Archives du mois de février 2009

Sur le calendrier de « la solution finale » : la suite du débat historiographique Edouard Husson / Florent Brayard

27fév

 A défaut d’un vrai commentaire du nouvel article, cette fois d’Édouard Husson (« Comprendre les origines de la Shoah _ Réponse à Florent Brayard« ), ce 26 février ; en réponse à celui, le 12 février dernier, de Florent Brayard (« Shoah : l’intuition et la preuve _ retour sur le processus décisionnel« ) critiquant son livre « Heydrich et la solution finale« ,

à propos de l’établissement du calendrier des décisions de « programmation » effective et des ordres de mise en œuvre sur le terrain, de la « solution finale« , par les Nazis,

ce courrier, hier soir, à un ami historien :

De :   Titus Curiosus

Objet : La réponse d’Edouard Husson à Florent Brayard sur laviedesidees.fr
Date : 26 février 2009 21:08:01 HNEC
À :  Flavius Historicus

Cher Flavius,

Je n’ai hélas pas le temps de « travailler » un peu (= lire attentivement et réagir par quelques premiers commentaires, en « Candide »)
à la passionnante réponse d’Edouard Husson à la critique de son « Heydrich et la solution finale »
en son article récent sur laviedesidees.fr
« Shoah : l’intuition et la preuve _ retour sur le processus décisionnel« …

Ce que l’on peut espérer,
c’est qu’un débat sur le fond
et sur les méthodes
va pouvoir se développer sérieusement
_ au delà des questions de rivalités personnelles ou d’équipes ou d’écoles…

Florent Brayard avait déjà apporté, en son article, quelques réflexions sur la vertu, sinon des « erreurs », du moins des « hypothèses »
qui avait un peu retenu mon attention
dans ma lecture de son article
;

et sur laquelle j’avais développé surtout mon commentaire,
un peu « épistémologiquement », sans creuser vraiment sur le fond du débat ;

mon optique étant seulement de relayer (un peu) l’article
et donner l’envie de lire les livres
, sur mon blog de la librairie Mollat…

Mais je vous transmets immédiatement ce nouvel article (de réponse) d’Edouard Husson
« Comprendre les origines de la Shoah _ Réponse à Florent Brayard »

qui alimentera utilement votre réflexion plus compétente que la mienne…

Bien à vous,

Titus Curiosus

Voici ce nouvel article :
« Comprendre les origines de la Shoah« 


Réponse à Florent Brayard

par Édouard Husson [26-02-2009]

Domaine : Histoire

Mots-clés : Shoah | nazisme | méthodologie

En réaction au compte rendu que Florent Brayard a donné de son ouvrage sur « Heydrich et la solution finale« , Édouard Husson a tenu à corriger ce qui lui apparaît comme des erreurs de lecture. Mais ce qui transparaît surtout, c’est une divergence sur la méthode historique. Comment écrire l’histoire d’un événement dont les principaux acteurs ont supprimé les documents ? Édouard Husson milite pour une autre forme d’enquête historique.

Je remercie Florent Brayard pour le long compte rendu qu’il consacre à mon ouvrage « Heydrich et la solution finale« . La discussion entre chercheurs fait partie, éminemment _ certes : c’est capital ! _, de la vie scientifique. Et il est fréquent que soient exprimés des désaccords de fond. Florent Brayard a publié chez Fayard en 2004 un gros livre intitulé « La “solution finale de la question juive” _ La technique, le temps et les catégories de la décision« . Il s’agit de la première contribution d’un chercheur français au débat international sur le calendrier de la mise en œuvre de la Shoah par les dirigeants nazis _ rien moins ! Et je n’ai aucun doute : le livre de Brayard est un livre magistral _ dont acte ! Cela ne m’empêche pas d’être en désaccord foncier avec lui sur un certain nombre d’éléments d’interprétation _ les choses se font passionnantes…

Ces désaccords, qu’il lui est facile de constater, Florent Brayard les fait découler d’un certain nombre d’erreurs _ voilà bien le terme décisif ; et qui avait retenu (positivement : par sa fécondité ! cf Bachelard, ou Alain…) ma curiosité « épistémologique«  (et poïétique : cf aussi Cornélius Castoriadis, là-dessus ; par exemple dans son opus magistral : « L’Institution imaginaire de la société« ) _ que j’aurais commises. Le terme est suffisamment répété, dans son compte rendu, pour attirer l’attention. Brayard finit même par un paragraphe sur le statut de l’erreur en histoire _ oui !.. J’ai fauté, mais je révèle quand même quelque chose du degré de complexité auquel est parvenue la recherche sur l’histoire du génocide. Felix culpa !

Pourtant, en regardant de près le compte rendu, on peut juger que Brayard présente souvent mon argumentation sous un jour biaisé, donnant au lecteur une idée déformée de ma démonstration. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à la rédaction de la Vie des Idées de pouvoir répondre à son texte.

Ici débute donc l’article de « réponse«  argumentée d’Édouard Husson à Florent Brayard…

Mutations dans le processus de décision hitlérien

Je donnerai un premier exemple. Florent Brayard résume de façon abrupte l’une des thèses de mon livre par la formulation suivante : selon Husson, « la décision d’exterminer les Juifs fut prise au tout début du mois de novembre 1941« . Je n’ai jamais formulé les choses de cette manière. Toute ma démonstration consiste à restituer le processus de radicalisation _ voilà le concept-clé ! _ au sein du quatuor Hitler-Göring-Himmler-Heydrich. Je défends, documents à l’appui, la thèse selon laquelle une première version de la « solution finale de la question juive en Europe » a été conçue avant même la campagne contre l’Union Soviétique, qui commence le 22 juin 1941. Les nazis imaginaient qu’ils gagneraient la guerre contre l’URSS en quelques mois ; et ils envisageaient donc que, dès l’automne 1941, ils seraient en mesure de commencer le regroupement concentrationnaire des Juifs soviétiques, puis la déportation généralisée des Juifs d’Europe vers l’Union Soviétique conquise, dans un processus de « génocide lent » _ autre concept-clé ici d’Édouard Husson. À partir du moment où la guerre contre Staline s’enlisa, Hitler se trouva devant un dilemme : fallait-il attendre la victoire pour commencer la déportation généralisée des Juifs ? ou bien commencer sans attendre ? C’est pour cette deuxième option que se décida le dictateur ; et cela impliqua l’accélération immédiate _ voilà le concept qui vient préciser, temporellement (= en son « tempo«  de mise en œuvre), le concept précédent de « radicalisation«  _ du processus génocidaire : tant que l’on ne possédait pas les vastes espaces soviétiques pour procéder à une « extermination par le travail forcé » des Juifs, ces derniers devaient être regroupés plus à l’Ouest. Les dirigeants nazis, au terme de controverses complexes, aux échelons supérieurs et intermédiaires du régime et de l’administration d’occupation, se mirent d’accord pour assassiner les Juifs d’Europe centrale et occidentale par le gaz, sur le territoire polonais _ les Juifs soviétiques _ eux _ étant toujours plus largement exterminés là où ils vivaient _ en territoires progressivement conquis _ par des commandos de tueurs (Einsatzgruppen, Ordnungspolizei, Waffen SS).

J’ai donc défendu la thèse que trois décisions _ ou plutôt trois impulsions (successives) _ hitlériennes _ du Führer lui-même _ avaient été nécessaires pour le passage au génocide immédiat : en juillet 1941, le Führer incite à l’intensification des massacres de Juifs en URSS ; en septembre 1941, il autorise la déportation des Juifs du Grand Reich (Allemagne, Autriche, Bohême-Moravie) vers la Pologne ou les Pays Baltes ; en novembre 1941, il franchit le pas décisif : tous les Juifs d’Europe seront soumis sans attendre la fin de la guerre au processus de « solution finale« . Cela équivaut donc bien à un ordre d’extermination généralisée ; mais il doit être relu dans une évolution _ temporelle _ des instructions toujours plus génocidaires _ voilà le cœur de la thèse d’Édouard Husson _ données par Hitler au cours de l’année 1941.

Florent Brayard ne se contente pas de simplifier ma thèse au point de la rendre simpliste. Il la fait reposer entièrement sur un élément de preuve qui est chez moi secondaire _ une déclaration de Himmler à son masseur Kersten, le 11 novembre 1941 _ et néglige les témoignages plus solides sur lesquels je m’appuie pour mettre en valeur ce basculement de novembre 1941 (quand certains de nos collègues chercheurs situent le tournant décisif en septembre ou en décembre) : en particulier les propos de Hitler lui-même _ indices des décisions-ordres, base de tout… _, dont j’entreprends une analyse très détaillée pour la période qui va du 25 octobre au 10 novembre ; mais aussi la conférence de presse secrète tenue par Alfred Rosenberg ; et l’article publié par Josef Goebbels dans « Das Reich« , à la mi-novembre 1941, qui témoignent _ voilà le fond de l’hypothèse sur ce qu’il d’agit d’exhumer _ de leurs conversations avec le dictateur sur le sujet de l’extermination à venir des Juifs _ dont l’idée-projet est la racine de tout ; la question étant celle des éléments progressifs de la mise en œuvre (si « techniquement«  difficile, comme l’énonce le Reichsfürher Himmler en ses deux discours de Poznan des 4 et 6 octobre 1943 ; cf mon précédent article du 13 février : « de l’hypothèse au fait : la charge de la preuve _ un passionnant article de Florent Brayard à propos du “Heydrich et la solution finale” d’Edouard Husson, quant à la datation de la “solution finale”, avant la conférence de Wannsee« 

Le contexte géopolitique est essentiel.

Le plus important de ma démonstration est cependant le lien que j’établis entre la détérioration de la configuration géopolitique pour l’Allemagne nazie et l’accélération hitlérienne du passage au génocide. Or, curieusement, Florent Brayard fait très peu allusion à cet aspect de mon livre dans son compte rendu. Une Europe dominée par Hitler aurait été dans tous les cas une « Europe sans Juifs« . Avant la guerre, les nazis imaginent l’émigration forcée des Juifs du Reich et, pourquoi pas, une « solution » concertée au niveau international de la « question juive« . À partir du moment où la guerre est déclenchée, les Juifs du Reich et de l’Europe conquise deviennent des otages entre les mains de Hitler, qui croit dur comme fer au « complot juif mondial » qui serait à l’origine de la guerre _ en effet, c’est une pensée obsédante de Hitler _ ; et imagine, entre 1939 et 1941, qu’en menaçant d’exterminer les Juifs, il pourra faire pression sur des dirigeants placés « sous la coupe des Juifs » à Paris, à Londres ou à Washington. Il faut se rappeler que Hitler prend, au deuxième semestre 1940, la décision d’attaquer l’URSS alors que son projet d’origine a échoué : il ne sera pas en mesure, par la faute de Churchill, de trouver l’accord avec la Grande-Bretagne dont il rêvait ; et il lui faut donc, pense-t-il, pour impressionner Londres et dissuader Washington d’entrer en guerre, gagner vite la guerre contre une Russie « pourrie par le judéo-bolchevisme« . La « solution de la question juive en Europe » devient alors partie intégrante de la stratégie globale. L’Allemagne nazie ne sera en mesure d’assurer sa domination sur le continent européen qu’à partir du moment où tous les Juifs en auront disparu _ telle est en effet l’idée-force obsédante de Hitler… Hitler le fait comprendre, on ne peut plus clairement, dans un discours du 30 janvier 1941, où il reprend, en la radicalisant, sa déclaration du 30 janvier 1939, par laquelle il avait annoncé que les Juifs d’Europe seraient les premières victimes d’une guerre mondiale.

Une première forme du génocide des Juifs planifiée dès le printemps 1941

C’est dans cet état d’esprit que les principaux dirigeants nazis préparent la campagne contre l’Union Soviétique : la « solution finale de la question juive en Europe » fait partie intégrante de la planification. Comme le souligne Florent Brayard, pour le déplorer, je mets _ bien _ en question le consensus historiographique selon lequel aucun ordre d’extermination n’a été formulé avant le 22 juin 1941. Ainsi va la recherche : pendant longtemps, les historiens ont pensé que toute la Shoah avait été planifiée _ tout est dans le processus de mise en œuvre sur le terrain des opérations peu à peu programmées _ avant le déclenchement de la guerre germano-soviétique ; ensuite est venue une école d’historiens, plus attentive à la complexité du processus révélé par les documents _ en particulier au rôle des initiatives prises _ lieu par lieu ; moment par moment _ par les agents locaux du génocide _ qui a douté et, au contraire, défendu la thèse selon laquelle rien (!) n’avait été planifié avant juin 1941 : la Shoah serait progressivement sortie de la radicalisation de la guerre, à partir d’août 1941. Florent Brayard se rattache à cette école ; dans son ouvrage, il défend même une version extrême de la thèse, puisque, pour lui, la Shoah n’est vraiment décidée qu’en juin-juillet 1942, lorsque Himmler lance l’Aktion Reinhard (l’extermination systématique des Juifs de Pologne) et inaugure les installations de gazage d’Auschwitz.

Plus je travaille sur la genèse de la Shoah, moins ce nouveau consensus historiographique me satisfait _ le questionnement se fait toujours progressivement… Travaillant à la fois _ aux tenants et aboutissants des chaînes de décisions et applications ; en s’efforçant de reconstituer les processus de terrain _ sur les processus de décision au sommet du régime et sur la mise en œuvre de la Shoah sur le terrain, en Ukraine, je ne peux pas rendre compte de l’ampleur des massacres dès le deuxième semestre 1941 (500 000 morts pour la seule Ukraine dans ses frontières d’aujourd’hui dans le cadre de la « Shoah par balles » _ cf le passionnant livre du Père Patrick Desbois : « Porteur de mémoires : sur les traces de la Shoah par balles«  _ entre juin et décembre 1941) sans reprendre de fond en comble la question de la planification avant le 22 juin 1941. Bien entendu, je reconnais, avec les historiens de l’école à laquelle se rattache Florent Brayard, l’importance _ aussi ; après il s’agit d’évaluer au plus juste (objectivement !) les poids respectifs de chacun des éléments de ces « chaînes«  _ des initiatives prises par les agents du génocide sur le terrain pour la radicalisation très rapide _ en effet _ du processus de tuerie. Mais je pense avoir montré que cette initiative ne porte que sur le choix des moyens _ pas sur la programmation organisée des ordres même _ du génocide : la radicalisation de l’été et de l’automne 1941 est impensable sans l’impulsion meurtrière totale _ voilà le moteur de tout le processus _ donnée depuis Berlin ; et qui s’ancre dans un long processus de maturation de la mentalité génocidaire _ en amont de la programmation effective des ordres eux-mêmes _ qui a commencé dès la planification de la campagne de Pologne ; et a atteint un degré inouï lors de la planification de la guerre contre l’URSS.

C’est pourquoi je défends la thèse _ la voilà _ qu’une première conception de la « solution finale » avait été planifiée _ le terme est important _ dès le printemps 1941. Ce n’était pas exactement la Shoah telle qu’elle s’est effectivement déroulée _ voilà l’acquis des discussions scientifiques de ces vingt dernières années _ mais c’était déjà un projet _ commencé d’élaborer, donc, selon Édouard Husson _ de génocide : il aurait été plus progressif que la Shoah ; et aurait plus eu recours à la mort provoquée par famine ou par le travail forcé que ce que nous connaissons. Il est de mon point de vue impossible de comprendre le passage, extrêmement rapide, au judéocide, dès l’été 1941 en URSS puis à l’automne 1941 en Pologne, sans voir que le massacre généralisé avait déjà été souhaité et conçu _ échafaudé sur le papier… _ par les dirigeants nazis. Tel est bien le cœur de ma thèse ; et c’est là ce que Florent Brayard refuse absolument _ voilà donc ce dont il y a à débattre ici et maintenant, pour les historiens, en ce début de 2009…

Le projet de déportation à Madagascar est déjà génocidaire

À l’été 1940, les nazis travaillèrent à un projet de déportation des quatre millions de Juifs sous leur domination vers Madagascar. C’était à la fois un héritage de la période d’avant-guerre, où les dirigeants du Reich avaient espéré un « règlement international » de la « question juive » ; et le signe d’un basculement vers le génocide. J’y vois _ et c’est un élément important de l’apport historiographique propre d’Édouard Husson _ un maillon essentiel dans la marche à la planification concrète du génocide. La plupart de nos collègues jugent le projet « irréaliste » ; c’est sans doute vrai ; mais je prends au sérieux, pour ma part, la brutalité des conceptions développées par le Ministère des Affaires étrangères et par la SS, pour y voir une mutation majeure _ c’est la contribution de cette analyse du « Projet Madagascar«  à la thèse d’Edouard Husson sur les enchaînements de la mise en œuvre de « la solution finale«  (ou « Shoah« ) _ dans la planification de la persécution des Juifs. Florent Brayard sous-estime considérablement _ presque tout est affaire de nuances (ou degrés) dans la prise en compte de l’importance respective des diverses données au processus global… _ la brutalité qui aurait accompagné ce processus de déportation et de réinstallation forcée. Peut-on imaginer un seul instant que les bateaux envisagés par Adolf Eichmann auraient été, sinon des paquebots de luxe, du moins des moyens de transport confortables ? Combien de déportés auraient-ils survécu au transport ? Combien auraient-ils supporté la transplantation dans un nouvel environnement ? La population locale aurait-elle accepté la coexistence imposée ? Surtout, les plans élaborés par les hommes de Heydrich témoignent plutôt du projet de mettre les Juifs au travail dans des structures concentrationnaires que de leur permettre d’établir des kibboutzim.

J’ai relevé dans le projet des hommes de Heydrich la mention d’un Vorkommando de la Sicherheitspolizei (la police commandée par Heydrich) chargé de surveiller la réinstallation des Juifs sur place. Brayard est choqué de ce que j’y voie une préfiguration de la logique des Einsatzgruppen, les groupes d’intervention de la SS et de la police, qui seront à l’œuvre, un an plus tard en URSS. Il affirme que Vorkommando est un terme neutre : « D’ailleurs, selon le Langenscheidts Grosswörterbuch Französisch« , écrit-il, « un Vorkommando est “un détachement précurseur (chargé de préparer le campement)”. Rien, vraiment, de criminel à cela« . Je me permets de rappeler que le Vorkommando est, dans la terminologie des SS, une avant-garde d’Einsatzgruppe, chargé de préparer l’arrivée du reste des troupes (Sic). ; et que, contrairement à la traduction donnée dans la version française de « La Destruction des Juifs d’Europe » de Raul Hilberg (« groupe mobile de tuerie« ), qui donne une interprétation réductrice de leur champ d’action, les Einsatzgruppen étaient conçus à la fois pour organiser le marquage et la déportation des Juifs ; et pour éliminer d’emblée, parmi eux, les individus jugés dangereux. Deux versants d’une politique génocidaire, à court et moyen terme, dont on trouve l’embryon _ en ce concept consiste la thèse ici d’Édouard Husson _ dans la conception du plan Madagascar, véritable « laboratoire » _ tout s’élaborant, peu à peu _ des plans de « solution finale » rédigés au printemps suivant.

Florent Brayard me fait dire que des chambres à gaz étaient planifiées par les nazis à Madagascar. En fait, je relève simplement qu’il était question, à l’été 1940, de faire contribuer le personnel de l’Aktion T4, chargé de la mise à mort des aliénés et des handicapés en Allemagne, au projet Madagascar. Nous n’avons que quelques indices, mais ils me semblent suffisants _ tout est dans la nuance de l’évaluation _ pour se demander si l’idée de Himmler n’était pas de profiter de l’infrastructure de T4 pour mettre à mort des Juifs âgés, malades, handicapés ou aliénés que l’on n’aurait ainsi plus à déporter vers Madagascar. Les structures d’extermination par le gaz qui servaient déjà à l’euthanasie depuis le début 1940 auraient ainsi pu servir à se débarrasser, en Europe, d’emblée _ avant même l’embarquement _, d’une petite partie des Juifs à déporter. Quant à imaginer que le personnel de T4 aurait pu être sollicité uniquement pour assurer du transport, cela reviendrait à envisager le document, rien que lui, hors de tout contexte, au risque de se laisser prendre au camouflage linguistique des nazis _ toujours important : cf, par exemple, Victor Klemperer : « LTI : la langue du IIIème Reich _ carnets d’un philologue«  On voit bien les limites d’une telle approche lorsque les sources sont peu nombreuses à nous être parvenues. Derrière les organisations de transport de T4, faut-il le rappeler, se camouflait une entreprise d’extermination qui fit _ déjà pas moins de _ 70 000 morts entre janvier 1940 et août 1941.


Le rôle des Einsatzgruppen en URSS

Florent Brayard écarte rapidement ma relecture du rôle et du comportement des Einsatzgruppen en URSS en 1941. Pourtant, je propose un schéma complexe, que je peux résumer ainsi :

_ Les Einsatzgruppen se voient confier la tâche, avant le 22 juin 1941, à la fois d’éliminer d’emblée le plus possible des « agents du judéo-bolchevisme » ; et de préparer le regroupement concentrationnaire du reste de la population juive d’URSS, qui devra avoir lieu après la victoire contre l’URSS. On est donc d’emblée dans un cadre génocidaire ; mais il est prévu que la majorité des Juifs soient soumis à un génocide lent, « d’extermination par le travail » _ nous avons vu l’importance des rythmes (et « tempo« ) dans la mise en œuvre sur le terrain des décisions prises à la tête, auprès d’Hitler… Lorsque l’Allemagne dominera définitivement le continent (c’est une question de six mois, pour les dirigeants nazis, au printemps 1941), alors elle pourra commencer à déporter les Juifs de toute l’Europe vers l’URSS conquise et les faire mourir progressivement de la même façon que les Juifs soviétiques.

_ Progressivement, dans le courant de l’été 1941, les unités de la SS et de la police sont conduites à radicaliser leurs tueries. L’historiographie des années 1990 mettait l’accent sur la radicalisation à la base. On sait aujourd’hui que l’impulsion est venue d’en haut, en particulier de Himmler _ sur l’action duquel mon attention (de non historien) a été aussi attirée… _, qui est quasiment en permanence sur le terrain pour inciter les unités de la SS et de la police à tuer toujours plus de Juifs.

_ Au plus tard en septembre _ 1941 _, les communautés juives sont systématiquement exterminées. Il s’agit bien de la première étape de la Shoah, qui a commencé avant celle des camps d’extermination en Pologne. L’assassinat massif des Juifs soviétiques devait, dans la logique folle des nazis, permettre de gagner la guerre contre Staline. Il s’agissait simplement d’une accélération régionale au sein d’un processus globalement envisagé _ voilà parfaitement rappelée à cette occasion-ci la thèse d’Édouard Husson _ depuis le printemps, d’élimination globale des Juifs d’Europe ; au lieu d’un processus étalé sur plusieurs années, il devait être réalisé _ désormais : par accélération ; du fait de l’évolution rapide des opérations de guerre… _ le plus vite possible. Cette accélération _ voilà  _ a lieu peu après _ aussi _ en Pologne ; et elle concerne au plus tard au printemps 1942 les Juifs de toute l’Europe dominée par les nazis.

J’y insiste : pour qu’une telle accélération ait été possible, il fallait que les esprits _ et à divers échelons de pouvoir _ aient été disposés _ activement, pratiquement, technologiquement aussi _ au génocide dès le début de l’année 1941. C’est ce qui m’amène à réinterpréter _ ah ! _ des documents clés de la période. Je pense pouvoir montrer que le procès-verbal de la Conférence de Wannsee (20 janvier 1942) contient un noyau _ concept à nouveau décisif de l’analyse des faits par Édouard Husson _ rédigé un an auparavant par Heydrich. C’est aussi ce qui m’amène à proposer une datation beaucoup plus précoce pour les « directives pour le traitement de la question juive à l’Est« , un document largement négligé par la recherche et que je pense pouvoir dater de mars 1941. Florent Brayard reconnaît que c’est la partie la plus neuve de la démonstration. En laissant de côté le débat technique sur la traduction du procès-verbal ; et la confusion de deux de mes arguments, l’essentiel ici est la contestation de ma méthode.

Une réfutation un peu courte

Florent Brayard me traite de « disciple d’Edgar Poe« . On a vu plus mauvaise école. Il écrit en effet à mon propos : « À l’instar du héros de « La Lettre volée«  d’Edgar Poe, il croit avoir découvert le document que tous les historiens cherchaient sans se rendre compte qu’ils l’avaient sous les yeux. Dès la fin de l’année 1940 ou au début de 1941, en effet, Heydrich avait rédigé et présenté à Hitler et à Göring une première planification de la “solution finale”, que nous connaissons seulement par des références indirectes. Ce document fondamental, dont la découverte nous permettrait de mieux comprendre la genèse de ce programme, aurait, à en croire Husson, toujours été là, à portée de vue : il se serait tout simplement agi de l’exposé de Heydrich à Wannsee…« . Effectivement, je suis sur ce point d’accord avec Brayard ; telle est mon intuition fondamentale, que j’ai essayé d’étayer dans mon livre. Pour être plus précis, je dirai que le cœur de l’exposé de Heydrich à Wannsee, tel que le retrace le procès-verbal de la Conférence, me semble reprendre le plan rédigé un an plus tôt. Pour arriver à cette conclusion, je suis effectivement parti de l’idée que la compréhension de la genèse de la Shoah _ c’est bien l’objet de la recherche, et d’Édouard Husson;  et de Florent Brayard _ avait forcément beaucoup de points de ressemblance avec une enquête de police _ « Historia«  signifiant bien « Enquête« , depuis Hérodote_ sur un crime. Je suis bien un « disciple d’Edgar Poe« . La méthode déployée dans « La Lettre volée » n’a-t-elle pas une valeur épistémologique fondamentale ? Les criminels _ y compris nazis, tout méthodiques qu’ils étaient dans l’effacement des traces de leurs actes _ laissent toujours plus de traces de leurs cheminements de pensée qu’ils ne le pensent.

Florent Brayard met le doigt sur ce qui nous sépare méthodologiquement. Confronté, comme lui, à la destruction sciemment entreprise d’une partie des sources par les criminels eux-mêmes, je constate la faiblesse d’une lecture qui tend à isoler _ sans les relier entre eux, en leur genèse on ne peut plus matérielle, en quelque sorte _ les documents les uns des autres. Plutôt qu’à une telle méthode, qui me semble tomber sous le coup des critiques que l’on a pu faire à l’école positiviste des historiens, j’ai largement recours, comme Brayard le remarque lui-même, « à la génétique textuelle » _ la méthode est bien le nœud de l’affaire ! _ pour tenter de reconstituer _ avec souci de vérité objective la plus rigoureuse _ une chronologie cohérente _ non irrationnelle, fantasmatique _ du processus _ effectif (et en toute sa « chaîne ») _ de décision. Il se peut que ma thèse soit un jour sérieusement remise en cause, soit grâce à la découverte d’un document inconnu, soit par des méthodes d’analyse différentes des miennes. Pour réfuter ma démonstration, il faudra cependant avoir une discussion méthodologique plus approfondie que celle que mène Brayard ici.

Il est curieux, d’ailleurs, d’écrire un compte rendu aussi long pour finalement traiter le cœur de la démonstration de « fantaisie« . C’est un peu court ! Tout se passe comme si Brayard voulait bien faire voler en éclat mon argumentation sans pouvoir faire autre chose que la prendre de biais, en mettant l’accent sur des questions annexes et en taisant des éléments essentiels. À vrai dire, je trouve cela bien dommage. Je pense que nous aurions à gagner, tous les deux _ et la connaissance historique tout court ! toujours en mutation : ne jamais le perdre de vue ; elle progresse !.. _, à entrer dans un vrai débat _ qu’il se profile serait d’excellent augure ! et combien plus riche de sens que les épouvantables sinistres pantalonnades d’un quasi auto proclamé « Monseigneur«  Williamson ! qu’on prenne soin de lire bien le détail de son tout récent « acte de repentance«  !… _ entre chercheurs qui ont des méthodes différentes mais certainement complémentaires _ pour le profit de l’avancement de la connaissance du réel historique ; et de la vérité…

par Édouard Husson [26-02-2009]

Aller plus loin
Sur La Vie des Idées, voir la recension du livre d’Edouard Husson par Florent Brayard, « Shoah : l’intuition et la preuve _ retour sur le processus décisionnel« .

Voilà ; à suivre :

c’est ainsi, par le débat argumenté, que progresse la connaissance, à partir des progrès de la recherche

sur l’analyse et la compréhension des « faits », à établir ; et avérer…

Je ne rappellerai pas ce que j’ai dit en mon article précédent du 13 février (« de l’hypothèse au fait : la charge de la preuve _ un passionnant article de Florent Brayard à propos du “Heydrich et la solution finale” d’Edouard Husson, quant à la datation de la “solution finale”, avant la conférence de Wannsee« ) de l’importance épistémologique du concept de « falsification« , de Karl Popper, en sa « Logique de la découverte scientifique« 


Vive la recherche ! Vivent les enseignants-chercheurs !..


Titus Curiosus, ce 27 février 2009

La grâce (et l’intelligence) « Jaroussky » en un merveilleux récital de « Mélodies françaises », de Jules Massenet à Reynaldo Hahn _ un hymne à la civilisation de la civilité

25fév

Je ne vais pas être objectif,

autant que j’annonce tout de suite et sans ambages la couleur

_ car je place (on ne peut plus « personnellement » : j’en demande bien pardon !) au pinacle de mon goût musical « personnel », donc, la mélodie française… cf mon article du 11 octobre, à propos de l’excellent (ravissant !) récital de Susan Graham : « Un Frisson français » (chez Onyx) ; « Un bouquet de “glamour” musical _ et autres _ pour “temps de crise”…  » _,

le récital de mélodies françaises (disons « fin-de-siècle« ) que vient nous offrir Philippe Jaroussky

avec un CD de « Mélodies françaises » _ c’est le sous-titre de ce CD, auquel on aurait bien fait de s’en tenir ! _

est une merveille de réalisation,

grâce à l’interprétation d’enchanteresse probité poétique et musicale

_ et il faut du génie pour pareille justesse dans le rendu avec autant de « naturel » de l’infinitésimal du camaïeu des plus infimes nuances, et toutes (et chacune) « à leur place » !.. :

tout « devant », ainsi « à sa place », mobile et émouvante,

par un travail formidablement patient et inspiré, exigeant, face à l’œuvre qu’il faut « donner » « telle quelle », en quelque sorte,

c’est-à-dire telle que cette œuvre sourd, sub specie æternitatis, du génie de l’artiste créateur à l’instant béni des Dieux de son « invention-naissance » par l’artiste-auteur-compositeur-créateur de l’œuvre ;

par un travail, donc, de fourmi, titanesque et minutieux tout à la fois, de « mise en place » des interprètes

dont n’est devenue, à l’instant de cette interprétation le plus possible « en toute simplicité » offerte ;

dont n’est devenue plus perceptible la moindre trace du plus petit effort qu’il a pourtant bien fallu fournir, essayer, donner, pour y atteindre et s’y hausser !) ;

tout (de l’œuvre « donnée) devant, ainsi, donc,

glisser et couler de source, avec la grâce heureuse, et bientôt, à l’instant même, c’est à dire immédiatement, partagée par nous, récepteurs de ce « don » de l’œuvre ainsi interprétée (et captée _ par l’ingénierie sonore ; et reçue par nous _ les auditeurs-récepteurs, auxquelles cette œuvre ainsi interprétée est « donnée ») ;

avec la grâce heureuse, donc,

de l’évidence sereine de la sensation (æsthesis), indissolublement poétique et musicale, ici, comblée ;

car tel est bien son miracle, sa « grâce », en effet… _,

grâce à l’interprétation d’enchanteresse probité poétique et musicale

de Philippe Jaroussky, contre-ténor _ qu’on n’attendait peut-être pas, bien à tort !, dans pareil répertoire : pour tout dire, je ne goûte pas particulièrement l’aigü de son timbre (!) dans le répertoire baroque;

à moins que ce ne soient des « volutes » (d’ornements de la ligne musicale) peut-être un peu trop maniéristes, ou maniérées :

est-ce affaire d’œuvres (non françaises, ou de style « français », en l’occurrence) ? est-ce affaire de rôles ? est-ce affaire de choix stylistiques de chefs (d’opéras _ haendeliens ? ; ou de cantates _ italiennes ?..) ; voire de directeurs artistiques ? ou même de conseillers (moins avisés qu’ici)… ;

en tout cas, ici, pour l’heure _ en ces magnifiques « mélodies françaises » « fin-de-siècle » -ci _,

le goût de Philippe Jaroussky frôle la perfection… _

et Jérôme Ducros, au piano ;

plus les (brefs) amicaux renforts

_ en guest-stars : mais la mélodie est un art on ne peut plus convivial d’écoutes réciproques, à commencer par les écoutes mutuelles (= « l’entente », au sens premier et propre ! enchanteresse alors !) des interprètes entre eux, comme en toute musique « de chambre », laquelle est le B-A BA de LA musique !.. ne jamais le perdre de vue (ni d’ouïe !) _

du violon de Renaud Capuçon (pour « Violons dans le soir » de Camille Saint-Saëns, sur un poème d’Anna de Noailles) ; du violoncelle de Gautier Capuçon (pour « Elégie » de Jules Massenet, sur un poème de Pierre Lorys) ; et de la flûte d’Emmanuel Pahud (pour « Viens, une flûte invisible soupire« , d’André Caplet, sur un poème de Victor Hugo).

Le CD est officiellement, et plutôt malencontreusement à mon goût (car trop « accrocheusement ») titré : « Opium«  _ en référence à ce sous-titre de la mélodie (fort belle !) bien mieux titrée, elle, « Tournoiement« , de Camille Saint-Saëns (sur un poème d’Armand Renaud, en 1870…) _

comme s’il s’agissait _ vulgairement _ de la promotion commerciale de quelque « parfum » aux pouvoirs possiblement envoûtants (= aphrodisiaques) : mais non ! il s’agit seulement de délicates et subtilement raffinées « mélodies françaises » à écouter avec sérénité et tendresse sur sa platine !

alors que l’interprétation (magnifique de lisibilité et d’impact : quelle intelligence de la sensibilité !) de Philippe Jaroussky est aux antipodes du moindre mauvais goût, aguicheur, appuyé, affriolant,

l’interprète s’en tenant, présente-t-il lui-même très sobrement au début du livret du CD (page 5), à ceci :

« J’ai choisi volontairement la prononciation la plus proche possible de la voix parlée actuelle _ sans trop d' »r » roulés, par exemple… ; on pourra comparer avec une version antérieure d’« A Chloris«  filmée, sur You Tube… : telle un brouillon…  _, afin que les mots résonnent de la façon la plus naturelle _ un terme qu’il nous faudra commenter ! _ dans l’imaginaire _ « fantaisie » est le mot que prononce Théophile de Viau, le poète, dans « A Chloris » (en post-scriptum, pour le plaisir, je donne l’intégralité de ces « stances »)… _ des auditeurs, en essayant d’écarter tout « affect » ou « surinterprétation«  _ en effet ! tant de la part du chanteur ; que de l’auditeur !!! _ ;

avec cette reconnaissante _qu’il en soit chaleureusement remercié ! _ précision, encore :

« Je tiens à remercier tout particulièrement Frédéric Faye qui m’a permis, par ses conseils tout au long de cet enregistrement, d’aller dans cette _ fort heureuse ! cf la version antérieure d’« A Chloris«  sur You Tube _ direction »  _ on ne peut plus judicieuse, en effet : l’art français proscrivant absolument (comme une horreur qui le saccage et, sans nul remède hélas le détruit !) de présenter si peu que ce soit à sa réception

_ et ce point constitue aussi une donnée fondamentale de la chose : cet art (du chant français), tout comme celui (= frère !) de la conversation, étant tout entier tourné vers l’interlocuteur, qu’il s’agit d’abord, et avec le plus grand tact, de respecter et servir ; et jamais de séduire, acheter, emporter, berner, violer _

l’art français proscrivant absolument de présenter à sa réception

la moindre prise que ce soit au plus léger début de plus petit soupçon _ mortel pour l’interprétation ! comme pour la réception de l’auditeur !!! _ de surcharge ou de boursouflure !!! 

Sur les vingt quatre mélodies composant le merveilleux bouquet de ce récital, « Opium« , donc,

dix-sept d’entre elles ont été composées et publiées _ les indications du livret n’étant pas tout à fait complètes à cet égard, c’est dommage… _ entre 188o, pour « Nell » (sur un poème de Leconte de Lisle), et « Automne » (sur un poème d’Armand Silvestre), de Gabriel Fauré, et « Les Papillons » (sur un poème de Théophile Gautier), d’Ernest Chausson ;

et 1901 , pour « Les Donneurs de sérénade » (sur un poème de Verlaine : « Mandoline« , le quinzième du recueil « Les Fêtes galantes« ), de Gabriel Dupont ;

en amont de ce moment (1880- 1901 : si fécond pour ce genre si quintessentiellement « français »), trois mélodies de 1869-70 :

« Elégie » (sur un poème de Pierre Lorys) et « Nuit d’Espagne » ( sur un poème de Louis Gallet) _ tout spécialement merveilleuses, les deux !!! _, de Jules Massenet, en 1869 ;

et « Tournoiement » (avec pour sous-titre « Songe d’opium » : sur un poème d’Armand Renaud), de Camille Saint-Saëns _ tout aussi éblouissante ! _, en 1870 ;

et, en aval, quatre mélodies, entre 1907 et 1914 , et une dernière en 1924 :

en 1907, « Violons dans le soir » (sur un poème d’Anna de Noailles), du même Camille Saint-Saëns (1835-1921) ; l’immortelle « A Chloris » (sur un poème, donc, tellement beau, de Théophile de Viau, de 1621), en 1913,

et l’exquise « L’Heure exquise » (sur un poème de Verlaine, « La lune blanche…« , le sixième du recueil « La Bonne chanson« ), du magnifique Reynaldo Hahn (1875-1947), en 1914 ;

et enfin, exception un peu plus tardive de ce somptueux « bouquet », en 1924, « Sonnet » (sur le sonnet « Ha ! Bel Accueil, que ta douce parole…« , du « Premier Livre des Amours« , de Pierre de Ronsard) de Paul Dukas..

On comprend que Philippe Jaroussky ait tenu à ne pas se priver, ni nous non plus, de ces sept mélodies-là : extraordinaires, en effet !

Et alors que son récital fait l’impasse _ j’ose espérer que c’est pour les réserver à un futur récital ! _ sur ces chefs d’œuvre que sont les mélodies de Henri Duparc, de Maurice Ravel _ ainsi que, même si plus tardives, de celles de Francis Poulenc…

Le choix des mélodies de ce récital-ci par Philippe Jaroussky et Jérôme Ducros est extrêmement judicieux, en son « unité », autour des deux dernières décennies du XIXème siècle principalement :

un moment « fin-de-siècle », si l’on veut, mais brillant des feux mordorés et chatoyants d’une France qui affirme avec sérénité (et sans hystérie) son génie, son âme et son esprit, dans ses Arts aussi : la France de la république (et des Lois) de Jules Ferry, se remettant, avec son élégance « essentielle (depuis François Ier au moins, et Joachim du Bellay : « France, mère des Arts, des Armes et des Lois…« , dans « Les Regrets« , à un retour de Rome…), de l’humiliation de la défaite par les Armes de 1870…

Personnellement, je ne partage pas du tout ! la thèse d’un goût dominant, sinon généralisé, voire uniforme, pour un certain décadentisme _ à la Huysmans (ou à la Des Esseintes) de « A rebours« , en 1884 _ que pense décrypter, dans la plupart de ces œuvres-là, le livrettiste de ce CD, Christophe Ghristi.


Si l’art français se démarque, certes, du goût germanique pour « la terre« , les brouillard
bien épais de chemins ne menant nulle part (« Holzwege« ) au cœur des forêts et vers les cimes de montagne, ce n’est pas pour autant un art de l’artifice et de « la chaleur _ vénéneuse _ des serres » (page 5 du livret) _ telle celle, superbe par ailleurs, de la demeure haussmannienne des Saccard, donnant sur le Parc Monceau, dans « La Curée » de Zola (en 1872 : une critique au vitriol des miasmes du second empire, qui vient juste de s’écrouler, d’un bloc, à Sedan, à la capitulation de Bazaine, le 27 octobre 1870)…

L’art français, éminemment civil (avec urbanité !) et civilisé, est celui d’une nature peignée : celle des jardins de Le Nôtre (si bien dits « à la française« , même s’ils sont aussi originaires des académies italiennes _ cf l’excellent « La France italienne _ XVI-XVIIèmes siècles » de l’historien Jean-François Dubost, aux Éditions Aubier-Montaigne, en 1998 _), et des « Fêtes galantes » de Watteau, auxquelles se réfère Verlaine, et qui inspirent, en effet, nos musiciens, ici Reynaldo Hahn (en 1892) et Gabriel Dupont (en 1901)…

C’est un Art de la ville et « urbain » _ en la polysémie du terme _ qui tient (toujours) compte des autres (= des personnes), des perspectives humaines, en la fantaisie et la grâce de ses alignements ; et qui n’a pas beaucoup de penchant ou d’attrait pour les vertiges du sauvage (« the wilderness« )…

Ce récital-ci, de Philippe Jaroussky et Jérôme Ducros, est ainsi

selon _ et là je retiens la remarque du livrettiste, page 6 _ non « pas la couleur (mais) rien que la nuance« , ainsi que « le recommandait Verlaine ;

et Hahn lui obéit : son « Offrande«  _ « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches… » _ ou « l’Heure exquise«  _ les deux mélodies d’après les poèmes de « La Bonne chanson« _ dédaignent les grands gestes et les éclats _ en effet _

pour une silencieuse intimité » _ oui ! celle des Couperin, par exemple… _ ;


ou selon cette autre « recommandation« , toujours d’après Verlaine, mais cette fois in « 
Les Fêtes galantes«  :

« chanter « Très crâne et avec élégance » »

Voilà ! Tout est ainsi résumé

Parmi mes découvertes singulières parmi les mélodies de ce programme,

je tiens à signaler celle de Cécile Chaminade (1857 – 1944), auteur d’un dynamique _ « et de la plus exquise excentricité » : en effet ! _ « Sombrero« , ainsi que d’un « Mignonne, allons voir si la rose« , d’après Ronsard, tout plein de « charme« , en 1894 : tout un esprit du temps nous est ainsi exquisément _ le mot revient, décidément _ rendu…

Bref, un must que ce CD « Opium _ Mélodies françaises », par Philippe Jaroussky et Jérôme Ducros

_ CD Virgin Classics 50999 216621 2 6 _,

afin de pénétrer toujours mieux (cf la série de mes articles antérieurs sur ce même « sujet » _ accessibles en remontant par la case « Archives »)

 _ et avec ravissement, tant l’esprit et l’âme (ainsi que tous les sens ; mais avec le filtre, toujours, de la civilité et de l’urbanité : sans y déroger jamais !) sont à la perfection « servis » ! _,

afin de pénétrer toujours mieux

le si beau goût (musical) français ;

quand son « art » (français, donc) de la civilisation

reçoit, ces derniers temps-ci,

d’un peu vilaines pichenettes et assez grossiers (vulgaires) accrocs…

D’où la mise en exergue d’un « hymne à la civilité »

_ quand la musique (du chant) adoucit (vraiment) les mœurs…

Titus Curiosus, ce 25 février 2009


Post-scriptum :

« A Chloris« , stances, en 1621,

de Théophile de Viau (Clairac, entre mars et mai 1586 – Paris, 25 septembre 1626) :

S’il est vrai, Cloris, que tu m’aimes,

Mais j’entends que tu m’aimes bien,

Je ne crois point que les rois mêmes

Aient un heur comme le mien.

Que la mort serait importune

De venir changer ma fortune

A la félicité des dieux !

Tout ce qu’on dit de l’ambroisie

Ne touche point ma fantaisie

Au prix des grâces de tes yeux.


Sur mon âme, il m’est impossible

De passer un jour sans te voir

Qu’avec un tourment plus sensible

Qu’un damné n’en saurait avoir.

Le sort qui menaça ma vie

Quand les cruautés de l’envie

Me firent éloigner du Roi

M’exposant à tes yeux en proie,

Me donna beaucoup plus de joie

Qu’il ne m’avait donné d’effroi.


Que je me plus dans ma misère!

Que j’aimai mon bannissement!

Mes ennemis ne valent guère

De me traiter si doucement.

Cloris, prions que leur malice

Fasse bien durer mon supplice.

Je ne veux point partir d’ici

Quoique mon innocence endure ;

Pourvu que ton amour me dure

Que mon exil me dure aussi.


Je jure l’amour et sa flamme

Que les doux regards de Cloris

Me font déjà trembler dans l’âme

Quand on me parle de Paris:

Insensé, je commence à craindre

Que mon Prince me va contraindre

A souffrir que je sois remis.

Vous qui le mîtes en colère,

Si vous l’empêchez de le faire

Vous n’êtes plus mes ennemis:


Toi qui si vivement pourchasses

Les remèdes de mon retour,

Prends bien garde quoi que tu fasses,

De ne point fâcher mon amour.

Arrête un peu, rien ne me presse,

Ton soin vaut moins que ta paresse,

Me bien servir c’est m’affliger;

Je ne crains que ta diligence,

Et prépare de la vengeance

A qui tâche de m’obliger.

In « Après m’avoir fait tant mourir« , Œuvres choisies de Théophile de Viau,

dans l’édition de Jean-Pierre Chauveau, en septembre 2002, dans la collection Poésie/Gallimard,

pages 64 à 67…

La splendeur du style cinématographique d’Angela Schanelec _ en ses regards sur Marseille et Berlin (« Nachmittag » + « Marseille » en un très fort DVD !)

22fév

Le style (de cinéma) d’Angela Schanelec me touche _ m’éblouit et m’enchante _ ;

et je me réjouis tout particulièrement d’avoir suivi les conseils d’Antoine Guillot et Arnaud Laporte, lors de leur émission « Tout arrive » du mercredi (consacrée au cinéma), le 7 janvier, recommandant très vivement le (double) DVD des films « Nachmittag » et « Marseille«  _ réunis sous un intitulé « La Nouvelle vague allemande » _ d’Angela Schanelec (aux Éditions « la vie est belle »)… ;

et de l’avoir commandé (constatant que nulle part à Bordeaux il n’était directement disponible)…


Car le style même d’Angela Schanelec va (assez incroyablement ! mais cela, du moins, reste relatif…) au fond des choses

avec une qualité d’attention au réel particulièrement fine, aiguë et formidablement lucide,

jusqu’à un degré de douleur (tourmenteuse : outrepassant la capacité de beaucoup d’y faire face ; et, a fortiori, de pouvoir, cependant, s’en réjouir, aussi…) peut-être proprement germanique…

_ ainsi, en ce vingtième anniversaire de la mort de l’immense Thomas Bernhard (un des deux ou trois génies majeurs du XXème siècle _ Heerlen (Pays-Bas), 9 février 1931 – Gmunden, 12 février 1989 _),

ai-je assisté, vendredi 13 février, à une passionnante conférence au Goethe Institut de Bordeaux, invité (à l’impromptu, alors que nous nous sommes rencontrés au rayon « Littérature » de la librairie Mollat à peine deux heures avant), par la toujours très perspicace Jutta Bechstein, consacrée à Rolf Dieter Brinkmann _ Vechta (entre Münster et Oldenburg), 16 avril 1940 – Londres, 23 avril 1975 _ et à son (formidable !!!) « Rome, regards« , par son éditeur (des Éditions Quidam), Pascal Arnaud, et sa traductrice, Martine Rémon _

qui m’étonne passablement aussi : à un tel degré d’intensité, veux-je dire…

Aussi, vais-je citer et commenter, à ma façon, un article remarquablement perspicace

_ de Mathieu Macheret, sur le site critikat.com

« Guerre lasse« 

Angela Schanelec _ édition DVD « Nachmittag » (2007) et « Marseille » (2005)

DVD _ 16 décembre 2008

« Marseille« , quatrième film d’Angela Schanelec, connut il y a trois ans les honneurs d’une sortie sur les écrans français _ ce qui signifie encore, pour pas mal de films, parisiens. Ce n’est malheureusement pas le cas de l’inédit « Nachmittag« , dernier opus en date de la cinéaste qui, en provenance directe du festival de Berlin 2007, atterrit chez nous sur la case vidéo et sort en catimini _ à l’exception au moins de France-Culture ; et de quelques sites Internet… _ de la soute à bagages…

Son prédécesseur _ « Marseille« , donc _, pas beaucoup mieux loti, n’avait pas résisté (!..) longtemps à la barbarie de la distribution hexagonale _ certes : et de ses finalités de plus en plus uniformément commerciales (et la loi d’airain du marché : le profit, en numéraire, des vendeurs)… Sa finesse rigoureuse, son port altier mais délicat _ comme c’est bien regardé ! _, lui avaient valu, face à la concurrence, un retour en charter aussi fulgurant qu’immérité. « La Vie est belle » _ l’éditeur de ce double DVD _ les a réunis en double programme sur une belle galette sans bonus. Plutôt : où le bonus serait la primeur du dernier film _ « Nachmittag« , de 2007… On s’en réjouit, certes, mais non sans se dire, les yeux embués, que c’est tout de même un peu dommage _ de ne pas disposer d’un peu plus de l’œuvre assez géniale d’Angela Schanelec…

C’est dommage, car rares sont aujourd’hui les films aussi lumineux _ à divers sens : comme c’est juste ! _ que ceux de Schanelec. Rares sont ceux, donc, qui ont autant à gagner d’une projection _ en salle ! _, dont la magie propre dépend autant du faisceau qui frappe l’écran et rejaillit sur son spectateur. Ainsi, « Marseille » et « Nachmittag » peuvent-ils bien être pris pour ce qu’ils sont : des traités pratiques sur la façon dont la lumière tombe sur les choses ou les traverse _ et l’analyse commence à pénétrer les secrets de la force de Schanelec… Sur la façon dont elle frappe les êtres, les éblouit et, ce faisant, les opacifie aux yeux des autres _ et là commence, bien, un certain drame… Cela n’a rien d’arbitraire. Nous sommes au cœur du projet esthétique de Schanelec _ l’analyse met dans le mille ! _ : dresser une barrière de clarté laiteuse _ séparante _ entre ses personnages, un voile diffus où s’engluent _ aussi, dans un présent s’étirant en vain _ leurs volonté et emportements. Un grand bain d’air dont l’épaisseur _ sidérante _ les freine et finit par les fixer _ et plomber, médusés… Un aquarium _ transparent à la lumière de l’extérieur autant que clos sur lui-même _ contre les parois duquel ils buttent _ et se blessent, peut-être mortellement. La faible profondeur de champ _ de la prise de vue, en intérieur, tout particulièrement _, souvent en vigueur, alliée aux partis pris de surexposition, achèvent de plonger l’environnement dans un même flottement _ d’été (berlinois) somptueux _ vague. À cette perception du monde tient une bonne part de la cruauté et de la tendresse _ étroitement mêlées, oxymoriques _ de Schanelec. Grâces lui soient rendues, l’éditeur _ du DVD, « la vie est belle«  _ a dû suer sang et eau pour restituer l’expérience lumineuse _ oui ! quelle beauté ! sur le petit écran de l’ordinateur même !.. _ de ces films tournés en 35 mm.

« Marseille » avait à l’époque _ février 2005 _ été lâché en salles avec pour seule arme le compagnonnage de deux compatriotes : « Voyage Scolaire » de Henner Winckler et « En Route » de Jan Krüger. Ces trois films étaient sensés entériner en France le lancement du terme tout frais _ et très approximatif _ de « Nouvelle Vague Allemande«  (on lui préfère celui, un poil plus précis, d’ »École Berlinoise« ). On peut mesurer aujourd’hui à quel point « Marseille« , en dépit d’une familiarité indiscutable, « prenait déjà la tangente » du mouvement… Si son hypothèse restait identifiable _ réalisme cru, jeunesse mutique et solitaire (avec l’étrangèreté pour les autres, comme pour le spectateur, de Sophie, la photographe), crise du couple allemand et effritement de la cellule familiale, froideur des teintes (tout particulièrement : à Marseille comme à Berlin ; en fonction de leurs lumières alors…) _ elle ne laissait rien augurer de la majesté _ oui ! _ de sa forme, ni de l’étrange alliage de brutalité et de douceur qui fait toute la beauté du film _ ô combien magnifiquement est-ce justement ressenti !


On y suit Sophie, jeune berlinoise venue, dans le cadre d’un échange d’appartement, passer dix jours dans la cité phocéenne du titre _ « Marseille » _ « pour prendre des photos« . Une intrigante première partie, où Sophie est de tous les plans, trace son parcours d’acclimatation _ voilà le concept-clé… Elle commence par acheter des baskets, elle ne s’arrêtera plus de circuler, à pieds ou par les transports en commun. On la voit arpenter _ oui ! _ une ville qu’on dit pittoresque et qui n’a cependant jamais autant ressemblé à n’importe quelle autre ville _ en effet !.. Nulle pacotille de folklore ou d’exotisme ici… Elle prend _ simplement _ des images et des repères. En même temps, elle n’échappe pas à la rudesse _ oui ! _ de ce nouvel air : tout un tas de micro-agressions _ à la limite du perceptible : nous sommes dans « le neutre » d’une sorte de « presque normalité » post-moderne (au moins française, dans le moindre des cas…) _ font saillies (jeunes qui chahutent, pompiers autoritaires, klaxons intempestifs, type grossier). Surtout, la solitude _ de la voyageuse, en permanence, ou quasiment, dans le champ de mire de la caméra (et donc, pour nous, sur l’écran) : Sophie _ enfonce le clou de son étrangèreté : ni là, ni là-bas, en transit _ avec peu de bagages. Elle finit par rencontrer un jeune garagiste _ Pierre _ qui lui prête sa voiture et la présente à des amis. La greffe, d’abord difficile (il la présente d’abord à un pote lourdingue), finit par prendre. Elle fait la fête avec cette nouvelle petite société quand…

Vlan ! On se met à parler allemand. Le temps d’une coupe insaisissable, presque dans notre dos, Schanelec _ au montage, mais d’abord à la caméra _ nous fait passer du Midi à Berlin. Sous les grands airs de sa mise en scène, d’une beauté (tranquille, sereine) assez hautaine _ cadres (toujours) au cordeau, compositions architecturales (des images), plans qui durent (mines de rien _ tel celui du bar, avec Pierre : un des plus intenses du film), dialogues rares et lacunaires (c’est le plus manifeste : mais le personnage de Sophie, la photographe, même si elle parle un très bon français, a, sur Marseille, la position et le regard d’une étrangère) _ celle-ci (Angela Schanelec, aux commandes de son art de cinéaste) enfouit _ oui ! sans le moindre maniérisme _ une structure très élaborée, très fine, toute en lignes brisées _ merci de si bien le montrer, l’analyser ainsi ! _, assemblant un tissu _ oui _ de ruptures douces et franches _ oui !!! _, disséminant une collection _ discrète _ de signes à retardement _ dont il faut, au spectateur, se souvenir, a posteriori : telles de petites mines ; qui sont au moins promises à explosion… _, dont le sens éclate _ pour qui ? pour le personnage de Sophie, dont le visage reste, invariablement, lisse ? pour le spectateur, immergé dans tant de « neutre », lui ?! _ de manière rétroactive _ et seulement ainsi, en effet _ et éclaire d’un nouveau jour _ la conscience du spectateur demeuré attentif _ ce qui précédait. D’où le sentiment _ éprouvé devant l’écran _ de nébulosité assourdie _ cotonneuse : ce n’est pas, ici, le triomphe de la lumière d’un plein été ! l’épisode marseillais (ou première stase) se déroulant au mois de février _, d’ivresse modérée _ pas encore nauséeuse _, où les choses ne sont jamais immédiatement claires

_ mais pour qui est-ce jamais le cas ?

comme pour n’importe quel enfant ;

et Angela Schanelec en place dans ces deux films ; interprétés, d’ailleurs par les siens, enfants (le petit Louis Schanelec interprétant le petit « Anton », et la petite Agnès Schanelec interprétant la petite « Mimmi »), dans la vie ! ; et comme si leurs jeux les préservaient _ pour un moment, peut-être… _ des blessures des autres, adultes… ; et encore il faudrait revoir bien mieux _ = re-regarder à la lumière de cette question _ ces séquences…

découvrant la vie ;

mais aussi pour tout un chacun ayant à « former » _ forcément ! _ sa propre expérience du réel, et toujours le rencontrant, en sa « sur-venue » vers lui, avec le sentiment d’une terrible nouveauté ; et s’y blessant, si peu que ce soit, forcément, aussi…

fin de l’incise sur l’enfance de tout « apprentissage » d' »expérience » de la vie... _

mais conservent _ « les choses« , donc… _ un temps leur ambiguïté.


Chacun des deux films _ « Marseille » comme « Nachmittag » _ étonne _ oui ! _ par cette manière de passer rapidement, comme si de rien n’était _ sans la moindre arrêt (d’image) maniériste : hyper-classique, au contraire ! _, sur les informations capitales _ et il y en a ! tout film forme un drame… _ du récit _ jamais marquées, ni, a fortiori, surlignées _, de ravaler _ le mot est intéressant _ les signes prétendument majeurs _ pour le spectateur qui y réfléchit, se remémore, fait le point, synthétise, veut comprendre (ce qui vient de se dérouler _ du « drame » _ sous ses yeux, sur l’écran, sans coups de projecteur, ni zooms, ni travellings… _ au même rang _ comme c’est le cas, déjà, « dans la vie », pour tout réel auquel tout un chacun a forcément affaire ; est (plus ou moins rudement ou doucement) forcément confronté : il faut (apprendre à) vivre ; et survivre _ que toutes les occurrences _ qui surviennent, pardon du pléonasme : l' »image-mouvement » du film nous offrant/imposant toujours, quelle que soit la durée de celui-ci, la situation de devoir offrir (et subir) un minimum de patience à cette diachronie ! _ du réel _ l’autre option (et unique !) étant de rompre soi-même _ comme le fera à deux reprises, cet « après-midi »-là, Konstantin, le fils, dans « Nachmittag« , le film suivant _ la partie…

Revenue à Berlin, Sophie retrouve tout ce qu’elle avait quitté. Rien n’a changé : elle replonge au centre de la même agonie sentimentale, du même amour emberlificoté et indénouable _ que nous découvrons alors, seulement maintenant, en cette seconde stase (berlinoise), au fil des images qui se succèdent (et sans drame). Celui qui stagne _ encalminé _ entre elle et un couple d’amis, femme _ Hannah _ actrice et homme _ Ivan _ photographe, élevant un petit Anton, alors que leur relation prend l’eau de tous bord. Devant cette somme d’impossibilités agglutinées _ se découvrant d’une séquence (ou stase) à une autre, accollée _, elle ne tarde pas à annoncer _ toujours dans le « neutre », sans mélodrame _ son retour à Marseille.

Elle prend alors le train pour la dernière _ brève _ partie _ ou dernière stase _ du film. À peine de retour là-bas, elle subit une agression terminale, sublime _ hors-images, hors écran _ : un échange de vêtements _ et dépouillement de tout, sous menace d’arme à feu : Sophie énonçant en son témoignage que sa priorité, de toute urgence, fut (ou était) de conserver sa vie… _ que nous ne verrons pas, mais dont le récit sera rapporté _ lors d’un interrogatoire purement réglementaire (de procès-verbal) _ au poste de police (le plus proche _ de ce coin de rue d’avec la Canebière où se produisit l’agression _) _ suit une ultime séquence, sur le rivage de la mer, à la plage, le soir, avec une Sophie, en jaune, étonnamment légère, et comme soulagée…

On en arrive _ alors _ au clou du disque _ DVD _ versatile, le tout frais « Nachmittag« , adapté de « La Mouette » de Tchékhov.

Le film s’ouvre sur ce qu’on devine être les répétitions d’une pièce de théâtre. Ce premier plan s’inscrit dans les quelques instants qui précèdent le début du jeu _ proprement dit ; et les dialogues _ : allées et venues des quelques personnes présentes _ gens de théâtre au travail (de répétition d’un spectacle) _, scène _ quasi _ nue, gradins _ quasi _ vides. Une actrice quitte la salle et rejoint la scène. Elle se prépare, elle va jouer…

on passe à autre chose : le film _ l’intrigue principale, après une séquence d’ouverture _ commence.

On tient peut-être _ sans la moindre insistance ; et comme par inadvertance _ dans ce plan introductif, dont l’agencement lacunaire _ toute vie l’est, déjà ! _ va s’éclaircir par la suite, la raison du style de Schanelec _ oui ! _ : tout s’agence _ parfaitement ! c’est le travail de construction des séquences ; puis du montage _ comme si chaque plan était pris _ =  extrait, par focalisation _ du fond du décor. Les bords du cadre _ avec ce qu’ils expulsent, forcément, « hors-cadre » !.. _ concentrent une bonne part de sa cruauté _ oui ! _ : ils piègent ou expulsent, ils tranchent, ils suppriment, mais jamais ne se font _ avec tendresse d’un centre ou d’un foyer de chaleur, protecteur, attractif _ accueil ou refuge. Ils sont comme ces coulisses visibles sur certains plateaux, au-delà desquelles les personnages n’existent plus _ en effet _ sans pour autant cesser d’apparaître.

Irène _ qu’interprète Angela Schanelec elle-même, de l’autre côté de la caméra, ici _ est actrice _ comédienne au théâtre. Un après-midi d’été _ somptueux, comme Berlin en connaît ! _, elle se rend chez son frère _ plus âgé _ Alex, en mauvaise forme _ plus que maussade, ou asthénique : on ne saurait davantage se montrer quasi uniformément bougon et aigri… _, où vit son jeune fils Konstantin, auteur de théâtre _ il écrit… _ veillant _ non sans une dose importante de patience _ sur son oncle. La grande _ belle et lumineuse _ demeure entourée de verdure _ luxuriante ! quel Berlin éclatant de beauté ! en cette saison d’été _ et bordée d’un lac _ où l’on se baigne ; et peut paresser au soleil, sur un radeau de bois : quelles belles images de l’eau ! _ accueille également les filles des voisins : Agnès, 19 ans, ancienne petite amie de Konstantin et sa petite sœur Mimmi qui partage son temps entre baignades et parties de cartes. Cette petite troupe n’a plus _ passé-composé à relever… _ grand-chose d’une communauté : l’habitude de se retrouver _ qu’on devine (en effet !) _ a cédé _ insensiblement _ le pas à la fatigue, l’ennui et le désintérêt. Irène profite de ces retrouvailles _ d’une après-midi, de passage, en quasi « coup-de-vent »… _ pour présenter son nouvel amant, Max _ c’est un écrivain « à succès », semble-t-il… _, à ses proches. Des échanges se configurent _ avec souplesse et intermittences _ entre les différents protagonistes, au cours desquels chacun prend acte _ sans vraiment rien dire, ni même rien manifester ouvertement : cela se perçoit seulement au jeu (et au rythme) des regards et des absences de patience (et de désir) _ de sa solitude et de sa propre indisponibilité _ c’est bien de cela qu’il s’agit _ aux autres. Bien qu’il perce parfois _ sans éclat _ ces nappes _ mot très juste _ d’attente, de repos _ d’agonie ? _ et d’amer _ oui ; dénué de suavité _ farniente, le passé émerge sourdement _ oui _ comme la survivance d’un rituel qui n’a plus lieu d’être, dans la mesure où il s’est vidé de tout désir _ = acédique, en cette « vacance » (plombée)… _ de la part de ceux qui l’accomplissent _ mécaniquement, sans âme _ encore _ mais pour combien de temps ?..

D’où ce sentiment que ces dernières retrouvailles _ familiales : avec (ou pour) Irène _ sont celles de trop, la fois où chacun comprend qu’il ne pourra plus _ qu’est-ce donc qui permet de l’affirmer ? de l’augurer ?.. _ délivrer _ mot un peu étrange _ envers les autres, jusque dans ses propres mots d’amour, que des paroles _ ou des mutités _ de haine.


Chez Tchekhov
_ dans « La Mouette« ; ou dans « La Cerisaie«  _, ce sentiment qu’un rituel était peut-être accompli pour la dernière fois s’accompagnait, pour la communauté en cause, de la douloureuse conscience de son inutilité. Fidèle en ce point à l’auteur, Schanelec situe son action au moment exact où le rituel, vidé de son sens, est devenu simulacre. Plus personne n’y croit, mais tout le monde s’y accroche _ vraiment ? _ lâchement, sans énergie. D’ailleurs, la seule qui semble y croire encore un peu, ou surestimer son importance _ Irène, qui garde un soupçon d’amour dans le cœur _ s’en prendra plein la gueule. Croyant à raison surprendre une _ première _ tentative de suicide, elle se coupe en retirant des mains de son fils _ sorte d’ange blond éthéré, distant au monde : c’est sur lui que le regard (de sa mère ?) se porte le plus… _ la lame qu’il pointait contre lui-même. Elle se fait traiter de « charogne » par son frère, avant qu’il n’avoue se désintéresser d’elle peu à peu. Et il faut voir à table comment les hommes lui parlent ! Elle concentre à son endroit toute l’hostilité de sa famille (deux hommes sans femme, soudés contre elle, la mère). C’est pourtant à elle que revient le dernier regard _ le dernier mot ? _ du film, posé sur un lac qui lui répond par la belle constance de sa sérénité et de son mutisme _ et son fils qui vient d’avaler des barbituriques, s’endormant sur le radeau de bois (du milieu du lac) qu’à la nage il est venu rejoindre…

Quand, au début du film, Konstantin demande à son oncle Alex : « À quoi crois-tu ?« , celui-ci lui répond : « À des moments isolés et souvent inattendus » _ des rencontres inespérées ; non programmées ; et improgrammables : où surgit, et est accueillie (et pas repoussée) la vérité… Une belle figure de ponctuation suspendue _ oui ! et c’est tout un art : d’hémioles, dirait-on dans l’interprétation (et les gestes : musicaux) de la musique dite « baroque » ; les hémioles ne sont pas écrites (notées) sur la partition ; il faut, au musicien-interprète, les deviner : au souffle, en écoutant et regardant les autres : les partenaires _ qui ressemble à s’y méprendre au cinéma d’Angela Schanelec : c’est excellemment observé !

Mathieu Macheret : « Guerre lasse » _ sur critikat.com

Voilà en quoi l’esthétique non-esthétisante d’Angela Schanelec

me touche

beaucoup…

Sur ce concept d’esthétique/æsthesis,

relire,

outre la magistrale et indispensable « Critique de la faculté de juger«  de Kant,

le fondateur de la discipline : Baumgarten (1714-1762) : une traduction en français de son « Esthétique«  (« Æsthetica« ) est parue il y a quelque temps en français, aux Éditions de l’Herne, en 1988 …

Il faudrait la comparer, cette esthétique/æsthesis d’Angela Schanelec,

à celle de Michelangelo Antonioni, quant à la complexité des approches et des contacts, entre les personnes _ silences et plans-séquences longs (et intenses ; mais sans lourdeur, jamais) compris… Même si, ici, il ne s’agit pas de brouillard, mais de son contraire : des halos éblouissants, auxquels viennent buter, sans à-coups (ni hystérie), des regards (et des corps, à leur suite)…


Ainsi qu’à celle d’Ingmar Bergman, bien sûr, aussi : si forte à l’image ; si tragiquement désespérante, elle _ et jusqu’à des suicides, aussi (comme dans « Nachmittag« )… Une des clés de l’œuvre entier de Bergman _ Uppsala, 14 juillet 1918 – Fårö, 30 juillet 2007 _ (« Les Fraises sauvages« , « Le silence« , « Une passion« …), me semblant résider dans le « récit d’enfance » de « Fanny et Alexandre«  (en 1982)… Il y a, probablement (= existent), certains tropismes des lumières du Nord (cf « Elle n’a dansé qu’un seul été« , du même Ingmar Bergman ; et les livres du grand Stig Dagerman : « L’enfant brûlé » et « Notre besoin  de consolation est impossible à rassasier« , pour commencer…)…

Par rapport aux brouillards de la plaine du Pô et de Ferrare (cf le sublime _ et bêtement méconnu, sinon snobé _ « Par-delà les nuages » : l’œuvre testamentaire d’Antonioni _ Ferrare, 29 septembre 1912 – Rome, 30 juillet 2007 _, en 1995 ; avec l’aide, très marginale _ pour « rassurer » les producteurs, inquiets des suites de son ictus, en décembre 1985 _ de Wim Wenders) _ ; aux brouillards de Milan (cf « La Notte« ) ; et même ceux de Rome et du Latium (cf « Identification d’une femme » ; et, en amont, « L’Eclipse« ) ; ou ceux des îles Lipari (cf « L’Avventura«  : films tous bouleversants : si merveilleusement prodigieux de justesse !)…

Ces « pistes _ d’un art (épuré, sobre) d’attention à la vérité _ Antonioni et Bergman »

devraient, bien sûr, être creusées beaucoup plus loin et profond…

En se plaçant du côté de la réception, par le spectateur,

maintenant :

rien, nulle part, n’est forcément seulement (et à jamais) « détail » inessentiel ;

notre attention (de découvreur, au « spectacle ») est toujours intensément requise ;

ainsi que le filtre (activé : au vif !) d’une critique (de notre part _ et le terme, « krisis« , signifie bien, en effet « tamis », « opération de filtrage ») assez réfléchie,

assez souple et assez fine (à assez petits grains : afin de recueillir effectivement, sans les laisser passer, filer à jamais _ mais essayer de les saisir et retenir, si peu que ce soit, du regard, lui-même si mobile _, les toutes petites pépites : d’or,

au milieu des boues et des poussières de tout le reste, qui passe : le tout-venant de ce qui occupe, et combien massivement _ jusqu’à l’obstruction et l’occlusion _, nos saisons, à la longueur _ qui peut être ennuyeusement proche du vide _ de nos journées…),

pour être assez perspicace, cette attention

à ce qui nous est alors « montré », par l’artiste, en son œuvrer…

Et, à ce regard-là,

le cadrage, et le montage,

avec leurs focalisations, leurs ellipses, leurs rythmes, à chaque fois singuliers,

de ces artistes-là,

nous aident ;

et formidablement : merci à leur génie, vif, puissant, vigoureux, dés-endormissant ; et dés-anesthésiant ! ;


tout en sollicitant aussi, forcément, un minimum d’attention, et plus, et mieux, d’investissement (participatif :

de cette attention fragile de notre regard et de notre écoute, toujours frêles

(en cours _ = voie _ perpétuelle, en quelque sorte, de « formation », … ; pas trop fossilisés, peut-être, encore : entre la folie douce la plus probable de l’enkystement et le cabrage _ à-côté-de-la-plaque _ de la tétanisation ruant-dans-les-brancards…),

mobilisés, pour lors _ regard comme écoute _, envers ce « réel » montré, en effet, en son œuvrer, par l’artiste :

on « en » manque tant ! dans le fil des jours, ordinaire, de cette perception un peu plus aiguë et fine d’un « réel » décisif, ô combien, pourtant ;

tant nous passons si souvent,

anesthésiés et abrutis que nous sommes, et quasi en permanence,

à côté de tout !.. ;

et c’est là qu’il faudrait une véritable éducation æsthétique : artistique, au lycée !!!

à la place des crétinisations par bombardement médiatique généralisé

des industries à rouleaux-compresseurs d’entertainment !!!

formatant avec tant d’efficacité si grossièrement, et en tous les sens du mot, les imaginaires) ;

tant nous passons si souvent

à côté de tout !.., donc _ je reprends et poursuis _

en notre « partie », si mal interprétée (par nous-même), de « spectateur », aussi ;

partie, pourtant, et ô combien !, nécessaire et indispensable :

car c’est là une condition sine qua non,

non seulement du spectacle (devant des œuvres _ qui soient « d’art », vraiment ; sans imposture, veux-je dire…),

mais aussi, et d’abord, et fondamentalement, de nos rapports aux autres, « dans la vie » même, elle-même, et d’abord ! ;

chacun, veux-je dire, en notre vie (unique ! comme un chemin-de-fer « à voie unique » ! et sans billet de retour, probablement, semble-t-il…) ;

alors, d’un amour !!

Il y a toujours là une terrrible urgence :

de ne pas passer aussi bêtement à côté…

Ce qui est le cas largement dominant, pourtant…

Tout cela _ en ce final d’article _,

en prolongement, en quelque sorte, des remarques sur la « connaissance » _ d’abord ; et essentiellement _ « poétique » des villes

de mon article du 16 février, à propos du « Mégapolis » de Régine Robin :

« Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin«  ;

et pour conjurer l’inquiétude soulevée par l’ami Bruce Bégout de « voir beaucoup trop de beaucoup, sans savoir qu’en faire, sans rien assimiler« , in Dans la gueule du Léviathan. Mon expérience de Las Vegas, inFantasmopolis. La ville contemporaine et ses imaginaires, aux Presses universitaires de Rennes, en 2005, page 31…


Regarder est bien aussi,

et fondamentalement,

un « acte esthétique« ,

nous apprennent, décidément (!),

et Baldine Saint-Girons, en son « Acte esthétique » ;

et Marie-José Mondzain, en son « Homo spectator« 


Ne craignons pas de nous y livrer

en (et avec) douceur

(= sans crispation) :

ainsi qu’Angela Schanelec

_ après Antonioni et Bergman _

avec une merveilleuse finesse :

celle de ses lumières ! de ses cadrages ; de ses ellipses, aussi ;

de son art cinématographique du « récit », toujours pris, par nous, « en cours » ;

et dont manquent (et manqueront toujours : à jamais !) bien des chapitres antérieurs

_ comme dans l’art de Faulkner (« Le bruit et la fureur«  ; « Absalon ! Absalon !« ) ; ou dans celui d’Antonio Lobo Antunes (« Traité des passions de l’âme«  ; etc… : il faut tout lire de lui, aussi !!!) ;

et comme dans toute vie !

(ainsi que son « art » : à apprendre, et d’urgence !)

ainsi qu’Angela Schanelec, donc,

en magnifique artiste de son cinéma,

nous y aide…


Titus Curiosus, ce 22 février 2009

A propos de « La Nuit de Mai » de Clément Rosset : un article d’Aurélien Barrau sur les « modalités philosophiques » rossétiennes

20fév

A propos de l’analyse du désir dans « La Nuit de mai » de Clément Rosset, et en complément à mon article précédent : « Le “désir-monde” du désir face à ses pièges : Clément Rosset à la rescousse des élans de Daniel Mendelsohn et de Régine Robin« ,…

on se reportera avec grand profit à un très bel article du philosophe et physicien Aurélien Barrau : « la philosophie rêvée _ Clément Rosset et la complexité du désir« , sur l’excellent site _ quelle mine ! _ laviedesidees.fr

Des thèses du début de l’article, je n’ai rien , ou très peu, à ajouter :

« Comment convoquer, dans un très bref essai, Proust et Boulez, Balzac et Stravinsky, Dostoïevski et Berio, Michaux et Tchaïkovski, Verlaine et Ravel ? Comment croiser, en quelques pages, Lucrèce, Leibniz, Nietzsche, Marx, Freud, Cioran, Deleuze et Althusser ? Comment imposer, par les non-dits d’un écrire presque nonchalant, des réminiscences insistantes _ devenant bientôt des présences évidentes _ de tous les autres, les compositeurs, les poètes, les philosophes, les plasticiens, les romanciers qui participent d’un ineffable réseau ? Il suffit, sans doute, d’offrir à la réflexion du penseur de la singularité _ Clément Rosset _ un concept pluriel par excellence : le désir.

L’objet du désir est une multiplicité. La « machine désirante » de Deleuze et Guattari dépasse la dialectique de l’Un et du Multiple par régime associatif, couplage, synthèse productive. Elle refuse de subsumer la globalité des désirs produits sous une unité qui les réduirait et les transcenderait. Tout y fonctionne simultanément, mais les objets de la somme sont toujours partiels. C’est le cœur de la thèse que Clément Rosset défend, complète et _ dans une certaine mesure _ infléchit avec « La Nuit de mai « .

Proust comme un paradigme. La petite madeleine n’est pas seulement le souvenir de Combray. Plus exactement, l’enchantement qu’elle suscite, les délices qu’elle engendre, l’extase délicate qui l’accompagne _ ce sont les verbes qui sont importants : par ce qu’ils dynamisent ! _, ont chargé Combray d’une signification particulière : non pas d’un sens caché ou d’une profondeur à découvrir, mais d’une sorte de pouvoir totalisant _ irradiant, et positivement (!), à l’infini. Combray est devenu la totalité des joies et des désirs de Proust _ en fait « Marcel«  _ enfant. Ce qui entoure ou accompagne un objet d’amour n’est ni une « garniture », ni une valeur ajoutée : c’est une condition de possibilité pour que l’affect se déploie _ à l’infini de ses ondes irradiantes. L’émotion _ mouvante et mobilisatrice _ est une pluralité d’émotions _ en cascades, en quelque sorte : comme aux lacs (multipliés ; et sublimes) de Plitvice ; ou de la (merveilleuse aussi) rivière Krka ; les deux en Croatie : des lieux de bains éclaboussant de joie… La cohérence importe moins que la cohésion _ par contiguïté (à commencer par empirique) _ : aussi artificielles soient-elles, les ramifications _ se déployant _ de l’objet désiré sont nécessaires à son émergence en tant que lieu identifié _ à partir de son « ressenti » _ du désir. Proust ne pourrait pas aimer le souvenir de Combray si celui-ci ne convoquait simultanément une myriade _ en effet ! _ de circonstances joyeuses, d’enthousiasmes latents et de jubilations en devenir _ que de transports heureux !.. Si le souvenir n’était que partiellement heureux, il cesserait absolument de l’être. Le dramaturge latin Trabea écrivait « je suis joyeux de toutes les joies » ; autrement dit : aimer, c’est tout aimer _ sans chichiteries, ni « comptages » : cf aussi Brassens : « Tout est bon chez elle ; (il n’)y a rien à jeter«  : encore heureux !!! ; et « sur l’île déserte, il faut tout emporter«  : on ne saurait mieux (le) dire ! La joie, comme le désir, ou l’amour, est surdéterminée _ d’abondance ! _ : une diversité de causes, parfois étrangères les unes aux autres _ de pure « accointance », si je puis me permettre, circonstancielle : un bonheur de « coïncidence » ! en quelque sorte ; et tout l’alentour, aussi, en profite joyeusement ! car la joie est heureusement contagieuse ; en plus… _, doit intervenir pour qu’elle _ la joie _ émerge _ et sourde de quelque part (peu importe laquelle, ou lesquelles) de moi, qui suis en expansion, alors… : il n’y a de joie qu’à y prendre part ; si la joie vient à notre rencontre ; elle n’est, aussi (= n’existe ; ne naît), en nous, qu’à « trouver » (et « rencontrer ») en nous une joie elle-même profonde ; essentielle ; en un improbable (voire miraculeux) accord avec ce qui vient s’offrir à elle (et à soi ; ou à nous) du réel (et d’un autre) : d’une altérité, en tout cas ! C’est cet accord-là qui « se fête » par la fête même de la joie, en quelque sorte !.. Non qu’une joie isolée soit intrinsèquement impensable, mais plutôt que son instabilité _ = sa fragilité, vulnérabilité, faiblesse : non vivable… _ est telle qu’elle mène inexorablement _ de fait ! cela se constate, forcément ! _ à la chute. Chute qui met en jeu l’existence même _ en effet... _ : le déprimé déçu par une joie _ trop _ fugace _ faiblarde ! _ devient souvent suicidaire. Une jouissance unique, isolée, singulière _ sans compagnie à elle-même, cette jouissance tristounette-là _, ne peut plus devenir un objet de désir _ et est snobée… Ce dont la fin _ le terme, la cessation, l’arrêt _ est repérée, les limites identifiées, les ramifications circonscrites _ un concept important ! _, les linéaments soulignés ou l’unicité avérée, n’existe déjà plus _ pour un sujet susceptible de désirer _ en tant que bonheur latent _ faute d’infini de ses « retentissements », de ses ondes (et « harmoniques ») en propagation expansive. Un « désir-maître » _ cf « La Force majeure«  _ peut émerger, objet pensable _ parfois palpable _, mais il n’est _ nécessairement, selon l’analyse magistrale de Clément Rosset _ que le lieu d’une convergence, d’une complicité, d’une connivence » _ le conditionnant absolument (sine qua non !) ; ni plus, ni moins ; ou plutôt : il n’a lieu (= n’actualise sa potentialité) que si co-existe(nt), avec lui, et le « pousse(nt) » avec faveur (!), « une convergence« , « une complicité« , « une connivence » « bénéfiques », qui ajoute(nt) à cette joie ; et la hausse(nt) à un sentiment de bonheur, sub specie æternitatis ; en plus de la réjouissance du présent, sub specie temporalis ! Les deux coexistant et se renforçant dans l’allégresse ! Ce que le triste, pour sa part, en son isolement (de tout), de son côté (et en son « quant-à-soi »), ignore ; et n’a, probablement, même pas le moindre début d’idée ; faute d’en ressentir le plus petit début d’une émotion, ou plutôt d’un sentiment (voire d’une passion) : le malentendu est alors immense. Comment espérer jamais le combler ? Comment essayer d’initier un triste à la joie ? Comment lui faire franchir le premier petit pont (ou passerelle) ?.. la première invisible limite (ou frontière) ?..

Un peu davantage de commentaires, peut-être, pour la suite _ un peu plus abstraite, « métaphysique », sans doute, du bel article d’Aurélien Barrau :

« En marge de la complication _ complexité plutôt _ des objets du désir, Rosset esquisse une pensée de la complexité  _ c’est mieux, en effet ! _ du sujet désirant. Il est structurellement hétéronome _ se livrant à l’attractivité de son objet ! Il est pluriel _ comme l’identité  (« men » et « de« , en grec) que Daniel Mendelsohn, peu à peu, se découvre, en répondant (un peu) mieux à l’attraction de ses désirs, et au fur et à mesure des rencontres des sujets qui vont les susciter, ces désirs-là _, il se scinde, il invente le médiateur _ accélérateur et « combustible« , dit Rosset _ de son propre désir. Comme le suggérait René Girard _ notamment dans « Vérité romanesque et mensonge romantique » _, il se façonne à l’image métaphysique _ = mimétiquement _ du « modèle«  et de son rapport _ de tension jouissive par elle-même, déjà _ à l’objet _ = « jeté vers » ; = « jeté pour » (le sujet)… _ considéré.

Clément Rosset admet que l’image d’un « combustible du désir » inévitablement constitué en rhizome _ selon le schéma deleuzo-guattarien ; cf « Rhizome« , en 1976 ; repris dans « Mille plateaux« , en 1980 _ semble parfois contredite. De Rastignac à Claës, en passant par Grandet et Hulot, les héros balzaciens paraissent, au contraire, polarisés par une idée fixe, unique lieu fantasmé de leurs passions et de leurs actions. Des monomanes désirants _ en effet. L’exclusive de la quête y apparaît comme consubstantielle à l’authenticité du désir. La thèse centrale de l’ouvrage n’est néanmoins pas déconstruite par ces exemples dans la mesure où l’objet du désir, pour unique qu’il soit, n’en devient pour autant jamais isolé _ et c’est bien là le point décisif ! La complexité ramifiée du désir s’est en quelque sorte condensée, cristallisée. Elle n’en demeure pas moins prise dans l’entrelacs dense et enchevêtré _ et mouvant, dynamique _ de la trame des plaisirs visés.

Mais quel désir, précisément, a pu pousser _ en amont même de l’œuvre _ Clément Rosset _ lui-même, en tant qu’auteur se mettant à la table d’écriture _ à écrire ce si bref ouvrage dont le propos est finalement fort simple, presque évident ? _ mais glissant, en la réalité tellement mouvante ( et « in-circonscriptible !) de son objet (le désir) ; et dérangeant pour beaucoup, voire tant ! pour cette raison-là… À quels autres objets, idées, mélodies, poèmes, mythes est-il lié dans le processus symplectique du désir rossetien ? Cet essai est peut-être le moins explicitement philosophique de toute l’œuvre de Rosset : aucun plaidoyer ontologique, aucune réflexion sur la nature du réel, aucune résonance ouvertement épistémique. Pourtant, et c’est sans doute l’intérêt central de l’ouvrage, la position philosophique de l’auteur _ et c’est ce qui intéresse tout particulièrement ici Aurélien Barrau s’y décèle aisément en filigrane. Non pas cachée à la manière d’une énigme dont il faudrait découvrir la clef ; mais, bien au contraire, mise en œuvre comme une « machine errante » qui se dévoile moins par ce qui la constitue _ en amont : oui que par ce qu’elle produit _ en aval : en effet ! Il ne s’agit pas ici _ pour Clément Rosset _ d’argumenter, mais d’actualiser. On ne philosophe plus, on explore le champ des possibles au sein d’une élaboration philosophique _ parfaitement d’accord !

Les filiations lucrétienne, spinoziste et nietzschéenne _ oui ! je les ai bien notées aussi… _ de la position de Clément Rosset se lisent, à la manière d’un palimpseste, tout au long de ce petit ouvrage. Du premier, on trouve une référence explicite au quatrième livre du « De natura rerum » : « Vénus est vulgivaga, c’est une vagabonde », les objets du désir sont variables et s’organisent en multiplicité. Du second, on entrevoit le conatus comme puissance de persévérance du désir (le héros balzacien, archétypal de ce point de vue, fait, précisément, ce qu’il faut pour qu’il ne soit jamais assouvi _ c’est-à-dire « arrêté », immobilisé, annulé : il en « veut » toujours plus… _). Du troisième, on décèle la réhabilitation désinhibante qui innerve le « Crépuscule des Idoles« , œuvre centrale pour Rosset dans la mesure où Nietzsche s’y révèle déjà suffisamment en proie à la folie pour n’avoir plus besoin d’inventer d’inutiles répliques du réel, mais encore assez lucide pour être en mesure de le décrire.

Une philosophie en creux. « La Nuit de mai » est une philosophie du non-dit, du non-requis, du non-pensé _ avec « sprezzatura« … Clément Rosset n’a pas besoin d’y récuser l’existence d’un double du réel qui, depuis Socrate, constituerait la grande illusion métaphysique. Il n’a pas besoin d’y réfuter la distinction de ce qui est et de ce qui existe. Il n’a pas besoin d’y rappeler qu’aucun sens caché n’a valeur par-delà l’expérience vécue. Il n’a pas besoin d’y faire l’apologie d’une immanence paradoxalement puisée à l’aune de Parménide. Il n’a pas besoin d’y développer une ontologie _ cf « Le réel : Traité de l’idiotie«  _ de la singularité. Il lui suffit d’outrepasser les concepts jalonnant la tradition par une pratique philosophique littéralement insensée. L’affirmation du primat de la différence se lit dans un rapport insolite au réel : tout est singulier et étonnant par le seul fait d’exister. Poursuivant son rejet de toute variante de méta-question philosophique du « pourquoi » _ ce qu’on pourrait, en l’occurrence, appeler le « principe de raison » de Descartes, Leibniz ou Hegel _ Rosset ne s’intéresse pas à le genèse du désir _ en effet ; de même que François Noudelmann s’en agace, frontalement, carrément, lui, dans « Pour en finir avec la généalogie » (en 2004), et dans « Hors de moi » (en 2006) Il en analyse la modalité _ voici le principal apport de l’analyse ici du travail de Clément Rosset par Aurélien Barrau !

Il y a, chez Clément Rosset, différentes manières d’accéder à la réalité, d’y accéder dans toute l’étendue de son insignifiance (c’est-à-dire d’en percevoir simultanément la détermination et l’indétermination, les « deux visages de Janus » _ in Clément Rosset : « Le réel : Traité de l’idiotie« , Paris, Éditions de Minuit, 1997, p. 26 _ : le hasard et le nécessaire). L’ivrogne et l’amoureux éconduit, par exemple, sont sur cette voie d’existence sans essence. Ils ne veulent _ ni ne peuvent _ inventer un double fantasmatique : il sont en prise avec l’actualité vécue d’un réel remis à neuf. Or, étonnamment, Rosset prétend que « La Nuit de mai«  est la retranscription, plus ou moins exacte, d’un rêve. Sans doute _ à son insu ? _ propose-t-il ici une nouvelle voie d’accès au monde brut, non dupliqué, en devenir : le songe. Qui, mieux qu’un rêveur, pourrait faire une pure expérience de la surface, du contour, de l’apparence ?


Tout, loin s’en faut, ne va pas de soi dans la proposition de Clément Rosset. L’identité supposée des discours sur le désir, l’amour et la joie, en particulier, n’est pas sans poser de difficulté. Les arguments évoqués : « l’amour est la forme la plus intense du désir » et la référence à la phrase de La Fontaine introduisant les « Animaux malades de la peste » « Plus d’amour, partant, plus de joie« , sont pour le moins laconiques _ devrions-nous nous en plaindre ? Non.. Qu’il existe un rapport de causalité _ un fort souci du physicien _ entre le sentiment amoureux et l’émergence de certains bonheurs _ ou « joies » ?.. _ corrélatifs ne suffit certainement pas à établir _ par raison démonstrative ? _ l’identité générale des schèmes structurant ces deux ordres psychiques. La proposition demeure _ à dessein ? _ à étayer et son champ de validité à établir _ mais Clément Rosset est, en cette « Nuit de mai« , ainsi que dans la plupart de ses écrits, « dans » d’autres modalités de « parole »…

Lévi-Strauss voyait _ dans « L’Homme nu«  _ dans le « Boléro » de Ravel _ l’un des compositeurs les plus présents dans l’œuvre de Rosset _ l’exemple, fort paradoxal, d’une « fugue à plat », en tension vers l’inouïe modulation finale en Mi Majeur. C’est peut-être ainsi que pourrait se lire cet étrange opuscule : un contrepoint déplié, étiré entre la complexité de l’objet désiré et celle du sujet désirant, tendu vers une drolatique réhabilitation de l’égoïsme _ du moins dans le cas, délimité (!), de son « in-nocence » : absence de nuisance envers autrui _ en tant que capacité à ne pas nuire ! _ avec, page 39, cette « grande qualité d’être le seul à garantir à autrui qu’on le laissera tranquille en toute occasion. Vous ne serez jamais dérangé par quelqu’un qui ne s’intéresse pas à vous » ; même si Clément Rosset concède aussi, tout de même, bien qu’elliptiquement, page 40, que « ses abus peuvent être fâcheux (on l’a vu chez Balzac)« 

« La Nuit de mai«  ressemble à Clément Rosset : peu rhétorique, simple comme l’évidence, protéiforme comme le désir, étonnante comme le réel. Elle est aussi très singulière au sein de l’œuvre. Comme il se doit.« 


Ainsi, voilà aussi la seconde partie de l’article d’Aurélien Barrau.

Pour mettre un peu plus en perpective et en relief mon vagabondage sur le « désir » comme « désir-monde » chez Clément Rosset,

afin d’un mieux lire, ainsi, et L’Étreinte fugitive” de Daniel Mendelsohn, et “Mégapolis _ les derniers pas du flâneur de Régine Robin…


Titus Curiosus, ce 20 février

 

Le « désir-monde » du désir face à ses pièges : Clément Rosset à la rescousse des élans de Daniel Mendelsohn et de Régine Robin

18fév

La double lecture des puissants « L’Étreinte fugitive » de Daniel Mendelsohn et « Mégapolis _ les derniers pas du flâneur«  de Régine Robin, continue de me travailler ;

et m’amène à (continuer à) creuser un peu plus loin ou plus avant  _ et ici même, sur ce clavier, ce blog et cet écran _ la question des conditions du désir ;

je veux dire

la situation du désir,

avec ses divers tenants et aboutissants _ à l’infini, en fait… _

face aux pouvoirs auxquels immanquablement ce désir-ci, ou désir-là, a à se heurter,

par ce qu’il vient, en son bougé même (forcément…), « gêner » et « déranger », pour les autres (rarement complètement indifférents à ce jeu-là ; et donc « neutres »…) ;

comme, aussi, et en même temps, nécessairement, face aux propres efforts de soi-même (ou « Moi«  ?) pour « faire avec » lui ;

lui = lui, le désir (venant nous traverser de son mouvement, de sa flèche : d’où l’image d’un « Eros archer« …) ;

« faire avec » lui, le désir, donc,

en sa réalité toute matérielle filante, échappante, traversante

(et renversante, à commencer par les corps ; et pour commencer le sien ! ;

sinon foudroyante, même, parfois… : le mot même de « désir », on a fini par s’en re-souvevenir, a rapport aux astres _ « sidera » _ ; aux étoiles, « filantes » donc ; avec leur terriblement puissante « attractivité »…),

menant toujours (et poïétiquement !) plus loin et plus avant _ plus outre… _ qu’au (prosaïque = « po-pote » !) « ici et maintenant » (de nos habitudes installées = tendant à la simple répétition…) ;

et « faire avec » lui, toujours, le désir, toujours en quelque façon difficilement nommable (ou « Ça«  ?) et repérable, nonobstant son incroyable obstination, une fois, du moins, qu’on l’a identifié, reconnu (et nommé ! baptisé !), qu’on s’est, si peu que ce soit, « familiarisé »

_ mais est-ce jamais tout à fait réellement (et vraiment !) le cas : une « familiarisation » ?.. _

avec lui ;

et qu’on a, si peu que ce soit, aussi, « consenti » à sa réalité (de désir désirant),

et qu’on lui confère alors, par là même, par cette prise en considération (ou « considération » tout court _ cf toujours l’étymologie !!! _) un minimum de légitimité, au moins personnelle

_ ce qui n’advient peut-être pas dans le cas du « refoulement » (inconscient, ne pas le perdre de vue ; et pas pré-conscient ! il « résiste » à la prise de conscience ; et suscite bien des dénégations…) au cours de ce que Freud identifie comme « névrose » ; et demeure fort répandu ; pour se référer à la taxinomie feudienne..

Daniel Mendelsohn comme Régine Robin ont une filiation, en amont, est-européenne :

à Bolechov, en Galicie (arrondissement de Stanislavov _ qui fut en Pologne, puis en Autriche, puis en Pologne, puis en URSS, et maintenant en Ukraine), pour le premier (cf « Les Disparus« ) ;

à Mínsk Mazowiecki _ apprend-on très incidemment et sans autre précision au détour (très anodin) d’une page (314) du chapitre « Rivadavia y rincón : secret de famille », qui sert de conclusion à la « Quatrième partie : Buenos-Aires _ la ville de l’outre-Europe »  de « Mégapolis » _, en Mazovie, la province même de Varsovie, en Pologne, pour la seconde : c’est le 21 juillet 1942 que furent raflés les Juifs de cette ville, pour être exterminés « à Treblinka« , page 314, donc.

Pour l’un comme pour l’autre, et sans que jamais cela soit dit, pouvoir échapper à la nasse est vital ;

vital à leur respiration quotidienne la plus élémentaire même ;

et constitutif de leur « être-au-monde » fondamental…


Le souffle qui parcourt si magnifiquement ces livres

est ainsi le vent (porteur et fécond) de la liberté !


L’un comme l’autre, Daniel Mendelsohn comme Régine Robin, sont perpétuellement des « décalés »,

détestant tous les ghettos, tous les enfermements, tous les pièges

_ peut-être y compris familiaux ; du moins trop étroitement familialistes…

Même si, et il faut bien le noter, Régine Robin dédie « Mégapolis« , page 7, à sa « petite-fille Rebeccah, future flâneuse de Londres » ;

« Mégapolis« , ou, très montaniennement (cf le merveilleux avis « Au lecteur » à l’ouverture des « Essais« ), « la ville comme autobiographie«  _ le dernier mot de sa présentation de son livre, page 28 (et pudiquement retiré de la citation de ce paragraphe, en quatrième de couverture :

cf mon article « Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin« ) ;

et même si Daniel Mendelsohn adore sa famille, et tout particulièrement ses trois frères, Andrew, Matthew, Eric, et sa sœur, Jennifer _ à la page 643 des « Disparus« , au moment des remerciements, il a des mots particulièrement merveilleux, que j’ai à cœur de citer in extenso ici même :

« Un livre qu’il a fallu cinq ans _ et plus, en fait _ pour achever, n’aurait pas pu être écrit sans le soutien et l’encouragement de nombreuses personnes ; et c’est un grand plaisir pour moi que de témoigner ma gratitude envers ceux qui le méritent tant« , commence-t-il.

Et tout de suite : « Ce livre est un livre consacré à ma famille ; et ma plus grande dette, à tous égards _ merci d’être né ! et d’avoir été élevé, éduqué, et aimé ! _, est et a toujours été vis-à-vis de ma famille :

tout d’abord et surtout vis-à-vis de mes parents, Marlène et Jay Mendelsohn, qui ont encouragé les enthousiasmes bizarres de mon enfance (« la table d’Athéna » ; les excursions photographiques au cimetière) ; et qui, depuis lors, ont dépensé sans compter _ ce point est capital : la générosité ; l’amour (sans fond) et à perte ! _ leur temps _ oui !!! donner de son temps à qui on aime… _, leurs souvenirs et bien d’autres choses encore pour moi ;


puis, vis-à-vis de mes frères et de ma sœur, et leurs épouses et époux, qui ont été, comme ces pages l’ont montré, non seulement des supporters enthousiastes, mais aussi des participants actifs et constants du projet Bolechow : Andrew Mendelsohn et Virginia Shea ; Matt Mendelsohn et Maya Vastardis ; Eric Mendelsohn ; Jennifer Mendelsohn et Greg Abel _ leurs noms sont cités in extenso.


Il serait toutefois injuste de ne pas souligner ma gratitude profonde _ toute particulière, ici _ envers Matt _ l’auteur de la plupart des nombreuses photos qui composent aussi « Les Disparus » _, dans la mesure où il a collaboré pleinement à ce projet, du début jusqu’à la fin _ et continue ! en ses « suites… : cf les expositions des photos de Matt Mendelsohn, accompagnant les présentations des « Disparus » par son frère Daniel, de par le monde, comme au Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffrioy l’Asnier, à Paris, par exemple… _ ; le récit _ = « a search« , une quête tout autant qu’une enquête ! _ conté dans ce livre doit tout autant à lui qu’à moi ; et pas seulement parce que tant de pages de ce livre donnent la preuve de son talent _ de regardeur (et saisisseur d’images) _ extraordinaire.

Si je dis qu’il a une façon magnifique de voir les choses, je fais référence à quelque chose de plus que son œil de photographe professionnel ; au bout du compte, sa profonde humanité _ le mot va (et considérablement !) loin : « bien faire l’homme« , dit notre Montaigne, quand tant le font si vilainement… (= non « non-inhumainement » !..) ; et il s’agit ici de la « profonde humanité » de Matt _ s’est inscrite dans les mots _ du livre : ceux, en aval, de Daniel _ autant que dans les images _ de Matt lui-même… Parmi tout ce que j’ai trouvé au cours de ma quête, il _ Matt ! _ est le plus grand trésor«  : quel hommage !

et compte-tenu de ces considérants-là,

nos deux auteurs, Régine Robin et Daniel Mendelsohn, sont des chercheurs (et au plus concret de leur propre existence _ et œuvre, si étroitement mêlée à elle ; comme cela se doit) de liberté ; c’est-à-dire de l’épanouissement de la puissance humaine de chacun, pour reprendre l’analyse la plus riche et la plus juste de ce qu’est la liberté, je veux dire celle de Spinoza dans l' »l’Ethique« ….

Avec le critère décisif _ qui s’éprouve (et pas sur commande ! pas instrumentalement !) _ de la joie…


Aussi, voudrais-je mettre en regard de la finesse (et justesse) de leurs analyses _ tant dans « L’Étreinte fugitive » et « Les Disparus« , pour lui, que dans « Mégapolis » et  » « Berlin chantiers« , pour elle,

la très belle analyse du désir _ et aussi de la joie (et de l’amour) _ que propose le très fin (et toujours bref, aussi !) _ Clément Rosset,

dans un bien beau (et si juste, comme toujours !) récent texte de 30 pages en tout et pour tout ;

+ un « Avant-Propos » de même pas deux pleines pages… qui n’est ni plus ni moins que le récit de ce « rêve«  effectué, si j’ose ainsi le qualifier, « dans la nuit du 30 au 31 mai 2007 »  qu’évoque le titre de ce petit essai _ page 7 ;

et « l’écrit qui (le) suit » n’étant, en sa teneur, « que le strict développement (sic) de ce plan _ à toute vitesse brossé dans le rêve _, quelque chose comme son passage à l’acte«  ;

avec, à peine encore, cette ultime infra-précision concernant cet « écrit«  : « Il n’est ainsi que la simple réalisation d’un rêve _ de philosophe _ ; revu et développé certes mais ni revu ni tronqué« 

_ soit comment l’inspiration philosophique, chère Marianne Massin (auteur d’un « La Pensée vive _ essai sur l’inspiration philosophique« ), peut advenir jusque dans l’activité nocturne du rêve au cours du sommeil !.. _ ;

il s’agit de

« La Nuit de mai« , paru le 14 février 2008, aux Éditions de Minuit…


Je me permets d’en retenir ceci :


D’abord cette parole (de « conseil » _ de « quelqu’un » ! _ à propos d’« une conférence sur « le désir »«  que Clément Rosset pense devoir (« il me faut«  !) « prononcer dans l’après-midi«  même, à Nice ; je reproduis in extenso le passage de la page 8 :

« Or voici que quelqu’un (que je n’identifie pas dans le rêve, mais à qui je me sens très redevable dans la réalité) me prend à l’écart pour me dire : « C’est pourtant bien simple. Il suffit de montrer que le désir est quelque chose de très compliqué, ou plutôt de très complexe _ c’est beaucoup mieux, en effet ! On ne désire jamais quelque chose _ d’unique, séparé d’un contexte _, mais une pluralité _ en quelque sorte « ouverte »… _ de choses.

Evoquez en passant Deleuze

et concluez avec Balzac.

Le début ? Eh bien, il n’y a qu’à parler du « Combray » de Proust, de la petite madeleine. »

Pour la référence au « Combray » de Proust _ une Bible, en effet ! _, voici la source vive, donnée page 13 :

« Comme dans ce jeu où les Japonais _ cf une très belle scène du film « Domicile conjugal » de François Truffaut _, s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque là indistincts qui, à peine y sont-ils trempés, s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables ;

de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du jardin de Monsieur Swann _ « Combray » constitue le (grand !) chapitre d’ouverture de « Du côté de chez Swann » _, et les nymphéas de la Vivonne,

et les bonnes gens du village et leurs petits logis _ tout se précipite et accourt _ et tout Combray et ses environs,

tout cela qui prend forme et solidité,

est sorti,

ville et jardins, de ma tasse de thé«  _ page 13 de « La Nuit de mai« …

Clément Rosset commente : « Autrement dit Combray n’est pas en soi, ou à lui seul, un objet _ séparé, individualisé et, statiquement, coupé du reste _ de joie ou un sujet de désir (en l’occurrence rétroactif, comme il advient toujours chez Proust), mais la somme _ et même le produit, la multiplication proliférante et féconde _ des joies et des désirs connotés par l’enfance de Proust _ ou plutôt « Marcel » seulement, le narrateur de la « Recherche » ; et pas directement, du moins, l’auteur, Proustà Combray. (…) Je suggère qu’un objet d’amour n’est jamais _ pour qui le ressent et l’éprouve, cet « ob-jet«  _ seul _ statiquement, en quelque sorte ; et figé… _ mais toujours accompagné (…) d’un ensemble de facteurs favorables _ dynamiques, dynamisant _ qui le favorisent _ en son statut même d’objet désiré _ et lui tiennent lieu, comme pour un mets réussi _ c’est-à-dire véritablement « appétissant »  et « réjouissant » _, d’excellente et nécessaire _ oui ! _ garniture«  _ comme la dynamique des guirlandes des notes bien mal nomméees « d’accompagnement« , et de leur jeu, surtout, improvisé, dans l’interprétation de la musique baroque, ou dans le jazz, ou dans tout vrai concert euphorisant ; et pas seulement dans les cadences dont je parlai hier à propos de celles de l’éblouissant Martin Fröst dans les œuvres concertantes pour clarinette solo (virtuose) de Weber, à propos de la vertu charmeuse de l' »élégance »…


Le propos de Clément Rosset _ page 15 _ sera donc de formuler « les raisons pour lesquelles un bonheur, s’il est seul, est moins une marque de joie qu’un symptôme dépressif » _ cf du même Rosset : « Route de nuit _ Episodes cliniques« 

« A mes yeux _ précise alors Clément Rosset _ la joie parfaite (que j’ai appelée « force majeure« ) ne se contente pas d’un accompagnement idoine _ et refermé sur lui ; clos ; sécurisé ! garanti à tous égards (y compris contractuels) !!! _ mais exige _ eh oui ! _ un accompagnement plus général _ et festif, s’il vous plaît ! _, englobant l’approbation de toutes les choses dont on peut avoir l’expérience » _ cf Montaigne, ce maître ès joie, au final de l’essai « bouquet-final » lui-même des « Essais« , « De l’expérience« , Livre III, chapitre 13 : « Pour moi donc, j’aime la vie et la cultive _ activité capitale ! sinon, on « perd«  son temps !.. en laissant « couler et échapper«  sa vie… _ telle qu’il a plu à Dieu nous l’octroyer. (…) On fait tort à ce grand et tout-puissant donneur de refuser _ pour quelque détail qui déplaît _ de refuser son don, l’annuler et défigurer. Tout bon, il a fait tout bon. » Ce que Georg-Friedrich Händel traduit, au final magnifique (peut-être le sommet de tout l’œuvre haendelien) de l’acte II de son « Jephtah« , en 1752, par ces paroles puissantes de l’immense chœur : « Wathever is, is right. » Et que Nietzsche nomme l’épreuve (cruciale) de « l’éternel retour (du même) »..

« Etre amoureux, continue Rosset, signifie qu’on est amoureux de tout, comme l’exprime si bien _ oui !!! l’expression est magnifique ! _ un amant dans une pièce du dramaturge latin Trabea : « Je suis joyeux de toutes les joies » _ « omnibus laetitiis laetum » », page 15.


Plus loin, page 18 :  » Ce que j’ai dit jusqu’ici de la joie peut naturellement se dire aussi du désir, pour cette raison _ que je me permets de partager pleinement ! _ que joie et désir sont des termes complémentaires qui frisent l’identité. L’homme joyeux désire (et à la limite désire tout) ; le triste ne désire guère (et dans les cas de tristesse aiguë, c’est-à-dire de dépression, ne désire _ carrément _ rien). L’amour étant la forme la plus intense du désir _ oui ! _, La Fontaine _ que je pense connaître un peu pour avoir avec un peu de soin construit la majeure partie du programme du CD « Un portrait musical de Jean de La Fontaine« , en 1995 (paru chez EMI en mars 1996, par La Simphonie du Marais, dirigée par Hugo Reyne) ; et écrit le texte du livret de présentation de ce beau programme _ ;


La Fontaine _ un des sommets de l’Art français... _ résume en quelques mots l’identité du désir et de la joie lorsqu’il écrit, au début des « Animaux malades de la peste » : « Plus d’amour, partant, plus de joie ».«  Et « de même que la joie ne saurait surgir _ oui ! à l’occasion d’un seul motif _ qui lui a donné de son mouvement (ascendant : jusqu’à atteindre le plan _ a-temporel, lui _ de l’éternité) _, le désir ne peut naître _ sourdre _ que s’il vise, non un seul objet _ et c’est tout ! _, mais un objet auréolé _ dynamiquement, en quelque sorte _ d’autres occasions _ sourcières _ de plaisir _ ou plutôt « joie«  (…) Ce qui doit finir, surtout lorsqu’il doit incessamment finir, n’a jamais eu aucun goût. Cioran le répète sous une forme ou une autre : ce qui doit finir est déjà fini. Nul n’a jamais désiré quoi que ce soit, si ce quelque chose n’est pas répétable à merci, au moins en imagination, et moyennant _ aussi, en effet ! _ quelques variations, comme le dit Leibniz dans la « Théodicée« , qui contient curieusement une première version du retour éternel nietzschéen : « Je crois qu’il se trouverait peu de personnes qui ne fussent contentes, à l’article de la mort, de reprendre la vie, à condition de repasser par la même valeur des biens et des maux, pourvu que ce ne fût point par la même espèce : on se contenterait de varier sans exiger une meilleure condition que celle où l’on avait été ». »

Ce que Clément Rosset commente ainsi, page 20 : « Autrement dit, l’accomplissement d’un désir n’a de sens que s’il est accompagné de la perspective _ ouverte ! _ de mille autres accomplissements du désir.« 

Car « en réalité l’objet désirable n’est désiré que si l’accompagne la perspective _ dynamisante _, même fugace _ et c’est son jeu qui nous charme ; même au prix de déceptions répétées _, d’une multitude d’autres objets désirables _ eux aussi _ ; que dans la mesure où il est mobile ; où il ne tient pas en place _ l’enfer, c’est l’immobilité d’un huis-clos : généralisant l’horreur (médusante) du pratico-inerte sartrien !  _, tel un vif-argent.

Le désir est
_ très freudiennement, même si Clément Rosset ne l’aborde pas ainsi ici _ dans le déplacement ; lequel Clément Rosset préfère se référer, page 21, au « De natura rerum » de Lucrèce : « Vénus est « vulgivaga » _ au vers 1071 _ : c’est une vagabonde qui saute sans cesse d’un lieu à l’autre.« 


C’est que « sans ce que j’appellerai le combustible _ adjuvant dynamiseur conditionnant et entretenant le feu _ du désir, c’est-à-dire tout un mélange d’autres désirs et de raisons de désirer _ soit tout un monde !!! ; où tout élément renvoie, d’une façon ou de mille autres, à mille autres éléments ayant un semblable pouvoir (kaléidoscopique !) _, le désir _ plombé ! _ ne décolle pas« , page 27…« Or, ce combustible est précisément ce qui fait totalement défaut au déprimé. Il perçoit bien qu’une prise de taille s’offre à lui. Pourtant il n’en a, à strictement dire, rien à faire : parce que cette prise, « isolée », n’aura ni témoin ni observateur _ ni rebondissement éventuel, ni jeu d’ouverture _, tel un spectacle merveilleux qui n’aurait pas de public. A quoi bon ?  : c’est l’éternelle rengaine du dépressif« , page 27 aussi…

Voilà ce jeu ouvert (et joyeux) du désir qui plaît aussi tant à Daniel Mendelsohn, qu’à Régine Robin, en leurs villes ouvertes… Même si le désir peut, à l’inverse, être menacé de danse de Saint-Guy…

Un monde a certes besoin d’ouvertures et de perspectives de rebonds _ et de filiations, en aval (et pas seulement en amont), ainsi que de vraies œuvres ;

mais il a besoin aussi de sujets ayant du répondant, avec une capacité vraie de converser (autre que mécanique _ cf les répondeurs automatisés…) _ pas seulement de (beaux) mannequins (avec lunettes noires Armani, ou autres : mettre ici tous les noms _ interchangeables _ qu’on voudra ; et en I, et en A…) ;

il a besoin, pour être un « monde » réel (et pas rien que virtuel), d’amitiés et d’amours vraies entre des sujets qui en soient eux aussi vraiment, en leurs principaux actes, du moins ; et pas de commodes objets _ ou pures silhouettes, ou sacs de son _ qu’on pourra systématiquement « éluder » (un clou chassant l’autre…) ;

avec de vraies confiances ; et constances ; et fidélités…

On y discerne aussi tout ce qui distingue la vraie plasticité _ qu’analyse la philosophe Catherine Malabou, par exemple dans « Que faire de notre cerveau ? » _ ; de ce l’on cherche à tout prix à nous fourguer sous la scie prétexte de « flexibilité » managériale…


Et il me semble que tout cela se lit aussi dans les dangers que soulignent, sans les négliger, à « bien » les lire, ces œuvres profondes et importantes (et éminemment cultivées…) de Daniel Mendelsohn _ « L’Étreinte fugitive » et « Les Disparus » _ et de Régine Robin _ « Berlin chantiers » et « Mégapolis« …

Titus Curiosus, ce 18 févier 2009

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