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La superbe et très féconde démarche exploratoire, avec le chercheur Olivier Fourès, de l’excellent Ensemble Le Consort : le merveilleux (et très riche de sublimes découvertes) CD « Vivaldi Chelleri Ristori – Teatro Sant’Angelo », avec le charme profond, tendre et intense de la mezzo-soprano Adèle Charvet…

06mai

Comme en un luxueux merveilleux _ et assez inattendu _ complément à mes réflexions sur la démarche exploratoire si féconde du répertoire de ténor de Michael Spyres en son récent très impressionnant CD Erato « Contra-Tenor«  _ cf mon article détaillé d’hier vendredi 5 mai « «  _,

voici, ce samedi 6 mai, la révélation d’un tout aussi merveilleux _ inattendu et magnifiquement bienvenu _ CD, le CD « Teatro Sant’Angelo« , Alpha 938, de l’Ensemble Le Consort _ sous la direction très en verve du superbe violon du grand Théotime Langlois de Swarte ! _ et la mezzo-soprano Adèle Charvet,

consacré au répertoire passablement _ et bien à tort !!! _ méconnu d’opéra baroque du Teatro Sant’Angelo, à Venise,

à l’époque _ de 1713 à 1739 _ qui a vu le triomphe opératique vénitien d’Antonio Vivaldi (Venise, 4 mars 1678 – Vienne, 28 juillet 1741),

et qui vient nous révéler ici quelques sublimes _ mais oui, véritablement !!! _ airs, non seulement du grand Vivaldi lui-même, mais aussi de quelques uns de ses confrères compositeurs d’opéras contemporains, méconnus, eux _ et, peut-être scandaleusement, à tort ! _,

tels, entre quelques autres encore, Fortunato Chelleri _ en fait  Keller, du nom de son père, allemand ; sa mère est une Bassani, de Padoue ; mais il est né à Parme… _ (Parme, 14 mai 1687 – Cassel, 14 décembre 1757), et Giovanni Alberto Ristorni (Bologne, 1692 – Dresde, 7 février 1753),

lesquels, il est vrai, ont vécu et exercé surtout en Allemagne, où tous les deux, au terme de leur carrière, sont décédés _ mais le vénitien Vivaldi est, lui aussi, décédé loin de Venise : à Vienne, le 28 juillet 1741…

Et au passage,

saluons bien volontiers le très fécond travail d’abord de recherche, et puis de découvertes, à Venise _ dans le trésor des richissimes archives des bibliothèques de Venise ; ainsi, cf sur ce blog « En cherchant bien« , mes précédents articles «  » et «  » des 23 février et 12 mai 2022  _, puis de préparation musicale pour ce CD « Sant-Angelo » _ avec Sophie de Bardonnèche, Justin Taylor et Adèle Charvet, comme indiqué en page 3 du livret _, d’Olivier Fourès,

qui signe aussi le passionnant texte du livret, intitulé « Coulisses vénitiennes« …

Et voici _ avec des ajouts (en vert) de ma part, dont des liens d’accès à pas mal de podcasts d’airs à écouter ici ! _ ce que, de ce bien beau CD, déclare Pierre Degott, sur le site de ResMusica, en un article intitulé « Une soirée au Teatro Sant’Angelo avec Le Consort et Adèle Charvet« , en date du 3 mai dernier :

Une soirée au Teatro Sant’Angelo avec Le Consort et Adèle Charvet

 …

Dans un programme fait de quelques tubes vivaldiens et de nombreuses raretés – dix airs donnés en première mondiale –, Adèle Charvet et l’ensemble Le Consort nous font revivre quelques soirées d’un des plus emblématiques théâtres vénitiens. Espérons _ oui ! _ que cet album sera le hors-d’œuvre de grandes aventures à venir.

L’intérêt de ce beau CD est double. Sur le plan musicologique, il nous emmène vers la lagune afin de découvrir le répertoire _ bien trop méconnu jusqu’ici (et c’est même scandaleusement incompréhensible !)  _ d’un des plus célèbres théâtres de la Sérénissime, le Teatro Sant’Angelo. Comparé au San Giovanni Grisostomo ou au San Giovanni e Polo, théâtres officiels de la noblesse vénitienne, le Sant’Angelo était le lieu « alternatif » et « populaire » _ voilà… _, aux moyens plus restreints certes, mais à la créativité musicale toujours permanente et débridée _ cela s’entend ici, et se savoure ! Quelle inventivité ! C’était, de 1713 à 1739 _ des dates bien sûr importantes… _, le théâtre de Vivaldi, dans lequel il prete rosso fit représenter une vingtaine _ pas moins _ de ses propres opéras. C’est là que furent créés L’Olimpiade, Arsilda, regina di Ponto, La verità in cimento et L’incoronazione di Dario, tous représentés sur l’album _ et avec quels airs !!! Dont « Sovvente il sole«  extrait de l’opéra Andromeda liberata (créé à Venise en 1726), un opéra découvert à Venise par Olivier Fourès. Le programme fait la part belle également à deux musiciens aujourd’hui _ incompréhensiblement… _ oubliés, mais qui, dans l’ombre de Vivaldi, ont également assuré autrefois le pain quotidien du théâtre _ tous deux, il est vrai, ont surtout vécu et exercé en Allemagne, où ils décéderont : Ristori (né à Parme), en 1753 à Dresde ; Chelleri-Keller (né à Bologne), en 1757, à Cassel… De Giovanni Ristori, on entendra trois airs extraits de son opéra Cleonice, ainsi que quelques pièces tirées de ses opéras Temistocle, Arianna et Don Chisciotte. De , musicien surtout connu pour ses activités en Allemagne, on entendra deux extraits de son opéra Amalasunta, ainsi qu’un mouvement de sonate. Mélodies ensorcelantes _ voilà… _, soutenues par un accompagnement souvent réduit à sa plus simple expression, mais toujours sobre et efficace _ et comment ! On goûtera encore davantage les airs « Il mio crudele amor » de et « Patrona reverita » de , respectivement accompagnés d’une simple basse continue ou d’un théorbe. On rêve d’assister à l’une de ses soirées du Sant’Angelo, surtout lorsqu’on entend l’extrait _ bien trop bref (1′ 24) ! _ de Don Chisciotte _ créé à Dresde le 2 février 1727 _, ouvrage visiblement héroïco-comique reposant sur le mélange des genres, concept théâtral impensable dans la France de l’époque, mais depuis Monteverdi (1567 – 1643) et Cavalli (1602 – 1676) typique _ en effet _ de l’opéra vénitien populaire que nous redécouvrons aujourd’hui.

L’autre intérêt _ proprement musical, lui _ de l’album réside dans l’interprétation _ splendide !!! _ toute en ombres et lumières _ oui ! _ de la jeune mezzo-soprano Adèle Charvet _ née à Montpellier le 25 mai 1993 _, encore peu connue au disque des amateurs de musique baroque. Sa voix possède tout le moelleux et le velouté d’un contralto comme Kathleen Ferrier, dont elle sait recréer le mélange de calme, de douceur et d’intensité. Contrairement à son illustre prédécesseure, elle sait également s’enflammer dans les pages virtuoses qui parsèment l’album – « Siam navi » de L’Olimpiade et « Con piu diletto » de La verità in cimento, par exemple –, ne redoutant ni les vocalises les plus hardies, ni les intervalles les plus audacieux qui font tout le prix et toute l’expressivité _ aussi percutante qu’intensément prenante _ de ce répertoire. C’est néanmoins dans les pages sobres et mesurées que nous préférons nous régaler des couleurs cuivrées de ce bel instrument. Nous ne mentionnerons que le « Nell’onda chiara » de l’Arianna de Ristori, aux sonorités véritablement planantes et envoûtantes _ oui. L’ensemble , dirigé depuis son violon par , n’est est pas à sa première incursion dans la musique vénitienne. Devant tant d’affinités avec ce répertoire, nous ne pouvons que souhaiter _ oh oui ! _ que soit explorée plus avant la programmation originale et innovante des théâtres dits « secondaires » de la Sérénissime.

Teatro Sant’Angelo.

Michelangelo Gasparini (1670-1732) : « Il mio crudele amor » extrait de Rodomonte sdegnato.

Fortunato Chelleri (1690-1757) : « Astri aversi » et « La navicella » extraits de Amalasunta ; adagio de la Sonate en trio en sol majeur.

Giovanni Alberto Ristori (1692-1753) : « Con favella de’ pianti », « Quel pianto che vedi » et « Qual crudo vivere » extraits de Cleonice ; « Su robusti » extrait de Un pazzo ne fa cento, ovvero Don Chisciotte ; « Aspri rimorsi » extrait de Temistocle ; « Nell’onda chiara » extrait de Arianna.

Antonio Vivaldi (1678-1741) : « Siam navi » extrait de L’Olimpiade RV 725 ; « Sovvente il sole » extrait de Andromeda liberata RV 749.27 ; « Ah non so, se quel ch’io sento » extrait de Arsilda, regina di Ponto, RV 700 ; « Con più diletto » et « Tu m’offendi » extraits de La veritá in cimento RV 739 ; « Quella bianca e tenerina » extrait de L’incoronazione di Dario, RV 719.

Giovanni Porta (1675-1755) : « Patrona reverita » extrait de Arie nove dà batello.

Adèle Charvet, mezzo-soprano ; Ensemble Le Consort, violon et direction musicale : Théotime Langlois de Swarte.

1 CD Alpha.

Enregistré en février 2022 au Temple du Saint-Esprit, Paris….

Notice en français, anglais et allemand.

Durée : 66:10

Cf aussi l’article intitulé « Adèle Charvet Teatro Sant-Angelo » de Charles Sigel, paru le 15 avril 2023 sur le site de ForumOpera.com

15 avril 2023
La fougue et le velours

C’est à la fois l’évocation d’une maison d’opéra disparue, et, partagé entre airs de bravoure et lamenti, le portrait d’une jeune voix se confrontant à un répertoire en grande partie méconnu.


Du Teatro Sant’Angelo de Venise, il ne reste rien, sinon un arrêt du vaporetto, qui perpétue son nom, un campiello et un ramo _ une impasse _ « del teatro ». Il était au bord du Grand Canal, côté gauche en descendant, juste avant la grande courbe de Ca’Foscari. C’est là qu’à partir de 1713 et jusqu’en 1739 Vivaldi fut une manière de multitâche, à la fois impresario, directeur musical et compositeur, suivant l’écriture et l’adaptation des livrets, dirigeant les opéras des autres (tout en précisant « Jamais je ne joue avec l’orchestre, à l’exception de la soirée d’ouverture car je ne m’abaisse pas [sic] à faire le métier d’exécutant »). Il y fit représenter une vingtaine de ses propres opéras (sur une cinquantaine recensée). Il ne manquait pas d’adversaires dont le vindicatif Benedetto Marcello, dont la famille était co-propriétaire du théâtre, qui écrivit un pamphlet, Il Teatro alla moda, qui touchait plus ou moins directement le Prete Rosso.

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© Tom Garcia

C’est le musicologue (et violoniste) Olivier Fourès qui a élaboré _ oui _, avec Adèle Charvet et Théotime Langlois de Swarte, le programme de ce disque, qui veut raconter pittoresquement _ avec un choix de quelques sublimes airs d’opéra qui y ont été donnés _ l’histoire de ces théâtres bourdonnants où se perpétuait un genre, celui de l’opéra à la vénitienne, né ici en 1637, à l’ouverture du premier opéra payant, le San Cassiano, mais dont le véritable père spirituel avait été Monteverdi avec Il Ritorno d’Ulisse (1640) puis Le Couronnement de Poppée (1641).

Production courante

Il s’agit donc ici d’un florilège d’airs _ voilà _ qui ont le point commun d’avoir été créés _ ou donnés _ au Sant’Angelo, petite salle ouverte en 1677, beaucoup moins dotée que les cossus San Giovanni e Polo ou San Giovanni Grisostomo, très productive, plutôt à bon marché, célèbre pour ses tempêtes en carton-pâte, ses grottes de Neptune et autres palais d’Armide ou île d’Alcina en toiles peintes. Comme le San Cassiano qui avait connu des heures glorieuses, mais se survivait à lui-même, le Sant’Angelo était un théâtre au budget modeste, attirant un public populaire. Il faisait flèche de tout bois et n’avait pas les moyens de s’offrir les dispendieux castrats, dont les cachets mettaient les impresarii sur la paille.

Une corporation de plumitifs produisait des livrets au mètre, versifiant Homère ou l’Arioste. Ici, Grazio Braccioli, Angelo Costantini, Stefano Benedetto Pallavicino, Domenico Lalli, Giovanni Palazzi, tous personnages dont les noms ne parlent plus guère qu’aux spécialistes. Le plus sollicité, copié, recyclé étant l’inépuisable Métastase (ici représenté par deux de ses livrets, L’Olimpiade pour Vivaldi et Temistocle pour Ristori).

Clichés à tous les étages

De belles histoires qu’on connaissait déjà _ oui _, des décors qui bougent, des voix si possible spectaculaires… Quelques musiciens dans la fosse, une dizaine, répétant en hâte une partition elle aussi peu chiche en clichés. Airs de bravoure ou déploration larmoyantes, tout était codé _ en effet _ et les spectateurs en redemandaient. L’opéra était un genre de consommation courante, et les salles, avec leurs loges, des lieux de sociabilité, voire de rencontre, sorbetti à l’appui _ en effet…

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Le projet de reconstruction du Teatro San Cassiano

Dans l’écosystème de l’opéra les musiciens étaient nécessaires, à défaut d’être suffisants. Sont mis en avant ici deux honnêtes professionnels, qui, dans leurs années de jeunesse _ ils sont nés en 1687 et 1692 _ vinrent recevoir l’influence de Vivaldi.


Ainsi Fortunato Chelleri passa-t-il par Venise au cours de sa vie de musicien itinérant _ notamment de par les cours allemandes… L’opéra ne sera pas l’essentiel de sa production (il n’en composera que dix-sept, performance moyenne selon les critères de l’époque); il sera surtout maître de chapelle à Würzburg et Cassel. Un Alessandro, une Pénélope feront peu de succès au Sant’Angelo, mais son Amalasunta, Regina dei Goti (1718) y réussira mieux (le livret s’intéressait à Téodogonde Amalasunta, fille de Théodoric…)

Une Europe italophile ou italomane

Giovanni Alberto Ristori y fait aussi un bref _ oui _ passage. En 1713, Ristori arrive à Venise avec son père, qui dirigeait une troupe de comédiens à Dresde _ voilà. Vivaldi lui commande un Orlando Furioso (livret de Grazio Braccioli). L’opéra est représenté plus de 40 fois, raconte Olivier Fourès. Deux ans plus tard, il repart à Dresde (qui sera pendant trente ans sous un prince très italophile, Auguste III, le bastion de Johann Adolf Hasse, disciple à Naples de Porpora et d’Alessandro Scarlatti, et de son épouse chanteuse Faustina Bordoni, d’ailleurs vénitienne) ; puis Ristori créera une troupe à Saint-Pétersbourg, autre capitale italianisée ; il y fera venir des musiciens du Sant’Angelo, dont les Madonis, Luigi le violoniste et Antonio, le corniste, le hautboïste Dreyer ou Girolama Valsecchi (femme d’Antonio Madonis), contralto célèbre pour son expressivité, qui avait justement fait ses débuts à Venise dans l’Orlando avec la Campioli et la basse Carli, et que sa carrière avait menée de Bruxelles à Prague, de Munich à Brno.


Ainsi la musique italienne circulait-elle dans toute l’Europe _ voilà ! _, dans les bagages de troupes itinérantes _ oui _, celles des Denzio, Ristori, Bioni, Peruzzi, Galeazzi _ toutes ces précisions sont très intéressantes !

© Capucine de Chocqueuse

© Capucine de Chocqueuse

La flamme qui transcende les poncifs

Disque inattendu _ oui : le terme m’est aussi venu sous la plume… On aurait pu penser qu’Adèle Charvet profiterait du répertoire vénitien pour montrer son timbre de mezzo dans toute son opulence, qu’elle aurait déniché quelques airs spectaculaires pour mettre en valeur tout ce qu’elle a conquis dans le registre grave.
Or c’est autre chose qu’elle donne à entendre ici : un florilège d’airs (dont beaucoup inédits au disque _ oui _) souvent dans le registre central, tout en s’offrant tout le catalogue des ornements brillants, où sa voix scintille à l’envi.

Des airs qui, s’ils sont inédits ou méconnus, donnent, avouons-le, l’impression qu’on les a déjà entendus quelque part _ ce n’est pas là mon opinion _, et ne valent qu’interprétés par quelqu’un qui en transcende les poncifs. Et avec une générosité qui les dépasse. C’est le cas avec la jeune mezzo-soprano, dont on sait quelle flamme l’anime _ oui ! Et c’est bien là l’essentiel !..

Ainsi des deux extraits d’Amalasunta de Chelleri. Le premier air, « Astri aversi » coche toutes les cases du canto fiorito, coloratures escarpées, introduites par des violons, puis tout l’orchestre agitato, aria di furore, expressif par sa virtuosité. Reprise avec de nouveaux ornements, aussi nets qu’inventifs, trilles impeccables, sur des basses tempétueuses, agilité sur toute la tessiture, très longue, énergie, la démonstration est brillante _ oui !
Le second air, « La navicella », tout en lignes mélodiques qui s’entortillent, contemplatif et charmeur, semble le parangon du chant spianato et offre à Adèle Charvet prétexte à montrer la belle homogénéité de sa grande voix (et ses graves) sur un tissu moiré de cordes entrelacées.
Un de ces airs vénitiens à la Vivaldi dont on se demande s’ils n’ont pas été écrits lors d’un déplacement en gondole, tant l’écriture y semble nautique, avec ondes et vaguelettes.

© Robin Davies

© Robin Davies

L’intéressant Ristori

Chant spianato encore dans l’aria « Con favella de’ pianti », extrait de la Cleonice de Ristori, air dont on oublie la mélodie passablement répétitive sur un ostinato de cordes qui semble pasticher Vivaldi pour n’écouter que le beau phrasé, le velours du timbre de la chanteuse _ oui _, et les couleurs blêmes qu’elle suggère. Du même opéra, l’aria « Quel pianto che vedi » est d’un tout autre intérêt avec ses sauts de notes, ses grands traits et sa virtuosité dramatique, air de fierté où l’héroïne proclame ne pas vouloir de la pitié de son amant. « Qual crudo vivere » (Cleonice toujours), déploration toute simple, sur une phrase inlassablement descendante, est justement chantée avec autant de sincérité que de délicatesse _ oui _, et le parfum de nostalgie que suggère naturellement ce timbre.
Belles couleurs de voix, fantaisie, effets martelés et riche tissu orchestral à nouveau dans « Su robusti », extrait de Un pazzo ne fa cento, ovvero Don Chisciotte, du même Giovanni Alberto Ristori, air purement théâtral.

Mais c’est décidément dans le dramatique que Ristori est à l’aise.
Ainsi, extrait de Temistocle, « Aspri rimorsi », sur un texte de Metastase (qui sera repris par Mozart pour un air de basse) est un bel air sinueux, descendant vers le bas de la voix, avec des effets de notes non vibrées, de la sincérité dans l’expression de la douleur (de beaux graves, là aussi), une palette sombre, des dissonances, des frottements. Et une orchestration étonnamment riche. C’est l’une des belles plages de ce disque _ qui en comporte beaucoup ! _ et la musique est à la hauteur du texte : « Aspri rimorsi atroci, figli del fallo mio, Perché sì tardi, oh Dio, mi lacerate il cor ? – Âpres remords, atroces remords, Enfants de ma faute, Pourquoi avoir tant attendu, ô Dieu, Pour me déchirer le cœur ? »
Parfois Ristori semble pasticher Vivaldi. Ainsi « Nell’onda chiara », l’air d’Arione extrait d’Ariana avec ses pizzicati de cordes en tapis, sur lesquels la voix legato déroule ses courbes rêveuses dans une écriture centrale ne s’offrant qu’une incursion jusqu’au sibémol.

Vivaldi fait du Vivaldi

Mais Vivaldi aussi fait du Vivaldi. Voir « Sovvente il sole » (Andromeda liberata, 1726). Mais après tout, pourquoi changer une formule qui gagne ? De belles broderies du violon de Théotime Langlois de Swarte sur des accords imperturbables et, par-dessus, la voix d’Adèle Charlet : registre élevé radieux, legato, ornements en imitation du violon, musicalité partagée avec lui, complicité à faire respirer _ oui _ cette musique, et, pour Adèle, belle maitrise de la demi-voix avant un pont rêveur, puis une reprise aérienne, ondulant dans le très haut de la tessiture, merveilleusement transparent, jusqu’à un rallentando final par Le Consort, cordes et théorbe, tout en délicatesses et en écoute _ oui, oui.

© D.R.
© D.R.

C’est une musique que ses interprètes doivent aider

Dix ans plus tôt, l’aria « Ah non so, se quel ch’io sento » (Arsilda, regina di Ponto, 1716), introduit par le clavecin de Justin Taylor, sonnait plus âpre et la voix d’Adèle Charvet, qui semble frôler ses limites supérieures et s’y mettre en danger sur un tempo très lent, accentue encore le sentiment désolé, auquel semblent compatir le violon, le violoncelle et un théorbe. Pour le coup, on peut parler là de bel canto, tant ce sont les couleurs de la voix qui expriment le sentiment,
Si « Tu m’offendi » extrait de La veritá in cimento (1720) semblera reprendre une formule toute proche (plainte avec accompagnement dolent et ondulant, beau phrasé mélancolique, intégration des ornements, vocalises expressives à pleine voix, surtout jeu belcantiste sur les couleurs de la voix avec l’éternel bercement du gondolier), « Con più diletto » extrait du même opéra contrastera par sa gaieté : air fiorito, appartenant au genre codé des arie di riso, chanté par l’insolente Rosane avec les ornements prestes qu’il faut, sur un orchestre qui palpite : « Avec plus de plaisir, mon Amour / S’en va volant vers un autre objet. / Je me ris, fou, de tes pleurs / Si tu prétends m’ôter la liberté. »

Sous influence napolitaine

La pièce la plus tardive date de 1734, c’est l’aria « Siam navi » de L’Olimpiade. Olivier Fourès le considère « d’une autre époque, celle où la mode napolitaine envahit les théâtres vénitiens. C’est un langage plus uniformisé que le chaos « vénitien » qui faisait jusqu’alors feu de tout bois. Les systématiques trémolos, fusées et vocalises méridionales inspirent clairement Vivaldi, mais il s’agit probablement de la dernière flamme de l’opéra « vénitien ». Air agitato, souvent enregistré, qui fait penser à certains concertos vivaldiens fameux, comme La Tempesta di mare : périlleux sauts de notes, sollicitant le medium et le haut de la voix, avec grandes vocalises en triolets, sur un tempo foudroyant, d’une difficulté redoutable et dont Adèle Charvet se tire avec honneur. « Tutta la vita é mar » dit le texte. Vivre c’est naviguer sur une mer tempétueuse et le Consort le dit avec autant que virtuosité qu’Adèle Charvet.
« Les vents impétueux sont nos passions ». La passion du chant est en tout cas manifeste _ oui ! _ à tous les moments de ce bel enregistrement.

Un très beau, et très nécessaire, fruit du superbe travail et musical, et discographique, que ce très beau CD ;

avec des révélations musicales de toute première grandeur !!!

Et maintenant,

découvrons vite _ même si c’est risqué pour les investissements de l’édition discographique : un récital de très beaux airs trouvant ces derniers temps plus aisément le chemin déjà tortueux (faute, aussi, d’assez de médiateurs compétents et efficaces…) des mélomanes et discophiles, qu’un opéra entier, et d’un compositeur jusqu’ici inconnu, c’est sûr !… _ un opéra complet d’un de ces compositeurs jusqu’ici délaissés de la scène, du concert et du disque, tels qu’un Ristori ou un Chelleri-Keller, et redécouverts ici grâce aux recherches pionnières patientes et découvertes musicales de première grandeur _ insistons-y… _ d’un chercheur-expert audacieux et tenace _ et un peu compétent musicalement _, tel qu’Olivier Fourès…

Ce samedi 6 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’extraordinaire réussite du chef John Nelson en sa réalisation discographique berliozienne de ces chefs d’oeuvre que sont « Roméo et Juliette » et « Cléopatre » : un très réjouissant éblouissement…

15avr

Le degré éblouissant de réussite musicale du double CD Erato 5054197481383 de la magnifique _ et très originale _ symphonie dramatique « Roméo et Juliette » et de la percutante et frémissante scène lyrique « Cléopatre » d’Hector Berlioz, sous la direction électrisante de vie, en même temps qu’infiniment délicate, claire et juste, du chef d’orchestre John Nelson,

a quelque chose de très surprenant et formidablement réjouissant à la fois,

qui nous emporte…

Comme si nous redécouvrions en leur vérité musicale la plus intense et la plus profonde ces deux formidables chefs d’œuvre de Berlioz qui nous ont pourtant déjà enchantés…

Que l’on écoute ainsi le presque inaugural _ soit la plage 3 du premier CD de ce double album Erato _ sublime « Premiers transports que nul n’oublie » de Joyce DiDonato _ ici en sa prise en concert public à Strasbourg le 7 juin 2022 _ de « Roméo et Juliette« , pour un tout premier avant-goût de cette si merveilleusement  réussie interprétation collective de l’œuvre :

la direction dynamique, fluide, inspirée, claire, souple, tellement juste, de John Nelson _ idéal berliozien dans chacune de ses réalisations ! _,

à la tête d’un hypersensible vivant et délicat à la fois Orchestre Philharmonique de Strasbourg,

le Coro Gulbenkian et le Chœur de l’OnR _ au rôle si important dans cette œuvre (de « symphonie dramatique » riche et complexe (en même temps qu’évidente et si naturelle…), de Berlioz _,

et bien sûr les superbes chanteurs solistes que sont la mezzo-soprano Joyce DiDonato, le ténor Cyrille Dubois _ qu’on écoute les 2′ 44 de son idéal (quel jeu ! quelle diction ! quel charme !) « Scherzetto de la reine Mab«  à la plage 5 du premier CD... _ et le baryton Christopher Maltman…

Ce dont rend très bien compte l’excellent détail de l’article de Charles Sigel, le 7 avril dernier, sur le site de ForumOpéra.com

pour ce qui concerne la « Cléopatre » extraordinaire, elle aussi _ un must discographique ! _, du second CD de ce double album, dans l’interprétation-incarnation absolument superlative (!!!) _ au moins au niveau de celles de la merveilleuse Janet Baker _ de Joyce DiDonato…

Un généreux double album indispensable…

Ce samedi 15 avril 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

En une assez jolie promenade au pays du lied, « In meinem Lied », avec Helmut Deutsch et Sarah Traubel : à comparer au trésor bien heureusement conservé d’autres interprétations des mêmes oeuvres (ici de Gustav Mahler, Franz Liszt, Erich-Wolfgang Korngold, Richard Strauss)…

13août

Le bien connu pianiste Helmut Deutsch, grand amoureux et praticien du lied,

vient de nous proposer

intitulé « In meinem Lied«  _ soit l’expression qui conclut le poème de Ruckert « Ich bin der Welt abhanden gekommen » du sublime lied de Gustav Malher, en ses « Ruckert Lieder » de 1902 _,

un très joli CD _ Aparté AP 288 _ comportant des Lieder de Gustav Mahler, Franz Liszt, Erich Wolfgang Korngold et Richard Strauss,

nous donnant l’occasion de découvrir le timbre de voix _ et l’art, à la diction bien lisible _ de la soprano Sarah Traubel _ Helmut Deutsch faisant l’éloge de l’enthousiasme de Sarah Traubel, auquel il ne trouve de comparaison, page 21 du livret, qu’avec l’enthousiasme de Hermann Prey !.. _,

en un répertoire ou bien déjà très bien connu _ y compris en des CDs de Lieder avec Helmut Deutsch lui-même au piano _, ou bien pour beaucoup encore à découvrir…

Le pianiste Helmut Deutsch est en effet l’âme de ce CD « In meinem Lied » _ le CD Aparté AP 288 _,

dont il signe aussi la présentation en un entretien _ avec Thomas Voigt _ développé sur 5 pages du livret, intitulé « Certainement aussi une devise pour la vie« …

Et Helmut Deutsch de situer ce présent travail sur le Lied, en ce CD avec Sarah Traubel enregistré sous la direction artistique de Nicolas Bartholomée du 31 août au 4 septembre 2021 à Hohenems, en Autriche, au sein de sa très vaste discographie sur le Lied _ j’ai dénombré pas moins de 107 CDs _dont, à propos de ses enregistrements discographiques précédents des compositeurs interprétés ici, soient Gustav Mahler, Franz Liszt, Erich-Wolfgang Korngold et Richard Strauss, Helmut Deutsch mentionne ses CDs de Lieder de Liszt avec Diana Damrau (« Liszt Lieder« , Virgin Classics LC 7873), en 2011 ; et Jonas Kaufmann (« Freudvoll und Leidvoll« , Sony Classical SK 19439892602) en 2021 ;

ainsi que ses CDs de Lieder de Korngold avec Angelika Kirschlager (« Debut Recital Recording« , Sony Classical SK 68344), en 1996 ; Dietrich Henschel (« E.W. Korngold Lieder« , Harmonia Mundi HMC 901780), en 2001 _ je possède ce CD _et Bo Skovhus (« Wolf -Korngold Einchendorff Lieder« , Sony Classical SK 57969), en 1993 ;

ainsi qu’il évoque, mais sans précisément les mentionner, ses deux CDs des « Quatre derniers Lieder » de Richard Strauss, avec Konrad Jarnot (« Richard Strauss« , Œhms Classics OC 518), en 2005 ; et Sumi Hwang (« Strauss Liszt Britten Songs« , Deutsche Grammophon DG 4818777), en 2019 ; deux CDs que charitablement il préfère ne pas nommer ici : « J’espère avoir fait mieux cette fois que dans mes précédents enregistrements, et je suis très reconnaissant à Sarah Traubel de m’avoir offert cette occasion« , se borne-t-il à déclarer à la page 20 de la notice de ce CD « In meinem Lied » de 2021…

Bref une étape à noter dans le parcours discographique d’accompagnateur de Lieder au piano de Helmut Deutsch.

À propos des Lieder de Liszt _ auquel je dois bien constater que jusqu’ici mon oreille s’est montrée hélas assez souvent réfractaire aux enregistrements discographiques… _,

je renvoie ici à deux excellents articles parus sur ForumOpera.com,

le premier intitulé « Mehr Liszt…« , paru le 15 février 2012, sous la plume de Hugues Schmitt, à propos du CD de Diana Damrau et Helmut Deutsch ;

et le second, intitulé « Une voix ne fait pas tout« , paru le 13 octobre 2021, sous la plume de Claude Jottrand, à propos du CD de Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch.

Mehr Liszt…

CD Lieder de Liszt
Par Hugues Schmitt | mer 15 Février 2012 |

N’est-ce pas ainsi qu’il fallait comprendre les mots que porta le dernier souffle de Goethe ? Car Liszt ne composa pas plus de six Lieder sur les vers du poète de Weimar. Tout comme Schumann, tout comme Brahms. Six Lieder dont quatre (cinq si l’on compte les deux versions de « Freudvoll und Leidvoll ») sont rassemblés dans cet album, qui pris isolément du reste font apparaître de manière éclatante combien Liszt, plus que Schumann et plus que Brahms, occupe une place irremplaçable _ voilà qui est dit _ dans le Lied « germanique » romantique. Ces six Lieder sont le chaînon nécessaire _ voilà qui est réaffirmé _ qui unit les quelque soixante-dix Lieder que Schubert a consacrés à Goethe aux cinquante pièces que Wolf compose sur ses vers, à l’autre extrémité du siècle.

Plus que dans les flamboyants « Sonnets de Pétrarque », restés sans postérité véritable dans le répertoire vocal tant ils appellent les versions pour piano seul, ou plus que « Liebestraum », dont l’héritage sera plus français et italien qu’allemand, c’est dans cette petite collection de Lieder sur les vers de Goethe, mais aussi de Heine ou Lenau, que se révèlent les apports de Liszt à l’esthétique du romantisme tardif _ voilà. Schumann avait, en travaillant l’extrême grave du piano, introduit dans le Lied un monde abyssal insoupçonné ; Liszt explore l’aigu et l’extrême aigu _ voilà _, où le piano se mêle à la voix, se tresse à elle, l’enveloppe dans un voile de fines gouttelettes parfois tendres mais parfois cliquetantes et corrosives, et l’y laisse comme suspendue, sans recours possible aux solides appuis _ voilà _ des puissantes fondamentales schumaniennes ou brahmsiennes. C’est peu de dire que le piano dialogue avec la voix : il dialogue quand la main droite se fait monodique ; le reste du temps, il la colore, en altère les timbres, en diffracte la clarté. La voix passe par le piano comme la lumière traverse un vitrail. La voix ne commande pas : elle n’est pas une pure volonté, aboutissement et principe de l’ordonnancement des timbres et des registres. Elle ne commande pas _ oui _ comme, dans la célèbre analogie musicale de Schopenhauer, l’homme commande aux forces de la nature. Dans les Lieder de Liszt s’exprime une force supérieure, l’homme lutte avec l’ange _ oui.

Il serait un lieu commun de dire que Liszt importe la rhapsodie dans le Lied : c’est bien plus que cela. Liszt rompt _ voilà _ avec le mode de discours continu, unifié, organique de Beethoven et Schubert, et renoue avec un discours discontinu plus proche de Mozart : une idée apparaît, évidente et radieuse, et disparaît aussitôt ; une autre prend la place, sans lien immédiatement perceptible, et s’interrompt à son tour _ rhapsodiquement. Le propos, fantasque _ oui, à la Hoffmann… _, suit ainsi son chemin, à sauts et à gambades. Et Liszt désoriente _ oui, malmène diaboliquement _ son interprète, son auditoire, les réoriente, pour les désorienter à nouveau. Le Roi de Thulé en est l’exemple même : un début entièrement conforme au canon schubertien, bientôt interrompu… Rien n’y fait, les reprises du motif initial, loin de marquer la forme, ne servent plus qu’à souligner le décousu _ voilà _ du propos ; puis il réexpose, prépare apparemment une coda schubertienne, la brise encore, module et assombrit, effiloche le tissu pianistique, prend à peine le soin de résoudre. Wolf saura s’en souvenir _ en effet.

Mehr Liszt, donc. Car cet album n’explore qu’une facette de l’écriture de Liszt pour voix et piano. Il faut à ces Lieder adjoindre désormais, dans un second volume, les Mélodies françaises (Hugo est, avec Goethe, le second grand inspirateur de Liszt pour la voix), les Airs hongrois de la fin de sa vie, les Chansons anglaises, russes, tout ce par quoi Liszt dépasse le Lied, et montrer ainsi qu’aucun compositeur _ aussi expérimentateur _ , dans toute l’histoire de la musique, n’aura coulé ses notes, avec un égal succès, dans tant de langues et d’esthétiques diverses.
Mehr Liszt, enfin parce qu’on eût souhaité que cet enregistrement fût plus lisztien, plus charmeur, plus âpre, plus fantasque, plus sombre _ voilà. Somme toute, plus contrasté. Entendons-nous bien, la prestation est de remarquable tenue, et nulle verrue ne vient la défigurer. Diana Damrau, dont la diction ne souffre guère de reproche, montre, opportunément, de beaux élans passionnés. Malheureusement, la voix reste trop souvent monochrome, et seule l’intensité varie lorsque tout _ oui, tout _ devrait _ diaboliquement _ chavirer : timbre, débit, émission. La gageure est, vocalement, presque intenable : il faudrait malmener _ oui ! _ l’instrument – au demeurant superbe –, le pousser à bout. Car s’il est une chose que le dernier siècle d’enregistrements lisztiens nous a apprise, c’est bien que la véritable grandeur de Liszt réside davantage dans la démesure _ voilà ! _ que dans la maîtrise. Comment ne pas le reprocher, surtout _ probablement oui ! _, à Helmut Deutsch, dont le piano sans vice ni vertu est toujours _ trop _ impeccablement peigné, et qui ne quitte jamais la sage réserve de l’accompagnateur alors que tout, dans l’écriture même des parties de piano, lui crie d’ _ oser _ être soliste ? Son jeu est distant, flegmatique, glacé. Il est à côté du style, à côté du sens _ voilà. Alors qu’on songe au fougueux coursier arabe auquel Liszt comparait son piano, Helmut Deutsch nous fait l’impression d’un trotteur de Vincennes, certes trotteur de grand prix, mais trotteur quand même…
Il était question de cet album dans le dernier n° de Cave Canem, notre tribune des critiques

NB. Il ne sera pas indifférent au lecteur d’apprendre que le producteur de ce disque a nom Wilhelm Meister !

Franz Liszt

Lieder
….
Diana Damrau
Soprano

Der Fischerknabe S 292b/2
Im Rhein, im schönen Strome S 272/2
Die Lorelei S 273/2
Die Drei Zigeuner S320
Es war ein König in Thule S 278/2
Ihr Glocken von Marling S 328
Über allen Gipfeln ist Ruh S306
Der du von dem Himmel bist S 279/1
Benedetto sia’l giorno S 270a/2
Pace non trovo S 270a/1
I vidi in terra angelici costumi
Freudvoll und leidvoll (1848) S 280/1
Vergiftet sind meine Lieder S289
Freudvoll und leidvoll (1860) S 280/2
Es rauschen die Winde S294/2
Die stille Wasserrose S 321
Bist du !
Es muss ein Wunderbares sein S314
O lieb S 298/2
Helmut Deutsch, piano
Enregistré à l’August Everding Saal, Grünwald, juillet 2011

1 CD, Virgin Classics LC 7873 – 76’37

Une voix ne fait pas tout

CD Freudvoll und Leidvoll
Par Claude Jottrand | mer 13 Octobre 2021 |

Liszt n’occupe pas, dans le panthéon des compositeurs de Lieder, la place qui est dévolue aux plus grands : il n’a ni la spontanéité confondante de Schubert, ni la profondeur poétique de Schumann, ni le lyrisme intense de Brahms, ni la concision imaginative de Wolf. Ni quantitativement (guère plus de 80 Lieder), ni qualitativement il ne peut rivaliser avec ses illustres compétiteurs. Mais son œuvre comprend néanmoins quelques pages intéressantes, très peu présentes dans les programmes de récital et rarement enregistrées.

Dès lors, comme il semblait prometteur, ce nouvel enregistrement de Jonas Kaufmann et Helmut Deutsch ! Un duo de très grand renom cumulant une longue expérience, et qui avait déjà fait ses preuves dans le Winterreise de Schubert ou dans un autre enregistrement de Lieder romantiques intitulé Selige Stunde il y a quelques années, un répertoire sortant un peu des sentiers battus, des moyens vocaux quasi inégalés, une parfaite maîtrise pianistique dans le domaine du Lied, tout semblait réuni pour une réussite complète.

D’où vient alors que l’écoute ne tient pas toutes les promesses de l’affiche ?

Cela tient peut-être à la composition même du récital dont le fil, la trame dramatique ou poétique nous échappe _ et nous perd. Le cœur du programme est constitué des Trois Sonnets de Pétrarque (en italien, naturellement) que les deux partenaires ont souvent donnés en concert, qu’ils maîtrisent et qu’ils donnent avec beaucoup de conviction,mais pas toujours avec légèreté _ ah ! Le choix des pièces qu’ils ont réunies autour de ce cœur de programme, _ fâcheusement _ on n’en perçoit guère la logique ni la pertinence.

Cela tient peut-être aussi aux grandes disparités de ton et de caractère que le chanteur met en œuvre d’un Lied à l’autre, mais aussi au sein d’une même pièce _ ce que Hughes Schmitt caractérisait en son article du 15 février 2012 comme « typiquement lisztien«  ! _, qui rompent l’homogénéité du récital et font que les numéros s’enchaînent sans parvenir à créer l’atmosphère d’un véritable Liederabend _ probablement étranger à l’idiosyncrasie de Liszt ! _, sans créer de tension poétique durable. Le sentiment d’intimité, de chaleureuse communion _ à la Schubert… _ avec les artistes n’émerge que sporadiquement, sans cesse mis en péril par l’ampleur des moyens vocaux, évidemment considérables, mais pas nécessairement adéquats ni dispensés avec souplesse, et souvent disproportionnés par rapport aux textes ou au propos musical ; saluons cependant les efforts constants fournis par le pianiste pour établir et entretenir la trame poétique.

L’entame du disque est particulièrement étrange, tout en énergie et en force avec de très grands contrastes – que le texte ne justifie guère – mais peu de distance ou de second degré, pourtant si précieux chez Heine. On goutera bien, par petites tranches, quelques réussites ponctuelles, comme Im Rhein, im schönen Strome et Die Loreley (plages n°5 & 6), avec de belles demi-teintes et une émouvante transparence vocale, ou Die stille Wasserrose (plage 14), insuffisantes hélas à sauver l’ensemble.

Il reste bien entendu que la voix est grande, très grande – mais pas toujours très homogène ni très précise, que le piano est particulièrement soigné et intelligent, que la diction est irréprochable. Mais voilà, l’art du Lied est un des plus difficile, où le chanteur se trouve complètement à découvert, en constante quête de sens, où il doit porter le son plutôt que se laisser porter par lui, un art qui demande une très grande souplesse, une grande simplicité de ton, si différent de l’opéra…

J’gnorais jusqu’ici ces deux articles,

et tout spécialement, celui, très remarquablement lucide et éclairant sur Liszt, de Hugues Schmitt,

mais ma connaissance jusqu’ici des Lieder de Liszt ne m’avait guère prédisposé alors à l’écoute de ces deux CDs de Lieder de Liszt, parus en 2011 et 2021, interprétés par Diana Damrau et Jonas Kaufmann, avec le piano de Helmut Deutsch.

Cf toutefois, et a contrario (!), mes articles à propos de 3 CDs de Lieder de Liszt que je possède, et ai, eux, beaucoup appréciés :

mon article du 5 novembre 2019 : «  » ;

celui du 25 novembre 2019 : «  » ;

celui du 17 décembre 2019 : « « … ;

et celui du 11 mars 2020 : « « …

J’en tire cette modeste conclusion que

le talent d’exécution des interprètes, au concert comme au disque _ soient ici les chanteurs Cyrille Dubois, André Schuen, Stéphane Degout, et les pianistes qui les accompagnent dans les CDs cités, soient Tristan Raës, Daniel Heide et Simon Lepper _, a une non négligeable importance sur la réception-écoute des œuvres des compositeurs _ même les plus grands ! _, par le mélomane,

dont le goût, jamais non plus, et c’est bien sûr aussi à remarquer, ne saurait être parfaitement neutre et objectif en sa réception, toujours circonstancielle

_ ainsi que toujours révisable, mais oui !, à de nouvelles écoutes ; telles que celles qu’offrent bien opportunément, et à contre-courant du passage du temps, les CDs bien matériels et durables de nos discothèques précieusement et bien heureusement conservées…

Un trésor !

Bref, un assez joli CD

_ qu’on écoute ici par exemple son « Ich bin der West abhanden gekommen » (6′ 04) ; ou son « Im Abendrot » (6′ 57)… _

mais qui ne soulève pas vraiment _ peut-être d’abord une affaire de timbre de la voix : et c’est hélas rédhibitoire… _ mon enthousiasme de mélomane…

Ce samedi 13 août 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

La tragédie du « bad trip » de Tristan : une lecture acérée et moderne du chef d’oeuvre de Richard Wagner, « Tristan und Isolde », par Dmitri Tcherniakov et Daniel Barenboim, au Staatsoper Unter den Linden de Berlin, en avril 2018, un DVD sombre et lumineux de 254’…

12juin

Le DVD _ Bel Air Classiques BAC 165 _ du « Tristan und Isolde » de Richard Wagner réalisé au mois d’avril 2018 au Staatsoper Unter den Linden de Berlin, sous la double direction de Daniel Barenboim et Dmitri Tcherniakov,

propose une passionnante lecture acérée et moderne, extrêmement lisible _ dépoussiérée et dépourvue de maniérismes _, du magistral chef d’œuvre de Wagner,

avec ces excellents chanteurs et excellents acteurs dramatiques que sont, dans les rôles-titres de Tristan et Isolde, Andrea Schager et Anja Kampe…

Cf, déjà, cet excellent article intitulé « On va jouer à s’aimer » de Laurent Bury, sur ForumOpera.com en date du dimanche 18 février 2018,

non pas à propos de ce superbe DVD,

mais à propos de la représentation de l’opéra lui-même sur la scène (et la fosse d’orchestre) à Berlin, sous la double direction de Dmitri Tcherniakov et Daniel Barenboim. 

On va jouer à s’aimer

5 / 9
<…

Tristan und Isolde – Berlin (Staatsoper)

Par Laurent Bury | dim 18 Février 2018 |

De Dmitri Tcherniakov, on ne pouvait évidemment pas s’attendre à ce qu’il confère à Tristan et Isolde une quelconque dimension mythique ou mystique. Avec le metteur en scène russe, les amours malheureuses ne pouvaient que se dérouler dans un cadre réaliste : salon d’un luxueux navire moderne, dont on peut suivre la trajectoire en direct sur un écran ; salon d’une tout aussi luxueuse demeure, donnant à l’arrière-plan sur une salle à manger et dont la décoration évoque une forêt stylisée ; pièce à vivre défraîchie pour Karéol, avec alcove et buffet faux-Henri II. Mais dans ces décors somme toute conformes à l’esthétique habituelle de ses spectacles, Tcherniakov déconcerte par le traitement réservé à la relation entre les protagonistes. Une fois bu le philtre d’amour, Tristan et Isolde ne tombent pas dans les bras l’un de l’autre, mais à terre, tant ils sont exaltés par une joie irrépressible qui les fait éclater de rire (rire silencieux qui ne les empêche pas de chanter, heureusement). Au deuxième acte, Isolde attend, impatiente, et c’est elle-même qui éteint les lumières du salon pour donner le signal : mais quand Tristan arrive, flûtes de champagne et assiette de petits fours dans les mains, les deux amants s’amusent au jeu de la folle passion, comme si leur grand amour n’était que vaste blague : ils se livrent à un concours de superlatifs, de termes d’affection excessifs, qui les font rire, là encore. Jouent-ils à être des amants légendaires, comme cet été, à Aix-en-Provence, on jouait à être Carmen et Don José ? Autre piste qui apparaît ensuite : Tristan semble hypnotiser Isolde, qui répète après lui les phrases du duo qu’il lui suggère. Et pendant tout cet acte, très statique, ils restent assis, changeant seulement de fauteuil, et ils se touchent à peine ; à la fin, Melot se jette simplement sur Tristan mais ne semble pas lui faire grand-mal. Un peu plus d’action au dernier acte : même si sa blessure paraît mentale ou morale plus que physique, Tristan est en proie aux transports habituels, il a une vision du quotidien de ses parents avant sa naissance (la lumière change et deux figurants en tenue années 1930 apparaissent), mais le pâtre est ici dédoublé entre un chanteur et un instrumentiste qui vient jouer du cor anglais dans l’alcove, apparemment payé par Kurwenal pour berner Tristan avec cette histoire de bateau que l’on guette. A la toute fin, Isolde s’isole avec le cadavre dans la fameuse alcove où s’étaient précédemment isolés le père et la mère de Tristan. Si on ajoute la présence, d’un bout à l’autre de la représentation, d’un tulle noirâtre entre le plateau et la salle, pour permettre de rares instants de vidéo assez inutiles, on comprendra qu’une distance persiste, difficile à surmonter, entre ce spectacle et le spectateur.


© Monika Rittershaus

Heureusement, en parallèle à cette visualisation qui laisse perplexe, le versant musical nous porte sur les sommets. Par le soin prêté au détail autant que par le souffle portant l’œuvre d’un bout à l’autre, Daniel Barenboim montre que Tristan n’a plus guère de secrets pour lui, et tous les membres la Staatskapelle Berlin, montés sur scène pour les saluts, obtiennent un triomphe mérité. On reprochera tout au plus à l’orchestre un goût parfois immodéré pour la production de décibels, qui couvre allègrement les chanteurs à plusieurs reprises.

Pourtant, c’est surtout sur le plan vocal que ce Tristan berlinois atteint un niveau devenu hélas bien rare, y compris là où Wagner devrait être le mieux servi. Le Staatsoper a réussi à réunir pour les rôles-titres deux des meilleurs titulaires actuels, et ils ne sont pas légion. Il n’est pas certain qu’il existe aujourd’hui un Tristan plus complet qu’Andreas Schager, il est en tout cas bien agréable d’entendre enfin dans ce rôle un vrai ténor, un chanteur au timbre claironnant de héros, et qui ne donne pas la sensation de devoir s’économiser pendant deux actes en prévision du troisième. Ce que la production refuse de lui accorder en prestance physique est plus que compensé par l’éclat de la voix et par la qualité du jeu de l’acteur _ les deux, en effet _, qui se livre aux bonds les plus insensés lors de sa folie du dernier acte. Quant à Anja Kampe, il semble bien que madame Stemme doive désormais partager le titre d’Isolde du siècle avec sa consœur native de Thuringe. Ni mezzo péniblement changée en soprano dramatique, ni virago terrifiante, ni gentille jeune personne gênée par l’ampleur du personnage, Anja Kampe assume avec bonheur toutes les facettes du rôle, capable de pianos admirablement maîtrisés autant que de véhémence dans les imprécations. Et chez elle comme chez son partenaire, on ne perd pas un mot du texte _ voilà, et c’est très important ! _, parfaitement articulé _ et les sous-titrages de la vidéo du DVD ajoutant à cette lisibilité… Malgré une légère impression de fatigue à la fin du deuxième acte, son Isolde revient ensuite en force, avec une superbe Liebestod prise à un tempo très retenu.

Autour d’eux, l’excellence caractérise aussi la Brangäne d’Ekaterina Gubanova, au timbre riche et au personnage moins protecteur que ce n’est souvent le cas, ou le roi Marke de Stephen Milling, même si la mise en scène prive cette somptueuse voix de basse d’atteindre le degré d’émotion dont elle serait sans doute capable. Kurwenal plus à l’aise en treillis et rangers qu’en costume-cravate, Boaz Daniel se situe un cran en dessous en termes de qualité vocale. De la séduction sonore, le matelot de Linard Vrielink n’en manque pas, en revanche. On rêve dès lors à ce qu’aurait donné un tel cast dans une production plus à même d’émouvoir.

Un avis très intéressant.

Puis maintenant,

et cette fois à propos du DVD _ du label Bel Air Classiques _ de ce passionnant spectacle de 254′,

cet article « Dmitri Tcherniakov : la Mort d’amour de Tristan » de Jean-Luc Clairet, sur le site de ResMusica :

Dmitri Tcherniakov : la Mort d’amour de Tristan

Dmitri Tcherniakov remonte à la source de l’amour impossible de Tristan et Isolde. Un formidable travail d’équipe _ voilà ! _ que ce spectacle venu du Staastoper unter den Linden.

L’Acte I séduit sans temps mort dans le salon Grand Voyageur du paquebot de luxe où Marke a convié les premiers de cordée de son entreprise. La météo de type Mer calme et heureux voyage s’affiche sur un écran de contrôle… Tout commence sous les meilleurs auspices pour les héros wagnériens magnifiés _ oui _ par les costumes griffés par Elena Zaytseva. Puissamment investis dans une direction d’acteurs millimétrée, les interprètes fascinent d’emblée _ oui. L’absorption du philtre, inédite, est un grand moment de jubilation : les héros sous substance, délestés de tout tabou, rient à gorges déployées, prêts au grand amour.

Le II, dans le salon de Marke tapissé de papier peint sylvestre, n’est pas moins captivant : Tristan joue comme un enfant surexcité avec Isolde qu’il finit par mettre sous hypnose ; Mark, environné de figurants tchernakoviens bien glaçants, adresse les premiers mots de son monologue à Melot et non à Tristan, lequel n’est même pas mortellement blessé plus loin par le traître. Alors de quoi Tristan va-t’il mourir ?

Le III répond : Tcherniakov a lu attentivement _ voilà ! et lire ainsi très attentivement est absolument nécessaire ! _ le monologue le plus long du héros, celui de l’alte ernste Weise (la vieille chanson grave), celui où Tristan raconte comment le Désir a donné la Mort. Tcherniakov plonge Tristan dans un autre papier peint, celui de Karéol, afin de faire remonter à la surface son enfance endeuillée : le père engendra et mourut ; la mère enfanta et mourut. Tcherniakov a bien lu : Tristan est de fait inapte à l’amour _ telle est donc la clé de Tristan. Même sans Marke, même sans philtre, ça n’aurait pas marché. On parle de la Liebestod d’Isolde. Tcherniakov met en scène la Liebestod de Tristan _ voilà i

Anja Kampe et Andreas Schager sont étonnants de naturel _ et d’évidence ultra-éloquente _ dans ce Tristan et Isoldecertainement le plus humain vu à ce jour. Paysages à eux seuls, ils sont constamment émouvants _ oui. Outre qu’ils possèdent les écrasants moyens de leur rôle respectif (lui Heldentenor incontesté ; elle, de type incendiaire jusqu’au-boutiste), loin des époux Schnorr von Carosfeld, ils balaient tous les stéréotypes _ oui. Les sauts de cabri du premier font oublier que la performance est en principe surhumaine. L’émotion subtile de la seconde, dans le droit fil de celle d’Iréne Theorin à Bayreuth avec Marthaler, touche au cœur. D’une santé vocale soyeuse, d’une beauté fascinante, la Brangäne d’Ekaterina Gubanova capte tous les regards : on passe une partie de son temps à se demander quelle partie cette fausse suivante joue dans l’histoire. Jusqu’à ce que Tcherniakov réponde d’un plan sur le bras qu’au finale, elle a passé sans crier gare sous celui de Marke, incarné avec l’effroi glacial qui sied aux patrons d’entreprises, par un Stephen Milling proche de l’idéal. Boaz Daniel, Kurwenal prêt à tout (engager sur le plateau, à peu près tout l’acte durant, un hautboïste de l’Orchestre de la Staatskapelle Berlin pour accompagner de son cor anglais le spleen de son ami handicapé de l’amour), complète cette magnifique distribution où l’on remarque aussi le Melot gorgé de jalousie de Stephan Rügamer et déjà, avant Aix 2021, le Jeune marin et le Pâtre de Linard Vrielink.

Le DVD permet d’être au plus proche _ mais oui, et c’est bien sûr capital !!! _ de la dramaturgie questionneuse de Tcherniakov, menée au sommet _ oui _ par Daniel Barenboim. Plus de quarante années de travail (les Tristan de Ponnelle, de Müller, de Chéreau !) ont abouti à cette direction patiente (plus de quatre heures), enveloppante et incandescente, d’une profondeur inouïe _ c’est parfaitement exprimé ici. La Staatskapelle Berlin, magnifiquement captée, soulève la noire houle du chef-d’œuvre dévastateur _ oui… Le voyage en sac à dos du Parsifal de Tcherniakov ne nous avait pas donné envie de reprendre la route avec lui. Il en ira différemment avec le voyage en bateau qu’il a imaginé pour Tristan et Isolde.

Richard Wagner (1813-1883) : Tristan und Isolde, action en trois actes sur un livret du compositeur.

Mise en scène et décors : Dmitri Tcherniakov.

Costumes : Elena Zaytseva.

Lumières : Gleb Filshtinsky.

Avec : Andreas Schager, ténor (Tristan) ; Stephen Milling, basse (le roi Marke) ; Anja Kampe, soprano (Isolde) ; Boaz Daniel, baryton (Kurwenal) ; Stephan Rügamer, ténor (Melot) ; Ekaterina Gubanova, mezzo-soprano (Brangäne) ; Linard Vrielink, ténor (un Berger/un Jeune marin) ; Adam Kutny, baryton (un Timonier) ;

Chœur du Staatsoper (chef de chœur : Raymond Hughes)

et Staatskapelle Berlin, direction : Daniel Barenboim.

Réalisation : Andy Sommer.

2 DVD Bel Air Classiques.

Enregistrés en avril 2018.

Notice de 24 pages en anglais, français et allemand.

Durée totale : 254:00

 

Un DVD indispensable !!!

Ce dimanche 12 juin 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un très réjouissant bienvenu coffret de 3 CDs de « Complete Songs » de Gabriel Fauré par les très délectables Cyrille Dubois, ténor, et Tristan Raes, au piano…

03juin

Les Mélodies de Gabriel Fauré (Pamiers, 12 mai 1845 – Paris, 4 novembre 1924) constituent un élément très important du merveilleux patrimoine musical français…

Et ce 27 mai 2022 vient de paraître, au label Aparté, un superbe très riche coffret de 3 CDs, intitulé « Fauré Complete Songs« , par l’excellent ténor Cyrille Dubois et son parfait compère pianiste Tristan Raes.

Sur de précédents CDs de Cyrille Dubois et Tristan Raes,

cf de précédents articles de mon blog :

_ le 5 novembre 2019 : «  » ;

_ le 25 novembre 2019 : «  » ;

_ le 26 février 2020 : «  » ;

_ le 2 mars 2020 : « «  .

Or voici qu’un intéressant article du n° 243 de ce mois de juin du magazine Classica sous la plume de Jacques Bonnaure, fait tout à fait excellemment l’éloge de l’art, ici _ pour ce superbe coffret Aparté des Mélodies de Gabriel Fauré _, de ces deux interprètes,

soulignant très justement (!) du ténor Cyrille Dubois « une texture vocale légère, un timbre clair et agréable, une émission d’une grande subtilité et variée, une tessiture longue, une prononciation parfaite, avec même un brin de préciosité » _ tout cela est magnifiquement juste ! _ ;

avec cette conclusion tout à fait éloquente :

« Cyrille Dubois donne une image particulièrement séduisante de cette musique« .

Et sur le Net, sur le site de ForumOpera.com,

j’ai aussi trouvé un article très détaillé _ et un poil sourcilleux… _ d’Yvan Beuvard, intitulé « Une somme en forme de pari fauréen« ,

que je reproduits ici, avec quelques farcissures miennes _ en vert…

Une somme en forme de pari fauréen

CD
Fauré : Complete songs
Par Yvan Beuvard | lun 30 Mai 2022 |

Après Charles Panzéra, créateur de l’Horizon chimérique, Pierre Bernac, Camille Maurane, Bernard Kruysen, Jacques Herbillon, tous barytons, et un ténor transfuge, Gérard Souzay, faudra-t-il _ une question plutôt suspicieuse, d’entrée ! _ ajouter un ténor, Cyrille Dubois ? De Lully et Rameau à Britten, il a illustré à peu près tous les répertoires, avec un égal bonheur et une prédilection pour ceux en langue française _ oui. En compagnie de Tristan Raës, notre chanteur a formé le duo Contraste, qui se produit régulièrement dans le répertoire de la mélodie française.

De sa seizième année jusqu’à l’ultime confession de l’Horizon chimérique, Fauré _ né le 12 mai 1845 _ ne cessa d’écrire des mélodies. Il aura porté le genre de la romance à l’expression la plus épanouie, d’une richesse d’invention harmonique, d’une élégance retenue _ oui : on ne peut plus française… _, où l’écriture pianistique le dispute à la voix. Les récitals où Fauré occupe une place de choix sont nombreux et l’on ne peut que s’en réjouir _ absolument ! Si plusieurs intégrales collectives ont été réalisées, associant des chanteurs de tessitures différentes, nous n’en connaissions qu’une enregistrée par le même duo, chanteur et pianiste, celle de Jacques Herbillon, baryton dont ce fut le grand œuvre, accompagné par Théodore Paraskivesco (6 vinyles, chez Calliope, il y aura bientôt cinquante ans). Evidemment, tous les amateurs de mélodie française connaissent celle à laquelle présida Dalton Baldwin, avec Elly Ameling et Gérard Souzay, version de référence, superbe de musicalité et de poésie _ oui ! Un must… _, fréquemment rééditée. Depuis, est parue en 2018, certainement la plus intéressante des intégrales collectives, toujours disponible, sous le label canadien ATMA. Quatre solistes étaient accompagnés par le même pianiste jouant un Erard de 1859, accordé à 435 Hz. Forumopéra en avait rendu compte (« Fauré tel qu’en lui-même »). C’est dire si ce nouvel enregistrement est bienvenu et mérite une attention toute particulière.

Il faut déjà saluer l’exploit technique qui aboutit à réduire à 3 CD, pleinement remplis, cette somme : l’intégrale de 103 mélodies est riche des trois recueils publiés par Hamelle, de tous les cycles, mis aussi des pièces isolées, des éditions posthumes ou empruntées à des musiques de scène (Shylock, le Bourgeois gentilhomme). Evidemment, les duos n’en font pas partie _ en effet. Hélas, de multiples erreurs d’édition affectent l’exemplaire (destiné à la presse) qui nous est parvenu. Ainsi la Sérénade toscane (opus 3 n°2) est-elle rebaptisée « andalouse » _ cette erreur a été heureusement corrigée depuis… _, outre quelques titres erronés, absence d’informations, que le livret devrait comporter… Passons, ce sera corrigé _ c’est fait ! _, espérons-nous. Plus gênant, l’attention de l’auditeur sera surprise par la permutation fréquente des pièces d’un même opus (opus 1, 4, 6, 8 ,76, 83) sans justification claire (la chronologie ?). Cette altération ne concerne pas les cycles, chacun figurant dans son intégralité sur un même CD, ouf !

« Je rêve de vous faire entendre [mes mélodies] avec des interprètes parfaits, et je n’en connais pas parmi les professionnels. Ce sont les amateurs qui me comprennent et me traduisent le mieux ». (Lettre de Fauré, novembre 1902). Voilà qui interroge. Malgré les travaux de Jean-Michel Nectoux, nous savons peu de choses sur les interprétations que Fauré connut de ses mélodies, sinon à travers les témoignages tardifs de Panzera. Vraisemblablement fades, voire sirupeuses, correspondant aux attentes du public d’alors. Puis vinrent les Bernac, Panzera et leur descendance, qui rendirent leur expression élégante, recherchée, à ces pièces. Oublions _ oui ! _ le mauvais procès que Roland Barthes intenta à Gérard Souzay : le raffinement, la délicatesse, la pudeur comme la force de l’art de Fauré s’adressent à une aristocratie éduquée, évidemment.

Le chant de Cyrille Dubois, parfaitement maîtrisé _ oui _, d’une fidélité scrupuleuse aux textes, vaut déjà pour la conduite de la ligne, avec ses nuances marquées _ oui. La voix se montre expressive, sans outrance _ parfaitement. L’émission est très claire _ et c’est bien agréable. Un vibrato savamment sollicité pourra surprendre dans ce répertoire, comme une certaine affectation qui ne tombe jamais _ et c’est heureux _ dans le maniérisme. L’intelligence _ oui, et c’est parfaitement décisif _ du texte littéraire et de l’écriture fauréenne est manifeste, qui rend justice aux mélodies. La diction est claire _ en effet, et c’est très agréable _, sans pour autant retrouver toujours celle des grands anciens.  L’évolution de Fauré vers un langage épuré, transparent, où les contrastes se font pudiques _ oui _, est traduite avec art. Mais celui de Fauré n’est-il pas le plus complexe, le plus difficile à pénétrer et à traduire ? Entre le prosaïsme et l’expressionisme, la palette est large. L’émotion affleure sans toujours s’épanouir, y compris dans les Mélodies de Venise ou dans les plus connues. La perfection du métier, le raffinement, la pudeur seraient-ils antinomiques avec l’effusion ?

Que les premières romances soient conventionnelles est indéniable, même marquées du sceau de Fauré. La discrétion, la fraîcheur, la simplicité sont parfois reléguées pour une approche scrupuleuse, où l’artifice du métier estompe l’émotion naturelle. Tristesse d’Olympio prend tout son relief avec la plus large palette. Les Matelots est frémissante, C’est l’extase, aussi extatique que langoureuse, Au cimetière, intensément dramatique… chaque mélodie appellerait un commentaire _ c’est dire la richesse de ce coffret en cette passionnante interprétation-ci…

Tristan Raës nous vaut un beau piano, au jeu toujours clair, opulent, chantant, coloré à souhait _ oui. Complice attentif, lui aussi d’une fidélité remarquable au texte, il s’accorde idéalement _ c’est très juste _ au chant de Cyrille Dubois.

Malgré la cohérence de l’approche, malgré les indéniables qualités du chanteur et du pianiste, bien que très familier de ces mélodies, nous restons souvent en retrait _ pour quelles raisons ? d’humeurs subjectives ?_ de ce que nous offrent les deux artistes. L’enregistrement bouscule nos habitudes _ ah ! voilà… _, où les barytons, et plus rarement les mezzos, chantent Fauré. L’intelligence des textes, l’éloquence du mot, le souci de la diction, alliés à une santé vocale indéniable, comme à un jeu pianistique exemplaire font de cette nouvelle intégrale une publication appelée à faire date _ tout de même… _, sinon à convaincre tous les passionnés, imprégnés _ un peu trop ? _ des versions « historiques » _ diverses propositions d’interprétation pouvant parfaitement coexister, pour nous faire percevoir des facettes jusqu’ici non parcourues de ces si belles Mélodies de Gabriel Fauré…

Un excellent apport, très bienvenu, et de la plus grande qualité, à la précieuse discographie fauréenne.

Pour notre plus grande, et intime à la fois, délectation.

Ce vendredi 3 juin 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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