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La somptueuse beauté, tendre et discrète, et qui touche, de François Couperin en ses Messes : la « Messe propre pour les couvents » (en 1690), par Olivier Latry sur les Grandes Orgues de la Chapelle Royale de Versailles, et l’Ensemble vocal « Chant sur le Livre alterné », dirigé par Jean-Yves Haymoz…

09mai

C’est un peu pour me nettoyer l’ouïe de la musique trop peu naturelle de Pancrace Royer (Turin, 1703 – Paris, 1755) _ cf mon article d’hier 8 mai « «  _ que je suis venu, très vite, rechercher le réconfort de la sublime discrétion et tendresse d’intimité de François Couperin (Paris, 1668 – Paris, 1733) en ses sublimissimes Messes _ pour orgue _ de 1690.

Ce François Couperin qui affirmait : « J’aime beaucoup mieux mieux ce qui me touche, que ce qui me surprend » ; une parole que Laurent Brunner _ le directeur de la Collection Château de Versailles Spectacles _ commente très justement : « un manifeste de sa musique, et son ancrage dans la tradition française« …

Et cela en partie sous l’encouragement du bel article de ce jour même, de Frédéric Muñoz, « Les Messes pour orguee de Couperin, avec Olivier Latry et Jean-Yves Haymoz, à Versailles« , sur le  site de ResMusica.

Dans la magnifique et généreuse nef de la Chapelle royale de Versailles, les deux Messes pour orgue de François Couperin rehaussées d’un plain-chant lumineux _ emprunté pour l’occasion au grand Henry Dumont (Looz, 1610 – Paris, 1684) _ sonnent en gloire sous les doigts inspirés d’Olivier Latry.

Les Messes pour orgue de François Couperin sont largement représentées au disque. De nombreux organistes intéressés par l’orgue classique français ont proposé leur version, traduisant souvent de fort belles réussites par le choix des instruments _ un élément toujours, bien sûr, capital _ et des diverses propositions de plain-chant alterné. En effet, depuis les années 1950 et la naissance d’une discographie vinyle en plein essor, on a vu fleurir au fil des années une trentaine de versions, mettant en valeur tel ou tel orgue historique. André Marchal fut l’un des premiers, à l’orgue du Prytanée militaire de La Flèche (Sarthe). Cette période fut celle de la redécouverte des répertoires classiques français et surtout d’une manière de jouer qui se voulait déjà historiquement informée, avec en particulier Michel Chapuis en tête _ oui _ qui révéla alors ces œuvres à la fin des années 60 sur le magnifique instrument historique de Saint-Maximin _ oui. D’autres musiciens suivirent cette voie, y compris certains peu habitués à ce répertoire. Pierre Cochereau, initié aux notes inégales (manière particulière de rythmer les croches), enregistra suivant ces enseignements ce livre d’orgue à Notre-Dame de Paris. Par la suite, ces pièces, devenues familières aux mélomanes, tentèrent de nombreux organistes jusqu’à nos jours, offrant un choix discographique abondant _ en effet.

Vers l’âge de vingt ans, François Couperin compose deux Messes pour orgue qui resteront _ en effet… _ ses seules compositions dédiée à cet instrument. La première dite « à l’usage ordinaire des paroisses pour les fêtes solennelles » s’adresse à un orgue d’importance, de 16 pieds, tel que l’on pouvait en trouver dans les cathédrales ou de grandes églises comme Saint-Gervais à Paris où il était titulaire _ oui ! _, comprenant un pédalier de large tessiture. L’écriture réclame des caractéristiques bien précises sur le type d’instrument, l’auteur indiquant les mélanges de jeux à utiliser. La seconde Messe dite « propre pour les couvents de Religieux et Religieuses » est écrite pour un orgue de plus petite taille (8 pieds) que l’on trouvait habituellement dans les abbayes, avec un pédalier plus court, ce dont Couperin tient compte dans son écriture.

A Versailles, les proportions de l’orgue sont intermédiaires, et conviennent pour ces œuvres dans leur ensemble. Olivier Latry offre ici une très belle version _ oui !!! _, par une utilisation très mesurée et véridique de l’orgue, à la fois rayonnante et intime _ et là l’essentiel est magnifiquement dit. Les tempi sont parfaitement adaptés _ et c’est aussi important, bien sûr _ à l’acoustique généreuse de la chapelle, et l’ornementation chatoyante qui agrémente le discours renforce l’émotion _ forte, en sa délicatesse _ de cette musique, notamment dans les pièces méditatives que sont les Tierces ou les Cromornes en taille. L’orgue est utilisé suivant _ bien sûr _ l’une ou l’autre des Messes à l’échelle _ différente _ d’un instrument de cathédrale ou de couvent.

Chaque cathédrale, chaque diocèse, utilisait un plain-chant qui pouvait varier dans sa présentation. Les mélodies, l’ornementation, l’homophonie ou la polyphonie étaient autant de paramètres qui fluctuaient _ oui _ en fonction des lieux et des traditions. Au XVIIᵉ siècle, le compositeur Henry Du Mont écrit plusieurs Messes royales en plain-chant musical. Ces œuvres sont idéales _ voilà _ pour la pratique de « l’Alternatim », c’est à dire un dialogue alterné entre les versets de l’orgue et l’ordinaire de la messe, suivant ici la technique du chant sur le livre _ voilà _ qui rajoute une ou plusieurs voix, dont certaines sont improvisées _ tout cela étant important… Ainsi, tout le texte de la liturgie est _ ainsi _ exposé soit à l’orgue, soit au chœur. C’est la Messe du 6ᵉ ton de Dumont qui a été choisie ici pour s’insérer harmonieusement avec les interventions musicales de Couperin pour sa Messe pour les Couventset la Messe IV « Cunctipotens genitor Deus » choisie par Couperin lui-même pour celle « à l’usage des Paroisses ».

Fidèle à cette pratique du chant sur le livre, Jean-Yves Haymoz dirige le groupe vocal _ éponyme _ en mettant l’accent sur la variété des interventions : plain-chant tantôt à la basse, au ténor, à une ou plusieurs voix, faisant de cette version une découverte _ généreuse et superbement venue _ dans toutes les possibilités que peut offrir une simple ligne de mélodie latine. Les six voix mixtes du petit groupe vocal _ Clémence Carry, Marthe Davost, Jeanne Lefort, Cyril Escoffier, Marc Mauillon, Jean-Marc Vié _ forment ainsi un ensemble équilibré _ oui _ qui joue à parts égales _ oui _ avec l’orgue. Le déroulement musical de la Messe est ainsi complet, y compris le motet incontournable placé à la fin de la cérémonie, juste avant la conclusion de l’ensemble : le fameux Domine salvum fac Regem (Seigneur, sauvez le Roy).

Cet enregistrement devient désormais _ voilà ! _ l’une des références _ discographiques _ de l’œuvre en ce lieu emblématique _ qu’est la Chapelle Royale du Château de Versailles, achevée de construire en 1710 _ où François Couperin fut lui-même organiste titulaire. Sa musique rayonne _ oui, en tendresse et humilité _, portée par des musiciens spécialistes de cet art baroque français. Encore un très bel ensemble dans la collection autour de l’orgue historique du Château de Versailles, enrichi par une prise de son véridique et une iconographie très soignée.

Pour commencer,

j’écoute en boucle le merveilleux CD Château de Versailles CVS082 de la sublimissime discrète « Messe propre pour les couvents«  _ avec, intercalé, le plain-chant tiré de la « Messe du Sixiesme ton«  de Henry Dumont _, par Olivier Latry aux Grandes Orgues de la Chapelle royale du château de Versailles, et l’Ensemble vocal « Chant sur le livre » dirigé par Jean-Yves Haymoz _ un CD enregistré du 5 au 9 janvier, et /ou bien du 4 au 6 avril 2022…

Avec ici en court extrait (de 3′ 39) cette vidéo-ci

Une réalisation musicale et discographique splendide ! _ quelle élévation de tout ! _,

d’Olivier Latry et Jean-Yves Haymoz, donc…

Ce mardi 9 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Dacia Maraini, superbe et lumineuse médiatrice, par sa littérature vraie, de voix empêchées ou contraintes, pour l’ouverture de la 4e édition du « Printemps italien », au Château de Thouars, à Talence, ce samedi 18 mars 2023

18mar

Ce samedi 18 mars 2023,

de 18h 30 à 20h 30, au Château de Thouars à Talence, pour l’ouverture de la 4e édition du « Printemps italien » dans la métropole bordelaise,

et dans un  français impeccable,

Dacia Maraini _  née le 13 novembre 1936 à Fiesole _ a été lumineusement splendide. 

À propos de son œuvre _ dont « La Vie silencieuse de Marianna Ucria » et « Le Bateau pour Kôbé : journaux japonais de ma mère«  (celui-ci traduit en français par Nathalie Castagné) : deux récits particulièrement emblématiques de son « donner une voix«  à qui est privé, momentanément ou durablement, de la parole (ou de l’écoute) : Marianna, ainsi, était sourde et muette ; quant à la famille de Dacia au Japon, c’était quand celle-ci a été internée au Japon, pour son anti-fascisme, pour avoir refusé allégeance au régime de Salò… ; « Voix«  étant aussi, très significativement, le titre d’une œuvre importante, « Voci« , en 1994, de Dacia Maraini… _,

dont elle a dit _ et c’est là le fondement ferme et constant de la conception que Dacia Maraini assigne à sa littérature… _ que chacun de ses romans est comme une réponse un peu développée _ et c’est là un euphémisme : en bien plus qu’une année d’écriture… _ à un personnage _ ou « caractère« , a-t-elle dit : historique ou bien contemporain… _ qui frappe un instant à sa porte, toc-toc, se présente à elle, et finit par demander, d’abord à passer la nuit en quelque chambre, puis, au matin, prendre un bon petit-déjeuner, et finalement séjourner le temps qu’il faudra en sa compagnie _ d’écriture (pour elle, réceptrice de cette voix qui demande à être un peu et enfin écoutée) de l’histoire à narrer de son récit, qui appelait ainsi, très instamment, à être donné et transmis, par elle, Dacia, à être raconté, et partagé, et reçu vraiment, par le menu infiniment sensible, et ainsi enfin « parlant« , par le passage à l’écriture (et après la lecture) d’une vraie littérature (l’unique qui vaille ! le reste, de divertissement, n’étant rien que misérable et très vaine imposture…), de ses plus significatifs très humbles, mais vrais détails, par les lecteurs les découvrant au fil de ce récit ;

en une forme de « mission civique » pour la médiatrice-réceptrice de cette voix qui demandait à être enfin entendue, que se fait alors, en quelque sorte, l’écrivaine-médiatrice, elle-même humble porte-parole de cette humilité profonde de victimes sollicitant d’être un peu écoutées et enfin un peu entendues, et reçues, via cette littérature… _ ;

à propos des femmes _ surtout celles qui, telle sa mère, Topazia, dans l’épreuve, sont fortes ;

et, en réponse à une question mienne sur les écrivaines italiennes qui comptaient le plus pour elle, Dacia, celles qu’elle a qualifiées (telle fut en effet sa très forte expression) d’ « écrivaines-mères«   pour elle : Elsa Morante, Natalia Ginzburg, Lalla Romano, Goliarda Sapienza _,

et à propos de l’infiniment tendre douceur de son ami Pier-Paolo Pasolini _ dont elle a détaillé le récit de leurs voyages (sous la tente), avec aussi Alberto Moravia, dans les contrées les plus misérables d’Iran, Inde, Yemen, ou Afrique ; en marquant bien l’importance des détails les plus quotidiens, humbles, et même triviaux, à relever et figurer, en l’écriture, comme de très maigre et pauvre nourriture vitale partagée, telle une poignée de riz mêlée de cadavres de mouches, par exemple…

Le 3 mars 2022, a paru, aux Edizioni Neri Pozza, « Caro Pier Paolo« , de Dacia Maraini, à propos duquel voici la vidéo (d’une durée de 48′ 41) d’un entretien, le 16 novembre 2022, entre l’auteur, s’exprimant en un français magnifique, et Stefania Graziano-Glockner, la présidente du Festival « Le Printemps italien« … 

Une bien belle soirée.

Ce samedi 18 mars 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Sublime Benno Moiseiwitsch (1890 – 1963), le pianiste « magicien » venu d’Odessa : « Tout pour la musique et la poésie, rien pour l’esbroufe et le brio »…

09mar

Ce sont les articles dans le Classica n° 249 du mois de février dernier, et dans le Diapason n° 720 de ce mois de mars 2023, sous les plumes respectives, page 101, de Jean-Charles Hoffelé (« Tout pour la musique et la poésie, rien pour l’esbroufe et le brio » _ « Rien ne devait faire obstacle au contact direct avec l’œuvre. En cela, ce virtuose est en fait un anti-virtuose« , précise même excellemment cet article… _) et, page 64, Laurent Muraro (« Moisiewitsch le magicien« ),

ainsi que, et plus et mieux encore,  les deux extraits, respectivement le  »Langsam getragen ; Durchweg leise zu halten » (de 8′ 28), le troisième mouvement de la Fantasie Op. 17  ; et les trois premiers mouvements « Des Abends« , « Aufschwung » et « Warum ? »  (de 6′ 55) de la Fantasiestücke Op. 12 de Robert Schumann, proposés à l’écoute sur le CD accompagnant de ces deux magazines,

qui m’ont immédiatement incité à chercher à me procurer le plus vite possible le coffret de 19 CDs SC837 que le label Scribendum vient de publier cet hiver 2022-2023, me faisant accéder, enchanté, à ces merveilles d’interprétation de Benno Moiseiwitsch (Odessa, 22 février 1890 – Londres, 9 avril 1963), miraculeux pianiste…

Tout un monde nous est, en effet, ici restitué,

magiquement révélé par la gracile légèreté de touche, qui va si profond,

de ce parfait tranquille et merveilleusement humble vrai poète de la musique...

Une rencontre unique à ne pour rien au monde laisser passer,

en ce rare trésor d’interprétation vraie, justissime, de la musique de piano…

 Ce jeudi 9 mars 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Benjamin Alard « dans la lumière de Bach », ou l’art tout à fait humble de la très simple et pure spontanéité : un passionnant entretien d’un merveilleux interprète ouvert, intelligent et honnête…

29jan

En quelque sorte en complément à mon article enthousiaste du 21 janvier dernier «  » à propos de la réalisation enchanteresse en concert à Madrid (et à l’enregistrement live qui en a été fait en CD _ le CD Marchvivo MV 007 _),

le site ResMusica vient de publier, le 25 janvier dernier, un passionnant entretien de Cécile Glaenzer avec Benjamin Alard, très simplement intitulé « Rencontre avec Benjamin Alard : dans la lumière de Bach« , à propos, surtout, de son extraordinairement belle entreprise discographique en cours d’interprétation _ magistrale et hyper-vivante !!! _ de tout l’œuvre pour claviers _ au pluriel : clavecins, orgues, clavicordes, etc.  _ de Johann-Sebastian Bach…

Voici donc ce très bel entretien _ avec quelques farcissures miennes, en vert _ :

Rencontre avec Benjamin Alard, dans la lumière de Bach

Depuis 2019, l’organiste et claveciniste Benjamin Alard s’est lancé dans ce qui représente un véritable Graal pour beaucoup de musiciens : l’enregistrement de l’intégrale de l’œuvre pour clavier _ au pluriel, donc ! _ de Johann Sebastian Bach. Sept volumes _ chacun de plusieurs CDs ! _ d’une collection qui devrait en comprendre dix-sept sont déjà parus. La grande originalité de cette entreprise est qu’elle fait alterner les trois instruments à clavier pour lesquels Bach a écrit : l’orgue, le clavecin et le clavicorde.

ResMusica : Comment se construit un tel projet? Aviez-vous une idée de l’ensemble au départ, ou empruntez-vous des chemins de traverse ?

Benjamin Alard : Il y a d’abord eu un projet en 2010 avec le label Alpha, _ et Jean-Paul Combet _ qui a commencé avec l’enregistrement de la Clavier-Übung I et II, et qui devait être _ voilà ! _ une intégrale des œuvres pour clavier de Bach éditées à son époque. Mais ce projet n’est pas allé au-delà de ces deux premiers volumes. Après une période d’interruption, je me suis alors tourné vers un programme qui suivrait une trame chronologique autour des dates-clefs de la vie de Bach. Ce projet a peu à peu évolué, passant de quatorze volumes prévus à dix-sept volumes de trois ou quatre CD _ chacun, voilà. Ce qui a guidé mes choix, c’est à la fois la chronologie de la vie de Bach et les références _ aussi _ aux compositeurs antérieurs qui ont pu l’influencer. Il me semblait important de me laisser guider par les évènements marquants de sa biographie : perte des êtres chers, rencontres, naissances, éducation de son fils aîné … C’est ainsi que dans les premiers volumes, on entend des musiques de Buxtehude, Pachelbel, Grigny, Frescobaldi et beaucoup d’autres, pour comprendre ce qui fait le lit musical de ses jeunes années _ et c’est assurément important. Et plus il avance dans sa vie, plus il va développer un style qui lui est propre.

« Cela prend du temps de réussir à s’affirmer complétement et d’être suffisamment libre pour oser des choses »

RM : La question du choix des instruments est particulièrement passionnante _ évidemment _ pour ce répertoire. Les chemins de traverse, cela peut être la rencontre avec un instrument auquel vous n’aviez pas pensé a priori. 

BA : Oui, c’est très juste. Par exemple, je n’avais pas imaginé enregistrer le clavierorganum (instrument qui réunit un orgue et un clavecin sur le même clavier). C’est une rencontre avec cet instrument si particulier à l’occasion d’un concert à la Cité de la Musique qui m’a fait découvrir la richesse de ce mélange de timbres pour la polyphonie, puisqu’on peut à la fois tenir les sons (orgue) et les rendre très clairs (clavecin). On ne sait pas si Bach a joué ce type d’instrument, mais ça m’est apparu très intéressant. Bien sûr, c’est un risque d’emprunter des chemins aussi inhabituels, mais c’est aussi ce qui fait la force d’une rencontre avec un instrument _ oui ! Et j’ai la chance que le label Harmonia Mundi me suive dans ces expérimentations. Il y a eu aussi le clavecin à pédalier et, dans le prochain volume, le clavicorde à pédalier, une autre véritable rencontre. Je voulais surtout éviter de faire une intégrale « encyclopédique » ; ce qui m’importe est d’apporter une écoute différente, et aussi de contextualiser les œuvres _ voilà. Il faut se rappeler qu’à l’époque de Bach, l’orgue n’était pas utilisé aussi souvent, il fallait la présence d’un souffleur, c’était un luxe exceptionnel. Donc, la fréquentation des instruments domestiques _ oui ! _ comme le clavecin ou le clavicorde munis de pédalier était primordiale. Rappelons nous aussi que ces œuvres n’étaient pas faites pour être entendues en concert _ oui. Le concert, c’est comme la fréquentation d’un musée, les œuvres y sont décontextualisées.

RM : Avez-vous une totale liberté dans le choix des instruments?

BA : Oui, je me sens très libre dans cette aventure. Le dialogue avec la maison de disques est très important pour la question des instruments. Harmonia Mundi me fait confiance _ c’est bien. Par exemple, pour l’enregistrement du Clavier bien tempéré, la rencontre avec l’extraordinaire clavecin Haas, qui est un peu comme un véritable orchestre, avec des possibilités de registrations si nombreuses, cela permet une nouvelle approche des Préludes et Fugues. Je dois beaucoup à la rencontre avec les instruments, les facteurs et aussi les lieux _ oui. C’est un gros risque, parce que parfois je n’avais pas prévu d’enregistrer une pièce de cette façon, et il me faut changer des choses en fonction de l’instrument.

RM : Vous aviez déjà enregistré plusieurs disques consacrés à JS Bach il y a plus de dix ans, en particulier les sonates en trio et la Clavier-Übung dont on a parlé. Avez-vous évolué dans votre approche ?

BA : Oui, bien sûr. En ce qui concerne les sonates en trio que j’avais enregistrées à l’orgue, je les ai jouées ici sur le clavecin à pédalier ou le clavicorde à pédalier, ça donne forcément autre chose. En ce qui concerne les registrations à l’orgue, on ne sait pas vraiment comment on registrait à l’époque _ voilà. Tout est basé sur le « bon goût » et le choix de l’interprète. Pour les Partitas et le Concerto italien, j’avais enregistré un clavecin d’Anthony Sidey dont je n’avais pas utilisé toutes les possibilités à l’époque, en particulier un jeu de nasal dont je n’avais pas osé me servir. Cela prend du temps _ certes ! _ de réussir à s’affirmer complétement et d’être suffisamment libre pour oser des choses _ et pareille simplicité de franchise fait très plaisir à constater... Je pense qu’avec ce projet j’avance dans les découvertes, je mûris _ bien sûr ! Et c’est très bien !


RM : On vous imagine volontiers comme un musicien nomade, allant à la découverte d’instruments rares. Comment cette familiarité avec Bach oriente-t-elle le choix de vos programmes de concerts?

BA : Souvent, on me demande de ne faire que ça. J’essaie toujours d’associer Bach à autre chose _ bravo ! _, de susciter des rapprochements. Bach fascine, mais il peut être complexe à écouter pour le public, et il peut être intéressant de faire entendre autre chose avant pour aider l’écoute _ oui _ et permettre de contextualiser _ voilà, voilà ! _ les œuvres de Bach et les rendre plus faciles à entendre. A ce propos, je voudrais évoquer la question de l’enregistrement. Aujourd’hui, beaucoup de concerts sont enregistrés, soit pour être archivés, soit pour se retrouver en ligne. C’est parfois difficile d’accepter ça. Il y a deux ans _ le 1er février 2020, à Madrid _, j’ai joué en concert un programme consacré à la famille Couperin, concert enregistré ; on m’a demandé par la suite d’éditer un disque avec cet enregistrement et, après l’avoir réécouté, j’ai accepté _ merci ! et l’enregistrement est mafnifique _ et ce disque va sortir prochainement _ il est sorti ; cf mon article du 21 janvier, cité plus haut. Le rapport à l’enregistrement a énormément changé aujourd’hui où tout le monde peut s’enregistrer facilement. Qu’on soit d’accord ou non, il y a un changement qui est maintenant bien établi. Ce projet m’a permis de complètement changer mon rapport à l’enregistrement.

« Ce n’est pas un problème de laisser certaines imperfections, c’est la vie, ça laisse une plus grande sincérité musicale »

RM : De quelle façon?

BA : Avant, à l’époque de mes premiers disques, il y avait le directeur artistique qui avait une empreinte forte sur l’enregistrement. Pour un disque, on disposait en gros d’une semaine d’enregistrement, c’était très confortable, il suffisait de faire confiance au directeur artistique. Peu à peu, pour des raisons principalement économiques _ de plus en plus pesantes et pressantes _, le directeur artistique et l’ingénieur du son sont devenus une seule et même personne, et la démarche est devenue plus analytique : on faisait une première prise, on écoutait, on discutait, on recommençait, on détaillait beaucoup. Aujourd’hui, lorsque je réentends mes disques d’il y a dix ans, comme la Clavier-Übung, je leur trouve ce côté analytique, moins spontané. J’ai laissé reposer tout ça, je n’ai plus enregistré que des disques en live _ voilà. Et quand il a été question de reprendre le projet d’intégrale, les conditions avaient beaucoup changé, je me suis retrouvé avec une semaine d’enregistrement pour trois ou quatre disques ! On a dû travailler vite, et j’ai expérimenté de nouvelles méthodes, comme d’enregistrer avec un casque sur les oreilles, ce qui m’a permis de me diviser en deux, d’avoir une oreille extérieure en même temps que le musicien s’exprime. On gagne beaucoup de temps. Cette manière de m’approprier ainsi le travail d’enregistrement _ voilà _, en parfait accord avec Alban Moraud (le preneur de son), permet de bien avancer. Cela demande un travail préparatoire colossal, mais on enregistre six disques en deux semaines _ mazette ! Et le résultat qui en ressort est plus vivant, plus spontané _ c’est très bien ! _, moins aseptisé. On corrige moins de détails, et l’ensemble gagne en patine. Plus on corrige, plus on risque de déstabiliser l’ensemble. Ce n’est pas un problème de laisser certaines imperfections, c’est la vie _ exactement ! _, ça laisse une plus grande sincérité musicale _ oui. C’est comme une photographie argentique où un petit défaut donne une âme à la photo alors que le numérique, avec sa définition trop parfaite, risque d’enlaidir parce qu’on découvre ce que l’œil ne voit pas _ excellente comparaison.

RM : Le dernier volume paru remet les chorals de l’Orgelbüchlein en situation : des préludes de choral qui introduisent la version chantée des textes luthériens. Comment avez-vous conçu ce programme original ?

BA: Ce travail a été initié avec Marine Fribourg il y a quelques années à Arques-la-Bataille, avec les chorals du Catéchisme. Pour l’Orgelbüchlein, il s’agit pour le compositeur de montrer ce qu’on peut faire à partir d’un choral, mais ça reste des préludes de chorals _ voilà _ destinés _ tout simplement, et très fonctionnellement… _ à introduire le chant d’assemblée. Il me paraissait donc important de connecter _ mais oui ! _ ces chorals avec la version chantée. Le chant du choral est au cœur _ mais oui _ de la foi luthérienne. J’ai choisi d’improviser l’accompagnement pour garder la spontanéité _ excellent ! _, et d’enchaîner le prélude et sa version chantée, comme au culte _ voilà. Après une première session avec l’ensemble Bergamasque, je me suis dit qu’il était indispensable de faire aussi appel à des voix d’enfants, comme c’était le cas à l’époque, et nous avons fait ce travail avec les enfants de la maîtrise de Notre-Dame. C’est très intéressant, parce que c’est l’orgue _ voilà _ qui donne l’impulsion _ c’est-à-dire l’élan de l’enthousiasme. Il y a eu un beau travail d’Alban Moraud pour reconstituer le son d’une assemblée, et c’est très réussi.

RM : Vous êtes pratiquement à la moitié du projet. Comment imaginez-vous la suite ?

BA : Avec le même appétit musical  _bravo ! _ que depuis le début ! Et en me laissant surprendre _ mais oui : accueillir ce qui vient et survient. Par exemple, je ne m’attendais pas à ce que le clavicorde apparaisse aussi tôt dans le déroulement de l’intégrale, c’est un peu la faute des mois de confinement _ forçant à la pratique la plus intime de la musique… Pour la suite, il y aura peut-être _ qui sait ? _ des instruments inattendus, utilisés de manière inattendue. Dans les prochains volumes, il y aura un chanteur pour une cantate en italien. Et puis la première version _ Wow ! _  du cinquième concerto brandebourgeois. J’espère pouvoir associer au projet des œuvres de musique de chambre _ mais oui _ et de petites cantates _ comme cela se pratiquait quasi au quotidien dans le cercle familial des Bach... _, pour montrer l’influence _ qui en résultait _ sur la musique de clavier. Avant tout, c’est l’écoute qui me guide. Je ne veux pas tout décider à l’avance _ bravissimo !!!

Crédit photographique : © Bernard Martinez

 

Un superbe entretien

avec un musicien magnifique, merveilleux, parfaitement honnête, ainsi que très intelligent…

Déjà accompli. Et c’est loin d’être fini…

Immense merci !

Ce dimanche 29 janvier 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le violon plus-que-parfait de Frank-Peter Zimmermann : à explorer en toute sa palette avec délectation…

29jan

En mon article du mercredi 25 janvier dernier, « « ,

je disais tout le bien que je pensais de l’admirable jeu musical de Frank-Peter Zimmermann.

Ce qui m’a incité à faire emplette

à la fois de son CD Martinu/Bartok Bis 2457 SACD des 2 Concertos pour violon de Bohuslav Martinu (avec le Bamberger Symphoniker sous la direction du chef tchèque Jakub Hrusa) et de la Sonate pour violon seul de Bela Bartok _ un CD qui, alors que je m’intéresse particulièrement aussi à tout l’œuvre de Bohuslav Martinu, avait échappé à mon attention à sa sortie, en 2020 : un CD transcendant ! ; cf l’excellent compte-rendu très détaillé (et avec extraits musicaux !) qu’en donne le 27 décembre 2020 Colin Clarke sur le site classicalexplorer.com _ ;

mais aussi de son récent coffret de 30 CDs de ses « Complete Warner Recordings » Warner 0190296317880 _ d’enregistrements pour EMI entre 1984 et 1997 (plus un CD Ligeti pour Teldec, enregistré en 2001) : né à Duisburg le 27 février 1965, Frank-Peter Zimmermann avait tout juste 19 ans en 1964, et 32 ans en 1997. Le mois de février prochain, il aura donc 58 ans accomplis…

Cf le très bel et très juste article « Zimmermann, la jeunesse«  que Jean-Charles Hoffelé a consacré à ce si riche coffret, le 18 septembre dernier, 2022…

En me convainquant ainsi,

avec l’appui de la plus éclatante évidence de la réussite absolue _ oui ! _ de tous ses CDs réalisés pour l’excellent label suédois Bis _  ainsi en ai-je ré-écoutés la plupart, et en particulier aussi  ceux avec Antoine Tamestit et Christian Poltéra, eux aussi musiciens magnifiques !.. _ ;

de l’extraordinaire précocité d’émergence de son lumineux talent, du temps, déjà, de ses enregistrements pour EMI _ entre les 19 et 32 ans de sa prime jeunesse… _, en ce généreux splendide coffret de 30 CDs que vient de proposer, cet automne 2022, le label Warner :

par exemple, en la réussite éclaboussante de ses quatre CDs de Sonates pour violon et piano de Mozart, avec le magnifique Alexandre Lonquich _ enregistrés aux mois de mai 1987 et mai 88, pour les deux premiers (les CDs 7 et 8), et juillet 1989 et juin 1990 pour les deux autres (les CDs 14 et 15) ; et toujours avec la naturelle complicité éminemment musicale d’Alexander Lonquich, mais, en un bien différent registre musical de leurs talents, le CD 11 de ce copieux coffret Warner comporte les deux superbes Sonates pour violon et piano de Sergei Prokofiev, enregistrées en novembre et décembre 1987…

Quel talent déjà si jeune muri et accompli !

Et quel parcours d’excellence si musicalement épanoui pour atteindre l’absolu des transcendantes merveilles d’interprétation d’aujourd’hui _ pour le label Bis tout spécialement…

C’est donc avec pas mal d’impatience que j’attends le Volume II _ est-il ou pas déjà enregistré ? _ de ses Sonates & Partitas pour violon seul (BWV 1001, 1002 et 1005) de Bach, ce chef d’œuvre lui aussi absolu, que Frank-Peter Zimmermann a atteint d’avoir un tel âge pour oser enfin y confronter son propre accomplissement de très humble _ mais très exigeant à l’égard de soi-même aussi _ interprète, comme sont les vrais grands …

Ce samedi 28 janvier 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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