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L’Entretien magnifique de Karol Beffa avec Francis Lippa à la Station Ausone, à Bordeaux, le 25 mars 2022, à propos de son passionnant « L’Autre XXe siècle musical » : artisanat, singularités, hédonisme, en un panorama considérablement élargi et ouvert, et infiniment plus juste et heureux, de la création musicale au XXe siècle…

07avr

Vient d’être très heureusement publié sur le site de la Librairie Mollat

la vidéo du très bel Entretien que le compositeur décidément important d’aujourd’hui qu’est Karol Beffa (né en 1973) a eu, le vendredi 25 mars dernier, à la Station Ausone de la Librairie Mollat à Bordeaux, avec le mélomane passionné qu’est Francis Lippa (né en 1947), vice-président de la Société de Philosophie de Bordeaux,

afin de chercher à creuser un peu plus avant encore en les lucidissimes analyses que Karol Beffa a superbement développées et détaillées en son très remarquable et nécessaire _ et à poursuivre ! J’attends impatiemment un volume 2… _ « L’Autre XXe siècle musical« , qui vient de paraître aux Éditions Buchet-Chastel…

À l’initiative de Francis Lippa, et en ouverture de la saison 2016-2017 de la Société de Philosophie de Bordeaux, un précédent Entretien de Francis Lippa et Karol Beffa, intitulé, lui, « Ce que nous fait la musique », avait eu lieu en cette même Station Ausone le mardi 11 octobre 2016…

Car écouter l’intelligence si sensible de Karol Beffa, son intelligence toujours mesurée et parfaitement argumentée _ Karol Beffa est en effet aussi un admirable pédagogue _, d’une très grande justesse en les nuances qu’il sait détailler avec une éloquente simplicité en ses lucidissimes _ j’insiste là-dessus _ analyses, est, chaque fois, un irremplaçable plaisir _ cf mon article détaillé du 1er juin 2016 «  » que j’avais développé suite à notre rencontre du samedi 28 mai au Festival Philosophia de Saint-Emilion, où je venais de savourer l’excellent Entretien que Karol Beffa venait d’avoir avec Hélène Lastécouères sur le sujet, bien sûr fondamental, qu’est « Création et créativité« 

À ce passionnant Entretien de ce vendredi 25 mars dernier à la Station Ausone,

d’une durée de 53′ _ sans une seule seconde d’ennui ou de redondance ! _,

je me permets de joindre ici, et bien sûr en toute modestie _ je n’aime pas du tout me mettre en avant ; l’art (bien français) de la conversation amicale, tel que l’a superbement analysé Marc Fumaroli en son « L’Art de la conversation« , consistant, et avec le plus grand naturel possible, à seulement mettre en valeur et faire briller son interlocuteur _ un commentaire que par courriel m’a adressé, en retour de mon envoi de cette vidéo, et après attentif visionnage, mon lucidissime ami René de Ceccatty _ un maître, lui aussi, tout comme Karol Beffa, tant de l’analyse la plus fine que de la synthèse la plus lumineuse... _

Cher Francis, j’ai vu et entendu ce très bel entretien d’une grande clarté, d’un grand naturel et d’une parfaite entente entre vous. Tu es (ce n’est pas une découverte pour moi…) vraiment l’interlocuteur idéal, érudit, pénétrant et discret, et admiratif, ce qui stimule évidemment ton invité, du reste assez modeste, mais maîtrisant parfaitement son sujet et ses prises de position.
J’avais lu un essai de lui publié par le Seuil _ il s’agit de « Parler, composer, jouer _ 7 Leçons sur la musique« , ces lumineuses Leçons données par Karol Beffa au Collège de France, dont j’avais données à regarder les vidéos en mon article du 1er juin 2016 ; mais qui ont hélas cessé d’être accessibles en ces liens aux vidéos, je viens de le constater… Il est nuancé, jamais sectaire, partisan de l’hybridation musicale… Quel génie musical n’a pas puisé dans les cultures populaires et même exotiques ? Car la vraie musique est au-delà de tous les genres. Il y a une impasse du modernisme et de l’avant-garde quand ils se proclament et se célèbrent eux-mêmes, car loin d’être novateurs ils sont piégés par le néo-académisme. Malgré son génie de chef d’orchestre et du reste d’orchestrateur, Boulez est tombé à pieds joints dans ce piège ! Et pourtant c’était un homme curieux et d’une certaine générosité.
J’envoie le lien à mon frère _ Jean Pavans, mélomane lui aussi passionné _ qui sera ravi, j’en suis sûr.
Et je commande le nouveau livre de Karol Beffa.
Avec mon amitié
René
J’espère que tu gardes précieusement tous tes entretiens qui mériteraient d’être retranscrits _ un bien utile conseil d’ami...

Voilà donc une très précieuse contribution à une meilleure connaissance d’un panorama élargi et considérablement plus ouvert _ et heureux ! _ de la musique au XXe siècle,

face à l’étroitesse ronchonne, grise et triste, des sectateurs d’un purisme moderniste acétique un moment hégémonique dans les institutions musicales en France, très éloigné des goûts du public des mélomanes, au risque de tarir la composition de musique d’exigence de qualité en France…

….

Mais le vent a commencé de très heureusement tourner…

Un immense merci, donc, à Karol Beffa, et à son œuvre ouverte et, somme toute _ en ses diverses très riches modalités, et in fine _, heureuse, en toute sa très humaine modestie, et son goût généreux du partage… 

Ce jeudi 7 avril 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

A méditer pour réfléchir sur les mésusages idéologiques de la littérature (et des Arts)

24déc

Pour donner à méditer sur des brouillages malencontreux entre Art et idéologie, entre littérature et communication,

voici _ et tels quels, sans nulle farcissure de ma part _ deux articles donnant _ à chacun _ à penser _ par devers soi, davantage qu’à polémiquer en place publique _ :

Sur littérature et communication.

Ces deux articles d’André Markowicz et de Bernard Chambaz

https://m.facebook.com/andre.markowicz/posts/2053869254825376

André Markowicz : « Aux Invalides, c’était juste la vieille droite »


Qu’a fait Jean d’Ormesson, à part avoir « bien écrit », pour qu’un hommage national lui soit rendu ? Dans une tribune au « Monde », le traducteur et poète s’interroge sur le geste politique d’Emmanuel Macron.

LE MONDE | 11.12.2017 à 11h01 • Mis à jour le 11.12.2017 à 11h25 | Par André Markowicz (Traducteur et poète)

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/11/andre-markowicz-aux-invalides-c-etait-juste-la-vieille-droite_5227896_3232.html#f5OMvy0qjW3BH2iO.99

Ca avait commencé le jour d’avant. J’avais vu passer une déclaration de Françoise Nyssen, mon éditrice, une personne que je connais depuis plus de vingt-cinq ans, qui disait qu’il serait bon de rendre un hommage national à Jean d’Ormesson et à Johnny Halliday. Sur le coup, j’ai cru que ça devait être un hommage conjoint, dans la même fournée, et j’ai pensé _ qu’elle me pardonne _ qu’elle déraillait. Et bon, vous savez comme c’est, il y a plein de choses qui se passent en l’espace d’une heure, j’ai oublié cette déclaration, j’avais d’autres choses à faire.

Quand un ami m’a dit qu’un hommage national serait rendu à Jean d’Ormesson et à Johnny Hallyday, j’ai cru qu’il me faisait marcher. Mais non, c’était vrai. Quand, ensuite, on m’a dit que l’hommage à Jean d’Ormesson lui serait rendu aux Invalides, j’ai eu peine à y croire, mais non, pas de doute, là encore, c’était vrai.

J’avoue d’emblée que je n’ai jamais pu lire trois pages d’affilée des livres de Jean d’Ormesson – je le dis sans trop de honte. J’en ai feuilleté quelques-uns, sur les tables de libraires, et c’était toujours, comme on dit en français (et seulement en français) « bien écrit ». Quand je traduisais Les Démons, de Dostoïevski, je voyais se profiler des auteurs comme d’Ormesson derrière la figure de l’écrivain Karmazinov, qui, de fait, « écrit bien », et termine son œuvre en disant « merci ». D’Ormesson, lui, c’est par ça qu’il avait commencé : Au revoir et merci… Merci à ses lecteurs, merci à l’existence et à qui vous voulez – il était très content. Ça fait toujours plaisir de voir un homme content. J’ai toujours pensé qu’il était l’exemple parfait de « petit maître », issu d’une tradition bien française qui date du XVIIe siècle.

Bref, pourquoi d’Ormesson ? Et pourquoi aux Invalides ? Malraux avait eu droit à un tel hommage, mais Malraux avait été ministre, c’était une figure du siècle ; pareil, d’une autre façon, pour Césaire (au Panthéon). Mais qu’avait-on fait à la mort de Claude Simon, de Samuel Beckett et même d’Yves Bonnefoy ?

« Génie national »

Quand j’ai écouté le discours d’Emmanuel Macron, les choses se sont mises en place. C’était un beau discours, un discours littéraire, qui multipliait les citations, un hymne à « ce que la France a de plus beau, sa littérature »… Un discours mimétique, aussi : on aurait dit que le président de la République française se livrait à un pastiche du style de d’Ormesson pour prononcer son éloge funèbre,

La suite de l’article d’André Markowicz, ici :
https://m.facebook.com/andre.markowicz/posts/2053869254825376

Ou ici.


Tribune.

Mireille aux Invalides.
Macron, d’Ormesson et Johnny, images de la France.

Ça avait commencé le jour d’avant. J’avais vu passer une déclaration de Françoise Nyssen, mon éditrice, une personne que je connais depuis plus de ving-cinq ans, qui disait qu’il serait bon de rendre un hommage national à Jean d’Ormesson et à Johnny Hallyday. Sur le coup, j’ai cru que ça devait être un hommage conjoint, dans la même fournée, pour ainsi dire, et j’ai pensé, — qu’elle me pardonne — qu’elle déraillait. Et bon, vous savez comme c’est, il y a plein de choses qui se passent en l’espace d’une heure, j’ai oublié cette déclaration, j’avais d’autres choses à faire.

Quand un ami m’a dit qu’il y aurait un hommage à Jean d’Ormesson aux Invalides, j’ai cru qu’il me faisait marcher. Bon, je l’avoue d’emblée, je n’ai jamais pu lire trois pages d’affilée de ses livres — et dire que je suis mort de honte à l’avouer serait mentir. J’en avais feuilleté quelques-uns, sur les tables de libraires, et c’était toujours, comme on dit en français (et seulement en français) « bien écrit », comme si ça voulait dire quelque chose, de bien écrire, pour un écrivain. Mon ami Armando, à la Sorbonne, faisait ça : il regardait systématiquement les premières pages des romans sur les tables des libraires, et il livrait son jugement : « Oui, c’est pas Dante ».

Et donc oui, oui, oui, Jean d’Ormesson écrit bien. Il a une « belle langue ». Et non, Jean d’Ormesson, ce n’est pas Dante. Quand je traduisais « les Démons », ce sont des gens comme d’Ormesson qui m’ont servi d’images pour la figure de l’écrivain Karmazinov, qui, de fait, « écrit bien », et qui finit son œuvre en disant « merci ». Merci à ses lecteurs, merci à l’existence, merci à qui vous voulez — qui finit très content. Parce que c’est vrai que c’est très important, d’être content dans la vie. Parce que ça fait plaisir à tout le monde. D’abord à ceux qui vous lisent, et ensuite à soi-même. Et donc, bon, j’ai toujours pensé qu’il était, au mieux, l’exemple parfait du « petit maître », issu d’une tradition, là encore, bien française, qui date du XVIIe. C’est vrai, du coup, il représente une « certaine image de la France » — d’une certaine tradition française de la littérature, ridicule pour toute l’Europe depuis le romantisme — et qui n’est pas moins ridicule aujourd’hui.

Ce n’était pas une blague. Il y a eu un hommage aux Invalides. Pourquoi aux Invalides ? Est-ce que d’Ormesson avait, je ne sais pas, accompli des actes héroïques au service de la France, ou est-ce qu’il avait été victime du terrorisme ? Etait-il une figure de l’ampleur de Simone Veil ? Et quel écrivain français a été l’objet d’un tel hommage avant lui ? — Il y avait eu Malraux, je crois. Mais Malraux avait été ministre, il était une figure du siècle. Mais qu’a-t-on fait à la mort de Claude Simon ou de Beckett ou, je ne sais pas, celle de Francis Ponge ou de René Char, sans parler de Foucault, de Barthes ou de Derrida — et même d’Yves Bonnefoy ? — Il y a eu des communiqués de l’Elysée (ce qui est bien normal), mais jamais un hommage aux Invalides, c’est-à-dire un hommage de la République, en présence, qui plus est, des deux anciens présidents de la République encore ingambes que nous avons, à savoir Nicolas Sarkozy et François Hollande. — Qu’est-ce que ça veut dire, qu’on rende hommage à d’Ormesson de cette façon ? C’était ça, ma question.

Et puis, j’ai écouté le discours d’Emmanuel Macron. Et là, les choses ont commencé à se remettre en place : non, Françoise Nyssen n’avait pas déraillé du tout. Elle avait exprimé l’idée. Parce que ce discours est un moment majeur, pas seulement pour d’Ormesson, ou, plutôt, pas du tout pour d’Ormesson, mais pour la vision à long terme de la présidence de Macron — pour sa vision de la France. De sa France à lui.

Objectivement, c’était un discours formidable. Un discours littéraire, qui multiplie les citations, qui est un hymne à « ce que la France a de plus beau, sa littérature »… Un discours formidable aussi parce que mimétique : on aurait dit que Macron (ou Sylvain Fort, mais ça n’a aucune importance — en l’occurrence, c’est Macron, je veux dire le Président de la République française) faisait un pastiche proustien du style de d’Ormesson lui-même pour prononcer son éloge funèbre, en construisant, avec des imparfaits du subjonctifs gaulliens (et grammaticalement indispensables) un éloge de la clarté, qualité essentielle du « génie national». Et puis, j’ai entendu cette phrase : « La France est ce pays complexe où la gaieté, la quête du bonheur, l’allégresse, qui furent un temps les atours de notre génie national, furent un jour, on ne sait quand, comme frappés d’indignité. »

Dites, — comment ça, « on ne sait pas quand » ? Si, on sait parfaitement quand : d’abord, — non pas en France, mais dans l’Europe entière, au moment du romantisme, et de la Révolution française. Quand, d’un seul coup, c’est le monde qui a fait irruption dans les livres, et pas seulement dans la beauté des salons. C’est le moment du grand débat entre Racine et Shakespeare, oui, dans l’Europe tout entière. Et la remise en cause de la « légèreté comme génie national de la France », c’est, par exemple, tout Victor Hugo. Et puis, il y a ce moment de désastre, d’éblouissement qui reste, jusqu’à nous, une déchirure « irréfragable », selon le beau mot employé par Macron, le moment de Rimbaud — qui trouve la légèreté verlainienne, sublime, à la limite extrême de l’indicible, et la transforme en cette légèreté atroce et impensable, « littéralement et dans tous les sens », des « Derniers vers », et qui le laisse dévasté, Verlaine, et qui s’en va, en nous laissant, oui, aujourd’hui encore, nous tous qui parlons français, béants et bouleversés : et c’est après la catastrophe de Rimbaud que viendra, par exemple, celle d’un poète comme Paul Celan (qui lui est si proche).

Emmanuel Macron a cité les amis de Jean d’Ormesson : Berl, Caillois, Hersch, Mohrt, Déon, Marceau, Rheims, Sureau, Rouart, Deniau, Fumaroli, Nourissier, Orsenna, Lambron ou Baer… — Bon, Orsenna… 


Hersch… C’est Jeanne Hersch ? Et Sureau, c’est François Sureau (dont j’apprends qu’il écrivait les discours de Fillon) ? Et les autres… Berl, Mohrt, Déon, Marceau, Rheims, Rouart, Fumaroli, c’est, de fait, « une certaine idée de la France », — une idée dont je ne pourrais pas dire qu’elle est franchement de gauche. C’est de cette longue lignée dont parle le Président pour peindre, aux Invalides, dans le cadre le plus solennel de la République, la France qu’il veut construire. Et il le fait sans avoir besoin de dire l’essentiel, qui est compris par toute l’assistance : nous sommes dans le cercle du « Figaro », dans le cercle — très ancien — de la droite française la plus traditionnelle, celle des « Hussards », des nostalgiques de l’aristocratie. Parce qu’il faut bien le dire, quand même, non ? — la « légèreté » de Jean d’Ormesson, c’était quand bien ça qu’elle recouvrait : la réaction la plus franche — même si Dieu me préserve de mettre en cause son attachement à la démocratie parlementaire. —

Michel Mohrt, Marceau (Félicien, pas Marcel…), Michel Déon, Paul Morand, toute, je le dis, cette crapulerie de l’élitisme de la vieille France, moi, je ne sais pas, ça ne me donne pas l’image d’une France dans laquelle je pourrais me reconnaître.

L’impression que j’ai, c’est que par l’intermédiaire de Jean d’Ormesson, le Président rendait hommage à cette France-là, en l’appelant « la France », et c’est à propos de cette France-là qu’il parlait de son « génie national ». Et sans jamais employer de mot de « réaction », ou le mot « droite ».

Les Invalides, c’était pour ça. Pour dire la France dans laquelle nous vivons, maintenant que la gauche n’existe plus. Depuis qu’il n’y a plus que la droite. Dans cette légèreté des beautés esthétiques — et cela, alors même, je le dis en passant (j’en ai parlé ailleurs) que la langue française disparaît, en France même, par les faillites de l’enseignement, et, à l’étranger, par les diminutions drastiques et successives du budget alloué à l’enseignement du français. On le sait, la littérature, la beauté, c’est, je le dis en français, l’affaire des « happy few ».

Et puis, pour les « unhappy many », le lendemain, c’était l’hommage à une autre France, celle des milieux populaires, celle, censément, de Johnny Hallyday. Les deux faces du même.— En deux jours, les deux France étaient ainsi réconciliées par une seule voix, jupitérienne, celle des élites et celle du peuple. Je ne dirai rien de ce deuxième hommage, je ne me reconnais ni dans d’Ormesson, ni dans Johnny (que j’avais vu très grand acteur avec Godard). Mais paix à l’âme de Johnny, que la terre, comme on le dit en russe, lui soit « duvet », qu’elle lui soit, c’est le cas de le dire, « légère ».

Il y a eu deux hommages, un appel aux applaudissements dans le second, un silence grandiose à la fin du premier, et, moi, parmi les citations du Président, il y a en une sur laquelle j’ai tiqué, parce que, vraiment, je n’arrivais pas à la situer (je dois dire que je ne me souvenais pas de celle de « La Vie de Rancé », mais qu’elle est grande !..). Non, à un moment, Macron parle de Mireille.

« C’est le moment de dire, comme Mireille à l’enterrement de Verlaine: «Regarde, tous tes amis sont là

C’est qui, Mireille ? Dois-je avoir peur d’afficher mon inculture ? J’ai fouillé tout Paul Fort (enfin, pas tout…), il y a un poème célèbre qui devenu une très belle chanson de Brassens sur l’enterrement de Verlaine (Paul Fort y avait assisté)… et pas de Mireille. Je demande autour de moi, je regarde sur Google, il y a une autre chanson de Paul Fort, à « Mireille, dite Petit-Verglas », — mais, là encore, cette citation n’y est pas. Est-ce une espèce de condensé d’une citation de Brassens ? Sur le coup, dans ma naïveté, je me suis demandé s’il ne voulait pas parler de Mireille, vous savez, qui avait fait « le petit conservatoire de la chanson » à l’ORTF… Je me demande d’ailleurs si le jeune Johnny n’est pas passé chez elle. — Je plaisante. Et puis, Mireille, même si quand j’étais enfant, elle était vieille, elle n’était pas vieille à ce point-là. Donc, je ne sais pas qui est Mireille.

Je me demande ce qu’elle vient faire, cette Mireille, aux Invalides pour dire « tous tes amis sont là »… Si c’est une bourde (je ne vois pas laquelle), ou si, d’une façon plus bizarre, ce n’est pas comme une blague, procédé bien connu parmi les potaches, de fourrer au milieu d’une vingtaine de citations véritables, une citation totalement débile, que personne ne remarquera, histoire, justement, de ne pas se faire remarquer, parce qu’il ne faut pas dire que le roi est nu. — De mon temps, des copains khâgneux avaient fait une série de références à la pensée héraclitéenne de Jacob Delafond, auteur d’un « Tout s’écoule ». C’était, de la part de ces jeunes gens, un signe de mépris envers leur prof. De quoi serait-ce le signe ici ?…

Quoi qu’il en soit, cette Mireille, aux Invalides, elle participe à la construction de l’image de la France du président Macron. — Non, non, notre roi n’est pas nu. Il porte les habits de la « vieille France ». Ils sont très beaux. Ils sont très vieux. Mais ce ne sont pas ceux des grands auteurs du classicisme, — ce sont plutôt ceux des petits marquis.

Et puis, enfin, bizarrement, je ne sais pas comment dire : j’ai le cœur serré en pensant à Verlaine.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/11/andre-markowicz-aux-invalides-c-etait-juste-la-vieille-droite_5227896_3232.html#f5OMvy0qjW3BH2iO.99

http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/12/bernard-chambaz-alors-d-ou-vient-mireille_5228645_3232.html

Bernard Chambaz : « Alors, d’où vient Mireille ? »

Dans une tribune au « Monde », l’écrivain revient sur l’analyse de l’hommage d’Emmanuel Macron à Jean d’Ormesson du traducteur et poète André Marcowicz.

LE MONDE | 12.12.2017 à 18h19 • Mis à jour le 12.12.2017 à 18h21 | Par Bernard Chambaz (Ecrivain)

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/12/bernard-chambaz-alors-d-ou-vient-mireille_5228645_3232.html#SOdM1gWXSLz6i53C.99

Tribune.

Mireille m’avait échappé. André Markowicz l’a sortie pour moi de l’ombre dont les Invalides ne l’avaient pas sauvée.

Au cas où Mireille serait encore dans les limbes, le peu que j’aurais à en dire est ceci : Mireille n’est pas Mireille, mais Eugénie Krantz, dite Nini-Mouton, moitié mondaine moitié artiste de music-hall. Après l’enterrement de Verlaine (1844-1896), elle vendra ses porte-plumes sinon ses crayons, beaucoup de porte-plumes, et même plusieurs fois son dernier encrier. Je crois qu’elle n’a pas dit « tous tes amis sont là » mais « tous les amis sont là », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Accessoirement, elle ne l’a pas dit d’une voix posée, mais elle l’a crié pour qu’on l’entende, qu’on sache que c’était bien elle qui détenait l’héritage. C’est seulement en fin d’après-midi, après la cérémonie officielle, que Philomène Boudin qui aimait vraiment Verlaine est venue déposer son petit bouquet de violettes au pied d’une montagne de rubans.

Il paraît qu’Eugénie était plutôt désagréable, le teint rougeaud, le visage ridé, « les yeux petits et méchants ». Peu importe, Verlaine la considérait comme sa « presque femme » et il habitait chez elle, rue Descartes. Le soir, ils s’étaient disputés. Elle avait crié plus fort que lui, elle ne l’avait pas relevé quand il était tombé du lit, elle s’en était allée, et il avait passé la nuit à se mourir à moitié nu sur le plancher gelé.

Fadaises

Sa tombe à lui est aux Batignolles. Depuis la Contrescarpe, ça fait une trotte, mais heureusement il y a des escales. Une messe basse par un froid de canard à Saint-Etienne-du-Mont, le premier Rossignol national veillé par une garde d’honneur avant qu’il ne reçoive l’hommage des clochards et des pierreux. Un adieu devant le Panthéon, une halte à côté de l’Opéra, le cortège battant la semelle derrière le corbillard « tout argenté de glaçons ». On peut parier que les sept discours sur sa tombe, il les a trouvés longs et que c’étaient des fadaises.

Alors, d’où vient Mireille ? A relire la nomenclature sempiternelle du discours, j’ai vu soudain passer le nom de Berl (1892-1976). On sait que son prénom est Emmanuel ; et je me suis rappelé qu’il avait eu une belle histoire d’amour avec Mireille, la chanteuse. Avec les préparatifs pour la Madeleine à la gloire de Johnny, on peut imaginer que la boucle était bouclée.

Franchement n’y-a-t-il pas un peu d’indécence à enrôler Verlaine dans ce compliment ?
Ce serait l’occasion ou jamais de rappeler le salut adressé par Léon Bloy (1846-1917) à « cet indigent qui avait crié merci dans les plus beaux vers du monde ».

Bernard Chambaz a notamment reçu le prix Goncourt du premier roman en 1993 pour L’Arbre de vies (F. Bourin). Il est l’auteur, entre autres, de 17 (Seuil, 144 pages, 15 euros) et d’A tombeau ouvert (Stock, 2016).

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/12/12/bernard-chambaz-alors-d-ou-vient-mireille
_5228645_3232.html#SOdM1gWXSLz6i53C.99

A porter sereinement au débat…

Titus Curiosus, ce dimanche 24 décembre 2017

 

Les rencontres heureuses et la vitalité généreuse d’une attentive vraie, Danièle Sallenave : l’état (= bilan provisoire) de sa « Vie éclaircie » _ somptueuse lumière d’un livre majeur !

29déc

Je tiens à saluer,

et comme il le mérite _ c’est-à-dire grandement ! _,

le livre absolument magnifique que nous offre,

en la jeunesse robuste et vive, et toujours si _ formidablement _ immensément joyeuse, de ses soixante-dix printemps

_ mais le passage du temps sur son indéfectible jeunesse (de cœur et d’esprit, d’abord !) est totalement imperceptible ! si ce n’est par un toujours surcroît de plénitude !… _,

Danièle Sallenave,

une vraie attentive

autant qu’une attentive (constamment et surabondamment…) vraie !

l’exemple même, si l’on veut, de l' »honnête homme » aujourd’hui,

et de la « belle personne »,

_ et cela indépendamment de la question, trop souvent parasite désormais, du « genre« , du sexe, de la sexuation : elle-même sait fort bien écarter, ici (au chapitre V, « Femmes, hommes« , aux pages 177-205 de ces passionnants  « entretiens » : avec Madeleine Gobeil, et avec elle-même : sur la page d’écran de l’ordinateur, à corriger pour préciser et creuser, approfondir, déployer bien de l’implicite...),

écarter, donc,

un tel parasitage… ; cf cette réflexion-ci, page 195, en réponse à la question (de Madeleine Gobeil) : « Les hommes et les femmes aiment-ils différemment ?« … :

« A mon sens, hommes et femmes aiment ou aimeraient exactement de la même façon, s’ils se souciaient _ d’abord et essentiellement _ d’être des individus, et non de se conformer, même à leur insu, à l’idée qu’ils se font, ou que l’époque se fait _ voilà ! tel est le poids exténuant (la « pesanteur sociologique« , si l’on préfère…) de la pression des clichés ! _, « des hommes » et « des femmes » !« … ;

et il faudrait ainsi que l’on « transgresse l’opposition rigoureuse hétéro/homosexualité.

C’est _ précise-t-elle bien vite, page 203 _ l’idée qu’un être, avant d’être sexué, est d’abord un individu au sens plein du terme

_ en son intégrité et unicité ; ainsi qu’en la conscience même (d’abord opaque, aussi…) de cette intégrité et de cette unicité, en soi : nécessairement singulières ! les deux (l’intégrité comme l’unicité) ! et cela, pour chacun (en son pour soi ! déjà ; ainsi qu’en un « chacun pour soi«  : bien trop souvent exacerbé…) par rapport à lui-même et son (propre : opaque ! non-transparent ! l’accomplissement et la découverte de soi constituant un long et complexe parcours…) soi ! _,

un individu au sens plein du terme, donc,

qu’on aime _ lui _ comme individu _ en son intégrité et unicité singulières ! elles aussi _, par-delà son sexe » même, ajoute très justement Danièle Sallenave, page 203, donc ;

et de commenter encore cela ainsi, dans la foulée, pages 203-204 :

« Pour un ou une « hétéro », ce n’est pas _ cette bisexualité rencontrée alors, non sans une certaine surprise… _ de l’indifférence à la différence sexuelle, qui continue _ elle, et bel et bien _ d’exister et de concentrer sur l’« autre sexe » les fantasmes de désir, de séduction… c’est comme une trouée dans un paysage, par où d’autres paysages se dévoilent _ alors : en perspective s’élargissant… La « bisexualité » _ puisque c’est à cela que l’auteur fait alors allusion, via sa fiction de La Fraga qu’elle commente alors _, c’est alors comme un complément _ voilà _ d’être, une manière de vouloir se saisir et de saisir l’autre _ en l’expérience vécue d’un tel désir amoureux ouvert sans considération dominante (et intimante !) du genre de l’aimé _ dans une liberté que rien n’entrave _ plus, du moins à cet égard de la spécification (carrée !) du genre de l’autre… _, aucune considération de sexe ou du genre. C’est la manifestation d’une liberté conquise«  : contre (et par-dessus) ses propres préjugés, qui avaient fini par s’incruster… _,

celle-là même qui dit,

page 40 de sa Vie éclaircie _ Réponses à Madeleine Gobeil (qui paraît cet automne 2010 aux Éditions Gallimard),

avoir, de ses parents _ un couple d’instituteurs de Savennières, sur les rives (et juste au-dessus des « levées« ) de la Loire, non loin d’Angers _, « hérité aussi« 

_ outre leur passion (germinative !) de la curiosité

(« Curiosité«  était « le maître-mot«  de ses parents, rapporte-t-elle, page 39, à propos des élèves qui leur étaient confiés : « Il n’a pas de curiosité ! » leur était, se souvient-elle, « un jugement sans appel« …),

leur passion de l’écoute

(un enseignant doit savoir aussi et avant tout apprendre à écouter au plus près ceux qu’il entreprend d’instruire-enseigner-éduquer ! car est là un rapport décisif ultra-sensible ! ;

et Danièle Sallenave de se remémorer ici cette « très belle chose«  « dans un texte de Jean Starobinski« , page 40, en suivant : « Il ne faut pas que l’immense bruit qui nous entoure _ et prolifère _ diminue nos facultés d’écoute _ attentives : activement réceptrices. C’est à les accroître ou du moins à les maintenir _ à rebours des anesthésies de toutes sortes ! se généralisant… _ que j’espère avoir travaillé« , écrivait Jean Starobinski, l’auteur de Largesse, dans L’Invention de la liberté…) ;

ainsi que celle, chevillée au corps et au cœur, elle aussi

_ car Danièle Sallenave vibre (toujours !) de la passion (éminemment porteuse : enthousiasmante !) de la générosité _

de l’inlassable « instruction« 

dont ceux-ci, ses parents, avaient fait leur métier,

au service du « métier de vivre« , de (« grandes« ) « personnes«  (que ces enfants « devaient«  être en train de devenir…), à aider à se former, des enfants qui leur étaient confiés,

du temps de ce qui était encore une « Instruction publique« , et fut, ensuite, une « Éducation nationale«  : en quoi est-elle donc, celle-là, en train de se métamorphoser, quand ses présents ministres ont été mis à pareille « place«  pour avoir su se faire d’assez efficaces « Directeurs de Ressources humaines«  d’entreprises (ô combien privées !) telles que L’Oréal !..  : « parce que que vous le valez bien« , qu’ils avancent comme appels d’achat de leurs « produits«  (séducteurs…) de « maquillage«  !.. ;

et sur la cosmétique, relire les mots toujours aussi brûlants de vérité de Socrate (dans l’indispensable Gorgias de Platon _ ou « contre la rhétorique«  !..)… _

celle-là même, Danièle Sallenave, qui dit avoir « hérité aussi« , donc, de ses parents,

une profonde mélancolie«  :

celle, du moins

_ cf Aristote, la Poétique, et Rudolf Wittkower : Les Enfants de Saturne.., mais cela à dose homéopathique, il me semble, pour ce qui la concerne singulièrement, elle, Danièle Sallenave, étant donné les inlassables trésors, bien plus manifestes (que ces tendances à l’acédie mélancolique !), eux, de la vitalité ! dans lesquels elle puise toujours et encore… _,

celle _ « mélancolie« , donc _ qui _ par la conscience d’un certain « tragique«  de la vie même, éphémère… _ « ouvre des horizons immenses« , page 40 :

ceux, et à perte de vue, de la profondeur (et de l’intensité maîtrisée : toute de classicisme !) de champ (de perceptions : diverses…) ;

c’est-à-dire le « relief« 

vrai

et parlant en pure vérité

_ d’un timbre de voix, seulement, un peu grave et à peine rugueux, en dépit de sa suavité (et chaleur même) de ton  ; tel un accent, à peine un brin voilé, mais de fond

à peine perceptible : tout simplement… ; mais qui « éclaire«  loin et profond ! voilà ! _

c’est-à-dire le « relief«  vrai et parlant en pure vérité, donc

_ et peut-être baroque ;

de ce Baroque qui sait parler et chanter à Danièle Sallenave ; et qui l’a tellement touché, elle aussi, à Rome et à Prague, notamment (comme il m’a personnellement touché, en ces lieux, et via quelques voix de personnes : ainsi, Elisabetta Rasy, à Rome ; Vaclav Jamek, à Prague…) _

le « relief » _ baroque, si l’on veut ! _ du tragique

consubstantiel de l’existence

« fragile » _ voilà ! et combien précieuses par là ! irremplaçables ! ces profondeur et intensité-là,

devant (et face à) cette fragilité vitale (en son éphémère)… _ de nos vies

effectivement passagères : l’automne et le crépuscule ne manquant pas

_ en général du moins : quand,

accomplissant l’espérance vitale (« et les fruits passeront la promesse des fleurs« ),

il s’avère, magnifiquement, que

« une rose d’automne est plus qu’une autre exquise« _

l’automne et le crépuscule ne manquant pas

_ pour certains, du moins, qui ont su vivre avec succès le « dur désir de durer » un peu (plus que d’autres) et, surtout, assez : pour bien l’« expérimenter« 

(tel un Montaigne en la « vieillesse«  relative, toujours, de ses cinquante ans)… _

d’advenir…

Ce n’est pas non plus sans émotion que j’ai découvert, in fine, page 247, les paroles de conclusion de ce magnifique livre d' »entretiens » (avec Madeleine Gobeil) :

« La seule vie, c’est la vie au présent,

cette vie-là !

Il faut en cultiver sur terre

_ c’est là la leçon, à la lumière de la rigueur d’Épicure, du sublime dernier chapitre des Essais de Montaigne, « De l’expérience« , sous lequel ce bilan (provisoire !) joyeux de Danièle Sallenave me semble venir se placer _


toutes les caractéristiques divines,

dont l’allégresse !

J’aime bien ce mot d’allégresse,

il me paraît correspondre tout à fait au sentiment que donne la musique

_ celle de Felix Mendelssohn, par exemple, héritier, en cela, via son maître Zelter, de l’Empfindsamkeit renversante et nourricièrement énergétique, en ses tourbillons de légèreté grave, profonde, du très grand Carl-Philipp-Emanuel Bach !..

De ce Mendelssohn-ci,

écouter la folle énergie du double concerto pour violon et piano dans l’interprétation sublimée de Gidon Kremer et Martha Argerich (un CD Deutsche Grammophon) ; ou l’Octuor dans l’enregistrement live qu’emmène Christian Tetzlaff pour le « Spannungen Chamber Music Festival«  de Heimbach (un CD Avie)… _,

Ce mot d’allégresse me paraît correspondre tout à fait

au sentiment que donne la musique

plus que n’importe quel art. (…) La musique est l’art divin.

J’ai beaucoup aimé parler de musique _ continue et achève de dire : ce sera là tout simplement la conclusion de cette Vie éclaircie, page 247… _ dans l’émission de Claude Maupomé Comment l’entendez-vous ?.

On écoutait le morceau en entier ; celui-ci terminé, le silence revenu _ celui qui permet à la pensée d’aller un pas plus loin ! _, on se regardait ; « alors ? », disait-elle, de sa belle voix _ un peu grave, elle aussi ; et magnifiquement posée.

Il y avait la pénombre du studio, les techniciens derrière la vitre ; et j’avais souvent la gorge nouée d’émotion avant de pouvoir parler et donner suite _ voilà ! _ au chant… _ inspirateur… :

sur l’« acte esthétique« ,

je renvoie une fois de plus à la scène initiale, à la tombée du soir, et en compagnie de deux amis, à Syracuse, de l’ouverture si subtilement juste du (sublime !) essai de Baldine Saint-Girons, L’Acte esthétique (aux Éditions Klincksieck) ;

cf mon article du 12 octobre 2010, à propos de l’opus suivant de Baldine Saint-Girons, Le Pouvoir esthétique (aux Éditions Manucius) : les enjeux fondamentaux (= de civilisation) de l’indispensable anthropologie esthétique de Baldine Saint-Girons : “le pouvoir esthétique”

L’écoute de la musique

procure un bonheur complet. Le temps n’est plus suspendu,

mais son mouvement _ allant : se chargeant, en la grâce porteuse de son déploiement, de toute une plénitude : comblante ! _

se charge de signification ;

il vous fait _ comme _ participer à la grâce souveraine du calcul,

à l’ordre mathématique

_ tant de la mélodie (horizontale) que de l’harmonie (verticale) ; en une inspiration possiblement leibnizienne ; ou bachienne ;

pour ma (modeste et humble) part, je serais tenté de faire un brin plus confiance à l’aventure un peu plus hasardeuse de ce qu’on pourrait nommer « inspiration« , s’élançant dans l’air, et avançant toujours un peu à l’aveuglette, en se fiant à la chance de ce qui va être rencontré, et respiré : à la façon de Domenico Scarlatti en ses 555 sonates, quasi indéfiniment re-tentées, par exemple... _

Le mouvement du temps vous fait participer à l’ordre mathématique, donc,

et joyeux du monde.« 

Car je me suis alors souvenu

que c’est peut-être lors d’une émission

de Claude Maupomé, « Comment l’entendez-vous ?« , sur France-Musique, quand la radio (de Radio-France) parlait un peu plus souvent vraiment vrai _ au lieu de ne se faire bientôt presque plus que propagande et publicité !_,

que j’ai fait la connaissance, par la voix, la parole, et la conversation vivante _ émue et émouvante, en sa vérité ! _ et vraie

de Danièle Sallenave _ et d’autres, tels, parmi d’autres passionnants, Pascal Quignard, ou le peintre de Montpellier Vincent Bioulès… _

commentant la musique aimée…

Voici, pour finir cette présentation-évocation

de La Vie éclaircie _ Réponses à Madeleine Gobeil,

la parlante quatrième de couverture :

« Madeleine Gobeil m’a proposé il y a quelques années de réaliser avec elle une interview par courriel. J’ai longuement développé _ en les travaillant : à la Montaigne, dirais-je… _ mes réponses ; et ce livre en est sorti. L’enfance, la formation (I), les livres (II), le théâtre (III), les amitiés, les amours (IV _ « L’Histoire, les intellectuels, la vie sensible » _ & V _ « Femmes, hommes »), les voyages (VI _ Les voyages, l’Art, le temps), la politique (de ci, de là)… Progressivement, une définition se dégage : écrire, c’est essayer d’ouvrir des brèches, des trouées

_ dans lesquelles une pensée peu à peu, à l’œuvre, et en s’aventurant (c’est le travail exploratoire du génie même de l’imagination…) se déploie : se précise et s’accomplit ; page 75, Danièle Sallenave cite Hegel : « C’est dans le mot que nous pensons«  ; et elle ajoute fort justement, dans l’élan : « Et dans l’articulation des mots, qui constitue des phrases, des énoncés, et pour finir ce qu’on appelle le discours« , selon ce que Chomsky nomme magnifiquement la « générativité«  du discours par la parole… ; le reste, privé de cela, c’est « ce qu’Adorno appelle « la vie mutilée » : coupée en ses élans généreux… Cela chez les privilégiés (« socio-économiques« , ajouterais-je !) comme chez ceux qui ne ne le sont pas. Un « privilégié » qui ne lit rien d’autre que ses dossiers, des ouvrages d’économie, ou sur la résistance des matériaux, et qui ne compte que sur Internet pour sa formation générale, vit aussi pour moi (et pour moi-même aussi !) d’une « vie mutilée »… » ; et Danièle Sallenave de citer encore à la rescousse, page 24, l’excellent Marc Fumaroli, en la préface de ses Exercices de lecture : « Passer par _ voilà ! _ les livres, c’est accéder à une certaine « forme d’intelligence », « que donne de soi-même et des hommes en général la fréquentation assidue _ oui : en mosaïque… _ des œuvres littéraires les plus diverses et d’époques différentes » et qui prépare et éclaire _ c’est cela ! _ celle que donne  _ à l’aveuglette, sinon _ l’expérience » _ individuelle empirique seulement. Comme le commente alors excellemment Danièle Sallenave : « Tout est là : préparer et éclairer l’expérience, qui est forcément _ d’abord : animalement et inculturellement : l’enfance, c’est la « neuveté«  ignorante, d’abord ; surtout privée du désir de plus profondément connaître… _ limitée. Et il ajoute : la lecture « lui donne des ailes _ voilà ! _, elle la prévient contre le rétrécissement _ ou du moins l’étroitesse à jamais _ triste »« , pages 74-75 _,

pour mieux voir, mieux comprendre, mieux sentir. C’est une manière de vivre. D’unifier, d’éclaircir la vie » _ en apprenant à démarquer ainsi le « relief«  même de l’essentiel… Alain dit ainsi : « Apprendre à bien penser, c’est apprendre à s’accorder avec les hommes les plus éminents, par les meilleurs signes »

Ce qui est dit de l’écrire est, en sa parfaite modestie (et justesse !), passionnant !

Magnifique !!!

Les rencontres que la vie,

un peu de chance,

et aussi parfois un brin de courage _ pour savoir saisir, et, plus encore, « cultiver« , en apprenant à soigner et entretenir, avec des trésors de délicatesse, les opportunités du hasard objectif ! _

ont ménagé à Danièle Sallenave,

sont plus passionnantes encore : je n’en dis rien ici ;

je laisse le soin de les découvrir au fil de la lecture

de ces pages infiniment précieuses et riches…

Cette Vie éclaircie _ Réponses à Madeleine Gobeil n’est qu’un « état des lieux » provisoire _ à la Montaigne, ou à la Proust : « tant qu’il y aura de l’encre et du papier » !.. _, mais sachant se concentrer de mieux en mieux, et avec générosité, sur l’essentiel, de la part de Danièle Sallenave,

car celle-ci est très loin de penser, comme celle à laquelle elle a consacré un panorama biographique, Castor de guerre, qu’à soixante ans, « il n’y avait plus rien à vivre, sauf l’attente de la mort« …

Cette Vie éclaircie

se trouve donc, par là, aux antipodes du Tout compte fait de Simone de Beauvoir,

dans lequel cette dernière lâchait mélancoliquement : « J’ai le goût du néant dans les os« …

Œcuméniquement, en quelque sorte

_ eu égard, peut-être, à une partie de dette (d’auteur) de Danièle Sallenave à cette formidable énergique qu’a d’abord su être presque tout le long de sa vie Simone de Beauvoir ; cf aussi le très beau portrait qu’a offert de celle-ci, récemment, ce livre très important (à de multiples égards) qu’est Le Lièvre de Patagonie de Claude Lanzmann _,

Danièle Sallenave ose alors, page 243, un :

« Chacun trouve ses propres chemins,

ceux qui lui conviennent » ;

aussi « faudrait-il arriver à considérer l’« âge »

_ mot que je préfère à celui de « vieillesse » (précise Danièle Sallenave) _

autrement que sous l’angle de la mort annoncée« …

_ lire ici (et relire souvent, sinon toujours !!!) le merveilleux Montaigne sur le temps et le vivre, au final de son dernier essai, « De l’expérience«  (Essais, III, 13) !

L’« âge »

et même le « grand âge » tant que le corps tient le coup _ et le détail importe, certes ! _,

c’est aussi _ en effet ! pleinement ! _ un âge de la vie ;

il devrait donc être vécu en tant que tel _ avec visée, toujours, de plénitude ! _,

et non sous la menace du temps qui rétrécit _ et attriste, par la même : cf les analyses très détaillées du très beau (et si juste ! un très grand livre !) La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation de Jean-Louis Chrétien…

Car la jeunesse ne se résume pas _ certes : à chacun, au plus vite, de l’apprendre et d’en faire son miel ! _ uniquement à la quantité de temps qu’on suppose _ à la louche ! pas à la pipette (qui n’existe pas pour cela, en dépit des efforts de tous les prévisionnistes très, très intéressés… _ avoir devant soi…

Encore moins à l’idée qu’il est _ biologiquement _ infini _ inépuisable : prolongeable à volonté et sur commande…

Ou le rêve de Faust ;

et le piège de Méphisto…

Cf ici le mot (terrible) de Staline à De Gaulle, à Moscou, en 1945 : « A la fin, c’est la mort qui gagne » ;

à comparer au « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ! » de l’Ivan Karamazov de Dostoïevski…

Danièle Sallenave poursuit, elle,

à propos des divers âges de la vie,

ceci,

aux pages 243-244 :

« J’ai toujours su que mon temps _ de vie (mortelle)… : et la rareté fait beaucoup, sinon tout (pas vraiment, non plus !), du prix ! _ était compté, même quand je n’avais que dix ans !

Et dans le même mouvement, je pensais que « j’avais tout mon temps » _ à condition de savoir apprendre à (et de pouvoir) aussi « le prendre« 

J’ai très tôt senti _ mais peut-on vraiment « penser«  si peu que ce soit et ressentir autrement que cela, et ainsi ?.. _ quelles infinités _ mais oui ! « Inextinguibles« , dit même Theodor Adorno, en son (merveilleux) essai sur L’essai comme forme, en ses Notes sur la littérature _ chaque âge

et chaque moment _ même _ de l’âge

recelait.


Mais ce n’est pas la littérature qui me l’a fait découvrir : c’est l’ayant découvert que je me suis mise à écrire.
« 


Et de préciser aussitôt : « Car je ne m’« abrite » pas derrière les mots ;

je ne cherche pas dans l’écriture _ à la façon de l’admirable Philippe Forest dans ce chef d’œuvre des chefs d’œuvre dont la plupart de ses lecteurs potentiels ne réussissent pas à supporter d’affronter de bout en bout la lecture : le sublime terrible Toute la nuit !.. _, à calmer l’angoisse _ ici, pour elle _ de devoir disparaître«  _ mais c’est là un B-A BA de l’apprendre à « exister«  de tout un chacun !..

Et d’y répondre, page 244 :

« Quand je suis en train d’écrire un livre,

pendant que je rédige ma réponse à vos questions _ chère correspondante : chère Madeleine Gobeil, en l’occurrence _,

je ne ressens plus le temps _ physique et physiologique _ comme un pur écoulement _ en vertu des lois mécaniques générales (et sans la moindre exception) de l’entropie de la thermodynamique, si l’on veut… _, au sens où on dit qu’un liquide s’écoule, qu’un corps se vide _ irréversiblement et irrémédiablement…

Quelque chose se dissipe _ en effet ; certes _, se consomme _ physiologiquement est transformé, assimilé, avec des déchets rejetés _, se consume _ et se dissout en nuées _ ;

mais rien _ de substantiel _ ne m’a été _ par cette alchimie-là _ ôté ;

au contraire, c’est de l’énergie _ voilà ! _ qui se régénère«  _ et même davantage que cela : « se sublime«  ! _ en se dépensant _ sur cette « sublimation économique« -là, lire Georges Bataille : La Part maudite

Car : « C’est le mouvement de l’écriture qui fait naître _ du moins la capte  et la « sublime«  ! avec un minimum de micro « déchets«  physiologiques ; rien qu’une micro fatigue enthousiasmante ! _ l’énergie _ même _ dont il a besoin _ pour cette gestique : minimale en moyens ; optimale en résultats (= œuvres : au départ et à l’arrivée de simples phrases ; mais quel envol ! parfois, au moins, de « pensée«  ; et quel surcroît, par ces voies-là, d’épanouissement de soi…)…

Alors là , oui, en ce sens

_ et il me semble qu’un Philippe Forest même, lui si hyper-épidermiquement réservé (= écorché vif ! hyper-« grand brûlé«  ! et quel immense écrivain !) quant à d’éventuelles fonctions cathartiques de l’écriture, consentirait lui aussi à pareille formulation… _,

la littérature, l’écriture m’ont aidée.

Elles m’ont donné de la force«  _ celle des écrivains (majeurs, du moins, surtout, mais même aussi les autres, quand ils « avancent«  ainsi…), des penseurs et philosophes, des artistes ; et de tous les « créateurs » en général…

C’est ce processus même de transfiguration qu’analyse si magnifiquement Spinoza dans tout le déploiement de son Éthique,

ce processus qui permet à celui qui parvient à donner réalisation à ses potentialités en apprenant à se connaître (Spinoza le nomme, pour cela, « le sage«  !),

de s’extraire, d’une certaine façon (seulement ! certes !), de la seule temporalité (de sa vie mortelle), à laquelle de toutes les façons il n’échappera pas biologiquement ! ;

de s’en extraire cependant sub modo aeternitatis : en « sentant et expérimentant«  alors,

en ce « passage«  de ses potentialités naturelles (de départ) à « une puissance supérieure« ,

ressenti comme un surcroît d’intensité ;

en « sentant et expérimentant«  alors que,

tout en demeurant un animal temporel (en tant que vivant mortel : la mortalité étant la rançon (biologique) de l’individualisation des membres d’une espèce sexuée ! et cela, naturellement !, sans la moindre exception !),

quelque chose _ de soi ; en soi ; et par soi, aussi… _ accède cependant et aussi alors à une autre dimension de l’être que les seules dimensions du temps et de la temporalité,

c’est-à-dire aussi alors

à de l’éternité

_ l‘éternité : en tant que l’autre même du temps ;

en tant que ce qui excède, au sein même de

(et en plein dedans : bien sûr _ et forcément !),

au sein même de

la temporalité et de la vie (merci à elle !) ;

en tant que ce qui excède (et vient excéder, profusément, mais aussi intensivement !) la temporalité ;

ce qui, d’une certaine façon, lui échappe (en tant qu’autre, simplement, qu’elle ! ; en tant que son autre : le « face«  de son « pile«  ! si l’on veut…) ;

et que le reste de la vie, et, en particulier, ou surtout, l’événement (bref _ un instant ! _ unique et irréversible) de la mort _ pfuitt… : le souffle s’en est allé… _ ,

n’a nul pouvoir d’effacer ;

d’empêcher le fait que « cela« , ce « passage » d’instant-là (avec son intensité a-temporelle !),

a (bel et bien !) été

(ainsi qu’été vécu, ressenti, et même « expérimenté«  !) ;

que cette dimension-là, de l' »exister«  (de l’individu),

a été atteinte et éprouvée, de facto, un moment (de plénitude) ! par lui (non, il n’a pas « rêvé«  !)

La modalité (affective) de ce « sentir et expérimenter » (« que nous sommes éternels« )

étant le ressentir de la (pure et vraie) joie

_ ne pas la confondre avec la sensation (passive, contingente, et trop souvent simplement factice !) du malheureux « plaisir«  (là-dessus lire les beaux et justes arguments de Socrate face à la naïveté trop courte de Calliclès dans le décisif Gorgias (ou « contre la rhétorique« ) de Platon… ;

méditer aussi sur les (très) cruelles impasses (jusqu’au sadisme !) du dilettantisme (le plaisir, oui, mais sans nulle douleur !) à la Dom Juan (cf la très belle analyse qu’en donne l’excellent Étienne Borne (1907-1993) en son Problème du mal_,

le ressentir de la (pure et vraie) joie

comme sublime épanouissement,

pour l’individu qui en est affecté, l’éprouve et le ressent (et l’« expérimente«  même !),

de ses capacités personnelles naturelles de départ…

A l’inverse,

qui n’éprouve jamais pareille vraie (et pure) joie (d’éternité de quelque chose de soi advenant ainsi en lui _ ainsi que par soi…) ; mais demeure scotché dans la seule (et unique) temporalité de sa vie (et en sa dimension exclusive (!) de mortalité, qui plus est…),

celui-là (le « non-sage« ), Spinoza le nomme « l’ignorant » :

ignorant faute de suffisamment prendre (et apprendre (!) à prendre) conscience

et, assez vite, alors, vraiment connaissance ;

et surtout faute _ grâce à cette connaissance vraie, alors, de cette « vocation« -là ! _, de passer

à l’acte de l’effectuation-réalisation _ un peu pleine !.. Spinoza a grandement foi dans l’apport et l’aide de la connaissance !.. Freud aussi, après lui, en un semblable mouvement thérapeutique… _ de ses potentialités naturelles de départ : en germes seulement, d’abord (à l’état en quelque sorte de « vocation« ), pour tout un chacun : telle est la donne (à assumer, au-delà du « dur désir de durer«  lui-même…) de tout vivant sexué, pour commencer ; cf là-dessus, de François Jacob, Le Jeu des possibles;

et qui resteront, ces « potentialités« , à ce stade (infertile !)

de rien que « germes«  (!),

chez celui _ l’« ignorant« , donc ! _ qui ne les aidera pas (mieux !) à passer en toute effectivité

de la potentialité à l’acte,

du stade (inférieur) de « seulement potentiel«  (ou virtuel)

au stade (supérieur _ il s’agit d’un différentiel ! en soi… pas par rapport à d’autres ! Bourdieu, par exemple, étant ici superficiel !.. car seulement « social«  !) _ de « réellement actuel« ,

en une effectuation-actualisation qui serait, elle, réellement (et vraiment !) effective : Hegel parlera ici, lui, de wirklichkeit… _ ;

et, à la toute fin (lumineusement flamboyante : il s’agit, au livre V, de la description du bonheur comme « béatitude«  !) de l’Éthique,

Spinoza met en comparaison la mort de cet « ignorant« -ci

et la mort de ce « sage« -là :

du point de vue _ physico-biologique _ de la vie et de la temporalité,

ces deux morts-là sont équivalentes,

mourir étant pour l’individu (des espèces sexuées) le tout simple subir la dispersion à jamais des parcelles d’atomes (tant de l’âme que du corps) dont il était (circonstanciellement en quelque sorte) la réunion temporelle (vivante et mortelle) : éphémère (et provisoire, au fond : si l’on veut…), par là… L’espèce, elle, se perpétuant (avec une relative ténacité, au moins statistique…) par le renouvellement (sexué) de ses membres, en tant que maillons constitutifs (nécessaires reproducteurs en cela…) de la chaîne des générations se succédant et se remplaçant, en quelque sorte (même s’ils accèdent peut-être, ces « maillons« , à une relative singularité : à voir !)…


Mais il n’en est pas ainsi du point de vue de l’éternité :

à laquelle l’un, l’« ignorant« , le « non-sage«  _ ne parvenant jamais à prendre véritablement consistance ; à réaliser pleinement ses potentialités d’épanouissement ; à accéder, à quelques moments, à la pure et vraie joie active (bien différente du plaisir subi, lui, passivement et par pure contingence !) _ n’aura pas (= jamais !) « accédé«  (n’en ayant, probablement, même pas le moindre petit début d’idée…) ;

tandis que l’autre, le « sage«  _ y accédant à certains moments d’épanouissement effectif de ses potentialités _, a connu (= très effectivement « senti et expérimenté«  : pas seulement passivement subi !), lui, cette modalité du hors-temps (ou « éternité« ) :

au point que l’événement brutal et irréversible de sa mort physique

ne peut tout bonnement plus (= est impuissante à) empêcher, au sein même de son effacement, alors (et irréversiblement), du règne des individus vivants,

le fait _ à jamais, lui ! _, d’avoir goûté,

connu,

et d’avoir (à jamais) accédé _ en personne ! ainsi… _ à

ce réel plus réel et plus plein _ conférant une infinie, inaliénable et irréversible « consistance« … _,

éternel, donc,

offert dans le jeu même de ce qui vit (dans l’éphèmère même du temps donné et imparti à vivre biologiquement)…

Soit une « vocation«  à un certain degré déjà remplie :

cf le cantique de Siméon,

par exemple, en sa version musicale bachienne, le BWV 82 (pour basse) : Ich habe genug (« Je suis comblé« ) ; pour la fête de la purification de Marie, le 2 février…


Sur la joie,

outre cette grandissime leçon de l’Éthique de Baruch Spinoza,

consulter aussi l’admirable travail d’analyse magnifiquement détaillée de Jean-Louis Chrétien, en son lumineux La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation ;

ainsi que les sublimissimes remerciements à la vie

de Montaigne :

« J’ai un dictionnaire tout à part à moi : je « passe » le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas « passer », je le retâte, je m’y tiens. Il faut courir le mauvais et se rassoir au bon. Cette phrase ordinaire de passe-temps et de passer le temps représente l’usage de ces prudentes _ telle est la douce ironie montanienne… _ gens, qui ne pensent _ = croient ! bien illusoirement ! _ point avoir meilleur compte de leur vie _ reçue : avec ingratitude ainsi… _ que de la couler et échapper, gauchir, et, autant qu’il est en eux, ignorer et fuir _ quel gâchis ! _, comme chose de qualité _ objectivement ! _ ennuyeuse et dédaignable. Mais je la connais _ singulièrement ! _ autre, et la trouve et prisable et commode, voire en son dernier décours _ ce que Danièle Sallenave vient de qualifier, elle, de « l’âge«  ! _ où je la tiens ; et nous l’a Nature _ très objectivement ! _ mise en main, garnie de telles circonstances et si favorables, que nous n’avons à nous plaindre qu’à nous _ voilà ! _ si elle nous presse et nous échappe inutilement. Je me compose pourtant à la perdre _ cette vie en voie de se terminer, de s’interrompre… _ sans regret, mais comme perdable de sa condition _ générale ! _, non comme moleste et importune. Aussi sied-il proprement bien _ = de droit _ de ne se déplaire à mourir qu’à ceux qui se plaisent à vivre _ comme c’est sensé ! Il y a du ménage _ = de l’art ! _ à la jouir, et je la jouis au double des autres, car la mesure en la jouissance dépend du plus ou moins d’application _ voilà ! _  que nous y prêtons _ très activement ! Principalement à cette heure _ la vieillesse (ou l’« âge«  !) de Montaigne a débuté pour lui avant ses cinquante ans ! _, que j’aperçois la mienne si brève en temps _ vraisemblablement !.. Ce sont des probabilités presque calculables ! et d’aucuns, aujourd’hui, ne s’en privent pas ! _, je la veux étendre en poids _ en « consistance«  vraie ! _ ; je veux arrêter la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie, et par la vigueur de l’usage _ Danièle Sallenave est elle aussi de ce tempérament (et de cette sagesse) -là ! _ compenser la hâtiveté de son écoulement. A mesure que la possession du vivre est _ probablement, en terme de prévision de probabilités _ plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine«  _ voilà ! C’est d’une lucidité dirimante ! _ ;

et une page à peine plus loin,

cet acmé de la « profession de foi«  finale de Michel de Montaigne :

« Pour moi donc, j’aime la vie

et la cultive _ tel est le concept décisif ! _

telle _ c’est la sagesse (= art de bien vivre !) que tout un chacun doit apprendre à savoir (enfin !) reconnaître ! Ce n’est même pas une affaire d’invention !.. _

qu’il a plu à Dieu nous l’octroyer«  ;

dans l’ultime essai de récapitulation de ce que Michel de Montaigne a appris de la vie : « De l’expérience« , Essais, Livre III, chapitre 13…

Fin de l’incise sur l’apport nourricier de la vraie joie.

Et retour aux dernières pages des méditations de Danièle Sallenave,

pages 244 à 247…

« la littérature,

l’écriture m’ont aidée. Elles m’ont donné de la force. Le temps que je passe à écrire ne me retire pas de lavie,

il m’en donne.

Pas en longueur

_ nous retrouvons ici les intuitions de Montaigne : « à cette heure, que j’aperçois la mienne _ de vie _ si brève en temps, je la veux étendre en poids«  ; et « à mesure que la possession du vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine« _,

mais en intensité ».

Et d’ajouter
,

mais peut-être un peu trop vite, cette fois :

« Et la vie intense,

c’est de l’immortalité «  :

en écrivant « immortalité » au lieu d' »éternité« , quand les distingue si justement un Spinoza !


Suit alors, page 245, une très judicieuse précision

à propos de ce qui a pu opposer d’abord, un peu grossièrement, sans assez de précision, les convictions athées de Danièle Sallenave

à certaines manières de pratiquer certaines fois religieuses ;

je cite :

« J’ai enfin compris, justement avec l’expérience de l’« âge »,

ce qui me paraissait _ depuis longtemps _ le plus regrettable dans la foi, dans l’espérance religieuse _ du moins celles insuffisamment « pensées« 

Ce n’est pas qu’elles consolent,

on a _ tous et chacun : très humainement… _ des heures de détresse, et bien peu de leçons _ en effet ! _ à donner là-dessus.

Ce n’est pas non plus que beaucoup confondent l’existence _ objective _ de Dieu

avec le besoin _ tout subjectif _ qu’ils en ont.

Non, ce que je regrette,

c’est qu’en proposant _ un peu trop fantasmatiquement _ la vie éternelle _ en fait : le fantasme de l’immortalité biologique, bien plutôt ! _,

les religions _ en ces interprétations insuffisamment « pensées«  (ou méditées), du moins, me permettrais-je de préciser… _ nous empêchent de mener jusqu’à son terme, si on le peut,

le grand travail sur soi _ voilà : c’est cela que nous devons apprendre à « cultiver« , pour reprendre un autre mot décisif de Montaigne ! _

qu’imposent tous les âges,

mais aussi le vieillissement _ le vieillir, déjà : permanent ! _,

la vieillesse _ installée, finalement _

et la perspective _ rétrécissante ! _ du néant.« 

Et c’est aussi le travail sur lequel s’est focalisé un Michel Foucault durant les dernières années de sa vie,

tant dans ses Cours au Collège de France (L’Herméneutique du sujet, Le Gouvernement de soi et des autres, Le Courage de la vérité…)

que dans ses derniers livres publiés (Histoire de la sexualité _ Le Souci de soi…)…

Ce « grand travail« 

à « mener » tout personnellement « sur soi » :

« C’est une ascèse,

une ascèse gaie,

qui ne suppose aucune macération, aucune délectation morose ;

mais,

comme disait Montaigne _ celui-ci est donc bien très présent dans la méditation de Danièle Sallenave : cette Vie éclaircie (et éclairée !) étant, en quelque sorte, comme son (tout provisoire encore) De l’Expérience à elle ! _,

l' »absolue perfection, et comme divine, de savoir _ l’ayant peu à peu appris et forgé : tout personnellement, et à son corps défendant (comme tout ce qui importe vraiment !)… _ jouir loyalement

_ voilà le critère montanien majeur ! en toute vérité et dignité ! sans trucage ! _

de son être »… »…

« Ce qu’elle espère atteindre, cette ascèse

_ donc ; qui ne débouche « pas sur une « autre vie après la mort », certes,

mais sur « une vie dans la vie » : une vie apaisée, transformée« , aussi page 246… _,

est sans prix : le prix est dans l’ascèse _ toute personnelle, donc _ elle-même,

un exercice libre et joyeux de l’attention _ voilà ; lire là-dessus tous les derniers livres de l’ami Bernard Stiegler : Prendre soin 1 _ de la jeunesse et des générations ; et le tout récent Ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue _ de la pharmacologie !.. (aux Éditions Flammarion, les deux)… _,

une attention au présent,

à chaque moment, à chaque instant » _ jusque selon, peut-être, les modalités montaniennes indiquées en son « dictionnaire à part soi« 

Et Danièle Sallenave de se remémorer alors Pindare :

« N’aspire pas à la vie éternelle _ ou immortelle ?.. _,

mais épuise le champ du possible«  :

« C’est ce que chantait Pindare dans ses Pythiques, il y a deux millénaires et demi, un peu avant le siècle _ classique _ de Périclès. »

« On le cite souvent. Qui le pratique vraiment ?
Tout est à relire et à méditer chez les sages de l’Antiquité, ses poètes, ses philosophes,

car, ainsi que le dit _ le regretté _ Pierre Hadot :

« La philosophie antique n’est pas un système ; elle est un exercice préparatoire à la sagesse _ très activement désirée _ ; elle est un exercice spirituel » _ voilà !

Nous avons _ un peu trop _ perdu ce sens-là de la philosophie« , page 246…

Le paragraphe final de ces méditations de l' »âge«  _ qui n’est pas du tout celui de la mélancolie ! _ que forme cette belle Vie éclaircie (et éclairée !) de Danièle Sallenave

évoque, je l’ai déjà mentionné un peu plus haut, « le bonheur complet« 

que « procure » à l’auteur « l’écoute de la musique« 

et « la participation

à la grâce souveraine du calcul,

à l’ordre mathématique et joyeux

du monde« ,

et cela, au rythme du « mouvement » même « du temps« 

« chargé » alors _ comme électriquement : qualitativement, et non quantitativement ou mécaniquement... _ « de signification » :

c’est en effet là une « grâce » artiste…

Titus Curiosus, le 22 décembre 2010

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