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L’intense superbe filiation musicale, et même réciproque, entre Carl-Philipp-Emanuel Bach (Weimar, 1714 – Hambourg, 1788) et Georg-Philipp Telemann (Magdebourg, 1681 – Hambourg, 1767), le filleul et le parrain : le passionnant CD cpo « Telemann – CPE Bach – Veni sancte spiritus – Festive Cantatas » des Rheinische Kantorei et Das Kleine Konzert dirigés par Hermann Max en 2014, et ses suites…

04août

C’est la trouvaille inattendue parmi les très divers CDs soldés en ce moment chez mon disquaire préféré d’un passionnant CD cpo 777 946-2 « Telemann – CPE Bach – Venice sancte spiritus – Festive Cantatas » _ enregistré à Magdebourg les 14 et 15 mars 2014, et paru chez cpo en 2016…  _ par les Rheinische Kantorei et Das Kleine Konzert sous la direction de leur chef Hermann Max (né à Goslar le 26 mars 1941) cf ici un intéressant compte-rendu critique (en anglais) de ce CD par Johan van Veen paru en 2018 ; je n’en ai pas trouvé en français…  _,

ainsi que le constat, toujours renouvelé, de la profonde filiation musicale entre Carl-Philipp-Emanuel Bach (Weimar, 8 mars 1714 – Hambourg, 14 décembre 1788) et son très cher parrain Georg-Philipp Telemann (Magdebourg, 14 mars 1681 – Hambourg, 25 juin 1767), à l’écoute de de ce splendide CD _ qui, dois-je dire, était passé à sa parution en 2016, sous la vigilance de ma curiosité pourtant éminemment fidèle envers ces deux compositeurs que j’aime profondément, tous les deux _,

qui m’a vivement incité à revenir fouiller dans les rayons de ma discothèque personnelle _ riche d’environ 80 CDs CPE Bach patiemment thésaurisés au fil du temps… _ afin d’y retrouver, et bien sûr surtout ré-écouter _ et c’est chose faite, et bien faite, ce dimanche matin _, les albums des 4 principaux oratorios _ dixit le texte de présentation, par Eckardt van den Hoogen, du CD EMI des « Ultimes souffrances du Sauveur », paru en 1987… _ du cher CPE Bach, qui sont ainsi à ma disposition :

_ »Les Israélites dans le désert« , wq 238, composé en 1769 : il s’agit du CD Harmonia Mundi HMC 901321, par les Arts Florissants sous la direction de William Christie, enregistré à Lindlar au mois de décembre 1988 ;

_ « Les Ultimes souffrances de notre Sauveur« , wq 233, composé en 1770 _ un chef d’œuvre absolu (et musical et discographique !) que je porte au pinacle ; et dont je me stupéfie de ne lui avoir jamais jusqu’ici consacré le moindre article ; je n’en reviens d’ailleurs toujours pas… _ : il s’agit du prodigieux double CD EMI 7 47753 8, par La Petite Bande sous la direction de Sigiswald Kuijken, enregistré à Gemeende du 21 au 28 février 1986 _ je n’ai hélas trouvé ni podcast ni vidéo de cette magistrale interprétation, en 1986, de ce chef d’œuvre de Carl-Philipp-Emanuel Bach, par La Petite Bande, sur le web : voilà qui est proprement stupéfiant !.. _ ;

_ « Résurrection et Ascension de Jésus« , wq 240, composé en 1777-1778 : il s’agit du double CD Capriccio 10 206/207, par la Rheinische Kantorei et Das Klein Konzert dirigés par Hermann Max, enregistré à Wuppertal au mois d’octobre 1984 ;

_ « Chant matutinal pour la fête de la Création« , composé en 1783-1784 : il s’agit du CD Capriccio 10 208, par la Rheinische Kantorei et Das Klein Konzert dirigés par Hermann Max, enregistré à Wuppertal le 4 mai 1987.

De fait, me stupéfie aussi la filiation si je puis dire réciproque _ mais oui ! et pas à sens unique, donc… _ et absolument manifeste à l’écoute, pour ce qui concerne les dates de composition (1756, 1756, 1760, 1760 et 1762) des 5 œuvres de Georg-Philipp Telemann (1681 – 1767) et Carl-Philipp-Emanuel Bach (1714 – 1788) _ leur écart d’âge était donc de 33 ans ! _ interprétées ici en ce CD :

_ 1756 pour le « Gott hat den Herrn auferwecket » Wq 244 de CPE Bach _ je n’en ai hélas pas trouvé de podcast ni de vidéo disponible sur le web… _ ;

_ 1756 aussi pour le « Veni sancte spiritus » TWV 3:83 de Telemann ;

_ 1760 pour le « Veni sancte spiritus » TWV 3:84 de Telemann _ regardez-en ici la vidéo (d’une durée de 2′ 04) _ ;

_ 1760 encore pour le « Trauret ihr Himmel » TWV 1:1714 de Telemann _ regarder ici ces 3 vidéos-ci : 1 (de 3′ 31), 2 (de 49″) et 3 (de 48″) ; et écouter ces 2 podcasts-là : 1 (de 1′ 58) et 2 (de 48″) d’extraits de cette superbe cantate festive, de 1760… _ ;

_ et 1762 enfin pour le « Er neigte den Himmel » TWV 1:467 de Telemann regarder ici cette vidéo d’un extrait (d’une durée de 2′ 46) de cette autre très belle cantate festive de Georg-Philipp Telemann, composée, elle, en 1762…

en sachant qu’à ces date-là le parrain Georg-Philipp résidait, lui, et depuis 1721, directeur des 5 églises principales de la ville, à Hambourg,

et son cher filleul bien aimé (et futur successeur, à Pâques 1768, au prestigieux siège de Hambourg), à la cour de Berlin…

Et sur ce précieux point historique, consulter l’éclairante très détaillée présentation, intitulée « Church Music by Georg Philipp Telemann and Carl Philipp Emanuel Bach » de Ralph-Jürgen Reipsch, de Magdebourg, aux pages 15 à 18 du livret de ce CD…

De tempérament heureux et généreux (et très ouvert !), Georg Philipp Telemann _ cf ici mon article «  » en date du 25 juin 2017 _ avait très grand souci de la transmission musicale particulièrement auprès des nouvelles générations, et n’a cessé sa vie durant d’entretenir les plus affectueux et encouragents rapports avec ses jeunes confrères compositeurs _ dont son génial filleul (et futur successeur expressément choisi par lui pour lui succéder à Hambourg après son décès) : Carl-Philipp-Emanuel Bach… _, et pas seulement en Allemagne…

Et c’est probablement la gloire posthume    à partir du revival de Bach par les soins de Felix Mendelssohn, à Berlin, en 1829… _ de son confrère et ami Johann-Sebastian Bach, qui, peu à peu, à l’époque romantique d’abord, a mis en recul et quasi effacé _ bien à tort ! _ la réputation et la gloire musicales de Georg-Philipp Telemann auprès des amoureux de la musique…

Et probablement doit-on en dire tout autant du rapport de réputation et gloire musicales existant aujourd’hui, en 2024, entre Carl-Philipp-Emanuel Bach, le fils (1714 – 1788), et Johan-Sebastian Bach, le père (1687 – 1750) : l’ombre portée du père fait bien à tort mésestimer encore maintenant l’œuvre magnifique du fils…

Ce vraiment passionnant CD cpo de « Festive Kantaten » de Telemann et CPE Bach, paru donc en 2016, est décidément un peu trop passé inaperçu de la plupart des critiques discographiques, au moins en France.

Ce dimanche 4 août 2024, Titus Curiosus – Francis Lippa

Musiques de joie : le délicieux Aria « Bist du bei mir » (de Gottfried-Heinrich Stölzel) du second Petit Livre de Clavier d’Anna-Magdalena Bach, en 1725, par Sibylla Rubens et Michael Behringer

27mai

Parmi les musiques de joie pures et fondantes de tendresse

_ et marquantes, dans le souvenir du mélomane un peu familier de quelques riches recoins de l’œuvre multiforme de Bach _,

sonne toujours en la mémoire _ reconnaissante _

le délicieux petit Aria Bist du bei mir,

noté en 1725 dans le second Petit Livre pour le Clavier d’Anna-Magdalena Bach ;

longtemps attribué à Johann-Sebastian Bach sous le numéro de catalogue BWV 508 

_ c’est seulement en 2000 qu’un exemplaire de la partition d’origine, considérée jusqu’alors comme comme perdue, a été retrouvé …au conservatoire de Kiev _,

il est, en fait, extrait de l’opéra de Gottfried-Heinrich Stölzel (Grünstädtel, 13 janvier 1690 – Gotha, 27 novembre 1749)

Diomède, ou l’innocence triomphante,

représenté le 16 novembre 1718 à Bayreuth _ Stöltzel et Bach se sont rencontrés et ont tissé des liens d’amitié musicale…

Bist du bei mir, geh’ ich mit Freuden
zum Sterben und zu meiner Ruh’.
Ach, wie vergnügt wär’ so mein Ende,
es drückten deine schönen Hände mir die getreuen Augen zu !
Si tu restes avec moi, alors j’irai en joie
Vers ma mort et mon doux repos.
Ah ! comme elle serait heureuse, ma fin,
Tes jolies mains fermant mes yeux fidèles !

L’interprétation _ adorable ! _ de Sibylla Rubens, soprano, avec le clavecin de Michael Behringer,

dans le double CD Clavier-Büchlein für Anna Magdalena Bach, 1725,

de l’édition bachakademie, du label Hänssler 106, en 1999,

me paraît convenir admirablement,

en son émouvante sobriété et parfaite justesse d’expression,

à ce que pouvait être la pratique, au quotidien, d’Anna-Magdalena _ qui était cantatrice _, et des siens, au domicile des Bach, en 1725, à Leipzig :

c’était le 22 mai 1723 que la famille Bach s’était installée à Leipzig, où Johann-Sebastian Bach avait obtenu, le 22 avril 1723, le poste de Kantor à l’église Saint-Thomas ; poste laissé vacant par le décès du Kantor précédent, Johann Kuhnau, le 5 juin 1722…

Et Anna-Magdalena Wilcke (Zeitz, 22 septembre 1701 – Leipzig, 27 février 1760),

cantatrice, donc,

était devenue le 3 décembre 1721, à Köthen, la seconde épouse de Johann-Sebastian Bach,

veuf, au mois de juillet 1720, de sa première épouse Maria-Barbara Bach, à Köthen le 3 décembre 1721.

Anna-Magdalena Bach eut alors à élever les 4 enfants orphelins de leur mère Maria-Barbara :

Catharina-Dorothea (Weimar, décembre 1708 – Leipzig, 14 janvier 1774),

Wilhelm-Friedmann (Weimar, 22 octobre 1710 – Berlin, 1er juillet 1784),

Carl-Philipp-Emanuel (Weimar, 8 mars 1714 – Hambourg, 14 décembre 1788)

et Johann-Gottfried-Bernhard (Weimar, 11 mai 1715, Iéna, 27 mai 1739) ;

 

et Anna-Magdalena Bach eut elle-même 13 enfants, nés de 1723 à 1742,

parmi lesquels les compositeurs Johann-Christoph-Friedrich (Leipzig, 21 juin 1732 – Bückeburg, 26 janvier 1795) et Johann-Christian (Leipzig, 5 septembre 1735 – Londres, 1er janvier 1782) ;

son aînée a été Christiana-Sophia-Henrietta (Leipzig, printemps 1723 – Leipzig, 29 juin 1726) ;

et sa petite dernière _ la treizième _ est Regina-Susanna (Leipzig, 22 février 1742 – Leipzig, 14 décembre 1809).

On trouve sur le web plusieurs vidéos

à divers titres intéressantes _ ou à divers titres frustrantes _

de ce délicieux Bist du bei mir :

j’apprécie particulièrement

l’interprétation sobre et émouvante _ sans maniérisme aucun, comme il se doit _, du ténor anglais _ très heureusement familier du répertoire (et interprétations) baroques _ Charles Daniels, en 2018 ;

ou celle _ probablement assez proche de ce que devait être la pratique, au quotidien, des enfants Bach, chez eux, à Leipzig, en 1725 _ du petit garçon tchèque David Cizner, âgé de 10 ans _ il est né le 12 février 2002 à Prague _ en 2012 ;

et un peu moins, celle, un peu trop opératique à mon goût, de la grande Janet Baker, en 1973 ;

ou celle, un peu trop lente et doloriste, de la si souvent merveilleuse Aafje Heynis, en 1956 

_ ces deux interprétations-là antérieures à ce qu’a permis d’apprendre le revival baroque des Deller, Leonhardt, Harnoncourt…

Mais aucune de celles-ci n’a la fraîcheur et la merveilleuse évidence _ de Hausmusik , en 1725, à Leipzig… _

de l’interprétation du CD Hänssler

par Sibylla Rubens et Michael Behringer :

à écouter ici

Comparer des interprétations est aussi assez intéressant ;

cela aide à se former le goût…

Ce mercredi 27 mai 2020, Tituss Curiosus – Francis Lippa

Musiques de joie : l’enthousiasme de l’Emfindsamkeit du très grand Carl Philipp Emanuel Bach

09avr

Parmi mes compositeurs préférés,

Carl Philipp Emanuel Bach

(Weimar, 8 mars 1714 – Hambourg, 14 décembre 1788)

fils de Johann Sebastian (Eisenach, 21 mars 1685 – Leipzig, 28 juillet 1750),

et filleul de Georg Philipp Telemann (Magdebourg, 14 mars 1681 – Hambourg, 25 juin 1767)

_ et à la mort de son parrain, Carl Philipp Emanuel lui succède à ses prestigieux postes de Hambourg : 

c’est en 1768, un an après la mort de Georg Philipp Telemann, que la candidature de Carl Philipp Emanuel Bach est en effet retenue

et qu’il est nommé Director Musices de la ville de Hambourg :

poste qu’il occupera les vingt années suivantes, jusqu’à son décès qui surviendra en 1788.

La musique de CPE Bach a certes de qui tenir,

tant du côté de son père

que du côté de son parrain, d’abord ;

mais avec, aussi, en propre,

une magnifique et époustouflante expression _ enthousiasmante _ de l’idiosyncrasie de cet immense compositeur.

Comme expression de cette joie absolument exaltante de ces diverses musiques,

j’ai choisi un admirable CD , intitulé Magnificat

dans une interprétation du Rias Kammerchor

et de l’Akademie für Alte Musik Berlin,

magistralement dirigés par le merveilleux Hans-Christoph Rademan

_ soit le CD Harmonia Mundi HMC 902167, paru en 2014 _

comportant,

outre le magique et bouleversant Magnificat, Wq 215

_ en une interprétation d’un dynamisme envoûtant ! Rademan a un talent exceptionnel ! _,

le Motet « Heilig ist Gott« , Wq 217,

et la célèbre Sinfonie en Ré Majeur Wq 183/1.

Et je complète mon choix discographique par un autre CD paru lui aussi en 2014

_ c’était l’année-anniversaire du tricentenaire de la naissance du compositeur, à Weimar en 1714

qu’il fallait honorer à sa juste et très brillante mesure ! _ :

le CD CPE Bach Concertos & Symphonies

_ le CD Deutsche Harmonia Mundi 88843004252 _

des Berliner Barock Solisten,

sous la direction de l’excellent chef et violoniste Gottfried von der Golz


comportant le Concerto pour flûte, cordes et basse continue en ré mineur Wq 22,

le Concerto pour Hautbois, cordes et basse continue en Si bémol Majeur Wq 164,

et les deux Sinfonie pour cordes et basse continue en La Majeur et Si mineur Wq 182/4 et 182/5

_ ici encore, une interprétation parfaitement exaltante ;

idéalement idoine au génie singulier et tellement vivant de Carl Philipp Emanuel…

Ce jeudi 9 avril 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

Grandeur de Telemann : les 6 Sonatas à Violon seul accompagné par le clavecin (de Francfort en 1715)

16déc

L’œuvre de Georg Philipp Telemann (1681 – 1767)

est immense, très variée

et aussi très vaste ;

et elle n’a pas encore le retentissement présent

de celle de son ami Johann Sebastian Bach (1685 – 1750).

Son étendue est telle,

que,

à la différence de celle de son ami Bach,

bien de ses œuvres demeurent encore inédites à l’enregistrement discographique,

comme au concert :

un chantier à continuer de visiter-explorer

pour nore réjouissance la plus grande…

Le CD Frankfurt Sonatas

_ le CD Aparté AP217 _,

de Gottfried von der Goltz, au violon,

avec, au continuo,

Annekatrin Beller, au violoncelle,

Torsten Johann, au clavecin ou à l’orgue,

et Thomas C. Boyse, au théorbe,

nous révèle en toute sa plénitude

un merveilleux splendide opus 1 du compositeur

_ opus peu enregistré jusqu’ici

(par Stephan Schardt, violon, Elisabeth Wand, violoncelle et Sonja Kemnitzer, clavecin, chez MDG, en janvier 2014 ; et par Valerio Losito, violon, et Federico Del Sordo, clavecin, chez Brilliant en février 2017) ;

mais cette présente réalisation-ci par Gottfried von der Goltz,

avec un continuo diversifié et splendide, de même que le jeu du violoniste est d’une admirable finesse et vie,

est proprement sublime ! _ :

du niveau _ pas moins ! _ des chefs d’œuvre équivalents de Bach…

On y trouve le goût telemannien

de ce que François Couperin appellera en sa publication, en 1722, à Paris, de ses Concerts royaux de 1714 et 1715, « les goûts réunis« ,

je veux dire les inspirations et styles français et italiens,

en une merveilleuse et magnifiquement inventive admirable synthèse

proprement telemannienne…

Il faudrait aussi se pencher un peu sur les biographies respectives de Telemann et de Bach

pour mieux préciser dans quelles circonstances et comment

ils ont pu échanger et enrichir mutuellement leurs inspirations et inventions musicales…

Déjà, je me souviens que Carl Philipp Emanuel Bach,

né le 8 mars 1714 à Weimar,

comporte parmi les parrains de son baptême

Georg Philipp Telemann…

En 1715, Telemann et Bach étaient donc déjà amis…

En tout cas,

voici un parfait CD Telemann,

nécessaire et merveilleusement jouissif  !

D’une séduction absolue !!!

Ce lundi 16 décembre 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’empire de l’illusion : pour tenter de comprendre enfin ceux qui n’ont pas bien su voir venir la dévoration du Cyclope nazi

08fév

Comme promis hier,

en mon troisième article à propos de 1938, nuits :

j’en viens à l’amorce de solution qu’esquisse, peu à peu _ sans cuistrerie surplombante, et sans lourdeur jamais, tout est parfaitement le plus discret-léger et subtil possible _, Hélène Cixous, en son 1938, nuits,

à l’énigme de ceux qui se sont _ peut-être incompréhensiblement, du moins invraisemblablement, pour nous aujourd’hui, en un regard rétrospectif nôtre souvent beaucoup trop généralisateur, pas assez attentif-respectueux, porté à-la-va-vite qu’il est la plupart du temps !, de l’idiosyncrasie de détail des situations personnelles particulières, voire singulières, ainsi que des macro- ou micro-variations de celles-ci aussi, et c’est crucial, dans le temps… _ progressivement laissés piéger, et in fine briser-détruire, par les mâchoires du Cyclope nazi _ « Clac ! Cyclope amélioré » _,

dont ils n’ont pas assez su bien voir venir _ pour prendre des mesures préventives suffisamment efficaces pour leur sauvegarde vitale personnelle ! _ la dévoration.

Et dont cet opus-ci tout entier, 1938, nuits,

avec son amorce de solution _ nous le découvrirons _ à l’énigme que je viens d’évoquer _ celle de la dévoration dont ont été victimes un grand nombre des siens _,

se révèle constituer, pour Hélène Cixous, l’auteure et narratrice du récit, une sorte de moyen de fortune _ d’imageance par l’écriture _ pour parvenir à « soulever » et « toucher » vraiment Omi _ ces mots absolument cruciaux sont prononcés à la page 107, et c’est pour moi rien moins que le (discret) cœur battant de ce livre !!! _, Omi sa grand-mère _ décédée le 2 août 1977 _afin de réussir par là à obtenir de celle-ci  une sorte d’analogue _ les personnalités, bien sûr, diffèrent beaucoup ! _  à la très chère conversation post-mortem qu’Hélène maintient et perpétue, avec une formidable vivacité, avec Ève, sa mère, plus récemment _ le 1er juillet 2013 _ décédée…

Continuer de très richement converser post-mortem avec ses plus proches,

sur les modèles donnés par Homère _ avec Ulysse _, Virgile _ avec Énée _, Dante _ avec lui-même et Virgile _,

et aussi Montaigne, Shakespeare, Proust, Kafka, etc. _ soit la plus vraie et belle littérature comme secours de vie, par transmission de la benjaminienne Erfahrung aussi.

La splendide _ quel art ! _ expression « Clac ! Cyclope amélioré » _ à la pointe de la modernité technique et technocratique de dernier cri ! des nazis (au premier chef desquels le diaboliquement ingénieux Reinhard « Heydrich SS Gruppenführer« ) _, page 116,

utilisée à propos de cette dévoration d’un grand nombre des siens par l’hyper-efficace ogre nazi,

intervient au sein d’un _ admirable, une fois de plus _ essai de caractérisation, pages 115-116, de ce que fut, d’abord _ en quelque sorte prototypique _, l’Aktion nazie :

« L’Action ?, dit mon fils _ c’est lui qui parle ici, dans la conversation suivie, de fond (effective ou bien imaginée par l’auteure, à son écritoire), avec Hélène, sa mère ; lui, ainsi que sa sœur : les deux assistant activement (dans le récit, au moins, mais effectivement déjà aussi, c’est plus que possible : probable) leur mère dans son enquête-méditation. Hélène Cixous, comme Montaigne, n’aime rien davantage que converser vraiment, en pleine vérité, ou recherche impitoyable et sans concession aucune, de vérité-justesse. Avec des absents comme avec des présents. Et avec certains absents (tels que certains défunts, aussi), la conversation-interlocution peut aller parfois plus profond dans le questionnement-méditation de fond réciproque : Montaigne nous en donne l’exemple parfait en ses Essaisafin de pallier la terrible défection de son irremplaçable partenaire de conversation, La Boétie.

En-acte s’oppose à en-rêve.

L’Action consomme le rêve _ le court-circuite et détruit.

C’est pas imaginable

_ pour des personnes en pleine santé mentale ; ce qui peut aider à comprendre la réelle difficulté d’anticipation-représentation de la part de pas mal, sinon la plupart, des contemporains de ces « Événements » nazis, en commençant par les victimes elles-mêmes, foudroyées dans leur sidération et, bientôt, tétanie (et nous ne quittons certes pas ainsi la question

(à venir dans la méditation-conversation du texte ; je veux dire le dialogue poursuivi entre Hélène et ses deux enfants ; et parfois même aussi sa mère, Ève, quand celle-ci, quoique décédée le 1er juillet 2015, décide d’intervenir d’elle-même en un rêve de sa fille, Hélène)

de l’illusion : nous y venons, tout au contraire !) _,

on n’imagine pas,

_ mais _ on le fait _ ce si peu « imaginable« « on«  l’agit-exécute, cet inimaginable, pour ce qui concerne les « Aktionneurs« -exécuteurs, rendus absolument serviles, à la seconde même de l’ordre, des décideurs-donneurs d’ordre, en leur obéissant aveuglément-automatiquement, à ces ordres, à la seconde même, de la dite « Aktion« .

Les prisonniers _ bétail à KZ, ici _ ne pouvaient _ eux-mêmes _ imaginer _ avec tant soit peu de réalisme prospectif lucide _ les nazis,

ces gardiens

qui eux-mêmes non plus, méthodiquement décérébrés qu’ils sont ; cf la très intéressante analyse du détail du processus de décérébration proposée par Harald Welzer en son très intéressant Les Exécuteurs _ des hommes normaux aux meurtriers de masse _ n’imaginent pas

et qui font _ appliquent-exécutent à la seconde même (selon l’élémentaire schéma-réflexe, Stimulus/Réaction) de tels ordres reçus-aboyés.

Les gens d’Aktion ne se représentent pas _ ni eux-mêmes, ni ce qu’ils font ; et encore moins autrui (autrui n’existant plus, annihilée-néantisée-pulvérisée qu’est désormais la personne).

Ils dorment _ absolument : d’un sommeil de massue ! _ sans rêve.

Ça s’appelle Aktion

parce que c’est _ _ seulement faire.

Même pas seulement faire.

Pouf ! Pan !

Un mouvement _ unique : même pas en deux temps – trois mouvements ; ce serait bien trop complexe (pouvant laisser le temps d’une malencontreuse seconde de prise de conscience-réflexion-interrogation-doute : contreproductive ! _ : c’est fait.

Je reste saisi _ au masculin : c’est donc le fils d’Hélène qui décompose ici, devant sa  mère, la mécanique foudroyante hyper-efficace de l« Aktion » !.. _

devant l’Aktion _ emblématique de bien d’autres qui vont bientôt la suivre _ de la Nuit de Cristal

_ cette nuit-« Événement » déjà un peu spéciale (ne serait-ce qu’en tant que la toute première de son espèce, et devenant modèle) du 9 au 10 novembre 1938:

il est minuit trente _ le 10 novembre 1938 _ ? Aktion !

Le mot _ -ordre aboyé _ parcourt l’Allemagne, c’est-à-dire le Reich en un instant

_ comme une foudre sans coup de tonnerre un tant soit peu préalable d’avertissement, sans le plus infime recul de léger décalage-délai d’une seule seconde de battement, ni pour les acteurs-Aktionneurs, robotisés, ni pour les victimes-Aktionnées, tétanisées et capturées ;

à confronter cependant à l’image de la nuée d’orage, développée à la page 51, à propos de ce à quoi pouvaient s’attendre, et surtout ne s’attendaient pas (les situations et les réactions, toujours un peu diverses, des uns et des autres, sont toujours un peu elles-mêmes, sur l’instant qui les surprend, en balance…), en matière de déluge, « depuis l’attentat de Vom Rath« , le 7 novembre 1938 à Paris (Vom Rath ne meurt de ses blessures que le 9), Hermann et Siegfried Katzmann, à Osnabrück, la nuit du 9 au 10 novembre 1938 :

« ils s’y attendaient sans conviction _ voilà _ avec un espoir idiot _ le pire n’étant, certes, jamais tout à fait sûr ! la question se posant cependant de savoir si cet « espoir idiot« -là, est, ou n’est pas, du simple fait qu’il est déjà « idiot« , de l’ordre de l’illusion ?.. _, on voit _ certes : suffisamment visibles ils sont… _ les nuages noirs accroupis _ voilà _ au-dessus du ciel comme des géants en train de faire _ concocter-mitonner-usiner _ l’orage, pendant des jours ils poussent, éjectent des éclairs menaçants _ ici, c’est un adjectif, et pas un participe présent _ le déluge se prépare _ voilà : il est très méthodiquement organisé-machiné _, ça tonne, et puis parfois _ hasard, accident, ou stratégie perverse ? _ le déluge se retire, je reviendrai une autre fois _ fanfaronne-t-il…, mais _, quand on le croit passé alors l’orage se déchaîne » _ d’autant plus terriblement que nulle parade un peu efficace de sauvegarde n’aura été mise sur pied… :

soient les sans conteste difficiles et un peu complexes tergiversations de la (à la fois frêle et terriblement puissante) croyance, face à l’ambigüité entretenue avec soin des signes objectifs, eux, du réel. Et anticiper avec un tant soit peu de réalisme, pour ceux d’en face et en bas, peut s’avérer aussi plus compliqué à réaliser en actes, cette anticipation et ses réponses, pour certains que pour d’autres…

« _ On n’a pas la même mentalité, dit Ève _ à qui dit-elle cela ?

était-ce à Fred, il y a quelques années ? mais Ève se détournait vivement de telles conversations (absolument stériles et contre-productives, pour elle : « elle est contre le couteau dans la plaie« , page 79) à propos du passé, et qui plus est lointain ;

ou bien est-ce présentement à sa fille Hélène, en leur conversation post-mortem de cet été 2018 à la maison d’écriture d’Arcachon ? Plutôt ! Et c’est bien Hélène qui, soit engage, soit accepte, pareille conversation-enquête sur le passé, avec sa mère, décédée… L’enjeu final étant ici de parvenir à mieux comprendre, via le cas de Siegfried-Fred Katzmann en 1938 (à partir du témoignage de son Bericht) les tergiversations singulières d’Omi, de janvier 1933 à novembre 1938, ne le perdons jamais de vue… _,

je n’étais pas à Osnabrück en 1933, déjà en 1930 _ et même 1929 _ j’étais partie _ dit Ève _,

_ On n’a pas la même mentalité, dit Fred _ à qui Fred dit-il cela ?

est-ce, ou bien était-ce, à son amie Ève ? (« Fred, nous l’avons connu, il était le dernier ami _ à partir de 1986, après leurs retrouvailles de 1985 à la cérémonie d’hommage du 20 avril 1985, à Osnabrück _ de ma mère _ dit Hélène, page 26 : voilà, c’est là dit on ne peut plus clairement _, finalement nous ne l’avons pas _ vraiment _ connu _ un peu vraiment en profondeur… _, dit ma fille. Il a passé inaperçu« , ajoute aussitôt Hélène, page 26 ; « c’était un intellectuel discret« , dit la fille d’Hélène, page 85) ;

ou est-ce plutôt à Hélène que le dit maintenant Fred, au cours de cet été 2018 d’écriture-méditation-enquête d’Hélène Cixous, à Arcachon ?… _,

c’est moi qui suis allé tout seul contre Goliath, faut-il le rappeler à Ève, « , page 52 ; et là ce serait Hélène qui serait directement prise à témoin par Fred-Siegfried, post mortem, maintenant.

Et Hélène de conclure l’échange, toujours page 52, par cette réplique, terrible de bon sens, de sa mère Ève :

« _ A quoi ça sert dit ma mère _ Ève, donc, essentiellement pragmatique ! _ attendre _ passivement _ pour aller en prison, aller dans les camps, est-ce que c’est nécessaire ? » _ ce n’est même pas d’abord utile ! Autant tout faire pour éviter naïveté et procrastination. Unreadiness.

Nous voilà donc toujours ici, page 52, dans les prémisses de la révélation à venir, et ce sera un peu plus loin (la première occurence du mot se trouvera à la page 60), du concept (freudien, et cette paternité sera clairement évoquée, page 107) d’illusion


C’est alors, toujours page 52, et juste avant cet échange imaginé (ou rêvé) par Hélène, l’auteure, entre Ève et Fred,

que l’auteure pense à « faire la liste _ en quelque sorte récapitulative _ de tous ceux qui sont Dehors  _ des « Mâchoires du Cyclope« « Léviathan«  nazi… _ dans les années étranges _ de janvier 1933 à novembre 1938 _ où il y a encore _ bien provisoirement, mais ça, on ne le sait pas, ni ne peut le savoir vraiment ! _ un couloir _ étroit et fragile, certes, mais encore un peu accessible à certains _ entre Dedans et Dehors et entre dehors et dedans un passage avec une porte _ frontalière _ surveillée, et qui _ incroyablement ! pour nous, du moins, qui regardons maintenant rétrospectivement et de loin… _ échangent _ à contresens de l’Histoire !!! _ le dehors où ils logent _ à un moment _ pour le dedans de la cage » _ mot terrible.

et l’auteure précise cette liste, pages 53-54 :

« de ceux qui _ tel Fred, ou plutôt ici et alors, en 1938, Siegfried Katzmann, à Bâle, où il vient d’achever ses études de médecine, et obtenu son diplôme terminal _ sont en Suisse en sécurité _ de l’autre côté de la frontière _ et qui reviennent « chez nous » _ c’est peut-être Ève qui parle _ sans sembler voir _ comprendre _ qu’ils font le voyage de retour dans la cage _ le mot terrible est donc redit _,

et qui confondent _ mortellement pour leur sauvegarde ! _ danger et sécurité,

et de ceux qui dorment profondément _ un péril colossal pour de tels endormis ! _ pendant le déchaînement ?

ceux qui sont arrêtés, envoyés dans un camp pour Feindlicher Ausländer _ par exemple en France : à Gurs, au Vernet, à Rivesaltes ou à Saint-Cyprien, tel un Felix Nussbaum en mai 1940 _, ou dans un Konzentration Zenter première édition _ tel Siegfried Katzmann lui même, encore, à Buchenwald, le 12 novembre 1938 _, qui cessent _ d’un coup de massue _ de ne pas savoir et sont jetés d’un jour à l’autre dans l’impitoyable savoir _ voilà ! et donc devraient perdre (et perdront, de ce coup violentissime !) leurs illusions _ ayant pour exemple _ le peintre _ Felix Nussbaum _ Osnabrück, 11 décembre 1904 – Auschwitz, 9 août 1944. En voilà un qui découvre _ déjà _ Auschwitz _ avant Auschwitz _ à Saint-Cyprien _ en France, à côté du Canet-en-Roussillon _ avec une différence : il n’est pas impossible _ là, dans la France encore de la République parquant déjà ses propres indésirables, et qui va très vite devenir, dès le mois de juillet suivant, la France de Vichy _ de prendre la fuite. En voilà un qui prend la fuite et la suit, mais seulement pour quelques mois _ retournant en Belgique (occupée) _ et quelques tableaux. Ensuite la fuite s’épuise, on la perd, (…)

_ ceux qui sont en Suisse _ tel Siegfried Katzmann, à Bâle, en 1938 _, ils jouent avec suicide, dit ma mère _ Ève ; et c’est sa fille, Hélène, qui rapporte ici son lapidaire propos _

selon moi, Onkel André _ qui parle ? Les voix rapportées interfèrent : s’agit-il ici de la voix d’Ève, la nièce, effectivement, d’Andreas Jonas ? ou bien de la voix d’Hélène, sa petite-nièce, une génération plus tard ?.. _ qui était jusqu’en Palestine _ Eretz-Israël, c’est déjà loin d’Osnabrück ! _ à Tibériade en 1936, il a fait de gros efforts pour revenir _ certes ! _ à Osnabrück depuis Tibériade _ c’est loin ! _, un petit homme commandé par sa brutale Berlinoise _ Tante Else, née Cohn : ici, c’est Ève qui parle _, selon moi _ Ève, par conséquent _ il est déjà mort à Tibériade de mauvais traitements familiaux _ de la part de sa tendre fille Irmgard, qui le chasse de son kibboutz _ et c’est donc _ en quelque sorte _ un _ déjà _ mort qui est rentré _ suicidairement, nazis aidant seulement, à la marge, à pareille autolyse… _ se faire assassiner _ et ce sera effectivement accompli pour lui à Theresienstadt, le 6 septembre 1942 _, comme si c’étaient les nazis _ voilà ! _ et non pas _ en réalité _ la famille _ sa fille Irmgard, donc _ qui l’avaient tué, et en vérité c’était la méchanceté qui se répandait _ oui _ un peu partout en Europe _ une remarque historiquement importante ! _ avec rapidité et virulence comme une _ hyper-ravageuse pandémie de _ grippe espagnole… Il semble qu’ici se mélangent, et le jugement lapidaire, implacablement ironique et formidablement tonique, toujours, d’Ève, la mère, et le commentaire, un peu plus circonstancié et distancié, de sa fille, Hélène, qui tient au final la plume de ce récit, à la fois rapport, conversation et réflexion-méditation, non dénué d’un formidable et merveilleux humour, qui transporte en un continu d’allégresse (grave) le lecteur…

Un peu plus loin, page 57,

l’auteure envisage une autre source-cause d’« envoûtement«  des futures victimes,

encore innocente, enfin presque, celle-ci ;

« envoûtement«  subi par ceux qui ne se décidaient pas à fuir enfin (!) « la cage » nazie _ au nombre desquels, décidément, sa grand-mère Omi :

peut-être soucieuse, elle, de ne surtout pas perdre ses partenaires attitrés de bridge (« Quand Ève revient en 1934 encore une fois et pour la dernière fois rendre visite _ et c’est à Dresde _ à Omi, sa mère ma grand-mère _ raconte Hélène, pages 93-94 _ joue au bridge comme d’habitude, bien des dames jouent encore, ça pourrait être pire, dit ma grand-mère, elle ne comprend pas Ève » ; et Omi ne veut pas partir : le souci de ne pas rompre le fil de ses habitudes joue donc, et puissamment, lui aussi.

Le mot « cage«  se trouvait répété page 52 et 53.

Mais restons ici à ce passage de la page 57 :

« Selon moi _ dit Hélène, page 57 _, parmi les divers et nombreux envoûtements qui ont ensorcelé _ tel le filtre de la magicienne Circé dans l’Odyssée d’Homère _ tant de compagnons d’Ulysse juif,

il y en a un dont le pouvoir trompeur _ non intentionnel, non malveillant, ici _ne sera jamais assez dénoncé, c’est le Visum. Le Visum est _ qu’on le veuille ainsi ou pas _ l’arme du diable : on promet, on promet, on séduit _ et nous avançons ici vers le concept (freudien) d’illusion, où le désir a son rôle (projectif séducteur) pour aveugler sur la qualité et la valeur de crédibilité de la représentation subjective apposée-plaquée sur le réel objectif, quand on confond (et prend) le réel désiré avec (et pour) la réalité objective même _, on enduit, on hypnotise, on transforme des êtres humains _ séduits par leur propre désir ainsi avivé _ en hallucinés, en paralytiques volontaires,

des philosophes

_ tels un Walter Benjamin ou une Hannah Arendt ;

cf l’admirable récit Le Chemin des Pyrénées de Lisa Fittko : à découvrir de toute urgence ! Lisa Fittko a partagé la réclusion

(préventive des Allemandes et amalgamées, même Juives et anti-nazies, comme mesure de rétorsion prise par le gouvernement de la IIIéme République, en France, à la suite du Blitzkrieg d’Hitler envahissant la Belgique et le Nord de la France, le 10 mai 40)

au camp de Gurs, les mois de mai et juin 1940, avec Hannah Arendt, ainsi que leur fuite ensemble, après le 18 juin, vers Lourdes (à Lourdes où se terre alors en une chambre d’hôtel Walter Benjamin) ;

et c’est aussi elle, Lisa Fittko, qui a ouvert, au dessus de Banyuls, ce qui sera nommé, par la suite, la « voie Fittko«  : pour aider à fuir en Espagne (franquiste) ceux qui cherchaient à échapper coûte que coûte aux griffes et mâchoires de l’ogre nazi ; avec, pour le tout premier passage ainsi organisé par les Fittko en Espagne, Walter Benjamin, justement !, qui se fera arrêter au premier village de la redescente du col, Port-Bou, et s’y suicidera (le 26 septembre 1940) de désespoir : sur la menace d’être prestement renvoyé (par la Guardia civil de Franco) d’où il venait… Fin de l’espoir ? ou fin de l’illusion ?) _ ;

(on transforme, donc) des philosophes

en primitifs fétichistes _ forcenés _ de formulaire administratif,

partout sur la terre pétrifiée errent des Suspendus,

suspendus à la poste, suspendus d’être suspendus de tempsau crochet de l’attente _ quel art sublime de l’écriture ! _,

le poil hérissé, les oreilles dressées, la poitrine contractée,

cela rend les gens irritables, nerveux, maniaques, méconnaissables, abattus _ sans assez de ressorts de survie : suicidaires… _,

Brecht _ lui _ aussi attend, _ en Suède _ le sésame américain n’est pas encore, toujours pas, arrivé,

en Suède aussi _ la Suède est théoriquement protégée par sa neutralité ! _ on s’attend à ce que le nazi arrive plus vite que les visas,  »

_ soulignons encore et toujours, au passage, combien est admirable l’écriture ultra-précise et si libre, en même temps que nimbée d’une sublime poésie et d’un humour « ouragant« , d’Hélène Cixous…

« on vit maintenant dans une vie-à-visa _ voilà ! quelle puissante et magnifique formulation ! _,

il faut un visa pour traverser la rue dit Kafka _ expert s’il en est en Château et Procès _, un visa pour aller chez le coiffeur,

vivre est hérissé de guichets _ et contrôles policiers : comme tout cela est merveilleusement dit ! _,

de plus il n’y a pas _ in concreto ! _ de visa, dit Brecht,

le mot de Visum est dans toutes les têtes mais _ hélas _ pas dans les boîtes aux lettres,

et il n’y a pas de visa pour les bibliothèques », pages 57-58  _ on admirera une fois encore le style de l’auteure, sa subtile profonde poésie du réel le plus juste, nimbée d’un merveilleux humour perpétuellement frémissant et rebondissant …

Et encore ceci, pages 58-59 :

« La cousine Gerda _ Gerta Löwenstein (Gemen, 17 octobre 1900 – Auschwitz, août 1942), fille d’une des sœurs aînées d’Omi, Paula Jonas, et d’Oskar Löwenstein ; et épouse de Wilhelm Mosch, décédé comme elle à Auschwitz en août 1942 _, ma préférée, dit Ève, d’une gentillesse infinie, quand elle est coincée à Marseille, avec les enfants _ Bruno et Anneliese Mosch, qui, eux, survivront _, avec son mari _ Wilhelm Mosch enfermé, lui _ à Gurs, je lui écris _ dit Ève _ viens ici, il y a encore un bateau pour Oran, elle reste dans le crocodile _ voilà ! _, et pour qui ? Ça ne peut pas être pour le mari, laid, joueur, paresseux, violent, sans qualités, je ne comprends pas ces femmes qui aiment ce qu’elles n’aiment pas, il y a un défaut dans la vision _ et voilà que recommence à pointer le détail de la mécanique de l’illusion ! _, et pourtant c’est lui _ Wilhelm Mosch _ qui louche, est-ce qu’elle a trouvé une raison à Auschwitz ? »

« Et il y a aussi les anciens combattants, ceux qui font corps avec leur croix de fer » (…),

« et les veuves de guerre, elles aussi » _ telle Omi Rosie, dont le mari, Michaël Klein, est tombé sur le front russe le 27 juillet 1916 _ (…)


Fin ici de l’incise ;

et je reprends maintenant le fil du texte de la page 115 à propos de l’Aktion :

il est minuit trente ? Aktion !

Le mot parcourt l’Allemagne, c’est-à-dire le Reich en un instant _ cette nuit du 9 au 10 novembre 1938.

Toutes les vitres juives tombent _ à la seconde _ dans tout l’Empire, simultanément _ quel génie (Reinhard Heydrich ?) de conception (technico-administrativo-policière) de la précision d’horlogerie de l’enchaînement mécanique de pareil ordre-commandement-exécution-résultat ! _,

ça ne se pense pas _ ça s’obéit-exécute, en robot, à la seconde : par l’Aktionneur.

L’Aktion est une destruction et une consommation.

Une anticréation _ néantisante _ éclair _ Blitz _

effectuée selon le principe _ de rationalité économique _ du moindre temps _ moindre coût, poursuit page 116, le fils d’Hélène.

La Grande Mâchine _ à crocs monstrueux (de « crocodile«  déchiqueteur démesuré : le mot comporte trois occurrences aux pages 58 et 59) _ ouvre ses mâchoires

et referme le verbe est à l’intransitif.

Clac !

Cyclope amélioré« 

_ la technique devenue technologie a progressé à pas de géants depuis le temps d’Homère et de l’Odyssée

Dans ce passage-ci, pages 115-116,

le mécanisme de l’illusion est abordé-commencé d’être un peu détaillé en l’articulation complexe de ses divers rouages,

mais non pas, cette fois, du côté de ceux qui « se font des illusions« , et vont s’y enliser-perdre-détruire,

mais du côté de ceux qui vont organiser l’efficacité optimale de ce dispositif illusionnant de séduction-sidération-capture-dévoration cyclopéen

_ mensonges colossaux, avec un minimum d’anesthésie préalable des piégés (à surprendre-prendre-capturer, sans déclencher de fuite immédiate !), compris _

pour que les malheureux illusionnéss’illusionnant _ l’un renforçant l’autre, et retour-montée en spirale et accélération du processus fou d’encagement, si difficile à rompre !.. _ n’en réchappent sûrement pas _ cf le processus nécessairement très lent d’ébouillantement de la grenouille en son bocal doucement et très progressivement chauffé jusqu’à finale ébullition, pour éviter un saut au dehors immédiat ! La grenouille se laissant ainsi ébouillanter…

A plusieurs reprises dans le récit,

Hélène la narratrice se heurte à la difficulté

rémanente,

résistante aux pourtant tenaces tentatives d’élucidation siennes _ et de ses enfants : sa fille et son fils, qui l’y aident : s’entrecomprendre est facilitateur.

Mais elle non plus, Hélène,  pas davantage qu’Ève sa mère, n’abdique pas, jamais :

à essayer sans cesse ni relâche de comprendre

_ et de comprendre chacun, si possible, en son idiosyncrasie de situation (ainsi que dans le temps, qui diversifie les perspectives) _ ;

de même que sa mère, ne renonçait jamais à se tenir prête (« ready. The readiness is all« ) à agir

dans la brève fenêtre de temps Kairos oblige… Ève le sait parfaitement ! _ qu’il fallait mettre très vite à profit : à temps ;

et pas à contretemps… :

« Aucune explication

_ qui soit enfin, et au final, satisfaisante ! Même si « la bêtise, c’est _ parfois, souvent, toujours _ de _ précipitamment _ conclure« … La phrase, nominale, est a-verbale.

Je ne comprends _ décidément _ pas pourquoi je ne comprends pas« ,

se répète obstinément, et assez stupéfaite, Hélène, page 107

_ et ces mots-là (« Je ne comprends pas pourquoi je ne comprends pas« ) sont repris tels quels, au mot près, en haut de la seconde page du très clair et absolument lumineux Prière d’insérer volant _ ;

plutôt irritée _ contre elle-même et l’inefficacité de ses efforts renouvelés d’élucidation de ces illusions peut-être singulières des siens (et surtout, in fine, d’Omi, sa chère grand-mère) ; dont parvient encore, souvent (mais pas toujours), à lui échapper l’ultime infime ressort de sa conduite, mortifiée… _, à vrai dire,

que vraiment désespérée face à la chose _ elle-même :

elle cesserait, sinon, de continuer à rechercher toujours et encore à vraiment comprendre ces diverses complexités, l’une après l’autre in fine singulières, oui, car tenant à la particularité (peut-être infinie…) du détail (à retrouver et élucider) des situations effectivement particulières de chacun (soit le pascalien « nez de Cléopatre« …) ; détail qu’il faut alors, chacun après chacun, réussir à débusquer et éclairer pour arriver à vraiment bien comprendre ces complexités idiosyncrasiques singulières ! ;

et avec le recul du temps, et la minceur (ou carrément absence, bien souvent !) de certains témoignages, cette recherche minutieuse infiniment pointue dans le détail (et c’est bien là, en effet, que le diable se cache !) tient quasiment de l’exploit ; telle cette recherche-ci, à partir du cas (et Bericht) de Siegfried Katzmann, et de ce que ce cas-ci peut révéler, ou pas, du cas, à élucider et comprendre, surtout !, celui de la grand-mère d’Hélène : Omi ; recherche-enquête-méditation-réflexion à laquelle se livre ici, et à nouveau, mais jamais complètement toute seule (ses enfants sont eux aussi bien présents auprès d’elle!), dans ce magnifique 1938, nuits, Hélène Cixous ;

or, plus que jamais, la voici qui résiste aux moindres tentations de défaitisme, à tout relâchement de renoncer (à comprendre vraiment !)… _, page 107, donc.

Et, page 101 déjà,

et à propos de ceux qui sont rentrés à la maison

_ tel « Oncle André«  de retour d’Eretz-Israël en 1936, à un mauvais moment (du développement du nazisme), mortellement dépité qu’il était par le comportement que leur avait réservé, à lui et son épouse Else, venus à Tibériade la rejoindre, leur chère tendre fille Irmgard (une Regane, hélas, et non une Cordelia, du roi Lear !), qui les avait repoussés-chassés de son kibboutz du Lac de Tibériade, renvoyés, morts de chagrin les deux, en Allemagne :

d’où cet impossible si absurde retour d’Andreas Jonas et son épouse, née Else Cohen, à Osnabrück… _ :

« Ceux qui sont rentrés à la maison

_ comme, donc, Oncle Andreas Jonas et son épouse, Tante Else, à Osnabrück _,

alors qu’objectivement on ne pouvait _ déjà _ plus _ avec un minimum de lucidité et bon sens… _ rentrer à la maison,

je ne cesse de me dire

que _ décidément, non _ je ne les comprends _ toujours _ pas.

Mais pourquoi _ donc _ je ne les comprends pas ?

_ voilà ce qui obsède plus encore, de façon lancinante au fur et à mesure de ses efforts en continu, la lumineuse Hélène en sa méditation-réflexion-conversation, menée et poursuivie avec ardeur avec ses proches (présents au moins en pensée et imageance), à son écritoire d’été, aux Abatilles, en ce 1938, nuits. Et qu’il lui faut absolument mieux résoudre si peu que ce soit. Une mission impérative ! Parce que y renoncer serait renoncer à ce qui fait le vrai sol (ou les plus solides « racines« ), voilà, de son soi ; ainsi que son œuvre propre.

Et pourquoi mon esprit revient-il _ si obstinément, et patiemment _ depuis tant d’années

cogner _ sans parvenir encore à l’éclaircir-ouvrir vraiment enfin, tout à fait _

à la vitre _ décidément encore opaque et obstruée  _

de cette scène ? »

_ de cet absurde retour (tellement suicidaire, dans le cas de l’« Oncle André«  !) à Osnabrück, « dans la gueule du loup«  nazi…

Voilà un des défis

que se lance à elle-même, en ce 1938, nuits,

celle qui ne cesse, année après année, été après été, en sa Tour d’écriture d’Arcachon-les-Abatilles,

et tant qu’il y aura au monde de l’encre et du papier,

de se lancer-jeter à corps perdu, mais âme bien affutée,

dans l’écriture-imageance visionnaire

de ses questionnements de fond lancinants : pour comprendre.

Comprendre vraiment ce qui advint.

À ses proches.

Et qui quelque part _ plus ou moins insu, mais encore et toujours au travail… _ est aussi fondateur

du vrai soi _ son vrai soi,

qui opus après opus, se découvre-réalise. Splendidement.

« L’Artiste est celui qui n’est pas là et qui _ pourtant _ regarde,

l’invisible qui admire,

le sans nom qui est caché sous le rideau noir et laisse la lumière ruisseler _ plus généreusement _ sur les créatures« , page 27.

C’est là ce que l’auteure nomme le « paradoxe _ visionnaire, en et par le travail de son imageance propre _ de la Création« .

J’en arrive donc à l’apparition progressive des occurrences, dans le texte, du mot (et concept)

d’illusion,

même si à nul moment la méditation-enquête d’Hélène Cixous ne dérive dans le conceptuel ! et encore moins le dogmatique. Certes pas.

Il s’agit d’un voyage d’imageance. D’Art _ en effet ; et pas de philosophie, ni de recherche historique ; même si peuvent en être tirées de telles applications, mais seulement à la marge de cet Art.


En même temps que,

à un détour de la page 60, et presque anecdotiquement à première lecture,

le concept et le mot d’illusion apparaissent,

à propos du lieu _ Bâle _ de la soutenance de thèse de médecine, « en janvier » 1938, de Siegfried Katzmann,

apparaît aussi pour la première fois

le nom même de Freud

_ il y en aura dix occurrences, avec en plus la référence (sans mention alors du nom de l’auteur : « un texte publié en 1916 (…), le sujet : l’illusion« , simplement…) à son L’Avenir d’une illusion, page 107… _

dans cet opus-ci, 1938, nuits.

_ (…) Fred _ ou plutôt Siegfried Katzmann, alors, en 1938 _, dit alors, page 60, Hélène à sa fille, « a soutenu sa thèse de médecine en janvier, Où ? » _ et elle cherche… _

« Où ? Á Munster ? Pas à Munster,

à Hamburg ? non,

à Dresden, c’est non,

l’idée naïve ? non,

désespérée ? non,

auto-illusoire _ nous y voici ! et c’est là carrément un pléonasme ! Peut-on jamais être victime d’une illusion sans en rien ni si peu s’illusionner déjà soi-même ? _

de soutenir sa thèse _ de médecine _ en Allemagne en 1938 quand on est devenu _ voilà ! _ Juif-à-détruire depuis _ déjà _ 1933,

voilà une des idées sur lesquelles Freud _ nous y voici toujours ! _ songe _ tout spécialement, lui-même _ à écrire

s’il a encore _ à bientôt 82 ans, et, qui plus est, rongé-usé par son cancer à la mâchoire _

le courage d’écrire en 1938 _ il va bientôt quitter Vienne (pour gagner Londres) le 4 juin 1938, après l’Anschluss du 12 mars ; et il mourra à Londres le 23 septembre 1939… _

quand lui-même se surprend si souvent _ alors _ dans la position anti-réelle _ donc s’illusionnant ! Oui, lui Freud, lui aussi… _ de saint-Antoine courtisé et jusqu’à harcelé par _ les voici : elles arrivent ! _ les Illusions tentatricesfilles, bien sûr, de ses propres désirs ! y compris, et d’abord, des désirs masochistes, et Thanatos, la sournoise puissante pulsion de mort… _,

des idées en tutu qui viennent faire des pirouettes gracieuses et terriblement perverses autour de la cervelle du vieux sage,

qui font la queue dans la Berggasse en lui sussurant des messages de sirènes _ et re-bonjour Ulysse ! _,

reste avec nous mon chéri, tout cela ne va pas durer, tu ne vas pas changer de carapace à ton âge, ma vieille tortue, un peu de patience, et tous ces tracas seront transformés en mauvais souvenirs,

et lui de se boucher _ à la différence d’Ulysse ligoté sur son mat à l’approche des sirènes dont lui Ulysse ardemment désirait apprécier sans danger (ligoté qu’il était) le chant si beau !… _ les oreilles

et secouer la tête pour ne plus _ cependant _ les entendre _ ainsi _ froufrouter _ quel admirable style, une fois encore ! et quel humour décapant-« ouragant«  ! _,

il y aura _ au futur, mais pas au conditionnel _ une étude à faire _ voilà, voilà ! _ sur la prolifération _ historique, ces années trente-là… _ des automensonges, mauvaises bonneraisons, sophismes auto-immunitaires

_ soient diverses espèces (ou facettes) du phénomène irradiant et irisé de l’illusion !.. _

qui infecte _ vilainement _ les facultés mentales de toute une population

lorsqu’elle se trouve soudain enfermée dans l’enceinte invisible mais infranchissable d’une Allemagne envoûtée et mutée _ tout d’un coup de cliquet sans retour à chaque cran passé _

comme une forêt maléfiée _ victime de quelque maléfice lancé sur elle _ dans la Jérusalem délivrée _ du Tasse.

Tout le monde _ et pas que les victimes juives _ est sous maléfice _ généralisé ! _ dans le pays,

mais ce n’est pas moi qui l’accomplirai

_ cette « étude«  à réaliser… _,

trop vieux, trop tard, pense _ à ce moment 1938 _ Freud à Vienne

à qui _ aussi, peut-être depuis Bâle _ pense Fred _ à lui écrire : la lettre partira ! mais restera sans réponse… _

tandis qu’il volète à l’aveuglette comme un insecte désorienté,

jusqu’à ce qu’il cesse de se cogner à la muraille de verre _ des multiples interdits vis-à-vis des Juifs ;

là-dessus se reporter à l’inifiniment précieux (irremplaçable !) témoignage au jour le jour de Victor Klemperer, dresdois, en son sublimissime Journal (1933 – 1945) _

et se retrouve par miracle _ lui Fred, ou plutôt lui encore Siegfried _ en Suisse en janvier 1938  _ Freud, lui, se trouvant encore à cette date (de juste avant l’Anschluss du 12 mars 1938) à Vienne. À Bâle.

Á ce moment-là, il est _ le bienheureux Siegfried ; mais mesure-t-il assez bien sa chance ? Non ! _ à l’extérieur du _ vaste _ Camp _ tout _ envoûté _ « maléfié« , qu’est désormais le Reich…

Alors le père _ Hermann Katzmann _,

qui est _ lui _ à l’intérieur de l’envoûtement

lui envoie _ d’Osnabrück _ quelques Illusions _ de type familialiste : comme venir à Osnabrück embrasser sa mère (« quand je suis revenu, le 14 octobre ma mère a pleuré de soulagement« , raconte Fred à la page 55 ; et « quand j’ai disparu le 9 novembre, ma mère a pleuré d’épouvante dit Fred, c’est ce qu’on appelle bitter ironie, qui sait ce que le sort nous réserve« , poursuit-il sa phrase, page 55…).

Fred _ ou plutôt Siegfried _ revient _ ainsi, séduit par ce malheureux appât d’affection familiale _ à Osnabrück _ le 14 octobre 1938, page 55, toujours _ juste à temps pour se faire arrêter _ moins d’un mois plus tard _ le 9 _ non déjà le 10 _ novembre _ dans la nuit, à deux heures du matin : eh! oui, nous sommes dèjà le 10 ! _ 1938 avec son père _ Hermann Katzmann.

_ Tu vois, tu vois, dit ma mère _ Ève, à la page 61 : en ce début d’été 2018 de l’écriture, à Arcachon, de 1938, nuits _,

qu’est-ce que tu penses de ça ? _ envoie-t-elle directement à sa fille _

un homme jeune, en bonne santé, pas marié, avec un diplôme, il ne manque pas d’un peu d’argent, l’anglais il parle déjà très bien un peu de français, il est libre _ surtout, bien sûr ! _, il a une chance suisse _ voilà ! _ que des milliers lui envient qui sont déjà derrière les barreaux à venir _ à partir du 10 novembre 1938 : mais c’est très bientôt ! _,

et il rentre lui-même _ le 14 octobre, page 55 _ dans la cage _ nouvelle occurrence de ce terrible mot, page 61 _

pour se faire arrêter _ le 10 novembre suivant _ avec son père, et ça n’a pas tardé,

ça ne me dit rien qui vaille _ conclut ici Ève, à propos des qualités de vigilance-lucidité de son nouvel (et « dernier« , page 26) « ami«  Fred :

« c’était un intellectuel discret (soulignera, à son tour, page 85, la fille d’Hélène),

et pas un pragmatique sur le qui-vive et perpétuellement aux aguets, comme Ève, _,

en 1938 à Osnabrück _ ou bien plutôt à Dresde ? _

avec son frère _ Andreas, ou avec quelque autre de ses parents Jonas et alliés, si c’est à Dresde ;

demeure là, depuis, déjà au moins Gare d’Osnabrück, à Jérusalem, un point d’ambiguïté sur la domicilation d’Omi, tant en 1934, lors de la visite d’Ève Klein, sa fille, à sa mère, Rosie, qu’en novembre 1938, lors du départ-déguerpissage d’Allemagne, enfin, d’Omi, sur les conseils pressants du consul de France à Dresde… A Dresde, avait exercé un temps (puis ensuite à Essen) le beau-frère banquier de Rosie, Max Stern, le mari de sa sœur Hedwig, dite Hete, et née Jonas ; Max Stern est décédé à Theresienstadt le 8 décembre 1942 ; alors que sa veuve, Hete-Hedwig, lui a survécu, et est décédée, un peu plus tard, d’un cancer, aux États-Unis ; et ils avaient une fille, Ellen Stern. Il ne m’est pas encore  aisé de bien me repérer dans les parcours de vie (et mort) des divers membres des fratries Jonas… _

Omi non plus je ne la comprends _ décidément _ pas _ ajoute encore Ève, au bas de la page 60 _,

_ C’était pour attendre mon Visum pour les États-Unis, écrit _ écrit Fred (au lieu de dit ?), écrit Fred dans le Bericht ? Ou bien plutôt dans la correspondance retrouvée plus récemment chez sa mère Ève, par Hélène, correspondance échangée à partir de 1985 (et conservée) entre sa mère Ève, et Fred, « le dernier ami de ma mère » (selon la formule d’Hélène, à la page 26)… _

écrit _ donc _ Fred _ alors encore Siegfried, ces années-là, afin de se justifier de son retour si terriblement malencontreux à Osnabrück le 14 octobre 1938, lit-on, immédiatement en suivant, en haut de la page 61.

_ Ach was ! J’appelle ça un manque de bon sens,

ma mère _ Ève _ balaie _ aussitôt _ Fred le jeune _ c’est-à-dire encore Siegfried en 1938 _,

qui sait si Fred 1985  _ ou 1986 : ce serait-là le moment d’un tout premier échange (et dispute) épistolaire entre Fred, rentré d’Osnabrück (où il s’était rendu pour la rencontre-hommage aux Juifs d’Osnabrück du 20 avril 1985) chez lui à Des Moines, et Ève revenue elle aussi (de la rencontre-hommage d’Osnabrück) chez elle à Paris… _ a changé ? » _ s’interroge avec sa foncière prudence pragmatique Ève Cixous, à ce stade de leurs retrouvailles, qui vont se révéler de stricte « utilité«  de compagnonnage touristique d’agrément (de par la planète), du moins pour elle ; page 61.

Apparaissent donc concomitamment pour la première fois, page 60,

et le mot d’illusion,

et le nom de Freud.

…     

Nouvelles occurrences (au nombre de quatre en cinq lignes) du mot illusion, à la page 63,

lors d’une conversation, en 1937 _ semble-t-il, ou peut-être 1935 ; la mémoire de Fred manque ici de sûreté temporelle… _ à Paris, de Siegfried Katzmann avec Walter Benjamin, « dans le café près de l’ambassade des États-Unis » _ la mémoire visuelle étant plus fiable, pour lui _, en vue d’obtenir le fameux Visum pour gagner les États-Unis d’Amérique :

« il s’agissait de visas,

il faut être sans illusion,

le visa me sera sans doute _ probablement _ refusé _ ou peut-être pas ! _,

mais une petite illusion doit être entretenue,

on ne peut pas ne pas espérer _ voilà : ce serait trop désespérant ! L’espoir aide beaucoup à vivre…

Mais comment distinguer vraiment l’espoir, tant soit peu réaliste-rationnel dans le calcul de ses perspectives, malgré tout,

de l’illusion, aveuglante ?

Même Walter Benjamin a un peu de mal (et en aura jusqu’à sa propre fin ! le 26 septembre 1940, à Port-Bou) à ne pas les amalgamer…

Il n’y aura pas de réponse

_ du moins un peu rapide de la part de l’ambassade américaine, en 1937 ; en tout cas pas avant cette sinistre Nuit de Cristal du 10 novembre 1938, pour Siegfried ; pas plus pour Walter Benjamin, non plus, d’ailleurs…

Gardons l’illusion _ subjective _, dit Benjamin _ plutôt que l’espoir (un tant soit peu réaliste) ? Penser cela semble plutôt désespérant !..

Et Fred _ ainsi conforté, en 1937, par l’autorité du philosophe de renom qu’est Walter Benjamin _ garde _ par conséquent _ une petite illusion« 

_ or ce fut peut-être ce visa américain-là qui, de façon complètement inespérée, surtout à ce moment (de décembre 1938) de l’enfermement de Siegfried à Buchenwald, réussira à le faire quasi miraculeusement sortir, le 13 décembre 1938, de la « cage«  du KZ de Buchenwald (ainsi que de la « cage«  du Reich ! quelques mois plus tard, début 1939) ;

même si le récit,

pas plus celui du Bericht de Fred, en mars 1941,

que celui d’Hélène, en ce 1938, nuits de 2018,

n’en dit (et heureusement) rien.

Car cela tiendrait un peu trop du trop beau pour être vrai ! lieto fine opératique, ou du happy end cinématographique hollywoodien, pour être cohérent, et avec le caractère d’absolue vérité tragique du Bericht, et avec la volonté de lucidité-vérité jusqu’au bout de l’écriture-Cixous elle-même… Et on imagine ici ce que serait le commentaire ironique d’Ève !!! Ces récits risquant de prendre bien trop, par une telle chute, une allure idyllique de conte de fées…

Si un timide espoir luit, au final de ces deux récits, celui du Bericht de Fred, comme celui du 1938, nuits d’Hélène Cixous, c’est très discrètement, et fort brièvement, dans les deux cas de ces deux récits ; mais tout (et même l’impossible !) peut toujours arriver et se produire-survenir au pays de l’Absurdie…

Car cette notule d’« espoir » (plutôt que d’« illusion« … : mais peut-on vraiment, et comment ?, absolument les départir ?…),

est tout de même bien présente in extremis, le lecteur le découvrira,

et dans le Bericht de Fred, de mars 1941, ne serait-ce que parce que Siegfried aura très effectivement survécu à de telles épreuves pour avoir pu, devenu Fred, en témoigner de fait ainsi,

et dans le 1938, nuits d’Hélène, de cet été 2018, que nous lisons, avec un tel dernier chapitre intitulé « Je voudrais parler de l’espoir«  ;

même si c’est assez indirectement, mais pas complètement non plus, dans le Bericht de Fred : page 55, nous avons pu en effet lire sous la plume de Fred : « à la fin est arrivé le Visum pour les États-Unis _ voilà ! c’était annoncé dès ici !, page 55 _, mon père venait de partir pour le Pérou, la lettre de Freud n’est jamais arrivée, ça ne veut pas dire qu’elle ne soit pas partie de Vienne, tout peut ne pas arriver  » ; l’auteure a ainsi l’art de brouiller aussi un peu, mais pas trop, non plus, jusqu’à complètement nous perdre !, ses pistes, histoire de ne pas trop faciliter, non plus, le jeu amusant de nos propres efforts d’orientation de lecteurs, en son récit volontairement un peu éclaté (soit ce qu’elle-même nomme « le poème effiloché d’Osnabrûck« , l’expression se trouve à la page 103) aussi de sa part… C’est là aussi une manifestation de son humour un peu vache… Mais, à qui, lecteur, fait l’effort de chercher et patiemment bien lire, pas mal des pièces du puzzle sont déjà bien là présentes, sur les pages ; à nous d’apprendre à efficacement les ajointer ! Et c’est un des plaisirs fins de la lecture Cixous…

Et c’est à la page 107

que nous trouvons un long développement, important

_ mais toujours léger et sans cuistrerie, ni le moindre dogmatisme de la part de l’auteure-narratrice : ce sont de simples hypothèses envisagées et essayées dans la conversation avec ses proches par Hélène _,

concernant à la fois,

et la personne de Freud,

et le mot/concept d’illusion

_ avec trois occurrences de ce mot en cette page 107 ; et une quatrième à la page suivante, page 108:

« Moi aussi _ c’est Hélène qui parle,

et elle se réfère ici aux lettres-prières pragmatiques, demeurées sans succès, de sa mère, Ève Cixous, née Klein, cherchant à convaincre sa propre mère Rosie Klein, née Jonas (soit Omi, grand-mère, pour Hélène), de venir (d’Osnabrück ; ou de Dresde ?) prestement la rejoindre à Oran, où Ève réside désormais, de l’autre côté de la Méditerranée, depuis son mariage, le 15 avril 1936, à Oran, avec le médecin oranais Georges Cixous, qu’elle a rencontré à Paris en 1935 _ 

je lui écris _ à Omi, et en toute imageance ; c’est donc Hélène qui s’exprime ici _,

en vain _ pour oser espérer quelque réponse effective d’elle !

Et c’est probablement ici la raison de fond ultime et vraiment fondamentale de tout cet opus-ci, pas moins !, qu’est ce 1938, nuits :

obtenir enfin quelque réponse et reprise de conversation avec Omi, en ayant su trouver « les mots qui pourraient la soulever » et devraient « la toucher« , va écrire juste aussitôt après sa petite-fille, Hélène !… _,

je ne connais pas son adresse _ post mortem, à la différence de l’adresse post mortem de sa mère Ève, avec laquelle la communication-conversation, plus que jamais vive et vivante, est et demeure presque continue entre elles deux (soit dans les rêves, la nuit, soit dans l’imageance, les jours de l’écriture…), elles deux qui ont si longtemps vécu côte à côte, tout spécialement les dernières années d’ultra-dépendance d’Ève, décédée le 1er juillet 2013 en sa 103 ème année…  _,

dans les rêves _ voilà ! _ on n’a jamais l’adresse de la grand-mère,

je ne sais pas _ bien _ les mots qui pourraient _ et devraient _ la soulever _ maintenant ! au point de l’amener à y répondre vraiment autrement que par son silence… _,

je lui envoie un texte de Freud _ L’Avenir d’une illusion ! _ ça devrait la toucher _ et susciter sa réaction : une réponse un peu précise, comme celles que sait si bien lui donner, et régulièrement, Ève, sa mère… ; 1938, nuits, est donc aussi (et c’est peut-être même là le principal !!!) une tentative de susciter quelques réponses d’outre la mort, de sa grand-mère Omi, de la part d’Hélène, cette fois-ci, et via cet envoi de l’opus _,

dans sa rêverie trempée de sang le soldat meurt saintement pour l’Allemagne, il laisse derrière lui femme et enfants à manger pour l’Allemagne,

un texte _ de Freud _ publié _ effectivement _ en 1916,

en 1916 le mari d’Omi _ Michaël Klein _ est tué sur le front _ russe _,

le sujet : l’illusion.

Moi aussi _ dit Hélène, au présent de son écriture _ je me fais des illusions _ par partialité, forcément, du point de vue, au moins de départ, de la réflexion (et des échanges) _ : parce qu’Omi est ma grand-mère, et la mère d’Ève.

Pendant qu’elle _ Omi, à Osnabrück ; mais Omi, en 1938, ne se trouve-t-elle pas plutôt à Dresde ?.. Car c’est bien, page 104, le consul français à Dresde qui finit par la décider, aussitôt après la Nuit de Cristal, à quitter dare-dare l’Allemagne, afin de rejoindre sa fille Ève en Algérie… ; de même que c’était à Dresde, aussi, qu’Ève était venue pour la dernière fois, en 1934, en Allemagne, rendre visite à Rosie pour quinze jours… Que penser de cette persistance de Dresde (en 1934, en 1938) dans la vie d’Omi ?.. À méditer ! Bien sûr, la communauté juive d’Osnabrück a bénéficié d’un colloque marquant, le 20 avril 1985 ; et des pavés dorés sur les trottoirs marquent désormais les anciens lieux de résidence des Juifs assassinés par les nazis, dont les Jonas, à Osnabrück… Ce qui n’est peut-être pas le cas à Dresde… _

répond par lettre à sa fille _ Ève _, en Afrique tout le monde est noir (sic),

la brigade Kolkmeyer défile sur la place _ d’Osnabrück _

mais tout est illusion

_ comment vraiment bien comprendre cette formulation ? Est-ce là s’incliner devant un invincible perspectivisme, d’ordre par exemple monadologique, à la Leibniz ? Page 46, se trouve la formulation « Chacun sa tragédie, chacun pour soi«  ; et nous retrouvons à nouveau ici la très grande difficulté de parvenir à vraiment « s’entrecomprendre«  (le mot se trouve à la page 101) ; cf mon précédent article du 6 février dernier :  _,

je n’arrive pas à croire _ se disent définitivement, et Ève, et Hélène _ qu’Omi ne déménage pas demain.

Elle récite _ irréalistement, se berçant-grisant d’illusions humanistes inappropriées à la situation du nazisme… _ du Gœthe.

_ Ce n’est pas un raisonnement, dit ma fille, c’est un comportement conjuratoire _ une conduite irrationnelle magique.

On n’arrive pas à croire _ vraiment _ ce qu’on voit » _ sans le voir vraiment, non plus,

en ses trop partiales focalisations.

Or, quand Siegfried Katzmann réussit

_ par quels invraisemblables biais ? nous ne le saurons pas, du moins directement ; probablement grâce à l’obtention inespérée du visa américain demandé à Paris en 1937 ; mais lui-même, Fred, par anticipation, l’a annoncé, mais comme subrepticement, pour nous lecteurs; à la sauvette, à la page 55 : « à la fin est arrivé le Visum pour les États-Unis«  _

à quitter le camp de Buchenwald, en décembre 1938 (le 13 ?),

mais on ignore _ et le lecteur ici ne l’apprendra pas ! _ par quels détours compliqués ou absurdes des administrations _ américaine et allemande nazie _ ;

et que,

« la tête rasée« ,

il croise-contemple, au passage, la maison de Gœthe, à Weimar _ qu’il traverse en quittant Buchenwald, tout proche _,

« relâché _ qu’il vient d’être du KZ _ dans les rues de la ville,

chaque rue 1939 _ ou plutôt 13 décembre 1938 ? _

qui autrefois _ à lui, lui aussi, lecteur de Gœthe _ lui était aussi familière qu’une cousine _ assez régulièrement fréquentée _

est maintenant irréparablement _ voilà ! _ étrangère.


C’est Siegfried qui a changé : il est devenu orphelin d’illusions
« 

_ maintenant décédées au KZ de Buchenwald ;

car un très crucial fil matriciel a été, et possiblement pour jamais (mais qui sait vraiment ?)

rompu, tranché net,

sans retour.

Le mot illusion revient encore une avant-dernière fois à la page 111 :

en son voyage-aller vers Buchenwald, dans l’Omnibus _ « C‘était un Mercedes, puissant, avec cette carapace qui donne à ces véhicules l’allure d’un mastodonte. On se sent enfourné dans un ventre, petite bouchée de viande mastiquée« qui transporte les Juifs prisonniers vers le KZ,

Siegfried-Fred est particulièrement sensible, durant tout le trajet, au « Silence.

Un silence armé violent, silence _ terrorisé _ de plomb.

Même l’oiseau que Fred a cru entendre,

illusion, plomb« .

Et encore une toute dernière occurrence de ce mot « illusion« , à la page 139,

en la page d’ouverture du quatrième et dernier chapitre, intitulé « Je voudrais parler de l’espoir » _ et c’est Hélène qui parle, avec recul, en ce titre de dernier chapitre _ :

« à aucun moment _ là c’est Fred qui raconte en son Bericht de mars 1941 _ on n’a pensé _ car c’était bien impossible, et le « on«  est un « on«  collectif des prisonniers du KZ… _ à _ raisonnablement _ espérer

_ et il était encore bien plus difficile alors, forcément, de se laisser aller-bercer-prendre à s’illusionner ! _,

chaque minute était abrupte _ et d’une violence implacable, en son tranchant comme en sa terrible écrasante pesanteur _ comme un rocher,

on ne pense rien,

on va _ seulement _ de défaite en défaite

_ voilà !

nul espace mental, pas davantage que physique, ne laisse, ici et alors, le moindre interstice pour quelque projection fantasmatique que ce soit, de désirs à plaquer sur pareille massivement « abrupte«  violentissime absurde effroyable réalité ! Désirs et réel étant totalement absolument incompossibles, voilà !, en cet Enfer du KZ !!! ;

je pense ici au détail descriptif si remarquable de l’Être sans destin, d’Imre Kertész, qui se déroule, lui aussi, comme le Bericht de Fred Katzmann, en grande partie à Buchenwald ; ainsi, encore, qu’à son saisissant et extraordinaire récit de retour, Le Chercheur de traces, de Kertész lui-même se racontant, très ironiquement, revenant longtemps après son premier séjour au camp, à la fois à la gœthéenne Weimar, qu’il visite, et à un Buchenwald muséifié (de même qu’à Zeitz, un camp-chantier subordonné à Buchenwald, et laissé, lui, quasiment tel quel ; ce texte admirable, publié en 1977 à Budapest, a été aussi republié plus tard, après 1989-90 et la chute du Mur, au sein du superbe recueil Le Drapeau anglais ! _,

on n’a pas d’illusion _ à laquelle tenter d’imaginer se raccrocher fantasmatiquement si peu que ce soit,

se bercer… _,

on n’a rien _ rien du tout _,

on ne veut pas, c’est tout,

il n’y a que du temps à l’infini le même

et pas d’avenir » _ sans destin, donc ; soit l’intuition même de Kertész !

Avant qu’in extremis,

ne surgisse l’improbable libération _ « du kamp et pour la vie« , page 144 _ d’un prisonnier,

Max Gottschalk, d’Osnabrück

_ « le fils du marchand de bestiaux« , page 144, dont ses concitoyens prisonniers au KZ savaient tous qu’il avait sollicité un visa de sortie d’Allemagne pour les États-Unis _,

donnant enfin une mince occasion,

à chacun de ses concitoyens et coréligionnaires d’Osnabrück,

d’espérer si peu que ce soit aussi, à son tour, et pour soi-même,

car « tous ceux d’Osnabrück savaient que Gottschalk avait demandé un visa pour l’Amérique.

C’est comme s’il l’avait eu dans sa poche » :

« Chacun a sursauté en sentant revenir _ _ l’espoir

_« dans les ténèbres une lueur d’espoir. Schimmer. Scintille« , page 143 _

dans le cadavre _ en putréfaction déjà _ de l’existence » _ dans le KZ de Buchenwald _, page 143…

A coté de la dangereuse illusion,

scintille donc une mince lueur d’espoir, un tout petit peu réaliste, ou rationnelle, par conséquent

_ mais espoir et illusion sont toujours si difficiles (ou impossibles ?) à distinguer-dissocier…

Mais il faut souligner aussi que

c’était alors l’époque _ cet automne 1938-là _ où Hitler ne désirait pas encore nécessairement _ et surtout n’avait pas commencé d’entreprendre très méthodiquement _ la destruction massive immédiate de tous les Juifs d’Europe (dont, aussi, ceux d’Allemagne),

commençant par mettre en œuvre d’abord la simple expulsion _ soit le plan dit Madagascar _ de ses Juifs hors du territoire du Reich ;

c’est ainsi qu’allait être organisée en octobre 1940 la déportation au camp de Gurs, par train,

dans le lointain sud-ouest de la France, au pied des Pyrénées, 

des Juifs du Land de Bade

_ parmi lesquels Wilhelm Mosch, mari de Gerta (ou Gerda) Löwenstein,

la cousine « préférée«  et « d’une gentillesse infinie » d’Ève ! comme Ève l’indique à la page 58 de 1938, nuits) ;

Gerda et son mari finissant un peu plus tard en fumée à Auschwitz, au mois d’août 1942.

Il y a donc bien des illusions mortelles.


Ce vendredi 8 février, Titus Curiosus – Francis Lippa

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