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La perfection superlative de l’ « A Chloris » de Reynaldo Hahn par Benjamin Appl en le très original programme de son CD « Forbidden Fruit », avec son compère pianiste James Baillieu _ ou atteindre l’acmé de sérénité du plaisir…

29juil

Qu’on commence par écouter _ en boucle si nécessaire… _ la plage 11, d’une durée de 3’10, de l’assez extraordinaire CD « Forbidden Fruit » du baryton allemand Benjamin Appl _ Ratisbonne, 26 juin 1982 _ et de son compère pianiste James Baillieu _ Afrique-du-Sud, mars 1982 _,

le très original CD Alpha 912, enregistré à Lugano du 27 au 30 juillet 2020, et paru seulement _ du fait de sa marquante a priori peu commerciale singularité ?!? _ le 23 juin 2023 ;

soit une interprétation plus que parfaite

_ entre bien d’autres enregistrées d’excellente qualité ; cf par exemple mon article du 23 mai 2020 : « « ,

dans lequel je donnais à écouter deux interprétations très réussies de la sublime « À Chloris » de Reynaldo Hahn (Caracas, 9 août 1874 – Paris, 28 janvier 1945), sur un poème de Théophile de Viau (Clairac, 1590 – Paris, 25 septembre 1626 ; le poète avait été condamné à mort pour libertinage…) ;

un poème lui-même sublimissime (on découvrira l’entièreté de 100 vers des Stances « À Cloris«  aux pages 64 à 67 du passionnant « Après m’avoir tant fait mourir Œuvres choisies«  de Théophile de Viau, paru en 2002 en la collection Poésie-Gallimard… ; le poème datant de 1621)

S’il est vrai, Chloris, que tu m’aimes,
Mais j’entends, que tu m’aimes bien.
Je ne crois point que les rois mêmes
Aient un bonheur pareil au mien.
Que la mort serait importune
De venir changer ma fortune
Pour la félicité des cieux !
Tout ce qu’on dit de l’ambroisie
Ne touche point ma fantaisie
Au prix des grâces de tes yeux.

_ une interprétation, assez étonnante, par Philippe Jarrousky, en sa voix pour une fois non pas de haute-contre, mais de ténor, en son très réussi CD « Opium«  (Virgin Classics 50999 216621 2 6, un CD sorti en 2009) ;

_ et une autre, celle-ci, par Véronique Gens, en son très réussi, lui aussi, CD « Néère«  (Alpha 215, un CD sorti en 2015) ;

en un article que je concluais par ces mots « Reynaldo Hahn sait être prodigieusement simplement délicieux«  _

soit une interprétation plus que parfaite de ce chef d’œuvre insurpassable de la mélodie française qu’est le si délicatement fondant « À Chloris » du cher Reynaldo Hahn

Quelle diction française ! et au service de quel chant ! à un tel degré admirables !

Quel art superlatif de si merveilleusement incarner ce qu’il chante _ en français comme en anglais, et, bien sûr, en allemand ; et cela en des genres aussi divers, voire carrément opposés, aux antipodes les uns des autres, tels que la mélodie, le lied ou la chanson canaille de cabaret !… _ possède ainsi ce décidément prodigieux interprète chanteur-diseur qu’est Benjamin Appl, avec la complicité radieuse, elle aussi _ attentivissime ! _, du magique piano de James Baillieu…

Quelle enchanteresse incarnation, donc, ici,

lumineuse de douce, légère, méditative, claire, et tendre gravité _ à fondre on ne peut plus sereinement d’infiniment délicat plaisir : la « grâce«  même ainsi attrapée et restituée… _de ce sublimissime « À Chloris« … 

Et demain,

après pareille toute simple mise en bouche auditive enchanteresse,

je reviendrai me pencher, cette fois en détails, sur l’originalité remarquable de ce véritable bijou discographique assurément singulier (!) _ ce qui permet probablement de comprendre (mais pas justifier !) la longueur du délai (de trois années !) écoulé entre l’enregistrement, en juillet 2020, et la parution de ce  CD, en juin 2023 : lors de leur enregistrement de juillet 2020, à Lugano, Benjamin Appl et James Baillieu avaient tous les deux 38 ans… _ qu’est tout ce CD « Forbbiden Fruit » _ Alpha 912 _, de Benjamin Appl et son compère pianiste, excellentissime lui aussi, James Baillieu…

Ce samedi 29 juillet 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Retour à Rome (et retour de Rome) : les périples romains de la narratrice du prenant, subtil et troublant roman-récit « Sous ma carapace » (« Cara pace ») de Lisa Ginzburg (suite)…

28avr

En continuation-poursuite de mon article d’hier « « ,

voici, ce vendredi 28 avril, quelques remarques sur les biens intéressants périples romains de la narratrice _ Maddalena Cavallari, Maddi _ du prenant et troublant subtil très beau roman-récit « Sous ma carapace » (« Cara pace« ) de Lisa Ginzburg _ à partir de quelles données, peut-être autobiographiques, a-t-il été créé ?.. Lisa Ginzburg est fille des historiens très remarquables que sont Carlo Ginzburg et Anna Rossi-Doria.

Ce qui m’importe aujourd’hui,

c’est d’abord de compléter les citations que j’avais rapportées hier encadrant le récit du roman « Sous ma carapace« , de la page 13 à la page 245,

afin de mieux mettre en avant l’élément décisif qu’en est le va-et-vient un peu difficile _ d’abord un peu longtemps mental (et in fine obsédant…), puis finalement bien effectif ! _ de la narratrice, principalement entre son présent (du récit) à Paris, et son passé (d’enfance et adolescence blessée par la séparation de ses parents, Seb-Sebastiano et Gloria, et l’éloignement d’eux deux qui s’en est durablement suivi pour elle-même, Maddi-Maddalena, et sa petite sœur, Nina) à Rome, où elle, Maddalena, la narratrice de ce récit ardent et contenu, décide de se rendre _ c’est là la toute première phrase du récit, à la page 13 _,

et d’où elle vient, Maddalena, une semaine plus tard, de revenir chez elle et son mari Pierre et ses enfants Val-Valentina et Sam-Samuel, à Paris _ aux pages 242 à 245 du tout dernier chapitre.

Le retour, décisif dans l’intrigue _ même si le récit en est réalisé avec infiniment de pudeur, discrétion et même délicatesse _, à Rome, s’étant, lui, déroulé entretemps _ le récit rétrospectif de ce décisif séjour romain d’une semaine nous étant donné par la narratrice aux pages 229 à 241 ; alors qu’aux pages 227-228, elle vient juste de déclarer, au final de ce chapitre encore « parisien » (avant son départ pour Rome), ceci _ :

« Les destinations pourraient être multiples, mais seule Rome m’obsède à présent _ voilà ! Revoir la ville qui est la mienne et celle de Nina _ sa sœur cadette : elles ont quatorze mois de différence et demeurent très étroitement liées… _, avoir l’illusion pendant quelques jours de recomposer une mosaïque dont les tessons se sont presque perdus dans ma mémoire aussi. Suturer une plaie _ surtout _ impossible à recoudre : Gloria _ leur mère maintenant décédée _ n’est plus là, le paquet de cartes s’est envolé, toutes les parties sont perdues. Des pensées de ce genre me traversent ce samedi matin _ qu’une nuit sépare probablement de la décision prise la veille au soir, à moins que ce ne soit bien davantage… ; cf le tout début du récit, à la page 13 _, alors que, restée seule à la maison, j’allume mon ordinateur et me décide enfin _ ce fut donc difficile d’oser franchir enfin ce pas… _ : j’achète un billet d’avion pour Rome« .

Et je reprends ici les citations de mon article d’hier :

De la première phrase, page 13 : « Je décide que je dois absolument aller à Rome. Je prends la décision un soir, en me démaquillant. Pierre est déjà couché…« ,

à, page 244, « Ce qui m’est arrivé à Rome, il faut que je le raconte à quelqu’un. Partager : nommer l’événement avant qu’il ne se congèle dans mon imagination sous forme de fantôme _ qui revienne méchamment (me) hanter. Le garder pour moi, protégé par ma carapace – cara pace, je n’y arrive pas. Ça ne m’est tout simplement pas possible » _ voilà ! en une fonction en quelque sorte cathartique du récit (parlé ou écrit)...

et surtout, mais avant de poursuivre ma citation, d’à peine 15 lignes plus loin, empruntée à la page finale, page 145,

je tiens cette fois, aujourd’hui, à citer in extenso, le passage qui précédait ma citation finale d’hier, que je reprendrai plus loin, à sa juste place.

Voici donc en quelque sorte rétabli ici le passage que j’avais shunté hier :

« À mon retour de Rome, je suis entrée dans la maison en même temps que Pierre _ son mari _, qui était venu me chercher à l’aéroport, depuis la porte, les enfants ont accouru à ma rencontre. Sam _ son fils, Samuel _ m’a regardée fixement, un long regard inquisiteur — comme s’il avait tout vu _ ce qui s’était passé à Rome. Et le lendemain, je jouais du piano avant le dîner, le second mouvement du Nocturne opus 9 de Chopin _ et je l’écoute interprété magnifiquement par Nelson Goerner, dans le double CD Alpha 359 _ avec lequel je me bats ces derniers temps sans grands résultats, et de nouveau je me suis aperçue que mon fils me regardait, il attendait de moi une réponse. Mon fils qui a quelques années — trop peu — de moins que Tommy.

Leïla _ la seule amie à Paris, et confidente, de Madeleine _ écoutera mon récit, peut-être qu’ele essuiera mes larmes parce qu’elle est mon amie et qu’elle sait faire ça _ elle qui est maquilleuse de profession. Je ne crois pas qu’elle formulera de jugement, ni qu’elle donnera de conseils. D’ailleurs

_ et c’est précisément ici que je reprends le fil de ce que j’ai cité hier !!! _

il n’y a rien à commenter, ni à conseiller _ de la part de quelque interlocuteur que ce soit…  Juste attendre que ça passe _ l’ébranlement de l’événement imprévu survenu (avec le jeune Tommy) à Rome, et maintenant ses éventuelles répliques à venir… Chère paix, carapace.

À la fin de notre coup de fil _ à Nina, la sœur (qui vit avec son époux Brian O’ Brien, à Brooklyn) de la narratrice, qui vit, elle, avec sa famille, à Paris, dans le 17e arrondissement _, ce que j’étais sur le point de demander à Nina, c’était si elle voudrait bien m’héberger _ chez elle et son mari _ à Brooklyn quelque temps.

Partir, seule _ sans son mari Pierre (diplomate à l’Unesco) et ses enfants Val (Valentina) et Sam (Samuel) _, prendre des distances. Mettre de l’espace, du silence, retrouver la clé, le sens _ dérangeant _ de cette rencontre imprévue _ à Rome, au parc aimé de la Villa Pamphili, avec Tommy… _ qui m’a choisie et atteinte comme un rayon de lumière.

Confier à Nina, à sa chaleureuse hospitalité d’âme désordonnée et de sœur, une histoire dont il aurait été plus normal qu’elle lui arrivât à elle, et qui au contraire m’est arrivée à moi.

Un événement qui n’appartient qu’à moi, mais pourrait être à Nina, et s’il devient aussi le sien, c’est grâce à cette intime indistinction qui nous lie _ depuis la brutale séparation (puis le consécutif éloignement d’elles deux, encore bien jeunes, âgées alors de 9 et 8 ans seulement…) de leurs parents, Sebastiano Cavallari et Gloria Recabo _, ce fil invisible que rien n’a jamais pu rompre.

Je vais lui demander si elle peut m’accueillir à New-York, quelque temps, chez eux : mais pas aujourd’hui. Une autre fois. Demain peut-être. » 

L’idée de « retourner » à la Rome de son enfance et adolescence _ durablement blessées, avec recherche de protection (et paix) en sa carapace indurée… _ est évoquée à 20 reprises dans le récit de la narratrice, de la page 13 à la page 228 :

aux pages 13 (« Je décide que je dois absolument aller à Rome« ), 14 (« Je suis rarement allée à Rome ces dernières années, et toujours pour des occasions d’une importance « capitale ». Avec Nina, pour les obsèques de notre mère« ), 15 (« Dans ma tête, cependant, Rome reste un endroit problématique : un enchevêtrement de souvenirs sur lesquels, par un instict naturel d’autoprotection, j’évite de trop m’attarder » et « Mais voilà, c’est décidé, pas le moindre doute ce soir. Je dois aller à Rome« ), 24 (« Pour l’instant, je n’ai pas la moindre envie de parler de mon éventuel voyage à Rome, ni à Pierre, ni aux enfants. Il faut d’abord que l’idée mûrisse, qu’elle prenne dans ma tête une forme suffisamment nette pour que je puisse la communiquer de façon adéquate. J’imagine un séjour bref, une semaine maximum. Ce sera la première fois que je pars seule. (…) J’hésite, je m’enferre dans es propres questionnements« ), 29 (« je suis en train de me demander si je dois aller à Rome ou pas« ), 40 et 41 (« Si j’éprouve un si fort besoin de retourner à Rome, c’est pour revoir les lieux, certains en particulier. (…) Mon désir de partir est survenu à l’improviste ; pourquoi justement maintenant et avec une telle urgence, je ne saurais le dire. Assurément c’est un vrai désir, net, qui se détache sur mes pensées comme une silhouette détournée sur une photo où le reste des détails est flou. Maintenant que Gloria est morte, maintenant qu’elle nous a abandonnées d’un coup et cette fois pour de bon, notre enfance explosée risque de s’effacer ; les preuves tangibles font défaut (…) Aller à Rome, c’est garder vivants les souvenirs, empêcher qu’ils ne s’estompent« ), 80 (2 fois: « Je retournerai chez Giolitti, si je vais à Rome. C’est un endroit que j’affectionne car j’y ai des souvenirs » et « Je me retrouverai à Rome, et les lieux seront différents de ce qu’ils sont dans mes souvenirs, plus banals, dépouillés, moins évocateurs qu’ils ne le sont dans ma mémoire ; (…) pourtant, y penser me réconforte et m’émeut. Pouvoir y revenir et m’y arrêter, à l’écoute des battements du temps« ), 99 (« Un autre endroit où je veux retourner si je vais à Rome, c’est le parc de Villa Pamphili, ce circuit où nous allions nous entraîner avec Mylène« ), 128 (« Je retournerai via Borgognona, à Rome. (…) Pendant des années Gloria s’y est rendue chaque jour« ), 171 (« Aujourd’hui que je désire y retourner pour un séjour, Rome me manque pour la première fois depuis que j’en suis partie. Nostalgie neuve, inconnue. Jusqu’à présent, la ville m’avait semblé être un chapitre révolu, un tressaillement terminé du passé. Maintenant, j’ai hâte de la revoir, je suis impatiente de renouer un pacte avec elle. J’habite à Paris depuis plus de vingt ans, sans avoir jamais réussi à me sentir parisienne. (…) D’ailleurs, s’expatrier dans mon cas n’a pas été un désir : plutôt une nécessité du cœur, un besoin spontané de rejoindre Pierre, de partager sa vie« ), 200 (« Pierre comprendra si je lui fais part de mon idée d’aller passer quelques jours à Rome toute seule ; il comprend toujours« ), 224 (« me demandant si je dois ou non faire mon voyage à Rome« ), 225 (« Je pense partir quelques jours, Pierre. Je ne suis pas allée à Rome depuis les funérailles de ma mère. J’ai besoin de revoir ma ville, elle me manque« ), 226 (« Quelle drôle d’idée, ma chérie. Qu’est-ce que tu pourrais bien trouver à Rome que tu ne connaisses déjà ? Mais vas-y, bien sûr, si tu en éprouves le besoin. Je m’occuperai des enfants, comme ça tu partiras plus tranquille« ), 227 (« Les funérailles _ de Gloria _ à Prima Porta  (…). Notre effroi à nous ses filles, pas du tout préparées au coup violent de cet événement inattendu. Tout avait été rapide, aussi sacrément rapide qu’il avait été, ensuite, difficile et long de le digérer. Pour cela aussi, le besoin de partir, de revoir Rome. Réinventer la conclusion posthume d’un parcours qui s’est terminé de façon traumatisante car trop brutale » et « Seule Rome m’obsède à présent. Revoir la ville qui est la mienne et celle de Nina, avoir l’illusion pendant quelques jours de recomposer une mosaïque dont les tessons se sont presque perdus dans ma mémoire aussi. Suturer une plaie impossible à recoudre« ) et 228 (« Des pensées de ce genre me traversent ce samedi matin, alors que, restée seule à la maison, j’allume mon ordinateur et me décide enfin : j’achète un billet d’avion pour Rome« ).

La présence à Rome de la narratrice lors de son « retour » d’une semaine, apparaît nommée à 8 reprises dans son récit rétrospectif « romain« , de la page 229 à la page 241 :

aux pages 230 (« J’aimerais bien revoir Marcos à Rome. (…) Mais Marcos n’est pas là, il est en Argentine« ), 232 (« À Rome ? » et « Mais qu’est-ce que tu fais à Rome, Maddalena ? Il est stupéfait, Seba, très surpris »), 233 (« Et ta sœur, elle en dit quoi, que tu sois venue à Rome comme ça, sans mari et sans elle ?« ), 234 (« Il est évident que tu en avais besoin, si le fait d’être à Rome te fait autant de bien que tu le dis, mon amour, me dit Pierre lorsque, rentrée tard le soir à l’hôtel, je l’appelle enfin. J’entends sa belle voix claire, vibrante »), 235 (« Devant celle qui était notre maison, en levant les yeux je parviens à voir l’angle de notre balcon. Je souris, libérée et nostalgique. Ces états d’âme, je les recherche depuis des semaines, depuis qu’à Paris je me suis mis en tête de vouloir aller à Rome. Le voilà le sens de mon petit pèlerinage : cette tristesse libre« ), 236 (« Je ne vis pas ici ; je suis en visite à Rome, comme touriste… mais pas une touriste par hasard« ) et 239 (« Peut-être que tu vas revenir à Rome et tu viendras chez moi, à la maison dans la journée il n’y a jamais personne« ).

Et le souvenir de ce séjour « romain » et la nécessité de le « rapporter » à un interlocuteur _ ou lecteur _ qui le reçoive, est mentionné à 3 reprises dans le chapitre conclusif, « parisien« , qui va de la page 242 à la page 245 :

aux pages 243 (« Le magnolia de la cour est en fleur, ça a dû se passer pendant que j’étais à Rome« ), 244 (« Ce qui m’est arrivé à Rome, il faut que je le raconte à quelqu’un. Partager : nommer l’événement avant qu’il ne se congèle dans mon imagination sous forme de fantôme« ) et encore 244 (« À mon retour de Rome (…), Sam m’a regardée fixement, un long regard inquisiteur — comme s’il avait tout vu« ).

L’étrange et surprenant, c’est l’échange final des comportements entre les deux membres de ce très lié _ presque imbriqué _ couple sororal , Madeleine et Nina, qui survient en ce « retour à Rome » de Madeleine,

de même, aussi, que dans la décision _ parallèle, à Brooklyn _ du double renoncement _ définitif, provisoire ?.. Mais pour Nina aussi, comme pour Maddi, tout reste ouvert au final : « pas aujourd’hui. Une autre fois. Demain peut-être« de Nina de quitter son mari Brian, à New-York, et de « retourner à Rome« , comme elle l’avait envisagé, disait-elle à sa sœur (« je pense rentrer à Rome, j’y pense vraiment« , tel que le citait la narratrice, Madeleine, à la page 104 du récit ;

avec le complément, aussi, de cette réflexion, alors, à ce moment, de Madeleine :

« Pour moi, les géographies sont des choix inébranlables, pour Nina, des transits provisoires, des hypothèses prêtes à se muer en d’autres accostages _ ici, et pour Nina, de New-York-Brooklyn à Rome, par exemple _, en de nouveaux ancrages temporaires« …) _ mais y a t-il vraiment du définitif et du complètement solidifié pour Maddi elle-même ?..

Même si, et c’est capital, le final du récit demeure, lui, ouvert :

« Je _ Madeleine _ vais lui _ Nina _ demander si elle peut m’accueillir à New-York, quelque temps, chez eux : mais pas aujourd’hui. Une autre fois. Demain peut-être« …

Ainsi la carapace protectrice-défensive indurée de Maddi-Madeleine s’est-elle finalement un peu entrouverte, à Rome…

Quant à Nina, et toujours en ce même dernier chapitre, et  à la page 243, voici ce qu’elle confie à ce même moment, au téléphone, depuis Brooklyn, à sa sœur Maddi :

« Il y a des trains _ ou Kairos… _ qui ne passent pas souvent dans une vie : il s’agit de savoir ne pas les rater. (…) Des arguments qui m’ont convaincue d’essayer encore _ voilà _ avec Brian. Ce n’est pas le moment de lâcher. Après tellement de temps ensemble, je dois essayer de ne pas tout envoyer balader, tenter, au moins…« .

Si les chapitres du roman ne comportent pas de titres,

le récit se trouve partagé en 4 grandes parties, de longueurs assez inégales, et aux intitulés assez parlants :

1) « Les courants » _ affectifs et pulsionnels, basiques pour la formation des personnalités… _ (pages 13 à 89)

2) « Les additions » _ de liens inter-personnels, avec leurs poids et indurations… _ (page 93 à 190)

3) « Les départs » _ d’abord géographiques : pour Paris et pour New-York… _ (page 193 à 212)

et 4) « Occasions » _ au pluriel, mais sans article ! Ou la croisée cruciale de Kairos... _ (page 215 à 245)

Et en voici le résumé :

Maddalena et Nina grandissent dans une famille dysfonctionnelle : leur mère _ Gloria Recabo, argentine vivant à Rome _ a quitté le domicile pour s’enfuir avec son amant _ Marcos, argentin, lui aussi _ tandis que le père _ Sebastiano Cavallari, Seb, romain des Castelli (à Genzano)… _ est obnubilé par son travail _ de photographe de mariages _ et incapable d’assumer ses responsabilités. Suite à une décision de justice, elles vivent seules dans une maison à Rome _  située à proximité du splendide parc verdoyant de la Villa Doria-Pamphili, dans le quartier de Monteverde _ sous la surveillance d’une gouvernante _ française, Mylène Roussel. Maddalena et Nina développent une relation fusionnelle.

ainsi que la 4e de couverture :

Que reste-t-il du lien que deux sœurs ont su tisser au milieu de l’enfance explosée, quand leurs parents se séparèrent et s’absentèrent ? Ce lien est celui de Maddi et Nina, la cadette, sœur intense, sœur jaillissante. Au côté de l’écorchée vive, Maddi a su se faire une carapace d’intelligence pour se retirer et observer _ telle sa petite tortue _ la vie sans jamais trop s’y exposer.

Mais, longtemps après, lorsqu’elle décide de laisser un temps _ une petite semaine de « vacances romaines«  _ sa maison parisienne, ses deux enfants _ Valentina-Val, et Samuel-Sam _ et son couple forteresse-tendresse _ qu’elle forme avec son cher mari à la « belle voix claire et vibrante«  Pierre, diplomate à l’Unesco _, pour revenir sur les lieux de son enfance, Maddi sent que sa carapace se fendille et qu’un équilibre _ de paix lentement gagnée  _ menace de se rompre. Tout le passé resurgit, les lumières déchirantes de Rome, Mylène la gouvernante athlétique _ française, originaire de Nantes _, les espérances, les leçons, les duretés et ce lien avec Nina plus fort que l’amour.

Que faire alors d’une carapace ? de deux ? Et les carapaces vieillissent-elles ? N’interdisent-elles pas les caresses ? Et puis, apportent-elles la paix ? _ cette paix qui n’est pas simplement l’absence de guerre, mais bien la concorde, l’union vraie et profonde des cœurs, comme nous l’apprend Spinoza…

Parce qu’il est le roman des sœurs, Sous ma carapace est celui des femmes dans le temps des fidélités _ et rencontres : oui, c’est bien cela.

Et fidélité au soi-même aussi : à découvrir peut-être, et en cherchant pas mal (sans rechercher cependant, surtout pas !), en apprenant à accueillir, plutôt même que saisir, au passage, seulement, tellement c’est fragile et délicat en la rareté de sa pure et si frêle beauté… Une grâce assez difficile, mais pas non plus impossible, à retenir, soigner, entretenir et cultiver…

Le principal du secret de l’art de vivre une vie vraiment humaine heureuse étant bien là.

Un livre passionnant, subtil et infiniment délicat

d’une très belle et fine écriture (et traduction) !!!

Ce vendredi 28 avril 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Une absolument splendide « Psyche » de Matthew Locke, par Sébastien Daucé et son Ensemble Correspondances

20déc

L’assez récent CD « Psyche » de Matthew Locke par Sébastien Daucé à la tête de son _ toujours _ très remarquable Ensemble Correspondances,

est une enchanteresse réussite.

M’en avaient déjà prévenu les articles,

le 23 septembre dernier, de Jean-Charles Hoffelé « Restauration et Restauration » sur son site Discophilia ;

et, le 30 octobre dernier, de Cécile Glaenzer « Psyche de Locke, des rives de la Seine à celles de la Tamise« , sur le site Discophilia.

 Et puis voici, en date d’hier 19 décembre, l’article « La Psyche de Matthew Locke, l’opéra emblématique de la Restauration anglaise » de Jean Lacrois sur le site Crescendo.

Voici donc ces 3 recensions _ avec mes farcissures _ de ce superbe très réjouissant double CD :

RESTAURATION ET RESTAURATION

La musique de Draghi est perdue, part probablement considérable de ce « dramatic opera in five acts » qui sacra l’apogée du nouveau style musical florissant avec la Restauration entreprise par Charles II. Foin du puritanisme _ cromwellien _, les théâtres rouvraient, les musiciens s’émancipaient des rigueurs de la morale, le plaisir et la licence reprenaient possession des planches _ le roi Charles II (1630 – 1685) était une digne petit-fils du Vert-galant, son grand-père maternel, Henri IV… Matthew Locke (Exeter, 1621 – Londres, 1677) sera le parangon de cette renaissance des plaisirs _ oui ! _, partageant la mise en musique de la pièce de Shadwell avec un confrère italien _ Giovanni-Battista Draghi (Rimini, 1640 – Londrres, 1708) _, pratique courante qu’il avait déjà mise en œuvre dans son Cupid and Death où la plume de Christopher Gibbons avait pris sa part.

Si le spectacle de Psyché se veut anglais, ses sources dramatiques sont françaises, Molière, puis Molière vu par Quinault pour la Psyché de Lully _ représentée pour la première fois le 19 avril 1678 à l’Académie royale de musique, à Paris _, et jusque dans sa musique transparaissent des couleurs versaillaises, ce que Sebastien Daucé et sa brillante troupe suggèrent _ superbement…

Puisque les portées de Draghi ont disparu, ils iront chercher un peu d’ultra-montain dans le Lamento de la Psyché de Lully, choix logique et éclairant. Ailleurs, tout sera pris au bord de la Tamise, danses d’anonymes pleines de caractère, les cahiers de musique instrumentale de Locke augmentant considérablement les parties vocales que Philip Pickett assemblaient sur un seul disque pour L’Oiseau-Lyre en 1994 _ je viens de le ré-écouter : l’interprétation manque beaucoup du relief et des vives couleurs que savent y mettre Sébastien Daucé et son excellent Ensemble Correspondances ! _, les paysageant de brèves pièces instrumentales de Draghi fatalement exogènes à Psyché. Seul avantage de la version pionnière, un anglais plus naturel _ mais c’est bien mince…

Revisité ainsi dans de vastes largeurs _ certes _, l’ouvrage prend toute l’ampleur d’un opéra en cinq actes inspiré par la tragédie lyrique, mais dont la structure est infiniment plus libre, annonçant l’univers de haute fantaisie des Masques, rendant à Psyché son caractère pionnier où John Blow (Newarck-on-Trent, 1649 – Londres, 1708) et Henry Purcell (Londres, 1659 – Londres, 1695) tremperont leurs plumes de théâtre _ en effet ! Et, pour moi, ce moment des rois Stuart de la Restauration offre le plus sublime moment de la musique anglaise…

La reconstitution est fastueuse _ oui : vraiment !!! _, vraie restauration qui permet de prendre la mesure de cette œuvre _ en effet _ magnifique. L’élan, les inventions, les caractères, la grâce _ oui _ des musiques de Locke trouvent dans le regard tendre et brillant que leur adressent Sébastien Daucé et ses amis, un souffle, une éloquence, une poésie qui ne voudront plus vous faire quitter ses enchantements _ voilà le mot le plus juste qui soit !

Allez, maintenant Cupid and Death, qui depuis l’ancienne proposition madrigalesque d’Anthony Rooley espère retrouver un tel théâtre.

..

LE DISQUE DU JOUR

Matthew Locke (1621-1677)
Psyché. The English Opera

Caroline Weynants, soprano (Première Furie, Première Nymphe, Premier amant Élyséen)
Caroline Bardot, soprano (Seconde Furie, Première Femme, Seconde Nymphe, Trosième amant Élyséen)
Deborah Cachet, soprano (Seconde Femme, Troisième Furie, Proserpine, Deuxième amant Élyséen)
Lieselot de Wilde, soprano (Vénus, Seconde Furie)
Lucile Richardot, mezzo-soprano (Le grand Prêtre, Une femme affligée, Dieu de la Rivière, Quatrième Furie)
David Tricou, contre-ténor (Premier Cyclope, Premier Chanteur, Cinquième Démon)
Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténor (Second Chanteur, Troisième Démon, Apollon)
Marc Mauillon, ténor (Second Homme, Troisième Cyclope, Mars, Sixième Démon)
Antonin Rondepierre, ténor (Premier Homme affligé, Praesul, Premier Chanteur)
Davy Cornillot, ténor (Second Chanteur, Quatrième Démon)
Nicolas Brooymans, basse (Pan, Premier Homme, Deuxième Homme affligé, Quatrième Cyclope, Pluton)
Renaud Bres, basse (Jalousie, Deuxième Cyclope, Deuxième Démon)
Étienne Bazola, basse (Vulcain, Premier Démon, Bacchus)

Ensemble Correspondances
Sébastien Daucé, direction

Un album de 2 CD du label harmonia mundi HMM 905325.26

Photo à la une : le chef Sébastien Daucé – Photo : © DR

Puis :

Psyche de Locke, des rives de la Seine à celles de la Tamise

Une nouvelle fois, Sébastien Daucé fait oeuvre de découvreur, en reconstituant _ oui _ la partition de Psyche Matthew Locke : un opéra emblématique de la Restauration anglaise.

L’opéra anglais de la fin du XVIIᵉ siècle est une forme hybride unissant musique et dialogues parlés. Il doit beaucoup à l’influence des tragédies-lyriques et des comédies-ballets de Lully, appréciées par le roi Charles II pendant son exil à la cour de France _ oui. La Psyché de Lully en 1671 connut un succès dont l’écho dépassa les frontières. C’est le roi lui-même qui commande sur ce thème ce qui sera le premier opéra anglais, sollicitant Shadwell pour le livret, Locke et Draghi pour la musique, ce dernier se voyant confier la musique des danses. Malheureusement, l’édition de 1675 qui nous est parvenue ne comprend que la musique de Locke, celle de Draghi semble perdue. Sébastien Daucé est allé puiser dans la musique instrumentale de Locke et dans un recueil de danses anonymes de l’époque pour compléter les lacunes de la partition originale _ voilà _ et ainsi reconstruire une nouvelle Psyché dans son intégralité musicale _ oui.

Si la Psyche anglaise emprunte à la musique de Lully et au texte de Molière/Quinault/Corneille presque littéralement traduit, elle comporte _ aussi _ des éléments typiquement britanniques : grounds, pompes martiales, hymnes, et surtout scènes grotesques qui rapprochent le semi-opéra du théâtre shakespearien _ oui. Un mélange de tragédie antique et de féérie baroque _ oui. Si on rajoutait à l’œuvre les textes parlés qui lui appartiennent, le spectacle en cinq actes durerait près d’une demi-journée… Les nombreuses didascalies du livret d’accompagnement permettent d’imaginer toute la magnificence des représentations, de palais en forêts, de jardins féériques en grottes infernales. Et l’absence de Psyché parmi les rôles chantés (elle fait partie des personnages dont le rôle est exclusivement parlé) et son omniprésence dans l’histoire font de l’héroïne une autre Arlésienne. A la fin du second acte, le chef a choisi d’ajouter en guise d’intermède la Plainte italienne (de 10′ 53) extraite de la Psyché de Lully, pour faire écho au magnifique quatuor des Amants désespérés qui la précède. Dans le rôle de la Femme affligée, la voix incomparable de Lucile Richardot y fait merveille _ oui.

Sébastien Daucé a réuni pour cet enregistrement une distribution vocale éblouissante _ mais oui ! _, la fine fleur de l’opéra baroque, déjà convoquée pour le _ sublime CD du _ Ballet Royal de la Nuit : Caroline Weynants, Deborah Cachet, Caroline Bardot, Lucile Richardot, Étienne Bazola, Nicolas Brooymans, Marc Mauillon, Paul-Antoine Bénos-Djian … il faudrait les citer tous tant ils sont remarquables et d’une diction irréprochable. La truculence des voix de basses dans les intermèdes comiques ou guerriers, la souplesse des pupitres aigus, la théâtralité assumée par tous font de cette interprétation un modèle du genre _ oui. Deux voix sont à mettre en exergue pour leur belle maîtrise d’un ambitus exceptionnellement étendu : celle du ténor Marc Mauillon qui incarne le dieu Mars et un Homme désespéré, et celle de Lucile Richardot (successivement Grand Prêtre, Femme affligée, Dieu de la rivière et Furie) qui passe avec l’aisance qu’on lui connait du grave chaleureux aux aigus solaires. L’orchestre et le continuo font preuve d’une très grande variété dans la dynamique _ oui _, pour rendre toute l’inventivité et la rythmique de cette écriture riche _ en effet _ en surprises. Une œuvre dont on découvre de nouvelles richesses à chaque réécoute _ absolument ! Et que l’on rêve de voir un jour sur scène avec tous les fastes qui l’accompagnent.

Matthew Locke (1621-1677) / Giovanni Battista Draghi (c. 1640 – enterré en 1708) :

Psyche, opéra dramatique en 5 actes.

Livret de Thomas Shadwell d’après Molière, Quinault, Corneille et Lully (Psyché).

Lucile Richardot, mezzo-soprano ; Marc Mauillon, ténor ; Nicolas Brooymans, basse ; Renaud Bres, basse ; Caroline Weynants, soprano ; Caroline Bardot, soprano ; Lieselot de Wilde, soprano ; Deborah Cachet, soprano ; Antonin Rondepierre, ténor ; Étienne Bazola, basse ; David Tricou, contre-ténor ; Davy Cornillot, ténor ; Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténor ;

Ensemble Correspondances ;

Sébastien Daucé : orgue, clavecin et direction.

2 CD Harmonia Mundi. Enregistrés à St Omer en juillet et août 2020.

Livret français/anglais.

Durée totale : 1h47’

 …

Et puis celle de tout juste hier :

La Psyche de Matthew Locke, l’opéra emblématique de la Restauration anglaise

LE 19 DÉCEMBRE 2022 par Jean Lacroix

Matthew Locke (c. 1621-1677) :

Psyche, opéra dramatique en cinq actes.

Caroline Weynants, Caroline Bardot, Lieselot de Wilde et Deborah Cachet, sopranos ; Lucile Richardot, mezzo-soprano ; et Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténors ; Marc Mauillon, Antonin Rondepierre et Davy Cornillot, ténors ; Etienne Bazola, Nicolas Brooymans et Renaud Bres, basses ;

Ensemble Correspondances, direction Sébastien Daucé.

2022. Notice en français et en anglais. Livret complet en anglais, didascalies comprises, avec traduction française. 107.00. Un album de deux CD Harmonia Mundi HMM 905325.26.

Le futur Charles II (1630-1685), cousin germain de Louis XIV et fils du Roi Charles Ier, décapité en janvier 1649, est battu par Cromwell, qui va établir un Commonwealth républicain d’Angleterre, et est contraint de fuir son pays. Après des années passées en France et dans les Pays-Bas espagnols, Charles II récupère son trône en 1660 _ voilà _, deux ans après la mort de Cromwell. Une ère nouvelle commence : après des années d’interdiction puritaine des représentations théâtrales, les salles de spectacles londoniennes purent enfin reprendre leurs activités, précise la musicologue Katherina Lindekens dans sa notice. Cette Restauration va avoir un effet bénéfique, avec l’émergence d’une nouvelle forme de drame musical hybride -appelée plus tard « dramatick opera »- qui allait devenir le genre dominant à Londres jusqu’à la fin du siècle. Malgré l’une ou l’autre tentative timide, des réticences à adopter la forme d’un opéra totalement chanté subsistent. La Psyche de Matthew Locke, créée à Londres le 27 février 1675, sera donc un compromis, chant et parole y étant mêlés.

Lors de son séjour en France, Charles II a été baigné dans _ et enchanté de _  l’atmosphère de la culture musicale du ballet de cour et de la comédie-ballet. Cela l’incite à mettre en place en Angleterre un ensemble instrumental, à inviter des compositeurs français _ en effet nombreux à y venir... _ et à envoyer à Paris le comédien shakespearien et auteur Thomas Betterton (c. 1635-1710) qui y a probablement vu, en 1671, les représentations de la tragédie-ballet Psyché de Lully, sur un texte de Molière, Corneille et Philippe Quinault. Le même sujet va faire le bonheur de Matthew Locke, devenu compositeur du Roi Charles II à la Restauration et déjà auteur de musiques de scène ou pour le théâtre, dont des masques, ainsi que d’anthems ou de chants sacrés. Sa Psyche sera sa dernière grande partition avant sa mort _ au mois d’août 1677. Le dramaturge Thomas Shadwell (c. 1642-1692) est chargé de la traduction du livret qui a servi à Lully, travail qui l’inspire et qu’’il accomplit presqu’à l’identique de l’original. La musique est confiée à Locke et à Giovanni Battista Draghi (c. 1640-1708), d’origine italienne, établi dans les années 1660 en Angleterre, où il passera le reste de son existence.

Mais, comme l’explique Sébastien Daucé, lorsque le livret, très détaillé en indications diverses, et une partition sont publiés en 1675, la partie musicale qui revient à Draghi ne s’y trouve pas. Elle est hélas, de ce fait, définitivement perdue _ oui. On lira la réflexion de Daucé quant aux solutions adoptées pour la présente reconstitution, la musique de Draghi ayant été remplacée par des pages de Locke et d’anonymes du temps. Un extrait de dix minutes de la Psyché de Lully, la « plainte italienne », a par ailleurs été ajouté comme intermède à la fin de la scène 2 de l’Acte II, en guise d’hommage au favori du Roi Soleil. Le texte de la partie chantée, qui est, répétons-le, une traduction presque littérale du livret destiné à Lully, est intégralement reproduit ici, l’éditeur ayant choisi d’y ajouter en italiques les didascalies et compléments qui résument la partie théâtrale. Une initiative des plus judicieuses, que l’on salue comme elle le mérite, car elle laisse libre cours à l’imagination. Le résultat est d’une homogénéité remarquable, et l’intensité est au rendez-vous _ oui ! _ pour un peu moins de deux heures de bonheur musical et vocal _ oui. L’intrigue est connue. Elle est tirée des Métamorphoses d’Apulée (L’Âne d’or) et date du IIe siècle avant notre ère. La déesse Vénus est jalouse de la beauté de la princesse Psyche et envoie Eros pour lui trouver un époux, mais le messager en tombe amoureux. Des épreuves vont être soumises à Psyche qui sera en fin de compte admise parmi les dieux et unie à son amant. Dans ce contexte, il y a de la magnificence _ oui _, des moments voués aux palais, forêts, jardins féeriques ou grottes infernales, avec un concert de danses subtiles et raffinées, mais aussi rustiques, de couleurs séduisantes et de rythmes qui se révèlent dynamiques ou languissants _ voilà. Le tout servi par une instrumentation imaginative, riche en trouvailles quant aux violons, violes, sacqueboutes et autres luth, harpe, flûtes, hautbois ou percussion _ absolument. Un feu d’artifice de nuances distillées par un Ensemble Correspondances en grande forme, mené avec vigueur et fougue par Sébastien Daucé, dont l’investissement comme chef rejoint celui qu’il a mis pour mener à bien ce projet dont il peut être fier _ tout cela est d’une partaite justesse.

Le riche plateau vocal fait appel à treize chanteurs. Récitatifs et airs se succèdent avec bonheur au milieu des interventions instrumentales. Les chanteurs, dont on appréciera l’excellence globale de la prononciation anglaise, endossent plusieurs rôles, mais il n’y a pas de Psyche, celle-ci étant à l’origine un rôle parlé. Il faudrait détailler toutes les présences de ces voix, toujours en situation. Epinglons celles de Nicolas Brooymans, sensible dans l’hymne à la beauté de Psyche au début de l’Acte I, de Lucile Richardot qui, dans l’air Let’s to Apollo’s Altar now repair (Acte II, scène 1), atteste d’un sens absolu de l’éloquence et de la déclamation, d’Antonin Rondepierre, vaillant dans l’Acte III (Great God of War), ou de Marc Mauillon dans un air de contemplation (Behold the God) de l’Acte V. Mais tout le monde est à sa place (délicate Deborah Cachet, distinguée Lieselotte de Wilde, subtile Caroline Bardot…), avec une hauteur de style et une joie de chanter _ oui ! _ exploitées dans les ensembles accomplis qui parsèment l’opéra. On ne manquera pas de souligner à quel point l’intermède italien de la Psyché de Lully par lequel Daucé a choisi de conclure l’Acte II (Lucile Richardot, Antonin Rondepierre et Nicolas Brooymans) trouve une place dramatique et glorieuse. L’œuvre s’achève dans une sorte d’ivresse par All joy to this Celestial Pair, les chœurs, impeccables, et les instrumentistes se lançant dans un irrésistible éloge des pouvoirs de l’Amour et de la Beauté _ oui.

Les mélomanes qui ont acquis _ je l’ai fait _ en 1995 la production, sous étiquette de L’Oiseau-Lyre, du New London Consort dirigé par Philip Pickett, avec un plateau vocal de qualité, en ont gardé un _ assez _ beau souvenir. Ils seront transportés cette fois _ oui !!! _ par le haut niveau de la nouvelle gravure, captée avec soin dans la chapelle des Jésuites de Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, en juillet et août 2022. C’est un enregistrement à marquer d’une pierre blanche, qui rend justice à ce qu’il faut considérer comme le premier opéra anglais digne de ce nom.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

Et de fait à l’écoute intégrale des 107′ de ce double CD Harmonia Munsi HMM 905325-26 de Sébastien Daucé et son Ensemble Correspondances,

un extrême plaisir est bien au rendez-vous !

Ce mardi 20 décembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Sertir la perfection du chant haendelien (dans ses oratorios anglais) pour les voix idéales de Léa Désandré et Iestyn Davies : ce que vient apporter le CD « Eternal Heaven » de l’Ensemble Jupiter et son chef (et luthiste) Thomas Dunford en plus des CDs d’oratorios complets…

06déc

Sertir la perfection du chant haendelien (dans les oratorios anglais) pour les voix idéales de Léa Désandré et Iestyn Davies,

tel est le but superbement réalisé dans le CD « Eternal Heaven » _ Erato 5054197196775 _ par Jonathan Dunford et son ensemble _ quasi de chambre ici, avec seulement 11 musiciens instrumentistes : Thomas Dunford, luth ; Sophie Gent & Tuomi Suni, violons ; Jérôme Van Waerbeke, alto ; Keiko Gorni, violoncelle ; Hugo Abraham, contrebasse ; Sébastien Marq, flûte ; Neven Lesage, hautbois ; Peter Whelan, basson ; Jean Rondeau, clavecin ; et Tom Foster, clavecin & orgue… _ Jupiter…

Qu’on regarde et écoute ici la délicieuse vidéo (de 5′ 07) du sublime duo « To thee, thou glorious son of worth« , de l’oratorio « Theodora« , Partie II, scène 5…

Et qu’on lise, par exemple _ mais avec recul quant à ses critiques _, l’article « Haendel sous le signe du plaisir et du jeu« , paru hier 5 décembre dans Crescendo, sous la plume de Bénédicte Palaux-Simonnet :

Haendel sous le signe du plaisir et du jeu 

LE 5 DÉCEMBRE 2022 par Bénédicte Palaux-Simonnet

« Eternal Heaven ». Œuvres de George Frederic Haendel (1685-1759).

Léa Desandre, mezzo soprano ; Iestyn Davies, contre ténor ; Ensemble Jupiter, direction musicale et luth : Thomas Dunford.

2022

Livret et textes en français, anglais, allemand. 86’25’’

Erato 5054197196775


Vêtus de blanc dans un décor d’alpages, trois musiciens secondés par le petit ensemble _ de 11 instrumentistes seulement, en plus des deux chanteurs _ « Jupiter », proposent un récital de 86 minutes consacré à Haendel. Une succession d’extraits _ d’airs et duos _ d’oratorios divers, créés dans la période anglaise (Semele en tête avec 6 airs, suivie de Theodora, Susanna, Esther, Hercules, Solomon, notamment) font alterner duos et solos en anglais accompagnés d’un continuo réduit _ voilà ! _ à géométrie variable _ s’agissant ici de mettre bien en valeur le chant…

Le mélange d’une voix de mezzo léger _ celle de Léa Désandré, 28 ans au moment de l’enregistrement du CD, du 1er au 6 octobre 2021, à la Chapelle Corneille, à Rouen _ avec celle d’un « countertenor » venu de York _ Iestyn Davies, 42 ans_, formé dans les chœurs d’enfants du St John’s College à Cambridge, excellent connaisseur du répertoire anglais (Purcell et Britten entre autres), pouvait surprendre. Mais le timbre clair de Iestyn Davis met en valeur les couleurs plus ombrées de celui de Léa Desandre, tandis que l’évanescence de l’un et la légèreté véloce de l’autre se fondent jusqu’à donner l’impression de voix « en miroir » ou, même, de voix-jumelles.

La sensibilité affleure plus volontiers dans les airs solistes grâce à l’intimité d’une projection chambriste. Le format se prête tout autant à une virtuosité aérienne qui semble se rire de ses propres exploits. Car ce sont bien le jeu, la joie et l’aisance qui irradient _ voilà _ ce programme. Sous la direction virevoltante de Thomas Dunford _ 33 ans _, également au luth _ oui ! _, affleure une complicité musicale de chaque instant _ oui ! _ qui emporte l’adhésion.

Adhésion non dénuée de regrets _ que je ne partage pas, au vu du projet bien particulier de ce CD… Ainsi de la transposition de l’Ode for the Birthday of Queen Anne qui modifie l’équilibre sonore voulu par le compositeur ou de l’arrangement pour luth de la Sarabande de la Suite en ré mineur rendue célèbre par le film Barry Lyndon _ mais tout cela est parfaitement volontaire et assumé de la part de Thomas Dunford. La prévalence de sonorités droites parfois tendues dans les aigus (No, no I’ll take no less, extrait de Semele) évoque une esthétique « baroqueuse » révolue, sans compter ornementations frugales, da capo évasifs ou réverbérations intempestives _ mais il ne s’agissait pas du tout de donner des extraits d’oratorios avec des effectifs complets…

Ajoutons encore l’exaspérant violon (fiddler ?) qui introduit le duo Joys of Freedom auquel ne manque que la cornemuse, voire intempestif dans l’air d’Athanas (Despair no more shall wound me) déjà pénalisé par des vocalises sur la syllabe « Wou-ou-ou » –.

Quant aux effectifs restreints, même ingénieusement agencés, ils répondent au choix _ mais oui _ d’une esthétique épurée « à l’os » qui ne manque pas de charme, mais relève de goûts plus personnels _ et alors ??? _ que fidèles au compositeur du Messie _ mais une fois encore, tel n’était pas là l’objectif de ce récital-florilège d’airs et duos au service du seul chant…

Pour conclure on s’attardera sur les interventions aussi belles qu’éloquentes du hautbois (Neven Lesage) culminant avec l’air de la Reine de Saba (Solomon A. III), Will the sun forget to streak – moment belcantiste où la voix s’épanouit dans sa tessiture naturelle tandis que les violoncelles, hautbois et autres instruments conversent, s’enlacent et se répondent. De son côté Iestyn Davies prête à l’air de Saul, O Lord, whose mercies numberless (David _ de Saul _), une pureté retenue qui flotte en apesanteur. Dans le même élan, les phrasés caressants presque chuchotants du duo final Theodora-Didymus (II, 5) _ de Theodora ; cf la vidéo que j’en donne ici… _ suscitent un climat quasi extatique _ voilà.

Ce n’est pas tout ! Un petit clin d’œil folk-pop se glisse en bis qui en dit long sur l’entente et le plaisir des musiciens.

Son 9 – Livret 9 – Répertoire 10 – Interprétation  10

Bénédicte Palaux Simonnet

Un récital-florilège qui sert parfaitement l’exceptionnel génie de la mélodie de Haendel,

comme la perfection de l’art du chant de Léa Désandré et Iestyn Davies…

Ce mardi 6 décembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

La perfection de la pudique tendresse de Céline Frisch sur le clavecin de Louis XV : une réussite absolue…

27juil

À deux mois moins 3 jours de mon article du 29 mai dernier «  « ,

c’est hier 26 juillet 2022 que, par son article très simplement intitulé « Les Plaisirs« , Jean-Charles Hoffelé sur son site Discophilia vient reconnaître à son tour la splendide réussite de Céline Frisch en son délicieux CD « L’Aimable _ Une journée avec Louis XV« ,

soit le parfaitement ravissant CD Alpha 837…

LES PLAISIRS

Apogée ou vertige ? Le grand clavecin classique, roide, celui de Louis XIV _ dont le règne prend fin, avec la mort du roi, le 1er septembre 1715 _, allait à jamais quitter ses _ occasionnelles _ sévérités pour le temps de Louis XV _ Versailles, 15 février 1710 – Versailles, 10 mai 1774. Tout un autre monde _ musical tout particulièrement, bien sûr _ s’ouvre à lui, qui pourrait correspondre en sons à l’art des grands maîtres du pastel _ c’est bien vu… Adieux suites de danses, bonjour portraits, scènes intimes, échos sonores de cloches, de nature _ voilà ! _, et lorsque le ballet s’invite, ce sera celui du Pygmalion de Rameau (1883 – 1764), ébouriffé au clavecin par Balbastre (1724 – 1799), toujours gourmant du génie du Dijonnais.

Période faste donc, qu’aujourd’hui Céline Frisch herborise comme jadis le fit Blandine Verlet (Paris 27 février 1942 – Paris, 30 décembre 2018) dans ses albums des « Princesses de France » (Philips, années 1970 _ 1978 plus précisément _). Elle y commence avec des François Couperin (1668 – 1733) et D’Agincourt (1684 – 1758) de pur charme _ oui __, les jouant leste, et elle ira finir à cette merveille si rarement gravée que sont Les Étoiles, petit moto perpetuo comme argenté par la lueur lunaire _ de Michel Corrette (1707 – 1795).

C’est un monde du tendre _ absolument _, du fragile _ ténu, subtil _, des plaisirs fugitifs _ à mille lieues de la moindre insistance ou lourdeur… _ qu’elle saisit avec _ infinie _ poésie _ voilà ! _ sur l’élégant Rastelli d’après Goujon, trésor du Musée de la Musique : écoutez seulement Les tendres sentiments de Royer (1703 – 1755) : 6’26 de discrète et pudique douceur…

LE DISQUE DU JOUR

L’Aimable
Une journée avec Louis XV

Œuvres de François Couperin (1668-1733), François d’Agincourt (1684-1758), Pierre Dandrieu (1664-1733), Louis-Claude Daquin (1694-1772), Pancrace Royer (1703-1755), Claude-Bénigne Balbastre (1724-1799), Michel Corette (1707-1795)

Céline Frisch, clavecin

Un album du label Alpha Classics 837

Photo à la une : la claveciniste Céline Frisch – Photo : © Jean-Baptiste Millot

Un délicat ravissement que pareil discret bijou de CD !

Ce mercredi 27 juillet 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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