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Et écouter le grand Christian Tetzlaff dans le « Concerto à la mémoire d’un ange » de Gustav Mahler…

09fév

Parmi les violonistes absolument majeurs d’aujourd’hui : Christian Tetzlaff _ Hambourg, 23 avril 1966.

Qui vient de nous donner, au CD _ le CD Ondine ODE 1410-2, avec le chef Robin Ticciati dirigeant le Deutsches Symphony-Orchester Berlin, en un enregistrement au Studio Nalepastrasse à Berlin, les 28 et 29 septembre 2021 _, une interprétation sublimissime de justesse _ d’incarnation (dénuée du moindre larmoyant pathos ou de kitsch) des sentiments abyssaux qui s’y expriment... _ du sublimissime Concerto pour violon « À la mémoire d’un ange«  (de 1935 _ l’œuvre est achevée le 12 août _) d’Alban Berg (Vienne, 9 février 1885 – Vienne, 24 décembre 1935) dont voici ici de quoi écouter et l’Andante – Allegretto (de 11’12), et l’Allegro – Adagio (de 15’19)… _ ;

que Christian Tetzlaff a tenu tout spécialement à coupler ici _ et il s’en explique en détails en une passionnante présentation, de sa plume, en tête de la notice, aux pages 3 à 6, en anglais, et 14 à 17, en allemand, du livret (sans traduction hélas en français !) : l’œuvre de Brahms, en 1878, constituant ici un rien moins qu’un contrepoint au chef d’œuvre testamentaire de Berg, en 1935 : pour Christian Tetzlaff, en effet, « ce morceau est un regard rétrospectif sur sa vie«  _ au Concerto pour violon Op. 77 (de 1878) de Johannes Brahms (Hambourg, 7 mai 1833 – Vienne, 3 avril 1897).

C’est donc le Berg, tout de sobriété tendue et tendre, qui constitue la pièce majeure _ et indispensable ! _ de cet admirable stupéfiant CD, 

à propos duquel j’ai trouvé bien peu de commentaires en français jusqu’ici, sinon ce « Vie et mort » de Jean-Charles Hoffelé, sur son site Discophilia, en date du 29 septembre 2022 :

VIE ET MORT

Le couplage n’est pas si courant – les violonistes ont préféré dans la discographie récente mesurer Berg à l’aune de Beethoven – mais pourtant absolument évident, Brahms refermant avec son Concerto en 1878 l’âge d’or du violon romantique, Alban Berg infusant dans la même Vienne cinquante-cinq années plus tard la musique d’une autre planète _ d’éternité, cette fois, par un adieu rétrospectif à la vie.

Robin Ticciati fouette l’orchestre de Brahms, l’allège et l’envole, l’archet de Christian Tetzlaff faisant assaut de fantaisie, d’une liberté d’accents, d’une alacrité rythmique qui resserrent l’Allegro, piaffe un Finale irrésistible et change drastiquement le visage de l’Adagio, pris andante, et animé dans chaque détail, ajoutant une fluidité à son ton de pastorale ; l’ensemble offre une lecture d’une prodigieuse vitalité.

Le même allégement sauve le Concerto de Berg de tout malhérisme _ probablement _, l’éclaire même dans la furia de l’Allegro, une quasi danse des morts d’une précision aveuglante ; les transparences de l’orchestre, la mobilité expressive du soliste, la fusion fulgurante _ oui, en sa sobriété d’émotions contenues à la limite de l’impossible _ de l’ensemble étonnent _ et stupéfient _ dès l’entre chien et loup de l’Andante _ parfaitement…

La coda atteint au sublime _ oui ! nous y voici… _, détachement aérien, violon flûtant à la chanterelle, l’orchestre ouvrant et refermant le bref arc-en-ciel. Magique musique de l’au-delà _ oui, oui, oui, d’une étreignante profondeur en sa sobriété, loin de tout dolorisme auto-complaisant et mielleux… _ assurément une des versions majeures _ que oui ! _ d’une œuvre que tous les violonistes ont à cœur d’enregistrer. L’analyse et les notes d’intention du violoniste sur le Concerto de Berg _ sur lequel le couplage de ce CD est en effet focalisé _ sont _ absolument !!! _ passionnantes.

LE DISQUE DU JOUR

Johannes Brahms(1833-1897)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 77


Alban Berg(1885-1935)
Concerto pour violon et orchestre « À la mémoire d’un ange »

Christian Tetzlaff, violon
Deutsches Symphonie-Orchester Berlin
Robin Ticciati, direction

Un album du label Ondine ODE14102

Photo à la une : le violoniste Christian Tetzlaff – Photo : © Giorgia Bertazzi

Une réalisation majeure, donc, de ce musicien si magnifiquement intelligent et merveilleusement sensible qu’est Christian Tetzlaff !
Un must !

Ce jeudi 9 février 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

En apothéose au merveilleux « Deguy » (Po&sie numéro 181-182), un magistral inédit « Retour sur l’autobiographie », conçu comme un épilogue au superbe « Noir, impair et manque » de 2016…

02fév

Chère Bénédicte,

Cher Martin,

 
C’est avec infiniment d’émotion (et plus encore d’admiration !) que je viens de découvrir, en quelque sorte en apothéose (aux pages 373 à 376) de votre magnifique « Deguy » – le numéro 181-182 de Po&sie – d’octobre dernier, cher Martin,
ce presqu’ultime mot – « palinodique » – de ressassement-approfondissemenr encore et toujours remis sur son « métier de penser-vivre » de Michel Deguy (Draveil, 23 mai 1930 – Paris, 16 février 2022)
comme et ici en forme d’ « épilogue » à ce déjà important « Noir, impair et manque » de 2016, avec vous, Bénédicte – et j’adore tout spécialement tout ce qu’apportent de vie les échanges ouverts des vrais entretiens ! –
intitulé – par qui ? par vous Martin ? par vous Bénédicte ? par Michel Deguy lui-même ? – « Retour sur l’autobiographie »
 
Un presqu’ultime mot, déjà, qui creuse admirablement – j’allais dire à son habitude prise-conquise au fil de la maturation patinée de ses propres longues années de vie : une chance… – ce qu’est son très humble et sans cesse, inlassablement, vitalement actif, nuits comprises, « procéder » de parler-écrire-penser « en langue »,
avec aussi et par cette inlassable « reprise » de ce que quelques autres avant lui, ainsi que maintenant autour et aussi avec lui, n’ont cessé et encore aujourd’hui, à leur tour, eux aussi, ne cessent,
de chercher-creuser à encore et toujours un peu mieux découvrir penser-découvrir-révéler-dire-écrire-partager dans l’horizon d’un petit pas supplémentaire de justesse de cet universellement indispensable penser juste…
 
Et cela, je veux dire cet écrit-relique, encore a-t-il fallu ensuite le recueillir et le garder-conserver-perpétuer un peu, sans le perdre ni le détruire, ni non plus l’oublier à jamais ;
et puis encore aussi le regarder, et encore y revenir, et à maintes reprises, le re-regarder-scruter-creuser-approfondir : ce à quoi aide et bien sûr sert aussi, et au moins doublement, sinon davantage, l’écrit : au stade même, déjà, de l’écrire-ré-écrire de l’auteur-écriveur.., puis à celui du lire-re-lire du lecteur un peu attentif, et à celui du méditer-approfondir, et puis à celui du oser questionner-dialoguer-avancer peut-être un pas plus loin (ou plus près) avec lui, etc. ;
et cet écrit devant ainsi être lu et vraiment bien lu, en recherche d’assentiment le plus authentique possible (et d’abord auto-critique de sa lecture…) de justesse de vérité, et réellement médité donc ; et relancé à nouveau encore par un véritable questionnement de fond quant au fond même des choses à connaître et comprendre si peu que ce soit vraiment…
 
Ce qui a été la pratique, déjà pour soi, de bien des auteurs se relisant (et ajoutant d’indispensables précisions, surtout, de leur penser en leur acte au plus vif sans cesse renouvelé, avec haute et profonde (« altus ») exigence, de leur écrire…), tels, par exemple, un Montaigne ou un Proust – « tant qu’il y aura de l’encre et du papier » -, parmi quelques centaines, peut-être – mais pas si nombreux que cela… -, d’autres fraternels écriveurs.
Sans parler de la pratique de quelques vrais lecteurs ; dont je n’essaierai pas d’avancer ici le moindre nombre…
 
Et je ne dis rien ici de ces médiateurs – « passeurs » terriblement cruciaux, en ces processus – au-delà du simple économique basique -, que sont d’une part les éditeurs – et les diffuseurs : les divers médias, les libraires… -, et d’autre part, en l’intimité protégée de ce qu’ont longtemps été les classes d’écoles, collèges, lycées, universités – qu’ont allègrement détruit maintenant, et pour de bien misérables profits comptables d’une poignée d’actionnaires… -, les si décisifs vrais professeurs, qui nous ont généreusement mis un merveilleux pied au lire, au méditer, au penser, voire à l’écrire vrais…
 
Et c’est en cela qu’indélébilement viennent se nouer-s’unir-se marier, se confondre peut-être même, le poïetique et le philosophique les plus assidus en leur quête modeste et humble, mais terriblement exigeante (mais aussi jubilatoire !) de la justesse,
comme en cet œuvre toujours à ouvrir par nous tous, du cher Michel Deguy…
 
Avec gratitude à vous deux, Bénédicte et Martin,
 
et en espérant bien vivement que quelque chose adviendra de tout cela à la Station Ausone de la si vivante Librairie Mollat à Bordeaux,
à l’occasion de la sortie, le 6 juin prochain, de ce très attendu très précieux – ultima verba… – « Ut musica, ut poiesis », aux Éditions du Canoë de la chère Colette Lambrichs…
La poésie, au moins elle, le mérite…
 
Francis Lippa – Titus Curiosus, à Bordeaux
 
P. s. : pour rappel, 
voici le lien au podcast du magique entretien que j’avais eu avec Michel Deguy à la Station Ausone de la librairie Mollat le 9 mars 2017, autour de son « La Vie subite _ Poèmes, biographèmes, théorèmes » d’octobre 2016.
 
Une prise vidéo de cet entretien avait été réalisée ; mais pour des raisons que j’ignore cette vidéo n’a pas été mise en ligne-diffusée, seulement le podcast…
Cet enregistrement vidéo a-t-il été conservé par la librairie Mollat ? Je l’ignore à ce jour…
Il ajouterait comme une pièce de plus à ce qui est maintenant devenu un « tombeau » à notre cher Michel Deguy…
Et perpétuer, en plus de l’audition capitale de sa voix – son rythme, son souffle, ses tons, ses silences, bref sa musicalité -, quelques images de son regard bleu pensif incisif et foncièrement interrogatif – socratique… -, me semble quelque chose de pas tout à fait négligeable…
 
Et inutile de préciser que j’avais soigneusement préparé cet entretien ouvert et improvisé – j’y tiens beaucoup : comme la vie « subite » la plus vraie… -, par maintes autres lectures de l’œuvre de Michel Deguy :
notamment le très important « Noir, impair et manque » de septembre 2016, avec Bénédicte,
Ce jeudi 2 février 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Les « faramineux Ravel » d’Eduard Van Beinum : un sommet de l’indispensable coffret des « Complete Recordings on Decca & Philips » que, pour notre enchantement, Decca republie ce mois de janvier 2023

30jan

Deux articles de l’excellent Jean-Charles Hoffelé,

« Le Mage d’Amsterdam« , en date du 15 janvier dernier _ pour la sortie, alors, du déjà magique album « Franck – Ravel : Orchestral Works » Decca Eloquence 482 5491 : je le possède aussi… _,

et « Valse mortelle« , en date du 29 juillet 2018 _ pour la présente sortie du somptueux coffret de 44 CDs « Eduard Van Beinum Complete Recordings on Decca & Philips » Decca 485 1387, que je me suis emprssé d’acquérir au plus vite… Pour mon immense joie… _,

viendraient, tous deux, si besoin, bien sûr, en était, confirmer mon absolu enthousiasme musical pour ces publications, en 2018 et maintenant en 2023, de ces transcendantes réalisations discographiques du chef Eduard Van Beinum (Arnhem, 3 septembre 1900 – Amsterdam, 13 avril 1959) pour les labels Decca et Philips…

Et tout spécialement pour ces (= ses) Ravel,

la « Rapsodie espagnole« , « La Valse« , et, au-dessus de tout, pour moi, le plus vertigineux « Boléro » :

écoutez ici ces podcasts !..

Voici donc ces deux excellents articles de Jean-Charles Hoffelé :


LE MAGE D’AMSTERDAM

Premier instrument, la contrebasse. Ce n’est pas si commun. Ajoutez dans l’arbre généalogique pour seule figure tutélaire côté musique un grand père chef d’harmonie militaire. Heureusement, Eduard van Beinum avait un frère, Co, violoniste de talent, il l’accompagnera, se mettant au piano, alors que le plus clair du temps il empoignait sa contrebasse, musicien du rang dans l’orchestre d’Arnhem : d’autres horizons s’ouvrent.

Mais enfin, une vie avec sa contrebasse risquait de manquer de sel, et au Conservatoire d’Amsterdam Eduard deviendra vite celui qu’on ira chercher pour conduire les concerts de l’orchestre des étudiants : battue claire, geste minimal _ oui _, mais cet œil déjà, qui infuse dans la mathématique des partitions des tendresses, des élans, une poésie _ voilà ! _ ; il sera chef d’orchestre, et, dès les quatre saisons de son magister à la tête de l’orchestre d’Haarlem, imposera un répertoire allant de Bach à Debussy.



Mengelberg
remarque son métier très sûr, s’enquiert de sa modestie _ essentielle : face à la musique… _, il lui faut un second, mais efficace, et puis une jeunesse qui ne pense pas à s’imposer. Il l’invite pour un concert avec son Concertgebouw en 1929. Le fluide passe entre cette baguette suggestive et l’orchestre ; Mengelberg, étonné, en fera deux ans plus tard son second, puis en 1938, le comité de l’orchestre préconise que la direction musicale soit partagée avec le jeune homme. La guerre et l’Occupation feront le reste, Mengelberg se perdant dans une collaboration passive qui lui vaudra de devenir un exilé de l’intérieur la Libération venue. Les musiciens du Concertgebouw savaient-ils qu’avec Van Beinum ils changeaient de siècle ?

Mieux, ils le voulurent, et de toute façon, le seul réel rival de leur poulain, Paul van Kempen, était lui aussi entaché de brun. Le style nouveau – balance parfaite, clarté des lignes, archets réglés, tempos stricts mais mesure libre _ et tout cela est bien sûr capital ! _ – qu’il avait infusé puis imposé face aux gestes démiurgiques de Mengelberg – va permettre au « son Concertgebouw » d’atteindre à ce rayonnement hédoniste que l’expressionisme du geste autocratique de Mengelberg avait relégué au second plan.

Le violoniste Bronislaw Huberman, à droite, en échange avec Eduard van Beinum à sa gauche – Photo : © Nationaal Archief

 

 

 

 

 

 

Van Beinum instrumentiste d’abord, savait les beautés capiteuses venues d’un autre âge qui déjà avaient fait la réputation de l’orchestre au temps de son fondateur Willem Kes. En quelques saisons il impose son style, élégant et troublant à la fois _ les deux : à la française, en quelque sorte… _ , où la rigueur de ses lectures qui veulent faire oublier les scories du postromantisme, passent inaperçues sous le foisonnement des timbres, la poétique des phrasés _ oui.

Le disque s’en mêla assez tôt, Siemens lui demandant dès 1943 quelques gravures (Variations Mozart de Max Reger, Variations symphoniques de Franck avec Géza Anda) qui furent publiées par Deutsche Grammophon, mais ce sera dans cette frontière encore imprécise où se côtoyaient les ultimes pressages 78 tours et le microsillon que le nouveau style du duo Van BeinumConcertgebouws’imposera. Decca leur fera signer un contrat, dotant les enregistrements de son nouveau système de captation, le « Full Frequency Range Recording » qui captura pour partie les soies et les velours de ce qui était alors le plus bel orchestre d’Europe.

Une grande session d’enregistrements en janvier 1946 devait ajouter au contrat une close supplémentaire. Après que Van Beinum eut enthousiasmé le public du Royal Albert Hall, remplaçant au pied levé Albert Coates à la tête du London Philharmonic, John Culshaw insista pour qu’ensemble ils gravent la Troisième Symphonie de Brahms, amorce de l’autre part de la discographie du chef neérlandais, bien plus rarement rééditée jusqu’à nos jours. À Londres, le discours de Van Beinum sera toujours plus serré, plus fusant, comme si l’absence des beautés hédonistes de la phalange néerlandaise ardait son style.

Philips succédera à Decca, captant enfin la magie sonore d’une formation dont l’acoustique d’un Concertgebouw vide avait toujours dérouté les preneurs de son du label britannique. Toute sa discographie officielle, y compris les nombreuses redites entre Londres et Amsterdam, entre le 78 tours, la monophonie et la stéréophonie, est enfin réunie _ voilà ! _ dans cette grande boîte magnifiquement ouvragée, deux textes éclairant l’art du chef, une iconographie abondante, la reproduction des attrayantes (et si inventives) pochettes d’origine, pour mieux accompagner l’auditeur dans ce voyage magique _ oui, oui…

Classiques parfaits, Bruckner ténébreux (il abordera Mahler avec plus de parcimonie, voir de distance), Schubert et Brahms plus tendres qu’épiques, Debussy et Ravel de pure magie _ absolument ! _, Sibelius fascinant, mais par où commencer vraiment ? Par les sortilèges de sa Shéhérazade, gravure oubliée, où se révèle tout l’art de ce conteur d’orchestre.

LE DISQUE DU JOUR

Eduard van Beinum
Complete Recordings on Decca and Philips

Œuvres de Johann Sebastian Bach, Georg Friedrich Haendel, Johann Christian Bach, Johannes Brahms, Wolfgang Amadeus Mozart, Gustav Mahler, Anton Bruckner, Jean Sibelius, Igor Stravinsky, Franz Schubert, Max Reger, Hector Berlioz, Claude Debussy, Maurice Ravel, Joseph Haydn, Ludwig van Beethoven, Felix Mendelssohn-Bartholdy, Nikolai Rimski-Korsakov, César Franck, etc.

London Philharmonic Orchestra
Concertgebouw Orchestra
Eduard van Beinum, direction

Un coffret de 44 CD du label Decca 4851387

Photo à la une : le chef d’orchestre Eduard van Beinum, à l’aéroport de Schiphol – Photo : © DR…

 

Et celui de 2018 :

VALSE MORTELLE

Il y a un tropisme français chez Eduard van Beinum _ on ne saurait mieux dire ! _ ses Debussy, ses Berlioz, ses Ravel dévoilent une poétique orchestrale _ voilà _ qui aura modifié la nature sonore du Concertgebouw telle qu’il l’avait héritée de Willem Mengelberg.

Ce mélange détonant d’élégance et de cruauté _ oui ! _ éclate dans une Valse vampirique, d’une suavité vénéneuse _ voilà ! _, étrange course à l’abîme _ bien sûr ! _ dont les envoûtements _ oui _ fascinent : cet orchestre si mobile, qui mord à la vitesse d’un aspic, sait être d’une seconde à l’autre sec puis voluptueux _ c’est cela ! _ ; c’est celui de Ravel-même _ absolument !!! _ , ce qu’illustre au même degré de perfection _ oui _ une Rapsodie espagnole moite, inquiétante, pleine de rumeurs et d’ombres dont les gitaneries n’auront jamais été aussi cante jondo. Mais le Boléro lui-même _ nous y voici ! _ , somptueusement étouffant _ parfaitement ! _, participe de la même _ fascinante et éblouissante tout à la fois _ saturation de l’espace.

Ce triplé Ravel est faramineux _ c’est le mot !!! _, après lui (ou avant dans l’ordre du disque), les Franck distillent une toute autre lumière. Psyché rêvé, très tendrement composé dans les soieries d’un orchestre décidément faramineux, est cent coudées au-dessus de ce que tous les orchestre français pouvaient alors y faire, et les Variations symphoniques, où le jeune Géza Anda dissipe le brouillard en phrasant tout, sont un modèle de style prenant le contrepied de l’estampe incarnée par Walter Gieseking et Landon Ronald, autre version majeure du 78 tours. Mais c’est à ce Ravel parfaitement délétère que vous irez d’abord _ en effet ! Et en boucle…

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)


Rapsodie espagnole, M. 54
La Valse, M. 72
Boléro, M. 81


César Franck (1822-1890)


Psyché, FWV 47
Variations symphoniques pour piano et orchestre, FWV 46

Géza Anda, piano
Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam
Eduard van Beinum, direction

Un album du label Decca 4825491 (Collection « Eloquence Australia »)

Photo à la une : © DR

 

Merci de ces fabuleuses rééditions d’un chef aussi juste…

Ce lundi 30 janvier 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le violon plus-que-parfait de Frank-Peter Zimmermann : à explorer en toute sa palette avec délectation…

29jan

En mon article du mercredi 25 janvier dernier, « « ,

je disais tout le bien que je pensais de l’admirable jeu musical de Frank-Peter Zimmermann.

Ce qui m’a incité à faire emplette

à la fois de son CD Martinu/Bartok Bis 2457 SACD des 2 Concertos pour violon de Bohuslav Martinu (avec le Bamberger Symphoniker sous la direction du chef tchèque Jakub Hrusa) et de la Sonate pour violon seul de Bela Bartok _ un CD qui, alors que je m’intéresse particulièrement aussi à tout l’œuvre de Bohuslav Martinu, avait échappé à mon attention à sa sortie, en 2020 : un CD transcendant ! ; cf l’excellent compte-rendu très détaillé (et avec extraits musicaux !) qu’en donne le 27 décembre 2020 Colin Clarke sur le site classicalexplorer.com _ ;

mais aussi de son récent coffret de 30 CDs de ses « Complete Warner Recordings » Warner 0190296317880 _ d’enregistrements pour EMI entre 1984 et 1997 (plus un CD Ligeti pour Teldec, enregistré en 2001) : né à Duisburg le 27 février 1965, Frank-Peter Zimmermann avait tout juste 19 ans en 1964, et 32 ans en 1997. Le mois de février prochain, il aura donc 58 ans accomplis…

Cf le très bel et très juste article « Zimmermann, la jeunesse«  que Jean-Charles Hoffelé a consacré à ce si riche coffret, le 18 septembre dernier, 2022…

En me convainquant ainsi,

avec l’appui de la plus éclatante évidence de la réussite absolue _ oui ! _ de tous ses CDs réalisés pour l’excellent label suédois Bis _  ainsi en ai-je ré-écoutés la plupart, et en particulier aussi  ceux avec Antoine Tamestit et Christian Poltéra, eux aussi musiciens magnifiques !.. _ ;

de l’extraordinaire précocité d’émergence de son lumineux talent, du temps, déjà, de ses enregistrements pour EMI _ entre les 19 et 32 ans de sa prime jeunesse… _, en ce généreux splendide coffret de 30 CDs que vient de proposer, cet automne 2022, le label Warner :

par exemple, en la réussite éclaboussante de ses quatre CDs de Sonates pour violon et piano de Mozart, avec le magnifique Alexandre Lonquich _ enregistrés aux mois de mai 1987 et mai 88, pour les deux premiers (les CDs 7 et 8), et juillet 1989 et juin 1990 pour les deux autres (les CDs 14 et 15) ; et toujours avec la naturelle complicité éminemment musicale d’Alexander Lonquich, mais, en un bien différent registre musical de leurs talents, le CD 11 de ce copieux coffret Warner comporte les deux superbes Sonates pour violon et piano de Sergei Prokofiev, enregistrées en novembre et décembre 1987…

Quel talent déjà si jeune muri et accompli !

Et quel parcours d’excellence si musicalement épanoui pour atteindre l’absolu des transcendantes merveilles d’interprétation d’aujourd’hui _ pour le label Bis tout spécialement…

C’est donc avec pas mal d’impatience que j’attends le Volume II _ est-il ou pas déjà enregistré ? _ de ses Sonates & Partitas pour violon seul (BWV 1001, 1002 et 1005) de Bach, ce chef d’œuvre lui aussi absolu, que Frank-Peter Zimmermann a atteint d’avoir un tel âge pour oser enfin y confronter son propre accomplissement de très humble _ mais très exigeant à l’égard de soi-même aussi _ interprète, comme sont les vrais grands …

Ce samedi 28 janvier 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

En forme de gratitude envers la grâce de l’art merveilleux d’Emmanuel Mouret

13jan

Cher Emmanuel Mouret,

 
il me paraît bien normal que les créateurs puissent, de temps en temps, recevoir quelques témoignages de « joie » et « gratitude »
de ceux qui ont reçu pareillement leurs œuvres…
 
Et c’est bien de la « joie » que procurent vos comédies on ne peut plus sérieuses quant au fond des choses aussi magnifiquement abordé
que dans « Un Baiser, s’il vous plaît ! »,
ou ce merveilleux « Mademoiselle de Joncquières » : un chef d’œuvre !..
 
À propos de celui-ci, 
je dois vous dire que j’admire tout particulièrement à la fois celles des scènes, mais aussi ceux des dialogues, qui semblent être entièrement de votre cru,
je veux dire ne reposant en tout cas pas sur le texte même de Diderot en son « Jacques le fataliste »…
Avec quelle justesse les avez-vous ainsi imaginés et inventés, ces scènes et ces dialogues : le résultat est d’une évidence et vérité magiques !
 
Et cela de façon à incarner extraordinairement lumineusement sur l’écran – et sans jamais la moindre lourdeur : tout ici virevolte ! -, ce qui n’est qu’à peine suggéré, très elliptiquement, par le texte même de Diderot.
Chapeau ! C’est admirable de justesse… 
Et Diderot, dont le récit manie habilement la vivacité malicieuse de l’ellipse (du récit de l’hôtesse, toute occupée et bousculée qu’elle est sans cesse par ses impérieux offices), n’aurait peut-être pas, voilà !, mieux fait…
 
Comment avez-vous donc procédé pour parvenir à ce résultat, avec une si formidable évidence ?
De quels textes, de quelles œuvres vous êtes-vous donc si merveilleusement inspiré ?
Il est vrai que la langue du XVIIIe français est très souvent magnifique
– et personnellement je porte au pinacle l’élégance pointue étourdissante de Marivaux…
 
Et je ne parle pas de tout le reste de vos choix : les lieux de tournage, les décors, les costumes, les musiques.
Et la magique direction des acteurs, bien sûr…
Non plus que la géniale invention de l’amie-confidente (mais non complice) de la marquise ;
ou la cruciale décision de changer ce nom de « Duquênoi » pour celui, noblissime, de « Mademoiselle de Joncquières » ; et d’en faire si justement le titre du film…
Une grâce même advient là.
 
Tout est ainsi parfait pour nous mettre immédiatement et continuement dans l’esprit de ce chef d’œuvre de Diderot qui a servi de base à cette histoire, au départ, de « saugrenu mariage »
qui vient sublimement renverser les perfides manigances vengeresses sournoises de Mme de La Pommeraye, persuadée qu’elle était d’avoir idéalement réussi son coup :
le furtif, à peine visible, mais bien perceptif mouvement de gorge que ne peut réprimer la marquise à l’ultime image du film étant le coup de grâce du puissant démenti que celle-ci se reçoit…
 
Ou ce qui, dans le jeu d’échecs des volontés et des déterminismes, vient malicieusement déjouer les plus machiavéliques calculs…
 
Voilà ce que je me demande, très admirativement, cher auteur
 
Et encore bravo pour cet extraordinaire travail de préparation et de réalisation.
 
 
Je n’ai pas encore eu accès au DVD de votre « Une autre vie » ;
et je m’apprête à regarder, non sans impatience, celui de « Chronique d’une liaison passagère », accessible à partir du 24 janvier prochain.
 
Mais j’aime décidément beaucoup votre jeu de variations sur ce thème auquel vous êtes fidèle, et qui vous réussit si bien…
 
Ce vendredi 13 janvier 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa
P. s. :
et pour bien mesurer le génial apport cinématographique du film aux ellipses du texte de Diderot (et du très malicieux récit de la truculente hôtesse un peu pressée et bousculée, mais qui sait si pertinemment tenir en haleine et relancer la curiosité de ses deux auditeurs impatients…) en son « Jacques le fataliste et son maître« ,
jeter aussi un coup d’œil à mes deux tout récents articles de lecture un peu attentive de ce texte si subtil et réjouissant de Diderot, les 8 et 9 janvier derniers :
Un tel art du récit peut donc tout aussi bien être cinématographique, comme le montre ce décidément délicieux « Mademoiselle de Joncquières ».
Voilà.
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