouer dans Fidelio et ensuite, de retourner au Carnegie Hall avec John Eliot Gardiner _ que Michael Spyres apprécie tout particulièrement. En octobre _ 2018 _, je ferai mes débuts au Concertgebouw d’Amsterdam, et juste après _ le 6 novembre 2018 _, j’interprèterai mon premier récital _ intitulé Foreign Affairs (avec le merveilleux À Chloris, de Reynaldo Hahn)_ avec Mathieu Pordoy _ au piano _, à Bordeaux _ au Grand-Théâtre. Au début de l’année 2019, je jouerai pour la première fois au Teatro Carlo Felice de Gênes à l’occasion d’un récital avec ma chère amie Jessica Pratt, puis je me rendrai au Wiener Staatsoper !

Après Vienne, je ferai mes débuts à Genève, aux côtés de ma collègue Marina Rebeka, pour une Le Pirate de Bellini que nous enregistrerons également. En avril _ du 30 mars au 9 avril _, j’aurai le privilège de jouer le fameux rôle de Chapelou dans la production de Michel Fau _ merveilleux metteur en scène _ du Postillon de Longjumeau _ d’Adolphe Adam _, qui sera présenté pour la première fois depuis 1894 à l’Opéra-Comique _ bravo ! Fin avril, j’aurai la chance de réaliser un nouveau rêve en m’associant avec de fantastiques collègues, Joyce Didonato et John Nelson, dans l’interprétation et l’enregistrement pour Erato de mon rôle préféré : Faust dans La Damnation de Faust, de Berlioz

_ cf mes articles des 13  et 14 décembre derniers :  et

En mai 2019, je reviens une fois de plus à Paris en tant que soliste du Lelio de Berlioz, avec François Xavier-Roth. Je ferai également mes débuts en tant que Pollione dans Norma de Bellini, et le mois sera marqué par mon retour à l’Opernhaus de Zurich. Entre ces deux performances, je retournerai à l’Oper Frankfurt dans le cadre d’une tournée en récital. Je terminerai la saison en jouant le rôle principal dans l’opéra épique Fervaal, de Vincent D’Indy, au Festival de Radio France Occitanie, à Montpellier.

Souhaitez-moi bonne chance et… une bonne santé ! _ certes !

Emmanuelle Giuliani

Voici encore un autre très intéressant entretien _ en anglais cette fois, en janvier 2016, et avec Rose Marthis _ avec Michaël Spyres, et à propos de son engagement très actif auprès du Springfield Regional Opera,

chez lui, dans le Missouri :

SIX QUESTIONS WITH MICHAEL SPYRES

The Mansfield native has performed in operas all over the world, and is now artistic director of Springfield Regional Opera.


BY ROSE MARTHIS

Jan 2016

Michael Spyres of the Springfield Regional Opera

Photo by Kevin O’Riley

Michael Spyres spent his childhood in Mansfield _ Missouri _ singing at every town wedding and funeral with his musically-inclined family. He became interested in opera because he was named after an uncle who aspired to be an opera singer but died at a young age _ 38 ans _ from throat cancer. His mother _ Terry _ and father _ Eric _ were both music teachers, and he grew up on stage. After landing his first role at the Springfield Regional Opera when he was 18 years old, Spyres found his way to Europe at age 24. Now, in addition to his singing career, he has come back to take over the artistic direction of the opera company that gave him a shot—and he’s bringing innovations that could usher in a new era in opera.

… 

417 Magazine : Why did you decide to come back to SRO _ Springfield Regional Opera _ while continuing your career in Europe?


Michael Spyres : The big reason I wanted to come back was to help out the company that gave me the first chance _ voilà. I wouldn’t be in this position without having had the opportunities that I had in Springfield. By the time I was 22 years old, I had already done six roles in a real opera company with an orchestra. Most of my colleagues and friends when I was in these other programs were 22 but they had never even gotten to sing with orchestras. Because Springfield was such a perfect place for me to learn, I got to grow with this company. I just thought it was a perfect time in my career for me to come back and teach the next generation of people _ voilà : donner (avec reconnaissance) comme l’on a reçu _ and give them what has been lacking in the last few years. Give some of these wonderful talented kids from our Ozarks area _ son terroir natal _ a direction and show them that it is absolutely possible and you can achieve your dreams _ oui : « Deviens ce que tu es » !.. _ and do exactly what I did.  I’m from the smallest town you can think of where people have never even heard of opera, but now they know what opera is because I sing all over the world. And I did it from the Ozarks.

…  

417 : Did you make any connections in Europe that can help you in your new role?


M.S. : I have some really good friends in France, Italy and Austria that I’ve kind of recruited and have talked to them about my vision for the opera company. They have all agreed to come to Springfield for very little money and help me with my vision to turn Springfield into an internationally known regional company that does innovative things _ bravo !

… 

417 : Tell us about your vision for SRO.


M.S. : One of the big things that we’re going to be doing is streaming our operas live on YouTube and Facebook. The technology has been around for a couple years but no one has ever done it. Most of my friends who are well known directors, they are going to be coming to Springfield and will be bringing a completely international flair to Springfield by putting on their productions. We’ll be using local talent for singers, and a few of my other friends who are bigger names will come in and be able to sing with our company while teaching at the same time. I want it to be a training grounds _ quel projet  magnifique !

417 : How do you want opera to influence the arts scene in 417-land?


M.S. : I love Springfield but it does seem that a lot of the arts organizations think that there’s a competition going on, but there isn’t. There’s enough public, there’s enough money in the art scene for it to all go around, and it all helps if we bring each other in and we help each other. That’s one of the big things that Christopher Koch, the new music director, and I have been talking about a lot. It’s the inclusion and taking everybody from the theater, and the symphony and the ballet to come together for a project. The opera is a very, very important art form because it’s the first and only one that includes everybody _ oui _ : actors, singers, dancers, composers, directors, lighting people, sound tech, everything is all in one. That’s what opera was originally conceived to do, to be a conglomeration of all the arts _ oui _, where everyone was working together. One of our biggest goals is to always have a project that connects either the symphonies or ballet or street actors or circus performers.

417 : How do you want to partner with the other local arts organizations?

I don’t want to give too much away, but we do have the next three years planned. In opera, we don’t use amplification of the voice;  it’s the natural human voice that has to project over the orchestra. That’s why opera is such a different art form than musicals. Traditional musicals were like that, and they are now sometimes, but for the most part everyone’s miked, which takes away, for me, some of the art and the craft. We are definitely going to be showing people what the power of the human voice can be and how incredible it is _ voilà. To go, wow are they going to get through and be able to sing it ? You know, make it a spectator sport.

… 

417 : What do you want people here to learn about opera?


M.S. : The big thing that I want to do in these next years is educate people about what opera actually is and what it isn’t _ voilà. Everyone has these preconceived notions about what opera is. You say “opera” and they all think, “Oh yeah, fat lady with horns.” And they just think Wagner _ oui. It’s just so not that. Once you understand the origins of what opera is you start to realize, oh my gosh, that’s what influenced everything. Musicals and movies and everything was composed after opera _ oui. Opera was the base for everyone to come together with ideas. Movies would have never happened without opera _ c’est dit.

Five Tips for Opera Novices

Springfield Regional Opera artistic director Michael Spyres shares what you need to know about opera.

1. Opera was conceived as an art form that was the first of its kind in an attempt bring together all of the various art forms into one performance. Opera was born out of the Renaissance period and the etymology of the word actually means “to work”. The Italians chose this word for their new art form in order to symbolize the message of this new art form. Opera was truly conceived to be a transformative art form both for performers and the public as it sought to enlighten and inspire change in society _ l’opera est en effet conçu comme ouvert à un large public : à Venise d’abord.

2. Not all Opera is in Italian ! While it is true that many Operas are composed in Italian, Operas have been written in virtually every language. Generally speaking they are categorized into Italian, German, French, Russian and English genre operas. In the last 150 years new operas have been and are still being composed in various languages spanning entire globe. Again, Opera is a transformative and reflective art form that most always seeks to hold up a mirror to society in order to provoke change _ oui _ and so it is no wonder that Opera is being composed in almost every language worldwide!

3. Opera is an art form, but also as a collaboration, a partnership of people and community. There is no grander form of live entertainment (with the exception of live television.) Depending on the size of production an Opera will bring together anywhere from a hand full to more than 300 participants working simultaneously backstage as well as in the orchestra and on stage _ oui : l’entreprise est collective. You can see why many people consider Opera to be a living art form in that massive amounts of people come together for a common cause and every performance is different. In fact, if Opera had not laid out this massively collaborative art form we would surely not have our beloved art forms of musicals or even movies.

4. Don’t worry if you don’t speak the language that it is in. Supertititles (Translation to a screen above) are the norm in most opera houses. Even if there are no supertitles if you just pay attention and enjoy the art form that is in front of you, you will easily understand what is going on onstage. A good rule of thumb is to do just a little bit of research online before coming to the Opera _ par exemple _ ; so you can get a good framework of the storyline. After all most of us don’t go blindly to a movie without researching beforehand and opera is no different.

5. Don’t be afraid of Opera. We all have preconceived notions about what Opera is (large people yelling in funny hats often comes to mind) but if you have never been to an Opera you really are missing out. If you ask yourself “why is this artform still around after over 400 years ?” you are on the right track. The answer to this question I would propose is because of its intoxicating potion of complexity. Opera is an evolving artform that is tailored to evoke thought and change within _ voilà. It is true that some opera was conceived to just have a good time and entertain like most Hollywood box office films, but the majority of opera is composed in essence like folk music in that there is a reason and strong story behind the subject matter. Love, anger, reverence, and awe are just some of the emotions that are within us ; and Opera provides a beautiful art form in which to celebrate and transform the human condition. Don’t just take my word for it, come see for yourself!

L’admirable degré d’humanité _ et engagement de terrain _ de Michael Spyres

est splendide !

Ce jeudi 19 décembre 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur