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Les enjeux de pouvoir de la curiosité libre et ouverte : le passionnant « Sérendipité _ Du conte au concept » de Sylvie Catellin, un livre salutaire !

03mar

Rien n’est plus important pour le devenir même _ en qualité ! _ de la culture et cela en sa vérité même : contre les impostures de ce qui veut se faire passer (mensongèrement) pour « culture«  _,

pour la poursuite à vaste échelle de son enrichissement au lieu de son appauvrissement (auto-destructeur) dans le crétinisme de masse du (misérable) psittacisme que savent si efficacement former et développer, à échelle mondiale, les publicitaires stipendiés, faiseurs d’addictions stupides _ d’achats, pour commencer, et pour finir (car c’est bien là leur alpha et leur omega !). ; cf Dany-Robert Dufour : Le Divin marché _ la révolution culturelle libérale _,

que de cultiver vraiment _ et c’est un art ouvert, pas une technique fermée ! _, à commencer dans la pratique quotidienne de l’enseigner : l’enseignant doit apprendre, et sur le tas, en le faisant, à enseigner (how to teach) aux élèves comment eux-mêmes ils peuvent apprendre (how to learn) ! tout en mettant à leur disposition des références les plus judicieuses qui soient ! _ cf là-dessus le tout récent Transmettre, apprendre, de Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet et Dominique Ottavi ; et L’École, question philosophique, de Denis Kambouchner _,

et à cela à tous les niveaux (sans exception) d’écoles, de formations, comme d’institutions de recherche,

et de manière fondamentalement ouverte,


la faculté si méconnue et l’art _ étouffé, asphyxié ; mais aussi masqué et nié, en empêchant toute prise de conscience réelle et authentique _ de la sérendipité.

Au point que l’histoire du mot même qui réussit à les repérer, mettre en évidence et d’abord désigner, est terriblement récente : en usage en anglais, d’abord parmi les cercles de bibliophiles, depuis 1875 (plutôt que 1754, date de sa création _ et hapax pendant plus d’un siècle ! _ en une lettre privée de Horace Walpole à son ami et cousin Horace Mann, à partir du très vieux conte tamoul des Trois Princes de Sarendip, qui inspira aussi le Zadig de Voltaire, en 1748) ; en français depuis 1952, d’abord dans des cercles scientifiques soucieux d’épistémologie ; avant de devenir, mais non sans ambiguïté, fort à la mode au tournant des années 2000, via le web.

C’est à la double histoire de cette notion et de ce mot, et sa possibilité d’advenir peut-être enfin au statut de concept _ mais un concept fondamentalement paradoxal, comme sont déjà les concepts de génie et de création : l’étrangeté de ce mot exotique de « sérendipité« , tant géographiquement (Serendip = Ceylan) que historiquement (le récit d’origine remontant à la nuit des temps…), connotant fortement l’étrangeté de la chose même qu’il désigne, voisine d’un trafic de l’imagination complexe et probablement risqué, réservé à très peu d’initiés ; voire carrément tabou… _,
que s’attache le livre très important et absolument passionnant _ tant par ses enjeux (y compris, et peut-être surtout) politiques et économiques, dans la répartition des pouvoirs (dont celui, capital, de créativité) auxquels accepter de consentir de partager avec davantage d’autres…), que par ses apports et analyses _ de Sylvie Catellin, Sérendipité _ du conte au concept, qui paraît ce mois de janvier aux Éditions du Seuil, collection Science ouverte.

La sérendipité est la faculté, ainsi que l’art infiniment précieux (de pratiquer celle-ci), de chercher et de trouver « par hasard et sagacité » _ une qualité cruciale ! et un mot lui-même trop bien oublié : Descartes s’y arrêtait fort justement… _ des choses que l’on ne cherchait pas au départ ;
ou encore l' »art de prêter attention _ un processus crucial ! de focalisation… _ à ce qui surprend et _ surtout _ d’en imaginer une interprétation pertinente » _ soit le raisonnement même que le génial Peirce qualifie d’« abduction«  _,
grâce à « l’importance de la prise de conscience par le dialogue ou l’écriture, dans la découverte » même _ au lieu de tout laisser filer dans l’inaperçu à jamais.

D’où le « triptyque conceptuel qui pourrait devenir la devise d’une future _ heureusement féconde _ République des Lettres, des Arts et des Sciences : sérendipité / indisciplinarité / réflexivité » ;
en mettant l’accent sur l’importance, dans la libido sciendi, de « la recherche comme implication subjective _ d’un soi qui entreprend de s’engager vraiment à rechercher sérieusement plus avant… _, qui sert _ aussi _ aux autres par cela même qu’elle est _ intensément, passionnément _ personnelle« .


Ce point est capital :

le processus très riche de découverte par sérendipité implique en effet l’engagement personnel et singulier (et passionné) de la personne pensante _ et cela, chacun, un par un, et existentiellement ; à la fois à part soi, en même temps qu’en échangeant avec les autres ! et surtout avec les mieux qualifiés et ouverts (cf Kant : « Penserions-nous beaucoup et penserions-nous bien si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ?..« …), ainsi que dépourvus d’imposture (cf Roland Gori, La Fabrique des imposteurs…) _, en la formation _ nécessairement précise et nécessairement contextualisée en une culture apprise, mais aussi toujours mouvante, jamais arrêtée ni figée : soit une culture vraiment vivante, toujours ouverte, sur le qui-vive, en chantier actif, et pleinement à vif… _ de son expérience propre et, in fine, unique.

Et qui sera à essayer _ aussi _ de partager avec d’autres personnes-sujets (et non individus-objets techniquement manipulables par d’autres !) en des récits précis et toujours relativement détaillés _ faisant place aux accidents et circonstances empiriques ; à l’ordre triomphant du contingent…

C’est en cela que « le récit d’enquête _ dans le conte déjà par exemple, tel celui des Trois Princes de Sarendip auquel se référait le curieux et érudit Walpole en 1754 ; ainsi que Voltaire, en 1748 _ est la meilleure démarche _ sans aller jusqu’à forcément passer par l’analyse conceptuelle _ pour transmettre _ in concreto dans une pratique, et en une adresse à des personnes chaque fois bien précises _ l’art de la sérendipité » :

un art ouvert, subtil et délicat, non strictement duplicable tel quel (mais à transposer, avec esprit…), ni a fortiori massivement programmable par des machines… Et impossible de faire l’impasse de la formation, chacun un par un, de la personne propre !

En cela, et à quelque niveau que ce soit _ scientifique ou pédagogique, pour reprendre ne seraient-ce que ces deux niveaux cruciaux-là _,

« il n’y a pas d’autres voies pour susciter la recherche _ à la fois en donner le désir et en esquisser des formes de premières pistes… _, que de raconter _ en son détail empirique et toujours particulier, voire singulier _ comment on cherche _ et, de fait _ on trouve » : soit « enseigner l’art de la recherche en la racontant«  _ ainsi que fait, par exemple, le magnifique récit de François Jacob La Statue intérieure

Et cela, face aux tenants des œillères dogmatiques étroites et obtues d’un utilitarisme de rentabilité à courte vue et à tout crin, qui s’obstine, très paradoxalement, à ignorer « l’aspect _ fondamentalement _ imprévisible et non planifiable de la sérendipité«  _ ce qu’illustre, en France, le conflit qui opposa, dans l’entre-deux-guerres, Jean Perrin, partisan d’une science désintéressée et libre, à Henry Le Chatelier, tenant d’une conception utilitaire de la science industrielle ou appliquée, dirigée.

Car, et cela à toute échelle _ dans la plus modeste petite salle de classe, comme dans le laboratoire de recherche scientifique le plus pointu _,
« la sérendipité justifie le _ fondamental et vital ! _ besoin de liberté et d’autonomie _ d’imageance active et ouverte à l’inconnu : un concept que m’a inspiré l’œuvre de mon amie Marie-José Mondzain _ des chercheurs » : face à ce qu’ils ignorent et vont pouvoir trouver _ chercheurs que doivent eux aussi être (ou devenir), et fondamentalement, en en prenant le goût, les élèves à l’école : « Edgar Morin _ page 25 de La Tête bien faite Penser la réforme, réformer la pensée, en 1999 _ a suggéré avec raison d’initier dès l’école l’art de la sérendipité« 

De même que « faire découvrir _ à d’autres _ la sérendipité, c’est _ leur _ faire comprendre que lorsque la science _ c’est-à-dire le chercheur qui tâtonne _ découvre,

elle _ la science _ est un  art  » :

celui qu’apprend à mettre en œuvre, et pas à pas, la personne même, singulière, de ce chercheur se livrant courageusement à sa patiente recherche _ un art complexe et jouissif (intensif, passionné) d’artisan qui invente et découvre (avec passion joyeuse et le plus grand sérieux cognitif, ensemble), donc, et non quelque technique mécanique programmable par quelque algorithme, aussi ingénieusement raffiné soit-il par les prouesses renouvelées et avancées de l’ingénierie informaticienne…

Là-dessus, lire l’ouverture génialissime du Métapsychologie de Freud, par lequel celui-ci,

tout en offrant, en 1915, à ses détracteurs (qui lui déniaient la moindre légitimité scientifique), de premières formulations de concepts fondamentaux « clairs et rigoureusement définis« , ainsi que doit être en mesure de les fournir toute discipline revendiquant, au-delà du seul fétichisme du mot, le statut authentique de « science« , en l’occurrence ici une formulation des concepts de « Pulsion« , de « Refoulement« , d’« Inconscient« … ;

par lequel Métapsychologie, donc, Freud fait très hautement entendre la priorité définitivement permanente et absolue du travail de recherche inventive du chercheur, à l’encontre des crispations arc-boutées sur le maintien sacro-saint de la théorie acquise ! ; autrement dit la priorité de l’activité créatrice et infiniment ouverte à jamais en son chantier, génialement féconde à cette condition, de la sérendipité !..

Et à cette priorité décisive de la recherche dans le devenir des sciences (du moins en leurs moments de « révolutions scientifiques« , selon Kuhn), Sylvie Catellin consacre des pages utiles aux apports (et limites) de Thomas Kuhn par rapport aux thèses de Karl Popper : La structure des révolutions scientifiques versus La Logique de la découverte scientifique

Par là,

« la sérendipité justifie le besoin de _ grande _ liberté et d’autonomie des chercheurs«  _ que tous, et pas seulement les scientifiques, nous humains sommes, dés le simple fait, largement ouvert et inventif (sauf niaiserie indurée à se contenter de répéter les clichés figés et arrêtés du discours dominant), du fait même de parler (et créer, et pas simplement répéter-reproduire, passivement et mécaniquement, nos phrases, comme le montre si bien Noam Chomsky : c’est en effet sur le champ, hic et nunc, que nous avons à construire nos phrases en les improvisant (voilà !) à partir des structures syntaxiques ouvertes et du vocabulaire de la langue reçue et partagée ; ensuite, « le style«  (quand « style » du discours il y a et advient : mais assez vite…) « est l’homme même« , comme l’a bien marqué Buffon… _, en favorisant « ces qualités les plus précieuses que sont la curiosité et la sérendipité, l’audace et la prise de risque » _ même si cela dérange certaines positions (arrêtées) de pouvoir acquises par certains…

Par ce qu’il est à même de modifier dans le partage _ toujours mouvant _ des pouvoirs entre les individus,

cet enjeu culturel et pédagogique pleinement humain (et humaniste) de promouvoir l’ouverture puissante de la créativité par une culture de la sérendipité _ mais combien, a contrario, s’en méfient, et agissent pour la raréfier et stériliser, ou au moins réduire à des jeux insignifiants et suffisamment contrôlés… _,

est donc rien moins que civilisationnel !

Titus Curiosus, ce 24 février 2014

Penser vraiment l’école : l’indispensable et urgent débrouillage du philosophe _ l’admirable travail de Denis Kambouchner

24fév

Avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

_ avec une magnifique patience et probité, en son acuité (rare à ce degré-là !) du regard d’analyse ;

cf à la fin de l’ouvrage, pages 340-341, le tableau parfaitement scrupuleux de l’« Origine des chapitres » : si quatre d’entre les onze chapitres, « La culture scolaire et après« , « Les principes d’une école juste« , « Rousseau et le temps des livres » et « Durkheim et la crise des humanités« , sont qualifiés dans l’absolu et in fine d’« inédits« , tous les onze ont été, de 2004 pour le premier, « L’Enseignement selon Foucault« , à 2012 pour trois (« Les principes d’une école juste« , « Rousseau et le temps des livres » et « Retrouver en soi l’enfant (Repuescere) : réflexions sur un précepte classique« ) et 2013 pour un ultime, « Durkheim et la crise des humanités« , purement et simplement « inédit« , lui ;

tous les onze chapitres, donc, de ce très beau (très probe et très patient parce que très précis) travail ont été repris, revus et peaufinés in fine avec une merveilleuse exigence de précision et une admirable finesse de nuances (les cas particuliers sont tout particulièrement magnifiquement distingués de généralités observées et relevées), selon les critères éminemment cartésiens de « clarté et distinction » (Denis Kambouchner est l’auteur des remarqués L’Homme des passions _ commentaire sur Descartes et Descartes et la philosophie morale), et je détache aussi au passage, cette citation de Locke, page 220 : « Bien distinguer nos idées, c’est ce qui contribue à faire le plus qu’elles soient claires et déterminées »… ;

en toute la palette et l’impeccable nuancier des micro-précisions-déterminations-distinctions de l’analyser constamment (= potentiellement à l’infini…) à l’œuvre, apportées inlassablement, depuis leur « origine » et « première version » (de ces étapes de l’enquête livrée ici, que sont ces onze chapitres, de 2004 à 2013 : le long de dix années…) donnée précédemment en conférence ou publiée en article ou Acte de colloque, marquant à un rare degré de perfection (très précieux pour le « débat » qui doit en résulter et auquel Denis Kambouchner, par sa « contribution« -ci, expressément nous « invite » à entrer et participer nous aussi, en « un vaste concours d’intelligences et de compétences« , page 10), ce qui se trouve si magnifiquement construit au final livré ici, et donnant lieu à onze « chapitres » d’un travail admirablement cohérent et fouillé, en une lumineuse rétrospection-reprise avec peaufinage (et présentée en son Avant-Propos, pages 9 à 20) ;

Denis Kambouchner ne manquant pas d’indiquer encore, page 20, tout ce que ce travail d’affinage doit aussi, in fine, au « regard le plus empathique et le plus aigu » qui soit, qu’y a « porté sur le fond comme sur le style«  Florence Dumora ;

Florence Dumora qu’il se trouve que je connais depuis son année en classe de Première, quand j’enseignais moi-même (à philosopher) en Terminale en son lycée ; l’année suivante, ce fut le regretté Christian Delacampagne (1949-2007) qui l’initia à la philosophie, ou au philosopher… _

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

d’une série patiente et admirablement probe

_ et d’une lumineuse clarté de « débrouillage » des (de fait passablement complexes) questions abordées et réellement traitées, face aux jeux (trop complaisamment installés et entretenus) des confusions idéologiques, comme des emportements partisans, qui continuent, les uns comme les autres, de brouiller le regard collectif sur le sens et les enjeux (de démocratie vraie !) de ce qu’est aujourd’hui d’une part la situation (délabrée et se délabrant encore : certains pensant y avoir intérêt !) de l’école, et d’autre part ce que doit être (toujours et plus que jamais !) en sa puissante « vocation » humaine l’école, avec son ineffaçable « horizon«  « transcendant » de culture authentique véritable (et cela en toute son extension : la culture étant loin de se réduire à la seule culture des « humanités« ) : j’y viendrai, forcément, bien sûr, puisque c’est là l’essentiel !..

Et Denis Kambouchner de nous proposer ainsi ici toute une « cartographie«  subtile et en relief de ce paysage (et scolaire et culturel : avec « Horizons«  et « Arrière-plans« ) où se forme (et évolue, bouge) sans cesse historico-culturellement, en de complexes métamorphoses jamais strictement uniformes, l’humanité en construction jamais finie, mais toujours ouverte (et à peaufiner…), de notre espèce (humaine) tout à la fois très fragile et éminemment exaltante… ; avec les devoirs impérieux d’éducation ainsi que de culture (les deux étant fondamentalement liées) que cela, à chacun et à tous, nous impose envers chacun (soi et les autres) et tous, contre vents et marées d’intérêts et calculs de toutes sortes…

Cf ainsi, page 210, la merveilleuse phrase de conclusion du chapitre 6, « Éclaircissements sur « la culture »«  :

« Du point de vue pratique et dans les registres dont il s’agit _ dans la pratique au quotidien permanente, instant après instant, au présent de l’agir, de l’enseigner à l’école _, l’essentiel restera _ du côté et de la part de ce que doit offrir l’institution bien comprise, comme du côté et de la part de ce qu’a à faire, et au mieux, le maître en cette opération avec ses élèves, d’enseigner _ de multiplier autant que possible _ pour l’élève _ les occasions d’expérience _ à faire advenir et aider à constituer et bâtir (contribuer à faire s’élever), avec richesse et consistance, chez les humains qu’il s’agit d’aider à se former à s’accomplir vraiment, via l’impulsion donnée en et par cet enseignement à l’école… _, autrement dit les rencontres _ voilà ! avec des œuvres tout particulièrement : afin d’aider chacun et tous à construire et peaufiner, grâce à de tels apports, via les œuvres, d’autres personnes (de qualité : les auteurs de ces œuvres), une identité personnelle toujours plus riche et toujours ouverte, et tant soit peu consistante aussi, et en laquelle puisse se découvrir et reconnaître (et accomplir chacun toute sa vie durant) un vrai soi, pour la personne en formation de l’élève : un soi nourri de ces apports de vraie culture _ ; ce qui revient à faire valoir, contre l’idole _ malsaine et agressive _ de l’identité culturelle _ fermée et réductrice, et hostile, pleine de ressentiment… _, que la justice bien entendue _ à l’échelle des grands ensembles (de populations) _ n’est possible qu’avec _ voilà ! et par _ la connaissance _ incorporée (peu à peu) très substantiellement (et même consubstantiellement !) en sa personne : peut-être in fine singulière… _, et qu’elle se réalisera dans une civilisation _ partagée _ qui n’est l’apanage _ contre d’autres qui en seraient privés et exclus, eux _ de personne, parce qu’elle est toujours _ en chantier exaltant, cette « civilisation« -là _ devant nous«  : à réaliser, chacun et tous, en l’élévation d’œuvres à accomplir, une à une et au quotidien de chacun nos actes, toute notre vie durant… _

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

d’une série patiente et admirablement probe

de onze contributions

_ soient les onze « chapitres » de ce travail si remarquablement « un« , au final de la « composition » que réalise le livre, eux-mêmes répartis en deux grandes « parties« ,

intitulées,

la première « Horizons » (1 « L’éducation, question première«  ; 2 « Crise de l’enseignement et critique de la culture » ; 3 « L’autorité pédagogique et le sens des savoirs scolaires«  ; 4 « La culture scolaire et après » et 5 « Les principes d’une école juste« ) : centrée sur la tâche de construire l’aujourd’hui et le demain civilisationnellement crucial ! de l’école (et de la culture !), au sein de l’acte même d’enseigner,

et la seconde « Arrière-plans » (6 « Éclaircissements sur la « culture » » ; 7 « Rousseau et le temps des livres«  ; 8 « Diderot et la question des classiques » ; 9 « Durkheim et la crise des humanités » ; 10 « L’Enseignement selon Foucault » et 11 « Retrouver en soi l’enfant (Repuescere) : réflexions sur un précepte classique« ) : centrée sur une rétrospection éclairante des brouillages (à dés-embrouiller et dé-brouiller !) de notre aujourd’hui scolaire grâce à l’intelligence très remarquablement éclaircie de son inscription historique et de son héritage, à mieux assumer… _

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

d’une série patiente et admirablement probe

de onze contributions

consacrées à la tâche indispensable de « penser » enfin

_ mais ce chantier ne peut pas (ni ne saurait) être, jamais, « fini » !..  ; et du fait que  » les problèmes philosophiques relatifs à l’école ne sont en aucun cas l’apanage _ voilà ! _ des philosophes de profession« , « le traitement de ces problèmes implique _ très effectivement _ un vaste concours _ très effectivement démocratique et le plus richement possible nourri _ d’intelligences et de compétences, dont l’essentiel n’est pas qu’il parvienne _ jamais _ à une doctrine  _ enfin et une fois pour toutes ! _ unifiée _ tel quelque indéfectible catéchisme doctrinaire _, mais qu’il installe _ en esprit, et entretienne _ une vraie effervescence _ créative _ d’idées _ justes et infiniment nuancées : souples en même temps que fortes _ là où règnent encore l’aphasie ou les stéréotypes » (« et qu’il change à proportion l’atmosphère et les conditions de la formation des maîtres » : une condition éminemment cruciale !!!), page 10, en quasi ouverture de l’Avant-propos de ce livre, L’École, question philosophique _

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée,

d’une série patiente et admirablement probe

de onze contributions

consacrées à la tâche indispensable de « penser » enfin

le devenir de l’école

_ en son actualité cruciale de « crise »

(l’emploi de ce terme de « crise » est bien sûr spécialement travaillé par Denis Kambouchner, notamment en son chapitre 2 « Crise de l’enseignement et critique de la culture », alors autour des thèses de Bourdieu, et d’une façon plus globale en même temps que spécialement cruciale (cf la référence à La Crise de la culture de Hannah Arendt, parue en traduction française en 1972, mais rédigée en 1954, sous le titre The Crisis in Education) à l’horizon de ce que l’on peut rattacher au travail récent (Denis Kambouchner le cite en son Avant-Propos, page 12) de Myriam Revault d’Allonnes (auteur que notre Société de Philosophie de Bordeaux recevra, dans les salons Albert-Mollat, le 20 mars prochain précisément, pour ce livre important sur le concept et les usages et mésusages « modernes » du mot « crise« ) : La Crise sans fin _ essai sur l’expérience moderne du temps) ; les premières versions, présentée en conférence, puis publiée en revue, de ce chapitre 2 datent de février et septembre 2006),

par rapport à l’« horizon«  civilisationnel de la vraie culture (entendue en sa plus large acception : en y intégrant une initiation suffisante aux diverses épistémologies des démarches de recherche du penser scientifique, notamment…) ; ainsi que, plus largement, le devenir de toute l’éducation, et lui aussi par rapport à l’« horizon«  d’une telle vraie culture (c’est-à-dire, soyons bien clair, celle du « meilleur«  ; cf ce mot décisif d’Érasme cité page 139 : « Rien ne s’apprend plus facilement que ce qui est le meilleur« …), qui doit être construite, soutenue, encouragée et diffusée à l’école comme dans les différents processus d’éducation, le plus largement et le mieux possible, face aux impostures (cf le livre de Roland Gori, La Fabrique des imposteurs, ainsi que mon précédent article du 25 janvier dernier à propos de ce livre : Créer versus s’adapter : l’urgence du comment contrer la logique mortifère du totalitarisme des normes d’existence, selon Roland Gori dans son si juste « La Fabrique des imposteurs ») en tous genres (et l’« entertaintityment« ) que certains, et les institutions qu’impérialement ils occupent, s’emploient à longueur de temps et avec quel succès !, à nous faire, et en masse, agréablement avaler… _,

avec la réunion revue et corrigée, peaufinée, d’une série patiente et admirablement probe de onze contributions consacrées à la tâche indispensable de « penser » enfin le devenir de l’école,

L’École, question philosophique de Denis Kambouchner

nous aide à dés-embrouiller la situation passablement encalminée depuis bien trop longtemps _ « près de quarante ans« , page 12 : c’est-à-dire lors de l’institution du collège unique, en 1974… _ de cette décisive institution _ anthropologique ! et civilisationnelle ! _ qu’est l’école,

en veillant à très distinctement préciser,

et donc le plus clairement possible déterminer par le travail du penser

ce qui fait fondamentalement son sens ;


ce que sont, et ce que doivent être, et respectivement, ses fins et ses moyens _ tout spécialement dans le contexte socio-économique et politique qui est au départ, puis assez durablement

(depuis les XVIIe et XVIIIe siècles ; mais pour combien de temps ?.. à l’heure des de plus en plus pressants calculs de rentabilité des dites « ressources humaines » et des réductions de budget de la dite « saine gouvernance » ultra-libérale, qui n’ont cessé de monter en puissance ces quarante dernières années…),

tout spécialement dans le contexte socio-économique et politique qui est le nôtre ;

et auquel, forcément, nous avons à lucidement (et courageusement) faire face ! en même temps que, d’abord et surtout, faire avec… _,

ainsi que l' »horizon » de sens (avec ce que celui-ci doit nécessairement comporter de « transcendance » par rapport aux objets déterminés de savoir, mais aussi de penser, qu’il offre, aux premiers plans des regards et autres vues de l’esprit , aux sujets en voie de subjectivation permanente que sont les élèves _ et bientôt adultes _ au sein de cette école… _ le processus de subjectivation, lui non plus, n’a pas de fin ; la bêtise étant, ici comme ailleurs, « de conclure«  _ ; qu’il offre, donc, à tous et à chacun, à appréhender, saisir et faire siens…)

et l' »univers » _ = la culture _ que cet « horizon » de sens permet _ à la fois immédiatement et progressivement, et très concrètement, hic et nunc, dans le cursus scolaire envisagé dans un sens qui soit à la fois déterminé et précis en même temps que profond, large et ouvert : c’est un processus au long cours ; et  qui ne saurait se borner jamais à quelques commodes résumés simplificateurs rapides... _ d’aborder, esquisser, dessiner et se représenter

afin de peu à peu l’explorer et connaître, et « incorporer« , de manière tant soit peu cohérente et consistante, au sein du processus de la subjectivation en devenir et formation de la personne ;

mais aussi en certains de ses aspects et c’est très important ! _ créer… ;

en même temps que ce que cet « horizon » de sens doit « offrir » _ très concrètement _ de « perspective » _ et de relief ! _ toujours _ fondamentalement ! en ses lignes « de fuite » pour le regard qui sont rien moins que des lignes de création pleinement effective pour l’ingenium de chacun… _ ouverte _ jamais fermée, ni directement instrumentalisable _ aux objets déterminés, eux, qui vont être donnés _ par le maître _ à _ très concrètement _ cerner _ au premier plan sur ce fond d’« horizon«  _ et faire culturellement siens _ par l’élève _, dans le travail d’échange _ à vif _ des processus _ via la parole et l’écoute, et des échanges (ouverts et si possible joyeux !) de réponses offertes et données, par exemple via l’accès à des « œuvres » qui en valent vraiment la peine (et qui ne soient pas forcément, non plus, des passages obligés, en forme de pénible et rébarbatif « pont aux ânes«  ; et cela dans les diverses disciplines, pas seulement dans la culture littéraire et humaniste…)… ; cf à ce propos la superbe note consacrée, page 254, « aux pages étincelantes d’Italo Calvino sur la littérature, dans Pourquoi lire les classiques ? »  _ de l’enseigner, éduquer, et surtout _ mais est-ce fondamentalement différent ? Non ! _ cultiver ! ;

et l' »univers« , donc,

de « culture » vraie _ et le plus possible vivante ! _

qui doit _ absolument _ être _ objectivement et fondamentalement _ le sien _ = celui de l’école ! _,

ainsi que celui de ses divers acteurs :

les enseignés, leurs parents, les enseignants _ ce sont eux qui ont à charge de diriger-piloter la manœuvre dans l’aventure (ouverte !) de leurs cours vivants ! et qui ont la responsabilité dernière et première, hic et nunc, de la barre (= à la manœuvre) de ce qui va être enseigné ! et de facto advient alors à titre d’objets déterminés du penser (de leur penser) dans la conscience des élèves… _, les personnels d’encadrement, comme les administrants :

« La crise française de l’école peut s’appréhender en termes de dérèglement et de dysharmonie interne à l’institution _ en conséquence de quoi c’est elle qu’il faut d’urgence réformer !

Ce dérèglement est né, il y a près de quarante ans _ soit la réforme Haby en 1974 _, du peu de sérieux avec lequel a été préparée une opération capitale, l’unification du système d’enseignement (« collège unique »)« , page 12

_ cf les très utiles distinctions proposées page 146 (in le chapitre « les principes d’une école juste« ) : « l’unification du système d’enseignement ne permettait de réaliser, selon les termes d’Antoine Prost, qu’une « démocratisation de la sélection », prenant la suite d’une « démocratisation de la fréquentation scolaire » ; mais ce n’était pas encore là ce vers quoi il convenait de se diriger, à savoir une « démocratie de la réussite » » (effective désirée et attendue par et pour tous) ;

et c’est de cette impasse encalminée des tentatives mal pensées (et encore plus mal assumées) de réalisation de cette « éducation de la réussite » que nous (l’école, l’éducation, la culture, la civilisation, via les processus d’acculturation de chaque nouvelle génération d’individus et personnes) souffrons cruellement aujourd’hui…


« Parmi les nombreux symptômes de cette crise, dont le premier est appelé « l’échec scolaire », il faut compter le blocage du débat public et le dérèglement de la parole institutionnelle _ sur le terrain directement politique de la démocratie (malmenée) : avec le brouillage qui en résulte (et demeure endémiquement) dans la plupart des esprits, même les mieux intentionnés.

Blocage du débat, avec l’opposition relancée jusqu’à la lassitude, sans que jamais soit donnée une chance _ suffisante pour donner lieu à une issue satisfaisante _ à la recherche d’un arbitrage _ qui soit enfin tant soit peu « équilibré«  (le camaïeu subtil des nuances important tout particulièrement ici considérablement !) ; cf a contrario de ce « blocage (malsain) du débat« , les efforts de rapprochement réussis des positions de Denis Kambouchner et Philippe Meirieu, par exemple in le récent (janvier 2012) L’École, le numérique et la société qui vient (avec aussi l’ami Bernard Stiegler) _, entre les tenants _ tel un Denis Kambouchner lui-même, au départ _ d’une « instruction » à la fois exigeante et émancipatrice, et ceux d’une action pédagogique en forme de monitorat, aidant l’enfant à « construire ses propres savoirs«  _ tel un Philippe Meirieu, au départ, aussi : avec des efforts persistants (et réussis) d’analyse et d’écoute réciproque, on peut donc rapprocher très positivement les positions de fond en réduisant les crispations rhétoriques de forme…

Dérèglement de la parole institutionnelle, avec l’espèce d’obligation _ qu’il faudrait assurément commenter : car c’est du devenir (et de la vérité même !) des démocraties effectives qu’il s’agit ! sur le terrain proprement politique _ faite aux politiques et aux responsables de couvrir _ hypocritement (= avec imposture !) _ la confusion régnante, et l’impossibilité apparente d’un discours rigoureux, affrontant avec mesure _ voilà ! _, des problèmes précis«  _ qu’il faut « déterminer«  par des distinctions elles-mêmes précises, subtiles et nuancées (équilibrées au cordeau, et à ajuster sans cesse avec souplesse « sur le terrain« , dans le jeu mouvant ultra-fin de leurs applications « sur le champ«  de l’enseigner effectif), adéquates… _, page 13.

Et « le malheur moderne a voulu que ce processus intervienne exactement au moment _ dans la décennie des années 70 du XXe siècle _ où, en France, en Europe de l’Ouest et dans d’autres régions encore, une pensée hypercritique à l’égard des institutions _ et de leurs procédures disciplinaires (cf ici les analyses de Foucault à ce moment des années 70…)  _ connaisse une sorte d’acmé », page 14 _ cf par exemple le Une Société sans école d’Ivan Illich (Deschooling Society, paru en 1971)… Sur l’importance et les modalités du fonctionnement du jeu des acteurs et des institutions, relire aussi le travail lucide de Michel Crozier et Erhard Friedberg L’Acteur et le système, paru en 1977…

Page 324, et à propos de ce que Denis Kambouchner nomme « une nouvelle difficulté (de Michel Foucault « après Surveiller et punir« , qui paraît en 1975) à faire des livres », l’auteur renvoie en note à la superbe (oui !!!) présentation par Jean Terrel et Guillaume Le Blanc, en 2003, des Actes du colloque Foucault au Collège de France : un itinéraire ; voici cette note : « Sur les transformations de l’œuvre de Foucault avec les cours du Collège de France, voir la riche (en effet !) introduction des éditeurs, Guillaume Le Blanc et Jean Terrel, à l’ouvrage Foucault au Collège de France : un itinéraire, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2003, p. 7-26«  ; et l’article (magnifique !) « L’enseignement selon Foucault« , aux pages 301 à 329 de L’École, question philosophique constitue d’ailleurs un des sommets de ce grand livre sur les arcanes de l’enseigner ;

et là-dessus tout spécialement, cf les admirables pages consacrées, pages 51 à 55, au « fait du bon professeur » ; et il faudrait citer in extenso ces magistrales pages de Denis Kambouchner…

« Il n’est que temps de se défaire des antinomies convenues _ paresseusement binaires _ pour se poser la seule question cruciale : celle des conditions dans lesquelles, à l’échelle de toute une société _ qui soit vraiment démocratique ! _, avec de hautes exigences _ celles, précisément de l’idée même de démocratie : relire là-dessus les très fortes analyses d’Alain… Cf aussi le concept kantien d’« idée régulatrice«  _ tant pour le niveau général de la formation _ des maîtres _ que pour l’adéquation aux besoins _ vrais _ des enfants, l’école pourrait (…) devenir au-delà de ce qu’elle a jamais été, une institution efficace et dynamique » _ les deux, et ensemble, sont très importants ! _, page 14.

« En dernière analyse, il s’agit de savoir _ plus clairement et mieux distinctement ! _ ce dont nous-mêmes sommes en quête _ mais oui ! _ et ce que nous sommes prêts _ par accommodation à un certain réalisme pragmatique conjoncturel _ à accepter«  _ en forme de compromis (qui soit acceptable sans ruiner l’essentiel) avec les forces des intérêts puissants et leurs considérables pressions socio-politico-économiques.

Soit « réexaminer les relations cardinales de l’éducation scolaire (entre les élèves, les enseignants, les savoirs et l’environnement _ en l’occurrence ce contexte et cette situation historique socio-politico-économique… _ )

et définir pour elles de nouveaux _ bien meilleurs ! _ équilibres _ le terme est très important ; et désigne quelque chose de non seulement extrêmement nuancé, en sa grande complexité culturelle et humaine, mais de forcément toujours mouvant dans la délicatesse nécessaire de ses applications à ces très fragiles « objets«  que sont les « sujets«  humains dans leur processus ô combien délicat et complexe de subjectivation personnelle métamorphique, que sont les élèves : quand on ne réduit pas les personnes à de la simple « ressource«  utilitaire, en terme de calcul de coût et de rentabilité pour l’entreprise et ses profits (ou l’État et la réduction de sa dette), bien sûr… ; là-dessus, relire La Théorie politique de l’individualisme possessif _ de Hobbes à Locke de C. B. Macpherson, ouvrage publié en 1962… _,

c’est ce à quoi ce livre voudrait contribuer« , page 15 ;

sachant qu' »il est vital que l’on _ c’est-à-dire nous tous, ne serait-ce qu’en tant que citoyens de nos démocraties (en proie à divers mouvements browniens)… _ sache distinguer entre les problèmes effectifs _ à effectivement traiter et résoudre _ et cruciaux _ voilà ! _ et ceux qui n’ont de réalité qu’idéologique«  _ à dissoudre ! Et tel est l’objectif (de « débrouillage« ) auquel essaie de viser principalement ce grand livre _, pages 15-16.


D’abord, « Il faudrait se demander comment l’on pourrait s’arranger pour que le désir d’apprendre _ ou vive curiosité, voire enthousiasme jubilatoire, à son meilleur… _ qui est celui des enfants _ en effet ! cf la magnifique double expression de Montaigne en direction du maître eu égard à cette enthousiaste curiosité-là de l’élève : « allécher l’appétit et l’affection » (Essais, I, 26, in fine), citée page 50 _ ne se décourage pas _ là étant probablement le principal gâchis ! et c’est un double gâchis d’humanité : tant personnel pour le Soi des individus envisagés en leur singularité de personne, que civilisationnel pour la collectivité à l’échelle du devenir historico-culturel commun, celui des contenus et œuvres de la civilisation (à la fois à cultiver et entretenir, maintenir vivant et raviver ; mais aussi compléter encore et toujours par de nouvelles vivifiantes recherches et créations)… _ peu à peu« ,

étant entendu aussi que « les systèmes éducatifs les plus performants _ dans leur pratique globale _ sont ceux dans lesquels il y a consensus _ un consensus relatif, forcément, et qui soit vivant et souple : en réduisant surtout le plus et mieux possible les divers dogmatismes (se figeant) ; et en évitant les fossilisations en trop d’académismes, aussi… : l’ouverture et la réactivation de la créativité interdit en effet la fossilisation en catéchismes fermés auxquels obéir aveuglément, à la lettre (et contre l’esprit) _ à la fois sur la nature des savoirs à acquérir _ les meilleurs ! et en toutes les disciplines… _ et sur les moyens _ les plus vivants et souples : avec toujours une dimension festive joyeuse de jeu improvisé (qui est aussi, en amont celle de la recherche et de l’invention, par le chercheur !) dans l’apprentissage à offrir (à l’élève) par le maître : ce qu’Érasme baptise magnifiquement « repuescere » ! Montaigne parlant, lui, est-il indiqué page 339, d' »un haut degré d’éjouissance«  : « les maîtres qu’il nous faut (…) sont ceux chez qui (ou de la part de qui) le plus grand sérieux et la clarté la plus parfaite sont toujours allés de pair avec un haut degré d' »éjouissance » (c’est le mot de Montaigne)«  (in Essais I, 26).

Et on trouve aussi chez Foucault cette dimension « érotique«  et du savoir (à constituer par la recherche, en la mobilisation vive et efficace de la curiosité), et de l’enseigner-partager, aussi (du moins quand celui conserve quelque chose de l’érotisme de la recherche…).

Et Denis Kambouchner de citer pages 312-313, des extraits d’un très significatif entretien radiophonique de Michel Foucault, avec Jacques Chancel (pour l’émission Radioscopie), le 3 octobre 1975 (in Dits et écrits, volume 1, page 1655) :

_ Jacques Chancel : « En principe, à l’école, on oblige à apprendre ; et l’école devrait être une fête ; on devrait être content d’y aller, car c’est vraiment le terrain de la curiosité _ remarque déjà magnifique de la part de Jacques Chancel !.. Il doit donc y avoir des choses essentielles à apprendre. Quelles sont ces choses ? En dehors de l’orthographe, de l’arithmétique, de la lecture ?…« 

_ Michel Foucault : « Je dirais que la première chose qu’on devrait apprendre _ si ça a un sens d’apprendre quelque chose comme ça _, c’est que le savoir _ en acte, dans le processus délicieux de l’apprendre, découvrir… _ est tout de même profondément lié au plaisir _ mais oui ! et comment !!! _, qu’il y a certainement une façon d’érotiser le savoir, de rendre le savoir hautement agréable _ dans l’acte d’enseigner ; et d’initier à ce processus d’apprentissage-découverte, et même (et peut-être surtout !) création, les élèves, pour le professeur s’adressant à, pour les y initier, ses élèves… Que l’enseignement ne soit pas capable même de révéler cela, que l’enseignement ait presque pour fonction de montrer combien le savoir est déplaisant, triste, gris, peu érotique, je trouve que c’est un tour de force _ moi aussi ! Mais ce tour de force a certainement sa raison d’être _ probablement ! Il faudrait savoir pourquoi notre société a tellement d’intérêt à montrer que le savoir _ comme passage, sas ou entrée, à un pouvoir : à réserver à une minorité seulement… _ est triste. Peut-être précisément à cause du nombre de gens qui sont exclus _ c’est-à-dire à exclure, en fait _ de ce savoir. »

J. C. : _ « Imaginez déjà ce que pèse le mot « savoir ».« 

M. F. : _ « Oui.« 

J. C. : _ « Lorsqu’on dit « savoir », c’est joli. Mais lorsqu’on dit « LE savoir »… » _ Jacques Chancel, ce Gascon bigourdan, ne manque décidément pas de finesse…

Et Michel Foucault de répondre magnifiquement alors : « Oui, c’est ça. Imaginez que les gens aient une frénésie de savoir comme une frénésie de faire l’amour. Vous imaginez le nombre de gens qui se bousculeraient à la porte des écoles. Mais ça serait un désastre social total  » _ pour le partage des bénéfices (financiers) des pouvoirs déjà en place ; pour ce que deviendraient les privilèges… Qui veut vraiment la vraie démocratie des épanouissements des compétences (et en tous genres) ?..

Et il poursuit (mais Denis Kambouchner ne poursuit pas ici la citation), très explicitement : « Il faut bien, si l’on veut, restreindre au minimum _ voilà ! _ le nombre de gens qui ont accès au savoir, le présenter sous cette forme parfaitement rébarbative, et ne contraindre les gens au savoir que par des gratifications annexes ou sociales _ et pas directement, ni en substance (comme c’est le cas de toute véritable découverte !), « érotiques«  _ qui sont précisément la concurrence, ou les hauts salaires en fin de course _ de jouissance sadique, cette fois ! Mais je crois qu’il y a un plaisir intrinsèque _ absolument ! _ au savoir, une libido sciendi _ voilà ! _, comme disent les gens savants, dont je ne suis pas » _ et qui se révèle aussi dans l’acte même d’enseigner, ajouterais-je, pour ma part, si j’ose ici me permettre un tel ajout à la parole sur le vif de l’interview de Michel Foucault, en 1975…

Mais Denis Kambouchner dit encore, page 313 : « Depuis Platon (…) cette érotisation est connue _ mais oui ! _ pour être un des plus puissants facteurs _ absolument ! _ de la culture intellectuelle et du perfectionnement de soi ; et sans doute a-t-elle lieu à quelques degrés toutes les fois _ mais oui ! j’en témoigne à mon tour ! _ qu’un professeur a fait cours entouré de ses élèves, au lieu de les avoir face à lui dans une salle de classe » _ mais cela est aussi une affaire de disposition des tables et des chaises ; ainsi que de la mise en scène de la prise (par chacun et tous) de la parole dans l’interaction vivante entre professeur et élèves !.. Et pour Foucault, sinon toujours enseigner, du moins « la recherche est érotique par essence, elle ne fait qu’un avec le mouvement de la vie et de la pensée » ; car « c’est s’aventurer, provoquer, faire événement« , signale Denis Kambouchner page 325 ; alors que pour Denis Kambouchner (et je l’en approuve et y applaudis de toutes mes mains !), il est « pratiquement impossible d’enseigner sans chercher«  _ et c’est fondamental !

Sur la personnalité de l’individu Michel Foucault, lire le témoignage magnifique de Mathieu Lindon, Ce qu’aimer veut dire ; ainsi que mon article du 14 janvier 2011 : Les apprentissages d’amour versus les filiations, ou la lumière des rencontres heureuses d’une vie de Mathieu Lindon

Et avec des moyens (d’enseigner-partager-susciter la curiosité) qui soient adaptés à la diversité elle-même vivante (et enrichissante, quand elle est bien conduite ; et c’est parfois acrobatique…) des élèves dans la diversité elle-même vivante (ni trop éclatée, ni trop uniforme) du groupe-classe (lui-même pas trop nombreux : existent des seuils de faisabilité !..) : groupe-classe que l’on dissout de plus en plus (les individus sont dispatchés en d’autres assemblages, dissolvant les liens se constituant du groupe-classe…), pour des raisons de coût de la masse salariale des enseignants et rentabilité de la « ressource humaine«  que ces enseignants constituent aux égards de la comptabilité… _ ;

étant entendu aussi _ et je reprends ici la fin de ma phrase interrompue par cette longue incise sur l’érotisation du savoir, à la fois en tant qu’apprendre-découvrir et que chercher, et peut-être aussi de l’enseigner, selon Foucault (et Denis Kambouchner) _ que « les systèmes éducatifs les plus performants sont ceux dans lesquels il y a consensus à la fois sur la nature des savoirs à acquérir

et sur les moyens de cette acquisition _ par les élèves.

Par contraste, l’apparente impossibilité _ plus ou moins hystérisée _ de s’accorder sur le type de culture que l’école devrait dispenser

fait une partie de la faiblesse relative mais préoccupante du système français _ encore travaillé cependant (mais pour combien de temps ?) par un assez haut niveau (de tradition persistante républicaine, en dépit des réalismes de plus en plus ouvertement cyniquement décomplexés de certains…) d’exigence de démocratie et justice, de la part d’un nombre assez important de professeurs. Ici, les choix sont clairement directement et immédiatement politiques.

L’histoire de ce dissentiment est lié à l’étonnante longévité d’un système d’éducation des élites hérité du XVIe siècle et qui a perduré, à travers le lycée du XIXe siècle _ via diverses alliances successives dont Denis Kambouchner fait précisément l’historique _, jusqu’au début des années 1960.

Cette longévité a eu sa contrepartie, avec les difficultés spécifiques d’une unification-massification-démocratisation qui n’a ni remplacé clairement ce système par un autre, ni adapté ses éléments à de nouvelles conditions démographiques et socioculturelles, ni perfectionné les voies alternatives de manière à contrebalancer le poids des classements sociaux« , page 16.

« De là aussi la persistance d’une _ nocive _ division des cultures enseignantes _ parmi les professeurs, au premier chef (ainsi que leurs pratiques pédagogiques) _, que la polarisation du débat public a en quelque sorte transposée, et qui laisse encore quelques uns _ bien fautivement… _ imaginer qu’entre la passion _ et l’enthousiasme joyeux _ du savoir _ et de la culture _ et le souci des élèves, de leur progrès et de leur devenir _ matériels et concrets _, il serait nécessaire de choisir : idée navrante, à tous égards contre-productive ô combien ! _, et qu’il faudrait _ on ne saurait assez insister dessus ! _ songer à répudier une fois pour toutes » _ j’y insiste à mon tour… _, page 16 toujours.

D’autre part, « en matière pédagogique, les trois siècles écoulés ont été l’âge des théories » _ successives et frappées très vite d’obsolescence, mais non sans avoir très vite aussi entraîné d’immenses dégâts.

Et « depuis les années 1970 jusqu’à une date fort récente, les textes régissant l’éducation scolaire et même les programmes des divers niveaux et matières ont été en France saturés de théorie« .

Mais « il vaudrait beaucoup mieux que, à l’égard des théories discutées, les textes régissant les institutions restent _ plus prudemment et avec davantage de sérénité, face à la versatilité des modes en ces matières : jusqu’à l’inconsistance et l’incohérence ! on ne les connaît (et subit) que trop « sur le terrain«  ; de même que l’on essaie, aussi, tant bien que mal de s’en protéger… _ neutres et impartiaux _ un peu plus réfléchis et mieux responsables : indépendamment du cynisme de fait de quelques carriéristes « bouffant à tous les rateliers«  qui se succèdent et se remplacent ; la « conscience«  de ceux-là, puisqu’ayant disparu, ne pouvant pas en être (jamais, ni si peu que ce soit) affectée le moins du monde : tournez manèges et passez muscade !..

Cela ne revient pas à demander qu’ils _ ces textes régisseurs des fonctionnements de l’école _ évitent tout concept, mais qu’ils ne contiennent rien qui ne soit véritablement _ tant soit peu, un minimum _ éprouvé, c’est-à-dire passé au crible _ temporel aussi, et donc pris sur davantage de durée ; et d’« expérience«  un peu honnête effectivement partagée… _ de toutes sortes d’objections«  _ un peu sereinement examinées.

Car « il n’y a pas de démocratie au sens fort sans l’idée d’une rationalité _ qui soit vraiment tant soit peu, un minimum _ partagée _ un peu à distance de la pression et des urgences à courte vue, et qui plus est versatiles, des lobbies tirant à hue et à dia en fonction de leurs urgences (bien peu pédagogiques, et encore moins culturelles, celles-là)… _ à laquelle la parole publique et institutionnelle _ vraiment démocratique _ a précisément pour charge _ morale et politique _ de donner corps« , pages 16-17.

La troisième « conviction«  (page 15) forte sur laquelle met l’accent la présentation des objectifs de la recherche de Denis Kambouchner en son Avant-Propos,

est celle de la « dimension humaine de l’éducation scolaire«  _ l’« humanité«  propre (non-inhumaine !) des « sujets«  à aider à advenir et s’accomplir (à l’échelle de leur vie entière), étant envisagée par Denis Kambouchner comme la fin essentielle que doit mettre en valeur son travail d’analyse, et cela supérieurement à toute considération (seulement servile) de moyens, à destination de quelque employabilité (au titre de « ressources humaines« ) que ce soit… _ (pages 15-16) :

« Il n’existe pas et n’existera pas _ numériquement… _ de professeur virtuel _ pas plus, serait-on tenté de dire, que de parent virtuel _ l’éducation n’étant en rien mécanique ; et doit impliquer fondamentalement une vraie affection (parentale ici) pour l’autonomie vraie du sujet à aider à faire advenir en vue de de s’accomplir vraiment, en l’enfant qu’il est encore à ces âges de minorité effective.

Parmi les besoins premiers _ et fondamentaux ! _ des enfants, des adolescents, des jeunes gens, il faut compter le contact direct _ vivant, interactif et nominal (élève par élève = personne par personne) ; et pas par l’astuce (commode et attractivement moins coûteuse financièrement…) de dispositifs de visio-conférences ; mais aussi chaleureusement affectif ! Que fait un « pédagogue qui n’aime pas les enfants« , pour reprendre l’expression du livre éponyme de Henri Roorda, sinon bien des dégâts ?! _ avec une parole adulte _ cf aussi le concept de « bon objet » de Mélanie Klein, dans la cruciale formation du « Soi«  de l’enfant, avec ses conditions affectives et d’échange ultra-personnel… _ qui ne soit ni préfabriquée ni programmée _ formatée _, mais formée _ au plus vivant et vif de l’interlocution interactive (et aimante) hic et nunc : c’est capital ! _ exprès pour eux (cet ajustement spécifique _ et nominatif à l’égard de chacun ! au sein du groupe-classe _ et comme tel imaginatif _ et joyeusement ludique en sa réponse toujours improvisée, en même temps que savante, précise et substantielle, à l’imprévu joyeusement surprenant, au moins en partie, du questionnement (sur le vif !) des élèves ! _ étant d’ailleurs au principe _ et comment !!! _ de toute efficacité pédagogique).« 

« Ils ont besoin en premier lieu d’une parole qui non seulement fixe des règles _ oui, mais non sans souplesse ; pas mécaniquement ! _ et réponde _ vraiment : substantiellement ! _ à leurs questions les plus immédiates _ sur le vif, donc, et en confiance réciproque : une confiance qu’il faut vraiment installer, coudre-construire au fil des échanges, et ne pas trop décevoir ; et cela sans démagogie aucune ! _,

mais les incite à aller voir _ avec une joyeuse très effective curiosité ! à susciter, entretenir et faire rebondir chaque fois que nécessaire ! celle du professeur servant d’exemple ludique et festif, davantage que de modèle (à dupliquer servilement ; cf le mot de Nietzsche, « Vademecum, vadetecum« …), à la curiosité à titiller de ses élèves _ ce qu’ils n’ont pas vu _ en classe : qui est toujours, et forcément, partiel ; et le champ de curiosité étant toujours ouvert, lui, et à l’infini du questionnement et de la méditation éventuelle à nourrir… _,

fasse appel à leur jugement _ toujours ! sur l’importance du juger, cf l’ultime important travail de Hannah Arendt, Juger _,

et d’abord représente auprès d’eux _ en exemple (d’élan, et enthousiaste) plus encore qu’en modèle (à copier, servilement) _ un jugement

à la fois bienveillant _ malheur au « pédagogue qui n’aime pas les enfants« , pour se référer (nous y revoilà !) à l’ouvrage d’Henri Roorda, en 1917 : Le pédagogue n’aime pas les enfants, dont est extrait le premier exergue au livre, page 7 : « Hélas ! l’école ne rend pas fertiles _ soit un but qui devrait être davantage même qu’éminent : prioritaire ! _ les esprits qu’elle cultive _ et ce devrait être en profondeur aussi, et pas superficiellement. Pour cela, il faudrait les remuer plus profondément et leur donner des aliments meilleurs«  ; l’essentiel est dit là ! : « les remuer plus profondément » et « leur donner des aliments meilleurs«  _

et d’abord représente auprès d’eux _ je reprends l’élan de la phrase _ un jugement à la fois bienveillant

et exact«  _ et qui, par l’exemple le plus vivant possible qu’il soit, en l’échange, encourage ainsi vraiment à l’effort (tout à la fois et d’un même mouvement exigeant et heureux) vers la plus grande finesse-justesse (peu à peu munie et étayée de culture) de leur propre permanent penser-juger-évaluer : à aider ainsi à faire advenir (former avec précision et souplesse, les deux à la fois, puis consolider et élargir, toujours, et essayer d’approfondir), en enseignant à ne pas craindre ni l’erreur de la première réponse-esquisse, ni l’effort de sa reprise-correction, afin d’améliorer (et pousser toujours plus loin) ce penser-juger-évaluer, qui sera toujours lui-même en mouvement à jamais ;

Cf Alain : « Quiconque pense commence toujours par se tromper. L’esprit juste se trompe tout autant qu’un autre _ l’esprit faux : non désireux de sa propre justesse _ : son travail propre est de revenir, de ne point s’obstiner, de corriger selon l’objet la première esquisse _ à fin de son amélioration présente et future. Mais il faut une première esquisse _ et oser, en confiance, accomplir cet effort premier : avec le double courage de l’effort de penser, et celui de l’exigence de la justesse ! _ ; il faut un contour fermé _ qui seul permet le nécessaire travail (c’est une dynamique…) de focalisation progressive de l’esprit. L’abstrait est défini par là » ;

pour en déduire : « Selon mon opinion, un sot n’est point tant un homme qui se trompe _ en cherchant à juger-penser-évaluer : et c’est à chaque instant de la vie ! _, qu’un homme qui répète _ mécaniquement, sans être en mesure d’en rendre compte et les justifier vraiment, des formules-solutions toutes prêtes : tel un perroquet ou un ordinateur ! Faute d’oser se lancer dans la dynamique créative féconde du « penser-juger«  : avec vaillance et courage ; cf ici le sublime début du Qu’est-ce que les Lumières ? de Kant… _

qu’un homme qui répète des vérités, sans s’être trompé d’abord comme ont _ de fait ! _ fait ceux qui les ont trouvées » ; « Instruire, c’est former le jugement« , disait on ne peut plus fondamentalement Montaigne de cette mission première du maître à l’égard de l’élève…

« Or, pour être exacte et compréhensive _ les deux à la fois _, ferme et ouverte _ en même temps _, attentive, rigoureuse et modulée _ ensemble et à l’instant, au plus vif de l’ici et maintenant ! _,

la parole adulte doit être _ en effet ! _ instruite _ elle-même et déjà : et c’est un processus lui aussi (et très joyeusement !) infini : il se poursuit toujours… _ à un haut degré« 

_ et cela se façonne (artisanalement) tout au long de l’exercice (large et permanent) d’exister d’une vie, et pas seulement de la vie strictement professionnelle, pour un professeur ; et cela, à la façon dont « se fait » aussi (= se bricole : c’est, sur soi-même, une praxis) le savoir créateur toujours plus expérimenté en même temps que plus créatif (= poïétique) de l’artiste lui-même apprenant à s’accomplir (en cette praxis, acte par acte) en créant (en sa poiesis, œuvre par œuvre) ; et c’est aussi un art ! qu’enseigner ; et pas une technique (mécanique)… ; lire (et relire à plaisir !) les sublimes analyses de Spinoza en son Éthique sur la nature et le processus même de la joie, comme expression affective de l’accomplissement des potentialités (personnelles) ; cf aussi le très beau livre de Jean-Louis Chrétien, en 2007 : La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation _, page 18.

« Le fond de cette relation de parole _ de sujet à sujet ; d’un humain adulte à l’humain qu’il s’agit d’aider à devenir et s’accomplir, en l’enfant, chacun et tous ; à commencer dans le processus vivant et irremplaçable de la classe ; et Denis Kambouchner en traite aussi très précisément… _ a été parfaitement décrit voici cinq siècles par les écrivains humanistes, parmi lesquels Érasme, en compagnie de qui ce livre se terminera _ aux pages de l’ultime et magnifique chapitre, pages 331 à 340.

Érasme dit aussi _ exactement à l’inverse de ce que soutiendra le décidément toujours sinistrement paradoxal Rousseau en son Émile (cf ici l’avis fort pertinent du très fin Denis Diderot sur cet incurablement caractériel et incurablement malheureux de Jean-Jacques !) contre les livres… _

que l’esprit malléable du jeune enfant doit être d’emblée nourri _ voilà ! _ de ce qu’il y a de meilleur dans les meilleurs auteurs _ cf Alain : « Toute pensée est donc entre plusieurs et objet d’échange. Apprendre à penser, c’est donc apprendre à s’accorder ; apprendre à bien penser, c’est s’accorder avec les hommes les plus éminents, par les meilleurs signes«  ; et cela sans esprit de conformisme ; mais seulement d’émulation d’élévation… _ ;

que, pour l’initier _ c’est une dynamique au long cours et qui passe par de l’affectivité : de la joie… _ aux lettres (et aux sciences _ en leur processus joyeusement excitants de construction-création : à la suite des travaux de mon amie Marie-José Mondzain, dont Homo spectator, j’aime parler ici de la fécondité du processus créatif d’« imageance«  ; cf aussi, bien sûr, Gaston Bachelard… _), il ne faut surtout pas attendre, dès lors qu’il sait parler et qu’il est apte à l’instruction morale ;

qu’il n’y a rien à quoi son jeune âge puisse être employé plus utilement ;

qu’il n’y a pas de connaissance des choses sans connaissance des mots _ cf Alain, encore, en ce même texte d’Éléments de philosophie : « Leçons de choses, toujours prématurées ; leçons de signes, lire, écrire, réciter, bien plus urgentes«  ; ni non plus « sans connaissance de phrases«  (c’est-à-dire de « structures syntaxiques«  à apprendre à mettre en œuvre : cf ici la générativité du discours (en une langue) par la parole vivante, telle que l’analyse magnifiquement Noam Chomsky) _ ;

et que les enfants, moins fatigables que les adultes, supportent _ avec mieux que de l’endurance, avec le plaisir d’une passion s’incarnant physiquement en une activité consistante et cohérente suivie et poursuivie _ quantité d’exercices, pourvu qu’ils en sentent l’intérêt _ c’est-à-dire le sens, en un suivi qui demande toujours (et de la part du maître comme de la part de l’élève, en leur échange vivant) un minimum de patience, accompagnant l’effort joyeux de l’exercice ; et qui sera réinvesti ailleurs et plus tard, par l’adulte que l’élève est appelé à devenir, selon les sollicitations de son propre exister… _ et qu’il y entre une dimension de jeu«  _ relire ici, sur l’importance et l’efficacité du playing, l’excellentissime Donald Winnicott… Et comparer avec ce que les coaches sportifs sont capables, sur le terrain et dans le « faire«  effectif, d’obtenir d’efforts très intensifs et prolongés lors des séances (fréquentes) d’entraînement des jeunes qui pratiquent durablement et passionnément un sport… La salle de classe doit être le lieu de cet effort (ludique) de l’exercice joyeux (voire jubilatoire !) du penser-juger ; je ne reviens pas sur les remarques plus haut de Michel Foucault à Jacques Chancel, le 3 octobre 1975 (Denis Kambouchner qualifie, page 328, la « lecture«  des Dits et écrits de Michel Foucault d’« expérience comparable à celle des Essais de Montaigne«  : rien moins !!!…

« Ces textes _ d’Érasme donc _ n’ont rien perdu de leur puissance d’interpellation _ certes ! Et c’est bien une telle interpellation citoyenne qu’aspire à réaliser auprès du lectorat le questionnement philosophique de ce magnifique travail sur le fond qu’est L’École, question philosophique

Dûment médités _ et c’est bien là, avec tout ce que cela implique de durée, d’exigence patiente de penser-juger et de qualité d’attention d’analyse dynamiquement questionnante et réflexive, un exercice spécifiquement philosophique, en effet ; cf le sens de cette action de « méditer«  in les Méditations métaphysiques de Descartes… _,

il se pourrait même qu’ils définissent, ou aident encore à définir _ face à la confusion idéologique tristement endémique qui persiste à régner, dans l’opinion comme dans les sphères dirigeantes : c’est qu’il en existe beaucoup que pareille confusion endémique arrange ! _,

l’essentiel de ce qu’il nous faut, et de ce qu’il faut à tous les enfants, à l’âge du numérique et de l’exigence démocratique d’une « réussite de tous »«  _ cf aussi, ainsi, les très notables avancées de compréhension mutuelle auxquelles sont parvenus un Philippe Meirieu et un Denis Kambouchner lui-même (avec l’ami Bernard Stiegler), dans le récent L’École, le numérique et la société qui vient, aux Éditions Mille et une nuits, en janvier 2012 ; à confronter avec l’état des lieux du débat par Denis Kambouchner en son précédent Une école contre l’autre, aux PUF, en 2000 : il y a treize ans _, pages 18-19.

Cf aussi cette magnifique expression de Stefan Zweig que je trouve en son Érasme, paru en 1934 _ la date est d’importance ! au moment de l’installation au pouvoir d’Hitler… ; d’où le sous-titre donné par Zweig : Grandeur et décadence d’une idée _ :

« Ce qui fera la gloire d’Érasme _ 1469-1536 _,

vaincu _ bientôt et au fil des siècles qui vont suivre, face aux avancées du machiavélisme (Le Prince de Machiavel a été écrit en 1513) dans la modernité qui s’ouvrait alors, en cette Renaissance, puis bientôt cet Âge classique, avec les progrès en suivant du pragmatisme et de l’utilitarisme, appuyés sur la très habile exploitation socio-économique organisée assez rapidement et à grande échelle (cf John Locke, un des premiers, puis Adam Smith, avant bien d’autres) des progrès (au départ assez innocents peut-être, et séparés) des sciences comme des technologies ; Descartes lui-même a très vite l’intuition de la puissance d’efficacité de ce nouage (au moins technico-scientifique, sinon économico-techno-scientifique : « se rendre comme maîtres et possesseurs de la Nature« , dit-il… ; cf aussi la bien connue métaphore de « l’arbre de la philosophie«  dans sa Lettre-Préface aux Principes de la philosophie) ; mais Denis Kambouchner est mieux qu’un très avisé expert en la matière ; consulter son Descartes et la philosophie morale, aux Éditions Hermann, en 2008… _

ce qui fera la gloire d’Érasme, vaincu dans le domaine des faits _ socio-économiques à l’échelle de l’Histoire longue de notre modernité : mais celle-ci n’est pas finie ! _,

sera d’avoir littérairement frayé la voie à l’idée _ au sens kantien d’idée régulatrice _ humanitaire,

à cette idée très simple et même temps éternelle

que le devoir suprême _ = souverain _ de l’humanité est de devenir toujours plus humaine _ quelle magnifique expression ! _,

toujours plus spirituelle, toujours plus compréhensive«  _ au lieu de devenir « plus inhumaine« 

« Devenir toujours plus humaine » !

Quatre-vingts ans après 1933 et l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne,

c’est toujours, en 2013, un formidable impérieux pari (et inlassable combat à mener) en faveur de cette « voie » de toujours davantage d' »humanisation » de l’humanité,

face aux forces (se voulant _ et proclamant haut et fort _ très réalistes, elles…) du pragmatisme utilitariste (socio-économique) _ plus ou moins discrètement ou ouvertement cynique, ici où là…

« Bien faire l’homme« , dit Montaigne en son ultime (= testamentaire !) chapitre des Essais : De l’expérience  (Essais, III, 13), un chapitre tout bonnement sublime ! ; pour conclure son livre-testament (à destination de ceux qui voudraient bien se souvenir de lui au plus vrai de ce qu’il a pu être et faire (et en témoigner en son écrire et ré-écrire…), grâce à ce que le livre conserve des efforts inlassables de cet écrire vrai, « tant qu’existerait de l’encre et du papier« …) ;

pour conclure son livre-testament, donc, sur l’invocation (essentielle !) d’Apollon et ses Muses… Et tant qu’existeront, aussi, des lecteurs et des re-lecteurs de telles vraies œuvres…

Et ce pari civilisationnel de fond

quant à ce qu’est, et ce que doit être, l’humanité _ ainsi que quant aux valeurs (de l’agir et de l’exister) à hiérarchiser, en conséquence… _

participe aussi, et même pour beaucoup (= fondamentalement !!!) ,

des finalités entre lesquelles choisir, tant collectivement _ pour les décideurs politiques (mais aussi pour les électeurs-citoyens, en amont, lors des élections, que nous sommes encore…) dans les démocraties _ que personnellement _ pour qui y enseigne _,

pour ce qui concerne le fonctionnement même, au quotidien le plus vivant, de l’école.


Que l’on se demande in fine, conclut ainsi son Avant-Propos Denis Kambouchner,

« si une éducation

qui tournerait tout à fait _ la nuance est d’importance : c’est d’abord une affaire d’échelle et de degrés ; ou encore d‘ »équilibre«  et de « proportions«  (et ces termes sont tout simplement capitaux !..), par rapport aux pressions des très puissants (de fait) intérêts socio-économiques, voire de « gouvernance » comptable… : à rebours de leurs propensions impérialistes, voire totalitaires… _

le dos

à la leçon et à la mémoire des humanistes _ et de leur considération « de droit » à propos de ce que doit être l’humanité (cf aussi l’opposition en la seconde moitié du XXe siècle entre les partisans, à la Ernst Bloch, du Principe Espérance et les partisans, à la Hans Jonas, du Principe Responsabilité ; et aussi, tout récemment, le point sur la question de Frédéric Gros, en son Principe Sécurité…)… _,

et qui accepterait de cantonner _ en un « parc«  fermé (ô mânes d’Emmanuel Kant ! ô esprit actif de Peter Sloterdijk !) pour des raisons d’« inutilité » du niveau de main-d’œuvre qualifiée attendu statistiquement sur le marché du travail, et des calculs de coût (de formation) passant ainsi le seuil de l’estimé supportable à nos finances, selon les experts auto-proclamés et assez grassement stipendiés de nos marchés d’affaires privées et publiques… ; cf ici le très joli travail de Nuccio Ordine L’Utilité de l’inutile, aux Belles Lettres, ce mois de janvier 2013 _

le grand nombre des élèves _ à part de la petite minorité devenant seule utile et rentable désormais, à réellement former, elle : et si possible pour les seules tâches dont on (= les actionnaires des entreprises) escompte avoir réellement besoin ;

cf les analyses de Florent Brayard sur le pragmatisme (et l’hyper-méfiance, voire paranoia, l’accompagnant…) de la division des tâches dans l’organigramme du régime nazi, selon ce qui peut se deviner-déduire des intentions d’Hitler, in Auschwitz _ enquête sur un complot nazi ; l’hyper-fragmentation de l’organisation bureaucratique constituant ici un modèle de modernité de « gouvernance«  efficace… _

dans la périphérie _ la plus étroitement utilitaire (sur le marché du travail), et sans nul autre « horizon » ni « perspectives » que le misérable fun convenu et formaté, et hyper-soigné en terme de fonctionnalité efficace (de crétinisation !) des divertissements de masse des industries ad hoc ; relire ici Theodor Adorno, par exemple en ses superbes et plus que jamais actuelles Minima moralia, sous-titrées Réflexions sur la vie mutilée ; un tel game pré-formaté (et fermé) allant à l’inverse du playing (ouvert) dont fait l’éloge Donald Winnicott ; cf aussi là-dessus les très pertinentes analyses de Roland Gori en La Fabrique des imposteurs _

du savoir _ = de la culture _,

pourrait faire autre chose

que son propre malheur«  _ civilisationnel, et à très court terme… _, page 19.

Alors, réfléchissons un peu au choix par Denis Kambouchner de ce titre : L’École, question philosophique

Titus Curiosus, ce 24 février 2013

L’aventure d’écriture d’un curieux généreux passionné de musique, Romain Rolland : le passionnant « Les Mots sous les notes », d’Alain Corbellari, aux Editions Droz

20août

En troisième volet à une enquête sur ce qu’est « écouter la musique »,

soit après la lecture des Éléments d’Esthétique musicale  _ Notions, formes et styles en musique, sous la direction de Christian Accaoui, aux Éditions Actes-Sud/Cité de la musique ; cf mon article du 15 juillet Comprendre les musiques : un merveilleux gradus ad parnassum _ les « Eléments d’Esthétique musicale : notions, formes et styles en musique » aux éditions Actes-Sud / Cité de la musique, sous la direction de Christian Accaoui ;

et après  la lecture de L’Oreille divisée _ L’écoute musicale aux XVIIIe et XIXe siècles, de Martin Kaltenecker, aux Éditions MF ; cf mon article du 2 août comprendre les micro-modulations de l’écoute musicale en son histoire : l’acuité magnifique de Martin Kaltenecker en « L’Oreille divisée » ;

voici une présentation de ma lecture de ce passionnant travail d’Alain Corbellari, aux Éditions Droz, sur l’esthétique en mouvement (passionné !) d’un des esprits les plus curieux et généreux (et amoureux fou de musique) du XXe siècle, Romain Rolland : Les Mots sous les notes _ Musicologie littéraire et poétique musicale dans l’oeuvre de Romain Rolland

Je partirai de la synthèse de la quatrième de couverture de ce livre riche de 383 pages,

pour présenter ce qu’Alain Corbellari nomme, page 14, « une réévaluation du projet de Romain Rolland« , en entrant « véritablement«  _ enfin ! _ « dans le pourquoi » de sa « poétique musicale« , page 17 ;

Alain Corbellari précisant, page 18, que « c’est d’abord le système des jugements de Romain Rolland sur la musique et la façon dont sa pensée esthétique permettait de réévaluer l’ensemble de son œuvre » qu’il a « cherché à reconstituer ici«  _ voilà !

Tout en indiquant, page 21, en aboutissement de son très éclairant Avant-propos, que

« les opinions de Romain Rolland _ enfin prises pour objet de l’analyse de fond qu’elles méritent (et attendaient depuis si longtemps !) _ forment un système cohérent, quoique moins facile à cerner qu’on ne pourrait le croire de prime abord, tant les détails de ses jugements sont riches de nuances, de subtilités et de contradictions _ mais toujours parfaitement probes (et « sincères«  !) _ qui infléchissent la première impression que l’on pourrait avoir de l’axiologie qui les sous-tend » ;

car « Romain Rolland est _ d’abord et fondamentalement _ un victorien (comme son ami Zweig qui restait attaché aux conventions du « monde d’hier », tout en félicitant Freud de les avoir fait voler en éclats) ; il est ainsi toujours resté fidèle _ tel est et demeurera le socle de son appréhension et évaluation, in fine, de la musique, colorant les approches curieuses et généreuses de la nouveauté… _ à son goût des musiques postromantiques à la fois somptueuses et rigoureusement construites,

mais _ d’autre part et aussi, avec une très grande exigence de vérité _, sur ce socle, combien de découvertes ont assoupli _ voilà une des qualités de l’esprit de Romain Rolland ; tel un Montaigne _ les premières appréciations« .

Aussi Alain Corbellari précise-t-il, toujours page 21, se défendre « d’avoir voulu décrire un système clos et rigide. » Car « pour arrêtées qu’elles soient, les opinions de Rolland restent _ en conformité avec la générosité exigeante (éminemment noble) de sa personnalité _ ouvertes et malléables, fidèles à une pensée qui est d’abord acceptation de la vie en toute sa diversité«  _ toujours tel un Montaigne ; Alain Corbellari reliant (on ne peut plus excellemment !) le « frisson vitaliste«  rollandien à Bergson, Renan et Nietzsche, en plus de Wagner et Schopenhauer, page 22.

Et s’il n’est « pas question ici, précise-t-il encore page 22, de récrire la genèse de la pensée de Romain Rolland, ce travail ayant déjà été fait _ et bien fait _ par d’autres » _ David Sices, in Music and the musician in Jean-Christophe, en 1968 ; Bernard Duchatelet, La Genèse de Jean-Christophe de Romain Rolland, en 1978 _, on ne saurait jamais trop insister sur le fait que, « entre la fidélité à ses goûts et l’espérance du futur, entre la foi dans les vieilles valeurs de l’Europe des nations et la quête de celles qui formeront la nouvelle Europe unie, Romain Rolland s’est voulu _ au plus fondamental ! _ un homme qui cherche, un être toujours _ voilà ! inlassablement et avec pleine confiance ! _ en mouvement _ cf encore Montaigne (et le beau Montaigne en mouvement de Jean Starobinski)… _, qui, pour cette raison même, n’en était pas _ c’était un généreux et un enthousiaste ! _ à une contradiction près.« 

Mais « nous n’en tenterons pas moins de respecter une passion et une sincérité _ voilà ! les deux consubstantiellement liées _ qu’il est difficile de mettre en doute _ certes : Romain Rolland est d’une absolue et pure probité ! _ et qui fondent _ oui _ la valeur _ puissante _du témoignage de notre écrivain.

Or, dans la quête de vérité de Romain Rolland,

c’est bien la musique, comme il l’avouait sans détour dans ses Mémoires _ toujours disponibles, dans l’édition de 1956 : à la page 148, en un chapitre de complément intitulé « Musique«  _, qui aura été son fil d’Ariane _ voilà ! _ :

« La musique _ qui relie dans l’épaisseur mélodique et harmonique riche du temps : avec la délicatesse des modulations subtiles de ses jeux _ m’a tenu par la main, dès mes premiers pas dans la vie. Elle a été mon premier amour, et elle sera, probablement, le dernier. Je l’ai aimée, enfant comme une femme, avant de savoir ce qu’était l’amour d’une femme.« 


Voici, assortie de quelques farcissures de commentaires de ma part,

cette éclairante quatrième-de-couverture des Mots sous les notes d’Alain Corbellari :

« La postérité retient _ quand elle s’en souvient encore… _ de Romain Rolland qu’il fut _ très effectivement _ une figure emblématique du pacifisme _ cf, ainsi, son Au-dessus de la mêlée, en 1916 _ et de l’idée européenne. Plus méconnue, sa contribution majeure à la musicologie _ il fonda, rien moins !, la musicologie française au tournant du siècle _ témoigne cependant de sa véritable passion, la musique : « La musique m’a tenu par la main, dès mes premiers pas dans la vie. Elle a été mon premier amour, et elle sera, probablement, le dernier ».

Cette dévotion à la musique dont est empreinte  _ jusque dans le souffle des phrases _ l’ensemble de son œuvre fournit la trame de son plus grand succès populaire, Jean-Christophe, où Romain Rolland retrace, tout le long d’un « roman-fleuve », l’histoire d’un compositeur, dans laquelle on voit poindre la figure admirée de Beethoven. De fait, la musique infléchit l’ensemble de son œuvre _ c’est à montrer cela que s’attelle ici en effet Alain Corbellari. Fondateur de la musicologie française, artisan de la redécouverte de l’opéra baroque _ mais oui ! avec sa thèse pionnière Les Origines du théâtre lyrique moderne _ Histoire de l’opéra en Europe avant Lully et Scarlatti, en 1896 ; ainsi que de l’ensemble de la musique dite aujourd’hui « baroque« , avec son Musiciens d’autrefois, en 1908 ; et Voyage musical au pays du passé, en 1919 _, ardent défenseur de la musique du début du XXe siècle _ cf son Musiciens d’aujourd’hui, en 1908 aussi… _, Romain Rolland fut sans doute, avec Rousseau _ hélas !!! le fossoyeur de la musique française, adversaire niais de Rameau ! je ne partage pas du tout cette thèse ! un Vladimir Jankélévitch a bien davantage ma faveur : mais Alain Corbellari reproche à ce dernier un sectarisme anti-germanique… _, le plus profondément musicien de tous les écrivains français. Il convenait donc de réévaluer la singularité de son projet esthétique _ voilà l’objet de ce travail ici d’Alain Corbellari _ à l’aune de la conjugaison _ subtile et difficile en leur feuilletage (Martin Kaltenecker dit, lui, « tressage«  !) : mal accepté de la plupart ! toujours aujourd’hui ! _ de ces deux arts auxquels Romain Rolland a voué sa vie entière : la littérature et la musique.

C’est précisément l’ambition de Les Mots sous les notes que de retrouver _ et lui rendre justice  _ le mouvement _ oui ! _, proprement symphonique _ absolument ! _, d’une œuvre et d’une vie _ étroitement tissées, en effet, l’une avec l’autre _ qui restent exemplaires d’un désir de communion fraternelle _ civilisationnel, plus encore que politique _ dont « L’Hymne à la Joie » de Beethoven a en définitive toujours constitué, pour Romain Rolland, la suprême expression« 

De fait,

la conclusion du livre (pages 329 à 332) rend très clairement compte de cette  position rollandienne _ conçue en terme d’« alliance« , davantage que d’« aporie« , page 330 _ entre musique et écriture ;

et aide à expliciter l’expression de « mots sous les notes« ,

ainsi que celles du sous-titre de ce travail d’Alain Corbellari, de « musicologie littéraire » et de « poétique musicale«  (dans l’œuvre _ multiforme : théâtre, romans, essais et articles (dont ceux de musicographie et musicologie : ces deux concepts ainsi que leur articulation subtile sont présentés pages 19-20)… _ de Romain Rolland)…

A cet égard, deux citations _ pages 17 et 330 _ empruntées à une lettre du 9 novembre 1912 à l’écrivain autrichien Paul Amann, sont particulièrement éclairantes.

La première : « Ne vous y trompez pas, je suis un musicien qui s’est armé de l’intellectualisme français« , est commentée ainsi par Alain Corbellari : « De fait, nous touchons là au plus profond, sans doute, des paradoxes qui ont taraudé notre auteur : ce musicologue post-romantique, profondément imprégné de l’idée que la grandeur de la musique résidait dans sa capacité à évoquer l’inexprimable _ du moins dans le discours premier et la prose ordinaire : Bergson, lui aussi mélomane, succombe aussi parfois à ce pessimisme à l’égard du pouvoir du discours ! _, a été, dans le même temps, l’un des hommes les plus « engagés » dans les débats socio-politiques de son époque » ; de même qu’il saura « garder intact jusqu’à la fin (son) élan idéaliste« , page 17.

La seconde : « Seules des circonstances hostiles m’ont empêché de me consacrer à la musique, ainsi que je le voulais« , Alain Corbellari, à la conclusion de son essai, peut la commenter ainsi, page 330 : en déclarant cela, « Rolland exprime certes un regret, mais ce n’est pas l’écriture qu’il rend responsable de cette frustration. Au contraire, écrire lui permet d’oublier _ et compenser, en partie : par les élans de l’écriture même ! _ l’appel de sa vocation première, au point que dans l’entre-deux-guerres, il avouera _ on l’a vu _ ne presque plus avoir le temps de simplement jouer du piano _ tant jouer bien requérait aussi d’exigences ! L’urgence _ dynamique ! _ d’une morale de la vie, de l’action et de la fraternité, qui fait de l’écriture un devoir _ sacré : la dimension éthique (avec sa vocation d’universalité) est fondamentale chez (et en) Romain Rolland _, semble ainsi constamment primer chez notre auteur l’interrogation _ mélancolique : une compulsion qui lui est étrangère ! _ sur l’adéquation des moyens à une fin pourtant décrite en des termes profondément mystiques.

L’écriture est bien, au sens rousseauiste (et derridien) un supplément : elle comble une carence de musique, mais elle possède aussi sa vie propre _ et il y a bien ainsi un « style« , sinon de la phrase même, du moins de l’œuvre (en son entièreté) envisagée d’un peu loin (mais toujours en l’élan), de Romain Rolland ;

cf ici la métaphore de la fresque (« faite pour être vue de loin«  ; et pas « à la loupe« ) empruntée par Romain Rolland à Gluck (« à qui on demandait la raison de certaines pauvretés d’harmonie« ), en une lettre (du 15 juin 1911) à Louise Cruppi, citée par Alain Corbellari pages 10-11 : telles « les peintures de la coupole du Val-de-Grâce » visibles seulement d’en-bas que donne Gluck en exemple, « certaines œuvres _ commente Romain Rolland en une sorte de plaidoyer pro domo en faveur de son propre « style«  d’écriture, de phrase et d’œuvre) ! _ sont faites pour être vues de loin, parce qu’il y a en elles un rythme passionné qui mène tout l’ensemble _ voilà : c’est une dynamique généreuse féconde : quasi dionysiaque… _ et subordonne tous les détails à l’effet général. Ainsi Tolstoï, ainsi Beethoven. (…) Mais jusqu’à présent aucun de mes critiques français _ (si, un seul, mais il n’est pas connu) _ ne s’est aperçu que j’avais un style.« )… _,

(l’écriture, donc, de Romain Rolland) possède aussi sa vie propre,

rêvant de transcender les limitations _ a-musicale qu’elle demeure, en un sens, cette écriture : malgré l’enthousiasme de ses élans, rythme et profusion emportée (au moins idéalement) _ dont elle se plaint d’être affectée.

Cette aporie explique sans doute, du même coup, que la revendication par Romain Rolland d’une poétique musicale

ait, aux yeux de ses lecteurs, très généralement _ même auprès des plus scrupuleux et savants _ passé,

au mieux comme une figure de style _ davantage idéalisée que proprement incarnée en son « style«  et ses phrases, de fait : eu égard à ce qui demeure de pesanteur en le victorianisme (puritain) endémique de Romain Rolland _,

au pire comme la preuve de sa nullité littéraire.

Que, de surcroît, cette poétique ait été fondamentalement infléchie par un désir d’améliorer à tout prix l’humanité

achève de brouiller son appréhension _ voilà où lui et nous en sommes en 2010-11 _,

sauf à imaginer _ et tel est l’apport de ce travail de fond d’Alain Corbellari avec ce livre-ci _

qu’il y a finalement une cohérence _ c’est la thèse du livre _

dans cette double disqualification du discours littéraire _ tel que s’en sert (noblement, et en vertu de sa formation : il est normalien) Romain Rolland ; au-delà du pire sens du mot « littérature«  : au sens de divagation divertissante ou lénifiante mensongère _ :

contestée en amont du sens par la musique,

et en aval par le discours humanitaire,

la littérature _ en son sens le meilleur, cette fois, et telle que la pratique Romain Rolland, en le déroulé de ses phrases _ se révèle peut-être, en fin de compte, le moyen

_ relativement complexe, en sa subtilité ; d’où le devoir (que s’impose Romain Rolland à lui-même) : « Parle droit ! Parle sans fard et sans apprêt ! Parle pour être compris ! Compris non pas d’un groupe de délicats _ et c’est ce que reproche Romain Rolland à bien des arts et des discours _, mais par les milliers, par les plus simples, par les plus humbles. Et ne crains jamais d’être trop compris ! Parle sans ombres et sans voiles, clair et ferme, au besoin lourd« , in l’Introduction (finale, a posteriori) à Jean-Christophe, cité par Alain Corbellari page 13 _

le plus adéquat

d’affirmer la fondamentale identité de ces deux revendications extrêmes,

car c’est au point où se rejoignent

l’ineffable _ cf mon article comprendre les micro-modulations de l’écoute musicale en son histoire : l’acuité magnifique de Martin Kaltenecker en « L’Oreille divisée » sur l’indispensable L’Oreille divisée de Martin Kaltenecker : à propos de l’écoute de la « musique ineffable« , aux pages 223-224 de ce livre majeur ! _ de la communication musicale _ en son idéalité musicalement incarnée dans la suite (mélodique et harmonique) des notes _

et l’idéale _ encore : en son pressant appel ! _ univocité _ désirée rassembleuse _ du mot d’ordre _ de vraie « paix«  construite, de « concorde«  (des cœurs : un pléonasme !), au sens où l’entend Spinoza en sa politique comme en son Ethique _ qui fonde le contrat social

….

que se situe l’écriture

_ passionnée, généreuse et inlassable : « Communiquer sans les mots : cet idéal musical _ de la musique purement instrumentale ; cf Carl Dalhaus : L’idée de la musique absolue _ une esthétique de la musique romantique _, problématique chez un écrivain, se traduit chez notre auteur par une activité d’écriture absolument frénétique« , avait dit Alain Corbellari, page 13 ; et encore, page 14 : « Pour Rolland, le souffle de la phrase, matérialisé par la ponctuation, est plus important que la correction _ c’est dire ! _ de la langue : « J’aimerais mieux quelques fautes de français, qu’un point final mis à la place d’un point et virgule » _ avait-il affirmé en une lettre à Péguy (le 24 octobre 1906). Cette attention à la respiration du texte ne trahit-elle pas, ici encore, le musicien ?« , commentait à excellent escient, Alain Corbellari… _

que se situe l’écriture

de Romain Rolland. »

Et Alain Corbellari de déduire, toujours page 330 :

« Cette alliance _ voilà ! _ de l’indicible musical et de l’expression sublimée de la pensée politique,

n’était-elle pas déjà le pari de ce parangon de toute musique qu’était pour Romain Rolland (et significativement aujourd’hui pour la Communauté européenne…) _ Alain Corbellari est citoyen neuchatellois _ l’Ode à la Joie qui termine en apothéose l’ultime symphonie de Beethoven ?« 

Et, page 331 :

« Un texte de 1922 publié en appendice de l’édition posthume du Voyage intérieur, et intitulé « Le Maître musicien« , nous fait voir _ sinon entendre, mais ne sommes-nous pas là dans l’inaudible musique des sphères ? _ la suprême métaphore musicale qui a guidé le combat humaniste de Romain Rolland :

« Cette symphonie de millions de voix diverses, c’est, pour moi, l’Unité cosmique vers laquelle _ tel un Kant, un Hegel, un Marx, ou un Spinoza _ je tends mon espoir et mon désir. »

Et Alain Corbellari de conclure l’essai, page 332, sur cette autre expression du Voyage intérieur pour qualifier, in fine, l’œuvre de Romain Rolland : « une œuvre qui a su, dans le même mouvement, développer une haute pensée de la musique et illustrer une souveraine musique de la pensée, fondée sur ce que Rolland appelait sa « conception toujours musicale, symphonique _ voilà ! _, de la vie et de l’univers » »…

Sur le fond,

la volonté de mieux (et enfin) prendre (vraiment) en compte l’inspiration musicienne de tout l’œuvre de Romain Rolland,

constitue, ainsi, le fil conducteur de cette enquête méthodique d’Alain Corbellari :

tout particulièrement en sa première partie, intitulée « Trajectoires« , dont les chapitres sont, on ne peut mieux significativement : « Une vie de musique« , « La culture française et la musique : quelques réflexions sur un amour malheureux« , « Un théâtre rousseauiste« , « Les querelles de l’opéra au XVIIIe siècle« , « Une Naissance de la tragédie à la française » et « Le cas Wagner ou d’une décadence l’autre » _ on remarquera la référence nietzschéenne de ces deux derniers chapitres de « Trajectoires« 

Et cela, à commencer par le sérieux du travail de musicologie(-musicographie), pionnier en France, de Romain Rolland :

à partir de son travail de thèse entamé à Rome _ « en moins de quatre mois« , de novembre 1892 à Pâques 1893, « il réunit la documentation d’un travail sur les origines de l’opéra en fouillant les partitions inédites de la bibliothèque Sancta Cecilia, notamment celles de Monteverdi. De retour à Paris, il la complète et rédige ses thèses« , résume Jean-Bertrand Barrère en son très utile Romain Rolland par lui-même, paru dans la collection Microcosme-Écrivains de toujours, aux Éditions du Seuil, en 1955 _ ; en juin 1895, Romain Rolland est reçu docteur ès-Lettres : avec pour thèse principale : Les Origines du Théâtre lyrique moderne _ Histoire de l’Opéra avant Lully et Scarlatti ; et pour thèse complémentaire Cur ars picturæ apud Italos XVI sæculi deciderit, et il devient chargé de cours complémentaire d’Histoire de l’Art à l’École Normale Supérieure, où il débute ses cours en novembre 1895.

« Officialisé, ce cours devient en janvier 1897 le premier cours d’histoire de la musique donné en France dans une grande École« , indique Alain Corbellari, page 30.

« Les première années du nouveau siècle voient se réaliser les étapes définitives de l’institutionnalisation de la musicologie en France : en 1902, une École de musique est fondée à l’École des Hautes Études Sociales, et Rolland en est nommé directeur, tenant le 2 mai un discours d’ouverture intitulé « De la place de la musique dans l’histoire générale », qui deviendra l’introduction de son volume de 1908 sur les Musiciens d’autrefois« , pages 31-32.

« En 1903 _ continue Alain Corbellari page 32 _, lors de la réorganisation de l’École Normale Supérieure qui liquide les maîtres de conférence et les redistribue dans l’Université, Romain Rolland devient le premier professeur de musicologie de la Sorbonne ; son premier cours aura lieu le jeudi 17 novembre de l’année suivante, et le nouveau professeur ne cache pas sa joie d’avoir enfin fait accéder la musicologie à la reconnaissance institutionnelle :

« Si j’ai cru devoir (…) donner à ce cours d’histoire de l’art (…) le caractère d’un cours spécial d’histoire de la musique, je pense qu’il est à peine besoin que je m’en excuse ou que je m’en explique. Il y a une vingtaine d’années, ce n’eût peut-être pas été superflu. Beaucoup n’eussent pas admis en France que la musique pût être considérée comme une matière d’enseignement scientifique et historique ; et bien peu eussent reconnu à Bach et à Beethoven une importance égale dans l’histoire générale à Shakespeare et à Goethe, la musique commençant à peine à s’insinuer timidement dans nos manuels d’histoire générale et d’histoire de l’art ; et elle n’y réussit pas toujours« …

« Le 28 octobre 1910, Romain Rolland subit un grave accident : il est renversé par une automobile. Trois mois de lit : le 23 février 1911, il va passer en Italie sa convalescence » ; et « en juillet 1912 : après deux ans de congé, dont le dernier passé en Italie (…), Romain Rolland donne sa démission de la Sorbonne, pour se consacrer entièrement à son œuvre » (d’écriture) _ résume Jean-Bertrand Barrère.

« L’activité musicologique de Romain Rolland se déploie donc essentiellement _ ainsi que le récapitule Alain Corbellari, pages 38-39 _ avant la Première guerre mondiale _ surtout : c’est l’impulsion décisive et la fondation _ et dans les dernières années de sa vie _ et son retour (de Suisse) en France, de 1938 à 1944. De la première époque, datent la thèse sur les débuts de l’opéra et tout le travail effectué, dans la continuité directe de celle-ci, sur la musique baroque, à savoir la monographie sur Haendel _ La Vie de Haendel, en 1910… _ et les deux recueils d’articles Voyage musical au pays du passé et Musiciens d’autrefois ; s’y ajoutent les travaux sur la musique « moderne », c’est-à-dire celle du XIXe siècle et du début du XXe, dont l’essentiel est recueilli dans le volume Musiciens d’aujourd’hui (…).

A Henry Prunières qui lui demande en 1924 pourquoi il ne s’adonne plus à la musicologie, Romain Rolland répond :

« Non, mon cher ami, je n’écris plus d’articles sur la musique. « Tempi passati. » _ Je me contente de m’y retremper, par bains prolongés, comme j’ai fait en mai-juin derniers (plus de 20 concerts et théâtres en 30 jours !) _ Je dois me consacrer aux tâches principales _ politiques, « humanitaires » dirions-nous aujourd’hui… _ qui exigent toutes mes forces. (…) Impossible de faire, au milieu d’elles, une place _ comme elle le mérite, du moins : avec tout le sérieux requis ! _ à la musique. Je l’aime trop pour écrire sur elle négligemment. _ Je ne suspendrais mon vœu de silence que le jour où je rencontrerais un Beethoven vivant. Alors, je lui sacrifierais tout le reste, _ pour un temps. _ Mais nous n’en sommes pas là !«  (lettre du 9 octobre 1924)… _ page 39.

« Romain Rolland rédigera cependant encore la somme en sept volumes qui lui tenait tant à cœur, sur « l’autre », le vrai, le seul Beethoven, le dieu de toute sa vie, travail qui prend sa source dans la petite monographie _ La Vie de Beethoven _ parue aux Cahiers de la Quinzaine en 1903 et dont l’écriture, après deux volumes publiés en 1928 et 1930, s’épanouira surtout après son retour _ de Villeneuve, au bord du Léman, dans le canton de Vaud, en Suisse _ en France en 1938 _ Romain Rolland s’installe à Vézelay : il y mourra le 30 décembre 1944 _, opus ultimum inachevé auquel Romain Rolland, se retirant de plus en plus des affaires du monde, travaillera jusqu’à sa mort.

Sa réputation de musicologue, de fait, ne faiblit guère dans les dernières années de sa vie ; et s’il a refusé la plupart des sollicitations, les rares témoignages qu’il a consentis à livrer dans l’entre-deux guerres, montrent bien son souci de fondre la recherche musicale au sein d’une quête plus vaste _ voilà : tout se tient (plus que jamais !) dans l’œuvre de Romain Rolland ! _ sur les fins de l’homme et de la société humaine«  _ dont la construction est son objectif de fond ! à l’échelle et de sa vie, et de l’Histoire !, page 40. Romain Rolland combattant pour mettre inlassablement en œuvre les fins posées par les Encyclopédistes des Lumières…

« Pas plus que l’on ne saurait établir une différence entre un travail musicologique et un travail musicographique, voire journalistique, de Romain Rolland,  on ne peut pas sans arbitraire dissocier la science de l’art, et encore moins le but social du but moral, ou de la visée métaphysique, dans ses écrits sur la musique _ avance, avec une très juste largeur de vue, Alain Corbellari, pages 40-41. Les œuvres du passé donnent la main à celles du présent, elles en font comprendre les racines, en éclairent les enjeux et, par leur présence toujours vivante, fécondent l’avenir _ ne jamais perdre de vue que la formation de base (et pour toujours) de Romain Rolland a été celle d’un historien ; en 1889, il a été reçu huitième à l’agrégation d’Histoire ; et ses thèses (menées de 1892 à 1895) : entreprises sous l’impulsion de son maître l’historien Gabriel Monod, elles ont été menées à bien pour complaire à son futur beau-père, le linguiste Michel Bréal (1832-1915) : « le père de Clotilde, le grand linguiste Michel Bréal, introducteur des études indo-européennes en France, exige en effet que son futur gendre, pour obtenir la main de sa fille, termine son travail de thèse« , page 26 ) ; ces thèses, donc, de Romain Rolland sont en effet d’abord des thèses d’Histoire. Les travaux de musicologie (et Histoire de la musique) de Romain Rolland entrent ainsi d’abord dans le cadre de l’Histoire de l’Art, conçue comme une des branches de l’Histoire universelle.

Une bonne génération avant Malraux _ et son idée de « musée imaginaire«  total… _, Romain Rolland prend acte de l’extraordinaire élargissement _ largement historiographique ! _ de notre horizon culturel que promeut la civilisation moderne, faisant de nous les contemporains de l’ensemble des manifestations artistiques de l’histoire _ mais déjà Wilhelm Heirich von Riehl (1823-1897) avait ouvert (en Allemagne) cette voie-là avec ses Études culturelles de trois siècles, en 1859 ; ainsi que Hermann Kretzschmar (1848-1924), avec les trois volumes (d’herméneutique musicale) de son Guide de Concert (1888-1890) ; cf les analyses remarquablement riches et pertinentes de Martin  Kaltenecker dans L’Oreille divisée : ici aux pages 343-346…

De la vulgarisation d’un traité du XVIIIe siècle aux considérations les plus techniques sur la déclamation moderne, en passant par la narration, pour le grand public, de la vie de quelques compositeurs plus ou moins oubliés, tout se tient _ voilà ! _ dans les écrits musicaux de Romain Rolland, constamment soulevés par la foi dans l’universalité _ oui ! _ des manifestations temporelles de la musique et par le désir d’accroître _ tant quantitativement que qualitativement ; et pédagogiquement, à la façon des Encyclopédistes des Lumières : ce sont des enjeux de civilisation ! pour ce fervent républicain qu’est Romain Rolland _ l’amour d’un art qui lui apparaît comme celui, par excellence _ par des genres comme ceux de la symphonie ou de l’oratorio, pour commencer _, de la fraternité humaine, en même temps que celui qui permet d’aller le plus loin dans la connaissance du cœur de l’homme » _ considérations cruciales d’Alain Corbellari, page 41.

La formidable curiosité,

notamment pour les musiques anciennes _ Romain Rolland sait reconnaître l’importance (et tant esthétique qu’historique !..) d’un Lassus ou d’un Provenzale ; et je ne parle même pas de son éloge du génie de Monteverdi : rien qu’à lire les partitions (inédites) à la bibliothèque Sancta Cecilia, à Rome ! en 1893… _,

mais aussi pour celles d’aujourd’hui (et de demain…) de Romain Rolland,

est cependant encadrée, notamment en certaines des évaluations de son goût (même très exigeant), par des conceptions largement héritées, certes _ qui donc y échappe ? _, de son temps et ses perspectives,

en particulier une vision centrée sur le schème d’un progrès de la musique « vers un art total« , inspiré de Wagner, ou du wagnérisme, à son plus fort alors, et particulièrement en France ;

même si, d’autres fois, Romain Rolland, toujours et immédiatement _ et sans jamais y déroger ! il est toujours parfaitement probe ! _ sincère, prend un recul davantage critique à l’encontre de ce schéma (et son schématisme)…

De même,

on peut s’interroger, aujourd’hui, sur les critères de ses appréciations sur Bach (par rapport à Haendel), ou Rameau, par rapport à Rousseau et à un certain rousseauisme _ une certaine sécheresse intellectualiste ? _ ; Rousseau et rousseauisme vis-à-vis desquels Alain Corbellari _ du fait de leur commun helvétisme roman ? _ me semble manifester lui-même un peu trop de complaisance ; même si Romain Rolland finit par préférer l’approche esthétique de Diderot à celle du citoyen de Genève… _ Idem à l’égard d’une certaine méfiance à l’égard de la musique française de la part d’Alain Corbellari : il faudrait en discuter plus précisément avec lui…

Il n’empêche : la curiosité et la capacité d’enthousiasme, constituent des facteurs assurément sympathiques (et largement féconds : à l’aune de sa vie) de l’idiosyncrasie de Romain Rolland, et de ce qu’elle colore en son approche de la musique (et de la civilisation ! _ intimement liées en leurs plus hautes exigences _)…

Et en tant qu’écrivain _ et c’est un point fort intéressant : quant à l’existence ou pas ; et à la valeur, ou pas, de son « style«  ! _,

et « si l’on suit la bipartition que propose Jean Prévost, dans son fameux livre sur Stendhal _ La Création chez Stendhal… _, entre deux types d’écrivains, ceux qui accumulent brouillons et ratures, et ceux qui, comme Stendhal justement, « improvisent »,

c’est évidemment dans la seconde catégorie qu’il faut ranger Romain Rolland. (…)

Le prédisposent à cette tendance improvisatrice

non seulement son impatience naturelle et sa passion de convaincre immédiatement,

mais aussi son goût et sa pratique de la musique.

Edmond Privat avait remarqué cette analogie, lui qui parlait de la « manière inégalable de Romain Rolland, qui écrit ses livres en donnant l’impression qu’il est au piano » _ avec un extraordinaire naturel !., note Alain Corbellari, page 12. Cf ici le livre passionnant de François Noudelmann, Le Toucher des philosophes _ Sartre, Nietzsche, Barthes au piano ; et mon article du 18 janvier 2009 : Vers d’autres rythmes : la liberté _ au piano aussi _ de trois philosophes de l’ »exister »

Et notre auteur _ Alain Corbellari est professeur de littérature aux Universités de Lausanne et de Neuchatel _ d’ajouter, page 12, à propos de l’écriture (et du style !) de Romain Rolland :

« Son écriture, hérissée de tirets et de parenthèses,

encore soulignés par des virgules souvent redondantes,

témoigne éloquemment du feu _ et du souffle : les deux me rappellent ceux de ses deux (géniaux) condisciples de Normale : Paul Claudel (1868-1955), et plus encore, André Suarès (1868-1948) ! quel génie scandaleusement méconnu aujourd’hui ! Commencer par lire Le Voyage du condottiere _ qui a présidé à la composition de ses phrases ;

ses essais sont envahis de notes qui s’étendent parfois sur plusieurs pages,

signes sûrs de son goût du premier jet :

lorsqu’il se relit, il ne corrige pas _ de même que le merveilleux Montaigne ! _, mais complète son texte _ cf aussi les paperoles de Proust (1871-1922)… _ par des considérations _ positives, enrichissantes _ adventices » …

J’apprécie pour ma part la générosité joyeuse

de ce positif qu’a inlassablement été, toute sa vie, Romain Rolland ;

et sur la « joie spacieuse« ,

s’enrichir de la lecture (contagieuse) du très beau livre de Jean-Louis Chrétien : La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation

Un travail passionnant, donc,

que ces très riches Mots sous les notes d’Alain Corbellari, aux Éditions Droz ;

et guère relevés jusqu’ici par la critique (scrogneugneuse, probablement…) des médias.

Le désert _ de l’incuriosité et de l’inenthousiasme ! _ gagne si vite…

Résistons !

Titus Curiosus, le 20 août 2011

le bonheur vrai de la recherche : ce dont témoignent les « Journées du livre d’Histoire » de Nérac (I)

28oct

De la séance dite de « débats«  au Conseil Régional, alléchamment intitulés « La créativité et l’innovation au cœur de la relation homme / territoire dans un monde numérique« ,

en ce début d’après-midi de vendredi 23 octobre dernier ; « débats » (bien trop étiques ! ; de « débats« , il n’y eut guère que des « discours » ; sans réels échanges de « discussions« …) ; eux-mêmes consécutifs, il est vrai, à des séances d' »ateliers » consacrés au « numérique et la créativité en région« ,

je sortais un tantinet perplexe ;

à la fois heureux _ et plein d’espoir… _ qu’acteurs (« créateurs » peut-être ; « institutionnels« , surtout, probablement…) de la culture et « gestionnaires » de la mise en œuvre de « directives » _ forcément... _ des « décideurs » politiques de la « Région » _ la mienne ; et j’y suis très intensivement (ou charnellement) « attaché » !.. _ « prennent langue » ! et s’attellent à l’entreprise d‘aggiornamento de « la créativité et l’innovation » artistique et culturelle dans ma « Région »

_ même s’il faut bien (!) s’entendre sur le sens de tous ces mots, parmi l’emmêlement de tant de faux-semblants (et même carrément des « impostures » : sans être en rien un Savonarole, ni un « redresseur de torts« , j’ai le « goût » passablement exigeant et difficile, en ces matières de toute première importance, c’est-à-dire « civilisationnelle« , à mes yeux ;

ainsi que doit en témoigner, au fil des jours et des mois, ce blog-ci même ! ; de même que ma passion toujours aussi vivace d’« enseigner«  (et « vraiment » ! : suis-je encore naïf !..) le cœur de ce qui peut et doit faire sens pour un « humain« , versus l’absurde et l’imposture, encore ; et l’« in-humain«  !..) _,

à l’heure des bouleversements (formidables !) de la « révolution » du numérique ;

et des pressants appels _ cf Howkins et Florida, par exemple… ;

mais sont-ils d’incontestables « autorités«  en matière de « diagnostic«  comme de « propositions » (autres que pragmatiques : « civilisationnelles«  !) pour l’« époque«  ?.. _ à la « créativité » et à l' »innovation »

pour, déjà, au moins _ eux, les artistes _ ne pas mourir, survivre « économiquement » en cette « globalisation » (pour laquelle Bordeaux n’a, semble-t-il, déjà plus la « dimension » d’une « métropole » : il lui faudrait un million d’habitants, s’est-il dit…) ;

et peut-être _ surtout ! _ s’accomplir, s’épanouir : donner la fleur de l’œuvre…

Mais la « réussite » en ces matières (artistiques) est-elle affaire de « succès » et de « reconnaissance » publics _ et seulement « économiques« … : mais on me dira que c’est là d’abord une condition sine qua non d’« être« , au lieu de « ne pas être« _ ?..

La question s’impose à moi _ et j’ai « mes » réponses…

A la génération de mes enfants aussi, bien sûr…

Une vie (et ce qu’elle offre de potentialités à « réaliser« , ou pas…) étant si infiniment précieuse : que valent à ces égards les seuls étalons « sociaux » (et économiques) ?.. ;

j’étais, donc, à la fois heureux

mais aussi un tantinet perplexe ;

cf mon (court) billet d' »humeur » (du samedi matin : 07:23:13 ; juste avant de prendre la route, amusé, pour Nérac : j’y parvins vers 9 h15 ; le temps d’arpenter un peu la ville _ c’était jour de marché _ et de prendre un café…) à Bernard Stiegler _ avec lequel je n’avais pas pu « échanger » d’« impressions » : probablement, ce désir d’échanger « trois mots«  avec lui constituait-il la raison majeure de ma présence (incongrue, comme presque toujours…) à cette « rencontre » au Conseil Régional… _ ;

je doute un peu trop _ et par diverses expériences personnelles _, en effet, de la « positivité » de l’action de la plupart de ces « médiateurs » de l’Art et de la culture ; même s’il serait injuste de généraliser.

Ainsi en ai-je débattu le 5 septembre dernier à Paris, avec Nicolas Bomsel _ que je connaissais pas jusque là… _, au repas d’amis (dans un bistro du quartier) qui a suivi le merveilleux concert « Jacques Duphly » (cf le CD Alpha 150 : « Pièces de clavecin » de Jacques Duphly) d’Elisabeth Joyé à l’Hôtel de Soubise _ cf mon article du 9 septembre « merveilleux concert Duphly«  _ ; j’ignorais au départ que Nicolas Bomsel occupait de semblables fonctions (d' »institutionnel » de l’Art et de la culture) ; et œuvrait très positivement à l’éclosion de jeunes vrais talents…

Mais existent heureusement aussi de tels « médiateurs » d’Art et de culture passionnés et de grand goût ! _ et pas seulement (incultes, incurieux, dénués de passion d’Art) parasites…

Car existent, en effet, des Jean-Michel Verneiges, que j’ai rencontré à deux ou trois reprises, et davantage

_ à Saint-Michel-en-Thiérache et à Laon : il est et demeure (car la constance _ c’est une vertu ! _, et donc la permanence factuelle en la fonction, aussi, est considérablement importante en ces affaires ; contre la manie meurtrière et suicidaire tout à la fois ! des turn-over… des managers up to date !) « délégué à la musique«  au Conseil Général de l’Aisne ; et est l’heureux maître d’œuvre de la très belle collection de CDs de musique d’orgue « Tempéraments«  (bien que l’orgue Boizard de l’Abbatiale de Saint-Michel-en-Thiérache y soit sollicité, il est certes fort beau, un peu plus souvent que bien d’autres, demeurant, eux, encore, en leur singularité, « à découvrir » pour nos oreilles ; mais je ne veux pas être injuste : que de découvertes d’instruments merveilleux cette collection nous a permises et offertes !..) _

quand je fus « conseiller artistique » de « La Simphonie du Marais » ; et récitant _ quelles joies ! merci Hugo ! _ ; et aussi, plus encore peut-être, principal auteur d’un programme de disque (« Un Portrait musical de Jean de La Fontaine« , paru chez EMI en 1996 ; « programme » et disque dont je ne suis pas peu « fier« …) : la demi-semaine d’enregistrement du CD dans l’abbatiale de Saint-Michel-en-Thiérache, et le logement dans les cellules des moines de l’abbaye, du 25 au 28 août 1995, est peut-être un des « sommets » (de joie) de ma vie… quelle jubilation ! ;

je revis Jean-Michel Verneiges au concert de clôture de l' »année La Fontaine« , donné à Laon, le 14 décembre 1995 ; et j’avais été aussi récitant, en cette même superbe abbatiale de Saint-Michel, le 3 juillet 1994, pour un concert « Philidor » : Jean-Michel Verneiges m’avait bien « tuyauté » sur l’acoustique capricieuse de la nef (le CD « Marches, fêtes et chasses royales pour Louis XIV » de la Simphonie du Marais et Hugo Reyne fut enregistré courant juillet 1994, mais à la Maison de la Radio, quai Kennedy : j’y criai « la retraite ! la retraite » pour une bataille avec fanfare des armées du Roi-Soleil face aux troupes de Guillaume d’Orange)…

Je connais donc d’un peu près les difficultés des artistes à parvenir _ quelles courses d’obstacles pour eux ! _ à la réalisation matérielle (le livre, le disque, etc…) d’œuvres qu’ils « portent » pourtant si fort en eux… ; et à se battre au quotidien contre, souvent, de fausses hiérarchies _ artistiques, économiques, institutionnelles _ qui les réduiraient à la mort d’un quasi complet silence (d’œuvre !)…

J’ai aussi pour ami Jean-Paul Combet, le brillant et formidablement fécond créateur-éditeur du catalogue de CDs Alpha (que de merveilles s’engrangent pour les mélomanes de par le monde entier, ainsi !.. ; ainsi au Japon, par exemple, le succès d’Alpha est-il considérable…) ;

ainsi que créateur _ avec, à Arques, l’excellent Philippe Gautrot _ de l' »Académie Bach » d’Arques-la-Bataille _ tout à côté de Dieppe _, où se produisent chaque année, tout au long du jour et de la nuit _ parfois à l’aube même ; on éteint alors les chandelles… _, en une somptueuse semaine de musique de concerts (« magiques » !) se succédant les uns aux autres, la fine fleur des meilleurs musiciens ; dans la passion de l’excellence (de tous ; et de tout !)…

Et j’ai écrit pour Alpha des textes de livret de CDs dont je m’autorise, également, aussi, à être un peu « fier » :

par exemple celui du CD Alpha 017 « L’Orgue Dom Bedos de Sainte-Croix de Bordeaux« , par le très grand Gustav Leonhardt _ ma « présentation«  s’intitule : « La construction de l’orgue de Dom Bedos en l’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux sous la réforme mauriste » ; c’était en octobre 2001… _ ;

ou celui du CD Alpha 920, collection « Voce Umana » « Le Sermon sur la mort » de Jacques-Bénigne Bossuet, déclamé par Eugène Green _ ma « présentation«  s’intitule « Lecture de Bossuet : la traversée du mystère, le singulier du Présent«  ; des sous-parties ont à leur tour des titres ; les voici : « Dans le siècle et au milieu du monde _ chronique du temporel«  et « Poétique baroque de la Présence : la fraîcheur du vent dans les plis«  ; c’était en septembre 2002 ; et tout cela est parlant… 

J’en viens, enfin, au fait _ ma venue aux « Journées du Livres d’Histoire » de Nérac, samedi 24 octobre dernier, donc _ ;

ou plutôt, d’abord _ encore ! _, au « concours de circonstances » _ où participe l’amitié ! _ qui l’a permis :

ma décision, vendredi soir 23 _ il allait faire beau la journée du samedi… _ de répondre favorablement aux aimables invitations _ par mails _ de Céline Piot et Alexandre Lafon aux secondes « Journées du livre d’Histoire » de Nérac de ce 24 octobre 2009,

notamment à (et pour) l’occasion de la parution des « Actes du colloque d’Agen & Nérac (14-15 novembre 2008) La Grande Guerre aujourd’hui : Mémoire (s), Histoire(s)« , publiés par les Éditions d’Albret & l’Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Agen ; et sous la direction d’Alexandre Lafon, David Mastin et Céline Piot…

J’avais joint vendredi soir au téléphone Alexandre Lafon pour lui demander et les horaires (10h-18h) et la localisation (la salle des Écuyers, en sous-sol du château de Henri IV) de la manifestation.

Car j’avais assisté le 14 novembre 2008 à une partie des contributions (remarquables !) de ce colloque, dans la salle des Illustres de l’Hôtel-de-Ville d’Agen :

j ‘y venais principalement saluer l’ami Alain Paraillous,

pour lequel j’avais rédigé, en 1998 _ du temps que je me démenais (jubilatoirement !) comme « conseiller artistique » de « La Simphonie du Marais » en Aquitaine _, un article : « La bibliothèque musicale des ducs d’Aiguillon _ un aperçu historique« ,

soit une passionnante

au moins pour moi ! j’y ai tellement appris ;

et de ce qui ne se trouve pas à recevoir passivement _ « informationnellement«  ou « communicationnellement« , seulement, dirais-je ; à quoi réduisent tout, hélas, les « pressés«  _ ;

et de ce qui ne se trouve pas à recevoir passivement, donc,

de la simple lecture, ou de la simple compilation, de la plupart des livres : il faut, en effet, procéder « en esprit« , dirais-je _ c’est là tout le sel, le piment, et bien d’autres savoureuses épices, ainsi que toute la fécondité de la démarche de la « recherche » : l‘ »enquête«  !!! _,

procéder, donc, à de très riches « mises en connexions » _ au pluriel _ de myriades de données _ toujours au pluriel _, que seule l’enquête « rassemble » et vient enfin « faire parler« … : activement et inventivement !

et viennent alors, comme une grâce non recherchée, comme en « surplus« , les « découvertes » !!!

soit une passionnante

découverte de la « constitution de la bibliothèque musicale de trois générations de Ducs d’Aiguillon«  (portant sur la fin de la période de la musique baroque en France et ce qui lui succède : tout au long du siècle…),

pour un colloque consacré aux Ducs d’Aiguillon, tenu (et superbement organisé par Alain Paraillous et toute son équipe) à Aiguillon le 19 septembre 1998…

L’article passe en revue les « acteurs » (tous trois mélomanes passionnés) de cette collection de musique constituée pour l’essentiel à Paris _ tout au long du siècle !.. _, et transportée au château ducal d’Aiguillon lors de l’exil forcé _ le 16 mai 1775 _ du second duc, le ministre _ « ministre principal » = le chef du gouvernement : rien moins !.. du 6 juin 1771 au 2 juin 1774 _ de Louis XV, à la suite de la mort du roi qu’il servait (et de la disgrâce qui s’ensuivit pour lui : la reine Marie-Antoinette lui en voulait spécialement de son amitié pour la Du Barry…) ; puis « entreposée et remisée » (et longtemps ignorée et à l’abandon, dans un grenier du Théâtre…) à Agen, au moment des troubles de la Révolution : soient les trois ducs d’Aiguillon, Armand-Louis Vignerod du Plessis Richelieu (1683-1750), Emmanuel-Armand (1720-1788) et Armand-Désiré (1761-1800) ;

l' »enquête » pour cet article m’a ainsi (amplement ; généreusement !) donné à « découvrir » toute une vie et musicale et musicienne, foisonnante, au XVIIIème siècle (à Paris, du moins : le « centre du monde » des Arts et de la Culture alors _ cf le très riche livre de Marc Fumaroli « Quand l’Europe parlait français » (aux Éditions de Fallois ; ou en Livre de poche…) ; comportant les activités : services, concerts, publications d’œuvres, voyages par toute l’Europe, d’une myriade de musiciens (dont la musique était d’abord le gagne-pain !) ; ainsi qu’une très intense vie musicale elle-même : tant les concerts privés dans les hôtels particuliers et les châteaux _ pas seulement à la cour du roi ; à Versailles _ que les concerts publics _ qui se développèrent à partir de la création du « Concert Spirituel« , en 1725 _ ; etc…

Soit une mine très riche de « découvertes » ; et que je peux entrecroiser aussi avec la vie (et les œuvres) philosophique(s) riches, elles aussi, en ce siècle (ainsi, d’ailleurs, qu’au précédent…).

L’article parut dans le n°1 de l’année 2000, aux pages 39 à 50, de la « Revue de l’Agenais«  (publiée, elle aussi, par l’Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Agen…) ;

A ce colloque du vendredi 14 novembre 2008, dans la Salle des Illustres de l’Hôtel-de-Ville d’Agen,

je venais donc saluer l’ami Alain Paraillous,

mais aussi rencontrer Georgie Durosoir,

que je connaissais depuis le temps de mes recherches baroqueuses pour « La Simphonie du Marais » et Hugo Reyne, notamment lors de mon travail autour de l’activité _ pionnière : par sa « passion de la musique« , La Fontaine est en quelque sorte l’initiateur de la critique (et de l’esthétique) musicale en France ; rien moins ! mais qui le sait ? qui s’en soucie ?.. Que l’on consulte ma présentation du « Portrait musical de Jean de La Fontaine« , aux pages 9 à 14 du CD EMI 7243 5 45229 2 5, de 1996, pour qui le déniche !!! _ en faveur de la musique de Jean de La Fontaine ; de ses rapports avec Marc-Antoine Charpentier, etc… ;

mais que j’avais « re-contactée » à l’occasion de la publication, par l’entremise de ses soins (filiaux !) ainsi que ceux de son mari, Luc Durosoir, de cette « merveille des merveilles de musique » que sont les trois « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir (1878-1955), interprétés au disque par le Quatuor Diotima : CD Alpha 125. Œuvres du niveau _ pas moins !!! _ des « Quatuors » de Debussy et de Ravel ! Et je pèse mes mots !

Cf mes deux articles à la réception du CD, en juillet 2008 : « musique d’après la guerre« , le 4 juillet, et, le 17 juillet, « de la critique musicale…« … ;

mais aussi, encore (et beaucoup !),

parce que le champ exploré par les contributeurs à ce colloque d’Agen « La Grande Guerre aujourd’hui : Mémoire (s), Histoire(s)« 

me passionne ;

cf mon article sur le magnifique roman (sur la guerre aujourd’hui) « Zone » de Mathias Enard : « Émerger enfin du choix d’Achille« …

La guerre est une question capitale !

La comprendre, l’analyser est ainsi proprement essentiel !


Et celle de 14-18 fut le suicide de notre Europe !!! Et nous n’arrivons toujours pas à nous en remettre…


Au milieu des gazes, paillettes et autres « miroirs aux alouettes«  abrutissants de la « Foire aux vanités » de l' »entertainment » débridé des écrans !..

J’interromps ici ce qui n’est donc que le « prologue« , ou le « prodrome« , de l’article que je veux consacrer à l' »amour vrai de la recherche« 

que j’ai, de fait, rencontré (« incarné » en quelques personnes particulièrement remarquables !) à ces secondes « Journées du livre d’Histoire » de Nérac, samedi 24 octobre dernier (de 10 heures à 18 heures),

notamment auprès des « Amis du Vieux Nérac« 

(dont Hervé-Yves Sanchez Calzadilla _ avec lequel j’ai eu une conversation à table, et après, qui m’a passionné : au repas très convivial au restaurant « La Cheminée«  _, Hubert Delpont et Céline Piot)

et des auteurs invités à ces « Journées«  (dont le général André Bach) ;

je vais, bien sûr, détailler cet « essentiel« -là…


Un chaleureux merci à Alexandre Lafon et à Céline Piot de m’avoir fait signe…

L’article principal (II) dont celui-ci (I) n’est donc que le « prologue« , va immédiatement le suivre ;

et sa lecture pourra se passer de celle de ces trop longues prémices…


Titus Curiosus, ce 28 octobre 2009

Aimez-vous Brahms ? A la folie (douce)…

20oct

Après la « joie-Mendelssohn« 

et sa filiation avec celle (autre joie ! « Sturm un Drang« …) de Carl-Philipp-Emanuel Bach,

via le maître de Félix, Carl-Friedrich Zelter ; ainsi que la grand-tante de Félix, Sarah Levy

(quand la curiosité fait « fouiller » et « creuser » un peu !.. voilà ce qui se « découvre » !.. « wow« , comme dit l’ami Plossu !) ;

filiation dont j’ai pris conscience en m’interrogeant (un peu) sur l’ivresse (de joie !) que me procurent

et le double « Concerto pour violon, piano et orchestre à cordes » du 6 mai 1823 ;

et les 12 (ou 13) « Symphonies pour cordes » d’entre 1821 et 1823 ;

et le sublimissime « Octuor » de 1825,

tous du sublime « felix felicissimus » !!!

et via les interprétations _ car c’est aussi crucial ! le maillon absent, c’est pour nous, auditeurs, toute la chaîne qui casse ! _

de Kremer-Argerich-les Orpheus (en 1989 pour le CD Deutsche-Grammophone) ;

Concerto Köln (en 1994-95-96, pour les 3 CDs Teldec) ;

et de Christian Tetzlaff, Isabelle Faust, Lisa Batiashvili, Antje Weithaas, Rachel Roberts, Ori Kam et Tanja Tetzlaff & Quirine Viersen, pour le CD Avi :

tous CDs exceptionnels !!!


Cf mon article d’il y a trois jours, le 17 octobre : « Le Bonheur de Félix Mendelssohn« 

Après la « joie-Mendelssohn« , donc,

voici ce jour la « tendresse-Brahms«  ;

..

une « tendresse » mâtinée d’inquiétude, et in fine, de « regret » ;

teintée, en conséquence de quoi, d’un « voile« ,

un voile « hambourgeois« , c’est bien connu

(Brahms, né le 7 mai 1833 à Hambourg et mort le 3 avril 1897 à Vienne, est, et à jamais, un enfant de la ville hanséatique de l’embouchure de l’Elbe) :

ce « voile hambourgeois » transparaît dans l’existence viennoise (et autrichienne), à partir de 1962, de Johannes Brahms : en 1862, Brahms a alors vingt-neuf ans ; il passera à Vienne, la capitale continentale de la MittelEuropa, l’essentiel de ses trente-cinq autres années (de vie et d’œuvre)… _ ;

Après la « joie-Mendelssohn« , donc, voici, en suivant, aussi, la « marche » du siècle,

la « tendresse-Brahms » ;

une « tendresse » mâtinée d’inquiétude, et in fine, de « regret » ;

teintée, en conséquence de quoi,

d’un indéchirable « voile » léger

_ une « gaze » ultra-fine… _

de « sensucht« ,

qui vient mouiller d’un rêve de brume

les journées transalpines de soleil des abords de la Puszta, à Vienne :

juste après Vienne, et en suivant le Danube qui s’écoule vers l’Est (et la Mer Noire ; cf le récit magnifique, « Danube« , du très grand Claudio Magris…),

commence tout aussitôt, en effet, l’immense _ et dépourvue d’horizon _ plaine de Hongrie,

la Trans-Leithanie :

Joseph et Michaël Haydn sont natifs des bords de cette toute petite rivière-frontière, entre l’Autriche et la Hongrie, qu’est la Leitha…

De Brahms,

le sublime compositeur des « Klavierstücke » (et « Fantasien » et « Intermezzi« ) opus 116, 117, 118 & 119 (20 au total ! seulement, pour de telles « merveilles » de moins de cinq minutes chacune… :

écouter les versions de ces « Klavierstücke« 

de Wilhelm Kempf, en 1964 _ CD Deutsche Grammophone 437 249-2 _ ;

Radu Lupu (sans les 116) en 1971 et 1978 _ CD  Decca 417 599-2 _ ;

ou Stephen Bishop-Kovacevich (sans les 118) en 1983,

en priorité, me semble-t-il :

un bagage pour l’île déserte !..

de Brahms, donc,

voici que je viens de « tomber« sur une version

à « tomber à la renverse« ,

et ce, à chaque nouvelle écoute _ je ne m’en lasse pas ! _

de son « Quintette pour piano et cordes » opus 34…

Déjà,

après un somptueux CD « Ravel, Debussy, Fauré String Quartets » en 2008 (CD Virgin Classics 50999 519045 2 4),

le jeune quatuor français « Ebene« 

venait de nous gratifier d’un magnifique « Brahms String Quartet n°1 + Piano Quintet« , avec l’appoint de la jeune (excellente) pianiste Akiko Yamamoto :

tout d’une confondante douceur ! d’une onctuosité délectable

(il s’agit du CD Virgin Classics 50999 216622 2 5) ;

et voici que,

après ma toute récente « découverte » du CD enthousiasmant

_ et c’est encore un euphémisme ! à réveiller les mélomanes prématurément morts…_,

en concert au « Spannungen Chamber Music Festival » de la centrale hydroélectrique de Heimbach, le 11 juin 2008, par Christian Tetzlaff et ses amis,

des « Octuors » de Félix Mendelssohn et Georges Enesco :

le CD « Mendelssohn-Enescu Octets for strings » AVI 8553163

(à thésauriser !!!),

je me mets en recherche

et d’autres réalisations de ce violoniste « magique » qu’est Christian Tetzlaff

_ à la hauteur, au moins, magnifique des Viktoria Mullova, Gil Shaham et Vadim Repin,

ces autres « magiciens » de la musique (et pas seulement du violon !)…

et de ce que peut bien être ce « Spannungen Chamber Music Festival«  à Heimbach,

jusqu’ici inconnu de ma petite « curiosité » ;

découvrant au passage que l’énigmatique photo (sans légende dans le livret ; et qui n’est pas celle d’un des onze interprètes des deux concerts de ce CD, données elles aussi par ailleurs en ce CD, mais « légendées« , elles…) se trouve être celle de l’âme (ou animateur en chef) de ce Festival, le pianiste Lars Vogt ; mais ce n’est là qu’un « détail«  _ même si « le diable s’y cache«  _, au regard du reste : les découvertes musicales !

Je m’en enquiers donc auprès de Vincent Dourthe, le très compétent (et magnifiquement probe, dans ses « conseils« ) « responsable » de l’excellent « rayon Musique » de la librairie Mollat (probablement grâce à la profonde mélomanie, passionnée, de Denis Mollat lui-même) ;

Vincent se souvient aussitôt d’un CD (double) que lui avait commandé une cliente, à la suite d’une émission d’écoutes comparées (à l’aveugle, mais assurément pas en sourds !!!), sur France-Musique, où ce CD-ci de 2 concerts des 12 et 6 juin 2005, à ce « Spannungen Chamber Music Festival » de Heimbach…

_ le nom m’évoque bien les terribles diatribes du génialissime Thomas Bernhard (9 février 1931, Heerlen, Pays-Bas – 12 février 1989, Gmunden, Autriche) contre certains « villages«  autrichiens, proches de sa ferme fortifiée des environs de Gmunden, en Haute-Autriche, dans le Salzkammergut,

dans certains de ses textes enflammés (par exemple « Extinction _ un effondrement« .., et qui nous manquent tellement maintenant désormais, depuis la disparition de Thomas Bernhard, il y a vingt ans ;

je n’ai retrouvé ce ton-là que chez Imre Kertész ; par exemple son « nécessaire » _ et c’est encore un euphémisme ! pardon ! _, lui aussi, « Liquidation«  (« sur » lequel j’ai écrit moi-même, si j’ose dire, un « Lire « Liquidation«  d’Imre Kertez _ ou ce qui dure d’Auschwitz« , inédit _ lecture à lire in extenso en mon article du 8 novembre 2022 : « «  (ajout du 10 juillet 2023)… _ ;

mais ici je m’égare ;

revenons plutôt à Brahms et à ses interprétations (au concert et au CD) par des musiciens enflammés !!! _

Vincent se souvient, donc, d’un CD (double) que lui avait commandé une cliente, à la suite d’une émission d’écoutes comparées (à l’aveugle, mais assurément pas en sourds !!!), sur France-Musique,

où ce CD-ci

l’avait emporté sur toute la (riche et redoutable en qualité !) concurrence discographique :

il s’agit du double CD AVI « Brahms Piano Quintet op. 34 – Sextett op. 36« ,

par Lars Vogt, Christian Tetzlaff, Veronika Eberle, Hanna Weinmeister & Julian Steckel, pour le « Klavierquintett » en fa mineur, opus 34 ;

et Isabelle Faust, Christian Tetzlaff, Stefan Fehlandt, Hanna Weinmeister, Gustav Rivinius & Julian Steckel, pour le « Streichsextett » n°2, en Sol Majeur, opus 36…

Vincent en avait commandé un second exemplaire pour le magasin :

c’est lui qui vient de faire mon bonheur de « chercheur » un tant soit peu « curieux« 

De fait, l’interprétation du « Quintette à cordes avec piano » en fa mineur, opus 34 de Brahms, lors de ce concert de Heimbach, le 12 juin 2005, par Christian Tetzlaff et ses amis, ses copains (quels musiciens !),

est une merveille absolue

(de vie et de musique !) ;

cette fois-ci, et à nouveau ;

comme pour le concert du 11 juin 2008, et l’« Octuor » de Mendelssohn ;

et pour le concert du 12 juin 2008, et l’« Octuor«  d’Enesco ;

et pour le concert du 6 juin 2005, et le « Sextuor » n°2, en Sol Majeur, opus 36 de Brahms !..

Ces CDs AVI du « Spannungen Chamber Music Festival«  de Heimbach

qu’anime Lars Vogt,

ainsi que ces concerts eux-mêmes, bien sûr ! dont ces CDs sont les « prises live » et la « conservation« , pour les mélomanes du monde entier…

et ce « Spannungen Festival » lui-même (à la Centrale hydro-électrique de Heimbach),

comme ces musiciens amis de Christian Tetzlaff et Lars Vogt,

sont donc tous ! « à suivre«  :

une priorité musicale !


Quel summum de bonheur pour tous ceux qui aiment passionnément la musique !


Titus Curiosus, ce 20 octobre 2009

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