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La désobéissance patiente de l’essayeur selon Georges Didi-Huberman : l’art du monteur dans « Remontages du temps subi »

29déc

C’est avec une jubilation que je veux partager ici
que je m’enrichis du second volet du remarquable travail de Georges Didi-Huberman L’Œil de l’Histoire


_ cf à propos de son premier volet (à propos du livre d’images de Brecht), Quand les images prennent position,

mon article du 14 avril 2009 : L’apprendre à lire les images de Bertolt Brecht, selon Georges Didi-Huberman : un art du décalage (dé-montage-et-re-montage) avec les appoints forts et de la mémoire activée, et de la puissance d’imaginer _,

intitulé, cette fois : Remontages du temps subi

et portant sur deux travaux d’efforts de lisibilité (cinématographique, pour l’essentiel _ et cela, par un travail très précis, très sobre et très probe ! de « re-montage« , quasi exclusivement, précisément ! _) du « temps subi » _ tragiquement par les victimes des violences (« subies« , donc…) : dans le silence et une volonté technique efficace d’« effacement«  même des faits : « Circulez ! Il n’y a rien à voir«  !.. _ dans l’Histoire :

_ 1°) l’effort de Samuel Fuller,

filmant d’abord (« en toute innocence« , en 1945 ; face à la découverte, non esquivée, d’un tel « inimaginable » ! _ c’est le mot qui vient à Robert Antelme en son récit de L’espèce humaine, page 302 : comme il est rapporté ici page 32…) _,

Fuller étant un tout simple caporal de l’armée américaine,

filmant _ sans le moindre commentaire qui vienne accompagner les images… _ la « libération » par les Alliés du camp de concentration de Falkenau ;

puis revenant, quarante-trois ans plus tard _ devenu « cinéaste » mondialement reconnu… _, sur cette « expérience » filmique de 1945, en 1988, dans le film _ et à la demande expresse ! _ d’Emil Weiss, Falkenau, vision de l’impossible :

en une « tentative » d' »en faire un montage » qui soit _ sobrement (et très probement !) « re-monté« _ un peu plus « doué de sens«  pour le public _ moins « innocent » lui-même, certes, désormais ; et même en voie de « saturation«  _ de maintenant : et cela, tant en 1986, au moment de la décision (d’Emil Weiss) d’entreprendre la réalisation d’un tel projet _ le film Shoah de Claude Lanzmann venait de sortir en 1985 _ ; que, a fortiori, aujourd’hui, en 2010 : l’Ère du témoin étant en voie de s’achever…),

ainsi qu' »une « brêve leçon d’humanité »

Georges Didi-Huberman est, bien sûr !, extrêmement précis _ son travail est par là passionnant ! _ :


« Emil Weiss convainquit Samuel Fuller de réfléchir à une façon de rendre _ « vraiment«  ! et cinématographiquement _ visible le film _ muet, donc : vierge de commentaire… _  de 16 mm tourné _ »en toute innocence« , par le caporal (trentenaire) d’alors : face à un tel « inimaginable » pris « en pleine poire » !.. _ à Falkenau en 1945 ; auquel il fallait, évidemment, offrir des conditions _ cinématographiques _ telles qu’on pût _ par un nouveau montage (= « re-montage« , donc…) le plus probe possible ! _ le rendre _ « vraiment« _ lisible _ aux spectateurs « de maintenant«  ; c’est-à-dire d’alors... C’était à Paris en 1986. Le film Shoah de Claude Lanzmann venait _ après les chefs d’œuvre  de Marcel Ophuls _  de rendre au cinéma une nouvelle valeur d’usage _ expression à, bien sûr, prendre en compte _ en tant que valeur de témoignage _ direct _ sur la question des camps. En même temps, le négationnisme avait pris des proportions assez inquiétantes pour qu’au-delà de l’indignation il faille reprendre la lutte _ pour la manifestation de la simple « reconnaissance » des faits ! (= de la vérité !) _ sur le plan historiographique lui-même« , page 48.


« Emil Weiss procéda à l’inverse de Lanzmann en orientant le témoignage du vieil homme _ Samuel Fuller (12 août 1912 – 30 octobre 1997) a, en 1988, 76 ans _ non pas sur des questions préalables _ grosso modo préparées _, mais sur un face-à-face _ voilà ! _ direct _ et filmé (= saisi, capté, et conservé ! à son tour ; dans le « tremblé«  de ce dont ce « face-à-face«  avec les premières images (brutes) témoigne, puissamment, à son tour : en une probité qui n’est plus celle de la naïveté (vierge) de l’« innocence«  première de 1945 ; et qu’une référence (pages 57-58) à de très fines analyses de Serge Daney (in Persévérance), sur la complexité de ces diverses modalités  d’« innocence(s) du regard« , éclaire excellemment…) _ avec les images du document _ brut, donc _ de 1945. Alors ce sont les images elles-mêmes _ voilà ! _ qui, toutes muettes qu’elles soient _ en effet ! _, interrogent _ frontalement : de nouveau « en pleine poire » ! _ le témoin : en prenant _ face à elles _ la parole, il leur donnera en retour _ par ce que ce « face-à-face » même, en sa force, est venu lui « tirer«  _ une possibilité d’être vraiment _ par nous, et aujourd’hui _ « regardées », « lues » voire « entendues » » _ et non plus « esquivées«  : et demeurant, sans esthésie aucune effectivement « impactée« , totalement imperçues, ces images du réel ; et donc, au final, niées… _, page 49.

Georges Didi-Huberman de commenter « cela » alors ainsi :

« On conçoit la difficulté intrinsèque _ pour celui qui tenait la caméra (où s’inscrivaient quasi d’elles-mêmes et sans lui, ces images, en 1945), en 1988 _ de cet exercice anachronique et réminiscent (puisque plus de quarante années séparent l’homme qui filme Falkenau et celui qui revoit ses propres images, en 1988, sous l’œil attentif d’une _ autre _ caméra) :

« C’était douloureux de revivre _ voilà ! via le « face-à-face«  avec les images brutes « re-vues«  _ ces terribles moments vieux de tant d’années et pourtant si vifs dans mon esprit » (it was painful to relive those terrible times so manu decades old yet so fresh in my mind), écrira plus tard Samuel Fuller (in « A Third face« ).

Le point critique de toute lisibilité _ pour tout « spectateur«  d’images _ ne va probablement pas _ voilà ! _ sans la douleur _ troublante : le « tremblé«  en est un fruit « vrai«  _ que fait lever _ voilà… _ ce genre de réminiscence« , page 49, toujours…

_ 2°) l’effort du cinéaste et artiste allemand Harun Farocki _ né le 9 janvier 1944, en territoire tchèque _, qui, en toute son œuvre (de cinéma comme d’installations de vidéos : riche d’œuvres, inlassablement, depuis 1966 : soit quarante-quatre ans…), ne cesse, infiniment patiemment, de « visiter _ et remonter«  (par de nouveaux « re-montages » : infiniment probes et scrupuleux !) des « documents de la violence politique«  de par le monde _ qui n’en est pas (et fort inventivement (!) technologiquement…) avare ! _ : afin de (nous _ nous, « spectateurs«  _) les faire et « vraiment » comprendre et « vraiment » ressentir : les deux !.. Atteindre « vraiment » (et donc sensiblement aussi !..) l’intelligence de notre compréhension effective de « cela« …

Pages 14-15, puis page 17,

Georges Didi-Huberman donne à lire à ses lecteurs deux admirables analyses de Walter Benjamin,

la première empruntée à son Paris, capitale du XIXe siècle _ le livre des passages :

« Ce qui distingue les images (Bilder) _ se mettant à « parler«  _ des « essences » de la phénoménologie, c’est leur marque historique (Heidegger cherche en vain à sauver l’Histoire pour la phénoménologie, abstraitement, avec la notion d’« historialité »). (…) La marque historique des images n’indique pas seulement qu’elles appartiennent à une époque déterminée, elle indique surtout qu’elles ne parviennent _ voilà ! il y faut des conditions plus ou moins longues à venir et complexes _ à la lisibilité (Lesbarkeit) _ pour nous et par nous ! _ qu’à une époque déterminée. Et le fait de parvenir « à la lisibilité » _ pour elles et par nous _ représente certes un point critique déterminé du mouvement (kritischer Punkt der Bewegung) qui les anime _ elles. Chaque présent est déterminé _ pour qui le vit (et s’y trouve « penser« )… _ par les images qui sont synchrones avec lui ; chaque Maintenant _ c’est une relation ! à un contexte… _ est le Maintenant d’une connaissabilité (Erkennbarkeit) _ objectivement _ déterminée _ comportant, par là, ses conditions tant objectives que subjectives de complexité. Avec lui _ ce « chaque Maintenant«  _, la vérité est chargée de temps jusqu’à exploser. (…) Il ne faut pas dire _ simplement _ que le passé éclaire le présent ou le présent éclaire le passé. Une image, au contraire, est ce en quoi l’Autrefois _ objectivement et subjectivement contextuel _ rencontre _ électriquement ! _ le Maintenant dans un éclair pour former une constellation _ riche, complexe. En d’autres termes : l’image est la dialectique _ vivante _ à l’arrêt. Car, tandis que la relation du présent au passé est purement temporelle, la relation de l’Autrefois au Maintenant est dialectique : elle n’est pas de nature _ mécaniquement _ temporelle, mais de nature _ dynamiquement et culturellement _ imaginale (bildlich) _ pour qui la vit : en un « tremblé«  : « imaginal« , donc ; mais elle peut être aussi totalement anesthésiée (et c’est là le cas général : celui de l’oubli)… Seules les images dialectiques sont des images authentiquement historiques, c’est-à-dire non archaïques _ figées en des clichés et stéréotypes. L’image qui est _ enfin _ lue (das gelesene Bild) _ je veux dire l’image dans le Maintenant _ en action ! _ de la connaissabilité _ porte au plus haut degré la marque du moment _ ressenti, éprouvé ; et vécu « à vif«  _ critique, périlleux (des kritischen, gefärlichen Moments) _ pour le spectateur qui la déchiffre, cette image, et, la lisant-décryptant, accède à son sens ! _, qui est le fond de toute lecture (Lesen) » _ tant d’image que de texte… _ ;

la seconde est empruntée à l’article « Sur le concept d’Histoire » (en 1940) (accessible in Œuvres III, de Walter Benjamin, toujours…) :

« L’image vraie du passé passe _ pour nous _ en un éclair _ sur le mode de la fulgurance de la rencontre (non esquivée, mais frontalement affrontée)… On  ne peut retenir le passé que dans une image qui surgit et s’évanouit pour toujours _ les deux ! D’où l’importance cruciale du clignotement de l’attention/inattention… _ à l’instant même où elle s’offre à la connaissance. (…) Car c’est une image irrécupérable du passé qui risque de s’évanouir _ à jamais non « retenu«  _ avec chaque présent qui ne s’est pas _ proprement et singulièrement _ reconnu _ voilà ! par une émotion singulière _ visé par elle. (…) Faire œuvre d’historien ne signifie pas savoir « comment les choses se sont réellement passées », cela signifie s’emparer _ soi ! _ d’un souvenir _ vivant _, tel qu’il surgit à l’instant du danger _ pour soi : à divers degrés de réalité ou potentialité (= de conscience, aussi)… (…) Ce danger menace aussi bien les contenus _ pensables et transmissibles _ de la tradition que ses destinataires _ en leur existence physique même ! Benjamin écrit cela en son exil-fuite de 1940… Il est le même pour les uns et pour les autres, et consiste pour eux à se faire l’instrument _ de manipulation, domination, exploitation ; voire destruction, si tel en est le désir _ de la classe dominante. À chaque époque, il faut chercher à arracher de nouveau la tradition au conformisme qui est sur le point de la subjuguer _ pour la figer en cliché et stéréotype incompris. (…) Le don d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance _ de l’intelligence comme de la vie ! _ n’appartient qu’à l’historiographe intimement persuadé que, si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté _ jusqu’au souvenir qu’ils ont pu seulement exister !.. Et cet ennemi n’a pas fini de triompher » _ les vainqueurs ne manquant pas d’écrire l’Histoire…

Voici donc ce qu’énonce la quatrième de couverture de Remontages du temps subi :

Quel est le rôle des images dans la lisibilité de l’histoire ? C’est la question reposée _ après Quand les images prennent position_ dans ce livre _ soit le deuxième volet de L’Œil de l’Histoire

Là où Images malgré tout tentait de donner à comprendre quelques images-témoignages produites depuis l’« œil du cyclone » lui-même _ le camp d’Auschwitz en pleine activité de destruction _,

cet essai traite, en quelque sorte, des images après coup ; et, donc, de la mémoire visuelle _ voilà ! _ du désastre.

Une première étude _ « Ouvrir les camps, fermer les yeux : image, Histoire, lisibilité » : pages 11 à 67… _ s’attache à reconstituer les conditions de visibilité et de lisibilité _ concurrentes ou concomitantes _ au moment de l’ouverture des camps nazis. Elle se focalise sur les images filmées par Samuel Fuller en 1945 au camp de Falkenau et sur la tentative, une quarantaine d’années plus tard, pour en faire _ dans le film d’Emil Weiss, Falkenau, vision de l’impossible _ un montage doué de sens, une « brève leçon d’humanité » _ un enjeu plus que jamais brûlant (et décisif ! pour le devenir de la « civilisation«  quand triomphent les forces du nihilisme…), on le mesure !..

Une seconde étude _ « Ouvrir les temps, armer les yeux : montage, Histoire, restitution » : pages 71 à 195… _ retrace les différentes procédures _ passionnantes de force en leur probité ! _ par lesquelles le cinéaste et artiste allemand Harun Farocki revisite _ et remonte _ certains documents _ et Harun Farocki en déniche, de par le monde, beaucoup (!) dont il dé-monte admirablement (pour nous le rendre, avec le maximum d’économie de moyens, « lisible«  !) le montage ! _ de la violence politique _ en diverses espèces : l’inventivité technologique s’y donnant, et très efficacement, libre cours !.. On découvre alors ce que c’est, aujourd’hui, qu’une possible restitution de l’histoire _ par un cinéaste-vidéaste tel que Harun Farocki, en cette occurrence-ci… _ dans le travail des images _ même.

Deux essais plus brefs évoquent successivement _ « Quand l’humilié regarde l’humilié » : pages 197 à 215… _ l’activité photographique d’Agustí Centelles au camp de Bram en 1939 (ou comment un prisonnier regarde les autres prisonniers) ; et _ « Grand joujou mortel » : pages 217 à 236… _ le questionnement actuel de Christian Boltanski sur l’image en tant que reconnaissance, transmission et œuvre de dignité.


C’est sur la réflexion du travail d’« essai« 

de ces montages-remontages (cinématographiques : tant pour Samuel Fuller (et Emil Weiss !) que pour Harun Farocki)

que je voudrais,

pour finir cette présentation du livre de Georges Didi-Huberman,

faire porter la focale de mon attention-lecture-commentaire,

à la lumière de la référence que Georges Didi-Huberman apporte ici, aux pages 93 à 100,

à partir du très remarquable essai (sur le genre même _ trans-genres, précisément ! _ de l' »essai« …) de Theodor Adorno, « L’Essai comme forme«  (en 1954-1958) : accessible dans le magnifique recueil d’essais Notes sur la littérature

« Un essai, selon Adorno, est une construction de pensée capable de n’être pas enfermé _ là est toute sa (formidable) puissance libératrice ! _ dans les strictes catégories logico-discursives. Cela n’est possible que par une certaine « affinité _ de l’essai, donc ! _ avec l’image », dit-il _ peut-on ainsi lire page 94 de Remontages du temps subi : l’image recélant un semblable pouvoir (et d’enfermement ! et de libération !), selon les finalités au service desquels on les « monte«  et « démonte » et « remonte« , simplement : c’est toujours un travail à réaliser (avec une responsabilité _ humaine ! _ quelque part au moins !) ; ne serait-ce que, à la « réception« , nécessairement un minimum active (et par là responsable !..) par le spectateur, de l’image (et le lecteur, de l’essai) : pour accéder à la « lisibilité«  effective !..

L’essai visant « une plus grande intensité _ subjective _ que dans la conduite de la pensée discursive »,

il fonctionne par conséquent _ ce sera du moins ma propre hypothèse de lecture (ajoute ici à la citation d’Adorno, et au commentaire qu’il en donne, Georges Didi-Huberman) _ à la manière d’un montage d’images _ et réciproquement…

Adorno nous dit qu’il rompt décisivement avec les fameuses « règles de la méthode » cartésiennes. L’essaie déploie, contre ces règles, une forme ouverte de la pensée imaginative _ dans une analyse du très lumineux Homo spectator de Marie-José Mondzain, j’ai jadis proposé pour cela même le concept d’« imageance«  _ où n’advient jamais _ pour la déception de quelques uns, idéalistes… _ la « totalité » _ refermée… _ en tant que telle.

Comme dans l’image dialectique chez Benjamin, « la discontinuité est essentielle _ par la dynamique même qu’en permanence elle impulse : en musique, à l’époque baroque, on use d’hémioles… _ à l’essai

(qui) fait toujours son affaire _ explosive ! _ d’un conflit immobilisé », page 94 : soit une affaire de « constellation«  de « rythmes«  bien menés…

Comme dans tout montage également _ au sens qui fut celui de Vertov et d’Eisenstein, au sens qui demeure celui de Godard et de Farocki (pour ce qui concerne le cinéma, déjà ; il y a aussi des montages photographiques : l’ami Bernard Plossu me l’a excellemment appris ! et en ses expositions, et en ses livres ! Salut l’artiste !) _,

« l’essai doit faire jaillir la lumière de la totalité _ c’est son défi _

dans le fait partiel, choisi délibérément ou touché au hasard,

sans que la totalité soit affirmée _ elle-même _ comme présente _ elle est seulement potentielle ; et demande, par là, au lecteur-« déchiffreur« , de la « penser« , lui aussi, avec un minimum d’effort de sa propre imageance (et culture se forgeant, elle aussi : peu à peu ; et « en mosaïque«  : toujours indéfiniment ouverte ; et ludique…)…

Il _ l’essai, ou l’essayiste (de même que le film monté, ou le monteur)… _ corrige le caractère _ empiriquement _ contingent ou singulier de ses intuitions _ d’imageance proprement créatrice… _

en les faisant se multiplier, se renforcer, se limiter _ et à des fins d’intelligence du sens même des « choses« , c’est-à-dire de l’accession (de soi) à la vérité de ces « choses«  _,

que ce soit dans leur propre avancée _ voilà ! avec ses progrès… _

ou dans la mosaïque _ voilà encore ! _ qu’elles forment  _ et cette richesse (à profusion !) est proprement jouissive ! _ avec d’autres essais ».

Comme dans tout montage,

les césures et les transitions _ alors, à y être assez (= ce qu’il faut !) attentifs _

diront _ par la dynamique qu’impulse, en permanence et toujours singulièrement, leur rythme ! à qui sait s’y laisser porter ! _ l’essentiel,

étant « amalgamées dans l’essai au contenu (même) de la vérité » _ voilà ! Ou l’importance (irrémédiable !) du style !

C’est en cela que l’essai produit son travail fondamental,

qui est un travail de lecture _ auquel accède tant l’auteur que le lecteur ! _

un déploiement de la lisibilité _ objective ! _ des choses » _ mêmes, page 95 :

encore faut-il accéder (par déploiement de l’« imageance«  !) à ce niveau de lisibilité des choses mêmes…

Tel un apprentissage _ à la godille ! de la part de l’essayiste s’y essayant… Le modèle étant (probablement : avant Bacon…), et par son style si jouissif, Montaigne, en la collection (ouverte et « mosaïque« …) de ses toujours merveilleusement surprenants (et pour lui le premier : à ses relectures ! devenant, il ne pouvait pas s’en empêcher, ré-écritures !) Essais _,

« l’essai comme forme _ poursuit Adorno, cité par Georges Didi-Huberman, pages 95-96… _

s’expose _ forcément ! : « Personne n’est exempt de dire des fadaises« , entame, malicieusement en fanfare, Montaigne le livre III de ses Essais; « le malheur est _ seulement… _ de les dire avec soin » : soit componction et fatuité !.. _ à l’erreur ;

le prix de son affinité avec l’expérience intellectuelle ouverte _ et/ou l’« imageance«   _,

c’est l’absence de certitude que la norme de la pensée établie _ régnante, dominante (et intimidante) : devenant l’idéologie… _ craint comme la mort.

Même si _ l’essai néglige moins la certitude qu’il ne renonce à son idéal _ pour déficit d’efficacité !.. simplement… _,

c’est dans son avancée, qui le fait se dépasser _ oui _ lui-même _ car la pensée, s’y déployant par à-coups, y progresse _,

qu’il devient _ voilà : l’essai est un parcours ! et une aventure ! _ vrai _ en toute effectivité, par ce déploiement même (imageant !..) de son penser _,

et non pas dans la recherche obsessionnelle _ voilà, à la Descartes, si l’on veut… _ de fondements _ métaphysiques, y compris (…)

Tous ses concepts _ convoqués au fur et à mesure _ doivent être présentés de telle manière qu’ils se portent _ tel Enée « portant«  Anchise : mais mutuellement, tous : sans répartitions de rangs entre « héros« , exposés bien à la vue des spectateurs sur le devant de la scène et sous les projecteurs de sunlights, et « figurants« , relégués, eux, derrière et dans le fond… _ les uns les autres,

que chacun d’entre eux s’articule selon sa configuration _ propre, voire originale ou singulière : à chaque fois… _ par rapport _ voilà : toujours ! _ à d’autres.

Des éléments distincts s’y rassemblent discrètement _ voilà : avec des césures, des soupirs, des silences, des coupes ; et bien des transitions… _ pour former quelque chose de lisible » _ telles des phrases (articulées et syncopées) de discours ; ou de musique…


Et Georges Didi-Huberman d’appliquer ainsi ce mode de fonctionner du penser (par « essai » ! tel que l’analyse si finement Adorno…)

au travail du « cinéaste Farocki », page 96 :

« Il _ le cinéaste et vidéaste Harun Farocki, donc _ entre dans un domaine d’images qui n’est « traduit » _ précédemment _ dans aucun dictionnaire préexistant.

Il filme, il recueille, il démonte, il remonte _ et sans trucages ! en toute probité !..

Tout cela, il le fait en fonction de contextes _ voilà ! _ à chaque fois différents _ oui ! _ et « au regard des nuances _ qualitatives extra-fines _ singulières _ voilà ! _ que le contexte fonde _ et il faut (au « spectateur«  actif que nous sommes invités à devenir ainsi alors…) l’explorer : à toute vitesse si on le peut _ dans chaque cas particulier » _ le plus effectivement possible !

Comme le penseur _ -essayiste _ décrit par Adorno,

Farocki _ en monteur ultra-fin d’images _ s’adonne à un apprentissage presque tactile _ oui _ des choses _ mêmes _ ; il tâte, il ausculte, il retouche, il ajuste _ sans cesser de s’exposer _ forcément : pas de juger sans audace ! cf Kant : Qu’est-ce que les Lumières ?.. _ à l’erreur.

Le prix de son affinité avec les images,

cette « expérience intellectuelle ouverte » _ en son « imageance«  chercheuse, donc : et inventive !.. _,

est l’absence d’une certitude considérée _ jamais _ comme acquise.

C’est dans l’avancée _ progressive, aventureuse, patiente et décidée : c’est passionnant ! _ du tournage et du montage

que les choses deviennent, peu à peu _ objectivement et pour nous : à la fois, d’un même mouvement de déploiement et en quelque sorte « objectif«  ! : d’elles-mêmes et en elles-mêmes ; grâce à l’éclairage perspicace de liens pertinents (activés par nous) à des contextes devenant sources progressives de notre compréhension !.. _, lisibles,

quand toutes les images de pensée sont présentées

de façon qu’elles se portent _ mutuellement et dynamiquement (ou même dialectiquement !)… _ les unes les autres.« 

Avec ce très beau résumé-mise au point :

« La lisibilité _ pour le « spectateur » du film au départ univoque ! _ advient _ voilà _ dans le montage :

le montage considéré comme forme et comme essai.

A savoir une forme patiemment élaborée _ sur le chantier de la table de montage _,

mais non reclose sur sa certitude (sa certitude intellectuelle, « ceci est le vrai » ; sa certitude esthétique, « ceci est le beau » ; ou sa certitude morale, « ceci est le bien »).

Alors même que, comme pensée élevée à la hauteur d’une colère

_ qui la meut et la porte ! électriquement : de son énergie d’indignation (!) vis-à-vis des violences portées à la dignité (= humanité même…) des personnes… _,

elle tranche,

prend position

et rend lisible la violence du monde « , page 96… _ ne jamais perdre « cela« de vue !

Tout ceci est décidément très montanien !!! Montaigne se battant, lui, en son temps (cf les travaux là-dessus de Géralde Nakam…), contre les ravages atrocissimes du fanatisme (fondamentaliste religieux, mais pas seulement)… C’est en cela que ses Essais ouvrent la modernité à un lectorat qui s’élargit alors…

« L’essai oblige à penser dès le premier pas _ voilà ! _ la chose _ même : quelle tâche ! il faut seulement s’habituer un peu (soi, lecteur) à l’audace, folle d’abord, de tels efforts pour atteindre l’intelligence d’elle (= la chose même) en pensée ; ensuite, on y acquiert, palier par palier (et « en mosaïque« ), une forme (toujours incertaine, il est vrai ; et à inlassablement tenir en chantier !) d’expertise (de lecteur : un peu mieux cultivé)… _ dans sa vraie complexité _ se révélant ainsi : tout un programme ! Il y a toujours (c’est un chantier permanent et infini…) énormément à faire : cela demandant non seulement, on le voit, de surmonter (cf Kant : Qu’est-ce que les Lumières ?) la lâcheté, mais aussi la paresse ! Et c’est aussi ainsi que le génie scientifique (ou les sciences) procède(-nt) et progresse(-nt) : cf ici le génial début de Métapsychologie de Freud quant à l’inventivité nécessaire au chercheur et inventeur scientifique… _

L’essai oblige à penser dès le premier pas la chose dans sa vraie complexité, donc,

(et) se débarrasser de l’illusion _ mortelle pour sa propre liberté (et efficacité quant à l’obtention de la vérité !), toujours si fragile… _ d’un monde simple,

foncièrement logique »,

relève encore Georges Didi-Huberman dans l’essai (sur « l’essai comme forme ») d’Adorno (in ses passionnantes, on ne s’en fait ici qu’une petite idée, Notes sur la littérature…).

« C’est alors que, « se libérant de la contrainte _ lourde ! _ de l’identité, l’essai acquiert parfois ce qui échappe à la pensée officielle _ ou officialisée _,

le moment _ et la grâce ! alors rencontrée avec une légèreté grave… _ de la chose inextinguible« 

_ cette dernière expression d’Adorno étant (plus que très justement !) soulignée ici par Georges Didi-Huberman, page 97…

Et « c’est en détachant _ par un remontage _ la chose _ irradiante _

de ses interprétations obvies _ encalminant tragiquement la moindre velléité d’atteindre son intelligence ! _,

c’est en la démontant _ en la séparant _ de ses stéréotypes _ empoissants ! _

et en la remontant _ voilà ! _ par un tout autre jeu d’affinités inattendues _ elles : d’abord de soi, l’essayiste, le tout premier à s’en étonner !.. et c’est là un passage obligé ; cf par exemple les analyses là-dessus de Gaston Bachelard, in La Philosophie du non _essai d’une philosophie du nouvel esprit scientifique_

que l’essayiste,

ou le monteur _ au cinéma ! _,

parviennent à ce « moment de la chose inextinguible »,

ce « feu inextinguible » _ si nourrissant, si fécond pour l’intelligence du réel _ de la chose _ même _, pourrait-on dire _ car c’est à elle et à ses flux (et feux) qu’il s’agit bien d’« accéder«  !

Il n’y a plus alors _ comme miraculeusement ! _ de contradiction

entre l’arbitraire de la forme choisie _ par l’essayiste / monteur _

et la nécessité de la forme phénoménologique de ce « moment de la chose ».

L’essayiste respecte ses objets

tout en les « surinterprétant »,

c’est-à-dire tout en y juxtaposant différents paradigmes _ à l’envi ! selon l’intuition (ou inspiration) de l’« imageance«  du moment ! _ de lisibilité

_ c’est aussi ainsi qu’analyse, je viens de l’indiquer, le fonctionnement même de sa propre Métapsychologie, Freud, en 1914 : un texte lumineux, lui aussi !

Alors, il _ l’essayiste, donc _ voit _ entrevoit : tel Colomb à l’abord-approche de son Amérique _ quelque chance _ c’est déjà bien ! et beaucoup ! _

de parvenir

« à ce qu’il y a _ dit Adorno : ce sont aussi des oxymores… _ d’aveugle _ jusque là du moins pour nous (tous) et d’abord pour lui, qui s’y essaie… _ dans (ces) objets,

(à) polariser l’opaque,

libérer _ voilà ! _ les forces qui y sont _ rien moins, déjà, que _ latentes » ;

alors « il construit _ très positivement, par (et en) son « imageance«  même ! (et c’est aussi une culture se formant peu à peu, de manière dynamique et ouverte !) _ l’imbrication des concepts

tels qu’ils sont présentés, c’est-à-dire imbriqués _ déjà _ dans l’objet lui-même » _ expression d’Adorno une nouvelle fois soulignée par Georges Didi-Huberman, page 98… Cette « imbrication« -là est une « constellation » sur-active…

« L’actualité de l’essai _ dit encore Adorno _ est celle d’un anachronisme » :

soit une certaine façon de remonter le temps _ voilà ! en dépit de la difficulté de l’ignorance et de l’oubli… _ dans l’imbrication,

dans la complexité _ voilà ! encore… _ des objets eux-mêmes » _ en s’y étant comme faufilé (et continuant, encore et toujours, de s’y faufiler !) lui-même, par sa recherche questionnante,

en quelque sorte « dedans«  même… : page 98.

« Que fait donc l’essayiste,

si ce n’est essayer, essayer encore ?

C’est à chaque fois beaucoup, mais ce n’est jamais le tout.

Aux yeux de celui qui essaye,

tout ressemble toujours _ voilà : c’est toujours et à chaque fois étonnamment nouveau ! _ à une première fois,

à une expérience marquée _ définitivement ! mais sans tristesse, ni renonciation aucune : au contraire ! y revenir étant toujours (même si ce n’est pas sans quelque douleur…) ludique et jubilatoire ! _ par l’incomplétude.

S’il sait et accepte une telle _ cf Karl Popper aussi… _ incomplétude

_ poursuit magnifiquement Georges Didi-Huberman, page 98 _,

il révèle la modestie fondamentale _ voilà ! _ de sa prise de position _ audacieuse, mais sans gloriole. Et c’est en cela que les découvreurs sont toujours « vraiment » « modestes«  !

Mais il _ « celui qui essaye«  _ est alors obligé, structurellement _ et éthiquement ! c’est une affaire de « dignité«  de l’appel à l’« humanité«  (contre les dérives _ violentes _ de l’« in-humain« ) en soi… _, de recommencer toujours _ telle Pénélope sur son ouvrage, à Ithaque _,

du « coup d’essai » initial

aux nombreux « essais » qui se répètent après lui.

Et rien ne ressemblera jamais _ non plus _ à une _ toute _ dernière fois.

C’est, au fond, comme une dialectique du désir _ en effet ! le désir étant lui aussi, en sa vérité de fond, « inextinguible«  : sans fond ; c’est même là une marque décisive de reconnaissance de sa « vérité« , donc, face à ses contrefaçons…

Que fait donc le monteur, par exemple _ à la Harun Farocki : après l’essayiste… _,

si ce n’est commencer par assembler son _ le plus ample possible ; le plus riche de possibilités de « décryptage«  de la « constellation«  formée que cela va permettre d’éclairer… _ matériau d’images,

puis démonter,

puis remonter,

puis recommencer

sans relâche ?

C’est là l’exigence _ voilà : autant objective qu’éthique… _ de sa prise de position

(on peut ici rappeler _ c’est admirablement bienvenu ! Merci ! _ que le mot « essai » a son étymologie dans le bas-latin exagium,

qui, lui-même, dérive du verbe exigere, « faire sortir quelque chose d’une autre chose »).

Entre la modestie et l’exigence

_ deux grandes caractéristiques du cinéma de Harun Farocki _,

l’essayiste _ ainsi que le monteur cinématographique _ apparaîtra finalement comme l’homme de la contradiction faite pratique _ objective effective permanente ! mais assumée en son aventure infinie même ; et ses progrès ! _,

l’homme de l‘objection _ en sa puissance dialectique…

Il n’y a pas, écrit Adorno, d’essayiste qui n’ait tiré « la pleine conséquence de la critique du système ».

C’est que « l’essai a été presque le seul (genre de méthode) à réaliser dans la démarche même de la pensée

la mise en doute _ socratique _ de son _ propre _ droit absolu » _ j’en donnerai l’exemple, superbe, de David Hume : un fécond « réveilleur«  (d’« ensommeillé dogmatique« ), comme on sait…

Le mélange de modestie et d’exigence chez l’essayiste _ et le monteur… _

lui font alors lancer « un défi en douceur _ la force étant en l’occurrence parfaitement contreproductive ! _

à l’idéal de la clara et distincta perceptio et de la certitude exempte de doute » _ posées en idéal de certitude de vérité à conquérir par un Descartes, dans les Méditations de 1641, comme au final (les quatre derniers articles du livre IV) des Principes de la Philosophie de 1643… Descartes demeure marqué par l’idéal de scientificité de Platon, face aux transigeances (trop souples selon lui) d’un Aristote…

S’il y a un bonheur _ s’éprouvant très vite _ dans l’essai _ et dans le montage-démontage-remontage… _,

nous le devons, sans doute, à ce « gai savoir » _ montanien ? oui ! _ de la modestie devant les objets

et de l’objection _ socratique ! _ devant les discours.

Adorno,

qui cite un fragment de Nietzsche sur la joie du négatif inhérente _ en effet ! _ à une telle attitude,

conclut que l’essai a pour geste fondamental

l’hérésie,

le contournement systématique des « règles orthodoxes de la pensée » :

bref, le geste même

d’une désobéissance _ espiègle pour le moins, pages 98-99…

Par là, l’essayiste

« abolit le concept traditionnel de méthode » ;

et lui en substitue un autre _ oui ! _

qui « rassemble

par la pensée, en toute liberté _ mais oui : avec le jeu (gracieux) de la fantaisie de l’« imageance«  _,

ce qui se trouve _ par « constellation«  librement (voire génialement ; avec tout une culture, aussi) convoquée _ réuni _ en quelque sorte déjà ! _ dans l’objet librement _ mais oui ! _ choisi » _ page 99.

« Essayer, c’est essayer encore.

C’est expérimenter par d’autres voies, d’autres correspondances, d’autres montages _ par l’appel à de l’altérité : « cultivée« 

L’essai comme geste _ à accomplir : il faut le tenter… _

de toujours tout reprendre. »

Recommençons !

Avec courage et joie (de la curiosité s’affairant) !

On continue ! _ « tant qu’il y aura de l’encre et du papier !«  (dirait Montaigne)

et de l’énergie vitale ! ; a contrario de l’acédie mélancolique étrécissante

« Voilà bien ce que suppose tout essai qui se respecte : il n’y aura pas de dernier mot

_ et « la bêtise, c’est de conclure« 

Il faudra encore _ en effet ! telle Pénélope… _tout démonter à nouveau,

tout remonter.

Faire de nouveaux essais.

Inlassablement relire, en somme«  _ oui ! relire, c’est toujours re-monter, ré-interpréter et re-jouer à ré-essayer de toujours un peu mieux comprendre !

« Mais qu’est-ce à dire,

sinon que la modestie et l’exigence mêlés _ voilà ! _ dans la forme _ même _ de l’essai

_ et du montage-démontage-remontage… _

font de toute « reprise »

l’acte _ même _ de toujours tout ré-apprendre ?

_ inlassablement : loin de la plus petite fatuité (et bassesse de gloriole _ ou d’intérêt !) que ce soit…

Comme pour élever sa colère _ face à motif d’indignation eu égard aux indignités (= violences) à l’encontre des personnes

de par le monde tel qu’il fonctionne (= le monde comme il va…)… _

à la hauteur d’une connaissance méthodique et patiente«  _ voilà !

Un grand et nécessaire livre,

voilà !,

que ce Remontages du temps subi

de Georges Didi-Huberman !

Titus Curiosus, le 29 décembre 2010

magnifique Dominique Rabaté sur le roman au XXème siècle à l’heure (« moderne ») de la décadence de la grandeur et de la défaillance des modèles (Saints et Héros) dans l’apprentissage (ou formation) du sujet « commun » (tout un chacun)

08mai

Magnifique conférence de présentation de son magnifique essai de « méditation » littéraire : Le Roman et le sens de la vie (aux Éditions José Corti)

de Dominique Rabaté, hier soir, vendredi 7 mai 2009, dans les salons Albert-Mollat,

en présence d’un public (de « lecteurs » amoureux de la « lecture de romans« , vraisemblablement…) nourri, amical

_ pas seulement, et même loin de là, composé de collègues (universitaires) : en fonction, certains, ou émérites, d’autres ; même si nombre d’entre eux étaient présents et n’ont pas manqué d’intervenir dans la séance (plus ou moins rituelle) des questions au conférencier, ensuite… _,

en présence d’un public attentif et tout à fait alléché, incontestablement,  par ce propos du conférencier d’éclairer ce genre de « lecture » (= la lecture de romans !) aujourd’hui si vivant, pour les « lecteurs » que nous (presque tous) sommes

_ vivant, chacun, notre existence subjective particulière,

séparée de celle des autres

(et par là plus ou moins solitaire, en sa « banalité«  commune partagée, aussi : les deux en même temps…),

voire singulière

(qui sait ? cf ici l’important cruciale de la « question« , pour « tout un chacun«  d’entre nous, en effet, du « sens de la vie«  pour lui, et pour nous, quand nous ne sommes pas aussi « auteurs«  de quelque « œuvre« ),

au premier chef, si je puis dire… ;

pour « tout un chacun«  qui sait et aime lire, du moins !!! cela va-t-il durer, à l’heure et ère (concurrentielles peut-être) des « images« , dont celles, mouvantes désormais, du cinéma et autres vidéos de diverses sortes : jusque sur le blog des libraires de la librairie Mollat !!!!

….

vivant, chacun, notre existence subjective particulière, donc,

en « lecteurs de romans«  tout particulièrement, en effet !

de romans davantage que d’autres genres de livres (et même de récits : la biographie, l’autobiographie, le journal intime, etc.), veux-je dire… _,

plus que jamais en 2010 :

d’où l’affluence et la vive curiosité à cette conférence vendredi soir

_ le podcast dure 65 minutes : il est passionnant ! et éclaire « magnifiquement«  ! le livre _

pour cet essai (méditatif, analytique et questionnant, plus encore…) de Dominique Rabaté : Le Roman et le sens de la vie

Le roman est devenu _ du XVIIIème au XIXème siècles _, puis est resté _ au XXème siècle ; et aujourd’hui aussi ;

même si c’est selon certaines variantes : qu’il appartient à l’essayiste, précisément, les distinguant, d’analyser (ou démonter) avec précision en leur détail (qui nous éclaire !) et dynamique ;

et nous faire, à notre tour (en « lecteurs d’essais«  alors : une spécificité un peu française, peut-être…), méditer… _,

le roman est devenu, puis est resté

en effet,

le genre littéraire rencontrant

_ auprès des lecteurs que nous sommes aussi très largement devenus en ces siècles (d’imprimerie et d’édition de livres de papier ; cf ici, par exemple, les travaux de Roger Chartier ; ou sa leçon inaugurale au Collège de France Écouter les morts avec les yeux… ; ou de Robert Darnton : cf par exemple Bohème littéraire et révolution _  le monde des livres au XVIIIème siècle…) _

le maximum de succès : il est loin, bien au contraire, de se démentir aujourd’hui ;

même si ce n’est pas nécessairement proportionnellement _ encore faut-il savoir ou apprendre à l’« évaluer«  ! _ à la qualité (du produit ; ou œuvre ! soit ici le roman !) :

sinon, c’est le temps et la postérité (= d’autres que soi ; ou du moins de « médiateurs » (instituteurs nécessaires) de son propre juger ; qui doit se former…) qui effectuent le tri (qualitatif : entre ce qui se périme, vite _ de plus en plus _, et ce qui demeure et reçoit la « reconnaissance » _ autorisée… _ de la valeur « littéraire » ; les lecteurs peu à peu finissant, et en masse, par s’y rallier (le reste de la production étant devenu caduc) à un peu meilleur escient ;

mais en attendant cette sélection qualitative médiatisée par des lecteurs compétents _ un tout petit nombre, comme a l’habitude de le dire à l’envi Jean-Paul Michel _

les romans, même de faible qualité, se lisent, s’achètent (et se vendent !) : selon des fonctionnement grégaires le plus fréquemment (cf les listes _ quantitatives, elles _ de best-sellers) :

comment se repérer, pour le lecteur encore inexpérimenté, ou débutant : mais chacun l’est, et à chaque fois, face à un auteur (ou un livre) inconnu de lui, et non précédé d’une réputation !

_ ici Jean Laurenti, modérateur de la conférence, demande très judicieusement à Dominique Rabaté de lire à haute voix un très beau passage du livre (aux pages 104-105 du Roman et le sens de la vie) explicitant lumineusement, et avec ses effets synthétisés, la distinction que celui-ci venait de faire en sa conférence entre deux concepts d’« expérience«  : celui d’Erlebnis et celui d’Erfahrung :

Dominique Rabaté avait introduit cette distinction significative, dans son essai, page 35, à propos de la géniale « lecture » par Walter Benjamin, en son article intitulé Le Conteur, (cf l’édition Œuvres III parue dans la collection Folio Essais en 2000) du « récit«  (ainsi le qualifie lui-même Walter Benjamin, plutôt que « roman« …) tel que le pratique Nicolas Leskov… : je cite le texte de Dominique Rabaté, à la page 35 :

par ce terme de « récit« , Nicolas Leskov « désigne l’art artisanal du conteur qui sait, par ses histoires, donner de sages conseils, transmettre une morale pratique, une expérience partageable par une communauté _ d’auditeurs-écouteurs assemblés en un même lieu et au même moment ; pas de lecteurs d’un écrit… _ que le mot allemand de « Erfahrung » recouvre. Cette communauté se réunit sous l’autorité de la mort _ c’est elle (et sa menace) qui plane(-nt) sur la « question«  lancinante et vrillante, ici, du « sens de la vie« , en effet ! tant pour le cas de La mort d’Ivan Ilitch que pour celui de Voyage au phare de ces deux mélancoliques que sont, au moins en l’écriture de ces deux « romans«  ici analysés, aux parties II et III de cet essai, et Léon Tolstoï et Virginia Woolf… _, ou plus exactement du sage mourant mais encore apte à léguer aux siens son savoir.

La réflexion de Benjamin prolonge d’autres études où il a insisté sur l’idée _ = sa thèse _ d’un appauvrissement de l’expérience _ subjective, personnelle ! _ dans les sociétés modernes, sociétés du journalisme, de la guerre et de la massification _ dépersonnalisante et désingularisante par là…

Pour lui, l’Erfahrung se meurt _ voilà ! est détruite, saccagée ! _ et laisse place à une expérience intransmissible, privée _ qui est, elle, du registre de l’Erlebnis (terme que l’on traduirait en français par expérience vécue, ou expérience individuelle _ = non reçue ni formée collectivement ; et expérience personnelle, par là. Giorgio Agamben a brillamment relayé ses thèses dans son livre Enfance et Histoire _ dont le sous-titre est « Destruction de l’expérience et origine de l’Histoire« …

Dominique Rabaté cite aussi, page 36, le travail, qui creuse la pensée de Benjamin encore plus loin, de Carlo Ginzburg dans Traces : Racines d’un paradigme indiciaire...

(cf pages 37-38 : « le roman, loin de simplement entériner la disparition de ce type de connaissance indiciaire _ qu’étaient les savoirs de la chasse, de la cuisine, de l’intuition psychologique que « les traités scientifiques peuvent malaisément codifier«  au XVIIIème siècle, page 36… _ devient aussi le lieu où les recueillir, où leur donner leur singularité selon les cas, les contextes, les arrière-plans que le romancier peut recréer. Je dirai donc avec Ginzburg (…) que l’Erfahrung continue d’entretenir des liens riches et subtils avec l’Erlebnis. J’ajouterai que le succès du roman à l’âge bourgeois lui vient aussi de cette mission historique : se faire l’écho et le relais _ oui ! _ des pratiques indiciaires de la connaissance au moment où celles-ci perdent leur utilité ou leur prestige social _ surtout _ contre les sciences et le savoir académique » : c’est superbe de lucidité !..) ;

et je signale, au passage, aussi, que leur traducteur (tant pour Carlo Ginzburg que pour Giorgio Agamben), de l’italien au français, Martin Rueff, sera présent

(ainsi que le très grand Michel Deguy en personne : pour son La Fin dans le monde aussi… ; de Deguy, lire en priorité son sublime « Le Sens de la visite« …)

mercredi 12 mai prochain dans les salons Albert-Mollat, à 18 heures,

pour présenter son (immense et magnifique !) essai d’analyse et synthèse de la poétique de Michel Deguy : Différence et identité _ Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme industriel ;

cf, sur lui, mon article sur ce blog du 23 décembre 2009 dernier : « la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff«  ;

fin de l’incise… _

comment se repérer, pour le lecteur inexpérimenté _ en lecture, ici ! _

dans la foule de ce qui est proposé par le marché de l’édition ? et sur les étals des librairies ?..

Même si le propos de Dominique Rabaté, avec ce « petit livre« , a-t-il dit à plusieurs reprises _ l’essai comportant 112 pages _, n’était ni historique, ni « totalisant«  : il y faudrait une autre longueur (mais pas forcément ampleur d’analyse : celle-ci est déjà extrêmement sensible ici !) pour embrasser de son éclairage tout le genre, et en toute son histoire (depuis les romans de l’antiquité gréco-latine ; puis ceux de l’époque médiévale ; etc.),

c’est cette dimension d’historicité même qui m’a,

personnellement,

particulièrement intéressé

et m’a paru des plus « éclairante« …

Aussi ai-je pensé alors, en écoutant parler Dominique Rabaté aussi (un peu) sur ces considérations historiques _ ainsi que de philosophie « appliquée« … : davantage en cette conférence (d’une heure) qu’en son livre, dense et assez ramassé (en 112 pages)… _ ,

au travail « explorateur«  _ fascinant ! _ de Marthe Robert, en son L’Ancien et le nouveau (lu à sa parution aux Éditions Grasset, en 1963 : j’étais en classe de Première : et la « réflexion » sur la littérature me titillait ; lecteur boulimique et exigeant que j’étais depuis un bon moment déjà…), d’un côté,

et, sur un tout autre plan, à celui tout récent

_ cf mon article du 30 décembre 2009 : « Le devenir de la “langue littéraire” en France de 1850 à aujourd’hui : un admirable travail pour comprendre ce qui menace de mort l’exception (culturelle) française et les “humanités”« ... _

de l’équipe réunie par Gilles Philippe et Julien Piat pour leur très riche et instructif La langue littéraire _ une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, aux Éditions Fayard,

à adjoindre aux références données (et discutées à la conférence, davantage qu’en son essai, court et intense, donc !)  par Dominique Rabaté lui-même en son livre,

qui ont servi à sa « méditation » _ et enquête _ littéraire sur ce volant précis-ci de la littérature

d’interlocuteurs, de stimulants,

ou d’abord de départs ou bases de sa réflexion et analyse,

ou parfois aussi de repoussoirs, à surmonter en quelque sorte :

La Pensée du roman, de Thomas Pavel,

L’Art du roman, de Milan Kundera,

La Bonne aventure _ Essai sur la « vraie vie », le romanesque et le roman, de Bernard Pingaud,

Nouveaux problèmes du roman de Jean Ricardou ;

ou, aussi, les désormais classiques La Théorie du roman de Georg Lukacs

et Mimesis d’Erich Auerbach…

Dominique Rabaté s’est référé aussi, bien sûr, à son essai précédent Le Chaudron fêlé _ Écarts de la littérature, paru aux Éditions José Corti, déjà, en 2006…


Et il se réfère aussi au passionnant L’Anneau de Clarisse _ Grand style et nihilisme dans la littérature moderne du grand Claudio Magris,

page 34 du Roman et le sens de la vie :

le sous-titre de ce recueil d’essai de Magris _ Grand style et nihilisme dans la littérature moderne _ est déjà bien éclairant sur l’axe d’enquête ici de Dominique Rabaté. Comme j’y souscris !!! 

Pour ma part,

j’interprète le regard de Dominique Rabaté ici sur le roman moderne et la « question » du « sens de la vie« 

comme affinant _ et assez considérablement... _ la dés-héroïsation des Temps modernes (depuis la Renaissance ; cf aussi François Hartog : Régimes d’historicité)

qui s’amplifie à partir de Flaubert

_ c’est un mot à George Sand de Flaubert, dans une lettre (de la fin décembre 1875) de leur échange assez suivi de correspondance, que Dominique Rabaté a choisi de mettre en exergue de son essai : Le Roman et le sens de la vie :

« Il me manque « une vue bien arrêtée et bien étendue sur la vie » _ reprend-il à sa correspondante. Vous avez mille fois raison ! mais le moyen qu’il en soit autrement.« 

Pour l’ambition de vérité (du roman : sur la vie) de Flaubert,

« la bêtise«  est bien toujours « de conclure«  !..

et de figer… _

et s’épanouit dans les diverses et variées à l’infini, en leur diaprure, Vies minuscules _ à la Pierre Michon, si l’on veut : Dominique Rabaté l’a reçu il n’y a guère, en ces mêmes salons Albert-Mollat… _ que nous offrent, en effet, les (grands) romanciers (dés-héroïsant) du XXème siècle (et des progrès de son nihilisme) ;

celle _ dés-héroïsation _ sur laquelle avait déjà commencé à ironiser l’humour noir ravageur et polyphonique de Cervantès en son Don Quichotte

Avec divers paliers en ce processus non régulier ni mécanique, certes :

Le Roman bourgeois de Furetière ;

Flaubert _ de L’Éducation sentimentale à Madame Bovary (ou l’« hystérie de la vie à soi« , selon la formule de la page 29 : « Une vie à soi ? celle des livres et des clichés« , ici… ; et Dominique Rabaté : « depuis les années 1850, la culture de masse a encore accentué cette tension entre prétention à l’originalité et conformisme« …) et Bouvard et Pécuchet : quelle odyssée !.. _, un maître du rendu de ce processus (mélancolique) :

et puis,

et que voici tout spécialement analysés ici, en cet essai-ci _ magnifique ! un essai doit-il donc être purement « académique » ?.. _, par Dominique Rabaté,

aux partie II, « La Leçon de la mort« 

et partie III, « L’Irrémédiable et l’inoubliable » :

La mort d’Ivan Ilitch de Tolstoï

et Vers le phare de Virginia Woolf :

la traduction préférée par Dominique Rabaté est celle revue par Magali Merle de l’édition la Pochothèque, en 1993, des Romans et nouvelles ; la traductrice proposant Voyage au phare pour son titre…


Un travail passionnant pour le lecteur aussi ;

à relier, pour moi, à l’histoire _ éminemment philosophique ! _ des avatars du sujet en la modernité et post-modernité (et nihilisme : cf Nietzsche…),

comme on voudra.

Le banal dés-héroïsé d’un sublime qui se « désenchante« 

à une certaine vitesse et selon diverses accélérations ou décélérations _ cf Max Weber ; et puis Marcel Gauchet : Le désenchantement du monde _,

mais non sans susciter des aspirations (idéalistes ?) à un ré-enchantement ;

pas trop donquichottesque ;

ou du moins, plutôt à la Cervantès l’auteur bourré d’humour

qu’à la Don Quichotte, le chevalier à la triste figure, son personnage qui meurt à la fin désenchanté…


Titus Curiosus, ce 8 mai 2010

Balance de « l’humain » au stade gazeux du luxe : le diagnostic d’Yves Michaud

31déc

Pour continuer à réfléchir sur l’état présent de l' »humain« , tel que le présentent des phénoménes d' »aisthesis »  comme ceux qu’analyse Yves Michaud en son blog de Libération « Traverses« ,

et poursuivant lui-même sa réflexion de son opus de 2003 : « L’Art à l’état gazeux _ Essai sur le triomphe de l’esthétique« ,

voici

ces réflexions-ci,

en réponse à certains des « commentateurs« 

de son tout récent article « Le Luxe à l’état gazeux« , in Libération, en date du 29 décembre dernier, avant-hier :

Le luxe à l’état gazeux

Luxe et art ont une signification qui se recoupe(nt) sur certains points intéressants. Le luxe renvoie à l’idée d’abondance, de profusion, mais aussi de décoration et d’ornement, avec une connotation ambivalente de louange et de dénonciation. « Luxe » et « luxure » sont des doublets.

Il y a aussi, dans l’idée de luxe, celle d’un écart par rapport à la règle et à la ligne droite: le mot « luxation » vaut pour les articulations abimées et a la même étymologie. Or l’art et l’ornement ont aussi une origine étymologique indo-européenne qui en fait un écart et un ajout par rapport à la nature : l’art est ce qui se superpose et s’articule à la nature. C’est sur ce point qu’art et luxe se rejoignent : le luxe et l’art sont des ajouts décoratifs ou ornementaux, qui ne sont ni naturels ni indispensables, qui impliquent une déviation par rapport au naturel ; et souvent même un excès, avec la dépense somptuaire qui va de pair. Toutes les cultures associent art, dépense, artifice et excès non naturel.

De fait, toujours et partout l’art a été un luxe : non seulement parce qu’il va au delà du nécessaire, mais aussi parce qu’il met en œuvre des matériaux précieux, des habiletés techniques rares et coûteuses ; et qu’il est destiné à des usages précieux, qu’ils soient religieux ou séculiers. La fameuse « Salière » de Benvenuto Cellini fabriquée en 1542-1543 pour François Ier, coûta à l’époque 1000 écus d’or. On n’est pas très loin du crâne en platine de Damien Hirst (« For the Love of God« ) de 2007, avec ses 8601 diamants, vendu pour 74 millions d’euros.

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Ce lien d’excès et d’artifice entre art et luxe persiste aujourd’hui avec la corrélation entre nouvelles formes de l’art et nouvelles formes du luxe.

Pour ce qui est de l’art (au sens des arts visuels), il consiste de moins en moins en « œuvres« , pour  la bonne raison que se sont généralisées les stratégies « à la Duchamp » de production de ready-mades ; et que tout peut faire œuvre, y compris l’infime ou l’invisible. L’art consiste _ avec ou sans insister ? _, en fait _ c’est le cas de le dire ! _, de plus en plus, en expérience _ voilà : et de la part de qui ? de l’artiste qui le propose ? du public qui en fait l’« expérience » ?.. _ d’environnements et d’effets multi-sensoriels où sont réunis stimuli visuels, sonores, odeurs, ambiances et atmosphères dans des installations _ d’artistes (affirmés tels)…

Dans le même temps, la hiérarchie _ reconnue, grosso modo, socialement _ des arts a changé, avec un retour au premier plan de l’architecture, un développement du design, y compris comme design sonore, et le succès grandissant d’arts mineurs comme la cuisine, les parfums, la mode, le maquillage. L’art est devenu _ sociétalement ; sinon sociologiquement… _ un art d’environnement ou encore « ambiantal« .

Ces changements vont de pair avec une nouvelle forme d’expérience de l’art _ voilà ! _, distraite et flottante _ de la part du public, cette fois ; mais s’agit-il ici d’un « Homo spectator » (selon Marie-José Mondzain) ? et en un « Acte esthétique » (selon Baldine Saint-Girons) ?.. L’empirisme d’analyse d’Yves ici s’amuse, vraiment, beaucoup ! J’entends d’ici son rire empiriste ! La valeur principale au cœur de l’art est désormais _ sociétalement et sociologiquement : Pierre Bourdieu, l’inénarrable analyste de « La distinction _ critique sociale du jugement« , en 1979, éclate lui aussi de rire de dessous la tombe ! _ celle du divertissement _ « entertainment » ! dans le vocabulaire des entrepreneurs des studios de Hollywood, chaînes de télévision en pagaille, et autres vendeurs de « temps de cerveau humain » disponible… _ et du plaisir _ l’appât minimal et basique ; jusque dans le commerce de la pornographie… _ réunis dans un hédonisme _ voilà la philosophie qui a le vent en poupe : le plaisir est bien son carburant ! _ sans engagement _ surtout pas ! car alors, adieu Berthe !..  _ ni moral ni politique ; ou alors tellement léger _ quelques secondes : pas trop de temps à perdre, non plus, quand même… just for the fun _ qu’il n’est plus un engagement. L’expérience est celle d’une cénesthésie (complexe de sensations) débouchant éventuellement sur des partages _ tout de même : un minimum de connivences (langagières) comme « autorisation« , de fait, d’un minimum, cependant, de « légitimité » de l’éprouvé, même aussi « léger » et aussi peu « engageant » : les autres partagent-ils mon point de vue ? ouf ! me voilà rassuré ! la solitude (de l’éprouvé), ou « a-normalité« ,  étant rien moins que terrifiante : « monstrueuse«  !.. _ d’émotions. L’expérience esthétique contemporaine est une expérience diffuse, l’expérience d’un environnement saisi de manière inattentive et distraite, perçu _ juste _ « en passant«  _ dans la rue, par exemple ; et si possible « passante« , « passagère », la rue : sinon, pas de vérificateur (de conformisme) ! Quel effroi ! et quelle inutilité, aussi… Elle est fortement dépendante de moyens technologiques très avancés _ vive (et vivement, aussi !) la caution du « moderne« , de l’« up-to-date » ! _ et largement répandus, avec une base de production industrielle évidente _ l’invisibilité, la non-exhibition, n’ayant pas la moindre fonctionnalité ; et les exemples (les dits « people » : ils ont tellement besoin du regard populaire ! ainsi que de l’audimat : sinon ils seraient plus nus que nus…) venant de haut !

De ce point de vue, il devient difficile de faire la différence entre œuvre à proprement parler _ en dur ? durable ? et par quels facteurs, donc ?.. on doit se le demander aussi… _, décoration, environnement et expérience de consommation commerciale. Ceci va de pair dans nos sociétés de consommation et de plaisir avec une esthétisation _ soft, très soft… _ de la vie qui touche de plus en plus de domaines : la mode, le design, l’esthétique corporelle, la cuisine, la culture physique, la chirurgie esthétique, le secteur du luxe et jusqu’aux beaux sentiments _ affichés, sinon ça n’en mérite pas la peine ! _ qui sont devenus obligatoires sous peine d’incorrection politique ou morale _ car voilà le nouveau standard (d’intégration/exclusion) !

Dans l’idée courante, l’industrie du luxe produit sous des noms _ magiques ! _ de marque prestigieux des objets _ de prix d’achat conséquent ! _ faits de riches matériaux travaillés par des artisans exceptionnels pour des élites _ mais qui « le valent bien » vraiment, elles ! Pas seulement au niveau du slogan à l’adresse de tout un chacun acheteur de produits seulement « dérivés« , selon le slogan (efficace !) de l’Oréal, la marque de Liliane Béttencourt… Il faut déjà réfléchir qu’une somme _ réunie, rassemblée, pas seulement amassée _ d’objets fait un décor et un décor une ambiance, comme celle que l’on trouve quand on visite les demeures des « grands collectionneurs«  _ type Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent…

Les industriels du luxe poursuivent cette production, notamment à destination de leurs nouveaux marchés, ceux qui ont le mieux résisté à la crise, les marchés des pays émergents d’Extrême-Orient ou des Émirats arabes.

Il y a cependant un écueil très dangereux _ de banalisation ! _ pour les firmes comme pour les consommateurs, celui de la production industrielle de produits de luxe, qui deviennent en réalité ce qu’on appelle des « produits dérivés » et donc des produits de grande consommation _ la plus large possible : chiffre de vente oblige ! _, même si demeure le fétichisme _ sinon, pas d’achat ! _ de la marque.

Le secteur des parfums est, à cet égard, exemplaire, puisque les parfums sont pour la plupart produits par des maisons prestigieuses de haute couture dont les produits propres _ les vêtements _ sont inabordables _ of course ! et off course_ pour le consommateur moyen : la femme qui achète un parfum Saint-Laurent ne s’habille en général pas _ c’est ici un euphémisme _ de robes originales Saint-Laurent _ vivent (et prospèrent) les conduites magiques de « participation » imaginative…

Comme variante de cet écueil, il y a cet autre danger _ pour les finances des détenteurs de droit des « marques » ! pas pour ceux qui se parent des ersatz… _ qu’est la contrefaçon : elle se répand elle aussi de manière industrielle _ appât des gains obligent ! _ au même rythme que la production originale ; et elle ne peut guère être combattue qu’au nom de principes juridiques dès lors que tous les produits dérivés se rapprochent les uns des autres au point de se confondre _ aïe ! _ pour des raisons de production de masse _ il faut donc maintenir soigneusement les « distinctions » marquées dûment autorisées, labélisées…

Des enquêtes récentes sur les produits que les personnes de revenus supérieurs associent _ imaginativement sociétalement _ avec le luxe aux USA, en France et au Japon témoignent d’un changement significatif de la perception _ sociétale _ du luxe, et qui s’accorde avec ceux à l’œuvre dans les arts visuels _ dûment estampillés, eux, probablement, du moins : le doute s’y insinuerait-il donc ?..


Certes les Français comme les Américains associent encore l’idée du luxe à des objets comme les voitures, les bijoux, les œuvres d’art, les vêtements, les montres, mais ils associent aussi le luxe avec avions privés, yachts, hôtels, villas, voyages, parfums, clubs réservés, toutes choses qui renvoient à des expériences _ voilà ! _ comme celles du voyage, du tourisme, de l’évasion rapide et rare _ et chère. Le luxe, c’est en ce sens l’expérience de la vie légère et rêvée _ exotiquement _, une qualité d’expérience rare réservée à des happy few _ pouvant se les payer (ou faire offrir) ; jusqu’à en faire étalage ; cf le bling-bling des people au pouvoir dans ce que sont devenues nos malheureuses démocraties ! _, en échappant _ ouf ! vive la « distinction«  bourdieusienne… _ aux objets banals produits en masse pour les masses. La plupart des industriels du luxe confirment cette évolution : face à l’industrialisation de produits qui sont au bout du compte très proches, qui sont de toute manière banalisés et n’ont plus de luxe que la marque _ aïe ! _, il leur faut désormais soit vendre ces produits comme des expériences _ subtiles ! _ particulières, soit vendre des expériences luxueuses tout court.

La publicité du marketing expérientiel _ un concept bien intéressant ! _vend non pas des parfums pour parfumer, mais des expériences de parfums Dior, ou Saint-Laurent, ou Prada _ mazette !

On n’a pas été assez attentif à certains comportements en apparence seulement bizarres ou excentriques qui font entrer dans le monde de l’expérience tout court _ mais une expérience rare _ difficile d’accès _ considérée comme nouveau luxe, par exemple les premiers balbutiements du tourisme spatial. Seules quelques personnes peuvent s’offrir (et songent pour le moment à s’offrir) ces voyages en orbite qui coûtent des dizaines de millions de dollars. Le luxe ici, c’est celui d’une expérience réservée à quelques-uns seulement, comme dans le temps on s’achetait un « baptême de l’air » en avion ou en hélicoptère, voire, il n’y a pas si longtemps, une escapade en Concorde menant de Paris à Paris via le survol aussi rapide qu’absurde de la côte atlantique de la France.

La fascination pour les privilèges _ voilà : l’inverse de l’égalitaire ; cf le « Qu’est-ce que le mérite ? » d’Yves Michaud ; et mon entretien avec lui dans les salons Albert-Mollat le 13 octobre dernier ; ou mon article sur tout cela : « Où va la fragile non-inhumanité des humains ?«  _, pour les « listes« , pour les carrés réservés, les clubs exclusifs _ fermés aux autres ! renvoyés à leurs misérables pénates de ploucs ! _, pour les traitements différenciés des consommateurs selon leur pouvoir d’achat _ au niveau même des cartes bancaires _ relèvent aussi de ce transfert de la qualité de luxe sur des expériences rares et réservées _ qui en leur fond _ voilà un critère assez intéressant… _ peuvent être aussi inintéressantes _ tiens-donc : selon quels critères ? et quels « fondements » ?.. ah ! ah ! _ que l’expérience ordinaire _ trop « commune » ; pas assez « branchée«  _ ouverte à tous, mais dont la condition de rareté exclusive fait toute la précieuse différence _ rien que structurelle ; de comparaison strictement « idéelle«  : sans contenu ; et sans fond ! Voilà l’authentique misère se pavanant en transports et résidences « de luxe« … Quand ces rois-là _ cf le magnifique conte d’Andersen « Les Habits neufs du roi«  _ sont plus nus que nus !!!

Toujours selon ces enquêtes, les Japonais demeurent, en revanche, étonnamment traditionalistes, puisqu’ils continuent d’associer prioritairement le luxe aux montres, aux sacs à main, aux automobiles, aux bijoux, aux habits et aux chaussures. Il faudrait cependant prendre en compte qu’ils ont une conception de l’art et des expériences esthétiques fortement différente des nôtres, faisant depuis bien longtemps place à des qualités sensibles qui ne sont pas des qualités d’objets _ en dur _, mais d’expériences _ justement… _ et d’environnements (le vieux, le fragile, la beauté de l’âme intérieure ou celle de la nature en train de changer) _ de l’homo spectator ; et de l’actus aestheticus, si je puis dire ; en un contexte plus prégnant, in fine, que le seul objet envisagé en lui-même…

Au fond, de même que l’art est devenu gazeux, le luxe aussi se transforme ou, mieux, se vaporise en expériences _ gazeuses… Le parfum, si central dans l’esthétique de Baudelaire _ certes ! _, mérite de retrouver aujourd’hui la place pivot qu’il devrait tenir dans toute conception de l’expérience esthétique en général _ y compris authentique ; je renvoie ici aux œuvres-maîtresses de mes amies Baldine Saint-Girons, « L’Acte esthétique« , et Marie-José Mondzain, « Homo spectator » : des must !

Même si la formule est à l’emporte-pièce, on peut dire : «Finis les objets _ en dur _, bienvenue aux expériences _ gazeuses _ _ soit le statut de privilège du « singulier » jusque dans la sensation la plus évanescente : soigneusement présentée (à acheter : cher !) comme « hors-normes« 

Photo © AFP (La Salière de Benvenuto Cellini)
Photo © Reuters (Crâne de diamants de Damien Hirst)

Rédigé le 29/12/2009 à 12:34 dans Arts

Commentaires

« L’expérience » une fois morte et nous avec, il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes, à travers le culte de qualités d’expériences qui ne doivent rien à l’attention que l’on y porte, comme la question de la dérive le proposait et l’engage, mais à une fuite en avant dans le calculable que l’on thésaurise, avec l’avidité de celui qui toujours inquiet de ce qu’il risquerait de manquer reste étanche aux effets de présences qui s’offrent à lui, dans le plus simple appareil et d’un splendide dénuement.

Rédigé par : bénito | 30/12/2009 à 14:03

C’est ce très remarquable « commentaire« -ci, de Bénito, que je souhaiterai « commenter » un peu en détail ici même, maintenant :

«  »L’expérience » une fois morte, et nous avec » : devons-nous nous résigner à ce « constat«   ? Que Georges Didi-Huberman qualifierait sans doute d’« agambien » ; mais estimerait d’un pessimisme excessif : « à mieux gérer« , selon une autre expression, encore, après celle de « destruction de l’expérience« , de Walter Benjamin, que cite Didi-Huberman.

« il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide _ = un symptôme de nihilisme ! parfaitement !!! et gravissime… _ dans la recherche de différenciation _ si dérisoirement vaines !

et il faut en effet, et très énergiquement, en éclater de rire !!! montrer le degré astronomique : kakfaïen (cf son immense  « Journal« ) ! bernhardien (cf son autobiographie si géniale, ainsi que le magnifique opus ultimum « Extinction«  ) ! kertészien (cf  ce chef d’œuvre absolu qu’est « Liquidation« ) ! de leur « ridicule«  ! _

il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation

des zombies _ oui : il faut le proclamer sans cesse ; jusqu’à courir le crier sur tous les toits de la planète : ce ne sont rien que des « zombies« , ces pauvres fantôches qui se pavanent à « faire« , aux micros et devant les caméras des journalistes (complices pour la grande majorité d’entre eux ! des « chiens de garde« , dirait Nizan…), « les importants » ! _

des zombies 

parallèles _ qui ne se rencontrent jamais ; même et surtout en des fantômes de rapports amoureux ; cf le lacanien : « il n’y a pas de rapports sexuels » ; cf aussi le judicieux et très clair « Éloge de l’amour » d’Alain Badiou, ainsi que mon article récent sur cette conférence (donnée à Avignon, avec Nicolas Truong, le 14 juillet 2008), le 9 décembre dernier : « Un éclairage plus qu’utile (aujourd’hui) sur ce qu’est (et n’est pas) l’amour (vrai) : “L’Eloge de l’amour” d’Alain Badiou«  _

que nous sommes » :

que nous sommes, sinon déjà devenus,

du moins en train de devenir, bel et bien, en effet ; si nous n’y résistons pas si peu que ce soit ! un peu plus, davantage, en tout cas, que nous ne le faisons, bien trop mollement, pour la plupart d’entre nous !..

A preuve,

cette incise :

hier même, à mon envoi de l’article commentant la belle et forte indignation de Henri Gaudin quant à l’indigne, en effet, « restauration » qui menace un des plus sublimes hôtels parisiens du règne de Louis-le-Juste (en 1640, ou 42), à l’étrave si belle de l’Île Saint-Louis : « Le courage d’intervenir d’un grand architecte, Henri Gaudin : le devenir de l’Hôtel Lambert dans une société veule« , que voici :

De :   Titus Curiosus

Objet : Un article à propos de l’Hôtel Lambert

Date : 28 décembre 2009 17:28:12 HNEC
À :   Barocco

Voici l’article
en hommage à l’Art du siècle de Louis XIII :
http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2009/12/26/le-courage-dintervenir-dun-grand-architecte-henri-gaudin-le-devenir-de-lhotel-lambert-dans-une-societe-veule/
Titus

Ps :
voici aussi _ il n’y a là rien de vraiment « personnel«  (à éviter de rendre public sur le blog)…  _ le mot que je viens de recevoir de Marie-José Mondzain _ à laquelle j’avais adressé ce même article _ :

merci cher Titus
grâce à vous je lis des livres que je ne penserais jamais à lire
j’écoute des musiques que je n’aurais jamais connues sans vous
oui je lis vos longues phrases et je m’y retrouve très bien !
plein de  vœux chaleureux et d’amitié fidèle

mjm

un ami,

très remarquable entrepreneur de produits artistiques de la plus haute qualité _ il s’agit de ce qui se fait de mieux aujourd’hui dans l’offre musicale _, a répondu ceci à l’envoi de cet article à propos de l’Hôtel Lambert » :

De :   Barocco

Objet : Rép : Un article à propos de l’Hôtel Lambert

Date : 30 décembre 2009 15:02:07 HNEC
À :   Titus Curiosus

Cher Titus,
Merci de ton envoi, toujours pertinent et impertinent. On y voit que tu n’as pas perdu l’espoir, ce qui n’est pas mon cas…
Le dicton de saison : meilleurs vœux !
Amitiés,

Barocco

Nous en sommes donc là en notre belle France… Fin de l’incise ;

et retour au commentaire mien du « commentaire » par bénito de l’article d’Yves Michaud !

« il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes,

à travers le culte _ voilà _ de qualités d’expériences

_ des individus les ressentant, fugitivement, en leur subjectivité, seulement : ce qui fait le fond, rien moins de la thèse d’Yves Michaud _

qui ne doivent rien _ ni ces « expériences« -ci, ni leurs « qualités« -là… _ à l’attention que l’on y porte

_ et c’est là, ce point-ci de l’« attention«  !, tout le point décisif de l’analyse très fine de bénito ! _ ;

comme la question de la dérive _ qui intéresse Bénito sur son propre blog… _ le proposait

_ en marquant l’affaiblissement, précisément, de cette « attention« -ci en question : fuie ! esquivée ! voire anesthésiée, carrément, dès qu’elle engage à si peu que ce soit :

de l’ordre de ce qu’une Baldine Saint-Girons qualifie si justement d’un « acte » proprement « esthétique » !.. ;

et donneur, lui, « l’acte esthétique«  vrai,

non pas de « plaisir« ,

mais, proprement

_ à mille lieux de l’hédonisme et du dilettantisme (que dénonçait le grand Étienne Borne _ 1907 – 1993 _, en son lumineux « Problème du mal« , en 1963, aux Presses Universitaires de France… _,

donneur de « joie » :

« joie » où s’exprime, se déploie et s’épanouit, aussi _ et c’est même essentiel ! pour l’« humanité«  même de la personne !!! _, quelque chose des qualités propres (en expansion alors) du sujet singulier qui les vit, qui les sent et ressent (et les « expérimente« , ainsi que l’exprime superbement la langue précise et éclairante de Spinoza :

en ces occurrences, un peu rares, certes, là, mais il nous revient de le « découvrir » personnellement, et de l’« apprendre« , et « cultiver » _ cf ici aussi l’immense Montaigne, en ses « Essais« , tout spécialement le dernier, qui ne s’intitule pas tout à fait pour rien « de l’expérience« , au chapitre 13 de son livre III !… _ « découvrir« , « apprendre » et « cultiver » par nous-même : « nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels«  ;

en ces « joies« -là ! où nous passons, on ne peut plus et on ne peut mieux effectivement, à une puissance supérieure ; ainsi que le détaille Spinoza en son « Éthique » (V, 23)…) ;

car c’est du « déploiement » même de nos « qualités » propres et singulières qu’il s’agit bien à l’occasion des joies de ces « expériences » épanouissantes de « rencontres« -là !  » ;

fin de l’incise sur la « joie » même de l’« acte esthétique«  _,

Je reprends donc le fil de la phrase de Bénito :

il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes, à travers le culte de qualités d’expériences qui ne doivent rien à l’attention que l’on y porte

comme la question de la dérive le proposait

et l’engage _ on ne peut plus concrètement ; empiriquement _,

mais à une fuite en avant _ oui ! infinie… et pour rien… : dans la pure vanité du vide... _

dans le calculable que l’on thésaurise » _ voilà la fausse-piste et l’impasse proposée par la pseudo modernité capitalistique ; là-dessus lire Locke, qui, en père-fondateur de la « pensée libérale«  moderne, en « crache » carrément, et noir sur blanc, le morceau (en son « Essai sur l’entendement humain« , en 1689) à propos des astuces pour faire « travailler » (d’autres que soi) en (les) faisant « désirer » (quelque hypothétique, seulement fantasmée, « consommation«  du pseudo « objet du désir« ) en perpétuelle « pure perte« , ou insatisfaction empirique ! Lire donc un peu (et/ou un peu mieux) les philosophes pour comprendre mieux notre présent ; plutôt que bien des économistes qui vous embrouillent tout, au jeu du bonneteau… _,

« avec l’avidité de celui qui

toujours _ mais mal _ inquiet de ce qu’il risquerait de manquer _ c’est là le leurre du piège même si bien décrit par Locke _

reste étanche _ l’adjectif est superbe, bénito ! _ aux effets de présences _ mais, oui : cf ici le magnifique travail, en 1991, de George Steiner : « Réelles présences _ les arts du sens« … ; mais cf aussi les travaux de Georges Didi-Huberman sur la scintillance vibrante des images pour nous _ qui s’offrent à lui,

dans le plus simple appareil

et d’un splendide dénuement« 

_ c’est absolument superbe de justesse ; et me rappelle le plus éclairant des analyses les plus récentes de Georges Didi-Huberman, justement, tant dans « Quand les images prennent position« , à propos de Brecht, que dans « Survivance des lucioles« , que je viens juste de terminer de lire : à propos de Pasolini, notamment, outre Walter Benjamin et Giorgio Agamben _ Pasolini suivi tout au long du parcours de son œuvre, et d’écrivain comme de cinéaste. Un livre très intéressant en la finesse précise de ses éclairages !..

Voilà qui en une phrase unique dégage l’essentiel _ à mes yeux du moins : c’est cette position-ci  que j’estime (et à un rare point de perfection, même !) juste ; et partage !

Le reste des « commentaires » va probablement un peu moins, ou un peu moins bien, à l' »essentiel » !

Les voici, néanmoins :

Excellent !

Rédigé par : Newsluxe | 29/12/2009 à 19:19

Sur la tension « luxe » (gazeux) / « œuvre » (dure), cf mon article « http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2009/12/26/le-courage-dintervenir-dun-grand-architecte-henri-gaudin-le-devenir-de-lhotel-lambert-dans-une-societe-veule/ »

Titus Curiosus

Rédigé par : Titus Curiosus | 29/12/2009 à 18:09

A relier avec le concept de « destruction de l’expérience » chez Walter Benjamin ; puis Giorgio Agamben ;
ainsi que la « réplique » à cette expression _ en fait des « nuances« , plutôt… _ de la part de Georges Didi-Huberman en son tout récent « Survivance des lucioles » : afin d' »organiser le pessimisme« , comme il le présente…
Pour ma part, je « résiste » (à ces « faits de société« , sinon « de mode » ! de l’ordre du « gazeux« , cher Yves !) sur la « ligne« , voire la « pierre de touche« , plus « dure » _ est-ce là une illusion idéaliste ?.. _ de l’œuvre…
Suis-je en cela hors « empirisme » ?..
En tout cas, je renâcle…

Titus Curiosus

Rédigé par: Titus Curiosus | 29/12/2009 à 17:52

Intéressant. Je ne trouve guère toutefois d’allusion, dans cette longue réflexion, à l’art musical _ et donc au luxe musical, puisque selon YM les deux notions entretiennent des liens assez étroits.

Rédigé par : Sessyl | 29/12/2009 à 17:41

le luxembourg a surement la même racine.

Rédigé par : Salade | 29/12/2009 à 16:32

bravo! pour le texte, le luxe c’est surtout un mélange de style et d’intelligence, surtout d’intelligence

Rédigé par : romain | 29/12/2009 à 15:54

J’ai l’impression que les commentaires sur ce blog seraient un luxe : du simple fait de leur rareté.
La fosse d’aisance d’un bidonville suburbain serait-elle de l’art, un ready made ?

Rédigé par : JPL | 29/12/2009 à 14:10


Voilà !

Voilà de quoi méditer sur et le devenir des Arts, et le devenir de l’expérience esthétique _ en ses acceptions contradictoires, même !


Titus Curiosus, ce 31 décembre 2009

la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du « culturel » : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff

23déc

C’est sur le modèle de « l’artiste en colère » du « Charles Baudelaire _ Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme » (traduit en français par Jean-Yves Lacoste en une parution chez Payot en 1982 ; et rééditée enPetite bibliothèque Payoten 2002) du magnifique Walter Benjamin _ travail hélas interrompu par l’exil et la mort prématurée du philosophe à Portbou le 26 septembre 1940 ; il était né à Berlin le 15 juillet 1992 _

que Martin Rueff vient de rendre le plus bel hommage _ celui d’une analyse méthodique fouillée d’une sublime lucidité ! _ qui soit au poète (et philosophe) _ dont vient de paraître, en date du 23 octobre 2009, « La Fin dans le monde« , aux Éditions Hermann, dans la collection « Le Bel Aujourd’hui«  _ inflexible et exigeant _ au point, bien involontairement de sa part (cf le plus qu’éclairant « grand cahier Michel Deguy » qu’a dirigé et publié Jean-Pierre Moussaron, aux Éditions « Le Bleu du ciel« , à Bordeaux, en 2007), d’en « terroriser«  plus d’un encore aujourd’hui !.. _ qu’est le très grand Michel Deguy (né en 1930) ;

en même temps que « sous » l’intuition de l’analyse philosophique impeccable _ autant qu’implacable _ de Gilles Deleuze (1925-1995) en son opus _ probablement _ majeur, « Différence et répétition« , paru en 1968 :

avec ce très grand travail de fond, à l’articulation _ ultrasensible ! _ de l’intuition poétique et de l’analyse philosophique, que constitue « Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel« , aux Éditions Hermann, dans la collection « Le Bel Aujourd’hui« 

Car l’œuvre de Michel Deguy _ faut-il, seulement, l’indiquer ?.. _ est une œuvre tout uniment de poésie et de philosophie :

de poésie avec _ ou à partir de _ la philosophie ;

de philosophie avec _ ou à partir de _ la poésie…

Or, la tradition installée _ culturellement : à creuser… _ française

regarde d’un assez mauvais œil _ et sans pouvoir, décidément, se défaire de ce vilain travers opacifiant, qui lui nuit tant !.. en lui collant ainsi tellement, telle une taie, l’aveuglant… _ les transversalités, les transgressions de genres, les « passages » de « frontières« …

Et ce n’est certes pas un hasard que ce soit le « trans-frontières« , à maints égards, qu’est Martin Rueff :

entre littérature

(et poésie : ce n’est certes pas non plus pour rien que Martin Rueff est _ ou soit ? _ lui-même poète ; je veux dire connait _ ou connaisse _ l’expérience irremplaçable de l’écriture même de la poésie !!! Cf, par exemple, son récent « Icare crie dans un ciel de craie« , aux Éditions Belin, en 2008 ; ou/et son « Comme si quelque« , aux Éditions Comp’Act, en 2006 : succulents de délicatesse hyper-lucide ! On n’écrit, ni ne pense, à partir de rien ! Et à partir du phraser poétique vrai n’est en effet pas peu…)


entre littérature (et poésie, donc) et philosophie

_ son « L’Anthropologie du point de vue narratif (modèle poétique et modèle moral de Jean-Jacques Rousseau) » est à paraître aux Éditions Honoré Champion ; c’est de cet important travail que s’est nourrie la riche conférence « Le Pas et l’abîme, ou la causalité du roman gris » que Martin Rueff a donnée à la Société de Philosophie de Bordeaux le 8 décembre dernier ; cf mon article précédent, du 12 décembre : « L’incisivité du dire de Martin Rueff : Michel Deguy, Pier-Paolo Pasolini, Emberlificoni et le Jean-Jacques Rousseau de “Julie ou la Nouvelle Héloïse” » _ ;

entre France (Paris) et Italie (Bologne) où il réside _ à la fois ! _ ;

et enseigne (aux Universités de Paris-7-Denis Diderot, et de Bologne _ si prestigieuse : fondée en 1088, cette université qui a pris le nom de « Alma mater studiorum«  en 2000, est la plus ancienne du monde occidental (1116, pour l’université d’Oxford ; 1170, pour l’université de Montpellier ; 1250, pour celle de Salamanque ; 1253, pour la Sorbonne _) ;

entre la langue française,

dans laquelle il écrit (ses travaux personnels, si j’ose ainsi m’exprimer !) : « poésies » et « essais« ,

et la langue italienne,

qu’il traduit (si utilement) :

le poète Eugenio De Signoribus (né en 1947, à Cupra Marittima, dans la province d’Ascoli Piceno, dans la région des Marches) : « Ronde des convers« , aux Éditions Verdier, et dans la collection si belle « Terra d’altri« , à la direction de laquelle Martin Rueff a succédé au grand Bernard Simeone, que la mort nous a pris si précocement (1957-2001) ;

le philosophe Giorgio Agamben (né en 1942, à Rome _ et lecteur intensif de Walter Benjamin, dont il a été, en Italie, l’éditeur des œuvres complètes _) : « Profanations« , « La Puissance de la pensée« , « L’Amitié« , « Qu’est-ce qu’un dispositif ?« , « Nudités » ;

l’historien _ magnifique lui aussi ; et pas seulement historien, non plus _ Carlo Ginzburg (né en 1939, à Turin ; et fils de Natalia et Leone Ginzburg) : « Nulle île n’est une île« …)…

ce n’est, donc, pas tout à fait un hasard que ce soit le « trans-frontières« , à maints égards, qu’est Martin Rueff qui se soit attelé à cette tâche importante de mieux servir le travail « ressassant » et inlassablement « creuseur«  _ à la façon, mais en son genre, des « vieilles taupes » de l’Histoire, selon Marx… _ de Michel Deguy, en le mettant splendidement lumineusement en perspective,

et dans son parcours _ poétique ! même si aussi philosophique… _ singulier,

depuis « Meurtrières« , en 1959 (aux Éditions Pierre-Jean Oswald _ ce premier recueil, difficilement accessible, nous est re-donné intégralement dans le « grand cahier Michel Deguy » de Jean-Pierre Moussaron, aux Éditions « Le Bleu du ciel« , en octobre 2007, aux pages 302 à 329…), et « Fragment du cadastre« , en 1960 (aux Éditions Gallimard, collection « Le Chemin« , que dirigeait Georges Lambrichs),

jusqu’au « Sens de la visite« , en 2006 (aux Éditions Stock), et « Desolatio » et « Réouverture après travaux« , en 2007 (aux Éditions Galilée)

_ « La Fin dans le monde » n’étant pas alors encore paru : ce sera, aux Éditions Hermann, dans la collection « Le Bel Aujourd’hui«  aussi (que dirige Danielle Cohen-Lévinas), le 23 octobre 2009… _

et dans notre Histoire générale,

à partir du « modèle d’analyse de situation civilisationnelle » _ si j’ose pareille expression _ que Walter Benjamin a échafaudé, à la fin de la décennie 1930, pour « situer« , déjà, Charles Baudelaire (1821-1867), en son « Charles Baudelaire _ Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme« …

J’ai déjà signalé la (double) « incisivité » et de Michel Deguy, et de Martin Rueff ;

et leur singulière acuité d’attention

_ civilisationnelle, politique, « culturelle«  (avec les pincettes des guillemets : sur l’usage, spécifiquement, des guillemets (et autres tirets ; dont j’use et abuse !) par Michel Deguy, lire la passionnante analyse de Martin Rueff aux pages 407 à 420 (sur « la syntaxe de Michel Deguy« ) de ce décidément richissime « Différence et répétition » !.. _

à l’état et qualités du devenir de la civilisation :

ce n’est certes pas pour rien que sur le tout dernier _ et très récent : de tout juste deux mois ! _ essai de Michel Deguy, « La Fin dans le monde« ,

 je n’ai jusqu’à présent rien lu _ ni recension, ni même seulement mention factuelle _ dans aucun journal, ni revue : il a fallu la rédaction de mes articles (de ce blog !) et l’opération de « mise » de liens avec les collections de livres disponibles à la librairie Mollat pour que je « découvre » cette parution (en date du 23 octobre dernier : il y a donc exactement deux mois aujourd’hui) !

Et cela, outre la difficulté propre _ occasionnelle ? devenue consubstantielle ? à méditer !.. _ à la « réception » (par le lectorat, au-delà de son cercle de proches : à partir de celui des pairs !) de l’œuvre entier de Michel Deguy,

et dont il se plaint, non sans humour _ mais pas non plus sans amertume _, à Jean-Pierre Moussaron, dans la _ très précieuse, vraiment ! Michel Deguy ne « se livrant » (un tout petit peu) lui-même pas très souvent… _ préface, intitulée « Autobio« , en ouverture du « Grand cahier Michel Deguy« , aux pages 6 à 10, à propos de ce que lui même nomme son propre « ressassement » :

« Je me répète, et sans doute exagérément _ pour qui ? Et littéralement, un peu plus souvent qu’à l’heure«  (page 6) ;

en précisant (page 7) :

« Peut-être le plus intéressant, dans cette affaire de ressassement _ voilà donc le terme ! _ tient-il à la composition ; à mon tournemain _ à « former » : patiemment, sans précipitation ; en apprenant à bien « accueillir« , « réceptionner« , même, en toute sa variété (de surprise), la « circonstance« … : c’est délicat ; et demande toute une vie ; au point que c’en est peut-être, bien, en allant jusque là, la principale « affaire«  _, à ma façon de construire _ bien y penser !

Affaire d’abord, de progrès lents en pensée _ dont acte ! _, de tardive _ ne fait-on pas, maintenant, l’éloge des vins de « vendanges tardives » ?.. _ maturation ; voyage au long cours _ certes ! tout un charme… _ ; avance un mot puis l’autre ; assure le pas _ voilà ! d’abord sans assurance… _ ; recommence ; rebrousse et repars _ assurément ! à la godille !.. entre les mottes de terre grasse ; et en sautant aussi de sillon en sillon…

Ensuite : de la série. C’est comme en peinture et en musique _ oui : d’un Art à un autre, apprendre l’art très délicat, lui aussi (poïétique !), de « transposer«  avec le maximum de justesse (finesse, délicatesse, donc) de la « semblance« … ; sur un schème parent, lire « L’Altération musicale _ ou ce que la musique apprend au philosophe » de l’excellent Bernard Sève… _ : sériels, leit-motive, thème et variations, reprise ; sérialité _ par exemple chez Bach ; et le père, et les fils. L’esprit de série organise non seulement une séquence, un ensemble, mais _ surtout, telle la fine cerise sur le beau gâteau _ à l’échelle de l' »œuvre », en finalise l’unification _ et la « mise en place » de ce qui vient, ainsi, « s’ajointer« , et qui se découvre alors, « sur ce tard« , seulement… : il y faut donc tout cet assez long temps (de vie à vivre ; et ainsi, finalement, vécue) ; à commencer par la chance, inégale, d’« avoir vécu«  suffisamment longtemps, donc (et peut-être aussi, en sus, un peu « appris«  ; ce qui est loin d’aller de soi, si l’on peut en juger : autour de soi…) Cela, c’est-à-dire « durer«  un peu, de fait n’est pas uniformément donné à tous… : la mort faisant son ménage entre les locataires (éventuellement) concurrentiels du viager ! Sur la perte des aimés, cf le déchirant « Desolatio«  _,

L’esprit de série organise non seulement une séquence, un ensemble, mais à l’échelle de l' »œuvre », en finalise l’unification

secrètement et explicitement _ les deux : au lecteur, « indiligent« , dit notre Montaigne !, d’être un tant soit peu attentif ! sinon, « qu’il quitte le livre !« , avertissait en ouverture de ses « Essais » ce sublime Montaigne… ; un vrai grand livre se mérite aussi un tant soit peu… _ :

entre la structure et la multiplicité effective, pièce par pièce, item par item,

c’est la récurrence _ qui demande donc (voire exige, mais sans jamais le manifester directement…) un minimum de patience ; et l’accueil (hospitalier !), de la part du lecteur, tant de la pure et stricte « neuveté« , que de la « reprise » ; jamais tout à fait strictement identique, « indiscernable« , à la première occurrence pour soi, lecteur… _,

la hantise _ aussi (obsessionnelle ?), de l’échec (final) : de la sècheresse ; du tarissement ; de (l’idée de) la mort (là où le don du temps s’interrompra, se brisera, irréversiblement, cette fois-là) : quand, chaque fois que (nous) fait défaut assez de confiance… Avec la grâce efficace de son élan.

De l' »idée fixe« , disait Valéry, aux Variétés… On la reconnaît.

Le toujours-recherché se découvre au gré de la rencontre _ à qui le dit-on ? Cf mon propre article : « Célébration de la rencontre » ; plus joyeux, lui… Je ne trouve pas, je cherche.« 

Soit un texte majeur ! que cet « Autobio« , aux pages 6-7 du « grand cahier Michel Deguy« … Merci à Jean-Pierre Moussaron de l’avoir sollicité ; et obtenu ainsi…

Et fin de l’incise sur les difficultés de la « réception«  (générale et particulière) de l’œuvre de Michel Deguy

_ « le constat de l’échouage ne me quitte jamais« , page 7 ; peut-être du fait d' »une sous-estimation de la part des autres, qui _ décidément… _ ne me préfèrent pas« , encore page 7 (en note en bas de page : « préfèrent » étant surligné !) _,

en dehors, cependant, de son cercle  _ « infracassable« , lui : ce n’est certes pas peu ! page 12 _ d’amis très fidèles ; dont Martin Rueff (cf le colloque que celui-ci organisa à Cerisy : « L’Allégresse pensive » (dont les actes sont publiés aux Éditions Belin)…

Il existe, j’y reviens donc maintenant, un vrai problème _ endémique ! _ de diffusion de l’information, à travers les filtres _ trop « intéressés » ! pas assez « libres » (= désintéressés) ! les 9/10èmes du temps _ de la presse, des medias ;

et c’est fort modestement

_ eu égard à mon lectorat ! que je ne ménage certes pas non plus par la longueur invraisemblable (!) de mes articles, en plus de mon usage (ou abus ?) des guillemets, tirets, gras, parenthèses : à en donner le vertige, m’a même (gentiment) soufflé l’ami Nathan Holchaker ! _

que je m’étais décidé, pour ma (toute petite) part, à répondre favorablement à la demande de l’équipe directionnelle de la librairie Mollat d’ouvrir ce blog, « En cherchant bien« , ou « les carnets d’un curieux »

_ sur ce qu’est un « carnet« , lire ce qu’en dit, et combien magnifiquement !, Michel Deguy lui-même dans « P.S. : Du carnet à l’archive« , aux pages 193 à 195 du « grand cahier Michel Deguy » !.. J’en partage, et comment ! toutes les analyses et conclusions !

j’en prélève et exhausse, au passage, cette remarque-ci, page 193 : « Si je travaille en carnet, c’est pour ne rien laisser passe de l’inchoatif, insignifiant même _ mais cela est toujours à voir ; et à réviser… _ de la pensée naissante _ voilà ! La crainte est de perdre à jamais quelque vérité ; crainte d’amnésies partielles inguérissables«  _ d’une vérité l’ayant, tel l’Ange, croisé et « visité« , en vitesse (supersonique !), et si discrètement !.. Et c’est aussi cela, « Le sens de la visite«  ; cf cet opus majeur (paru aux Éditions Stock) que Michel Deguy nous a donné (à tous, les lecteurs amis potentiels) en septembre 2006…

que je m’étais décidé, donc,

d’ouvrir ce blog

le 3 juillet 2008, afin de « re-médier« , fort modestement, certes _ et même probablement très illusoirement : à la Don Quichotte brisant des lances devant (plutôt que sur, ou que contre…) les moulins à vent des hauteurs de La Mancha… _, à cette « difficulté » de « médiation » d’une authentique « culture »

_ hors champ du pseudo (= faux ! mensonger ! contributeur d’illusions !) « culturel » :

une des cibles si justifiées de Michel Deguy ! Ce « culturel«  qui se conforte, grassement, à rien qu’« identifier« , reconnaître, à la « Monsieur Homais«  (de « Madame Bovary«  : Flaubert : expert en bêtise de fatuité !) ; au lieu de se laisser déporter par le jeu des différences actives de la « semblance«  et de la « différance« 

Et j’en partage ô combien ! le diagnostic avec Martin Rueff, qui en fait _ de ce « culturel« -ci… _ le décisif chapitre II (de base !) de son essai (de la page 59 à la page 96) :

car c’est bien ce « culturel« -là que désigne l’expression cruciale du sous-titre de l’essai : « à l’apogée du capitalisme culturel » ;

là-dessus, lire, aussi, les travaux (lucidissimes) de Bernard Stiegler et de Dany-Robert Dufour : par exemple « Mécréance et discrédit _ l’esprit perdu du capitalisme« , pour le premier ; et « Le Divin marché _ la révolution culturelle libérale« , pour le second… _,

à partir d’une « curiosité » qui soit « vraie » et réelle _ c’est-à-dire, pour « réelle« , effective : au fil des jours, et des mois, des saisons, des années ; au fil renouvelé (c’est une condition sine qua non !) du temps ! encore une problématique cruciale et de Michel Deguy, et de Martin Rueff ! _, et pas marchande ou de propagande (ni de divertissement ; d’entertainment !) : je dois être bien naïf, encore à mon âge (et en cet « âge » : du « capitalisme culturel« ) !..

Fin de l’incise.

et ce n’est certes pas pour rien que le dernier essai de Michel Deguy

s’intitule « La Fin dans le monde« …

Le plan de l’essai « Différence et répétition » de Martin Rueff :

Après un « Avertissement«  qui explicite le projet de l’essai et ses enjeux terriblement concrets _ et dont rend compte la quatrième de couverture

que voici :

« Les questions des spécialistes de la poésie ne sauraient être étrangères _ voilà la mission ! casser cette « étrangèreté«  préjudiciable (à la connaissance ; et à la re-connaissance, aussi, de ce qui vaut « vraiment«  !)… _ au public le plus large. J’ai voulu mettre face à face _ oui _ ceux qui ont fini par se tourner le dos : les poètes et leurs lecteurs professionnels, chagrins de la désaffection du grand public, le grand public, irrité _ lui _ de la difficulté des propositions de la poésie contemporaine. Je me suis demandé pourquoi l’art moderne _ plastique au premier chef _ avait réussi à imposer ses visions _ en formes d’images ?.. _, et pas la poésie. Il fallait donc s’expliquer, et expliquer ce que font les poètes _ voilà !

En consacrant une étude à Michel Deguy, l’un des plus grands poètes français contemporains, je me suis donc proposé de procéder comme un critique d’art : me situer _ en cette enquête _ sur le plan même _ poïétique ! _ de la création d’un inventeur de formes _ ce qui « fait » et « réalise » l’humanité effective ! à la place des « fantômes » et « zombies » en quoi on nous « vampirise«  et réduit…

Je me suis demandé ce qui faisait la singularité de Michel Deguy. J’ai trouvé que sa poésie et sa poétique rencontraient la question _ notamment philosophique _ qui a dominé la pensée et l’existence _ rien moins ! _ depuis une bonne cinquantaine d’années : celle du rapport de l’identité et de la différence. Comme il est hautement révélateur que cette rencontre ait d’abord _ du fait de sa position « en première ligne » ? _ eu lieu en poésie _ oui ! par son hyper-sensibilité extra-lucide fulgurante à son meilleur ! _, j’ai compris que la « question » du rapport poésie et philosophie était mal posée. » MARTIN RUEFF

I. Différence et identité _ pages 37 à 58.

II. Le culturel _ pages 59 à 96.

III. La poésie _ pages 97 à 192.

IV. La poétique profonde _ pages 193 à 230.

V. Le poème _ pages 231 à 406.

Suivis de deux « Annexes«  :

_ Identité et différence dans la prose _ pages 407 à 426.

_ Identité et différence entre les langues : attachement en langue et fidélité en traduction _ pages 427 à 440.

 L »approche » de Martin Rueff se fait de plus en plus précise _ et c’est passionnant de le suivre ! _ :

du « cadre » le plus général (bien concret et bien historique ! nous « emportant » !.. à analyser et faire mieux connaître !)

_ ne perdons pas de vue qu’il s’agit de « comprendre« , en l' »éclairant« , une « situation » artistique (« en tension » ; mais quel Art vrai n’est pas « en tension » ?.. sauf qu’ici la « tension » devient de plus en plus « terrible«  : celle d’« un poète lyrique« , et en l’occurrence, Michel Deguy, tout uniment poète et philosophe !, « à l’apogée du capitalisme culturel » (assez peu soucieux de l’exigence de vérité de la poésie ; pas davantage que de l’exigence de vérité de la philosophie : sinon pour ses propres usages « culturels« …), qui se déploie de plus en plus allègrement depuis 1950 jusqu’à aujourd’hui, et tout spécifiquement en ce nouveau « millénaire«  sans contre-poids (politique, notamment !) au marchandising mondialisé… ; pour une « tension » plus « terrible«  encore, en ses violences « déchaînées« , du moins, cf le travail irremplaçable (!) de Claude Mouchard : « Qui, si je criais…? Oeuvres-témoignages dans les tourmentes du XXème siècle« , paru aux Éditions Laurence Teper le 3 mai 2007…) _

_,

aux actes très précis par lesquels,

se démarquant du « culturel« ,

le poète (et philosophe) Michel Deguy cerne sa conception _ tant théorique que pratique : indissociablement ! et il est d’abord un écrivant de poèmes ! _ de la poésie

et d’une « poétique profonde » ;

pour analyser au plus près _ vers à vers, et avec quelle lucidité ! _ ce qui se construit dans « le poème« , item après item, œuvre après œuvre, de 1959 à aujourd’hui _ cela fait cinquante ans de cette écriture « creusante«  _, du poète…

Michel Deguy : « Poème, qu’il prolonge le moment de l’éveil ! Le vent aux sabots de paille sur le seuil !«  _ in « Poèmes de la presqu’île« , en 1961.

Martin Rueff commente : « Poème éveil à l’inattendu survenu en surplus d’affluence ; poème disponibilité aux différences du temps rendues simultanément actuelles« , page 385.

Michel Deguy : « Le présent, dit-il, est ce qui s’ouvre. Donc n’est pas sur le mode de ce qui contient, ou maintient en soi ; mais est ce qui est disjoint, déhiscent, disloqué, frayé _ venteux, inspiré«  _ in « Donnant donnant« , en 1981.

Martin Rueff : « Le poème saisit _ oui ! _ le lecteur au présent de la langue _ voilà _ et, par lui, la langue semble comme « rendre présent » _ oui, et en sa dérobade même _ le présent lui-même : frisson lyrique, intensité par où le poète touche, émotion quand la poésie rencontre _ oui _ le rythme profond de l’existence _ c’est tout à fait cela ! La proposition lyrique, énoncée au présent de l’indicatif, rassemble les présents et les offre au lecteur« , page 385 _ pour qu’il les fasse aussi, en cette parole énoncée, prononcée, proférée, siens… C’est superbe de vérité !

Avec cette conclusion-ci, de tout l’essai, page 406 :

« Il y a bien une raison poétique _ ni déraison, ni flatus vocis, ni mensonge… _ qui est aussi la raison des poèmes. Écrits au présent de la circonstance _ qu’il fallait « accueillir«  _, ils inaccomplissent _ en leur mouvement même, émouvant (lyrique !), de profération _ l’accompli _ des faits, des gestes (de la vie) _ pour ineffacer _ un peu, toujours _ le devenu incroyable _ une formulation de Michel Deguy sur laquelle Martin Rueff a bien fait porter toute la force de son analyse.

Martin Rueff évoque aussi, à cet égard (capital !) de l’« ineffacer le devenu incroyable« , la « réception«  active (= créatrice à son tour), par Michel Deguy du film « Shoah«  de Claude Lanzmann

(fruit de douze ans pleins de « penser au travail« , filmique, d’image-mouvement, du cinéaste qu’est devenu Claude Lanzmann, en sa propre lente maturation d’artiste-créateur !

_ cf là-dessus mes 7 articles de cet été 2009 à propos du « Lièvre de Patagonie«  : de « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ présentation I« , le 29 juillet, à « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ dans l”écartèlement entre la défiguration et la permanence”, “là-haut jeter le harpon” ! (VII)« , le 7 septembre… _)

: le magnifique « Au sujet de Shoah, le film de Claude Lanzmann« , que Michel Deguy a publié aux Éditions Belin, dans la collection « L’Extrême contemporain« , en 1990…

La poésie dresse _ oui ! _ la lucidité _ oui ! _ de ses « visions » et de ses « imageries logiques » contre _ oui : avec « incisivité » !.. _ les mythes de la littérature rendus puissants _ hélas, comme armes de propagande du marchandising ! _ par l’indifférence _ terriblement affadissante _ culturelle _ nihiliste : d’où la situation moribonde de la poésie aujourd’hui auprès du plus large « public«  (?) d’« humains« , « se dés-humanisant«  petit à petit, ainsi « dé-poïétisés«  eux-mêmes (cf les admirables, vraiment ! « Homo spectator«  de Marie-José Mondzain et « L’Acte esthétique«  de Baldine Saint-Girons) ;

telle la grenouille très progressivement (= insensiblement ; sinon elle s’échapperait en sautant très vite hors du bocal !) ébouillantée, sans en prendre, ainsi, jamais véritablement conscience : sans rien ressentir ; car on ne ressent que « différentiellement«  !

Porteuse de nouvelles différences _ se renouvelant par sa propre inlassable curiosité ! _, la promesse _ de vérité proprement ressentie _ des poèmes sans illusion _ de Michel Deguy :

« sans illusion«  bien (réflexivement) ressenti, cela aussi ! grâce à cette « poétique profonde » (et profondément mélancolique, aussi, dans son cas : sans la moindre auto-complaisance ! quant au savoir du devoir, un jour, cesser de vivre ; du ne pas avoir encore, indéfiniment, du temps à soi, ou à donner à d’autres, devant soi…)

grâce à cette « poétique profonde »

pas à pas mise en œuvre… _

Porteuse de nouvelles différences, la promesse des poèmes sans illusion, donc,

n’est pas vaine« …

C’est contre cette terrible force d’asphyxie de ce qui illusionne (depuis pas mal de temps : en l’ère, sinon même « à l’apogée« , « du capitalisme culturel » ; en l’ère du marchandising déchaîné…)

que Martin Rueff a mis la force d’analyse de son essai de « situation« 

d' »un poète lyrique » tel que Michel Deguy…

Grand merci, Martin, pour nous tous,

tellement « endormis« , « anesthésiés« , par cet appendice « culturel » de la déshumanisation 

et cela,

ô combien risiblement!,

pour le profit si vain _ abyssalement ridicule ! _ de quelques marchands ; et profiteurs _ de quoi jouissent-ils donc tant ? du jeu mesquin (et sadique) de leur « nuire«  ?.. _ de « pouvoir » !

Peut-être bien que, socialement du moins, « money is time » ;

mais le temps et le vivre _ qui nous sont octroyés déjà biologiquement par une certaine « espérance de vie« , même (et parfois dans des proportions de variation considérables !) variable socio-historiquement… _ méritent-ils d’être « ainsi » _ qualitativement veux-je dire _ vendus ?  

C’est de cela que Kafka _ par exemple en son « Journal«  _ savait _ et combien ! inextinguiblement !.. _ rire !

Cf aussi,

après le « Tout est risible quand on pense à la mort » de l’incomparable Thomas Bernhard _ cf son indispensable autobiographie (« L’Origine » ; « La Cave » ; « Le Souffle » ; « Le Froid » & « Un enfant » ; item après item…) ; ainsi que son ultime sublime roman-cri : « Extinction _ un effondrement« ,

aujourd’hui Imre Kertész :

lire son immense terrible « Liquidation » !

Merci, cher Martin Rueff,

de ce beau travail,

quant au devenir de l' »humain » ; en « situation » d' »anesthésie » (telle la grenouille ébouillantée lentement)…

La poésie n’est pas, non plus que la philosophie, des plus mal placés

pour le penser (et ressentir) « en vérité« …

A fortiori quand, comme avec Michel Deguy, ainsi que vous-même,

elles vont de concert !!!

Titus Curiosus, ce 23 décembre 2009

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