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Et la joie très généreusement communicative de Georg-Philipp Telemann…

27jan

La musique de chambre et de plein air

de Georg-Philipp Telemann (1681 – 1767)

a le formidable pouvoir de dispenser une incommensurable _ inlassable _ joie.

L’homme lui-même était particulièrement généreux ! 

Si, à ma connaissance, le 250 éme anniversaire _ en 2017 _ de la disparition de Telemann

n’a pas donné lieu à de nouvelles réalisations discographiques complètes de ses Concerts

_ mais serait-ce seulement envisageable ? _,

nous avons tout de même eu quelques réalisations en CDs

de ses merveilleuses Suites orchestrales _ dans le style français ;

et l’on en redemande !!! _,

mais aussi quelques très réussis CDs de musique de chambre,

je veux dire de ses très brillantes et magnifiquement réjouissantes Sonates en Trio !

À preuve,

cet étourdissant double album des Essercizii Musici

de l’excellent Ensemble Florilegium

_ le double CD Channel Classics CCS 40118 _ ;

dont nous n’avons plus, maintenantant, qu’à nous languir d’attendre la parution du jumeau

_ un second double album ! qui viendrait compléter la collection ! _,

afin de disposer par eux

de l’intégralité de cette production télémanienne de 1740.

Réjouissons-nous donc dès maintenant

de cette jubilatoire interprétation par Florilegium

de cette musique si formidablement pourvoyeuse de joie !!!

Ce dimanche 27 janvier 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

Afin de fêter le passage à une nouvelle année…

31déc

Afin de fêter le passage à une année _ de vie _ nouvelle,

je veux redonner ici un texte mien

datant du printemps 2007 _ presque douze ans déjà _,

et retrouvé, par chance, l’automne 2016.

A l’origine,

il s’agissait d’un projet de préface

à une publication qui n’est finalement pas advenue,

celle d’une correspondance débridée par courriels

avec l’ami photographe _ génial ! _ Bernard Plossu.

En réponse à quelques remarques, sunon objections, d’amis

à mes propositions de thèses,

j’ai à la suite développé tout un essai,

demeuré inédit,

intitulé Cinéma de la rencontre : à la ferraraise ;

et sous-titré

Ou un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni,

en m’appuyant sur une analyse minutieise et étoffée

de la sublime première séquence _ ferraraise ! _ du film testamentaire 

du ferrarais Michelangelo Antonioni,

Al di là delle nuvole.

Ferrare,

ou la civilisation délicatissime et un peu cruelle aussi, des Este.

Je développais cela aussi en mon essai.

En voici donc le premier élan, l’envol, le départ :

« Pour célébrer la rencontre » : un texte mien de 2007 « retrouvé » !

— Ecrit le mercredi 26 octobre 2016 dans la rubriquePhilo, Rencontres”.

Revoici un texte provisoirement égaré,

et retrouvé.

Pour célébrer la rencontre

Les rencontres changent forcément les vies _ tel le clinamen de Lucrèce.

Des rencontres, il en des de fâcheuses, voire de tragiques, en tout cas de mauvaises. On s’en voudra toujours, forcément, de n’être pas ce jour-là resté bouclé chez soi, ou, au moins, sur son quant à soi. Mais c’est trop tard.
Des rencontres, il en est, en foule _ c’est même le tout-venant _, d’insipides et vides, affectées seulement de leur propre bulle de vacuité _ nullité et néant de remplissage qui s’étonne même, stupidement, d’exister.

En fait, la rencontre, ici, n’a pas lieu. Il y a erreur de vocabulaire. Ce ne sont que des ombres qui se croisent et se manquent _ comme les parallèles d’Euclide, sans le choc bien physiquement sensible du clinamen…
Et il s’en trouve aussi quelquefois d’heureuses _ un amour, une amitié qui se découvre _ qui ne courent tout de même pas les rues, même s’il faut bien sortir un peu pour faire des rencontres.

Car, avec la rencontre, avec ce moment improbable, et imprévu, d’une rencontre avec une personne singulière devenant soudain quelqu’un de plus ou moins important pour soi, voilà que le monde, qui paisiblement vient de prendre sans à-coup quelque millimètres à peine d’expansion _ à moins que ce ne soit le monde environnant qui se soit gentiment écarté, reculé _, voilà donc que le monde se met à laisser bruire, sans doute par l’interstice infime qui vient d’advenir, telle des lèvres, dans le sol, dans la croûte terrestre, ou dans le bleu du ciel, un murmure champêtre, un air infinitésimalement plus léger, une harmonie douce et discrète comme un secret qu’on ne devine qu’à la puissance de quelques lointains effets : l’air à l’entour, comme par un apport d’oxygène, se colore maintenant d’un vivifiant éclat, d’une lumière caressante un peu plus chaleureuse, conférant à tout ce qui remue une allure quasi dansée, chaloupée, comme réenchantée _ même si on ne s’en rend pas forcément tout de suite compte. Il vaudrait mieux cependant, tout va si vite…

L’elfe Ariel vient de manifester ses pouvoirs musicaux éoliens dans l’île tempêtueuse où se désolait dans son errance tournoyante de presque lion en cage l’exilé Prospero, de neuf débarqué…

Mais rencontre il y a, à la double condition de savoir et d’oser saisir l’occasion (de rencontrer quelqu’un), occasion peu détectable, qui risque même de passer trop vite quand elle survient _ pour laquelle commencer par ouvrir grand tous ses sens.


De savoir et d’oser la retenir, cette occasion qui passe, en la tenant un peu dans la main _ comme Montaigne nous le raconte superbement, nous livrant, à la fin de son livre (et de sa vie) son art de jouir du présent, en son dernier essai (Essais, livre III, chapitre 13, « de l’expérience« ) à propos de l’expression « passer le temps« .


Je ne résiste pas au plaisir de citer le passage : « J’ai un dictionnaire tout à part moi : je passe le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas passer, je le retâte, je m’y tiens » _ retâter, s’y tenir. « Il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon » _ se rasseoir : quelle superbe litanie de verbes actifs ! Je poursuis la lecture : « Cette phrase ordinaire de passe-temps et de passer le temps représente l’usage de ces prudentes gens _ ah! l’humour et l’ironie de Montaigne ! _, qui ne pensent point avoir meilleur compte de leur vie que de la couler et échapper, de la passer, gauchir _ voilà les antonymes _, et, autant qu’il est en eux, ignorer et fuir, comme chose de qualité ennuyeuse et dédaignable. Mais je la connais autre, et la trouve, et prisable, et commode, voire en son dernier décours, où je la tiens ; et nous l’a Nature mise en mains _ mise en mains, ce n’est pas moi qui le lui fait dire ! _, garnie de telles circonstances, et si favorable, que nous n’avons à nous plaindre qu’à nous si elle nous presse et si elle nous échappe inutilement. » C’est magnifique !

Je reprends : rencontre il y a, à la condition de ralentir un peu le passage, la course affolée du temps.


La rencontre fournit une telle occasion, si et quand on se dit que quelque chose de singulier est en train d’advenir, avec une personne devenant là sous nos yeux quelqu’un de définitivement singulier pour nous. On n’en revient pas, c’est le cas de le dire. Il faut s’y arrêter, y prêter toute l’attention que cela, et d’abord que la personne de l’autre, méritent.

Et même, rencontre il y a, à la condition de retenir le moment, comme un instant encore, et toujours, hébété, qui s’ébroue, et doit, le premier tout étonné, comme s’extirper de la course aveugle et précipitée des secondes trop uniformes d’avant, d’avant cette rencontre, et accédant étrangement, mais royalement, lui, le moment, au hors-temps de l’éternité.

Car le temps nous offre _ ce n’est un paradoxe qu’en apparence _ l’expérience de l’éternité _ du moins à qui sait l’expérimenter, la « cultiver« , dit Montaigne…


Nous n’expérimentons, en effet, l’éternité, que dans le temps, que dans ce que le moment présent tout d’un coup vient nous offrir de possibles, quand le moment se met, à toute allure, à bourgeonner et fleurir, et nous offre la fenêtre, plus ou moins étroite ou large, de l’épanouissement de ce qui n’était qu’en germe. Dans la rencontre, précisément. En ce relativement bref laps de temps, mais qui s’élargit incommensurablement, jusqu’à une dimension d’éternité.

« Nous sentons et nous expérimentons _ ajoute-t-il même _ que nous sommes éternels« , dit, d’expert, le cher Spinoza en son Ethique.

Saisir, tenir, retenir ce moment présent. Afin de se réjouir alors de cette grâce (de la rencontre de cet autre, devenant, ici et maintenant même, important pour soi, important pour nous) comme il convient.

« Tout bon, il a fait tout bon« , se réjouit Montaigne, un peu plus loin que le passage cité plus haut :

« Pour moi donc, j’aime la vie et la cultive _ voilà le mot tout aussi décisif _ telle qu’il a plu à Dieu de nous l’octroyer » _ Dieu ou la Nature : les dispensateurs de la vie… « Je ne vais pas désirant que soit supprimée la nécessité de boire et de manger, et me semblerait faillir non moins excusablement de désirer qu’elle l’eût double ( » Le sage recherche avec beaucoup d’avidité les richesses naturelles« ), ni que nous nous sustentassions mettant seulement en la bouche un peu de cette drogue par laquelle Epiménide se privait d’appétit et se maintenait, ni qu’on produisît stupidement des enfants par les doigts ou les talons, mais, parlant en révérence, plutôt qu’on les produise encore voluptueusement _ bien entendu ! _ par les doigts et par les talons, ni que le corps fût sans désir et sans chatouillement » _ toujours l’humour de Montaigne. « Ce sont plaintes ingrates et iniques. J’accepte de bon cœur et reconnaissant _ c’est le principal ! _ ce que nature a fait pour moi, et m’en agrée et m’en loue. On fait du tort à ce grand tout puissant donneur de refuser ce don, l’annuler et défigurer. Tout bon, il a fait tout bon ( » Tout ce qui est selon la nature est digne d’estime« ) »

Montaigne, ou la célébration de la gratitude, du moins pour qui s’est forgé _ il emploie, je l’ai souligné au passage, le verbe « cultiver » _ l’art de jouir de la vie. A chacun _ Dieu, César, soi-même, la vie, ou la Nature_, et équitablement, son dû.


Et Haendel, lui aussi bientôt au final de sa vie et de son oeuvre :

« Whatever is, is right« , est-il proclamé sublimement au grand choeur conclusif de l’acte II de l’oratorio Jephté, un des sommets, sans nul doute, avec l’ »Alleluhia » du Messie, de l’œuvre haendélien.

Saisir, tenir, retenir_ et se réjouir, dans la rencontre initiale.


Mais pas comme un prédateur, anxieux, brutal et agressif : l’autre n’existe plus, il s’en empare et le croque. Ni comme un malotru, importun et indélicat, qui, sans la distance de l’égard et du respect, abuse déjà du temps de l’autre.

Et il faut, de surcroît, la grâce de l’évidence joyeuse de ceux qui, là, à l’instant, « se trouvent ».


Ou qui se sont trouvés : mais il est forcément bien plus aisé de le reconnaître et de s’en réjouir rétrospectivement, une fois confortés, voire rassérénés, par l’expérience et l’habitude éprouvées par un vécu ensemble prolongé _ qu’il s’agisse de l’amour, mais qu’il s’agisse aussi de l’amitié, toujours aussi neuve et fraîche, elle aussi, à chaque retrouvaille_ que pour l’étonnement tout neuf de la rencontre première et initiale. Celle qui, sans préméditation, vient d’ouvrir un champ fécond et de l’appétit pour une suite… La plongée dans la confiance accordée lors de la rencontre initiale _ cette expression me convient bien _ est un pari sur le présent et l’avenir qu’il ouvre, un don gratuit, une avancée méritoire, un pas confiant et audacieux.

Je reviens à ce moment béni, à cette grâce heureuse de la rencontre initiale.


Il faut le miracle du même hors-monde, dans ce moment réellement partagé _ et pas simplement des parts de temps croisées, échangées.


Outre l’improbabilité physique de la chance (statistique) de cette rencontre, parmi tant de gens, cet art de la reconnaissance du miracle de la rencontre d’ouverture demande infiniment de tact, et cela plurivoquement.

Car ce n’est pas là une présomption. Ce n’est pas là un contrat : ce n’est pas conditionnel. Ce n’est pas là un échange. Encore moins marchand, et a fortiori marchandisé, comme on nous transforme toute relation inter-personnelle désormais. Si nous n’y résistons pas…

Nous ne sommes pas, pour une fois, dans l’univers mesquin du calcul, dans l’aire truquée du donnant-donnant qui se répand toujours davantage sur la planète, sous la pression dupeuse de régimes capitalisant leurs profits.


Nous voici, au contraire, transportés hic et nunc au pays, fragile et fort, fugace et éternel, de la grâce, où règne sans partage la générosité. Où chacun est roi en son royaume, et le roi de son temps à donner.

Apprendre, non-touristes que nous sommes, à ne pas le manquer, ce royaume en voie de raréfaction, cet Etat menacé de disparition pour obsolescence…

Que d’improbables conditions, ou de handicaps, pour pareille rencontre !


Et pourtant, elle advient, elle est là. Elle impose son évidence _ si on ne la rejette pas, si on ne la craint pas, si on veut bien s’y donner. Car on peut aussi redouter pareille grâce. Ainsi que la refuser si elle se propose. S’en détourner.


Ainsi la peur se répand-elle aujourd’hui, sous les pressions organisées en permanence des propagandistes de tous poils de la crainte, voire de la terreur, sous couvert de « sécurité« …

Le divin Kairos _ le génie inspirateur-dispensateur de l’occasion favorable _, lui, est un dieu coureur aussi vif et alerte qu’espiègle, qui chemine et même danse en courant éperdument, d’autant plus vite qu’il est muni d’ailes aux chevilles.


Une longue mèche touffue se balance en permanence sur son front et balaie ses yeux rieurs, son visage mobile. Alors qu’il est complètement chauve sur le derrière du crâne et la nuque…

C’est qu’une fois que Kairos nous a croisés et dépassés, il ne nous est plus possible de lui courir après pour espérer le rattraper par la chevelure, afin de le retenir et ressaisir, ou capitaliser les opportunités qu’il offrait…


Kairos a filé comme une anguille, offrir ailleurs et à d’autres ses dons instantanés.

Il y a de l’irréversible dans le temps.


D’autant que Kairos tient à la main un rasoir effilé, emblème de son pouvoir tranchant. Avec lui, c’est sur le champ qu’il faut se décider à prendre _ ou plutôt recevoir, accueillir ce qui se tend vers nous _ la chance qu’il propose : c’est maintenant ou jamais. Comme les fruits à la saison. Après, c’est trop tard.


Cela s’apprend, à l’expérience : nous avons une vie pour nous y faire…

Ces choses-là, si douces _ l’élection mutuelle, incalculée, de la rencontre _, sont aussi formidablement vives _ comme l’éclair de la foudre _, le temps du clignement des regards, et ne tolèrent bien sûr pas la moindre lourdeur, indélicatesse _ a fortiori vulgarité. C’est l’échange dépouillé, direct et à vif des regards qui crée d’abord, et quasiment à soi seul _ si l’on peut dire pour une rencontre, où des liens riches instantanément commencent à se tisser ! _, qui crée donc l’accroche, la mutualité de l’égard, et l’absolu _ sans conditions, souverain, sans appel _ de l’accueil, de l’ouverture, du seuil franchi, et pour toujours, de la confiance : sur ce regard terriblement exposé, sans apprêts, et qui demande, sans le dire _ comme nous l’a appris Emmanuel Levinas _ : « ne me tue pas ! » Echange de regards assorti, bien sûr forcément, de paroles, et de leur qualité, ainsi que du tissu _ soie, velours et toute matière qu’on voudra… _ de leur ton et de tout ce qui peut y transpirer, au timbre, au rythme, ainsi qu’au contenu, évidemment aussi, de leur fiabilité, car c’est elle qui va finir par trancher… La part du regard, et la part du discours et de la voix, les plus exposés, se mêlant, encore, à l’arrière-fond, important, lui aussi, de la part des postures… Quelle intensité foudroyante et décisive l’espace rapide de telles rencontres ! Car on n’a guère de temps pour s’expliquer, et encore moins déballer ce qui pourrait nous justifier, en cette rencontre initiale…

Ne pas abuser du temps _ de la patience _ de l’autre, de l’effort en tension de son écoute, pour le moment consenti à accorder à cette rencontre… Même un hors-temps prend donc du temps _ y compris pour qui dispose à peu près librement de son temps. Faire bref est donc la plus élémentaire des urbanités. L’art, assez français, de la conversation a su s’employer autrefois à cela…


L’emblème du rasoir de Kairos est donc très finement saisi.

Avec la rencontre heureuse, nous voici donc d’emblée et de pleins pieds dans l’éternité _ contrée, par essence, vierge de touristes, et non stipendiée.

Il faut d’abord avoir su s’y préparer, d’autant que cette chose advenant _ pareille rencontre _ est statistiquement assez improbable, risquant même _ et c’est la norme de fait, pour beaucoup _ de n’arriver jamais.


Ainsi, est-ce tout un art, subtil, qui s’apprend _ ou pas : cela plutôt se découvre, cela s’improvise, sur le tas, et avec les moyens du bord, l’irradiation de la joie aidant aussi, comme un doux lubrifiant, et modeste. Un art qui s’apprend avec l’âge _ mais chaque âge a ses atouts et ses capacités. C’est tout un art, donc, que d’être doucement attentif et ouvert, et d’abord d’être infiniment délicatement disposé à la rencontre _ voire en être a priori désireux et a posteriori friand… Tout dépendant aussi, bien sûr, de la personne singulière de l’autre : tel un continent tout neuf à découvrir _ mais qui s’en plaindrait ? Après, il faut apprendre à la vivre, à la godille en quelque sorte, à vue, au ressenti. Un cabotage raffiné au ras des côtes, chacun auprès de la sensibilité de l’autre qu’on apprend d’autant plus vite à connaître qu’on l’apprécie, qu’il nous étonne et nous enchante chaque fois.

Et, pour mettre un peu plus de piment à l’affaire, nous avons, tous et chacun, nos jours, nos heures, nos minutes d’indisponibilité ou d’indisposition, quand il nous arrive d’être mal lunés. Ces jours-là, autant demeurer claquemuré chez soi. A moins qu’on sache le dépasser…

La jeunesse fait longtemps preuve de timidité, ou d’audaces à contresens. Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait…


Cependant, bien que ce soit à son corps défendant, et rarement sans nulle offense, vivre s’apprend, tant bien que mal. on peut sans doute y progresser.

La vieillesse, quant à elle _ que vaut le mot ? convient-il à la chose ? _, a souvent le défaut de trop se résigner, et cesse trop tôt, et bien à tort, de croire au Père Noël ou au Prince charmant… Trop tôt flétrie, la vieillesse, devenant alors en effet un désastre, se meurt à petit feu, en se survivant sans joie, bien avant la disparition sans retour.


Mais il y a aussi bien des vieillards qu’habite encore et toujours la flamme de la jeunesse :

le désir et la joie qui les habitent, les animent, qui leur donnent le goût et la passion de continuer à vivre, les entretiennent dans la joie de rencontres continuées, même raréfiées.

Enfin, il y a aussi tous les pressés, tous les stressés.


Sans compter ceux qui, trop blessés, sont déjà eux aussi, dans leur mornitude, comme déjà morts, fossilisés dans leurs déceptions, ou de mécaniques habitudes. Feront-ils de vieux os, ces acédiques en voie de dessèchement ?

Charge donc à la maturité de conserver et entretenir le feu de la jeunesse, de ré- enflammer sa belle flambée, en demeurant décidément toujours plus ouvert à la nouveauté inépuisable du présent, à sa magnifique singularité, dans la rencontre toujours renouvelée de l’autre, afin de l’accueillir comme le présent généreux qu’il (le présent) et elle (la rencontre) se révèlent être, du moins dans les cas heureux _ sous l’espèce d’un frère humain, d’une amitié ou d’un amour. Un présent ouvert, riche et habité.

Savoir être neuf chaque matin et tous les matins que Dieu, ou la Nature, fait, au jour nouveau qui advient, qui nous échoit, qui se présente, qui s’offre, en cadeau des vivants aux vivants, pour qu’ils se rencontrent.

Mozart à son père (le 4 avril 1787) :

« Je ne me mets jamais au lit sans me rappeler que peut-être, si jeune que je sois, le lendemain je ne serai plus. Et néanmoins personne, parmi tous ceux qui me connaissent, ne pourra dire que je manifeste la moindre humeur maussade ou triste. Et de cette félicité, je rends grâce tous les jours à mon Créateur, et je la souhaite de tout cœur à chacun de mes semblables. »

Les génies créateurs, Mozart, Haendel, Spinoza, Shakespeare _ dont je n’ai rien dit, me concentrant plutôt sur l’amitié, du sublime sonnet par lequel il nous donne à entendre encore plus qu’à regarder la rencontre-découverte déjà parfaitement énamourée, at first sight, de ses héros Romeo et Juliette, parmi le virevoltant et assourdissant, de poussière et de fumée, bal masqué des Capulet _, Montaigne, Nietzsche aussi _ le penseur de l’éternel retour du même et de l’amor fati _, ainsi que, c’est même, tout bien pesé, sans doute le plus fin (car le plus à vif et piaffant de sa nervosité électrique rentrée) de tous les analystes du kairos, Marivaux, dont je n’ai non plus rien dit _ tant il sait aussi se faire furtif et discret _, ce cousin, virtuose en art du rythme et du silence, de Mozart, Marivaux, ce benêt peseur d’ « œufs de mouche dans une balance en toile d’araignée » dont se gaussait, mais c’est par jalousie, le déjà vif pourtant, mais moins subtil en son écriture, Voltaire, tous ces génies créateurs, donc, non seulement sont des généreux sans compter de leur temps et de leur énergie, mais savent, et ô combien, faire preuve de gratitude en rendant au centuple à la vie, par leurs œuvres sublimement fines et détaillées, le feu joyeux que la vie ne cesse de leur prodiguer…


Suite, en forme de commentaire, au texte précédent :

Il y a, certes, rencontre et rencontre.

Toutes ne sont pas du même ordre, de la même qualité, de la même importance : cela en composant toute une variété.


Il faudrait donc relativiser, « bémoliser » en quelque sorte, ce que je viens d’en dire, en ma « célébration de la rencontre« , en « m’emballant » un peu _ un peu trop : « un brin superlatif, mais pas antipathique« , vient, maintenant, de qualifier l’article de mon blog consacré à mon compte-rendu de sa rencontre avec lui, le 28 mai dernier, au Festival Philosophie de Saint-Emilion : L’intelligence très sensible de la musique du magnifique Karol Beffa : de lumineuses Leçons au Collège de France. Peut-être emporté par l’emphase d’un beau titre : « Célébration de LA rencontre« …


Il n’y aurait donc pas tout à fait rien entre l’absolu de la « vraie rencontre » _ en particulier de la « rencontre initiale » _ et le néant de rencontres qu’est la vie de beaucoup _ la plupart ? _, et sans qu’ils en aient forcément une conscience claire _ le supporteraient-ils ? _, la majorité préfère à la rudesse sauvage de la solitude, d’être leur vie durant plus ou moins bien accompagnés, avec coups et blessures même, ou alors par les reality showsde la télé qui scintille jusqu’à des heures très tardives dans la salle- à-manger…

Existerait donc, plutôt, tout un nuancier de rencontres.


Même s’il s’agit en majeure partie plutôt d’illusions de « rencontres« …

La rencontre, ou plutôt son idée, l’idée qu’on s’en fait par avance, déjà, et qui, souvent, ne formate que trop ce qu’on va vivre ensuite d’une rencontre effective _ mais peut-être pas « vraie » _, l’idée de la rencontre, donc, a tant d’attraits, tant de promesses de charmes… Trop de séductions a priori…

Que serinent donc les chansons ?.. « Un jour, mon prince viendra… Et il m’emportera… » L’amour, toujours l’amour…


Ainsi, d’abord, peut-être parle-t-on trop de « rencontres« , réduisant malencontreusement alors la rencontre effective, pour ce qui finira hélas par en advenir, à ce qu’on s’en promettait, sans assez de largeur _ qui doit être, tout simplement, infinie _ d’ouverture et d’accueil au surprenant de la rencontre, à la singularité infinie de la personne rencontrée.

Une imagination trop étroite, et trop formatée, lâche ici les amarres et prend trop vite le large : pour ne se mirer, au final, qu’en elle-même, et à sa pauvreté ; et réussir à manquer la splendeur de l’altérité de la personne rencontrée !


Voilà ce qu’il advient de trop lâcher la bride au petit, tout petit, ego, et à son égocentrisme triste et ballot : une vacuité pornographique, avec une ivresse de négation (et de mort), dont on constate ces temps-ci les sinistres avancées.

Le triomphe spectaculaire du nihilisme.

Alors qu’il faut apprendre, comme les héros de Homère, l’envol plus audacieux du cabotage en humanité, assez près, mais pas trop non plus _ au risque de le gêner ou l’étouffer _ auprès de l’autre… A la distance, aérée et sereine, de l’égard et d’une vraie curiosité : attentive et attentionnée. Ainsi que de ce qu’il faut d’accommodation dans le regard pour qu’il y ait vraiment la distance justement estimée du re-spect en même temps que d’une vraie connaissance (ainsi que re-connaissance)… Tout ici doit joyeusement re-spirer…

Il nous faut donc, en la rencontre, apprendre à nous méfier de ce que y mettrions trop de nous-mêmes, au lieu de laisser advenir le miracle vrai de l’altérité.


Miracle, car inhabituel, voire sur-naturel. Surtout pour une espèce dénaturée _ je veux dire qui a perdu le mécanisme spécifique des instincts, au profit du dressage et de l’apprentissage culturel (voir ce qu’en dit Peter Sloterdijk dans Règles pour le parc humain).

Cette rencontre qui _ c’est à la fois son essence et son épreuve de vérité _ survient, nous déborde, nous prend à l’improviste, de plein fouet, et par surprise, avec toute la gamme des embruns divers que cela implique _ et cela, quoi qu’on puisse, ou qu’on ait pu, en attendre ou en espérer, quand la dite-rencontre était programmée, planifiée, nos agendas sont si complexes, il nous faut bien nous organiser un peu ; ou rêvée. C’est que la « rencontre vraie » est toujours surprenante, et même brusquante. Dérangeante. Bousculante. Urticante. Il est normal que nous soyons par elle sortis, extraits, extirpés de nos gonds coutumiers, de nos habitudes établies à la va-comme-je- te-pousse… Et cela, par le principal, par l’essentiel : par la nouveauté radicale et fondamentale de l’autre.

L’autre : terra incognita, « continent » vierge et immense, ai-je avancé tout à l’heure…

Ne pas s’enivrer trop, par conséquent, rien qu’à supposer (supputer = calculer) ces attraits, comme esquissés, et ces charmes, comme subodorés, de la rencontre, ou plutôt de l’inconnu de la rencontre, je veux dire le caractère insu, ignoré de celui ou celle _ une personne, un sujet _ à découvrir dans son altérité puissante, absolue, et donc forcément étrange : à apprivoiser _ ou plutôt s’apprivoiser mutuellement. Comme en amour, le rituel des fiançailles.

Préférer donc, pour hygiène du vivre, à la tentation de l’imaginaire, la franchise plus rude, voire à l’occasion quasi sauvage, mais rassurément consistante, et heureusement pleine de répondant, elle, du réel : car charnelle. La vraie chair ne trompant pas.

Je me suis donc focalisé, dans cette « célébration de la rencontre » _ puisque c’est sur elle que j’esquisse ici ce petit « commentaire » _, sur des moments un peu plus cruciaux que d’autres dans une vie, sur des instants dynamiques, dynamisants, voire parfois même enthousiasmants, même si les « débuts » ne sont naturellement pas _ ce serait bien présomptueux _ « en fanfare« , ces premiers moments, ressentis cependant comme prémisses encourageantes, constituant ainsi des sortes de « tournants » _ en musique baroque, on parle d’ »hémioles » : le changement _ aussi impératif que subtil _ n’est pas noté sur la partition, mais les interprètes, avertis, expérimentés, savent (et il le faut absolument !) le comprendre… Cela impulse un rythme. Soit le principe radical de tout ce qui vit _ nous ne quittons décidément pas le charnel.

Ainsi qualifiai-je ces « moments« -là de « rencontre initiale« , parce que de telles rencontres ouvrent d’elles-mêmes, par une simple et belle évidence, la voie d’un désir d’approfondissement, d’une suite, comme avec la kyrielle des danses des « suites » de la musique baroque, ces rencontres-là n’étant, ni se contentant pas de demeurer rencontres sans lendemain.

Or, c’est le paradoxe, l’étrangeté de ces « rencontres initiales » _ étrangeté qui, je le constate, devient de plus en plus consciente, riche, nourrie, avec l’âge, avec« l’expérience » qui tout simplement, strate à strate, se compose, construit et s’accumule_, c’est cette étrangeté paradoxale, donc, qui m’intéresse, avec un regard de plus en plus rétrospectif, et, forcément, aussi savant, culturé, de tout l’appris _ oserais-je qualifier ce regard de proustien ? _, en même temps que de plus en plus immédiat, rapide, vif, curieusement, et sans doute aussi plus lucide ; ainsi, encore, qu’un peu décalé _ et tout cela, mêlé, défilant à toute allure dans l’espace formidablement intensifié, lui aussi, de l’instant.

Avec pour couronner le tout, une pincée d’auto-ironie _ ça s’appelle l’humour, mais il y a trop de mauvais goût à y prétendre si peu que ce soit, lourdaudement. Nous sommes dans l’ordre incomparablement léger et magique de la sprezzatura… Nietzsche, que j’ai un peu négligé jusqu’ici, disait : « Je ne croirais qu’en un dieu qui sache danser »

La peste du pataud qui me colle aux basques, et que donc je demeure !..

D’un autre côté, j’y reviens, tout _ sinon beaucoup _ est aussi, d’une certaine façon « rencontre« , selon une échelle comportant des degrés, et, en quelque sorte, à l’infini…
J’évoquais, en début de texte, les « non rencontres » des zombies… Mais là, c’est de l’ordre du tout ou rien _ et donc du rien !

Alors qu’il faudrait envisager, à côté du cas désolé de ces privés absolus de toute vraie « rencontre« , tout un nuancier délicat de diverses qualités de rencontres, avec leur coefficient respectif de vérité, qui se découvre à l’expérience, telle une gamme plus ou moins concentrée ou étendue _ comme on dit d’une solution chimique qu’elle est plus ou moins étendue (d’eau ?) _, ou un camaïeu délicat et subtil…

Ce régime assez divers de tonalités diverses de « rencontres« , je l’éprouve particulièrement pour ce qui me concerne dans mon métier et mon travail, au quotidien, de professeur de philosophie, avec la diversité _ grande _ de mes élèves ; et des progrès que j’en attends, que j’en espère, et qui me ravissent quand ils se sont en effet _ car cela, mais oui, arrive ! _ comme hegeliennement réalisés (= passés de la puissance à l’acte). Même si j’œuvre _ heureusement ! _ à plus longue échéance que celle de l’examen de fin d’année _ et de ses statistiques habilement manipulées pour la galerie, qui on ne peut plus complaisamment, et avec courbettes, s’y laisse prendre.

La classe de philosophie est cependant, et en effet, pour moi, sans contrefaçon aucune pour quelque galerie que ce soit _ les élèves à ce jeu n’ont heureusement pas, eux la moindre fausse complaisance ! _ un vrai lieu d’activité permanent ; et donc privilégié, éminemment chanceux, selon, bien sûr, l’inspiration des jours, et de chacun, et de tous ; tous ayant droit à la parole et plus encore à l’écoute, ainsi qu’à la critique bienveillante, encourageante, joyeuse, mais aussi exigeante, des autres, et d’abord, bien sûr du professeur, responsable de l’entité « classe » et de sa « vérité » _ un lieu, donc, de rencontres, un lieu vibrant et aimanté de sens, un lieu électrique où doit progresser, et progresse la conscience…

Entrer dans la classe, s’approcher de la chaire, et après avoir déballé l’attirail plus ou moins nécessaire ou contingent, après « l’appel » _ au cours duquel je m’avise avec soin de l’état de chacun par ce qu’annonce son visage, son teint, sa posture, ainsi que la voix qui répond, mais d’abord de son regard, en avant de tous les autres signes _, et dans l’échange vivant de nos regards, commencer à parler. A convoquer le sens _ « Esprit, es-tu là ? Viens ! Consens à descendre parmi nous, et en nous : et à nous animer de ta raison !« … _, à partir de notre commun questionnement, notre socratique _ et « pentecôtique » ?_ dialogue.

Voilà qui réclame infiniment de présence, c’est-à-dire d’attention, de ré-flexion, de chacun et de tous _ et d’abord du professeur, qui conduit les opérations. Un exercice exigeant. A l’aune de l’idéal de la justesse. Et sur un mode le plus joyeux possible _ le professeur, tout le premier, doit être le plus constamment possible en grande forme ! Car ici et maintenant, en cette salle de classe, tout _ ou presque _ se met à tourner autour du règne de la parole. Qui doit être aussi, bien sûr, ou plutôt devenir le règne de la pensée : sommée _ ou plutôt invitée, encouragée : elle n’est pas aux ordres ! _ de s’interroger, de réfléchir, de méditer. Afin d’oser, en confiance, à s’essayer _ voilà ! _ à juger _ oser juger. Et puis justifier ses raisons. Dans l’espace public et protégé de la classe, qui comprend, entre l’espace formidablement libre de ses murs, et dans une acoustique qu’il faut espérer adaptée, l’échange de nos paroles, de nos phrases, s’essayant et se mesurant, par l’effort du « penser » à la justesse ardemment désirée du bien pesé, du bien jugé, du bien pensé… Emmanuel Kant : « Penserions-nous bien et penserions-nous beaucoup, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ? » (dans La Religion dans les limites de la simple raison _ vigoureux opuscule contre la censure). Soit une rencontre avec l’idéal de vérité et de justesse du jugement, dans l’échange à la fois inquiet et joyeux du « juger« .

De même que pour Montaigne, instruire, c’est essentiellement former le jugement. Exercice pédagogique exigeant.


Voilà ce qu’est la rencontre pédagogique philosophique.


Entre nous. Autour de la parole. Autour de, et par l’échange _ et cette « rencontre » de vérité. Et pour _ c’est-à-dire au service de _ la réflexion, et dans la tension vers sa justesse. Chacun, comme il le peut. Avec un style qui va peut-être se découvrir, pour chacun. Car, « le style, c’est l’homme même » _ en sa singularité, quand il y parvient _, nous enseigne Buffon en son Traité du style.

Comment accéder à « son » style ? Comment accomplir une œuvre qui soit vraiment « sienne » _ et sans se complaire dans de misérables égocentriques illusions ? Là, c’est l’affaire d’une vie, pas seulement d’une année de formation de philosophie.


Celle-ci peut et doit encourager et renforcer un élan _ même si elle n’est pas capable de le créer de toutes pièces _ ainsi que l’aider de conseils à ne pas s’égarer dans de premières voies qui aliéneraient ; afin de découvrir soi-même, en apprenant à le tracer, pas à pas et positivement, son propre chemin. « Vadetecum« , recommandait Nietzsche dans Le Gai savoir à qui désirait un peu trop mécaniquement devenir son disciple, le suivre : « Vademecum, vadetecum« … La réussite du maître, et c’est un paradoxe bien connu, c’est l’émancipation _ autonome _ de l’élève.

J’adore, pour cela, cette situation « pédagogique« , bien particulière, sans doute, à l’enseignement de la philosophie _ ou plutôt du « philosopher » : « on n’enseigne pas la philosophie, on enseigne à philosopher« , disait encore Kant, après Socrate, et d’autres. C’est que c’est un art, et pas une technique. Un art un peu « tauromachique » _ c’est-à- dire n’hésitant pas à s’exposer mortellement à la corne du taureau _, à l’instar de la mise en danger qu’évoque si superbement Michel Leiris dans sa belle préface à L’âge d’homme. Situation particulière encore, aussi, peut-être, à ma pratique personnelle _ si tant est que j’ose une telle expression _ de cet enseignement « philosophique« , tel que je le conçois, comme je l’ai bricolé, cahin-caha, tout au long de ces années, avec les générations successives d’élèves. Car j’ai aussi bien sûr beaucoup appris d’eux, par eux, avec eux, dans ce ping-pong d’une classe vivante, où vraiment, avec certains, sinon tous, nous nous « rencontrons« par le questionnement vif et exigeant de la parole _ et des regards.

Comme j’ai moi-même au lycée vraiment rencontré mon professeur de philosophie de Terminale, Madame Simone Gipouloux : un modèle d’humanité, dans toute sa modestie, et son sourire _ parfaitement intact dans son grand âge ; Simone est décédée juste un mois avant d’accomplir ses cent ans… _, une personne simplement épanouie dans une gravité joyeuse.

Avec les élèves : voilà, j’aime ça.


Ainsi est-ce une grande chance pour moi que d’avoir _ et d’être rétribué pour cela _ à « rencontrer » ainsi, en mon service hebdomadaire, mes élèves…


En partie indépendamment de son efficacité, certes assez inégale, je prends à cet effort un plaisir important. Mieux : une joie portante. Une vivifiante jeunesse.


Même si pour certains, voire beaucoup d’entre ces élèves _ et au pire, mais c’est quand même très rare, une classe entière : alors quel boulet ! _ rien, ou pas grand chose, vraiment ne se passe, rien d’intéressant n’advient durant tout ce temps. Pas d’étincelle, pas de lueur s’allumant au moins dans la prunelle de l’œil, pas d’enthousiasme, pas de progrès… Les dieux, qui sont « aussi dans le foyer » _ ainsi que le montrait du geste Héraclite cuisinant _, se taisant désespérément alors, n’inspirant aucune pensée, n’éveillant aucun éclair d’intelligence, désertant tristement les tentatives d’échanges… Le grand Pan est mort pour ceux-là. Je n’aurai pas réussi à éveiller-réveiller ces dormeurs d’Ephèse…

C’est aussi, en partie, le lot de cet enseignement, il faut en convenir. On se console alors en se disant qu’on sème _ et qu’on aura semé _ pour l’avenir…


Mais c’est déjà, objectivement, le jeu statistique de la vie, en dépit des occasions qui nous sont encore offertes _ pour combien de temps, les budgets (et le service public) se réduisant ? _ par la configuration des espaces et constructions scolaires et des emplois du temps… Jeu statistique aidé, accéléré ou retardé, par l’évolution _ ce mot trop souvent trompeur _ politico-économique des « structures« … « L’acteur« , se démenant, échouant parfois à dynamiser, à sa modeste mais nécessaire place et par sa modeste mais nécessaire contribution, « le système » dont il fait partie ; « système » pourtant grosso modo à peu près maintenu en état, et qui continue à présenter une apparence _ rassurante ou illusoire ? _ de solidité… Pour combien de temps ? Et avec quelles énergies ?

Dans la vie, c’est pareil : j’aime « rencontrer« , j’aime « échanger« , j’aime cette situation électrique de « désirs » (curiosités) « croisés » _ même, et c’est la règle, de fait comme de droit, peu érotisés : cela m’arrange, je suis plutôt un chaste. Cela n’empêchant pas une vive et permanente dimension « esthétique » du vivre, de l’ordre même du jubilatoire _ jusqu’à l’éclat de rire joyeux…

Même si la plupart du temps, je dois en convenir, j’ai le sentiment de croiser pas mal d’ombres. Et pas de celles, errantes, qui enchantent de leurs émois le monde musical si pleinement vivant d’un François Couperin.

D’un autre côté, encore, il y a aussi la rencontre amoureuse.
Mais sur ce terrain-là, je suis « saturé« , si j’ose dire : j’ai la chance d’avoir à mon côté une femme absolument merveilleuse _ et c’est déjà beaucoup trop parler…

Et puis, il y a aussi _ pour baliser toute la gamme des rencontres _, ne pas nous le cacher, les « retombées« , les déceptions, tout ce qui part en eau de boudin dans nos relations y compris d’amitié (?) avec les autres.


Voire, heureusement moins fréquent, le coup de couteau de la trahison.

Expérience terrible. Qui force, forcément, à réfléchir…


Qu’en est-il de notre capacité à nous illusionner, à nous bercer d’histoires, de chansons ? _ nous revoilà en pays de connaissance, et j’entends d’ici les rires de plusieurs… Dans ce cas-là, est-on jamais sorti de soi ? A-t-on jamais vraiment rencontré quelqu’un d’autre ? C’est à se casser la tête contre le mur.


Diogène avec sa lanterne cherchait vainement un homme. Faut-il diriger cette lanterne vaine d’abord sur soi-même ?


« Personne » est le nom qu’Ulysse le très habile a donné, pour s’évoquer lui-même, au Cyclope qu’il venait d’éborgner-aveugler…

En conséquence de quoi, il faut peut-être relativiser _ à la Bernard Plossu _ les magiques « instants décisifs » des « rencontres initiales« , à la Cartier-Bresson, sur lesquelles je m’étais focalisé d’abord dans ma « célébration« .
Et mettre un peu d’eau dans le vin de ces « rencontres décisives« .

Tout est alors « rencontre« , à des degrés, cependant et certes, divers. Avec une infinie variété de tons, dans le doux camaïeu _ patient, ralenti, profus _ de la gamme, riche en beiges et en gris, qui va du blanc surexposé le plus éblouissant, au risque d’aveugler, au noir d’encre le plus âcre et profond, selon les bonheurs, ou caprices, de la lumière puis du papier, pour le photographe au sortir du cabinet de développement.

Comme nous le montre la variété parfaitement heureuse de l’œuvre généreux et libre de Bernard Plossu _ qu’on contemple son album « Rétrospective« , à défaut des cimaises de son expo synonyme du Musée des Beaux-Arts de Strasbourg (c’était au printemps 2006).

Au delà de la prise et de la découpe de la photo singulière, c’est alors la « séquence » qui est intéressante, comme la suite _ musicale _ des phrases ou des chapitres d’un livre _ avec le « blanc » de la « tourne« . Et comme la disposition-montage d’une exposition de photos, encadrées ou pas, sur les cimaises. Ou d’un livre de photos dont le lecteur-spectateur tourne, lui aussi, forcément, les pages. De même que nous clignons naturellement des yeux, et battons des paupières. C’est le passage qui fait rythme _ le temps est bien présent, offert, et pleinement coopératif : il faut apprendre à le mettre avec soi, l’avoir de son côté. Et c’est alors un allié considérable.


Comme dans la vie, la succession qualitative, syncopée, des moments, à partir du passage des jours _ et, forcément, des nuits.

Qu’on écoute ici les voix des poètes : à propos du rythme des saisons, Arthur Rimbaud : « Ô saisons, ô châteaux ! Quelle âme est sans défauts ? » signalait, pour une fois un plus rêveusement, le garnement batteur ivre de percussions.


Ou, à l’inverse des syncopes, la grâce liquide, le ballet lisse et lentement kaléidoscopique des nuages dans le ciel : « les nuages, les merveilleux nuages« , du spleen baudelairien.


Ou, encore, à la croisée du martellement rimbaldien des syncopes et de la liquidité baudelairienne _ du clock et du cloud ligetien (et de Karol Beffa) _, la mélancolie du spectateur Guillaume Apollinaire, se laissant fasciner, à la rambarde du pont Mirabeau, par les remous abyssaux du fleuve qui avance, et brodant sa chanson sur le tissu effiloché de sa vie, à la croisée de plus en plus mal rapiécée de ce qui passe et de ce qui demeure _ en témoin désolé et contrit, et pour combien de temps encore ? _, pour, héraclitement _ « tout coule« … _, déplorer _ et se plaindre _ du passage :

« Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face

Tandis que sous le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

L’amour s’en va comme cette eau courante

L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines

Ni temps passé

Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure« …

En face d’Héraclite le « déplorateur« , Démocrite, l’atomiste, est le philosophe rieur et réjoui _ Montaigne reprenant dans ses Essais la symétrie de ces deux figures qu’avait marquée Diogène Laërce.


Nous retrouvons alors, avec le philosophe abdéritain, la lignée joyeuse, éminemment plus charnelle _ c’est celle de ceux qui cultivent leur jardin : Epicure, Lucrèce, Spinoza, Nietzsche, comme aussi La Fontaine, Diderot et notre cher Montaigne _, une lignée réconciliée avec son corps et les conditions de la vie,

je veux dire la lignée du clinamen

Francis Lippa, ce mercredi 26 octobre 2016

Ce lundi 31 décembre 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

En hommage à Claude Lanzmann (1925 – 2018) et son « Lièvre de Patagonie », en 2009 (II)

06juil

En hommage à Claude Lanzmann

(Bois-Colombes, 27-11-1925 – Paris, 5-7-2018),

qui nous a quitté hier, jeudi 5 juillet,

et à son superbe Lièvre de Patagonie (en 2009)

ainsi qu’à son œuvre cinématographique (dont le magistral Shoah ),

re-voici

en sept épisodes (des 29 juillet, 13, 17, 21 et 29 août, et 3 et 7 septembre 2009)

la lecture que j’avais faite, de ce 29 juillet à ce 7 septembre 2009,

de son Lièvre de Patagonie ;

et pour ce jour le second volet : 

La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ quelques « rencontres » de vérité II

L’abord de l’homme était plutôt rugueux.

Mais l’œuvre est magistrale !

— Ecrit le jeudi 13 août 2009 dans la rubriqueCinéma, Histoire, Littératures, Philo, Rencontres, Villes et paysages

Deux semaines de « re-lecture » la plus attentive possible (et crayon à la main !) du « Lièvre de Patagonie » de Claude Lanzmann,

afin de présenter mon analyse la plus précise possible de ce que l’auteur a pu qualifier

_ « tout mon être bondissait d’une joie sauvage, comme à vingt ans« , ce sont les tous derniers mots du livre, à la page 546 _

de « l’incarnation«  ;

caractérisée, cette « incarnation« , par l’ »expérience« , éprouvée dans toutes les fibres de son corps (et pas si fréquente que cela !), d’un « nous » :

ce peut être le « nous » de la « rencontre » : avec un lieu

tels

la Patagonie elle-même tout entière, si j’ose dire

_ « j’avais beau avoir aperçu quelques troupeaux de blancs lamas, la Patagonie ne s’incarnait pas en moi

_ tous les mots comptent ! et ce, en dépit des centaines de kilomètres parcourus ; c’était en 1995, « remontant seul, à partir de Río Gallegos, aux confins de la Terre de feu, et au volant d’une voiture de location, la plaine immense de la Patagonie argentine vers la frontière du Chili et le fabuleux glacier du Perito Moreno«  ; « je me répétais, joyeux

comme dans ce premier train vers Milan _ c’était alors, l’été 1946, « Je suis en Italie ! Je suis en Italie!«  ; Claude Lanzman avait exactement vingt ans ; il l’explicite, page 191 : « C’était (« nous étions cinq khâgneux« ) notre premier voyage à l’étranger ; je me trouvais dans une grande exaltation, la rencontre des noms et des lieux (…) attestait _ comme enfin ! _ la vérité du monde, scellait _ d’un garant, enfin, d’authenticité _ l’identité des mots et du réel, dévoilait le vrai _ demeuré caché sinon ; et insu… _ de la plus poignante façon« , pages 191-192 : enfin, à certaines (dirimantes, mais non convocables !) conditions !.. _

« Je suis en Patagonie, je suis en Patagonie ». Mais ce n’était pas vrai,

j’avais beau avoir aperçu quelques troupeaux de blancs lamas,

la Patagonie ne s’incarnait pas _ pas encore ! sinon peut-être même jamais !.. _ en moi. 

Elle

_ la Patagonie, donc, en 1995 ;

de même que Milan, auparavant, en 1946 :

ç’avait été, « pour que Milan et moi devenions vrais ensemble« , l’été 1946, en « me répétant le début de « La Chartreuse«  : « Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur »« , page 192…  _

Elle _ la Patagonie, donc ! _ s’incarna tout à coup, au crépuscule, sur le dernier tronçon de route non asphalté après le village d’El Calafate« , et « dans le balayement de mes phares _ toujours selon certaines conditions très particulières (et éminemment personnelles, aussi !) de « focalisation » ; le point me paraît à relever _ quand un lièvre haut sur pattes bondit comme une flêche et traversa la route devant moi.

Je venais de voir _ furtivement : l’animal, libre, ne se laisse pas approcher, capturer !.. (et difficilement tuer : cf le sublime conte, « La liebre dorada« , de ma cousine Silvina Ocampo…) _ un lièvre patagon, animal magique _ par son intelligence et sa vélocité rares ! _ ; 

et la Patagonie tout entière me transperçait soudain le cœur _ c’est une « fulguration«  ; non provoquée ; encore faut-il apprendre à savoir la « recevoir«  _ de la certitude de notre commune présence«  _ ainsi « rassemblée«  en une commune « vérité«  de « réalité » advenue et « expérimentée » par une « vraie personne«  ; elle, « la Patagonie« , n’était pas qu’un « pur décor«  ; et j’étais moi-même, ainsi et alors, un tout petit peu plus qu’un touriste de passage ; ou un « zombie«  ; page 192 _,

la Serbie, ou du moins quelque chose qui avait aussi « trait » à elle

_ en une forêt « épaisse et sombre«  qui demeurera probablement à jamais sans nom pour nous : « c’est la nuit, une mauvaise route étroite, au cœur d’une épaisse et sombre forêt que nous traversons sur des kilomètres, raccourci découvert par l’œil exercé du Castor alors que nous nous dirigeons vers le nord de la Yougoslavie _ les vacances d’été 1953. Je conduis. Dans le faisceau des phares _ à nouveau ! je le relève… _ de grands lièvres bondissent des deux rives de la route. ils me semblent pulluler ; je ne veux pas les heurter, je roule lentement, je slalome dangereusement pour les épargner«  ; car « ce sont des animaux _ éminemment _ nobles« , page 256 :

ce fut, probablement, la première « rencontre » avec des lièvres, pour Claude Lanzmann ; qui « n’en tue que trois ; et c’est un exploit. Je stoppe la voiture ; le Castor et moi partons dans le noir à la recherche des victimes _ qui ne sont pas laissées sur la route_, nous les trouvons chaque fois ; l’Aronde est ensanglantée ; et dans les rares  villages que nous rencontrons, nous les offrons au premier venu. »

Et d’ajouter, page 256 donc, encore :

« J’aime les lièvres ; je les respecte ; ce sont des animaux nobles ; et j’ai appris par cœur _ Claude Lanzmann l’a récité lors de la présentation de son livre dans les salons Albert Mollat, le 9 juin dernier _ le long conte pour enfants de Silvina Ocampo, la poétesse argentine, intitulé « La Liebre dorada« , « Le Lièvre doré« , qui vient en exergue de ce livre« , page 11 _,


la Pologne

_ en quelques lieux où se sont produits quelques « exterminations«  :

« Il y a, dans « Shoah« , deux plans rapides mais centraux _ ici encore, je relève ce terme (de « focalisation« ) : j’y reviendrai… _ pour moi ; on ne perçoit _ opération décisive, mais qui comporte aussi, en amont, bien des conditions, dont d’attention ! et de mémoire ; et de culture, surtout ! _ ce que la caméra montre _ eh oui ! _ qu’après un temps infinitésimal de latence : un lièvre au pelage couleur de terre est arrêté par un rang de barbelés du camp d’extermination _ chaque mot, ou précision, ou « détail«  (le diable, paraît-il, s’y cache ; mais pas seulement lui !.. ; il faut toujours chercher un minimum ; sinon rien n’apparaît ; tout demeure invisible !..) compte !.. _ de Birkenau ; une voix off parle sur cette première image, celle de Rudolf Vrba, un des héros du film ; héros sans pareil puisqu’il réussit à s’évader de ce lieu maudit, gorgé de cendres _ même si parlent désormais pour toujours, en plus des voix des « revenants » du film« Shoah » de Claude Lanzmann, tel, ici, Rudolf Vrba, ces « Voix sous la cendre« , dont celles de Salmen Lewental et Salmen Gradowski, du recueil qu’a dirigé Georges Bensoussan… Mais le lièvre est intelligent ; et tandis que Vrba parle, on le voit affaisser son échine, ployer ses hautes pattes et se glisser sous les barbelés. Lui aussi s’évade. A Auschwitz-Birkenau, on ne tue plus, même les animaux ; toute chasse est interdite. Nul ne tient compte des lièvres. La seule chose sûre est qu’ils sont très nombreux ; et il me plaît de penser que beaucoup des miens

_ qu’on avait voulu, aussi, priver,

en plus de leur propre et « unique«  vie d’individu _ et de personne ! cf les mots de Salmen Lewental, « Il n’y a que la vie« , rapportés page 43 ; cf aussi l’admirable « journal de la géhenne«  transmis pour toujours in l’irremplaçable « Des Voix sous la cendre« , donc _ ;

qu’on avait voulu, aussi, priver, donc,

de leur descendance :

afin que les fils (qui auraient « survécu«  à un « génocide«  qui n’aurait pas été assez systématique) n’aient pas le malencontreux désir de se venger (de la prétendue « race aryenne pure« …) du meurtre de leurs parents, un peu plus tard, devenus à leur tour adultes…

cf, sur ce « point de détail«  (pragmatique et technique), pour exemple, les éloquents discours du Reischsführer-SS Himmler à Poznan les 4 et 6 octobre 1943 !.. _

et il me plaît de penser que beaucoup des miens

ont choisi, comme je le ferais _ en pareille situation d’opportunité : cf le récit d’Er le Pamphylien, au final (livre X) de « La République » de Platon… ; le conditionnel est, lui aussi, « intéressant » de la part de Claude Lanzmann : au même titre que son usage magnifique (et nécessaire !) des passés simples ; et des imparfaits du subjonctif ! il manifeste la puissance de l’amour de la vie ! _

de se réincarner en eux« , les lièvres ! pages 256-257…

ce peut être, donc, le « nous » de la « rencontre » : avec un lieu,

en telle ou telle de ses « occurrences« , forcément : toujours particulière ! et parfois « vraiment« , mais c’est, cette fois, beaucoup plus rare, « singulière«  !

tout comme le « nous » de la « rencontre » avec une personne, singulière ;

ou même avec un animal,

lui aussi « singulier » ;

tel tel ou tel lièvre ; mais pas, non plus, n’importe lequel… : ceux des populations de « grands lièvres » qui bondissaient « des deux rives de la route » et qui semblaient « pulluler » dans quelque « forêt épaisse et sombre«  de « Serbie » _ ou Bosnie, ou Croatie, ou Slovénie _ ; le lièvre « intelligent » « au pelage couleur de terre » filmé à Auschwitz-Birkenau ; ou le lièvre « haut sur pattes » croisé, et éclairé par les phares de la voiture, sur la piste non asphaltée menant à El Calafate… ;

voire même le « nous » de la « rencontre » avec des pierres,

forcément quelque peu « singulières« , elles aussi :

telles celles de Treblinka ; cf page 504 :

« Au camp même, j’ai filmé pendant des jours, sans pouvoir m’arrêter et selon tous les angles, les stèles et les rocs, cherchant des perspectives (…). Chapuis, avant lui Lubtchansky ou Glasberg _ les cameramen de Claude Lanzmann pour « Shoah«  _ me disaient toujours : « Mais pourquoi continuer à filmer ces pierres ? Tu en as dix fois trop. » Je n’en ai jamais eu trop ; je ne les ai pas filmées assez ; et j’ai _ même _ dû, pour le faire, retourner à Treblinka. Je les ai filmées parce qu’il n’y avait rien d’autre à filmer _ pas « âme qui vive«  : pas même un lièvre, ici… _ ; parce que je ne pouvais _ surtout _ pas inventer _ toute fiction, de même que tout commentaire (surplombant) , étant proscrit ! _ ; parce que j’en aurais besoin _ pour l’image de ce qui allait être évoqué : l’annihilation de 600 00 personnes _ quand Bomba, quand Glazar ou les paysans, ou même Suchomel, parleraient. Ma sécheresse de cœur des première heures du premier jour

avait cédé devant le travail de la vérité«  _ une expression fondamentale, que je reviendrai analyser et commenter !

La « sécheresse de cœur«  première, quant à elle, est superbement détaillée aux pages 490-491 :

« Il faisait froid, il y avait encore de la neige _ c’était en février 1978 _ plus sale que blanche, et pas un seul humain parmi les pierres levées et les stèles commémoratives qui portent les noms des shtetls ou des communautés anéanties, ou encore, burinés sur des rocs plus imposants, d’allure préhistorique, ceux des pays ravagés par l’ouragan de l’extermination. Nous nous promenâmes, Marina _ Ochab, la première traductrice _ et moi, entre ces symboliques sépultures ; je n’éprouvais rien _ voilà ! _ et guettais, l’esprit et l’âme _ désespérément alors ! faute d’assez d’« incarnation«  ! _ en alerte _ mais Claude Lanzmann ne l’avait pas encore, à cet instant, « découvert«  et « appris« , comme cela allait bientôt advenir… : il y faut, en effet, davantage : la chair ! _, une réaction _ tant soit peu signifiante , enfin parlante au cœur !... _ à ces vestiges _ encore froids et muets _ de désastre, qui, voulais-je croire, ne pourrait manquer d’advenir. Ce que je voyais demeurait _ pour l’heure _ complètement étranger _ sans communication, sans lien aucun _ à ce que j’avais appris, non seulement par les livres, mais surtout par les témoignages de Suchomel, quand j’avais _ déjà, c’était « à la fin mars 1976« , page 471 _ tourné avec lui, et d’Abraham Bomba, pendant les quarante-huit heures passées en sa compagnie dans les montagnes de l’État de New-York

_ vers 1976 ; cf pages 447-448 :

une fois « arraché à sa terrible épouse » qui « ne lui laissait pas placer un mot » et « devançait toutes ses réponses« , « rendant la conversation impossible » en sa présence ; et une fois gagnée, le week-end suivant, la « cabane de vacances » qu’il possédait « dans les montagnes de l’Etat de New-York« ,

« Bomba était un orateur magnifique ;

et je crois qu’il me parla, pendant ces quarante-huit heures, comme s’il n’avait jamais parlé devant personne, comme s’il le faisait pour la première fois. Jamais quelqu’un d’autre ne l’avait écouté en lui témoignant une aussi fraternelle et sourcilleuse _ ensemble ! _ attention, qui le contraignait, par tous les détails avec lesquels je lui demandais de fouiller sa mémoire, à se réimmerger _ voilà ! _ dans les indescriptibles moments qu’il avait passés à l’intérieur de la chambre à gaz. (…) Obtenir semblable reviviscence requérait que je pusse leur apporter à tout moment mon aide, aide ne signifiant pas ici je ne sais quel secours compassionnel, mais d’abord la possession de la connaissance nécessaire pour oser interroger ou interrompre ou remettre dans le droit-fil, pour poser les bonnes questions à la bonne heure » _ soit tout un art de l’écoute réciproque, aussi !..

Désemparé _ je reprends le fil des émotions (et du désarroi) de Claude Lanzmann à ses premiers moments à Treblinka en février 1978, page 490 _, imputant mon absence d’émotion à ma sécheresse de cœur,

je regagnais la voiture après deux heures environ ; et me mis à rouler très doucement, au hasard, tentant de me maintenir au plus près des limites du camp (…) Mais la route me conduisit à des villages voisins, dont les noms, depuis ce premier jour, sont restés inscrits dans ma mémoire : Prostyn, Poniatowo, Wolka-Okraglik« , pages 490-491… « Des enfants, des adolescents, des hommes et des femmes de tous âges habitaient là » ; et « je ne pouvais m’empêcher de me dire : « Mais de juillet 1942 à août 1943, pendant toute la durée du camp de Treblinka, alors que 600 000 Juifs y étaient assassinés, ces villages existaient !«  (…) Je me disais aussi qu’un homme de soixante ans en 1978 en avait vingt-quatre en 1942«  « Il y avait là pour moi une découverte bouleversante, comme un scandale logique : je l’ai dit, la terreur et l’horreur que la Shoah m’inspiraient m’avaient fait rejeter l’événement hors de la durée humaine, en un autre temps que le mien ; et je prenais tout à coup conscience que ces paysans de la Pologne profonde en avaient été au plus proche les contemporains.

A Prostyn, à Poniatowo, à Wolka-Okraglik, je n’adressai la parole à personne, reculant _ encore un peu _ le moment de comprendre.

Je repris la route, continuant à conduire très lentement _ en réfléchissant, aussi _ ;

et soudain j’aperçus une pancarte avec des lettres noires sur fond jaune qui indiquaient, comme si de rien n’était, le nom du village dans lequel nous entrions : « TREBLINKA« .

Autant j’étais resté insensible devant la douce pente enneigée du camp, ses stèles, son blockhaus central qui prétendait marquer l’emplacement des chambres à gaz,

autant ce simple panneau d’ordinaire signalisation routière

me mit en émoi.


Treblinka existait ! Un village nommé Treblinka existait. Osait exister. Cela me semblait _ en mon propre parcours m’ayant amené jusque là… _ impossible, cela ne se pouvait. J’avais beau avoir voulu tout savoir, tout apprendre de ce qui s’était passé _ à un moment de l’Histoire _ ici, n’avoir jamais douté de l’existence de Treblinka,

la malédiction pour moi attachée à ce nom portait en même temps sur lui un interdit absolu _ voilà ! _, d’ordre quasi ontologique ; et je m’apercevais que je l’avais relégué sur le versant du mythe ou de la légende _ l’analyse rétrospective est magnifique. De combien de tels « dénis«  (de « réel«  et de « vérité« ) sommes-nous en partie responsables ? en partie innocents ? faute d’assez y réfléchir ; et faute de nous confronter assez à la « chair«  grenue des choses ; en nous rendant, et tous sens assez ouverts, c’est-à-dire « vraiment« , sur les lieux ; pas « en touristes » parmi rien que du « décor » et seulement des « fantasmes« 

L’analyse rétrospective de ces moments de « découverte » se poursuit, pages 491-492 :

« la confrontation entre la persévérance dans l’être de ce village maudit, têtue comme les millénaires,

entre sa plate réalité aujourd’hui

et sa signification effrayante dans la mémoire des hommes,

ne pouvait être qu’explosive.

L’explosion se produisit quelques instants plus tard

lorsque, toujours au volant de ma voiture, je tombai, sans m’y attendre, sur un très long convoi immobile de wagon de marchandises accrochés les uns aux autres au bord d’un quai de terre battue sur lequel je m’engageai avant de stopper net.

J’étais à la gare. A la gare de Treblinka.

Je descendis, commençai à marcher, traversai les voies« … (…)

« Treblinka n’est pas à l’abri du traffic«  _ ferroviaire en activité dans la Pologne de 1978.

Ainsi je ne voulais pas aller en Pologne. J’y débarquai plein d’arrogance, sûr que je consentais à ce voyage pour vérifier que je pouvais m’en passer

et de revenir rapidement à mes anciens tricots.

En vérité, j’étais arrivé là-bas chargé à bloc, bondé du savoir accumulé au cours des quatre années _ de 1974 à 1977 _ de lectures, d’enquêtes, de tournage même(Suchomel _ à la « fin mars 1976«  _) qui avaient précédé ;

j’étais une bombe,

mais une bombe inoffensive : le détonateur manquait.

Treblinka fut la mise à feu ;

j’explosai cet après-midi-là avec une violence insoupçonnable et dévastatrice.

Comment le dire autrement ?

Treblinka devint vrai ;

le passage du mythe au réel s’opéra _ et irréversiblement _ en un fulgurant éclair ;

la rencontre d’un nom _ su, connu (en « idées« …) _ et d’un lieu _ à ressentir, lui, en son étrangeté d’altérité ; et ce que seul celui-ci pouvait donner à « vraiment » ainsi éprouver et comprendre… _

fit _ d’une certaine façon _ de mon savoir table rase,

me contraignant à tout reprendre à zéro,

à envisager d’une façon radicalement autre ce qui m’avait occupé jusque là,

à bousculer ce qui m’était apparu le plus certain ;

et par-dessus tout à assigner à la Pologne, centre géographique de l’extermination _ du moins celle à échelle industrielle _ la place qui lui revenait : primordiale.

Treblinka devint si vrai

qu’il ne souffrit plus d’attendre _ cette année 1978 _ ;

une urgence extrême, sous laquelle je ne cesserais désormais de vivre, s’empara de moi :

il fallait tourner,

tourner au plus tôt ;

j’en reçus, ce jour-là, le mandat«  _ impératif : d’auteur et de témoin ; ou de témoin et d’auteur ; comme on voudra ; pages 490 à 493…

« Le voyage en Pologne m’apparaissait au premier chef _ poursuit Claude Lanzmann son récit de sa « découverte » de Treblinka, en février 1978 _ comme un voyage dans le temps » :

« le XIXème siècle existait là-bas, on pouvait le toucher.

Permanence et défiguration des lieux

se jouxtaient, se combattaient, s’engrossaient l’une l’autre,

ciselant la présence de ce qui subsistait d’hier

d’une façon peut-être encore plus aiguë et déchirante« , dit-il, et pour qui les fait « jouer«  (et « vibrer« ) au sein même de ce qu’il perçoit et se représente, page 494.

« L’urgence soudain me pressait incroyablement.

Comme si je voulais rattraper toutes ces années perdues, ces années sans Pologne,

je questionnai, insensible à la nuit qui tombai, à la faim dont nous ne pouvions pas ne pas souffrir (…) ; mais j’étais dans un état second, halluciné, subjugué par la vérité qui se révélait à moi _ en ce questionnement hyper-intensif.

Je quittai Borowi _ le premier paysan interrogé à Treblinka _, parlai dans la boue et l’obscurité à des gens dont je distinguais à peine les visages, me rendant compte qu’eux aussi paraissaient contents de trouver un étranger curieux qui les interrogeait sur un passé dont ils se souvenaient avec une précision extrême, mais qu’ils évoquaient en même temps sur un ton de légende, que je comprenais ô combien, un passé à la fois très lointain et très proche, un passé-présent gravé _ et pour cause ! _ à jamais en eux« , pages 494-495.

(…)

« J’appris qu’un chauffeur de locomotive, qui avait conduit les trains de la mort durant toute la durée de l’existence du camp, habitait le bourg de Malkinia, à environ dix kilomètres de Treblinka. Je décidai de m’y rendre sur-le-champ, insoucieux de l’heure tardive et du respect humain ; je ne pouvais attendre. »

« A onze heures du soir, Malkinia dormait ; j’eus le plus grand mal à trouver l’adresse de la petite ferme d’Henrik Gawkowski ; et quand je frappai, minuit sonnait au carillon de l’église vaste comme une cathédrale.

(…) Une petite bonne femme au bon visage rond, la chevelure serrée dans un fichu, alluma, nous fit assoir et monta réveiller son mari, qui descendit en se frottant les yeux. Je l’aimai tout de suite ; j’aimai ses yeux bleus d’enfant encore ensommeillés, son air d’innocence et de loyauté, les nervures de souffrance qui creusaient son front, sa gentillesse manifeste.

J’eus beau m’excuser pour cette arrivée nocturne, l’urgence dont elle témoignait l’étonna si peu qu’il semblait la partager. Il n’était ni oublieux ni guéri du passé atroce dont il avait été l’acteur ; et trouvait juste de répondre à tout moment aux sommations qu’on pouvait lui adresser.

Mais en vérité j’étais le premier homme à l’interroger ; je survenais nuitamment comme un fantôme ; personne avant moi _ ce mois de février 1978 _ ne s’était soucié de ce qu’il avait à dire _ pages 495-496.

(…)

Il alla quérir une bouteille de cette merveilleuse vodka des paysans polonais, tord-boyaux sauveur et sacré ; et j’osai lui dire, après le premier cul sec, que nous mourrions de faim.

Elle et lui se mirent en quatre _ la générosité de l’hospitalité ne ment pas ! A comparer avec la vénalité de l’invitation du maire de Chelmno, pages 507-508 ! _, vidèrent leur garde-manger grillagé semblable à celui de ma grand-mère Anna _ à Groutel : cf page 105; Anna Ratut-Lanzmann était née à Riga… _ ; et ce fut une débauche de victuailles,de cochonnaille, de pain ,de beurre et de vodka ouvreuse d’esprit et de mémoire.

Je sus, écoutant Henrik, que les enquêtes exploratoires étaient maintenant terminées ; qu’il fallait passer à l’acte : tourner au plus tôt. (…) Non seulement tourner, mais arrêter d’abord cette déferlante de paroles capitales que je libérais par mes questions ; ces souvenirs, précieux comme de l’or et du sang, que je ravivais.

Nous parlions de la façon dont s’opérait, sur la rampe, le déchargement, à la course, à la matraque et dans les hurlements, de ceux et celles qui, une heure ou deux plus tard, auraient cessé de vivre ;

et je lui demandais : « Quand vous tirez les wagons jusqu’au bout de la rampe… » Il m’interrompit net : « Non, non, ce n’est pas ça ; je ne les tirais pas, je les poussais », esquissant de son poing fermé un geste de poussée.

Je fus, par ce détail, terrassé _ rien moins ! _ de vérité ;

je veux dire que cette confirmation triviale m’en disait plus,

m’aidait davantage à imaginer _ réalistement ! par les gestes ! la praxis ! pas fantasmatiquement _ et à comprendre

que toutes les pompes d’une réflexion _ théorétique _ sur le Mal, condamnée à ne réfléchir qu’elle-même _ sans gripper si peu que ce soit sur la « vie de chair » des personnes « en action« 


Il me fut clair que je devais absolument cesser d’interroger Gawkowski :

contrairement aux protagonistes juifs, sur lesquels je voulais, avant le tournage, en savoir le plus possible,

il fallait ici ne rien déflorer _ avant le tournage.

Oui, j’étais le premier homme à revenir _ d’ailleurs que de leur quotidien _ sur le lieu du crime ;

et eux, qui n’avaient jamais parlé, souhaitaient, j’en prenais conscience, torrentiellement le faire.

Maintenir cette virginité, cette spontanéité, était un impératif catégorique _ de l’œuvre à faire naître _ ; cette Pologne était un trésor à ne pas dilapider.

Je savais, après une seule journée et une folle nuit, qu’au cours de ce voyage il me faudrait voir les lieux, les arpenter, comme j’allais le faire à Chelmno ; mais parler et questionner le moins possible ; rester à la surface, effleurer le pays de l’extermination _industrielle _

mais, pour oser aller en profondeur,

attendre le tournage proprement dit ;

donc y procéder au plus vite »  _ telle est la « leçon rapide » du premier contact avec le sol et le paysage polonais, pages 495 à 497 : le chapitre XX a débuté page 489…

Caractérisée, cette « incarnation« , par l’ »expérience« , éprouvée dans toutes les fibres de son corps (et pas si fréquente que cela !), d’un « nous » :


cet « être vrais ensemble« 

de l’ »incarnation« 

tel (et telle) que l’entend ici, tout au long de son « Lièvre de Patagonie« , Claude Lanzmann,

ce peut être le « nous » de la « rencontre » de « soi » avec un lieu,

de la « rencontre » de « soi » avec une personne,

de la « rencontre » de « soi » avec des pierres,

ou de la « rencontre » de « soi » avec un animal,

rencontré(es), le lieu, la personne, les pierres, l’animal, « vraiment » par « soi-même » ;

et pas seulement « croisé(e)« , comme un simple « décor » de tout autres « opérations« ;

il faut aussi et encore que le « soi« , lui-même, soit, lui aussi, « vraiment » là ;

« vraiment » « présent« , 

par l’effet de ce que Claude Lanzmann ose nommer, page 82, une « présentification »

_ même si c’est, alors, en cette occurrence, à propos d’une autre « opération » qu’impliquant la « vérité » du « soi » dans la « rencontre«  avec une altérité rayonnante de puissance :

au printemps 1942, le « rappel » à ses enfants Lanzmann de leur mère (se cachant à Paris), Paulette Grobermann, par la médiation tellement improbable et merveilleuse de son nouveau compagnon, le poète surréaliste juif serbe Monny de Boully, ayant osé franchir la ligne de démarcation pour cet exploit de les rejoindre et leur parler, avec amour, d’elle chez leur père, à Brioude… :

« Et soudain, en pleine guerre, au cœur des pires dangers, cette mère des hontes et des craintes _ qu’elle avait pu être, pour lui, par le passé _ se présentifiait à moi tout autre _ radieusement ! _, par l’amour que lui vouait un extraordinaire magicien » !

Avec ce commentaire magnifique, toujours page 82 :

« Quelque chose d’incroyablement fraternel, dû peut-être aussi aux circonstances, se noua entre nous trois _ Monny, Claude et son père Armand : « mon frère Jacques travaillait depuis peu comme valet de ferme chez des paysans«  ; c’était aussi que,« contrairement à moi, mon père et Monny partageaient le même savoir : l’un aimait Paulette, l’autre l’avait aimée ; il l’aimait peut-être encore ; il ne cessa jamais tout à fait de l’aimer« , toujours page 82… _

Et la réalisation de cette « incarnation » d’un « être vrais ensemble« 

n’est pas l’occurrence la plus fréquente,

nous allons ici-même le constater ;

ainsi qu’y méditer un peu…

Titus Curiosus, ce 13 août 2009



Ce vendredi 6 juillet 2009, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

En hommage à Claude Lanzmann (1925 – 2018) et son « Lièvre de Patagonie », en 2009

06juil

En hommage à Claude Lanzmann

(Bois-Colombes, 27-11-1925 – Paris, 5-7-2018),

qui nous quitte ce jour,

et à son superbe Lièvre de Patagonie (en 2009)

ainsi qu’à son œuvre cinématographique (dont le magistral Shoah ),

re-voici

en sept épisodes (des 29 juillet, 13, 17, 21 et 29 août, et 3 et 7 septembre 2009)

la lecture que j’avais faite, de ce 29 juillet à ce 7 septembre 2009,

de son Lièvre de Patagonie ;

et pour ce jour le premier volet : 

La joie sauvage de l’incarnation : l’ »être vrais ensemble » de Claude Lanzmann _ présentation I

L’abord de l’homme était plutôt rugueux.

Mais l’œuvre est magistrale !

— Ecrit le mercredi 29 juillet 2009 dans la rubriqueCinéma, Histoire, Littératures, Rencontres”.

Avant d’en venir à justifier le titre de cet article-ci, « La Joie sauvage de l’incarnation : « l’ »être vrais ensemble » de Claude Lanzmann« ,

d’après la formule de l’ante-pénultième phrase du livre, à propos du choix du lièvre, et plus précisément même du « lièvre de Patagonie » _ « Pourquoi ai-je soudainement décidé de donner à mon livre ce titre insolite, « Le Lièvre de Patagonie«  ?« , à la page 545  _ pour emblème de ce livre de « Mémoires » d’une vie de quatre-vingt-trois années passées

_ la première moitié de la réponse (la seconde concernant l’œuvre de ma propre cousine, Silvina Ocampo _ = l’épouse de mon cousin Adolfo Bioy _, auteur d’un sublime récit, « La liebre dorada« … dont un extrait, le tout début, de 27 lignes constitue, page 11, en exergue _ cf l’explication : magnifique ! page 256 _ l’incipit superbe du livre !) se trouve immédiatement donnée alors, page 546 : « les lièvres, j’y ai pensé chaque jour tout au long de la rédaction de ce livre, ceux du camp d’extermination de Birkenau, qui se glissaient sous les barbelés infranchissables pour l’homme _ et présents (pour l’éternité !) dans « deux plans rapides mais centraux pour moi« , dans « Shoah« , en même temps que Rudolf « Vrba parle« , est-il indiqué aux pages 256-257 _ ; ceux qui proliféraient dans les grandes forêts de Serbie tandis que je conduisais la nuit, prenant garde à ne pas les tuer _ lors « d’un voyage compliqué« , et même « une aventure« , par l’Oberland bernois, Milan, et presque toute la Yougoslavie, les « premières vacances d’été » avec Simone de Beauvoir, l’été 1953 ; et qui marquèrent, dit Claude Lanzmann page 256, « mon intégration dans la grande famille sartrienne«  Enfin l’animal mythique qui _ lors d’un voyage en Argentine, en 1995 _ surgit dans le faisceau de mes phares après le village d’El Calafate, me poignardant littéralement le cœur de l’évidence que j’étais en Patagonie, qu’à cet instant la Patagonie et moi étions vrais ensemble ». Suivie immédiatement de : « C’est cela, l’incarnation. J’avais près de soixante-dix ans, mais tout mon être bondissait d’une joie sauvage, comme à vingt ans« … Et sur la splendeur de ces mots s’achève « Le Lièvre de Patagonie« _,

et donc de préciser ce que Claude Lanzmann entend et par « la joie sauvage de l’incarnation«  _ voire d’éventuelles futures, autant qu’irrationnellement improbables, « métempsycoses« , ajouterais-je… _, et par l’ »être vrais ensemble« ,

je voudrais d’abord, en un premier volet (I) « d’introduction » de cet article, présenter la « trame » de ce travail très riche et passionnant de « Mémoires » auquel Claude Lanzmann se livre, sur 546 pages,

non pas tout à fait la plume à la main sur le papier,

ni même lui-même au clavier d’un ordinateur (tapant avec un seul doigt : « mes hachures désynchronisaient ma pensée, en tuaient l’élan » _ page 14 : faire vivre « l’élan » : une affaire, essentielle, comme toujours, de « rythme » !.. _,

mais grâce à « un prolongement de moi-même, c’est-à-dire d’autres doigts«  _ plus et mieux alertes : toujours page 14 _ : ceux de « la philosophe Juliette Simont, mon adjointe à la direction de la revue « Les Temps modernes », en même temps que ma très proche amie, et, quand Juliette était empêchée par son propre travail« , ceux de « ma secrétaire, Sarah Streliski, talentueux écrivain » : « devant un large écran, je trouvais miraculeuse l’objectivation immédiate de ma pensée, parfaite au mot près, sans ratures ni brouillon«  _ page 13 : le rythme de la pensée est donc celui de la parole se déployant en se confiant à une oreille amie et féminine : telle l’infiniment belle Ariane « aux très fines oreilles«  rêvée par Nietzsche ;

en confirmation de cette intuition, cette phrase, page 14 :

« Juliette, tandis que je dictais, faisais preuve d’une patience infinie, respectait mes silences réflexifs _ que le lecteur perçoit à l’occasion, tant ils peuvent s’avérer décisifs pour le penser lui-même de Claude Lanzmann formulant ce dont il va parvenir ainsi, et ainsi seulement, à se souvenir _, fort longs parfois ; sa propre présence _ tant « incarnée«  alors, qu’« incarnante«  pour Claude Lanzmann en son effort de remémoratio-méditation-forrmulation : magnifique ! quelle superbe nouvelle œuvre, après les films (dont l’unique « Shoah » !) que ce « Lièvre de Patagonie«  ! _ silencieuse et complice _ comme cela devait être _ étant elle-même _ et voilà l’essentiel que je voulais formuler à mon tour_ inspirante«  ;

la « gratitude«  envers Juliette-Ariane s’accompagnant d’une égale « reconnaissance« envers Ariane-Sarah, « qui sut être aussi patiente _ et « inspirante« , aussi ! _ que Juliette »

Ensuite, j’en viendrai, en un second volet (II), à l’angle de focalisation de mon propre regard sur ce livre,

quant à « la joie sauvage de l’incarnation » ; et à « l’ »être vrais ensemble » ;

tels que les envisage tout au long de cet immense livre, son auteur, Claude Lanzmann…

C’est à l’aune de la mortalité de la vie même

_ pardon de l’évidence : la condition de la vie, c’est l’individuation, de temps « non illimité« , des « membres » (ou « chaînons » : passeurs de gènes) des espèces sexuées : l’espèce sexuée ne « demeurant« , elle, que par la « re-production » (un jeu de « variations » génétiques…) de ses « éléments » (la « constituant » par là même : sinon l’espèce disparaît, rien moins ; irréversiblement…) : les « individus » (qui méritent assez mal ce nom-là, « chaînons » qu’ils sont bien plutôt, et vers l’aval, et par l’amont…) en la jeunesse fougueuse de leur « fécondité » d’abord pulsionnelle, érotique, amoureuse… _,

c’est à l’aune de la mortalité de la vie même

que se comprend l’existence _ riche d’événements-aventures de tous genres _, la sagesse (un peu « constituée« , et de bric et de broc, « rapiécée« , donc, au travers de pas mal de « folies » accumulées ; dont pas mal, encore, de rien moins que « mortelles » !.. on va le constater tout au long de ce livre !..) et l’écriture même _ au-delà de l’existence de son auteur ! _ de ce livre : « Le Lièvre de Patagonie« , que vient nous offrir, en son quatre-vingt-quatrième printemps (le livre achevé d’imprimer le 17 février 2009 est paru le 12 mars 2009  ; et l’auteur ayant vu le jour le 27 novembre 1925), Claude Lanzmann…

Ce n’est, en effet, pas tout à fait pour rien que la première phrase du livre _ ainsi que tout le premier chapitre (des vingt-et-un que comporte ce « Lièvre de Patagonie« ) _ s’éclaire de cette lumière (mortelle) :

« La guillotine _ plus généralement la peine capitale et les différents modes d’administration de la mort _ aura été la grande affaire de ma vie », page 15 

_ en regard, et en contrepoint, Claude Lanzmann y ajoutera, faisant, il est vrai, un formidable contrepoids, « l’incarnation » : page 545 : « Avec la peine capitale, l’incarnation _ mais y a-t-il contradiction ? _ aura été la grande affaire de ma vie«  ;

soit, réservant à « l’administration de la mort« , le (terrible) premier chapitre, ainsi que, de-ci, de-là, quelques flashbacks ; mais consacrant à « l’incarnation » et à sa « joie sauvage« , tout le reste (et la plénitude ! avec un peu de patience…) du trésor de cet immense livre !!! _ ;

et nous allons le constater, en effet, avec lui…

Le chapitre premier se terminant, pages 27 à 29, par

_ en ce « temps » ad-« venu » « des bouchers«  (l’expression se trouve page 27 : « bouchers«  d’hommes, en l’occurrence ; « et que les bouchers me pardonnent, car ils exercent le plus noble des métiers et sont les moins barbares des hommes« , prend bien soin d’ajouter, tout aussitôt, Claude Lanzmann, page 27) _

le détail d‘ »images atroces » de « mises à mort d’otages perpétrées sous la loi islamique en Irak ou en Afghanistan » :

« minables vidéos d’amateurs tournées par les tueurs eux-mêmes, qui se voulaient terrorisantes ; et le sont en effet« , toujours page 27.

Claude Lanzmann commente :

« Le seul résultat (d« une suspecte déontologie » censurant la diffusion de ces images) « fut de faire silence sur un saut qualitatif sans précédent dans l’histoire de la barbarie mondialisée, d’occulter l’avènement d’une espèce mutante dans la relation de l’homme à la mort » _ « Le Lièvre de Patagonie » étant un hymne d’amour fou à la vie !« Elles ont donc circulé sous le manteau _ seulement _ et nous sommes très peu nombreux _ il le regrette ! _ à avoir pu prendre la pleine mesure _ voilà ! _ de l’horreur _ gravissime ! _, en luttant pour ne pas détourner le regard » : suit la description alentie, sobre et nue de la décapitation d’un otage « au coutelas » (page 28) filmée en direct, « les yeux de l’égorgé roulant dans leurs orbites«  ; jusqu’à la phrase de conclusion de ce chapitre d’ouverture, page 29 : « Le visage de l’égorgé et celui du vivant qu’il était _ encore l’instant d’avant ! _ se ressemblent irréellement. C’est le même visage, et c’est à peine croyable : la sauvagerie de cette mise à mort _ qu’a-t-elle à voir avec « la joie sauvage » de « l’incarnation » ?.. Il va donc falloir y regarder d’un peu près !.._ était telle qu’elle semblait _ à tort donc : c’est le même visage qui a donc demeuré en la tête coupée !.. _ ne pouvoir se sceller que d’une radicale défiguration » _ comme si le « visage » (de la personne vivante) décidément « résistait » même à la barbarie effroyable de cette « annihiliation« ...


Le chapitre 2 constitue, lui, l’ouverture de cet « hymne à la vie«  qu’est cet « immense« livre :

« De même que j’ai pris rang dans l’interminable cortège des guillotinés, des pendus, des fusillés, des garrottés, des torturés de toute la terre,

de même je suis _ au même titre que quiconque : « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui« , selon la formule conclusive des « Mots » de Sartre, que Claude Lanzmann rapporte au moins deux fois en ce « Lièvre de Patagonie« , par exemple page 371… _ cet otage au regard vide, cet homme sous le couteau.

On aura compris que j’aime la vie à la folie ;

et que, proche de la quitter

_ tel un Montaigne rédigeant le sublime chapitre 13 du livre III des « Essais » : « de l’expérience » : y  revenir souvent !!! _,

je l’aime plus encore, au point de ne pas même croire à ce que je viens d’énoncer

_ sur la « loi » de la « disparition » programmée (soit la mortalité !) de tout « chaînon » (= passeur de la vie) d’une espèce sexuée ! y compris soi, par conséquent !.. pour lequel, aussi donc, viendra sonner le glas !.. _,

proposition d’ordre statistique  _ seulement ! _, donc de pure rhétorique _ voire syllogistique _, à laquelle rien ne répond _ sensitivement ! a contrario _ dans mes _ propres _ os et dans mon _ propre _ sang _ en une perpétuellement renouvelée (par l’œuvre ! en particulier, même si pas seulement : par la « vérité«  (charnellement ressentie) de quelques rencontres d’« humains non-inhumains« , aussi…) ; en une perpétuellement renouvelée, donc, jeunesse ! C’est ici que nous retrouverons, chaque fois, à un certain nombre de « reprises« , dans ce livre-ci, et en leur diversité, la logique (un peu plus rare, elle) de l’« incarnation«  intensément (voire « sauvagement«  : dans la « joie«  !) ressentie : éprouvée, expérimentée même !.. Cf la sublime formulation de cela même par Spinoza en son « Éthique » : « Nous sentons et nous expérimentons _ parfois ! et dans le temps d’une vie : en ces moments bénis de pure grâce-là, justement !.. qui surviennent ; et qu’il nous appartient d’apprendre à « accueillir«  « vraiment«  : tout un apprentissage !.. eu égard à la myriade cliquetante et tintinnabulante des faux éclats de faux-semblants en tous genres…_ que nous sommes éternels«   Je ne sais ni quel sera mon état, ni comment je me tiendrai _ l’expression passe du passif (biologique) à l’actif (de la posture de l’« exister » !) _ quand sonnera l’heure du dernier appel.

Je sais, par contre, que cette vie si déraisonnablement aimée aura été empoisonnée _ hic Rhodus, hic saltus ! _ par une crainte de même hauteur _ c’est dire ! _, celle de me conduire lâchement _ en contraste avec savoir « se tenir«  ! _ si je devais la perdre en une des sinistres occurrences que j’ai décrites plus haut _ celles de la « mort administrée«  ! par violence d’autrui, d’un bourreau : je reprends ici le terme (d’« administration » : de la mort) de la première phrase du livre, page 15. Combien de fois me suis-je interrogé sur l’attitude qui eût été la mienne devant la torture ?« …

Et le récit

(des « Mémoires » : c’est l’indication qui accompagne en couverture le titre « Le Lièvre de Patagonie« )

s’engage alors, page 31

_ en cette méditation sur la ligne de partage entre courage, audace et lâcheté : le livre étant par là un « examen de conscience » ;

en plus d’un très décidé, plus encore, « acte » de « paix«  (pré-testamentaire !) avec beaucoup d’autres (que soi) !

Cf, pour exemple, avec Claude Roy, lors d’un Festival d’Avignon (quelque temps avant que celui-ci ne meure, en 1997) : page 188, je vais y revenir plus loin ;

ou, encore, avec son cher Jean Cau, son « plus proche ami » du temps du lycée Louis-le-Grand, page 136 :

« Nous fûmes lui et moi brouillés pendant une longue période ; ou plutôt la vie _ des options idéologiques distinctes, voire opposées, sinon incomptatibles… _ nous brouilla ; mais je lus un jour, dans un vol Paris-New-York, le portrait magnifique, exact, intelligent, tendre et hilarant qu’il brossa de Sartre dans son livre « Croquis de mémoire » _ en 1985 : le livre a reparu en 2007 dans la petite bibliothèque Vermillon des éditions La Table ronde ; Jean Cau, lui, allait mourir le 18 juin 1993… _ ; et la première chose que je fis en arrivant dans la chambre d’un hôtel de Manhattan fut de l’appeler pour lui dire mon admiration, mon amitié inaltérée _ soit l’essentiel ! _ ; et que je l’étreignais. Il fut, je crois, aussi ému que moi ; nous nous revîmes dès mon retour à Paris ; la brouille avait pris fin«  : c’est superbe !..

Fin de l’incise sur les « actes de paix«  ; mais j’y reviendrai ! parce que c’est un élément majeur de cet immense livre ! _

et le récit s’engage alors _ je reprends le fil de ma phrase _

sur le souvenir de son condisciple du lycée Blaise-Pascal, à Clermont-Ferrand,« fin novembre 1943« , Claude Baccot :

car « je suis d’une certaine façon responsable de sa mort«  ; Baccot, en effet,« savait que depuis la rentrée d’octobre, je dirigeais la résistance au lycée. En vérité, c’est moi qui avais créé le réseau à partir de rien » ; « Baccot m’aborda frontalement : « Je veux joindre la Résistance, mais ce que vous faites ne m’intéresse pas. Je sais que des groupes d’action existent, c’est ce qu’il me faut. » « Les groupes d’action, tu sais ce que cela veut dire, tu connais les risques ? » Il savait, il connaissait. Je lui dis alors : « Réfléchis pendant une semaine, réfléchis bien, tu me reparles après »

Pages 39 et 40 : « La semaine de réflexion que j’avais imposée à Baccot ne le fit pas changer d’avis. Il quitta très vite Blaise-Pascal, nous n’entendîmes plus parler de lui. Jusqu’à son suicide, quatre mois plus tard _ ce qui donne fin mars, début avril 1944…Pendant quatre mois, Baccot, membre des groupes d’action du PCF, avait abattu des Allemands et des miliciens dans les rues de Clermont-Ferrand. Pour le Parti, exclu des parachutages anglo-américains destinés à la seule résistance gaulliste, il n’y avait qu’un seul moyen de se procurer des armes : les prendre sur l’ennemi. Chaque Allemand descendu signifiait un revolver, un pistolet, une mitraillette. Baccot, pendant cette brève période, fit montre d’extraordinaires qualités de courage, de hardiesse, de patience, d’astuce, de détermination. Repéré, identifié, poursuivi, il se fit cerner place de Jaude, la place centrale de Clermont-Ferrand : se voyant encerclé sans aucune échappatoire, il se réfugia dans une vespasienne ; et au cœur même du limaçon se fit sauter la cervelle pour ne pas être pris vivant. »

Claude Lanzmann commente, page 40 : « Baccot est un héros indiscutable que j’admire sans réserve. mais je sais _ se dit-il au présent de la réflexion rétrospective _que je n’aurais jamais pu, comme lui, me tirer une balle dans la tête à l’instant d’être capturé ; et ce savoir a plombé toute ma vie« .

Et il poursuit : « J’ai mené beaucoup d’actions objectivement dangereuses pendant la lutte clandestine urbaine _ ensuite, en mai-juin-juillet-août 1944, ce sera aux maquis de la Margeride, au Mont-Mouchet et aux abords du Lioran (Claude Lanzmann donne le détail de deux embuscades meurtrières, les 7 et 14 août 1944, aux pages 120 à 123 : y sont « tombés«  ses camarades Rouchon _ « J’aimais Rouchon, il était en classe de philo à Blaise-Pascal, interne comme moi, nous partagions la même salle d’étude. De Riom, sa mère lui envoyait sans arrêt des fougasses et des clafoutis qu’il gardait dans son casier et partageait avec nous« , page 122 _, Schuster, Lhéritier…) _, mais je me reproche de ne pas les avoir accomplies en pleine conscience, car elles ne s’accompagnaient pas de l’acceptation du prix ultime à payer en cas d’arrestation : la mort. Aurais-je agi si j’en avais pris, avant l’action, la pleine mesure ? Et même si on soutient que l’inconscience _ de l’audace _ est aussi une forme de courage, agir sans être intérieurement prêt au sacrifice suprême relève finalement de l’amateurisme _ de simple hasard : incapable d’œuvre (qui se tienne) _, voilà ce que je ne cesse de me dire encore aujourd’hui.
La question du courage et de la lâcheté
_ au cœur de la question de l’œuvre : fut-elle celle de la personne humaine même : « non-inhumaine«  !.. _, on l’aura compris sans doute, est le fil rouge de ce livre, le fil rouge de ma vie« , confie-t-il, page 40, donc.

Voilà une clé décisive : face aux divers hasards _ ne prenant véritablement sens, pour une « vraie«  personne, qu’à savoir, peu à peu, être « recueillis« _ des rencontres, mauvaises comme bonnes, d’une vie pleine et secouée ;

au risque d’être balayée, détruite, volée, « annihilée« , cette vie singulière (et unique !) :

le mot (comme la chose) va (et vont) revenir en force, et comme une insistante, inentamable, épée de Damoclès, en ces « Mémoires« 

_ ainsi, et dès le début de janvier 1945, Claude Lanzmann se remémore-t-il aux pages 131-132, l’épisode suivant :

quand, « à ma stupéfaction, la majorité des internes des deux khâgnes de Louis-le-Grand, suivie moutonnièrement par les hypokhâgneux, proposa de donner le nom de Brasillach à une de nos salles, la mienne en l’occurrence, celle de K 1. Le fait que Brasillach, ancien khâgneux de Louis-le-Grand, ait étudié sur les bancs mêmes où nous étions assis l’emportait absolument _ le terme est intéressant _ sur les appels abominables au meurtre des Juifs proférés par l’écrivain collabo dans « Je suis partout » et d’autres feuilles à la solde des nazis. Cela ne pesait rien, ne comptait pas ; et je compris alors d’emblée _ dès janvier 1945, donc _, avec un dégoût qui ne m’a peut-être _ en effet ! _ jamais plus quitté, que le grand vaisseau France avait poursuivi impassiblement _ eh ! oui _sa route, insensible _ certes _ à ce que d’autres _ oui : situés aux marges… _ éprouvaient comme un désastre _ de l’Humanité tout entière, et à l’échelle de toute l’Histoire _, la destruction de millions de vies et de tout un monde _ en effet : mais assez peu, en dehors de ces quelques « autres« -là, touchés, eux, d’un peu près, en prirent, alors, « réellement« conscience ; le témoignage de Primo Levi, « Si c’est un homme« , par exemple, ne fut pas davantage, alors, « reçu« , lu, compris !.. Il fallut attendre les années soixante, avec le retentissement (mondial, lui) du Procès Eichmann (11 avril – 15 décembre 1961) à Jérusalem…

Et Claude Lanzmann d’ajouter, page 132 : « C’était mon premier jour _ à Louis-le-Grand, où il avait été admis grâce à l’intervention expresse de Ferdinand Alquié, ami de sa mère Paulette Grobermann-Lanzmann et de son compagnon Monny de Boully, le « Rimbaud serbe«  surréaliste (Belgrade, 1904 – Paris, 1968), ami lui-même de Breton, Aragon, et Max Jacob ; et Éluard, et Ponge… _, je ne connaissais personne _ encore, parmi les autres élèves de ces classes préparatoires _, je ne comprenais rien aux  lauriers dont on couvrait le talent de Brasillach, qui l’absolvait du pire ; et je n’osai intervenir _ sur le champ, tout « résistant » effectif qu’il avait été… _ au milieu de ces jeunes bourgeois qui suintaient la légitimité par tous leurs orifices, regards, façons de respirer. Ils étaient _ eux _passés à côté _ oui _ de la guerre ; la France avait continué à « fonctionner«  ; et eux avec » _ exactement !..

Intervint alors « une voix tout à la fois sèche et lyrique, avec un accent du Midi dompté par un mode d’articuler et une gestuelle démonstrative acharnée à convaincre » qui« s’empara de la parole, libérant du même coup la mienne. C’était celle de Jean Cau » _ qui devint, pour la vie, son ami. « Le procès de Brasillach eut lieu le 19 janvier _immédiatement en suivant _ ; il fut, comme prévu, condamné à mort et, malgré une pétition d’intellectuels de renom, fusillé le 6 février au fort de Montrouge. Aucune salle de Louis-le-Grand ne porta jamais son nom » _ et fin de cette incise

Surgit alors

_ et je reviens ici au « fil rouge«  de « la question du courage et de la lâcheté«  ! formulé à la page 40 _,

surgit alors,

après une première réflexion de Sartre sur « une formule de Michel Leiris«  à propos des codes d’honneur d’« officiers ayant failli à leur mission«  (qui « se donnaient la mort presque mécaniquement et comme par réflexe« , page 41) , et du «  »courage militaire » codifié« ,

et avec quelle magnifique intensité,

le souvenir d’une parole singulière, à Claude Lanzmann, durant le tournage de « Shoah« , de Filip Müller

_ « un des héros inoubliables de « Shoah«  », en effet : le grand œuvre de Claude Lanzmann _,

« membre pendant presque trois ans du Sonderkommando d’Auschwitz » :

il « me disait au terme cela aussi peut être relevé _ d’une très éprouvante journée de tournage :

« Je voulais vivre, vivre à toute force, une minute de plus, un jour de plus, un mois de plus. Comprenez-vous : vivre »

_ « un instant, s’il vous plaît, Monsieur le bourreau«  demanda aussi, au pied même de la guillotine, la reine

Les autres membres du commando spécial, qui partagèrent le calvaire de Filip Müller

_ et que Claude Lanzmann se fait un devoir de tous nommer alors, pages 41-42 :

« Yossele Warszawski, de Varsovie, arrivé de Paris ; Lajb Panusz, de Lomza ; Ajzyk Kalniak, de Lomza également ; Josef Deresinski, de Grodno ; Lajb Langfus, de Makob Mazowiecki ; Jankiel Handelsman, de Radom, arrivé de Paris ; Kaminski, le kapo ; Dov Paisikovich, de Transylvanie ; Stanislaw Jankowski, dit Feinsilber, de Varsovie, arrivé de Paris, un ancien des Brigades internationales ; Salmen Gradowski et Salmen Lewental, les deux chroniqueurs du commando spécial« …  _,

nobles figures, fossoyeurs _ effectifs, à Auschwitz _ de leur peuple, héros et martyrs,

étaient comme lui des hommes simples, intelligents et bons _ chacun des termes a tout son poids.

Pour la plupart, dans l’enfer des bûchers et des crématoires _ cet « anus mundi », selon le mot du Dr Thilo, médecin SS _, ils n’abdiquèrent _ encore un terme décisif ! _ jamais leur humanité.« 

« A la question obscène : « Comment ont-ils pu ? Pourquoi ne se sont-ils pas suicidés ? »,

il faut les laisser répondre _ les écouter est déjà assez rare _ et respecter absolument leur réponse.« 

« Mais c’est Salmen Lewental

_ un des membres de ce Sonderkommando d’Auschwitz, qui, avec Salmen Gradowski, « nuit après nuit _ et parce qu’ils pensaient qu’aucun ne survivrait _ s’astreignirent à tenir _ en direction de nous autres, au nom de tous ces « annihilés« dont ils assuraient ainsi un désespéré ultime « témoignage«  _ le journal de la géhenne et enterrèrent _ pour les préserver et transmettre _ leurs feuillets dans la glaise des crématoires II et III, la veille même de la révolte avortée du Sonderkommando ( 7 octobre 1944), où ils laissèrent leur vie : manuscrits en yiddish, d’une haute et ferme écriture, retrouvés rongés et piqués d’humidité _ l’un en 1945, l’autre en 1962 _ manuscrits aux trois quarts indéchiffrables et plus bouleversants encore de l’être« , précise Claude Lanzmann, page 42 : cet admirable (en effet !!!) « journal de la géhenne » est désormais universellement accessible en édition « de poche » sous le titre générique « Des Voix sous la cendre« , par les soins du Mémorial de la Shoah (et de Georges Bensoussan) : un des plus admirables livres qui soient !!! _

c’est Salmen Lewental, ce Froissart admirable du commando spécial _ ainsi que le qualifie Claude Lanzmann, page 43 _,

qui, de sa haute écriture, a le mieux répondu à la question obscène :

« La vérité, a-t-il écrit, est qu’on veut vivre à n’importe quel prix, on veut vivre parce qu’on vit, parce que le monde entier vit. Il n’y a que la vie… »

_ la vie réelle, et pas l’imaginaire !

Et, de fait, il nous bien admettre que la vie de tout individu (sans exception) est mortelle ;

pas de « métempsycose » (ou « ré-incarnation« ) de soi-même, en tout cas _ fut-ce en « lièvre de Patagonie« , d’« entre les barbelés d’Auschwitz« , ou des « grandes forêts de Serbie« … _ à « envisager« , le plus probablement (mais j’y reviendrai dans l’article à suivre…) ;

on ne peut guère, en tout cas raisonnablement et à froid, « tabler«  sur pareille « éventualité« 

L’individu est essentiellement le « maillon«  de l’espèce (sexuée)…

A notre disposition, seulement, en cette unique vie (d’individu vivant mortel), donc

(= irréductiblement et irréversiblement « mortelle«  : nous butons invariablement, obstinément, et irrémédiablement, sur cette « loi«  biologique-là ; dont l’envers, mieux accepté, lui _ sauf névroses… _, est la sexuation…) ;

à notre disposition seulement, donc,

l’« incarnation«  (= existentielle, elle !) elle-même ;

et, cette « incarnation« -ci est bien l’autre _ et majeure ! _ « grande affaire » de l’œuvre et de la vie de Claude Lanzmann, en regard de la menace toujours possiblement réelle, en effet, en fonction du contexte géo-politique et historique (à la responsabilité de l’« état«  duquel, « contexte« , nous avons au moins, chacun, une petite part de responsabilité « citoyenne« , dans les démocraties surtout, bien que si frêles ; et parfois, notamment par les temps qui courent, dupes d’elles-mêmes : mais disposons-nous de mieux ?..) ;

en regard de la menace toujours (terriblement) possiblement réelle, donc, de l’« administration de la mort«  : le meurtre (= la mort non naturelle) d’un vivant ; et son « annihilation«  prématurée : avant l’échéance biologique de rigueur (simplement statistique : non violente), elle…

La réponse de Claude Lanzmann à la question de sa méditation (« Comment ont-ils pu ? Pourquoi ne se sont-ils pas suicidés ?« )

est donc, page 43, que

« Vous haïssiez _ vous, à la différence des autres : les bourreaux l’« administrant« _ la mort ;

et, en son royaume _ des lieux d’extermination à échelle industrielle de la « Solution finale » ! _,

vous avez sanctifié la vie, absolument« … Voilà !.. 

Car il faut

_ pour lui, Claude Lanzmann, comme pour d’autres : mais être considéré

(par d’autres : et c’était le point de vue

_ bien trop partiel ! lui-même, Sartre, l’admettra ;

et grâce à Claude Lanzmann lui-même, surtout, qui en fait le récit dans « Le Lièvre de Patagonie« , page 205… _ ;

et c’était le point de vue de Sartre lui-même dans ses « Réflexions sur la question juive« , rédigées en octobre 1944 :

« je savais _ dit Claude Lanzmann, en cette page 205 _ que je devais dépasser les « Réflexions« , qu’il y avait bien autre chose à découvrir et à penser _ j’en ai parlé par la suite avec Sartre, qui m’approuvait » _ dont acte !)

mais être considéré (par d’autres que soi) comme « Juif«  ajoute déjà beaucoup, et singulièrement, à la situation objective ! _

car il faut, donc,

« faire face«  à ce que Claude Lanzmann appelle, citant le remarquable David Grossman _ l’auteur du bien beau « Voir ci-dessous, amour« … _, page 47, « la peur de l’annihilation » _ de tous : les siens (enfants compris !), comme de soi !

voici le mot crucial, « annihilation« , pour le génocide annoncé…

A propos de Tsahal, l’armée de l’État d’Israël, auquel il a consacré, en 1994, le troisième de ses films (« Tsahal« ...), Claude Lanzmann pose ceci, page 45 :

« Tsahal n’est pas une armée comme les autres ;

et dans la relation des soldats d’Israël à la vie, à la mort, s’entend encore à pleine force l’écho, si peu lointain en vérité, des paroles de Salmen Lewental, que je citais il y a instant _ page 43.

Ils n’ont pas la violence dans le sang ; et le privilège accordé à la vie, qui fait de sa sauvegarde un principe fondateur, est à l’origine de tactiques militaires spécifiques propres à cette armée et à nulle autre.

Ce choix de la vie contre le néant n’a _ certes _ pas empêché les combattants juifs, lors de chacune de leurs guerres, les plus grands sacrifices, le sacrifice suprême s’il le fallait ». « Ils n’ont pas la violence dans le sang _ répète-t-il, page 45 : à la différence d’autres (égorgeurs d’otages) ; et il y a là à « méditer«  _, ils savent donner leur vie,

mais ils ne la mettent pas en jeu _ seulement _ pour l’honneur, pour la montre, pour demeurer fidèles à une geste et à des traditions de caste«  _ page 43, Claude Lanzmann avait cité l’héroïque exemple des « Saint-Cyriens des ponts de Saumur en 1940«  : qui avaient été « capables de mourir hégeliennement pour l’honneur et la guerre des consciences« 

Je cite donc in extenso les paroles de David Grossman que rapporte Claude Lanzmann aux pages 46-47, à propos de la situation d’Israël :

« Nous _ Israéliens ; ou Juifs ; la nuance de la différence est-elle aussi à « méditer« _ naissons vieux. Nous naissons avec toute cette histoire avec nous _ ce n’est pas une affaire de « sang«  ; mais d’« histoire » advenue ; et surmontée… Nous avons un énorme passé _ d’antisémitisme _, très chargé. Nous avons un  présent _ d’antisionisme ?.. _ très intense, très âpre. Il faut un renoncement _ à certaines insouciances _, un engagement _ actif, citoyen, militaire… _, pour s’investir dans cette gageure qu’est Israël aujourd’hui _ dans (et « face à« ) son contexte géo-politico-historique. Mais si nous envisageons l’avenir, difficile de trouver un Israélien qui parle librement _ délivré de toute angoisse _ d’Israël, disons en 2025, de la moisson en 2025. Parce que nous sentons peut-être que nous ne disposons pas d’autant d’avenir.

Et quand je dis « Israël en 2025″, je sens le tranchant glacé de la mémoire, comme si je violais un tabou. Comme si était gravée dans mes gènes _ ou seulement dans la mémoire partagée ? _ l’interdiction de penser _ au sens de fantasmer, de « rêver«  _ aussi loin. Je crois qu’en réalité ce que nous avons dans l’esprit est essentiellement la peur. La peur de l’annihilation…« 

_ fin de la citation par Claude Lanzmann, page 47, des paroles de son ami David Grossman…

« La peur«  face à laquelle advient l’alternative dirimante « courage«  versus « lâcheté » (cf l’expression de la page 40 citée plus haut, comme « fil rouge«  de la vie de Claude Lanzmann)

Après un chapitre (III) consacré à son goût des avions et de l’aviation

_ Claude Lanzmann aime les défis athlétiques (« mon énergie cinétique est très grande, excessive à coup sûr« , laisse-t-il échapper, page 387) : tant sportifs (alpinisme, par exemple) qu’érotiques : Simone de Beauvoir l’y encouragera, aussi, il le narre en détails (dans le massif du Mönch, de l’Eiger, de la Jungfrau, dès l’hiver 1952-53 ; au Cervin, en 1954, pages 257 à 264 : « la haute montagne désormais m’habitait« , énonce-t-il page 257) ; ou, encore, sa belle-famille Dupuis, au temps de son mariage avec Judith Magre (dans le massif du Mont-Blanc, cette fois : en 1967, pour l’ascension de l’aiguille de M ; en août 1968, pour Midi-Plan, et avec ou sans l’assistance du grand guide Claude Jaccoux, aux pages 388 à 390)… _,

Claude Lanzmann entame son travail de mémoire

et d’« apuration des comptes« 

laissés, certains, trop douloureusement « ouverts« , encore, et « suppurant« , par la vie et les rapports (compliqués _ y compris en amitiés et amours : et c’est à dessein que j’emploie ici le pluriel !) des uns aux autres ;

et cela aussi bien avec des vivants,

tel Serge Rezvani,

ex _ et assez brièvement, à la fin des années quarante _ époux de sa sœur Évelyne,

entre deux « liaisons«  _ et surtout « dé-liaisons«  : assez vilaines… _ avec l’ex-ami de Claude, déjà, Gilles Deleuze

_ après une très pénible « scène«  entre les amis Claude et Gilles advenue sur le pont Bir-Hakeim :

« Il _ l’ami, alors, Gilles Deleuze _ désirait rompre avec ma sœur et voulait que je le lui annonçasse moi-même. Le choc fut très dur : je craignis et entrevis aussitôt le pire pour Evelyne«  ; Claude s’en fait l’écho à la page page 167, lors de la « première rupture«  de Gilles avec Évelyne _ ;

à ce propos _ celui de ces difficiles « transitions«  amoureuses de sa (petite) sœur, Évelyne _,

Claude Lanzmann décrit superbement une autre « scène« , éminemment « cruciale« , à quatre protagonistes, cette fois, et en usant d’une très belle métaphore cinématographique empruntée au « splendide film noir de Howard Hawks« , « Scarface« , pour décrire, de l’intérieur de la complexité du jeu des sensations de chacun des « acteurs«  de l’intrigue, un « choix » qui « tue«  (entre deux « incompossibles« …), la « scène«  ayant eu lieu, elle _ pour camper un peu le « décor« , jamais tout à fait neutre, de ce « climax«  difficile… : page 169 _ « au Royal, un café très animé de Saint-Germain-des-Prés _ un vrai bistrot avec un grand comptoir courbe, de hauts tabourets rouges et une large arrière-salle _, situé juste en face des Deux-Magots, au coin de la rue de Rennes et du boulevard Saint-Germain.

Nul n’aurait pu imaginer _ ajoute Claude Lanzmann, au passage, toujours page 169 _que le Royal ne serait pas éternel, qu’il serait remplacé par le Drugstore Saint-Germain« , « mort« , à son tour, « tout à la fois de sa belle mort et des bombes de la terreur. Une boutique du roi de la fringue transalpine lui a succédé, avec un restaurant chic et cher au premier étage » _ l’entend-on alors soupirer…

Avec ce commentaire extrêmement parlant, dans la foulée, page 169 encore, une très belle page, donc :

« Permanence et défiguration des lieux sont la scansion de nos vies. Je l’ai vérifié autrement, dans le désespoir, pendant la réalisation de « Shoah« , lorsque je fus confronté _ oui ! _ aux paysages de l’extermination en Pologne. Ce combat, cet écartèlement entre la défiguration et la permanence furent alors pour moi un bouleversement inouï, une véritable déflagration, la source de tout » _ même : rien moins ! J’y reviendrai dans mon second article !

Et encore cela, à la page suivante, la page 170 : « Vivants, nous ne reconnaissons plus les lieux _ mêmes _ de nos vies ; et éprouvons que nous ne sommes _ même _plus les contemporains de notre propre présent« 

Maintenant voici cette « scène«  très forte en « tension«  au café Royal, au carrefour Saint-Germain ;

une terrible « miroitante et destinale mise en abyme« , comme nous allons le constater :

« Au Royal donc, j’avais à peine retrouvé Rezvani et ma sœur _ revenant de leur nid d’amour dans les Maures _ que Deleuze entra dans mon champ de vision, ou plutôt dans notre champ de vision à nous trois. Nous nous vîmes tous les quatre dans la même seconde ; quatre regards s’échangèrent _ voilà ! _ en un éclair ; mais plus encore le mien  _ de grand frère _ sur Évelyne _ la petite sœur, de cinq ans sa cadette _ qui voyait Deleuze _ qui l’avait déjà une première fois vilainement quitté _ ; sur Deleuze _ l’ex « grand ami« , désormais, de Claude : depuis sa vilénie du Pont de Bir-Hakeim _ qui voyait Évelyne _ mal guérie, sans doute, de son précédent « abandon » ; en dépit de son mariage avec Serge… _ ; sur Serge qui les voyait se voir ; etc. ; miroitante et destinale mise en abyme.

Je sus, nous sûmes tous à l’instant qu’elle allait inéluctablement retourner à Deleuze.« 

Voici, maintenant la splendide métaphore cinématographique que convoque alors, en son récit du souvenir de cette « scène » au café « Royal« , Claude Lanzmann,

quand un « choix » tel que celui-là

_ entre deux incompossibles

(cf le sujet du « diplôme d’études supérieures de philosophie«  de Claude, dirigé par Jean Laporte : « les possibles et les incompossibles dans la philosophie de Leibniz« , aux pages 158 et 196) _

est _ rien moins que _ une condamnation à mort » ;

métaphore cinématographique empruntée au « splendide«  « Scarface » de Hawkes :

il s’agit de la terrible (et mortelle) « tension«  quand

« deux bras se tendent, deux briquets s’allument simultanément _ et concurremment !.. _

pour offrir leur flamme à la cigarette qu’une beauté fatale vient de porter à ses lèvres.
Ils sont trois, le vieux gangster dont elle est la maîtresse, le jeune loup qui veut à la fois la femme et l’empire de son maître.

C’est elle qui va trancher _ entre les incompossibles, donc _ : elle hésite _ un très bref, forcément, instant _ entre les deux flammes. Suspense infernal ; pas un mot n’est échangé ; pas une seconde de trop _ une fois de plus, le rythme (et l’art du rythme) est tout ! _ ; elle se décide, comme on tue _ re-voilà le meurtre de tout choix ! _, pour le plus jeune.

On sait _ conclut alors son raisonnement (de dix lignes, page 170), Claude Lanzmann_ que son choix est une condamnation à mort _ le rejeté ne s’en relevant pas… _ ; et que la main qui tend le briquet élu _ par la belle _ abattra celui dont la flamme a été dédaignée. »

« Du cinéma pur« , conclut alors, superbement (et d’expert !), Claude Lanzmann le compte rendu de cette « scène » abyssale et « destinale » à quatre, au « Royal« , désormais disparu, au carrefour « Saint-Germain-rue de Rennes » ;

de même que ne sont plus là, ni Évelyne, depuis le 18 novembre 1966, ni Gilles, depuis le 4 novembre 1995 ; et tous deux par suicide : « administration«  volontaire « de la mort«  à soi-même…

Fin de l’incise sur la « scène » abyssale et « destinale » du « Royal« .

Et retour au réglement (« de paix« ) du différend avec Serge Rezvani …

tel Serge Rezvani, donc,

ex (et assez brièvement) époux de sa sœur Évelyne _ Évelyne Rey-Lanzmann _

à propos d’assez vilaines « allégations« 

(quant à un prétendu « formidable paradoxe des Lanzmann, incestueux carriéristes se faisant la courte échelle pour monter à l’assaut des cimes : j’aurais livré _ rien moins ! et plus tard _ ma sœur à Sartre comme, auparavant, à Deleuze« , page 173)

pleines de « ressentiment«  jusqu’à « salir une famille entière« , celle des Lanzmann-Grobermann, dans son livre « Le Testament amoureux« , en 1981 :

dont Serge Rezvani

_ après le procès qu’a intenté et gagné alors Claude Lanzmann « à l’éditeur et à l’auteur du « Testament » : le livre a été expurgé d’un grand nombre de passages dont j’avais réclamé la suppression. Il a été réédité avec des « blancs » », page 173 _

a demandé, plus tard, très humblement pardon à Claude à l’occasion d’une lettre de condoléance pour la disparition, cette fois, de Jacques Lanzmann (disparu le 21 juin 2006), l’été 2006 _ cf page 174 ;

lui-même, Serge Rezvani, ayant perdu, le 22 décembre 2004, sa compagne Lula ; après une maladie d’Alzheimer…

la voici, cette lettre de demande de pardon (et de paix) telle que la rapporte, sans nul commentaire de sa part, Claude Lanzmann :

« Mon très cher Claude, j’ai appris tardivement la mort de Jacquot ! J’en ai été très peiné. Tant de souvenirs de jeunesse nous ont liés et nous lieront à jamais ! Une très grande tristesse s’ajoute à celle-là : le livre _ ignoble de bassesse ! en lire quelques extraits pour voir à quel niveau d’ignominie dans le mensonge et la salissure on peut atteindre dans la vomissure de la calomnie ! _ de Hazel Rowley… J’avais refusé de lui parler d’Évelyne, de toi, de nos souvenirs communs. Tu sais combien j’ai été désolé du « Testament amoureux«  !.. Je ne voulais pas négliger ce triste prétexte pour te dire mon inaltérée et très profonde affection. Je t’embrasse en frère » _,

aussi bien avec des vivants, donc, 

qu’avec des déjà morts

(par exemple, Gilles Deleuze :

rompant assez vilainement _ et par deux fois, ainsi ! _ avec Évelyne (« la subversion philosophique et désirante ayant besoin, pour s’épanouir et se donner libre carrière, d’une respectabilité bourgeoise qu’Évelyne ne pouvait pas lui apporter« , lâche Claude Lanzmann page 171, à propos de la cessation de cette « seconde liaison _ séquestration serait plus juste« …) : « Cette rupture _ amoureuse de Gilles avec Évelyne _ entraîna la mienne _ d’amitié avec Gilles _, je n’ai jamais revu Deleuze

_ vieil ami de la « khâgne de Louis-le-Grand« , page 140 ; et d’« une amitié très forte« , page 151 :

« fondée de ma part sur l’admiration que je lui portais et de la sienne sur ma capacité d’écoute, d’étonnement, de compréhension aiguë et d’enthousiasme proprement philosophique. D’un an et demi mon aîné, il entretenait avec moi un lien de maître à disciple, nous parlions des heures rue Daubigny _ au domicile de la mère de Gilles Deleuze _, il me conseillait des livres et constitua même pendant un temps un petit groupe fréquenté également par Tournier, Butor, Robert Genton, Bamberger, auquel, avec une totale absence d’avarice, il faisait des exposés lumineux, sur mille sujets, pour nous préparer à l’agrégation »... _,

je n’ai jamais revu Deleuze _ donc _

sauf en passant. L’admiration _ pour son « génie«  philosophique, page 146 _ resta intacte et s’accrut même ; l’amitié n’était plus.

La violence de son propre suicide _ par défenestration, le 4 novembre 1995 _ la ressuscita«  _ cependant :

ce verbe puissant de « conclusion«  (« la ressuscita«  !), quant à cette amitié, à la page 171,

en donnant, et sobrement et magnifiquement, acte ;

ou Claude Roy :

dont l’attitude envers sa sœur Évelyne (« il se disait éperdument amoureux d’elle« , page 183 ; mais « la femme de Claude, l’actrice Loleh Bellon lui«  ayant posé « le plus binaire des ultimatums : « C’est elle ou moi » », « Claude le civilisé extrême rompit avec une brutalité barbare« , en deux lettres : « l’une non datée, encore tendre« , mais « d’une tendresse qui sonne creux, où il prend ses distances, la prévient qu’il ne pourra pas la voir ces jours prochains«  ; et l’autre, « sa dernière lettre le 27 juillet 1966, avant de partir au soleil avec sa légitime épouse et de se rendre invisible. On comprend , le lisant, qu’Évelyne lui avais dit « Je te maudis »: il se défend piteusement contre cet anathème« .., page 184 ; si bien que « je ne l’avais jamais vue _ Évelyne _ aussi désespérée, hagarde, violente qu’après cette rupture, ce manquement à la parole et ce déni d’amour dont elle n’avait pas eu le moindre pressentiment« , s’épanche Claude Lanzmann cette même page 184) ;

Claude Roy dont l’attitude envers sa sœur Évelyne

suicidée, le 18 novembre 1966, n’est pas exempte, on le voit, de toute responsabilité… ;

cependant : « d’année en année, j’ai trouvé plus injuste la désignation de Claude Roy comme bouc-émissaire _ unique. Si faute il y a, elle est partagée ; et nous sommes nombreux à en porter la responsabilité. Il ne faut pas jouer à ce jeu-là.

J’ai rencontré Claude un jour au Festival d’Avignon, je lui ai dit mes regrets etproposé la paix. Nous l’avons conclue », clôt-il le rappel en sa mémoire de ce différend gravissime, page 188)

_ et c’est, à mes yeux,

cette « apuration des comptes« -là,

la majeure fonction (« testamentaire« , le plus probablement, sans doute) de ce « Lièvre de Patagonie«  _,

Claude Lanzmann entame donc son travail de mémoire en tant que tel, page 67,

en « reprenant » ce qui lui a déboulé dessus ce « mois de juin 1940« , lequel, d’autre part, « fût d’une implacable beauté : chaque jour _ de ce mois de juin spécial-là…_ était plus éclatant, plus glorieux que l’autre.

Nous habitions _ lui, Claude, son père, Armand Lanzmann, son frère, Jacques, sa sœur, Évelyne, ainsi que Hélène, la seconde épouse (normande) de son père _ à la lisière de la petite ville auvergnate de Brioude« , commence-t-il, page 67 ; Brioude où ils étaient déjà venu vivre à partir de 1934 (où « commença alors notre première émigration vers Brioude et l’Auvergne«  (page 103), avant un premier retour à Paris, en 1938-1939 :

« Nous étions réfugiés à Brioude, sous-préfecture de la Haute-Loire, où nous avions déjà vécu avant-guerre, entre 1934 et 1938, après la séparation de mes parents«  _ Armand Lanzmann et Paulette, née Grobermann.

« Mon père adorait cette région où ses poumons avaient été soignés à la fin du premier conflit mondial :

engagé volontaire à l’âge de dix-sept ans en 1917,

tandis que son propre père

_ Itzhak, dit Léon, Lanzmann, né « en 1874 à Wilejka _ shtetl à l’orthographe incertaine et changeante _ aux environs de Minsk, en Biélorussie« , qu’il avait quittée à l’âge de 13 ans, d’abord pour Berlin, puis pour Paris, où « il rencontra une autre « passante », Anna« , née, elle, à Riga et ayant vécu un certain temps à Amsterdam où son propre père « officia comme rabbin« , est-il précisé page 97… _

combattait _ citoyen français de pleine nationalité qu’il était, depuis 1913 (« à l’âge de trente-neuf ans«  : cf page 95) _ en première ligne _ et « dans un régiment d’infanterie«  : on mesure l’étendue de ce que peuvent signifier toutes ces terribles années passées au front… _ depuis août 1914

_ cf page 98 : « Itzhak Lanzmann combattit en tant que fantassin de première ligne d’août 1914 à novembre 1918 ; on le trouve sur la Marne, à Verdun, dans la Somme ; il fut blessé trois fois, décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre avec palmes«  _,

il

_ Armand, le fils, donc, d’Itzhak : « mon père vécut si durement cette « étrangeté de vivre », pour reprendre un mot de Saint-John Perse, et cette difficulté d’être français en France

_ élevé, avec son frère, Michel, pendant cette très longue et « grande » guerre, par sa (et leur) mère, Anna, « comme elle le pouvait, dans ce pays pour elle illisible et indéchiffrable, dont elle ne connaissait ni les clés, ni les codes, ni la langue : dans une déréliction formidable » : est-il précisé encore aux pages 98-99 _

qu’il _ Armand donc, le fils d’Itzhak et le père de Claude _ se porta volontaire à l’âge de dix-sept ans« , page 99 _

il _ je reprends l’élan de ma phrase-souche _ avait été gazé à l’ypérite sur la Somme.

Séparé de ma mère et nanti d’une nouvelle femme _ Hélène, normande _, il choisit donc Brioude pour refaire sa vie, emmenant avec lui ses trois enfants, ma sœur Évelyne, mon frère Jacques et moi _ j’étais l’aîné, j’avais neuf ans » _ en 1934…

Avec cette précision de calendrier spatio-temporel-ci, encore :

« Nous revînmes pourtant à Paris au début de l’année scolaire 1938, où j’entrai en cinquième au lycée Condorcet (le petit lycée). J’eus le temps d’être ébranlé en mon tréfonds et terrorisé par la force et la violence de l’antisémitisme dans ce lycée parisien. La guerre, qui allait me faire affronter bien d’autres dangers, me libéra, paradoxalement, de ces paniques : nous quittâmes Paris, dès octobre 1939, après la déclaration de guerre, pour regagner Brioude« , page 34 ; et « pour moi, c’était comme un retour à des années heureuses« , page 35…

Afin de préciser un peu au lecteur de cet article le cadre spatio-temporel

_ bien en amont

(et par l’histoire familiale des lignées Lanzmann et Grobermann

_ originaires, eux, de Kichinev, en Bessarabie-Moldavie (tant de noms, par là-bas, tourneboulés ! au gré des guerres et révolutions…) : la mère de Claude, Pauline, dite Paulette (1903-1995), était née à Odessa, juste avant l’embarquement (afin de fuir les pogroms à répétition !..) de toute la famille, dont ses parents, Yankel et Perl (ou Perla), pour Marseille _ ;

et par l’Histoire générale tout court ! au premier chef !!!)

et en aval de Brioude dans les seules années trente et quarante du siècle passé !_

afin de préciser un peu, donc _ je reprends ici l’élan de ma phrase _,

le cadre spatio-temporel de ce qui donne motif _ et, lui, n’est pas résumable ! _ à l’activité de re-mémoration et bilan existentiel de ce « Lièvre de Patagonie« ,

voici les titres

que je me suis permis de donner, pour moi-même _ indicatifs d’épisodes : comme les titres développés des romans d’Alexandre Dumas _,

aux chapitres antérieurs au « retour«  réflexif (en les décisifs quatre derniers chapitres : XVII à XXI, pages 427 à 546) sur son grand œuvre qu’est le film « Shoah« 

_ «  »Cela justifie une vie », lui a « dit d’une voix pleine d’onction«  Jean Daniel _ on l’entend le dire ! _, à « la première projection intégrale du film dans la grande et belle salle de cinéma du laboratoire LTC où j’avais monté « Shoah » pendant cinq ans« , raconte, et non sans humour, on le voit, Claude Lanzmann, page 514 :

car dès le lendemain de la projection, « c’étaient les spectateurs de la veille, _ François _ Furet, Jean Daniel, quelques autres, qui commençaient par me réitérer leur admiration, mais basculaient bien vite dans la critique :

mon film avait été injuste envers les Polonais, ne montrait pas ce qu’ils avaient fait pour sauver les Juifs«  ;

Claude Lanzmann le commentant ainsi tout aussitôt : « et j’éprouvai _ immédiatement_ qu’ils avaient passé beaucoup de temps à se concerter et à consulter leurs amis de Varsovie. Le lobby polonais agissait rapidement. Je n’avais pas envie de discuter _ voilà ! _ et renvoyai mes interlocuteurs à toutes les scènes de « Shoah » qui démentaient leurs dires. Vous pensez trop vite, leur répondais-je, revoyez le film _ c’est en effet indispensable ! _, nous en reparlerons« ... _,

voici les titres, donc,

que je me suis permis de donner aux chapitres antérieurs au « retour«  réflexif sur son grand œuvre qu’est le film « Shoah« ,

qui accapara, presque monstrueusement

_ plusieurs qualificatifs de Claude Lanzmann lui-même l’attestant :

par exemple, mais il faudrait en rechercher d’autres, face au projet proposé (par « Alouf Hareven, directeur de département au ministère des Affaires étrangères israélien« , « au début de l’année 1973« , page 429) et, dès lors, envisagé par Claude Lanzmann

comme s’il se trouvait « au pied d’une terrifiante face Nord _ telle celle de l’Eiger ? du Cervin ?  _ inexplorée, dont le sommet demeurait invisible, enténébré de nuages opaques« , page 429 toujours… ;

ou l’« illumination« , page 437, que « le sujet de mon film serait la mort même, la mort et non pas la survie, contradiction radicale puisqu’elle attestait en un sens l’impossibilité de l’entreprise _ voilà ! _ dans laquelle je me lançais, les morts ne pouvant pas parler pour les morts«  ;

ou « mon film devait relever le défi ultime : remplacer les images inexistantes de la mort dans les chambres à gaz. Tout était à construire« , page 437 ; « un film immaîtrisable« , page 441 ;

ou encore la « tâche quasiment impossible«  pour les « revenants«  qui témoigneraient devant la caméra de revivre tout : « en revivant tout« , se disait Claude Lanzmann, face à pareil défi à filmer, page 443 ;

etc… _,

voici les titres, donc _ je reprends une fois encore tout l’élan de ma phrase _, que je me suis permis de donner aux chapitres antérieurs au « retour«  réflexif sur son grand œuvre qu’est le film « Shoah« ,

qui accapara,

presque monstrueusement, donc,

l’essentiel des soins de Claude Lanzmann

douze ans durant, de 1973 à 1985,

c’est-à-dire les chapitres IV à  XVII de ce « Lièvre de Patagonie«  :

_ chapitre IV : 1940-1942 : l’Occupation à Brioude : l’obsession de la « survie«  de ses enfants, pour Armand Lanzmann, le père ; une « féérique » « présentification«  de la mère oubliée (ainsi qu’une « incarnation«  de Paris) par le « Rimbaud serbe« , Monny de Boully (le nouveau compagnon de la mère)

_ chapitre V : une « scène primitive«  lors d’un voyage à Paris de Claude, en 1942, auprès de sa mère, Paulette Grobermann, se cachant de la Gestapo : la « journée du supplice des brodequins » : le déni de la judéité et « les diastases de l’assimilation » _ ou « l’inépuisable réserve » de « conflits » avec sa mère qu’a été, pour Claude Lanzmann « la question » de fond « de l’amour filial« …

_ chapitre VI : dans les maquis de Haute-Auvergne (Margeride, Monts du Cantal) au printemps et l’été 1944 et la fin de l’Occupation (retrouvailles à Paris en novembre 1944)

_ chapitre VII : déniaisage, en compagnie de l’ami Jean Cau : le début de la « vie« adulte « à Paris« 

_ chapitre VIII : l’année de khâgne, en 1946 : une année « de frasques et d’étranges folies«  (dont « une culmination«  fut « la fauche«  de livres de philosophie…)

_ chapitre IX : l’arrivée à Paris, en 1946, de ma sœur, Évelyne Rey (9 juillet 1930 – 18 novembre 1966, par suicide) ; et les péripéties de ses suites

_ chapitre X : premiers voyages d’après-guerre : Italie (« été 1946« ) et Allemagne (les années à Tübingen, en 1947-48, puis à Berlin, 1948-49, 1949-50) ; les « débuts«  dans le journalisme auprès des Lazareff, en 1950 (et le reportage sur la RDA, l’été 1951) ; jusqu’à la rencontre de Sartre, et le début, aussi, des contributions aux « Temps modernes«  ; et, « nous y voilà« , la « rencontre amoureuse«  avec Simone de Beauvoir, en juillet 1952

_ chapitre XI : le premier voyage en Israël (juillet-novembre 1952) : en « témoin » « à la fois dedans et dehors »

_ chapitre XII : au retour de ce premier voyage en Israël, le « tournant«  de la « vie commune«  (ou « quasi maritale« ) avec « le Castor« , Simone de Beauvoir, sept ans durant (1952-1959)

_ chapitre XIII : l’article du « curé d’Uruffe«  (avril 1958) ; le voyage en Corée du Nord (mai-août 1958) : l’épisode Kim Kum-sun (ou « la folle journée«  !) à Pyongiang : l’apprentissage progressif d’une « méthode d’enquête » (de « voyance« )« d’hypervigilance hallucinée et précise« 

_ chapitre XIV : la suite du voyage (en Chine, en 1958) ; et un retour en Chine plus quatre jours à Pyongiang (en septembre 2004) : la découverte sur le tas de la « loi«  de l’œuvre « de cinéaste« 

_ chapitre XV : la rencontre (sur le terrain…) du FLN et de Frantz Fanon (Tunisie et Algérie) : le voyage à Ghardimaou, « à la frontière algérienne« , en août 1961 ; et la désillusion qui a vite suivi l’indépendance de l’Algérie, l’été 1962

_ chapitre XVI : le journalisme d’articles « alimentaires«  et le mariage (ainsi que « l’addiction«  au théâtre et « le passage«  à un alpinisme autre que « livresque« ) avec Judith Magre (1963-1969)

_ chapitre XVII : le retour du « souci d’Israël«  : deux ans pour « conduire à son terme » le numéro spécial des « Temps modernes » (« un gros volume de mille pages« ) « Le Conflit israélo-arabe« , paru le 5 juin 1967 ; le désir naissant, via des travaux pour la télévision, de « faire du cinéma« , vite associé à celui d’« assumer moi-même la totalité des opérations qui concourent à la naissance d’une œuvre filmée«  ; le dîner chez Fink, et l’« estrangement«  de la rencontre (= « coup de foudre« ) d’Angelika Schrobsdorff, à Jérusalem, en novembre 1970 ; les Yekke (dont Gershom Scholem) du quartier de Rehavia ; le chantier de « près de trois ans«  (de 1971 à 1973) du premier film pour le cinéma : « Pourquoi Israël« 

On y découvre que l’importance du temps et des lieux est absolument indissociable des rencontres (de chair et d’os ; et « véritablement » « incarnées » !) de Claude Lanzmann avec des personnes (donnant lieu, quelques très fortes fois, à un inappréciable _ voire « sublime« , bien que toujours implacablement sobre ! _ « être vrais ensemble » !..) ;

de divers milieux, et en divers pays.

Si Claude Lanzmann a eu une formation philosophique à excellente(s) école(s) : les classes préparatoires des lycées Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand et Louis-le-Grand à Paris, ainsi que la Sorbonne, auprès des meilleurs maîtres _ Ferdinand Alquié, Martial Guéroult, Jean Hyppolite, Jean Laporte (qui dirigea son diplôme d’études supérieures, intitulé « les possibles et les incompossibles dans la philosophie de Leibniz« ,

_ page 90, Claude Lanzmann commente l’information qu’il nous donne alors ainsi : « Incompossible, cela veut dire qu’il y a des choses qui ne sont pas possibles ensemble ; élire l’une, c’est interdire à l’autre d’exister. Tout choix est un meurtre ; on reconnaît, paraît-il, les chefs à leur capacité meurtrière ; on les appelle des « décideurs » ; on les paie pour cela très cher » ; ajoutant encore ceci : « Ce n’est pas un hasard si « Shoah » dure neuf heures trente » !!! En effet !..

Et c’est là un point très important pour saisir et bien comprendre, et « vraiment« , et sa vie, et son œuvre !.. Son « rapport au réel«  a eu, en effet, besoin d’assez de temps (!) pour rendre plus justement compte, avec davantage de probité, de la complexité de ce « réel« , riche, touffu, et souvent dangereux, violent, tragique ! Comme moi-même, pour ma part, aussi (souvent un peu trop prolixe !), je le comprends ! Claude Lanzmann prenant peu à peu conscience, en sa vie, qu’il était « un homme des mûrissements longs«  ;

ce qu’il commente, page 249, ainsi :

« Je n’avais pas peur de l’écoulement du temps ; quelque chose m’assurait _ dès 1952-53, au retour de son premier voyage en Israël _ que mon existence atteindrait sa pleine fécondité quand elle entrerait dans sa deuxième moitié«  ; en l’occurrence, « ce reportage non réalisé et ce livre avorté _ sur Israël, en 1953 _ sont, vingt ans plus tard, devenus ce film, « Pourquoi Israël« , que j’ai _ alors _ tourné relativement vite parce que je savais avec précision _ par cette « maturation«  advenue pas à pas et maintenant « réalisée« , précisément _ ce que je voulais transmettre« …

Fin de l’incise sur le choix « meurtrier«  « des possibles et des incompossibles » ; et l’absolu besoin de « maturation«  de Claude Lanzmann… ;

je reprends, donc, l’énumération des « maîtres » de philosophie rencontrés : _,

Georges Canguilhem, Gaston Bachelard, Jean Wahl _ ;

et avec de non moins excellentissimes condisciples _ André Wormser, Hélène Hoffnung, Gilles-Gaston Granger, à Clermont ; Gilles Deleuze, Jacques Le Goff, ou son meilleur copain d’alors, Jean Cau ; ainsi que Michel Tournier, Michel Butor, Robert Genton, ou Jean-Pierre Bamberger, à Paris _,

il eut l’occasion de rencontrer et fréquenter (et travailler durablement avec, surtout ! le travail étant une « maturation » de choix : donnant lieu seul, avec l’ »inspiration« , « véritablement » à une « œuvre » !) d’autres personnes (et milieux) extrêmement formateurs (et porteurs) :

_ d’abord, et ce fut fondamental, Sartre et Simone de Beauvoir

_ au tout premier chef ! dont il a partagé le quotidien sept années (dans le cas, « marital« , de Simone ;

sinon, aussi, dans le cas, de Sartre lui-même ;

quoique : que d’instants du quotidien pleinement partagés avec Sartre aussi ! et cela par le double désir amical de Simone et de Sartre :

cf, par exemple, le récit quasi comique de l’alternance très « organisée«  des repas dans deux restaurants conjoints de Saint-Tropez, en petites vacances, « à l’avant printemps«  1953, « sous le prétexte de prendre du repos, qui consistait en fait pour Sartre en un travail acharné, plus soutenu qu’à Paris parce que plus tranquille. Saint-Tropez était délicieux et vide ; nous logions à l’hôtel la Ponche, Sartre y avait sa chambre, le Castor et moi la nôtre«  :

« Seuls deux restaurants étaient ouverts sur le port ; ils se jouxtaient, séparés par une toile épaisse, frontière pour les yeux, pas pour les oreilles. Curieux, je me demandais comment l’impératif « chacun sa réception » se pratiquerait dans ces conditions de proximité extrême.

Cela se passait, se passa ainsi :

le lundi donc, le Castor dînait avec Sartre dans un des deux restaurants et moi dans l’autre. (…) Le Castor a toujours eu la voix forte, savait que je me trouvais à côté et n’avait pas de secret pour moi : j’entendais chacune de ses paroles et rien de la voix métallique de Sartre ne m’échappait. (…) Quand elle et moi nous retrouvions pour la nuit dans notre chambre, elle me racontait par le menu tout ce que je venais d’entendre. Le mardi, c’était le tour de Sartre d’être condamné à la solitude ; et de ne pas manquer un seul de nos mots, qu’elle lui répéterait fidèlement le lendemain. Le mercredi était plus civilisé : nous dînions à trois, ce qui faisait l’économie d’un récit. Oui, l’entente entre nous était idyllique ; et les promenades en voiture l’après-midi dans les Maures ou l’Estérel, avec Sartre lorsque nous parvenions à le débaucher _ de ses travaux d’écriture _, étaient pour moi, qui avait jusqu’alors peu parcouru la France, un apprentissage du regard et du monde. J’apprenais à voir par leurs yeux ; et je puis dire qu’ils m’ont formé _ voilà ! _; mais cela n’allait pas sans réciprocité : nous avions des discussions serrées et intenses, l’admiration que je vouais à l’un et à l’autre n’empêchait pas qu’elles fussent égalitaires. Ils m’ont aidé à penser ; je leur donnais à penser« , page 251 : c’est magnifique !

Fin de l’incise « comique«  sur l’« organisation«  très « méthodique«  des « partages du temps«  _ mais non concurrentiels ! _ de chacun),

avec Simone

_ « Et Simone de Beauvoir. Nous y voilà. J’ai aimé aussitôt le voile de sa voix, ses yeux bleus, la pureté de son visage et plus encore celle de ses narines« , commence-t-il, superbement, de la présenter (en sa « personne de chair«  si intensément « vivante« , si j’ose le dire ainsi), page 215 _,

avec Simone,

« ce fut en effet une véritable vie commune : nous vécûmes ensemble conjugalement, pendant sept ans, de 1952 à 1959. Je suis le seul homme _ des quelques uns avec lesquels elle a « vécu » : en juillet 1952, il était « le sixième« , prit-elle soin de lui « confier« , lors de leur toute première nuit : « elle en avait décidé ainsi« , nous dit-il, page 218… _ avec qui Simone de Beauvoir mena une existence quasi maritale« , dit Claude Lanzmann, page 250 ;

ensuite, après 1959, « nous dûmes construire l’amitié« , selon la formule de la page 345 ;

mais : « entre le Castor et moi, il n’y eut jamais l’ombre d’une rancune ou d’un ressentiment,

nous nous occupâmes de la revue comme auparavant, travaillâmes et militâmes ensemble« , toujours page 345 _ ;

_ mais aussi, en plus de Simone et de Sartre,

toute l’équipe de rédaction des « Temps modernes« 

_ sur Sartre, ici (en incise), seulement cette rapide présentation physique-ci, page 175 : « les ennemis de Sartre se sont gaussés de sa laideur, de son strabisme, l’ont caricaturé en crapaud, en gnome, en créature immonde et maléfique, que sais-je… Je lui trouvais, moi, de le beauté, un charme puissant, j’aimais l’énergie extrême de sa démarche, son courage physique, et par-dessus tout cette voix d’acier trempé, incarnation _ cette fois encore ce terme « incarnation«  décidément crucial ! _ d’une intelligence sans réplique« … ;

et ceci, page 215, au moment des tout premiers travaux de Claude Lanzmann aux« Temps modernes » : « Sartre, c’était vraiment l’intelligence en acte et au travail, la générosité enracinée dans l’intelligence, une égalité vivante, vécue par lui en profondeur et qui, par une miraculeuse contagion, nous _ nous les jeunes collaborateurs de la revue _ gagnait tous » ;

et encore, au retour du premier voyage de Claude en Israël, en décembre 1952, ces traits moraux-ci, pages 248-249 : « je vérifiai comme jamais l’immense bonne foi intellectuelle de Sartre, son ouverture à autrui, sa capacité à se donner tort«  ;

et sur les deux, encore _ Sartre et Beauvoir _ ce dernier mot, page 177 :

« avec Sartre comme avec le Castor, le seul sujet de conversation, inépuisable en vérité, était le monde. Le monde, c’était ce qu’on avait lu dans les journaux, dans les livres ; c’était la politique ; ou encore les gens qu’on connaissait, qu’on rencontrait, les amis, les ennemis ; une sorte de commérage infini, rosse, marrant, partial, pas du tout « enculturé » pour reprendre un mot de Sartre, clabaudage interminable qu’on poursuivait, reprenait après les heures de travail«  : quelle« école« joyeusement continuée à l’infini pour l’esprit ! _ ;

_ ensuite,

et ce fut important d’abord « alimentairement« , mais pas seulement : le travail de journaliste (de reportage « de fond » !) étant tout à fait décisif aussi _ et combien !_ dans le rapport d’intelligence du monde _ et « au monde » !.. vers et jusque dans le grand œuvre « Shoah« _ de Claude Lanzmann !

Pierre et Hélène Lazareff, ensuite

_ ainsi que les rédactions de leur grand groupe de presse : France-Soir, Elle, France-Dimanche, etc… :

le travail de « reportage«  pour ce groupe de presse étant pendant le plus longtemps le principal « gagne-pain » de Claude Lanzmann : « Tout en travaillant beaucoup pour « Les Temps modernes », j’étais devenu une sorte de journaliste vedette dans le groupe de presse de Pierre et Hélène Lazareff« , entame-til, page 369, le chapitre XVI, au « tournant des années soixante« … ;

_ ainsi que tous ceux _ et de quelle qualité ! tant de « personnes humaines«  que de « témoins  (« véridiques«  !..) de l’Histoire«  : mais est-ce dissociable ?.. _ que le travail d’enquête tant journalistique (au sens le plus large et le plus généreux !) que cinématographique, désormais _ oui ! _, de Claude Lanzmann _ au tournant des années soixante-dix, cette fois, jusqu’à être « entièrement absorbé par « Pourquoi Israël » et la découverte bouleversante des possibilités que m’offrait le cinéma ; puis immédiatement après par l’immense travail préparatoire à « Shoah«  » _ allaient lui permettre aussi, et de par le monde entier, de rencontrer, fréquenter _ ainsi que filmer, dans « Shoah » : quelle expérience !!!.. _,

et auprès desquels, tels un Gershom Scholem, un Jan Karski, un Raül Hillberg,entre bien d’autres encore,

continuer à affiner sa « formation » _ d’intelligence et sensibilité, ouvertes _ de « personne humaine » ;

ainsi que son « génie » singulier, sur le tard, principalement _ comme lui-même le formalise, au détour d’une page… _ d’ »auteur« …

A l’aune d’un idéal proprement lumineux de vérité..

Avant le travail du grand œuvre, « Shoah » _ avec les rencontres bouleversantes de Filip Müller, Rudolf Vrba, Simon Srebnik et Abraham Bomba, entres quelques autres encore… _, abordé

aux chapitres XVIII (le lancement _ complexe, patient et obstiné : passionnant _ de l’entreprise « Shoah« ),

XIX (le _ très difficile (et dangereux !) _ « recueillement » de « témoignages » _ trop rares _  de _ quelques : « il y a dans « Shoah » six nazis« , page 484… _ bourreaux : « la perte la plus grave de l’affaire _ Heinz _ Schubert _ aux pages 477 à 484 : un rude morceau !.. _ est qu’il n’y a pas de membres des Einsatzgruppen dans « Shoah« « Et « c’était pour moi essentiel« , lâchera avec amertume Claude Lanzmann aux pages 484-485)

et XX (la découverte _ à partir de févier 1978, en Pologne, et enfin ! _ des lieux mêmes _ imparablement muets ! de leur tonitruant vide… : un facteur capital pour l’œuvre de témoignage des « annihilés » ! qu’est « Shoah«  _ de l’extermination) ;

et quelques unes, enfin _ assez peu nombreuses : Claude Lanzmann préférant en quelque sorte, et on le comprend, au final, « en rester là«  _, de ses suites (au chapitre XXI, noblement terminal, sur les « réceptions » de « Shoah« )

_ on notera cependant et la réaction de « recul«  _ il a quitté la séance de présentation du film au terme de la « Première époque » _ du rabbin René-Samuel Sirat _ qui, alors, « se leva d’un bond«  et, apercevant Claude Lanzmann, lui « lança : « C’est épouvantable » et prit la fuite« , page 526… _  ;

et « l’impossibilité« , en dépit d’efforts renouvelés, de « regarder« , du cardinal Jean-Marie Lustiger _ «  »Je ne peux pas, me dit-il, je ne peux pas ; je réussis à en voir une minute par jour, pas plus. Je vous demande pardon » ; je le lui accordai« , page 530 _ ;

un ultime chapitre, de la page 525 à la page 546, du « Lièvre de Patagonie« , de 21 pages seulement… ; et en « se retenant » bien de polémiquer :

toujours, et plus que jamais, sans doute,

ces quatre derniers chapitres de « Mémoires« , sur ce « sommet » de l’œuvre et de la vie de Claude Lanzmann qu’est « Shoah« ,

à l’aune _ et c’est là l’essentiel !.. _ et de « la joie sauvage de l’incarnation » et de l’ »être vrais ensemble« 

_ ces magnifiques expressions des toutes dernières lignes de ce « Lièvre de Patagonie« , nous l’allons voir… 

C’est ce qui me reste, en effet, à préciser-détailler dans le second volet, qui vient, de cet article…


Titus Curiosus, ce 29 juillet 2009

 

Ce jeudi 5 juillet 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

 

 

Telemann : d’heureuses retombées discographiques au 250ème anniversaire de sa mort (en 1767)

19mai

Georg Philipp Telemann (1681 – 1767) fut un compositeur paticulièrement heureux, ouvert et généreux en sa création musicale,

à la fois riche, abondante, diverse, et d’une très grande qualité _ humaine.

La manie (et la manne) commerciale(s) des commémorations

nous a valu une année 2017 assez riche en sorties discographiques,

piochant çà et là dans l’immense création du compositeur,

dont pas mal de l’œuvre demeure encore inédit et inouï, tant au concert qu’au disque ;

par exemple dans le massif _ merveilleusement prolifique _ de ses superbes Suites ou Ouvertures (à la française) ;

dont pas mal d’entre elles demeurent inouïes…


Ces jours de mai 2018,

poursuivant sur la lancée éditoriale discographique de l’année-anniversaire telemanienne de 2017,

sortent ainsi, par exemple, des Essercizii Musici,

sous forme d’un excellent double CD Channel Classics CCS 40118 ;

soient 7 Trios Sonatas & 4 Solo Sonatas, pour divers instruments & continuo,

idéalement interprétées _ comme d’habitude : ils nous y ont accoutumé ! _ par le superlatif ensemble Florilegium,

constitué ici de

Bojan Cicic, violon ;

Ashley Solomon, flûte traversière & flûte à bec ;

Alexandra Bellamy, hautbois ;

Jennifer Morsches, violoncelle baroque ;

David Miller, archiluth et guitare ;

Reiko Ichise, viole de gamme ;

et Pawel Siwczak, clavecin.

Un enchantement renouvelé _ onze fois, pour les onze pièces _

de 120 minutes _ en 2 CDs.

Si l’œuvre entier de Bach est à la gloire de Dieu,

l’œuvre de son ami _ et parrain de son fils Carl Philipp Emanuel _ Georg Philipp Telemann

est dédié, lui, à la réjouissance _ plus bonhomme, et infiniment variée dans la « réunion des goûts«  de diverses nations, mais tout aussi éprise d’excellence en la réalisation… _ des hommes ;

et tourné, notamment, vers l’élargissement _ souvent quasi pédagogique, mais sans la moindre lourdeur didactique : Telemann sait toujours rester magnifiquement élégant… _ du public,

tant des amateurs que des connaisseurs.

A déguster avec délices…

Ce samedi 19 mai 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

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