Posts Tagged ‘altérité

Dialogue sur le penser des Arts : lire le « Philosophie de l’art » de Fabienne Brugère et Julia Peker, ou comment apprendre des avènements progressifs des Arts, aujourd’hui

26nov

Mardi soir 23 novembre,

dans les salons Albert-Mollat de la rue Vital-Carles,

Francis Lippa a dialogué (le podcast dure 50 minutes)

avec Fabienne Brugère

sur son (avec Julia Peker) Philosophie de l’art,

qui vient de paraître aux Presses Universitaires de France.

Bien plus qu’un manuel

destiné peut-être d’abord aux Étudiants de Philosophie (et Esthétique),

ce livre important _ et passionnant ! _ de 269 pages

est loin de consister en un simple panorama _ exposé factuel _ de l’état présent de la réflexion philosophique, même la plus pointue et la mieux lucidement ouverte

sur ce que sont les activités et productions artistiques,

en particulier aujourd’hui _ et cela, en toute la richesse de leur profuse et complexe diversité ! en priorité en ce qui concerne les Arts plastiques _, en ce tournant du millénaire,

mais qu’il propose bel et bien un véritable creusement

profondément éclairant (philosophiquement !)

de ce qu’est pour les artistes

_ et les plus authentiques, tout spécialement ! les auteures ont (très heureusement) privilégié les exemples qu’elles apprécient ou préfèrent ! auxquels va toute leur sympathie… On pourra le compléter, je me permets de le suggérer ici, par la lecture très substantielle du très beau et très riche 53 œuvres qui (m’) ébranlèrent le monde, de Bernard Marcadé, paru l’année dernière aux Éditions Beaux-Arts (et sous-titré Une lecture intempestive de l’Art du XXème siècle…) : un livre de « regards« , lui aussi exemplaire !.. sur les Arts depuis L’origine du monde, de Gustave Courbet, en 1866, à l’Hommage aux hirondelles, de Niele Toroni, en 1997… _

un véritable creusement, donc,

de ce qu’est pour les artistes

le penser _ leur penser _ même (à l’œuvre ! œuvrant ! « à l’ouvrage« , dirait un Jean Dubuffet…),

ouvert, tendu, secret, mais se manifestant peu à peu, cheminant plus ou moins sourdement, en effet, mais obstinément « instaurant« ,

selon le concept que les auteures empruntent (très judicieusement) à Étienne Souriau (cf son Vocabulaire d’Esthétique…)

_ pour ma part, j’aurais aussi fait appel au concept de poiesis (et de poïétique) que manie un Mikkel Dufrenne (cf, par exemple, son très beau travail Le Poétique…) _

le penser même, œuvrant,

de leur activité singulière artiste ;

et dont l’œuvre

(ou les œuvres _ les productions en tous genres, et parfois fort divers !..)

_ ce concept est magnifiquement « travaillé«  par Fabienne Brugère en son chapitre II, « L’œuvre (dé)grisée« , déployé de la page 81 à la page 132 _

n’est (ou ne sont) à certains égards qu’un témoin, une trace,

un résidu,

voire un déchet

_ si l’on consent à mettre un peu ses pas dans ceux d’un Antonin Artaud (cf Le Pèse-Nerfs…),

comme semble s’inciter à le faire, peut-être, Julia Peker, auteure d’un très récent Cet Obscur objet du dégoût, que Fabienne Brugère a publié dans la collection Diagnostics qu’elle dirige aux Éditions Le Bord de l’eau : c’est, me semble-t-il, au moins, ce qui vient colorer certains des chapitres de ce Philosophie de l’art, et en particulier sa conclusion : pour ma part, je résiste tout de même quelque peu, comme cela peut se soupçonner discrètement à l’audition de notre conversation, à la coloration quasi trash de ce penchant (surtout quand on l’applique aux Arts), dans lequel, et toujours pour mon humble part, je verrais comme les vestiges d’une sorte d’imprégnation, même up to date (ainsi appliquée aux Arts _ ou à la Culture, sinon à la Civilisation ! _, tout spécialement : vers un trash chic !!!) du masochisme nihiliste (mortifère !) contemporain, contre lequel Nietzsche, en son Zarathoustra (un livre pour tous et pour personne, le sous-titrait-il, plus que jamais intempestivement actuel !!!), par exemple,

contre lequel Nietzsche

appelait à un vigoureux sursaut

(de vie !) :

« Encore un siècle de lecteurs, et l’esprit va se mettre à puer« , diagnostiquait-il en sa lucidité magnifique !

en un chapitre capitalissime de ce Zarathoustra : « Lire et écrire« 

On aperçoit alors où peut mener la dérive hors de l’enthousiasme du « spectateur«  dé-passionné !..

Même si jamais le ton de Fabienne,

ni en l’écriture magnifiquement déployée du livre,

ni en l’éclat de sa parole claire et éloquemment détaillée (et illustrée de très judicieux exemples donnant à ressentir aussi, selon l’aisthesis, ce que ses concepts affutés excellemment dégagent en son analyse), en sa conférence,

n’a cette coloration décadente…

Fabienne choisissant, a contrario, de privilégier toujours l’empathie d’une approche positive,

amie,

envers la démarche, toute de fragilité _ en l’exposition la plus audacieuse à l’altérité dans sa plus extrême singularité : celle d’à son meilleur et le plus authentique… _ des artistes,

et s’interdisant tout surplomb _ qui serait seulement conceptuel _ qui pontifierait, de haut, et froidement, en quelque sorte.

C’est en tout cas cela que j’ai moi-même voulu signifier en insistant un peu sur l’exigence de valeur des artistes eux-mêmes _ et pas celle des critiques extérieurs ! _, en leur parcours poïétique, en leur working progress « instaurant« , avec la plus haute rigueur : celle de la probité de ce qui se cherche

en leur penser-expérimenter-œuvrer, donc…

Et qui peut donner lieu,

et sans forcément que cela soit recherché comme une « marque » pour seulement se faire remarquer, se _ bourdieusement… _ distinguer _ sur un marché (dramatiquement concurrentiel !) de consommation-achat-vente, par exemple… _

à un style :

cf le beau mot de Buffon

en son Traité du style : « le style, c’est l’homme même« ,

en son improbable singularité, donc ;

en sa propre, quasi monstrueuse, altérité à lui-même, se découvrant, sourdement ;

ou, encore : le « Je est un autre » d’Arthur Rimbaud…

Alors l’exposition _ par l’artiste, qui en propose en quelque sorte l’offre,

ou, mieux encore et plutôt, en fait (absolument !) le don (gracieux !) :

de cet exposer même !

(et sans exhibitionnisme !! est-il seulement besoin de le mentionner ?.. :

cela ne peut être que discret, intime ! quasi secret, et à la sauvette…) _,

ou mieux encore _ Fabienne le développe ! _ la « rencontre »  !

_ par le rencontreur même : qui veut bien se laisser aller (= consentir à…) s’y exposer, à son tour, en une expérience (dont l’intensité de l’enthousiasme _ de l’aisthesis : du corps propre s’y ouvrant… _ peut même aller jusqu’à une quasi explosion du ressenti… ;

même si tout cela ne peut être, de même aussi pour lui, forcément !, que discret, intime, quasi secret, et comme à la sauvette !

et en symétrique de l’intimité ultra-sensible, quasi à hurler silencieusement, de l’artiste lui-même !)

en une expérience

qui peut, donc, à l’occasion (assez rare ! tout de même…), se révéler, intensément, très forte :

cf là-dessus l’analyse tout bonnement sublime (!) qu’en livre, en toute sa générosité, Baldine Saint-Girons en son très grand (!! : je ne le recommanderai jamais assez !) L’Acte esthétique (aux Éditions Klincksieck) ;

et nous sommes là, en pareille « rencontre«  (activement esthétique ! donc), considérablement plus loin que ne pouvait aller le spectator (à la suite de celui d’Addison et Steele…) toujours passablement refroidi, lui, et, somme toute, toujours assez compassé (par quelque, tout de même, sorte de tampon-filtre anesthésique précautionneux…),

d’Adam Smith :

dont Fabienne Brugère nous donne une somptueusement lumineuse analyse, aux pages 193 à 207 de son chapitre Le Spectacle de l’Art… Et c’est même là un temps fort magnifiquement éclairant de ce travail ! Quand on le rapporte aux autres conséquences, un peu mieux connues, elles,  des analyses d’Adam Smith… ;

et sur ce spectator, justement,

on ne saurait faire l’impasse sur le décisivement magistral, lui aussi, Homo spectator,

de mon amie Marie-José Mondzain (aux Éditions Bayard)… :

Homo spectator et L’Acte esthétique sont des lectures absolument indispensables !!!… _

alors

_ et je reprends le fil de mon élan après cette incise consacrée au spectator _

l’exposition,

ou mieux encore la « rencontre »  !

_ en son ultra-sensibilité aussi discrète, intime, que puissamment explosive ! _,

d’un tel processus

improbable et fragile

est, en effet,

un merveilleux cadeau

_ donné (par l’un), reçu (par l’autre) : les deux ayant su (et appris à) _ c’est une force ! _, hors train-train, y consentir…

Donnant lieu, cette « rencontre » un peu rare,

à une expérience _ hors préméditation, ni calcul ;

et elle-même, forcément (ainsi en aval), elle aussi un peu rare,

en pareille discrétion et secret (aux antipodes du moindre exhibitionnisme hystérisé !) de « rencontre«  des intimités des ultra-micro-sensibilités ainsi ouvertes et offertes !.. _

de joie,

à peut-être, qui sait ?,

daigner

_ c’est la visitation de l’Ange ! le passage (ultra-furtif et si peu repérable, pour peut-être savoir, à l’instant de son apparaître si fugace, l’alentir, et accueillir, et recevoir ! s’en faire l’hôte le plus humblement dévoué…) de la Grâce ! _

daigner

partager

_ expérience proprement esthétique que cette joie singulière-là…


Inutile de préciser, donc,

que,

à mon tour

de lecteur de ce livre,

je partage dans toute sa plénitude cette démarche _ toute amicale _ d’accueil

et de sympathie,

celle de la curiosité ouverte et amie, affectueuse,

de Fabienne Brugère

à l’égard

de ce que nous avons qualifié, en notre conversation,

d' »expérimentation« 

audacieuse, courageuse

_ en l’audace, toute de probité, de sa fragilité discrète même… _,

d’artistes contemporains…

Bravo donc pour ce travail passionnant

d’exploration

quant aux Arts

pensant vraiment

_ et autrement que conceptuellement :

à travers quelque aisthesis

donnant, d’une façon ou d’une autre, à s’exposer (sans s’exhiber)

à d’autres que soi,

sans fausse posture

(ou imposture : hystérisée en quoi que ce soit) de soi… :

au service d’un autre Soi (étrangement plus grand que soi,

et cela pour chacun ! pas que pour l’artiste !)

qui vient discrètement,

« se trouvant«  ainsi alors en cette « expérience » d’aisthesis

partagée,

s’y découvrir… _

bravo donc

pour ce travail passionnant

qu’est ce Philosophie de l’art

de Fabienne Brugère et Julia Peker…

Titus Curiosus, le 26 novembre 2010

Post-scriptum :

le mardi 25 janvier 2011,

j’aurai la grande joie de dialoguer à la librairie Mollat, au 91 de la rue Porte-Dijeaux,

avec la magnifique Baldine Saint-Girons

_ cf et son génial Fiat lux : une philosophie du sublime, au Quai Voltaire ;

et son si merveilleux L’acte esthétique, aux Éditions Klincksieck _ :


à propos de son dernier important essai d’esthétique, Le Pouvoir esthétique,

aux Éditions Manucius,

dont voici

_ cf aussi mon article de présentation, en date du 12 septembre 2010 : les enjeux fondamentaux (= de civilisation) de l’indispensable anthropologie esthétique de Baldine Saint-Girons : “le pouvoir esthétique” _

la quatrième de couverture :

Mettre en évidence «le pouvoir esthétique», c’est souligner l’intrication des questions de l’esthétique à celles de l’éthique et du politique. Le pouvoir naît d’un vouloir et se heurte à d’autres pouvoirs. Sous la diversité des apparences, il concerne la force de l’apparaître, compris en ses trois temps : projet, stratégie, effets. Faut-il plaire, inspirer ou charmer ? Rechercher la dignité du beau, la gravité du sublime ou la suavité de la grâce ? Parmi les trois figures de la laideur ou du mal, notre adversaire est-il d’abord la difformité qui dissone, la médiocrité qui enlise, ou la violence qui révulse ? Le beau peut être médiocre et violent : il ne saurait manquer d’harmonie. De même, le sublime peut être compatible avec la difformité et la violence : il disparaît avec la médiocrité. Et la grâce peut être dépourvue de beauté et d’originalité : la douceur ne saurait lui faire défaut. À chaque combat sa technique : l’imitation des meilleurs, l’invention du nouveau, l’appropriation de traits gracieux. De là des résultats divergents : l’admiration va à ce qui plaît, l’étonnement à ce qui inspire, la gratitude à ce qui charme. Rompre les trois cercles maudits du mépris niveleur, de la médiocrité agressive et de l’envie négatrice, tel est l’enjeu. Dans quelle mesure ces trois grands types de pouvoir esthétique sont-ils exclusifs, chacun des deux autres ? Si Burke dégagea, au milieu du XVIIIe siècle, ce qu’on peut appeler le dilemme esthétique entre beau et sublime, est-on aujourd’hui fondé à parler d’un trilemme esthétique entre beau, sublime et grâce ?

A suivre…

la flânerie stambouliote très attentive d’une chaleureuse : « Istanbul Carnets curieux » de Catherine Izzo

10oct

Sur un livre merveilleux

d’attention chaleureuse

à une ville _ sublime ! _,

et à sa vie, ses habitants _ c’est une ville-monde ! _ :

Istanbul.


Le livre

(aux Éditions le bec en l’air)

s’intitule Istanbul _ Carnets curieux ;

son auteur est la photographe (marseillaise depuis longtemps : elle est l’épouse du regretté Jean-Claude Izzo _ cf par exemple son Vivre fatigue_)

Catherine Izzo ;

elle est aussi une amie

de mon ami Bernard Plossu.

Ici,

et en guise d’introduction en image à l’article,

on pourrait regarder la photo Bosphore IV, page 73 _ soit la numéro 1 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Hier, une fois achevée la lecture du texte (des Carnets Curieux) _ superbe ! _

qui accompagne les 91 _ admirables ! _ photos

_ les 24 chapitres (avec plans !) de ces Carnets vont de la page 114 à la page 209 ; et sont datés « Istanbul, Marseille, Lille, Carnac, 2006-2010 » ;

ils se terminent, page 209, par ces mots :

« Je reviendrai.
Hosça kal ! (Adieu ! Restez joyeux !)« _,

j’ai adressé ce message à Bernard :

De :  Titus Curiosus

Objet : Mail de Catherine Izzo
Date : 9 octobre 2010 08:36:41 HAEC
À :   Bernard Plossu

J’aimerais témoigner à Catherine Izzo
du très grand plaisir
que m’a donné son Istanbul _ Carnets curieux

dont je viens à l’instant d’achever la lecture…

C’est un livre
qu’on aimerait (humblement !) avoir écrit,
tant il est juste en sa finesse
et en la profonde délicatesse (= légère !) de sa curiosité
à tant de singularités
_ en son approche humblement caressante (sublime !) de la beauté vraie de l’altérité (aimée)

C’est ainsi qu’il faut apprendre à voyager, séjourner _ regarder, (essayer de, s’essayer à) contacter : hors tourisme, si tant est que cela soit possible ! et avec tout le temps nécessaire… _,

dans l’amitié de qui

_ ici Ergül

(« jeune stambouliote solide, le visage ensoleillé, elle porte toujours ses cheveux très courts : « c’est plus simple ! »..« , page 149 ;

elle « a vécu dix-sept ans en France _ son père fabriquait des automobiles chez Peugeot«  ;

et « maîtrise parfaitement le français et l’anglais« , page 167 ;

s’intéressant, peut-être professionnellement à l’archéologie, « Ergül voudrait découvrir les grands sites grecs de la Sicile. Mais la Turquie n’appartient pas à l’Europe, et même si l’on sait qu’Istanbul est plus près de Rome, de Naples ou de Palerme que de Bagdad, les tracasseries administratives d’une Europe frileuse et tatillonne freinent toute spontanéité. Il faut des semaines pour obtenir une autorisation de transiter« , page 167 aussi…) ;

mais aussi les égards rencontrés du « gardien du petit hôtel de bois« ,

des « serveurs des jardins de thé«  ;

et encore les mouvements des « tortues des cimetières« ,

ainsi que ceux des « barques des pêcheurs du Bosphore » ;

et encore « la douce lumière sous les treilles«  :

à laquelle, Ergül, (et auxquels, aussi) est dédié, page 7 ce merveilleux livre… _

dans l’amitié de qui

vous fait partager ses sentiers…


Aussi,
j’aimerais que tu me fasses parvenir son adresse Internet.

Titus

P.s. : je n’ai rien dit des photos,
parce qu’elles sont merveilleuses de justesse et beauté,
tout simplement…


J’ai l’intention de consacrer à ce livre _ rare à ce degré de beauté _ un article de mon blog
_ le voici !

Tu sais combien j’aime Istanbul, moi aussi ;
et combien je souhaite retourner y vagabonder…

Fin du courriel à Bernard Plossu ;

et début du corps de l’article :

Parmi les photos disponibles sur le net

_ en l’occurrence sur le site personnel (Passevue) de Catherine Izzo _,

voici une sélection, mienne :

D’abord,

l’arrivée idéale à Istanbul

est par bateau : en contournant la pointe de Topkapi, étrave à la rencontre du Bosphore, depuis la mer de Marmara, pour débarquer

_ tel le Michel-Ange du Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, au printemps 1506, dans le récit de Mathias Enard ;

cf mes articles des 2 et 11 septembre 2010 :

Au menu du (bon) ogre Enard : le géant Michel-Ange, le pouvoir, le sexe et l’effroi, en un Istanbul revisité à l’ére du tourisme “culturel” mondialisé…

et : Mathias Enard, ou le creuseur pudique : face à l’énigme de l’oeuvre et les secrets du coeur (à partir de l’exemple de Michel-Ange à Rome _ et Istanbul !!!) ;

ainsi que mon entretien avec Mathias Enard, le 8 septembre : le podcast dure 62 minutes… _

pour débarquer

à l' »échelle«  _ le quai, depuis si longtemps que la ville, Constantinople, existe… _ d’Eminönü…

Et ce, par quelque temps que ce soit :

la brume et la pluie n’étant certes pas les moins appropriés à l’émerveillement de la découverte ;

de l’approche _ celle-ci ne finissant, d’ailleurs, jamais !

La gloire de son mystère s’enrichit !..

Voici, parmi la moisson d’images captées par Catherine Izzo,

une arrivée_ stambouliote _ possible :

la photo Bosphore VI, page 106… _ soit la numéro 16, en comptant de gauche à droite et de haut en bas, de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Même par gros temps ;

on peut encore y pêcher…

Ici on pourrait regarder la photo Pêche à Üsküdar _ rive asiatique, page 105 _ soit la numéro 30 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

On trouve toujours un débarcadère :

ici on pourrait regarder la photo Débarcadère, page 104… _ soit la numéro 27 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Puis, on pénètre en la ville, aux sept collines, elle aussi ;

et il nous faudra toujours grimper un peu : les rues et ruelles _ avec platanes _ affrontent vaillamment les pentes herbeuses, et se glissent, en se faufilant, dans ce qui fut peut-être autrefois un ruisseau, sinon une cascade ;

il y a aussi bien des escaliers…

© courtesy Catherine Izzo : Pasaj II _ Istiklal, page 50.

Et viennent de merveilleuses maisons de bois,

dans certains quartiers _ par exemple, et tout particulièrement, encore,

à Fener, et Balat ;

elles risquent cependant de bientôt disparaître, face à la spéculation immobilière galopante, ici comme ailleurs ;

sur ce sujet,

cf le très beau film du réalisateur italo-turc, Ferzan Oztepec : Hammam (en 1998 : avec Alessandro Gassmann)…

Ici on pourrait regarder la photo Galerie supérieure de Vezir hane _ Beyazit, page 40… _ soit la numéro 10 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Et les intérieurs, orants _ après s’être déchaussés (et nettoyés aux fontaines) _, des mosquées :

par exemple, la photo Prière II, page 88 _ soit la numéro 20 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Et encore, en suivant, la photo Arabesque I, page 90 _ soit la numéro 8 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Et le lacis labyrinthique des ruelles et rues

des multiples quartiers :

© courtesy Catherine Izzo : Cankurtaran I, page 26.

et

aussi la photo Samatya, page 47 _ soit la numéro 14 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Et, bien sûr, Aya Sofya,

toujours magique :

ici, par exemple, la photo Aya Sofya II, page 43 _ soit la numéro 6 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Et ses alentours :

ici on pourrait regarder la photo Tombe II _ Divan Yolu _ Vers Beyazit, page 94 _ soit la numéro 9 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo… ;

ou

la photo Eminönü III, page 60 _ soit la numéro 11 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Aya Sofya, toujours, toujours, si puissante :

© courtesy Catherine Izzo : Aya Sofya I, page 29

Puis, les escapades vers les périphéries tentaculaires,

en constante continuelle expansion :

ici on pourrait regarder la photo « Bonne année » _ Kandili _ Rive asiatique, page 45 _ soit la numéro 4 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Et encore :

© courtesy Catherine Izzo : Vers Tekirdağ II _ Hommage à Fellini _ Grande banlieue d’Istanbul, page 54…

Ou les quartiers d’affaires et de commerces, hyper-animés ;

Istanbul est une de ces mégapoles

dont parle si bien Régine Robin, en son Mégapolis

_ cf mon article du 16 février 2009 : Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin _ ;

dont le sous-titre est les derniers pas du flâneur… :

ici on pourrait regarder la photo « Kanyon » _ Saryer, page 20 _ soit la numéro 21 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Puis l’on revient toujours, ici,

vers les rivages,

tellement enchanteurs :

le flot y clapote…

© courtesy Catherine Izzo : Vers Tekirdağ IV _ Grande banlieue d’Istanbul, page 81 ;

Ou

la photo Kumpkapi I, page 15 _ soit la numéro 2 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Et sans cesse on prend

et reprend

le ferry

d’une rive

(l’une, européenne et, l’autre, asiatique, ainsi que cela se dit…)

à l’autre,

le temps,

à peine,

de déguster à bord un délicieux thé

tout brûlant :

ici on pourrait regarder la photo Bosphore V, page  75 _ soit la numéro 3 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…


et

la photo Bosphore II, page 23 _ soit la numéro 19 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…
;


et puis,

d’où partent les trains pour Bagdad :

ici on pourrait regarder la photo Hayderpaşa I _ Rive asiatique, page 14 _ soit la numéro 29 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Et de saluer,

en guise d’au revoir au lecteur,

la vista _ avec la mouette _ de l’ami Bernard Plossu :

ici on pourrait regarder la photo Hommage à Bernard Plossu III, page 111 _ soit la numéro 28 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Avant de repartir (d’Istanbul),

encore par bateau ;

mais avec l’idée (chère au cœur) de revenir

sur ce rivage du Bosphore

et des Eaux douces d’Europe _ l’autre nom de la Corne d’Or…

Ici on pourrait regarder la photo Bosphore IX, page 109 _ soit la numéro 15 de la page « Istanbul«  du site Passevue de Catherine Izzo…

Un livre merveilleux, chaleureux,

en la délicatesse de sa justesse,

que cet Istanbul _ Carnets curieux

de Catherine Izzo…

Titus Curiosus, le 10 octobre 2010

Post-scriptum :

Catherine Izzo cite aussi,

et à plusieurs reprises,

les beaux films de Nuri Bilge Ceylan :

Koza, Kasaba, Uzak, Les Climats, Nuages de mai, Les Trois singes

J’aime aussi beaucoup, beaucoup

les deux photos

_ à végétation plantureuse : ce pourraient presque être des vignes… _

qui se font face aux pages 18 et 19 :

Tombe I _ Jardin de Küçük _ Aya Sofya Camii ;

et 

Yeni Valide Camii, cour intérieure _ Üsküdar, rive asiatique


De l’ami Plossu,

j’ai appris à (re-)connaître aussi l’art de la mise en page…

En conclusion,

et pour donner aussi quelque échantillon de sa belle écriture fine, précise, juste et subtile,

ces deux extraits-ci, aux pages 132 et 133 :

« Istanbul sous la pluie… La ville se rapproche _ de la focale du regard _, se resserre, intime, sensible, feutrée. Une dimension nouvelle se dessine, inconnue et voilée, secrète et délicate. Les paysages se diluent, le ciel et les mers s’embrassent. Istanbul se métamorphose en une palette de gris subtils et raffinés, nuancier infini, d’une grâce exceptionnelle pour qui prend le temps de les contempler _ et de les ressentir et saisir alors.

Gris argenté des dômes des mosquées, gris cendré des coupoles des medrese, gris anthracite et mat de l’asphalte, gris porcelaine des marbres des türbe, gris bleu des fumerolles échappées des frêles cheminées tortueuses, gris brun des fumées des bateaux, gris éteint et lourd des silhouettes des cargos qui remontent lentement le Bosphore, gris vert de la colline d’Eyüp, gris tourterelle des fontaines, gris perle de la tour de Galata, gris rosé de la façade du Patriarcat orthodoxe grec à Fener, gris sombre de Teodos Suru.

La pluie lave les toits de plomb, souligne l’envol des minarets, adoucit le jaune des taxis, assombrit les façades des maisons de bois. Les bateaux ne sont plus que de simples contours fantomatiques, les mosquées de gros animaux fantastiques.

On pourrait imaginer ce tableau triste, voire sinistre.
C’est juste doucement mélancolique
_ voilà.

Les terrasses des çay bahçesi disparaissent, parfois simplement enfouies à la hâte sous des bâches de plastique translucides.
À l’abri des petits auvents ou des larges toits des marchés restent quelques tabourets sur lesquels les plus téméraires sirotent le thé éternel.

Un ruisseau, au milieu de la rue, dégringole vers les Eaux. J’ai toujours eu l’envie _ sans jamais le faire _ d’y déposer un petit bateau de papier et de suivre son chemin brinquebalant vers Marmara.
À l’intérieur des lokanta les vitres s’embrument. Derrière la buée les rues deviennent des no man’s land mystérieux et lointains, paysages propices à toutes les rêveries »…

Et juste neuf lignes, plus loin, page 133 :

« Plus j’y reviens, moins je suis convaincue qu’Istanbul est méditerranéenne.

L’œuvre de Nuri Bilge Ceylan s’impose tout à coup. Derrière des fenêtres brouillées de gouttes d’eau qui tracent des chemins improbables et fantaisistes, la caméra suit le regard des personnages. Leurs yeux se noient dans la ville devenue imperceptiblement _ presque à leur insu _ intime et charnelle » _ voilà encore…

Voilà ce qu’est un regard fin et juste :

d’artiste

pudique

vrai…

J’aurais aimé donner plus (ou mieux) encore le goût de contempler les quatre-vingt onze images d’Istanbul

que le livre _ de Catherine Izzo : Istanbul _ Carnets curieux, aux Éditions le bec en l’air _ propose

_ afin de goûter le plaisir de feuilleter le papier des 244 pages de ce livre _,

mais il m’a fallu restreindre l’enthousiasme de mon choix

_ au départ de vingt-quatre images… _

à cinq d’entre elles… :

j’ai donc choisi celles

que je préférais…

Les dix-neuf autres _ dont je cite le titre et la page dans le livre _ sont cependant accessibles

_ en veuillant bien compter… _

sur le site personnel de Catherine Izzo : Passevue

Qu’on aille y jeter un coup d’œil…

Mathias Enard, ou le creuseur pudique : face à l’énigme de l’oeuvre et les secrets du coeur (à partir de l’exemple de Michel-Ange à Rome _ et Istanbul !!!)

11sept

Voici, ce jour, une réflexion sur la présentation par Mathias Énard de son roman-fable-enquête Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants

soit un essai _ de réflexion artistique, entée sur des recherches d’érudition, tant à Rome (Mathias Énard fut pensionnaire de la Villa Médicis en 2005-2006) qu’à Istanbul, et très « en profondeur« , la réflexion artistique comme la recherche documentaire, de la part du probe, fin et patient Mathias Énard _ pour combler un trou de quatre mois dans la biographie de Michel-Ange :

d’avril 1506

_ quand, fuyant Rome (« Michel-Ange a quitté Rome sur un coup de tête, le samedi 17 avril, la veille de la pose de la première pierre de la nouvelle basilique San Pietro« , page 13), suite à une mésentente grave avec son employeur-commanditaire l’assurément peu commode pape-guerrier Jules II (« Il était allé pour la cinquième fois consécutive prier le pape de bien vouloir honorer sa promesse d’argent frais. On l’a jeté dehors« , ibidem…), le sculpteur, florentin, vient se réfugier à Florence, auprès des Médicis _,

à septembre 1506

_ on retrouve en effet le sculpteur à Bologne (possession pontificale, mais à ce moment-là en révolte contre l’autorité du pape), au mois de septembre 1506 ; deux mois plus tard, le 10 novembre 1506, Jules II reconquiert par les armes cette cité (qu’il connaît bien pour en avoir été jadis le cardinal-évêque : de 1483 à 1499) ; et très vite le pape et l’artiste se seront réconciliés ; mais, plutôt que de continuer à faire travailler en priorité le sculpteur au projet de son gigantesque tombeau pour la nouvelle basilique Saint-Pierre, Jules II préfère (l’architecte Bramante souhaitant aussi éloigner Michel-Ange _ un rival _ du chantier de la reconstruction de Saint-Pierre) lui confier la mission _ titanesque _ de peindre l’immense plafond de la chapelle sixtine : Jules II s’en soucie tout spécialement, en effet, car la chapelle sixtine, construite de 1477 à 1483, est une création de son oncle, le pape Sixte IV della Rovere (pape de 1471 à 1484) ; mais le bâtiment vient de souffrir d’importants dégâts causés par de récentes constructions adjacentes (d’une part, l’édification des appartements Borgia, pour le pape Alexandre VI ; d’autre part, le chantier _ colossal _ de la réfection de Saint-Pierre, qui avait débuté le 18 avril 1506) ; et c’est Michel-Ange, le peintre, qui va se consacrer à ce plafond de la Sixtine, de mai 1508 à octobre 1512…

présentation

donnée le mercredi 8 septembre 2010, dans les salons Albert-Mollat,

en dialogue avec Francis Lippa…

Rencontrer _ in vivo ! _ un artiste qu’on a un peu essayé de bien lire _ et qu’on va continuer d’essayer de bien lire : car en ce cas de l’artiste (« vrai« , donc !) Mathias Énard, l’œuvre (vraie ! ainsi qu’elle se révèle à l’épreuve de cette lecture…) ne se réduit certes pas à ce qui pourrait, d’elle, se résumer : elle y résiste et tient la route « vraiment«  ! c’est en cela qu’elle est, chose toujours un peu rare (et digne d’admiration !), une « œuvre vraie« _ ;

et avoir la chance, en plus, de disposer d’un peu le temps afin de s’entretenir (un peu, ici encore : une bonne heure et demi…), de dialoguer avec lui _ le podcast de l’entretien dure 62 minutes _, sur ce qui anime la démarche d’où sourd, jaillit, procède son propre créer,


c’est avancer un peu sur ce que Gaëtan Picon et Albert Skira formulèrent, naguère _ magnifiquement ! _, comme « les sentiers _ ce ne sont pas des boulevards ! _ de la création«  _ et que s’efforce de prospecter, modestement et en douceur (forcément ! rien ne s’y obtient en « forçant«  !), la poïétique :

sur ce chantier, j’essaie de mettre quelques petits pas, ici-même, en ce blog-ci, dans ceux, si fins, d’un Paul Valéry, ou d’un Gaston Bachelard, hier, d’une Baldine Saint-Girons, aujourd’hui (cf son tout récent et très important Le Pouvoir esthétique, aux Éditions Manucius : une analyse ultra-fine et lumineuse des pouvoirs sur la sensibilité !)… _ ;

et qu’ils entamèrent d’éclairer-explorer, avec une merveilleuse délicatesse _ quels trésors recèle la collection de ce nom, « les sentiers de la création« , aux Éditions Skira ; hélas interrompue ; et somnolant désormais sous une pellicule plus ou moins fine de poussière dans les bibliothèques, quand elle ne sollicite pas plus activement les « actes esthétiques«  _ pour reprendre le concept de Baldine Saint-Girons en son précédent maître-livre, L’Acte esthétique, aux Éditions Klincksieck _ d’un peu actives mises à contribution, fécondes, d’une culture vive : en chantier (musaïque) de création…

Eh bien voilà la chance qui m’est échue en l’espèce de la rencontre,

mercredi après-midi dernier, 8 septembre, sur l’estrade des salons Albert-Mollat,

en l’espèce d’un dialogue (nourri de curiosités ajointées)

avec l’auteur

et de Zone, et de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants,

ce creuseur d’énigmes magnifique

qu’est le très patient et tranquille, solide, posé, Mathias Énard…

En ce dernier opus _ dont le chantier lui a pris au moins deux années, depuis l’amorce de l’« idée« , lors de son séjour romain (en 2005-2006) à la Villa Médicis, nous a-t-il confié, en mettant la main, en la (belle) bibliothèque de la Villa, sur le volume des Vies… de Vasari comportant le récit de la vie de Michel-Ange, puisque c’est ainsi que démarra l’enquête !.. ; et dont le fruit, ce livre-ci, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, vient de paraître ce mois d’août aux Éditions Actes-sud _,

c’est à l’énigme de la création si puissante de Michel-Ange _ sculpteur, peintre, architecte ; ainsi que poète : ses Sonnets et (autres Poésies : Madrigaux, Poésies funéraires, Épigrammes, Élégies, Canzone, ainsi que Stances…) franchissent trop peu le seuil de la connaissance (et a fortiori celui de la délectation) des amateurs d’Art : considérablement moins que son œuvre plastique, en tout cas ! _ que vient se confronter la curiosité probe, patiente, et plus encore profonde, du chercheur-artiste, ou artiste-chercheur _ puisque c’est surtout ce processus-là que les circonstances de son parcours l’ont un peu amené à privilégier, désormais, comme lui-même, en parfaite simplicité, l’a indiqué, spontanément mercredi, en prenant des distances avec les missions universitaires auxquelles il s’était d’abord plié et adonné _, Mathias Énard.

A qui se demande

comment l’auteur-artiste passe du souffle formidable, (quasi) d’un seul tenant

_ ou d’une seule « tenue«  de la part de qui narre : en une phrase unique, « dans le souffle« , d’un narrateur (tel que celui de Zone…), qui (se) repasse (mentalement) en revue, lors d’un voyage en train (récapitulatif !), entre les gares de Milan et de Rome, toute la complexité où s’est faite (construite) et défaite (déconstruite) sa vie _ a-t-il une œuvre, lui ?.. c’est un agent auxiliaire, de grade subalterne… _, et, en particulier, ses relations (complexes et parfois d’une violence extrême) aux autres, de travail _ pas mal en Orient : voilà pour l’« éléphant«  ! _, de guerre _ voilà pour les « batailles«  et pour les « rois«  ! _, et aussi (avec ses trois compagnes successives, en particulier) d’« amour«  _ « et autres choses semblables« , ainsi que Rudyard Kipling se l’est entendu dire de son interlocuteur l’aède indien, dans Au hasard de la vie ; ainsi que le rapporte l’épigraphe de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants _ : mais avec quelles finesses d’inflexions (d’hémioles, dirait-on en musique) : c’est un chef d’œuvre walt-whitmanien que cette coulée une et unique de souffle ! _,

comment l’auteur-artiste passe du souffle formidable, (quasi) d’un seul tenant

_ de narration se confrontant (lui et son Soi en gestation) à l’étrangeté poignante (et difficultueuse) de l’altérité ! quasi monstrueuse, en son pouvoir de fascination… _

des 516 pages de Zone,

au feuilletage discret, léger, rapide _ mais toujours aussi fort et puissant ! _,

des feuilles de carnet (de recherche de traces _ en vue d’approcher, lui, d’un peu mieux éclairer, sinon percer à jour vraiment, pour lui, les énigmes de sens d’une œuvre si riche en une vie d’artiste si étendue et si féconde en chefs d’œuvre, et si divers, que l’œuvre colossal de Michel-Ange… _ en bibliothèques et archives, principalement à Rome _ aux Archives vaticanes _ et, ensuite aussi, à Istanbul _ aux Archives de l’empire ottoman _) du narrateur-chercheur-reconstitueur (en son penser),

mais qui apprend à méditer aussi _ pour lui ; et pour nous lecteurs, à sa suite, qui sommes conviés au récit tout à fait provoquant de sa recherche, en la curiosité stimulée, à notre tour, de notre lecture… _, sur les signes évanescents

_ presque complètement silencieux (ils ne sont pas bavards d’eux-mêmes : il faut y être attentif pour espérer accéder à si peu que ce soit de ce qu’ils laissent transparaître, tout de même, de leurs puissants secrets…) _,

de l’Art,

des 155 pages, allegro vivace, de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants,

à qui s’interroge, donc,

la réponse de l’auteur-artiste,

dans l’en-direct vivant du dialogue improvisé,

se fait toute simple (et sans le moindre chi-chi, a fortiori) :

chaque livre a le nombre de pages

et le style

que lui donne, tout simplement, son sujet _ c’est-à-dire le questionnement à propos d’une énigme ! _ qui vient s’emparer de lui _ devenant l’enquêteur _,

et qui l’attelle, un bon moment, à sa mission de le mettre (= donner, offrir, rendre), ce sujet « prenant » _ cette énigme à éclairer un peu ! puis l’enquête sur elle, en l’altérité de ce à quoi celle-ci ose venir se mesurer… _, par écrit, en son écrire (de narration) :

musical _ d’où la verve du rythme du récit…

Ainsi,

si Zone a été l’achèvement en forme d’apothéose faulknérienne (à mes yeux, du moins) de la recherche de Mathias Énard à propos de l’énigme si profondément entée en nous, en leurs séquelles qui paraissent ne plus bien vouloir accepter d’en finir « vraiment« , des guerres (intestines fratricides) du XXème siècle sur le continent européen (et ses appendices sud- et est- méditerranéens…),


ainsi, donc,

voici qu’aujourd’hui Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants apparaît _ au lecteur passionné (et fouilleur patient aussi : mobilisé…) que je suis… _ comme la confrontation de la curiosité probe et ultra-fine de Mathias Énard

avec l’énigme des liens entre

le Grand Art du génie de l’artiste-à-l’œuvre connu de nous sous le nom de Michel-Ange,

d’une part ;

et,

d’autre part,

les frémissements secrets _ tant aux autres (l’homme est un taiseux) qu’à lui-même aussi, pour le plus enfoui… _ du cœur de l’homme de chair, avec ses puissantes pulsions (dans les parages de l’Autre !), qu’il était

en sa vie d’homme…

L’homme et l’artiste ;

la vie et l’œuvre _ en tensions complexes à démêler à l’infini ;

sus au simplisme !

Cf

et apprendre à méditer sur cela,

par exemple, le célèbre mais trop mal compris trop souvent

Contre Sainte-Beuve de Marcel Proust…

Car

c’est l’Art qui crée en partie importante _ ça n’est jamais ex nihilo, non plus… _ la singularité

qui va se construire (mais pas mécaniquement !) de l’artiste !

L’artiste découvrant lui aussi peu à peu ce processus _ expressif, sur ces denses et compliqués aventureux « sentiers de la création«  _ de métamorphose _ de son Soi _ qui le traverse et le déborde _ lui, son (petit) Moi, ainsi que les pulsions (sauvages) de son Ça ; et aussi son Sur-Moi… ; cf aussi Nietzsche : sur « la petite«  et « la grande raison« , in l’important Aux Contempteurs du corps, au livre premier d’Ainsi parlait Zarathoustra _ et lui échappe en grande partie _ aussi lucide s’efforce-t-il de devenir ! Bataille qualifie très justement ce processus de création d’« impouvoir«  (de l’artiste)_,

en son regard, plus ou moins acéré, et questionnant _ interrogateur _ aussi ce qu’il fait _ et pas seulement l’altérité à laquelle il ose, aventurier, se confronter…


C’est avec infiniment d’humilité (et douceur tranquille, en son intranquillité même ! _ à l’écritoire…) que Mathias Énard approche la lumière de sa bougie

(artisanale : il la compose de tout ce qu’il peut assembler-rassembler _ en partie, aussi, comme il se doit (et cela comme pour tout un chacun d’entre nous tous), de bric et de broc : avec les divers moyens du bord !.. _ en sa culture et historique et artistique : très fouillées et très fines, les deux _ un travail de micro-chirurgie !)

Mathias Énard approche la lumière de sa bougie

_ avec tout ce que lui a appris sa propre longue et lente fréquentation, intense, passionnée, infusée et murie, et de la Perse

et de la Turquie :

d’où la rencontre, ici, sur ces pages au moins, de Michel-Ange

avec le calligraphe-poète

(et secrétaire, au Divan, du grand vizir Atik Ali Pacha),

Mesihi :

Mesihi dont il pense, même, identifier les traits

en la figure et le corps déployé

d’Adam

sur le sublime plafond de la Sixtine… ;

Mathias Énard nous a-t-il ainsi confié en cette belle conférence de mercredi ! et c’en fut là un temps très fort !!! _


Mathias Énard approche la lumière de sa bougie, donc

_ je reprends et poursuis _,

de cette énigme de l’œuvre _ sidérant, il est vrai _ michel-angelesque _ quelle poigne ! _,

sans chercher _ certes pas ! _, à réduire _ nous sommes ici à mille lieux d’un réductionnisme grossier et  vulgaire ! _ cet Art _ de l’artiste ! _

au misérable « petit tas de secrets » de l’homme en sa vie,

et ses rencontres (de tous genres !),

avec leur part (déjà) ombreuse,

sinon sombre _ voire carrément noire… _

d’altérité.


C’est à l’aune de l’Idéal d’Art,

très haut, et très puissant,

bien au contraire,

que Mathias Énard envisage et aboute les brindilles des rencontres _ glanées en sa recherche d’archives, ou bien imaginées : par les secours conjugués de sa culture et de son propre imaginer d’écrivain ! _ de la vie d’homme de notre « Michelagnolo Buonarroti« …

Au-delà des circonstances, déjà hautes en couleurs et batailleuses, des rapports de l’artiste commandité avec ses très hauts et très puissants commanditaires (chefs de guerre manieurs de sabre : comme le furent et Jules II della Rovere et Bayazid II de la dynastie des Osmanli),

c’est au côtoiement (et aboutage) incommensurablement plus fin et plus complexe des sensibilités du poète et calligraphe _ Mathias Énard met l’accent sur cette part fondamentale de cet art, dont hélas rien (de son pinceau et de sa main…) n’aura été préservé-conservé, pour nous _ Mesihi (né à Pristina, au Kosovo, vers 1470 ; et mort le 30 juillet 1512 à Istanbul : moins d’un an après la mort sur le champ de bataille de Gökçay, le 5 août 1511, de son protecteur le grand vizir Atik Ali Pacha)

et de l’artiste multiforme Michel-Ange (né au château de Caprese, près d’Arezzo, le 3 mars 1475 ; et mort à Rome le 18 février 1564)

_ Mesihi avait environ trente-six ans ; et Michel-Ange, trente-et-un _

que nous fait nous approcher, en son écriture _ d’enquête _ précise, rapide et légère, probe _ très loin tant de la moindre complaisance à la rhétorique que de l’hystérie _ le pudique, mais très patiemment curieux chercheur de sens et de beauté _ les deux conjoints : c’est un artiste ! _, Mathias Énard,

en ce superbe bijou qu’est Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants

Et l’auteur lui-même de se pourlécher à l’avance _ avec nous _ de ce que la gent _ un peu trop, parfois, ou souvent _ pressée _ par utilitarisme ! _ de la meute journalistique _ ah l’inculture du résultat !.. _

va très bientôt _ « un mois« , a-t-il même estimé mercredi 8 septembre… _ intégrer désormais dans sa bio officielle de Michel-Ange

le séjour stambouliote et le début de construction de « son » pont sur la Corne d’Or,

à la façon dont des lecteurs des Onze de Pierre Michon ont accouru en nombre contempler au Louvre le tableau qui y était décrit en ses plus menus détails… ;

ou à celle dont le malheureux _ pressé et sectateur de l’utilitarisme de l’efficacité, probablement, lui aussi : Time is money ! _ expert en économie internationale (des Affaires) qui fréquente les allées du pouvoir, a plagié, à propos de l’œuvre rédigé de Spinoza, notre confrère philosophe bordelais, Patrick Rödel, pour son Spinoza, ou le masque de la sagesse (aux Éditions Climats : la couverture prévenait pourtant : « biographie imaginaire » !) : ouaf ! ouaf ! ouaf !



Tel est donc, avec deux jours et deux nuits (de réflexion-méditation) de recul,

ce que je puise

dans ma rencontre-conversation avec ce créateur-artiste passionnant important qu’est Mathias Énard.


Titus Curiosus, ce 11 septembre 2010

Pour saluer Charles Ramond et le rayonnement de son action pour la philosophie

25juin

Pour saluer Charles Ramond _ quittant Bordeaux-3 pour Paris-8 _,

et le rayonnement chaleureux de son action _ spinozienne ! _ en faveur de la philosophie à Bordeaux,

et témoigner de la très amicale et chaleureuse fête organisée hier soir à l’UFR de philosophie de Bordeaux-3-Michel de Montaigne,

ce petit message à Céline Spector _ de retour de son semestre passé à Chicago ; et présidente actuelle de notre « Société« … _,

pour « marquer » à ma façon, et à mon tour, la fête et les services rendus, avec élégance, panache et une générosité efficientes, communicatives, par Charles, du temps de sa présidence (et impulsions magnifiques), à la tête de notre « Société de philosophie de Bordeaux« , et aussi ensuite _ Charles a promis de revenir nous rendre visite de temps en temps à Bordeaux !

De :   Titus Curiosus

Objet : A Stanford, en 1983, Philippe Muray
Date : 25 juin 2010 06:16:21 HAEC
À :   Céline Spector

Cc :   Charles Ramond, Barbara Stiegler, Valery Laurand, Emmanuel Bermond, Layla Raid, Jean-Philippe Narboux, Cédric Brun, Brigitte Geonget, Denis Roux

Voici le témoignage de Philippe Muray dont je t’ai parlé hier soir,
paru dans le cahier Livres de Libération du jeudi :
les remarques sur le calvinisme US sont réjouissantes !


La petite fête a été très réussie (amicale, chaleureuse !) ;
et je suis particulièrement reconnaissant à Charles
de tout ce qu’il a fait pour le rayonnement de la Société de philosophie ;
et qu’a fort bien illustré son discours sur la _
derridéenne (La carte postale : de Socrate à Freud et au-delà : aux Éditions Flammarion, en 2004 _ carte postale (et la bouteille à la mer).

Cf mon plus récent article
qui a dans son titre cette métaphore de « la bouteille à la mer » :

Retour de bouteille à la mer : (passionnante !) réponse de Christophe Pradeau à ma lecture de sa “Grande Sauvagerie”
et qui fait suite à celui-ci
(qui commente la réponse de l’auteur (du livre commenté : le superbe La Grande Sauvagerie de Christophe Pradeau) à mon précédent article (sur ce roman)) :
Cultiver (en son regard !) la lumière de la luciole et subvertir la carole magique : l’enchantement de l’écrire de Christophe Pradeau

Merci aussi à toi
et à Barbara !
_ présidente par interim de notre « Société » durant le semestre américain de Céline, à Chicago…

La philosophie a besoin de « passeurs » enthousiastes
(et un peu moins de carriéristes égocentrés…)…

A mercredi 7 juillet !

Titus


24/06/2010 à 00h00

«C’est fini, réglé, raté»

Extrait d’une lettre inédite, écrite en Californie

En 1983, Philippe Muray enseigne la littérature un semestre à l’université de Stanford, en Californie. Il y infusera les textes qui lui permettront d’écrire le Dix-neuvième Siècle à travers les âges. Muray n’est pas heureux à Stanford : il découvre l’empire non-fumeur du bien et du politiquement correct à l’état naissant, et l’explique à sa femme dans une lettre, inédite, dont voici un extrait _ confondant de lucidité décapante ! Lire tout Philippe Muray !..

«Palo Alto, 29 janvier 1983. Céline était encore bien optimiste quand il disait qu’il suffisait de rester longtemps quelque part pour que les choses et les gens se mettent à pourrir autour de vous. Moi, quand j’y arrive, tout de suite ça y est ! _ cela, c’est quant à lui… ; à usage interne… C’est fini, réglé, raté. […] Depuis une semaine, les tempêtes succèdent aux tempêtes. Ce pays est si stupide, si ridicule, si profondément sous-développé _ voilà où il veut en venir : il regarde ! _, que la moindre avalanche d’eau se transforme en catastrophe. Les Américains sont des Belges qui n’arrêtent pas de croire qu’ils se soignent _ cela devient très vite assez génial ! _ […] Je n’ai jamais rien vu de plus raté, de plus prostré, que ces suites _ voilà !!! _ d’un lointain débarquement de protestants sur des terres inhospitalières _ comme c’est magnifiquement perçu ! _ […]. N’importe quelle province française _ Bordeaux, par exemple, la Gironde (Cérons)  ; ou la Drôme, les Baronnies, où vient de poser son bagage Barbara ; ou la Provence (La Ciotat), ou le Dauphiné (le Vercors) dont a parlé Brigitte Geonget… _ a des allures de casino chic _ c’est merveilleux de vista ! _, parce que même dans sa plus profonde ignominie _ car cela peut lui arriver… _, elle ne peut pas être tout à fait mauvaise, n’étant pas calviniste _ prosélyte : voilà ! C’est une forme de ce fanatisme dont s’irrite ici, à Stanford, donc (Californie), l’épiderme lucidissime de Philippe Muray… Le calvinisme est un lapsus qui a échappé à l’Allemagne _ via Luther, bien sûr ! : Jean Calvin, l’implacable contempteur d’hérésies genevois, étant natif de Noyon, en Picardie, lui… _ et qui a été entendu jusqu’ici _ c’est grandiose  de perspicacité !.. Enfin, il y a _ pour le consoler, lui, en cet exil en terres dépolluées… _ de grandes promesses _ apocalyptiques ! _ sismiques, comme tu sais, d’engloutissement. Espoir tellurique de justice divine ! _ çà, c’est l’humour de Muray… La faille du Pacifique ! _ ou de San Andreas… Ah ils vont apprendre _ parce que leurs tout petits ego l’ignorent encore : pas assez décentrés ; pas assez généreux ; pas assez aimants et vraiment charitables (à l’altérité de leurs prochains !..)… _ ce que c’est que la faille, tous ces Californiens Réformés et régulièrement inondés ! Ils vont savoir ce que c’est qu’un sujet collectivement schizé sur mille kilomètres, les jungiens d’ici qui croient à l’inconscient collectif !

«Il y a partout ici de charmantes collines où ils ont leurs maisons _ leurs propriétés, avec barrières parfaitement peintes de blanc _, sur des pentes. Eh bien, en ce moment, avec les pluies en torrents, les pentes glissent et leurs villas de sportifs milliardaires (ce n’est pas qu’ils soient milliardaires qui m’est insupportable, c’est qu’ils soient sportifs _ ah ! le souci de la perfection de la santé : ils méconnaissent donc l’un peu plus complexe « grande santé » nietzschéenne !..) _ glissent avec les pentes dans la boue. […] Pour être juste, je crois que Stanford c’était ce qu’il y avait de pire pour moi _ c’est une affaire de compatibilité d’humeurs : comme toujours… Le léché allemand belge néerlandais _ quelle vista, toujours… _, où il faut trois kilomètres pour se débarrasser d’un détritus _ trop polluant = dégoûtant ! ah ! la prophylaxie ! l’hygiénisme !.. Où ils vous sourient tous, tout le temps _ voilà l’american modern way de la bigoterie… Où ils courent partout, tout le temps _ pour la santé de leur si cher petit corps… Berkeley, qui n’est qu’à 80 kilomètres à peu près, c’est tout à fait autre chose. D’abord à l’intérieur d’une ville. Et puis crasseux dans le genre Censier en 68 en beaucoup plus grand. Avec un côté révolte étudiante définitivement compromise, mais traînant encore par impossibilité de trouver une idée de rechange _ quel régal… Ça nous rapproche de l’Europe, du socialisme à visage crasseux, routinier, passé en habitude _ quel humour sur nous, aussi : bien sûr !.. Alors que Stanford, c’est le socialisme à visage suisse, capitaliste _ voilà ! Celui qui a tant prospéré depuis 1983… Deux prostrations différentes pour la même cause (le vouloir-se-soigner _ voilà ! la (toute) « petite santé » de Nietzsche : celle du « dernier homme » (« qui vivra le plus longtemps« ) du sublime Prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra : plus que jamais une urgence !.. _, c’est-à-dire le vouloir-être-Belge, c’est-à-dire le vouloir-être-socialiste), c’est beaucoup pour une seule mort, une seule cause de pulsion de mort…» _ comme c’est superbement regardé !

Voilà !

Merci à Charles Ramond.

Merci à Céline Spector, à Barbara Stiegler, et à tous les chers confrères de notre vivante « Société de philosophie de Bordeaux« …

Merci à la philosophie, radicale et éclairante !


Titus Curiosus, ce 25 juin 2010

Jubilation de la déprise du cinéma d’Abbas Kiarostami : la question de l’amour du couple de « Copie conforme » ; et la profonde synthèse de la « lecture » de Frédéric Sabouraud en son « Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité »

23mai

Sur le film _ sublime ! _ d’Abbas Kiarostami Copie conforme

et l’essai de Frédéric Sabouraud : Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité

Il y a déjà quelque temps que me faisait signe l’œuvre de cinéma d’Abbas Kiarostami.

Une première fois, à travers un courriel de Marie-José Mondzain :

je m’étais alors procuré Où est la maison de mon ami ?, le DVD (aux Films du paradoxe) de l’opus d’Abbas Kiarostami , en 1987 ;

ainsi que ces initiations que sont le Abbas Kiarostami d’Alain Bergala (publié par les Cahiers du Cinéma/les petits cahiers/scérén-CNDP, en 2004)

et le Kiarostami _ le réel, face et pile de Youssef Ishaghpour (aux Éditions Farago, en 2001)…

La seconde fois,

ce fut la rencontre d’Alain Bergala himself (et le plaisir d’une longue conversation) à Aix-en-Provence, pour le vernissage de l’expo Plossu/Cinéma le 23 janvier dernier à la galerie La NonMaison ; cf mon article du 27 janvier : « L’énigme de la renversante douceur Plossu : les expos (au FRAC de Marseille et à la NonMaison d’Aix-en-Provence) & le livre “Plossu Cinéma”« …

C’est la sortie du film « Copie conforme« , avec Juliette Binoche et William Shimell, qui m’a fait franchir allègrement le pas :

non seulement je suis allé regarder deux fois, à ce jour, le film (mercredi et vendredi derniers _ plus une troisième, ce vendredi 28 mai : avec encore plus de plaisir, tant le film porte de richesses !) ;

mais je viens de lire l’essai de Frédéric Sabouraud Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité, qui vient tout juste de paraître aux Éditions Universitaires de Rennes : une analyse fouillée et passionnante d’un artiste aussi original que radical en sa démarche et en sa probité !..

Copie conforme m’a littéralement émerveillé !

Cf ce mail (jeudi 20 mai) à Marie-José Mondzain qui connaît personnellement Abbas Kiarostami (qu’elle a rencontré aussi à Téhéran) :

De :  Titus Curiosus

Objet : « Copie conforme » d’Abbas Kiarostami
Date : 20 mai 2010 19:10:32 HAEC
À :   Marie-José Mondzain


Je suis allé voir hier « Copie conforme« , suite (et quasi tout de suite : le temps de déjeuner rapidement) à la présentation
qui en était faite sur France-Culture, avec Abbas Kiarostami,
Juliette Binoche et William Shimell.

J’ai beaucoup aimé l’humanité _ à la fois simple (= franche : vraie) et subtile (respectueuse de la complexité) _ de ce film,
il y a assez longtemps que je n’avais contemplé pareil regard sur les humains…


Je sais, Marie-José, que vous connaissez et appréciez le cinéaste.

J’ai l’intention aussi d’aller revoir le film
pour pénétrer _ mieux regarder _ un peu plus (et mieux) l’humour tendre qu’il comporte
sur notre humaine complexité (nos nœuds de désirs ; ou d’amour).


Il y a si peu de « regards » « humains », ces derniers temps qui courent…

Il se trouve, aussi, que je connais un peu cette région du sud de la Toscane _ ainsi Cortone et Arezzo, sinon Lucignano… _,
où j’avais séjourné une semaine _ nous rayonnions à partir de Cetona, près de Chiusi _ avec ma femme, notre fille aînée et un couple d’amis en 1979 : déjà !..
L’autre semaine, nous l’avions passée à (et autour de) Florence.

Bien à vous,

Titus

Après une seconde vision _ mais j’y reviendrai encore _ de Copie conforme,

je confirme découvrir là _ même si c’est tardivement _ un cinéaste du talent (ou génie) d’un Antonioni et d’un Rossellini ;

ou d’un Faulkner, d’un Joyce, d’une Virginia Woolf,

et d’un Thomas Bernhard ;

ou, un peu plus proches maintenant de nous _ ils sont toujours vivants et créatifs _ : d’un Lobo Antunes, ou d’un Imre Kertész ;

ou encore d’un Francis Bacon ou d’un Lucian Freud ;

ou en musique d’un Bartok :

soient des artistes et auteurs terriblement « vrais« 

qui nous obligent,

chacun en sa spécificité éminemment singulière,

à aborder le « réel » humain dans les détours délicieux et poignants de sa richesse éminemment complexe ;

en demandant sans cesse au lecteur, qui entre, avec eux, dans leur regard et leur phrasé

de méditer activement sur le jeu (presque pervers _ on ne peut pas faire autrement… _) de perspectives des « points de vue« , des regards se croisant _ jusques et y compris leurs aveuglements…

Cet écorché vif, lui aussi, qu’est Abbas Kiarostami, a une vision assez _ l’optimisme de la Théodicée en moins ! _ leibnizienne, à propos de monades (« sans portes ni fenêtres« ) ne parvenant jamais à coïncider véritablement _ alors copuler ! s’unir (ou ré-unir) à un autre en « composant«  avec cet autre ses propres « regards«  !..

Ici le regard (et le discours) de la protagoniste, « elle« , ne parvient pas vraiment à susciter le plein accord (« convaincre » est le terme que l’un et l’autre emploient ! du moins au début _ « elle » dit même, une fois, « prêcher » !..)

de son partenaire (l’écrivain britannique James Miller : « lui« ) de promenade (en voiture, d’abord _ sortir de la ville, demande-t-il _ et puis à pied : dans la petite bourgade médiévale de Lucignano : « spécialisée » dans les cérémonies de mariage)

et (partenaire de) conversation _ et beaucoup, beaucoup plus et mieux « si affinités« , qu’ils ne disent (certes !) pas, eux… : ni en français, ni en anglais, ni en italien, les trois langues qu’ils utilisent tour à tour : d’abord quasi exclusivement l’anglais (sa langue à « lui« ) ; puis les trois langues ; et, en les dernières séquences du film, quasi exclusivement en français (sa langue à « elle« ) : les axes de perspective se sont déplacés (c’est par ce presque imperceptible clinamen-là, infiniment doux et tranquille, que sublimement « joue« , cinématographiquement, la bouleversante extrême finesse du film !..)… _ ;

de même qu’elle échoue _ peut-être ! : le film s’interrompt juste (= une heure) avant… _ à lui faire renoncer à sa décision annoncée dès le départ, en fin de matinée (« elle » ne déjeunera pas avec sa sœur, prévient-elle celle-ci en prenant la voiture…), de la balade (d’Arezzo _ où « elle » dit (à un autre moment du film ; à la tenancière du petit café de Lucignano) résider : « depuis cinq ans« … ; et (probablement) « lui«  a été hébergé (en un local de l’université _ une faculté de Lettres est installée à Arezzo depuis 1969, en annexe à l’Université de Sienne _) ; et a passé la nuit (avec « elle« , dit-« elle« , « elle« , vers la fin…) ; « elle » dont le magasin d’antiquités (ou « galerie d’art« ) se trouve, dit-il « lui« , « à deux pas de l’université«  _)

de même qu’elle échoue _ peut-être, seulement : le film s’interrompant une heure (sur les coups de huit heures sonnant au clocher) avant (le train « à prendre«  de James) : ensuite, c’est la nuit qui (en accéléré) tombe sur Lucignano durant le déroulé du générique de fin : nous n’y prêtons peut-être pas assez attention, comme si le film était déjà terminé !.. _ à lui faire renoncer à sa décision

annoncée dès le départ de la balade, en fin de matinée,

de reprendre un train, à 21 heures : pour quelque obligation professionnelle ou autre, probablement ;

mais sans amertume d’aucun des deux, au final (du film) : ce point est capital _ la lumière en étant probablement l’élément déterminant, eu égard (de la part du cinéaste) à notre « réception » (de « spectateurs«  du film) de l’« état«  d’arrivée des personnages…

Si le théâtre de Marivaux concerne les inquiétudes vibrionnantes de la « naissance » _ quasi torturée : torturante du moins… _ de l’amour (quant à, d’abord, « sa vérité« ),

ce que l’on peut qualifier de « la dramatique » de Kiarostami _ cf déjà Le Rapport, en 1977 : le seul film de Kiarostami consacré, jusqu’à celui-ci en 2010, au couple (c’était au moment de sa séparation d’avec sa femme, nous apprend Frédéric Sabouraud en son passionnant Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité…) _

concerne la « poursuite » (ou pas) de la « relation » (amoureuse) ; voire l’éventualité (ou pas) de sa « re-prise«  si interruption de la « relation » il y a eu (cf les comédies dites du « remariage » : mais Kiarostami déteste que le film repose sur l’épine dorsale d’une « histoire« …) ;

en fait, et plus précisément,

elle concerne non pas le fait lui-même, mais les modalités _ qualitatives : à ressentir, éprouver, par nous « spectateurs« , à la suite des émotions des « personnages«  saisies frontalement (via l’incarnation des « acteurs« ) par la caméra de Kiarostami et exposées plein écran en leur sublime infinitésimalité _ chatoyantes (et blessées : jusqu’à une larme qui vient à couler, vers le premier quart ou tiers du film, quand prenant un café _ un « caffè lungo » pour « lui« , un « cappuccino » pour « elle«  _ pour la première fois ils se parlent en demeurant (assis qu’ils sont) face à face _ cela va continuer un peu plus tard : au restaurant « Da Toto« , vers cinq heures ; puis, plus tard encore, vers les sept heures, à la « pensione« , mais pas assis sur des chaises alors, dans la chambre _ dans le tout petit café de Lucignano ; lors de l’évocation, par « lui« , de leur « situation » alors (ainsi que de ce qui s’est passé, du côté de la Piazza della Signoria), à Florence, cinq ans auparavant… : le récit _ de « lui« _ comme la larme _ d’« elle«  : pour une sensation de « déjà vu« , dit-elle _ adviennent dans le tout petit café de Lucignano…)

elle concerne les modalités chatoyantes et blessées, et toujours à vif,

de la « poursuite » de la « relation » amoureuse ;

avec la tension, complexe et toujours mouvante (vivante !), des infra-mouvements d' »approche » de la « présence » et des infra-mouvements de « retrait » de l' »éloignement« , sinon de l' »absence«  totale _ niée par eux deux en une telle « extrémité«  : ils ne seraient pas là (comme le seraient deux étrangers) en train de continuer, continuer, continuer à converser… _, en regard, et en fait, de l’autre (= la tension propre de l’intimité) : un « battement » délicatement clignotant _ parfois sinusoïdalement _, avec ses intermittences d’intensité ; peu prévisible, car en rien mécanique !.. ;

modalités telles qu’elles sont appréhendées (exprimées _ par chacun, à son tour _ et plus encore reçues _ de l’autre ! et par l’autre… _ par les deux protagonistes : la caméra les saisit (en le paysage _ magnifiquement vivant et changeant : mouvant (cf la formulation si juste de Arnaud Hée : en son article de critikat.com…) _ de leur visage, surtout ! et son évolution ! _ le sien à « lui« , silencieusement ravagé (c’est un jour qu’il ne s’est pas rasé, de plus…), dans le miroir (ou faut-il dire « la glace » ?) du cabinet de toilette attenant à la « chambre nuptiale«  de Lucignano, est proprement bouleversant ! sans rien dire de la merveille d’« humanité«  de son sourire à « elle« , étendue quasi chastement sur le lit, juste à côté, et si proche en cette distance : dans les deux séquences _ prodigieuses ! d’« humanité« , donc… _ d’aboutissement du film… _)

la caméra les saisit

_ je reviens aux séquences qui précède les scènes (« anniversaire«  !..) à la « pensione«  nuptiale… : c’était là la surprise qu’« elle » « lui » a promis (« quelque chose qui va t’intéresser !« ), de manière on ne peut plus improvisée, cependant (en un éclair !) au départ d’Arezzo de leur balade dominicale en voiture : et « il«  s’y est livré, se laissant conduire par « elle« _

  • Juliette Binoche et William Shimell  dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

la caméra les saisit

presque exclusivement frontalement : tels deux monologues (et visages : face à face) dans lesquels, nous spectateurs du film, sommes  placés, à notre tour _ tel est le dispositif principal décisif (en abyme jubilatoire ! pour qui en accepte, du moins, le vertige !) du cinéma de Kiarostami ! _ dans la situation du récepteur ! _ « regardeur«  et « écouteur«  actif/passif de l’autre _ prenant, à notre tour, « tout » de plein fouet (= sans pouvoir nous y soustraire), au rythme des circonstances survenant : en leur « échange » de « face à face » _ particulièrement quand ils sont assis sur des chaises et se regardent et se parlent par dessus l’espace d’une table : dans le petit café ou dans la salle de restaurant (désertée de clients à cinq heures : alors qu’on se presse au jardin…).

Ce qu’Alain Bergala nomme un « agencement« …

Face à l’altérité-objet en mouvement (du visage de l’autre _ davantage que de son corps entier : assis, le corps est comme contraint, lui, à l’immobilité) qui se déploie sous _ et pour _ notre regard _ ainsi sollicité ! lui aussi ! : il y participe… _ et cependant en partie aussi nous échappe : en son énigme (fondamentale !)

Le cinéma de Kiarostami,

rappelant ici le plus « grand » de celui d’un Bergman _ Le Silence, Le Visage, Une Passion, Cris et chuchotements _

ou d’un Antonioni _ Le Cri, la trilogie de L’Avventura, La Notte, L’Eclisse, ou Identificazione di une donna et Al di là delle nuvole _,

est de ceux qui vont le plus avant (et loin ! vers le fond !)

dans la monstration

_ à l’image-en-mouvement qu’est l’art cinématographique : un des mediums de Kiarostami ; cf aussi la photo (par exemple Pluie et vent, paru en octobre 2008 aux Éditions Gallimard, avec une préface de Christian Boltanski) ; le poème (par exemple Un Loup aux aguets, ou Havres : le premier recueil traduit du persan par Nahal Tajadod & Jean-Claude Carrière, paru aux Éditions La Table ronde en octobre 2008 aussi ; et le second traduit par Tayebeh Hashemi & Jean-Restom Nasser, paru aux Éditions Eres ce mois de juin 2010) ; ou aussi diverses « installations«  _

des abymes vertigineux _ pardon du pléonasme ! _ de l' »humain » (amoureux ici),

à travers les « paysages » des visages…

En une sorte d’exploration sur un mode cinématographique de ce que la démarche de questionnement et méditation philosophiques d’un Vladimir Jankélévitch ou un Emmanuel Lévinas,

a pu, par eux, nous donner

à commencer à déchiffrer…

Dans son opus précédent, Shirin (1h 32),

critique  du film Shirin, réalisé par Abbas Kiarostami

© MK2 Diffusion

Kiarostami a filmé rien que les visages _ « paysages« , selon la magnifiquement pertinente expression d’Arnaud Hée en son bel article « Shirin : pays(vi)sages«  _ des spectatrices d’un film censées assister (et réagir _ = ressentir !) à la projection d’un film sur un écran en une salle de cinéma, à Téhéran :

« en contrepoint de la bande sonore d’un poème de Nezami Ganjavi, « Khosrow e Shirin » (1175), adapté par Mohammad Rahmanian (source Jonathan Rosenbaum, 31 août 2008)« , est-il indiqué page 309 de l’essai de Frédéric Sabouraud…

Mais « il _ Abbas Kiarostami _ a « avoué » après coup qu’elles étaient seules devant une feuille blanche

et qu’il leur avait demandé de penser à un épisode de leur vie qui les avait bouleversées…

« Voulez-vous dire que l’on n’est jamais bouleversé que par sa propre histoire? »

Il a répondu : « oui, je le pense » »…

A propos du tournage du Goût de la cerise (le film est sorti en 1997),

Kiarostami, page 88, « affirme à propos du tournage qu’aucun des acteurs n’a rencontré son partenaire«  (…) « C’est essentiellement lui, Kiarostami, qui donnait la réplique à l’un, avant de tourner plus tard avec l’autre en jouant une partie des dialogues.

Ce qui était au départ une contrainte de calendrier des acteurs

est devenu _ voilà ! _ une forme stylistique

qui a permis à Kiarostami de faire de la direction d’acteurs en direct (en imposant un rythme, un ton ; et aussi en intégrant _ à l’improviste _ des dialogues non prévus, par exemple).

Ce dispositif _ voilà ! ou « agencement«  _ accroît la sensation d’altérité _ c’est un point essentiel ! « altérité«  à découvrir et explorer = connaître et apprendre à aimer (et non pas fuir, ou tuer) ! _ que le découpage instaure _ de fait : au ciseau ! le montage (très remarquable ! en sa puissance de « retenue« …) est ici de Bahman Kiarostami _ entre les personnages, de par un léger décalage de jeu _ oui, oui : cela peut se ressentir aussi (légèrement) ici dans la séquence cruciale du repas à Lucignano, vers les cinq heures, à l’osteria « Da Toto«  _ entre les comédiens lié au fait qu’ils n’ont quasiment jamais joué l’un avec l’autre« , peut-on lire page 88, donc, de l’essai très éclairant de Frédéric Sabouraud, à propos du Goût de la cerise, alors, en 1997… _ on en mesure là le degré de qualité de regard de l’analyste !

Copie conforme n’était pas encore tourné lors de la rédaction de l’Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité de Frédéric Sabouraud ; ce devait être le comédien François Cluzet (Sami Frey fut aussi un moment pressenti _ et même Robert de Niro…) qui interprète l’écrivain, James Miller ; alors que ce fut le chanteur (d’opéra) William Shimell, l’été 2009…

La « vérité » de l’émotion du personnage interprété par l’acteur et que saisit la caméra du réalisateur

peut aussi passer _ pour « exister«  à l’écran pour le spectateur du film… _

par une certaine cruauté du réalisateur au tournage

afin de l’obtenir au mieux (!), sur le champ, de l’acteur-interprète…

Ainsi, aux pages 123-124 , Frédéric Sabouraud narre-t-il

comment Abbas Kiarostami a obtenu

(afin d' »atteindre cette justesse du jeu qui tourne chez lui à l’obsession« , page 123 :

« un film doit s’approcher, y compris et surtout dans sa logique de reconstitution, au plus près de la vérité qui est « l’essence même de l’art » », page 123 ;

« à condition pour le metteur en scène d’être doté d’une forme de perversion bien spécifique qui consiste à mettre les gens qu’on filme « en condition » pour « jouer vrai » », page 123 ;

« y compris en recourant parfois à des dispositifs fondés sur la cruauté et la souffrance« , page 123)

Frédéric Sabouraud narre alors, donc,

comment Abbas Kiarostami a obtenu

l’émotion bouleversante à l’écran de son petit interprète :

« L’exemple des larmes de Mohamed Reza Nematzadeh (interprété par Ahmad Ahmadpur) dans Où est la maison de mon ami ? est le plus connu,

raconté par Kiarostami lui-même avec une certaine candeur.

Celui-ci explique que

pour faire pleurer le jeune garçon,

il a déchiré devant lui une photo à laquelle il tenait beaucoup« , pages 123-124…

… 

Dans quelle mesure ce solipsisme _ définitif, sans remède, peut-être (ou pas)… _ des personnages

est-il issu de ce qu’a pu ressentir Abbas Kiarostami

d’un surcroît de pression sur les personnes de la part du régime politico-théologique iranien, instauré en 1979 ?

ou bien tient-il à la radicale séparation des sexes qui règne en Iran-Perse depuis bien longtemps ?

Ou bien, encore, à quelque idiosyncrasie d’Abbas Kiarostami lui-même,

ainsi qu’à son histoire personnelle (par exemple sa séparation assez douloureuse d’avec la mère de ses deux fils) ?..

Et que dire, encore, de la solitude _ égocentrée : sur du vide… _ des individus

dans le désert marchandisé qui s’émonde dorénavant presque partout sur la planète ?..

A quoi tient donc la grande difficulté, ici, de se comprendre et de s’aimer

en son cinéma ?..

  • Juliette Binoche et William Shimell  dans Copie conforme

© MK2 Diffusion


Notons toutefois qu’ici :

est-ce en partie dû au choix de (la si expressive !) Juliette Binoche (radieuse ! en le refus de son personnage de consentir définitivement à la situation _ d’éloignement, sinon de séparation (définitive) ou d’absence totale et irréversible (de l’aimé) _ qui lui est faite _ par l’autre…) comme interprète de la principale protagoniste (celle qui conduit la voiture, mène le couple des deux personnages, « couple » au moins d’un après-midi _ commençons-nous par penser durant le premier quart du film… _, en balade à la campagne, et tout particulièrement à Lucignano, jusque devant « l’arbre de vie » (d’or) auprès duquel défilent (et se font « immortaliser » en photo) nombre de couples lors des cérémonies de leur mariage _ à la queue-leu-leu ;

et notons bien qu’entre « copie conforme«  (le pluriel de « copia conforme« ) et « coppie conforme«  (le pluriel de « coppia conforme« ), il n’y a que le redoublement d’une lettre !

de même que la propre sœur, Marie, de l’héroïne de ce film (demeurée, « elle« , sans prénom prononcé : ni par son fils, Laurent, ni par James, peut-être son mari ; devant les spectateurs-récepteurs du film que nous sommes), admire le bégaiement de son mari l’appelant « M-M-M-Marie !..«  _, en Toscane) du film ?

ou à celui de la très fine _ elle est analyste ; je l’apprécie tous les jeudi matin, en sa chronique de 7h 25 sur France-Culture _ Caroline Eliacheff _ fille de Françoise Giroud et épouse de Marin Karmitz _ comme co-scénariste (avec Abbas Kiarostami) ?.. ;

notons _ encore _ toutefois

qu’ici, et pour la première fois dans l’œuvre d’Abbas Kiarostami, le « point de vue » dominant _ = l’initiative _ est

(et demeure : s’accentuant même jusqu’à la magnifique séquence mordorée finale _ dans la chambre (nuptiale) et le réduit attenant du cabinet de toilette où « lui«  se rafraîchissant le visage, s’aperçoit et se regarde alors, un moment, sans complaisance aucune, dans le miroir (et il se trouve que ce dimanche à Lucignano est un jour (sur deux !) où il ne s’est pas rasé, car il a décidé il y a bien longtemps de ne se raser qu’un jour sur deux ; et le contraste sur le visage est combien important !) ; c’est sans doute là, ce regard-ci dans le miroir, ce qu’a finalement obtenu (ou « gagné«  !) sa compagne (qui, elle, de temps en temps, consacre un moment à se maquiller et pomponner, de son côté…) : cette qualité d’attention au « chantier«  (continué) de leur « intimité«  (ou amour : ils « tiennent« « vraiment«  l’un à l’autre dans la tension (parfois blessée) de l’« écart«  de leur proximité toujours exacerbée (et pas du tout « refroidie« , elle)… ; le contraire d’une « absence« , donc ; même si « lui«  prendra (peut-être ! mais cela demeure pendant, ouvert, indéterminé quand vient tomber la nuit sur les toits de Lucignano vue, la-dite nuit, depuis, justement, la petite fenêtre du cabinet de toilette attenant à la chambre numéro 9 (de la « nuit de noces«  initiale, il a exactement quinze ans de là : c’est un anniversaire !) de la pensione de Lucignano)


même si « lui«  prendra (peut-être ! ou peut-être pas…) dans une heure un train : il ne faut que trente minutes pour gagner la gare d’Arezzo, distante de vingt kilomètres,

(probablement, même si cela n’est jamais formellement indiqué (ni reconnaissable) à l’image : il semble que ce soit principalement à Cortona, en effet, qu’ont été tournées les séquences de la « ville«  censée « être« , c’est-à-dire « figurant«  pour nous les spectateurs du film, Arezzo : c’est à Cortona que se trouve la boutique de « Capelli e Ombrelli » « Lorenzini« , longée au sortir de la conférence à l’université par « elle«  et son fils, Laurent, qui la suit, à distance…)

il ne faut que trente minutes pour gagner la gare d’Arezzo, distante de vingt kilomètres

de Lucignano, avions-nous appris au départ de la balade vers Lucignano… _ l’éloignant « lui« , peut-être, ou peut-être pas, sinon de la Toscane (pour la lointaine Angleterre, par exemple), du moins du domicile de son épouse et de leur fils… ; à moins qu’« il«  n’en soit « séparé«  (au point de « devoir loger«  soit à l’hôtel _ comme c’était semble-t-il le cas déjà  à Florence il y a cinq ans… _, soit en un hébergement ad hoc, par exemple dépendant de l’Université, comme la veille de ce jour-ci, à Arezzo, pour la conférence ; même si nous pouvons, aussi, nous demander où ils ont passé « leur nuit« , ainsi qu’« elle«  l’évoque ? dans la chambre (à l’étage) octroyée au « conférencier«  par l’université ? ou bien chez « elle«  ?.. D’où vient-« il«  quand il dépose provisoirement sa valise au rez-de-chaussée de la boutique d’antiquités ?.. On a alors un peu de difficulté à percevoir ce qu’« elle«  est en train de dire _ à sa sœur Marie ? ou serait-ce au téléphone ?.. Bien des blancs demeurent pour nous : à peine des éclats éparpillés d’indices : à reconstituer par nous, si nous voulons bien nous prendre à ce jeu proposé par le metteur-en-scène-auteur du film… _ au rez-de chaussée : elle aussi descendra, ainsi que le chat, l’escalier pour atteindre le sous-sol de la boutique et le rejoindre « lui« , qui l’attend, « elle« …):

dans quelle mesure est-il « possible« , ou pas, à James Miller de se (re-)trouver environ chaque semaine en compagnie (et au domicile) de son épouse et de leur fils ? ainsi qu’« elle » le laisse bel et bien entendre, à un moment du film (dans l’« étalage«  de ses griefs à son encontre à « lui«  : à l’encontre de ses « absences« …) ; ou bien réside-t-il (et vit-il à demeure) désormais beaucoup plus loin : en Angleterre ?.. ; ainsi que l’écrivain-conférencier le laisse supposer, quand il ne s’exprime qu’en anglais (et dans un italien assez approximatif, au tout début…) dans la séquence inaugurale (sa conférence à l’université à propos de son « Copie conforme« …) du film ?.. Le fait (scénaristique) demeure volontairement, bien sûr, « équivoque«  à nos esprits de « spectateurs«  du film : à nous de bien vouloir oser « interpréter« , nous demande expressément, nous intime en quelque sorte, le scénario d’Abbas Kiarostami _ avec Caroline Eliacheff…) ! _,

notons, donc, que pour la première fois dans l’œuvre d’Abbas Kiarostami, le « point de vue » dominant _ = l’initiative _ est (et demeure :

s’accentuant même jusqu’à la magnifique séquence mordorée _ oui ! _ finale

entre sept heures et huit heures du soir,

à la pensione (de la « nuit de noces » d’il y a juste quinze ans !) :

on entend _ et peut compter ! _ les huit coups au clocher de l’église voisine retentissant au dernier plan (long… et fixe ! immobilisé !) du film : la « vue » _ une veduta sublimement humble : à la Thomas Jones (1742-1803) à son séjour napolitain _ des toits avec la battue à toute volée des cloches au modeste clocher _ le générique de fin se déroulant, en prolongement de ce plan-ci, la caméra ne bougeant pas, sur la tombée, accélérée, elle, de la nuit sur Lucignano !.. _)

http://www.spamula.net/blog/i07/jones5.jpg

notons que le « point de vue » dominant, donc, est

celui d’une femme (et de ses attentes, son désir) ;

  • Juliette Binoche dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

et qu’il concerne ce qui peut se passer à l’intérieur de la « relation » _ longue et complexe : riche et mouvante, en le « feuilletage » non lisse, mais hérissé de piquants, de ses « strates«  : « pointes«  et « épines«  se chevauchant… _ d' »intimité » en tension, sur-attentive et vectorielle, entre un homme et une femme (en l' »histoire » de cette « intimité » en tension…) _ sujet non abordé depuis 1979 (= l’instauration de la république islamique en Iran) par Abbas Kiarostami : son précédent film là-dessus, Le Rapport, datant de 1977…


Même si le dernier visage (et regards) perçu(s) à l’image sur l’écran

est (et sont) celui (et ceux), bouleversant(s) _ des vagues sur la mer… _, de James, mal rasé, face à la glace du cabinet de toilette : le point d’arrivée de l’intrigue,

juste avant son regard à « lui » sur la veduta (superbe : à la Thomas Jones !) des toits et du clocher de San Francesco de Lucignano sonnant les huit coups de vingt heures…

Pour prolonger cette « introduction » à mon approche, plus détaillée, de Copie conforme,

voici, encore, deux articles découverts sur le net,

l’un d’Éric Vernay, « Copie conforme : leçon de magie signé Kiarostami« ,

l’autre de Mathieu Macheret _ cf sur ce critique mon article du 22 février 2009 : « La splendeur du style cinématographique d’Angela Schanelec _ en ses regards sur Marseille et Berlin (”Nachmittag” + “Marseille” en un très fort DVD !)« _, « Les statues meurent aussi : Copie conforme«  :

« Copie conforme : leçon de magie signé Kiarostami« 

Posté par Éric Vernay le 18.05.10 à 14:18

© MK2 Diffusion

Dans _ le film _ Le Prestige, de Christopher Nolan _ adapté du roman Le Prestige, de Christopher Priest _, on apprenait qu’un tour de magie doit se découper en trois étapes. La Promesse, d’abord, où le prestidigitateur _ soit l’artiste ! _ montre au public quelque chose qui semble ordinaire, mais ne l’est pas _ quelque chose y étant caché et à découvrir, révéler… Le Revirement ensuite, pendant lequel le magicien rend l’acte ordinaire extraordinaire. Le Prestige, enfin, où l’imprévu _ pour le naïf que nous, spectateurs fascinés, sommes tout d’abord… _ se produit.

Copie conforme, le film d’Abbas Kiarostami présenté en compétition à Cannes cette année, ne procède pas autrement. Tournant pour la première fois hors de ses terres iraniennes, avec un casting international (franco-italo-anglais), le réalisateur retrouve son obsession de la frontière entre réel et fiction _ peut-on dire cela ?.. Rien n’est fantastique dans le cinéma de Kiarostami !.. Lecteur allergique au spoiler, passe ton chemin, la suite de ce post en contient.

Un homme rencontre _ il s’est déplacé pour cela : jusqu’à Arezzo, en train : puis jusqu’au magasin d’antiquités, à pied ; puis en venant à Lucignano, dans la voiture de celle qui lui a proposé de passer cette journée de dimanche d’été en la compagnie l’un de l’autre… _ une femme. Ils se retrouvent _ après quelles péripéties ? ce point-ci est crucial ! _ en Italie, en Toscane : Promesse _ dans l’esprit surtout de quelques spectateurs… _ d’une belle histoire d’amour. Leur discussion _ académique, d’abord _, portant sur la valeur de la copie par rapport à l’original dans l’art, les mène dans un petit bistrot où la femme, par jeu, prétend _ ou plutôt laisse dire (et penser) à la patronne du café _ que l’homme _ l’écrivain, auteur du livre « Copie conforme«  : James Miller, anglais _ est son mari. Lequel se prend au jeu avec une telle aisance _ lui qui disait ne parler qu’anglais, va se mettre bientôt à manier aussi bien et le français et l’italien, que son interlocutrice ! _, qu’il pose question _ au spectateur que nous sommes : à la manière (mais non fantastique, cependant, ici) dont procède (et nous subjugue) un David Lynch dans « Lost highway«  _ sur la véracité de la première partie. Se connaissaient-ils _ donc _ avant ? Étonnant revirement _ comment interpréter alors l’attitude du fils turbulent (extrêmement bien interprété par le jeune et très malicieux Adrian Moore) de ce pseudo couple, au comportant totalement étranger, apparemment, lui, à cet homme : « l’écrivain », le nomme-t-il ?.. Et comment comprendre le « rappel«  d’une « situation« , à Florence, épiée répétitivement, est-il dit, depuis la fenêtre d’un hôtel où séjournait James Miller, puis d’une conversation à demi-perçue Piazza della Signoria, il y a cinq ans ?.. Alors que le vrai-faux couple déambule dans une Toscane saturée _ le village de Lucignano, avec son précieux « arbre de vie«  d’or… _ d’amoureux de tous âges, comme autant de copies incarnées d’un original _ nuptial _ chimérique _ à diverses reprises « moqué«  par « lui«  : comme une illusion méchamment porteuse d’amertumes ne manquant pas de survenir… _, le Prestige s’accomplit, rendant l’illusion aussi solide _ enfin : est-ce alors seulement rien qu’une « illusion«  ?.. je ne le pense personnellement pas ! _ que le réel : certitude _ désirée, du moins… _ d’un amour au centre d’un indécidable entre-deux _ plutôt : qui continue (encore ; toujours…) de « battre«  Le Voyage en Italie de Rossellini flirte alors avec Mulholland Drive _ ça, c’est à discuter !

Grâce à une direction d’acteurs _ en effet ! Kiarostami est d’une poigne implacable ! _ extraordinaire (sublimes _ oui ! _ Juliette Binoche et William Shimell, célèbre baryton débutant _ ici _ au cinéma _ après avoir été dirigé par Abbas Kiarostami en un Cosi fan tutte à Aix-en-Provence l’été 2008, sous la direction musicale de Christophe Rousset : les deux acteurs sont sous sa direction prodigieux ! tous deux !), et à la précision d’une mise en scène dévouée au miroitement _ oui ! _, au cadre (passionnant travail sur le champ/contre-champ _ oui ! _), et à la mise en abyme, Kiarostami insuffle au brillant de son tour de passe-passe scénaristique l’ampleur émotionnelle d’un grand mélo _ sans y faire adhérer par une quelconque « identification«  les spectateurs !!! toutefois… _, tout en poursuivant _ en nous faisant constamment nous y associer… _ sa réflexion théorique _ éminemment questionneuse, fouailleuse… _ sur le cinéma en train de se faire. Malgré l’artifice (_ brechtiennement _ affiché) du dispositif, la magie _ de la virtuosité de ce questionnement induit _ opère en effet _ oui _ et le trouble persiste _ oui ! _ longtemps après _ oui ! _ la séance : un grand Kiarostami _ en effet.

Et le second article, du très doué Mathieu Macheret :

Les Statues meurent aussi

Copie conforme

réalisé par Abbas Kiarostami

18 mai 2010

critique du film Copie conforme, réalisé par Abbas Kiarostami

© MK2 Diffusion

Pour la première fois, Kiarostami quitte l’Iran _ en effet _ au profit d’une petite balade en Europe _ entre Arezzo et Lucignano : bourgade médiévale où l’on court se marier… Copie conforme est un film diablement retors _ oui, da… _, comme semble l’indiquer son casting : une Juliette Binoche confirmée y apparaît en compagnie de William Shimell, fameux baryton anglais et pur débutant à l’écran _ magistralement : quel magnifique comédien ! Sur les traces du cinéma italien d’après-guerre (notamment celui de Rossellini), il réserve au spectateur ce genre de vertige typiquement kiarostamien _ oui ! et c’est un délice sans maniérisme ni préciosité : chapeau ! _, dans la lignée de Close Up, un doute fondamental _ radical et peut-être perpétuel _, un appel d’air susceptible de l’aspirer tout entier. Gare, donc _ voilà !..


Le dernier film d’Abbas Kiarostami est comme foudroyé, en plein milieu, par un violent éclair _ silencieux, sans cri et sans pathos : tout de « retenue« , tant des interprètes que du cinéaste. Ou, disons plutôt, rayé de haut en bas par une larme, s’écoulant doucement _ oui ! _ sur la joue de son actrice principale, Juliette Binoche _ dont le personnage demeure pour nous sans nom, faute d’être appelée jamais par son prénom ou son nom : par personne dans ce qui nous est donné à voir et à entendre ici… La larme procède d’un irrésistiblement poignant sentiment de « déjà vu«  éprouvé par le personnage… Avant cela, on assistait à une étrange comédie romantique, version Gentleman Farmer, de deux adultes dans la fleur de l’âge qui se rencontrent _ lui auteur, elle, lectrice _ à l’occasion d’une conférence en Toscane. Lui, directement sorti d’un roman Harlequin _ à nuancer : ce n’est pas si caricatural… _, est l’auteur grisonnant _ séduisant ; et tout de flegme britannique : il est aussi en représentation lors de la conférence initiale devant un public de lecteurs, à l’université _ d’un ouvrage sur l’art intitulé « Copie conforme« , qu’il présente et dédicace à son lectorat italien. Elle, directement sortie _ mais sans affèterie _  d’un élégant magazine féminin, tient une galerie d’art _ un magasin d’antiquités _ et s’intéresse _ déjà professionnellement ; même si celle-ci exerce sa profession sans passion, presque « par hasard« , dit-elle… _ aux thèses soutenues par l’écrivain, sans pour autant les partager complètement _ et pour cause ! Un voyage en voiture typique du cinéaste _ auteur de plusieurs « car-films«  _, au cours duquel les reflets du décor toscan défilent sur le pare-brise et se surimpriment sur les visages des passagers, les voit débattre de la question _ des valeurs respectives _ de la copie et de l’original. Lui défend la valeur intrinsèque de la copie _ éventuellement _ comme un chemin conduisant à l’original _ mais qui permet surtout de se passer très commodément, pragmatiquement, de l’original… _, et réfute toute hiérarchisation _ substantialisée _ des deux termes _ un clou chassant l’autre… Elle nuance ses propos et le ramène sans cesse sur le terrain de la pratique _ existentielle _, des réalités _ plus objectives des choses mêmes : c’est que du « réel« , ils n’ont pas tout à fait les mêmes critères… C’est lors d’une petite escale _ pause _ dans un café _ accueillant et réparateur (ils n’ont pas déjeuné : seulement discuté…) _ que le film, d’une manière inattendue, se plie en deux _ oui !

Quelque chose n’allait pas. Binoche _ = son personnage _ semblait _ jusqu’alors _ trop à l’étroit, compressée par un environnement où sa pétulance _ de femme (et sujet) désirant(e) _ faisait tache. William Shimell _ une sorte de Jeremy Irons encore plus tranquille en son élégance : mais pas glacé !!! il « vibre«  en son silence et en ses défausses, sans jamais rompre la « relation«  _ semblait trop parfait, trop absolument séduisant, trop en carton pour ne pas risquer de se retourner soudainement sur lui-même. Ce couple, on le connaît, on l’a déjà vu mille fois _ sur des écrans. A ce moment du film, on se dit _ quoi qu’on sache (même un peu) déjà de la malice d’un Kiarostami… _ qu’on sait trop exactement où il va. Dès que la larme est lâchée, un second film commence _ oui ! _ et dévoile plus clairement le projet _ déstabilisant ou même dynamiteur (mais sans déflagration tonitruante) des clichés _ de Kiarostami _ en direction des spectateurs que nous sommes. Il fallait toute une première partie _ le premier quart du film _ parodique (la comédie romantique, le soap) pour annoncer le parcours d’un film qui, lui aussi, marche d’un pas souverain _ oui ! _ de la copie à l’original _ peut-être bien… On apprend alors _ ou plutôt on se demande : à partir de quelques indices qui se découvrent : si on y prête assez attention ; même si beaucoup semblent continuer de nous échapper… _ que les deux personnages ne viennent peut-être pas de se rencontrer _ en effet : leur échange n’est pas de nature simplement touristique ou culturelle… _, mais se connaissent depuis longtemps _ quinze ans ! Qu’ils forment déjà un couple _ qui poursuit sa « relation » complexe et riche… Qu’ils sont mariés depuis quinze ans. Que le fils _ de treize-quatorze ans : il vient de fêter son anniversaire la semaine qui précède… _ de Juliette, qu’on croise au début du film, est aussi le fils de l’écrivain _ tiens donc ! Rien n’en fournissait jusqu’ici, du moins à la première apparence, le moindre début d’un indice… Qu’ils n’ont jamais cessé _ par exemple cinq ans auparavant, à Florence, déjà, Piazza de la Signoria : leur fils Laurent avait huit ans, apprend-on au passage d’une réplique… _ de se connaître _ elle se plaint de son « absence«  : au propre comme au figuré _ et que le simulacre de rencontre _ à la conférence, puis après : mais à mieux regarder la séquence d’ouverture du film, on s’aperçoit qu’ils se trouvaient ensemble, tous les trois, à l’entrée de la salle de conférence… _, de fraîcheur, d’affinité, de séduction, de désir, qu’ils nous ont joué jusqu’alors _ du moins depuis le départ de cette escapade hors la ville : en effet ! _ devait bien nous conduire à la vérité _ oui ! _ de leur couple : la désunion, l’effritement, le doute _ à moins qu’il ne s’agisse d’efforts pour « surmonter«  tout cela ! _ la crise _ James Miller emporte avec lui sa valise ; et a fixé comme terme à la balade dans la campagne toscane l’heure (21 heures) du train qu’il doit (re-)prendre : pour où ? Ce n’est pas un avion qu’il va prendre ; du moins tout d’abord… Une interférence s’installe, vertigineuse _ mais pas du registre du fantastique (comme à la Lynch) ici… On pourrait alors penser que Kiarostami soumet ses personnages aux besoins esthétiques _ tiens donc ? _ d’une expérience de traversée du miroir. Mais pas du tout _ en effet ! Celle-ci permet au contraire de saisir leur naissance _ ou passage, transitoire _ à la fiction _ = un jeu subtil et stylé de grandes personnes sans la moindre hystérie _ d’une manière infiniment délicate _ absolument ! _, de les voir émerger d’un glacis plat _ convenu (= attendu en nos têtes) _ et prendre petit à petit du relief, de la profondeur _ pour nous : en même temps que nos questions (se bousculant) de « spectateurs«  de ce jeu. Et cette émergence passe par une redécouverte _ oui ! _, le second apprentissage _ voilà ! _ des gestes fondamentaux de l’amour _ vivant ; et non ranci (même en sursis…) _ : poser sa main sur l’épaule de sa femme _ comme le conseille un Don Alfonso français, interprété avec tout ce qu’il y faut d’élégance par Jean-Claude Carrière, comme sortant tout frais d’un film du corrosif Bunuel _, se faire belle pour son mari, se regarder, s’écouter _ l’un l’autre. Réapprendre des gestes, c’est passer une seconde fois _ mais différemment : avec expérience _ par un même trajet, s’insérer dans la trace d’une inscription, la réécrire, repasser par dessus _ et dépasser (= « surmonter« ) l’innocence naïve de la première fois. En somme, tout le travail du copiste qui tente de reproduire _ mais fait beaucoup mieux que cela ! _ les formes de l’original. Copie conforme est un film qui se lit dans les deux sens. De la copie à l’original. De l’original à la copie. Du début à la fin. De la fin au début. D’où la rayure centrale, cette pliure laissée par la larme de Juliette Binoche _ au rappel, par « lui« , le narrant, d’une sensation de « déjà vu« , pour « elle« , Piazza della Signoria : nous n’en saurons pas davantage, cependant… _ et qui dessine, à l’échelle du film, comme un plan de réflexion (au sens géométrique du terme) _ et qui vaut discrètement (sans didactisme aucun) pour les spectateurs autant que pour les personnages ainsi « exposés«  par l’auteur : à la façon d’un conte subtil de Diderot…

Il est tout naturel qu’un film sur la copie nous conduise de la parodie _ des clichés hollywoodiens _ au modèle _ d’un amour réel, lui, et « vibrant«  Ce couple qui tente de freiner son entropie  _ oui ! _, de remonter ses pendules _ si l’on veut : pour qui sonne le glas ? cf le plan final des cloches sonnant les huit heures du soir au clocher de Lucignano _ en tournant autour des œuvres du passé _ le souvenir de la « scène«  à demi-perçue (vue sans être complètement entendue) de la Piazza della Signoria, il y a cinq ans ? par exemple ?.. _, marche du même pas que l’Ingrid Bergman et le George Sanders de Voyage en Italie. Les deux films ne proposent rien moins, en guise de palliatif au déclin amoureux, qu’une épreuve du temps _ et de la capacité « humaine«  de murissement : même quand (presque) tout se met à aller bien trop vite… Mais le parcours que Copie conforme destine _ quoique demeurant ouvert ! c’est important ! _ à ses deux personnages s’avère autrement plus terrible _ en matière de douleur éprouvée _ que la montée vers la grâce rossellinienne. Ils s’embourbent, ils s’écroulent _ craquent. Elle s’embourbe _ à un moment _ de maquillage et s’affuble de colifichets (des boucles d’oreilles très toc) quand, lors d’un repas terriblement gênant _ il est, sur les cinq heures, l’acmé (doublement colérique) de la « crise«  _, elle essaye encore une fois de plaire à son mari. Lui s’écroule _ telle est une de ses « pentes«  ; mais ce n’est pas la seule… _ dans une mauvaise humeur terne, une lâcheté de chaque instant _ pas tout à fait… _, avec cette façon de botter en touche, de tout refuser comme un petit garçon boudeur et orgueilleux. Chacun en prend pour son grade _ certes _ alors que chaque tentative de rapprochement _ elles se multiplient ! _ débouche sur une égratignure _ c’est tout à fait cela ! C’est la grande problématique du miroir : il met en contact deux mondes qui ne se rencontrent jamais _ du moins pas tout de suite : c’est plus complexe à « réaliser » : il faut redoubler d’efforts mutuels (mais ils y progressent) Deux mondes semblables mais inversés. Diamétralement opposés. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la caméra de Kiarostami se substitue si souvent à un miroir _ qui nous implique nous aussi, « spectateurs«  ! _, face auquel le visage des personnages, dès qu’ils s’isolent, nous apparaît plein cadre. Ils traduisent l’isolement _ oui ! _ de chaque terme _ les monades « sans portes ni fenêtres«  de Leibniz ; mais ici sans « harmonie préétablie«  ; sans deus ex machina, désormais… _ face à lui-même _ ou son vide ? avec pour première direction immédiatement disponible, celle du misérable « désir mimétique » (conformiste)… _, devant sa propre incapacité à faire rentrer _ ou enfin entrer ? y fut-il jamais déjà, jusqu’ici ?.. _ l’autre dans son champ _ il s’en faut d’un geste (donné) ; ou de son acceptation (donnée, elle aussi)… De même que de s’envisager soi-même comme un autre, ainsi que l’exprime si bien un Paul Ricœur ! Ces plans frontaux, qui cherchent le plus grand dénuement _ la nudité conjuguée de l’acteur et du personnage (en une adresse au « spectateur«  (invité) que nous sommes, en regard) _ claquent les uns contre les autres dans un choc tout aussi frontal _ mais sans pathos, ni grandiloquence surlignée : tout est « en retenue« , chaque fois. Ils sont comme les coulisses _ oui : brechtiennes _ d’une guerre sourde, d’une lèpre irréversible qui déforme les êtres et les fige dans leur plus grotesque posture _ s’ils n’apprennent pas à le « surmonter«  : tel est le défi !.. Le propos de Kiarostami _ mais il n’est certes pas un didacticien, un donneur de leçon (morale ou existentielle) lourdingue : il s’intéresse seulement à la « prise en compte«  (fine, incroyablement légère ! quel art subtil ! sublime !) à la « prise en compte«  purement et simplement (mais que d’efforts, pour chacun d’entre nous, pour accéder à cela !) « réaliste«  du « réel » ! ce qui n’est certes pas peu ! en sa visée de « vérité«  profonde : fondamentale, quant à l’« humain«  _ sur le mariage est terrifiant : après la parodie, la pétrification _ du moins pour qui laisse dégénérer les choses, le processus…

Mathieu Macheret


Alors, maintenant

mon regard sur ce film.

Après un long plan fixe sur la tribune d’une salle de conférence (d’une université : à Arezzo : la Faculté des Lettres et Philosophie y est une annexe de l’Université de Sienne, depuis 1969), tribune sur laquelle s’aperçoivent rien que deux micros et un livre (dont on peut lire le titre, en italien : « copia conforme » : au singulier _ avec pour illustration deux têtes (se faisant face) du David de Michel-Ange : si l’original de la statue est à l’Accademia, une copie s’en trouve sur la Piazza della Signoria, à Florence _),

et suivi d’une annonce d’un léger retard du conférencier (« hébergé » cependant pas plus loin qu’à l’étage _ et pas ailleurs ! _, est-il annoncé, par celui qui n’est autre que le traducteur en italien du livre _ et qu’interprète Angelo Barbagallo, qui intervient aussi dans la production du film, pour Bìbì : le film est en effet une production MK2 en coproduction avec l’italien Bìbì et France 3 Cinéma, et avec le soutien de Canal Plus, du CNC et de la Commission du Film de la Province de Toscane),

nous apercevons _ mais sans que la caméra s’y focalise : c’est à la seconde vision du film que je m’en suis aperçu, en tâchant de mieux percevoir (et retenir) un peu de ce qui m’avait échappé la première fois… _ l’arrivée du conférencier qu’interprète William Shimell,

accompagné d’une femme et d’un jeune garçon _ de treize-quatorze ans _ qui demeurent d’abord, un instant, ces deux-là, debout au fond de la salle (et ayant fait signer à l’auteur, là, deux exemplaires de son livre : un pour un « Pierre« , l’autre pour le garçon, Laurent ; mais sans qu' »elle » demande au conférencier-auteur (« lui« ) d’écrire aussi, en plus de ce prénom, « Laurent« , le nom de famille du garçon, qui s’en plaindra par la suite : « ayant un nom de famille ! moi aussi !« , dira-t-il à sa mère _ et apprendrons-nous, un peu plus tard : au café où le garçon, affamé et assoiffé, se restaure…),

tandis que le conférencier-auteur _ qui demande à deux autres de ses lecteurs de bien vouloir attendre la fin de la conférence pour qu’il leur dédicace leur exemplaire de son livre _ gagne promptement, seul, la tribune et le micro… Ce jour-ci, samedi, il est rasé de près…

Puis, cette femme viendra s’installer au premier rang (parmi les places « réservées« ), tout à côté du traducteur du livre en italien ;

pendant que le garçon (âgé de treize-quatorze ans ; très brun _ et ressemblant de façon assez  troublante à Juliette Binoche _), refusant de s’asseoir, vient, devant, lui aussi, non loin de l’estrade, se tenir debout contre un mur, de l’autre côté que sa mère, et tripotant fébrilement un jeu électronique…

Le conférencier James Miller, qui refuse de se définir comme « historien de l’art » académique, présente alors _ il s’efforce de dire, un peu maladroitement, quelques mots en italien avant de s’exprimer exclusivement en anglais _ la thèse paradoxale de son essai : une copie n’a pas moins de valeur _ en soi _ qu’un original… Ce qui importe, en fait, et seulement, est l’usage _ tout subjectif _ qu’on (= chacun) en fait pour soi ; le plaisir que le regard subjectif est capable d’en retirer (= pour soi) _ soit une thèse (qui sera réitérée plus tard !) dans le droit fil des positions empiristes des Anglais, Écossais et autres Irlandais du XVIIIème siècle à propos du sentiment (ou jugement de goût) esthétique, tels que Shaftesbury, Hume ou Burke… Ainsi que des thèses, en suivant, au XIXème siècle, des pragmatistes anglo-saxons : Stuart-Mill, Emerson, William James… Soit un régime de stricte équivalence purement utilitaire (pragmatique) et du seul point de vue (égocentrique) de l’usager…

La jeune femme, qu’interprète, la quarantaine rayonnante, la lumineuse _ et elle le sera bien davantage au fur et à mesure du déroulé du film _  Julienne Binoche, quitte prématurément la conférence, et amène le garçon _ dont l’agitation l’agaçait fortement : il avait faim et soif ! et elle doit se le coltiner ! _ dans un bar de la ville _ les images semblent avoir été tournées à Cortona : par exemple, le magasin de « Cappelli e Ombrelli Lorenzini«  devant la devanture duquel ils sont passés… _ : afin de consommer quelque hamburger / coca cola ;

pendant que celui-ci, commentant le petit mot que celle-ci (« elle« ), a glissé (pas assez discrètement pour que cela échappe au garçon, en tout cas) au traducteur _ « ce type«  ami du conférencier, dit le garçon… _ du livre à destination du conférencier (« lui » : ou « l’écrivain« , dit le garçon ironiquement à sa mère ! il ne dit certes pas « papa » ; ni « mon père » ! il cherche plutôt à les éloigner ! séparer !..),

pendant que le garçon

ironise sur le désir de sa mère de rencontrer (en un rendez-vous) « le conférencier«  _ en lui faisant communiquer (par le traducteur : « ce type« , dit-il) le numéro de téléphone où la joindre, probablement ; ou quelque autre indication ad hoc ! _ : la mère et son fils se parlant tout le temps, eux, en français…

Que déduire, a posteriori, de cette « pique » du garçon à sa mère ? Quel indice (malicieux, citronné : le garnement a l’esprit vif et déluré !) constitue-t-il _ et peut-il nous fournir rétrospectivement, à nous « spectateurs«  du film : auxquels, au présent (vif, rapide) de la séquence, le contexte fait, forcément, défaut à la première vision… _ à propos de l' »état« , alors _ à ce moment (de départ ! le samedi) du déroulé des deux journées du film : l’équipée à Lucignano aura lieu, elle, le lendemain, le dimanche après-midi : ils quitteront la ville, Arezzo, vers la fin de la matinée… _ à propos de l' »état« , alors, des « rapports » entre les deux principaux protagonistes ?.. A nous de le décrypter ! au passage et au vol

_ à l’instar du gamin (excellent Adrian Moore ! avec sa frange très brune qui lui mange les yeux, très noirs),

le spectateur de Kiarostami doit lui aussi s’initier, et vite, à l’exercice au vif du juger et former sur le tas (de la circonstance déboulant _ à la vue comme à l’oreille : les deux souvent en décalage ! _) sa sagacité !

malheur ici (où les dialogues, spécialement, pétillent, pétaradent, à fleurets bien près d’être démouchetés !..), ainsi que dans la « vie moderne«  accélérée (cf là-dessus Paul Virilio…), malheur aux lents, aux lourds, et autres ahuris : les largués s’excluent de la séance (en protestant qu’il s’y ennuyaient : c’est une des ironies fines du paradoxe !)…

La séquence suivante a lieu le lendemain matin _ à Arezzo : nous apprendrons, en effet, que depuis cinq ans c’est là que réside (après avoir vécu auparavant à Florence) la française ; juste « à deux pas, à pieds«  de l’université : au magasin d’antiquités (en sous-sol) qu’« elle«  tient (« I Sirene » peut-on lire au générique final…), avec l’aide, probablement, de sa sœur Marie : elles se parlent (on n’aperçoit jamais Marie à l’image) au moins trois fois dans le film : à l’arrivée, puis au départ de James à et de la boutique d’antiquités, le dimanche matin ; puis, un peu plus tard, au téléphone portable, vers 14 heures, quand Marie ne sachant plus comment « gérer » le comportement de son turbulent neveu Laurent, suite au report d’une heure de sa « leçon particulière«  : il prétend aller « patiner«  entre-temps à la patinoire !., joint sa sœur qui vient d’arriver à Lucignano ; et lui demande de se débrouiller…

Le conférencier anglais _ il dépose préalablement sa valise à roulettes en haut d’un long escalier descendant vers le sous-sol _ se rend au sous-sol, où se tient une partie au moins de la boutique. Mais, dès que l’aura rejoint l’antiquaire _ on l’entendait échanger quelques mots avec vraisemblablement sa sœur Marie, au rez-de-chaussée _, laquelle, parvenue au sous-sol, entame la conversation en attaquant bille en tête le paradoxe (du livre) de la prétention à l’équivalence des copies et de l’original, « lui » lui exprimera son désir de sortir de la ville et prendre l’air à la campagne _ « elle«  s’était mise à sa disposition pour l’accompagner là où il lui plairait d’aller : mais faire des courses un dimanche : les magasins sont fermés !.. Au moins aller prendre un café…

Les « copies » _ j’y reviens ! _ pourraient-elles désigner, ainsi, d’autres femmes (telles que des maîtresses : « amante« , en italien et au pluriel) ? et « l’original« , l’épouse, la toute première aimée ? Ce sera une piste de questions qu’effleurera, mais sans s’y attarder le moins du monde _ pas davantage que le dialogue ni le scénario du film ne s’y appesantissent _ la tenancière (perspicace et bienveillante) du tout petit café à Lucignano ; lors de la séquence-tournant-du-film, un peu plus tard : celle-ci (une sexagénaire pleine de sagesse) fera un vif éloge du statut de « femme mariée » (« donna sposata« ) _ excellente Gianna Giachetti !..

En gagnant la voiture de la jeune femme, muni de la valise légère qu’il avait déjà _ et qu’il avait déposée (avant d’entreprendre la descente, par un vieil et assez étroit, et long, escalier de pierre, au sous-sol) _ en arrivant au magasin d’antiquités _ et qu’il a donc reprise au rez-de chaussée du magasin _, et à la question de savoir où il désire être conduit se promener,

« il » répond que peu lui importe où ils iront en balade,

son unique contrainte personnelle étant de devoir _ absolument _ reprendre le train ce soir à 21 heures : lui « accordant » sa journée, ainsi _ il est assez peu vraisemblable qu’il accorderait ainsi sa journée à une totale inconnue de « lui« 

Non sans un éclat de gourmandise dans le sourire, la pupille,

« elle » lui annonce alors, en un éclair d’improvisation malicieux, qu’elle va le conduire à quelque chose qui va l' »intéresser » ; et constituer pour « lui » une « surprise » ;

et il y en a, dit-elle alors, à peine pour une demi-heure de route _ la distance entre Arezzo et Lucignano est d’environ vingt kilomètres…

Commence alors une (permanente et virevoltante) conversation en voiture,

que la caméra de Kiarostami « suit » frontalement (et fixement) à travers le pare-brise ;

pendant que s’aperçoivent, à travers la lunette arrière surtout (mais aussi les vitres des côtés), après le lacis des voies de circulation plus ou moins encombrées de la ville où ils commencent par tourner, errer, quelques vues de la (superbe) campagne toscane (ensoleillée).


« Elle » en profite pour « lui » faire signer, tandis qu’ils commencent à rouler, encore en ville, six nouveaux exemplaires de son livre : l’un avec une dédicace pour sa sœur Marie (dont le mari bégaie, on ne peut davantage amoureusement : « M-M-M-M-Marie« , ainsi qu’il l’appelle-t-il joliment sans cesse ! mais c’est aussi un homme qui n’a guère de tropisme envers le travail…) ; une autre pour un « Alain » ; un troisième pour un « Professeur MIAO » ; et les trois autres sans dédicace : juste la signature…


Ce n’est pas tout à fait par hasard que la conductrice les mène _ la route est souvent à flanc de collines, et passe entre des rangées prestes et élégantes de très vénérables cyprés _ à Lucignano, une bourgade médiévale _ qui fut siennoise avant d’être florentine (et péruginoise aussi ; ainsi qu’arétine), et qui, de sa position sur la colline, domine le Val di Chiana : maintenant, la ville fait administrativement partie de la province d’Arezzo _,

une cité où les couples viennent nombreux, quasi en foule _ c’est une tradition qui « marche«  très fort ! on le constate aussi ce jour-là : un dimanche… _ se marier, accourant se faire photographier devant un majestueux « arbre de vie » (étincelant de ses ors et pierreries), splendeur d’orfèvrerie accessible (en une pièce à lui seul consacrée) au musée municipal, désormais : ce chef d’œuvre d’orfèvrerie médiévale ayant la réputation de « porter bonheur » aux nouveaux époux…

C’est ainsi qu’un jeune couple de tout frais mariés demande à ce « beau couple » resplendissant que, en effet, tous deux, elle, la française, et lui, l’anglais _ c’est en anglais exclusivement que jusqu’ici tous deux conversent entre eux… _ forment maintenant, « en la fleur de leur âge« ,

de se joindre à eux pour une photo « porte-bonheur » devant « l’arbre de vie«  d’or de Lucignano

_ James se faisant, toutefois, « prier«  ; il n’avait pas voulu aller (re-)voir (ayant déclaré, aussi, n’être jusqu’ici « jamais venu«  à ce village !) la sculpture monumentale, s’étant assis sur le seuil de la pièce où celle-ci se visite, et décidé à n’en pas bouger pendant qu’« elle » allait contempler « l’arbre de vie«  en sa magnificence ; c’est la jeune mariée qui finira par obtenir _ « c’est mon mariage«  ! _ qu’il vienne tout de même se joindre à eux (et à « elle« ) pour prendre place sur la photo « porte-bonheur«  (« Auguri !« , dit-on en italien)…

Les deux protagonistes tournant dans les ruelles pavées _ « elle » regrettant alors de n’avoir aux pieds ou à portée (dans sa voiture) que des paires de chaussures à haut-talon… _ concentriques de Lucignano (parsemé de ses kyrielles de couples de nouveaux mariés)

sont fréquemment interrompus dans leur conversation (acérée : ils ne sont pas d’accord et joutent à affronter leurs « convictions » respectives _ sur copie et original) par des appels comminatoires _ stridence des sonneries ! _ sur leur portable

_ lui, pour des raisons en partie professionnelles : il « se consacre«  à son travail, semble-t-il, même un dimanche ;

elle, par des appels de sa sœur Marie (dont elle est très proche ; et qui s’occupe aussi, très vraisemblablement, avec elle et du magasin d’antiquités et de Laurent, son neveu, quand la mère de celui-ci s’absente, comme c’est le cas cet après-midi-ci…)

et de son fils, Laurent, qui recherche un ustensile (nécessaire à sa « leçon particulière« ) dans l’appartement, et qui a parfois du mal à « se tenir«  à ses tâches scolaires (en l’occurrence cette « leçon particulière«  d’une heure, à domicile, ce dimanche après-midi, à deux heures : elle est « repoussée«  d’une heure par le professeur : à trois heures…) :

un thème très présent (par exemple, en 1989, le court-métrage Devoirs du soir…) dans l’œuvre cinématographique d’Abbas Kiarostami ; le garçon (qu’interprète ici excellemment le jeune Adrian Moore) fait partie de ces adolescents « curieux » et « obstinés«  kiarostamiens expérimentant les premiers affres (= un passage obligé !) de la conquête de leur autonomie face aux adultes et éducateurs (cf ici un beau passage sur ce point, citant Kant en son Qu’est-ce que les Lumières ?, pages 118-119 de l’essai de Frédéric Sabouraud)…

C’est lors d’une de ces interruptions

_ « lui«  vient de sortir du petit café, dans une de ces belles ruelles courbes et très étroites de Lucignano, pour répondre à un appel sur le portable : le « telefonino« , comme le désignent les Italiens : un appel professionnel ? une autre femme (ou « amante« , ainsi que l’envisage, mais sans lourdeur ni malveillance aucune, la patronne du tout petit café…) ?.. _

c’est lors d’une de ces interruptions intempestives qui caractérisent désormais notre modernité, que la jeune femme, « elle« , répond à la tenancière (affable, aimable, « maternelle« …) du petit café, qui les prend pour un couple (et un « beau couple » !) marié…

Comme l’a bien noté Mathieu Macheret en son article mentionné plus haut, c’est là

_ avec la « larme«  (d’« elle« ) qui va suivre (par sentiment de « déjà vu«  !!!) lors du récit par « lui«  de ce qu’« il«  observa cinq ans auparavant lors d’un séjour (il logeait à l’hôtel) à Florence : et qui est à l’origine, ainsi qu’il l’affirme à ce moment même du film, de son essai « Copie conforme«  :

à la fois la vision répétée (depuis la fenêtre de la salle de bains : au sortir de la douche, dit-il, d’une chambre d’hôtel, à Florence, donc) d’une mère ralentissant sa marche (les bras croisés…) afin d’attendre son fils qui traîne, un peu trop loin, à sa suite, à chaque coin de rue ;

  • Juliette Binoche dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

et celle d’un échange de paroles (à demi perçu seulement ; à demi deviné, par conséquent : par « lui« …) entre cette même mère et ce même fils devant la statue (une copie : l’original est à l’Accademia !) du (célèbre) David de Michel-Ange, Piazza della Signoria (toujours à Florence !) ;

et ce, à partir d’un souvenir personnel d’Abbas Kiarostami lui-même : à l’origine de ce film, par là !.. : le cinéaste en a fait la confidence avant le début du tournage en Toscane, en juin-juillet 2009 (repoussé d’une année pour raisons d’indisponibilité en mars-avril 2008 de Juliette Binoche, au jeu de laquelle Abbas Kiarostami tenait absolument ! comme il avait raison ! ;

et ce qui lui a, aussi, permis d’« apprécier«  les magnifiques aptitudes de comédien-acteur du baryton William Shimell en le dirigeant sur la scène à Aix, en juillet 2008 _ après avoir pressenti, pour son rôle, et Robert de Niro, et Sami Frey, et François Cluzet : une palette fort diverse de « potentialités« , comme on voit…

c’est là

le tournant de Copie conforme.

Au retour de James _ la tenancière (une figure maternelle, donc _ qu’incarne splendidement ! Gianna Giachetti : magnifique en ce rôle-clé sans en avoir l’air…) lui offrant un nouveau « caffè«  : l’autre ayant « refroidi«  : ô la belle métaphore ! _ dans le minuscule local de ce café d’une ruelle courbe de Lucignano,

le couple formé de la française et de l’anglais se met alors à « jouer » ce nouveau « jeu » du « couple marié« … _ du moins est-ce que nous, « spectateurs« , commençons par « penser« , nous « figurer«  ;

sur un site italien (du Val di Chiana), en date du 24 septembre 2008, on peut découvrir ceci, à propos de la trame du scénario envisagé (pour ce film à tourner sur son territoire) : « Per la trama, per ora trapelano poche notizie : sembra che si tratti della storia di una coppia francese, divorziata, che si ritrova successivamente in Italia dove inizia un nuovo rapporto«  ; c’est un indice intéressant !.. : à ce stade de la gestation du film…

Et déboulent alors, en avalanche difficilement arrêtable, des griefs :

c’est « elle » qui mène l’offensive et parle _ de son « absence«  à « lui » : endémique ! et au propre comme au figuré ! _ ; « lui » se défend ou se tait…

Mais désormais ils parlent tous deux _ et tous deux couramment, désormais ! avec beaucoup de brio, les deux ! _ en français et italien, et plus seulement en anglais, comme jusqu’ici _ dans le « jeu«  précédent (beaucoup plus « abstrait«  !), celui de « l’auteur et de l’admiratrice«  (même un peu critique)…

La rencontre impromptue d’un couple d’un certain âge de touristes français _ c’est « pour la quatrième, ou plutôt cinquième fois«  qu’ils viennent « ici«  (« ou en Italie« , du moins, peut-être), dit celle qu’interprète Agathe Natanson _,

sollicité de donner un avis _ « esthétique » comme « existentiel«  : plus encore… _ sur le « couple » de dieux (une déesse posant sa tête au creux de l’épaule du dieu ; ou du monstre…) statufié _ c’est une réalisation du décorateur du film ! _ au milieu de la fontaine monumentale _ montée ad hoc _ de la piazzetta,

est l’occasion, en aparté, d’un conseil « paternel » du mari (interprété par un Jean-Claude Carrière « royal« … : ami commun, à la ville, d’Abbas Kiarostami et Juliette Binoche) à James :

ce dont « elle » a « besoin » _ et cela la « guérira » de son « problème«  !.. _,

c’est seulement du geste de passer son bras (à « lui« ) sur son épaule (à « elle« ) ;

nous ne sommes pas en Iran, ici…

Et de fait, James accomplira très bientôt ce geste…


De même qu' »elle » aussi se laissera aller à appuyer sa tête sur l’épaule de son compagnon…

  • William Shimell et Juliette Binoche  dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

Mais les « égratignures » (réciproques) vont continuer un peu encore ; les blessures et les habitudes ne s’effacent pas (ni ne sont surmontées _ à la Hegel ; cf son concept de aufhebung) d’un seul coup de baguette, fût-elle « magique« …

Une habitude a un pli : on a tendance à y retourner…

Au sortir de l’église (San Francesco) de Lucignano

_ « elle«  ne s’y est pas rendue pour « prier« , dit-elle ; mais seulement pour ôter son soutien-gorge qui l’oppressait : l’église même où ils se seraient mariés il y a quinze ans : et ce jour-ci étant même (!) le lendemain du jour anniversaire de leur mariage !!! ainsi qu’« elle«  l’énonce (et même l’actrice en bafouillant un peu : mais la prise a été _ volontairement _ conservée !), à un moment donné : à l’Albergo-Osteria « Da Toto« , au « five o’clock« ,

http://www.ilterzogirone.it/immagini_minisito/thumb.php?file=images/big/fotohome_181009_1188920325.jpg&size=480&quality=100&nocache=0

à l’acmé de leur réciproque « irritation« … :

à l’évocation, alors, de la nuit qu’ils viennent de passer ensemble (pour cet anniversaire ! James est venu pour cela à Florence ! et « elle«  lui en sait gré…), mais où « lui » (« fatigué« ) s’est trop vite endormi ; cela étant énoncé, et avec douceur cette fois, dans la séquence radieuse (finale) de la chambre de leurs noces, il y a quinze ans… _,

et en même temps qu’un vieux couple _ il y en a donc _ dont la femme porte une attelle à la main gauche (avec deux doigts bandés) ; et l’homme qui la soutient, s’appuie, tout courbé, sur une canne,

« elle » « le » mène à l’hôtel (une « pensione« ) juste en face _ mais « lui » l’a apparemment « oublié« , en ce « petit-jeu«  là, du moins… _ où ils auraient passé, il y a quinze ans tout juste, donc, leur « nuit de noces » ;

ils gagnent même, par un escalier tout étroit, la chambre _ numéro neuf _ (lumineuse au couchant) au troisième étage et à hauteur des toits (« tranquilles« ), où se découvrent des colombes ;

http://www.spamula.net/blog/i07/jones4.jpg

mais « lui » ne se souvient, décidément, de « rien« , quand « elle » se souvient, « par le détail« , de « tout« …

Ils sont cependant tous deux « apaisés » ; et se sourient maintenant (ils se regardent et s’écoutent ; tous deux ont déposé aussi leur veste) : une lumière chaleureuse _ mordorée ! _ de fin d’après-midi (d’été) irradie la scène et le moment de sa grâce _ une lumière que l’on trouve dans les « Annonciations«  de Fra Angelico…

Image

Les cloches de l’église voisine se mettant à carillonner le long du plan final, comme extatique : sur les toits de Lucignano perçus (par la caméra) d’une des (petites) fenêtres grande ouverte _ celle du cabinet de toilette où « lui » est allé se rafraîchir et s’est aperçu (et miré) dans le miroir… _ de ce troisième étage nuptial d’il y a quinze ans déjà _ précédant le déroulé tranquille, ensuite, du générique de fin, sur lequel la nuit vient tomber progressivement (mais en accéléré, aussi) : sur le même plan (immobile, arrêté…) de « toits tranquilles avec clocher« .

Et même si

« il » reprendra peut-être, sinon probablement _ comme convenu à l’avance « entre eux«  deux le matin, un peu avant midi, au départ de la balade dominicale (de la boutique d’antiquités d’Arezzo) _, le train, à 21 heures _ mais nous n’en saurons rien… _,

la conclusion de « l’histoire » n’est cependant pas fermée (ni amère : c’est la douceur qui triomphe _ du moins à mon regard...)…

L’évolution tout au long des 106 minutes du film des visages des deux protagonistes _ « lui » rasé le samedi, pas rasé le dimanche, par exemple ; « elle » de plus en plus détendue au terme de ce dimanche… _

est, elle aussi _ et dans le même mouvement cinématographique, si je puis dire _, merveilleusement signifiante, en sa sobriété ;

avec le mutisme tout de pudeur sur les sentiments éprouvés

qui l’accompagne…

Une ouverture d’éventualités diverses demeure

_ ainsi que dans presque tous les films d’Abbas Kiarostami…

A « eux » _ les deux protagonistes, ainsi qu’à nous, aussi, les « spectateurs«  : en miroir un tant soit peu « réfléchissant« _ de faire, agir,

choisir,

un (tout petit) peu plus _ c’est infinitésimal, mais crucial… _ consciemment maintenant :

quitte à accepter et laisser faire, et approuver _ surtout ! _,

plus généreusement, et de meilleure grâce

_ voilà ce qui émerge peu à peu et finit, à mon regard du moins, par l’emporter sur tous le reste _,

approuver, donc, les initiatives _ et l’idiosyncrasie : aimée _ de l’autre :

avec (et dans) cette lumière chaleureuse et tendre _ mordorée _ de fin d’après-midi d’été toscan…

  • Juliette Binoche dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

Don Alfonso, dans Cosi fan tutte _ qu’a mis en scène à Aix Abbas Kiarostami (avec William Shimell dans ce rôle de Don Alfonso) en juillet 2008 _, a un (tout petit) peu plus de recul, lui, que James Miller, ici, dans Copie conforme : un temps d’avance _ celui aussi d’Abbas Kiarostami : lui est né le 22 juin 1940…

C’est peut-être simplement le recul _ de « distanciation« , en progrès, de l’âme _ de l’âge…

Toutefois : quelle est donc la « leçon »,

sinon de Mozart, en sa musique,

au moins celle de Da Ponte, en son livret

de Cosi fan tutte (ossia la scuola degli amante…) _ qui peut aussi se retourner en un « cosi fan tutti » : au masculin ?..

Restant encore à méditer « ce » qui, en ce drama giocoso (de 1790), distingue une Fiordiligi (et un Ferrando : les deux) d’une Dorabella (et un Guglielmo : les deux) _ c’est un des charmes (profond !) de cet opéra déconcertant autant que solaire !.. Déjà !

C’est pourquoi je « trouve«  que le Lucignano d’Abbas Kiarostami, sur sa colline en surplomb du Val di Chiana, a « reçu«  quelque chose de la Naples, sur sa baie, du Cosi de Da Ponte et Mozart _ musique, comprise, bien entendu ! Et via le passage de William Shimell du chant (sur la scène à Aix) au jeu d’acteur de cinéma (ici filmé à Lucignano)…

Pour lesquels (d’entre ces quatre de Cosi : Fiordiligi, Dorabella, Ferrando, Guglielmo) y a-t-il, déjà (et en ouverture de série ouverte, si je puis dire…), « copie conforme » :

de l’une à l’autre (et de l’autre à l’un) ?..

A creuser…

Et le personnage de James

  • William Shimell dans Copie conforme

© MK2 Diffusion

semble lui-même commencer _ car ce n’est pas fini ici ; en dépit du train qui va (peut-être) être pris par « lui« -même, à 21 heures à la gare d’Arezzo… _ à y réfléchir _ devant le miroir du cabinet de toilette de la chambre nuptiale (numéro 9) d’il y a quinze ans (avec nous « spectateurs«  du film témoins de ce mouvement capital !!! de l’esprit de James : capté par le miroir !) : comme si la vie

(et le personnage de sa compagne lui soufflant mais sans pression alors : « Reste !… » ; et en jouant à bégayer sur son prénom : « J-J-J-J-James« ...)

lui faisai(en)t infirmer et renverser in fine la thèse exposée, soutenue et défendue en son livre : la non-prévalence de l’original sur ses copies ;

il est vrai, toutefois, que le « sous-titre«  de l’essai (moins « vendeur« , aux dires de l’éditeur, que le « titre«  retenu, « Copie Conforme« …) était « La Copie : un chemin vers l’original« … : soit un éloge de la « reprise-poursuite-approfondissement« , alors, peut-être… ; ou aufhebung _,

dans la magique séquence finale…

Quels sens donne à un tel scénario _ via ses « tireurs de ficelles«  : Don Alfonso et Despina _ un Da Ponte, en son livret en son « dramma giocoso » ?

Et qu’en fait un Mozart, ensuite (et génialement !), d’après ce (premier) fil (italien : veneto-napolitano-ferrarais…)-là du livret et des dialogues, en sa géniale musique ?..


Et qu’en a « appris » Abbas Kiarostami _ ainsi que William Shimell, aussi ! _ lors de la mise en scène aixoise opératique de l’été 2008 ?

Fin de l’incise à partir de l’anecdote mozartienne :

Abbas Kiarostami ayant finalement choisi de remplacer, à l’écran, François Cluzet _ initialement pressenti pour le rôle de « lui« , face à la (sublime !) « elle«  de Juliette Binoche, nous révèle, page 146 de son superbe et très éclairant Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité, Frédéric Sabouraud : quant à cette « piste«  de distribution initiale ; le livre ignorant (encore, à sa parution) le choix de distribution effectif… _ par l’étrangeté (virile) qui « résiste » (pas mal du tout… : quelle belle « douceur » froide, mais combien « vibrante« , à la fin ! sur son visage si éloquemment « remué » mal rasé…) du baryton anglais William Shimell

dont le metteur-en-scène auteur du film avait pu tout spécialement « apprécier« , déjà, le « jeu » en le dirigeant (en chanteur, cette première fois-là : mais c’était le chant qui, là, faisait presque tout !), sur la scène du Festival d’Aix-en-Provence,

dans le rôle du « tireur de ficelles » de Cosi : Don Alfonso,

en juillet 2008 (à huit reprises : du 4 au 19 _ et il se trouve que j’étais présent à Aix ce 19 juillet-là ! à rencontrer Michèle Cohen pour préparer ma future conférence à La Non-Maison (elle eut lieu le 13 décembre suivant) sur le sujet de « Pour un Nonart du rencontrer«  !.. _  sur les tréteaux de bois du Théâtre de l’Archevêché aixois, donc).

Pari superbement réussi.

Le « James Miller » _ « Jacques Meunier« , en français _ de ce film étant sans doute aussi, pour partie au moins, quelque « morceau » _ d' »absence » ferme, élégante et comme flegmatique : à la fois « froid«  et « doux« , « lui«  dit-« elle« , en la séquence finale du film, allongée sur le lit dans sa robe flottante marron tendre ; et tout sourire ; « froid« , non, lui répond-il… _ d’Abbas Kiarostami lui-même, face _ peut-être ? mais je n’en sais rien ! _ à celle qui avait été sa partenaire (« réelle« ) dans la vie :

soient lui-même et la mère de ses fils ;

ayant eu, de facto, à se séparer : dans les années 70…

Sur le sentiment qu' »elle« , dans Copie conforme, éprouve de son « absence«  (« absence » à « elle » ainsi qu’à leurs fils) à « lui » (flegmatique, faisant le choix existentiel de n’être (presque) rien qu' »en son monde » (surtout professionnel _ cf l’échange décisif ! avec la patronne maternelle et perspicace dans le petit café de Lucignano) à « lui » _ ainsi qu’il en revendique « le droit« _ ; et pas assez « avec » « elle« , ni avec leur fils ; et qui porte son nom de famille…), dans le film,

cet excellent « résumé » de Jean-Luc Douin dans un très pertinent article (à part le malencontreux choix du titre (sans doute n’est-il pas, lui, pas de l’initiative de l’auteur de l’article !) : « « Copie conforme » : Kiarostami, un virtuose de l’illusion » :

Kiarostami étant fondamentalement et viscéralement un « réaliste » :

c’est seulement parvenir à percevoir et comprendre (puis nous le faire ressentir) le « réel » en toute sa complexité !

ses effets (en volutes et feuilletages ! mais ô combien « réels » _ à la Ronald Laing : Nœuds ; le livre est paru en 1970… _) de malentendus autant que d’ententes : tissant et retissant, en tensions, leurs croisements et décroisements quasi permanents et renouvelés_ à jours ! : une dentelle charnelle à vif !!! _, tout particulièrement !

qui, et de part en part, et rien que cela, et radicalement,

le « mobilise » !!!)

article paru sur le site du « Monde » , le 18 mai :

« On ne peut parler de guerre des sexes chez Kiarostami,

mais plutôt de malentendu _ oui ! mais vertigineux et assez douloureusement sensible en la spirale et l’induration de ses effets et conséquences croisés : la distance, l’absence, l’éloignement, la séparation, la rupture, le divorce ; entremêlés d’élans d’amour et de tendresse, et pas que de désirs (même charnels : en leurs rapprochements)…

Les hommes, chez lui, vivent dans l’illusion _ égocentrée _ que l’amour des femmes leur est acquis _ voilà _ et qu’ils n’ont pas besoin _ voilà encore _ de donner _ eh! eh ! _ sans cesse des preuves _ un tant soit peu tangibles, signalétiques _ d’affection.

Tandis que les femmes ont une conscience _ moins égocentrée _ aiguë de l’insécurité _ qui les trouble et les agite. Elles craignent d’être délaissées _ quittées : pour une autre ? ou pour le travail (parfois passionné de certains hommes) _ et réclament des gages _ plus perceptibles, sinon ostensibles _ d’amour, des rappels _ voilà _ de complicité _ se tissant… Leur sérénité _ à conquérir et établir, construire, fonder _ passe par la certitude _ subjective et « demandée«  sans cesse : à sans cesse « recevoir » du partenaire la leur « donnant«  _ de pouvoir compter _ subjectivement _ sur un homme assumant _ et en en donnant quotidiennement quelques signes, quelques marques : renouvelées _ ses devoirs d’époux et de père. Un homme qui serait là _ présent, et non absent : ni au figuré, ni au propre ! voilà l’axe du film ! _ aux bons moments, qui n’oublierait pas leur anniversaire de mariage et qui aurait conservé, comme elles, le souvenir des heures magiques de leur idylle«  :

c’est très parfaitement résumé là !..

Confiance et entente (amoureuses : intimes !) se forgeant dans la douceur et la tendresse au fil _ rasséréné _ des jours (l’intimité est « un rapport » ! dynamique, elle est une tension vectorielle…) ; l’époque présente étant, elle _ tellement bousculante et bousculée qu’elle est : elle tend le plus souvent à « consister« , hélas, seulement en son « inconsistance«  même, sinon carrément son vide abyssal… _ plutôt « au stress » : stress qui nous expulse de tout, en nous mettant sans cesse hors de nous et hors de liens vivants et aimants et confiants à quelques autres, proches, très proches ; ou croisés et rencontrés :

cf l’analyse là-dessus, de Michaël Foessel, le très important (lucidissime et très fin) : La Privation de l’intime (+ mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie« )…

A propos de Don Alfonso _ j’y reviens in extremis _,

ainsi que du « touriste français » « d’un certain âge » (superbement) incarné par Jean-Claude Carrière, croisé sur la piazzetta de Lucignano _ dans la fiction du film, du moins _, et « donneur » _ gratuit et généreux (gentil ! partageur d’« humanité« …) en cette rencontre impromptue (alors qu’il sait aussi se mettre en colère : avec un correspondant  au telefonino ! en un détail de mise en scène qui a son sens, comme tout dans le cinéma si « riche«  de Kiarostami !) _ du « bon conseil« ,

ceci _ encore, et pour finir _ :

Vive l’attention ! Vive la déprise (de l’humour sur soi) ! Vive l’ouverture de l’amour vrai !

Vive la sagesse du mûrir

et du questionnement distancié…

Vive la générosité !

Quant à l’essai _ très éclairant ! _ de Frédéric Sabouraud, Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité,

il balaie magnifiquement

en fouillant vraiment en profondeur

tout le champ de l’œuvre kiarostamien _ avant Copie conforme tourné en 2009 _ en 322 pages :

à la fois il l’analyse de très près ;

et il le « situe« 

_ cf l’usage de ce concept de « situation«  par Martin Rueff en son important « Différence et identité _ Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel« …

et cf à la suite mes articles : « la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff _ deuxième parution »

et « De Troie en flammes à la nouvelle Rome : l’admirable “How to read” les poèmes de Michel Deguy de Martin Rueff _ ou surmonter l’abominable détresse du désamour de la langue«  _

et en la culture iranienne _ depuis le zoroastrisme ! bien plus loin que l’Islam, même shiite _  ;

et dans le champ de la modernité, tant cinématographique et artistique que philosophique…

Les titres de ses chapitres

(depuis l’Introduction : « Questions autour de la modernité » jusqu’à la Conclusion : « Peut-on encore être persan ?« )

sont déjà, en leur imparable justesse, parfaitement éclairants :

I _ « L’étrange proximité de la fiction kiarostamienne« 

II _ « Un récit d’émancipation et de contournement« 

III _ « Le cinéma rendu visible« …

Car l’étrangeté _ et la grâce ! _ de ce cinéma-là, si puissamment singulier, d’Abbas Kiarostami, en son œuvrer,

consiste à intégrer dans l’intelligence et sensibilité à l’époque

_ ainsi qu’à la condition de « sujet humain«  (moins « in-humain«  !) ; sujet s’extirpant du statut réificateur d’« objet«  ! _,

car l’étrangeté _ et la grâce ! _ de ce cinéma-là, si puissamment singulier, d’Abbas Kiarostami, en son œuvrer

consiste à

intégrer dans le dispositif _ ou « agencement«  _ d’intelligence et sensibilité à l’époque

la place _ et la dynamique _ du spectateur activement attentif, donc _ « revisitant » ainsi « le cinéma«  ! _,

à ce que l’auteur, en l’occurrence ce génial Abbas Kiarostami, réussit à lui donner, le lui montrant,

en son art

qui tout à la fois lui-même et se montre et s’efface _ par sa propre « retenue » et son auto-ironie _

au profit de l' »évidence« 

_ laquelle est un un événement (et un avènement) ! cf l’analyse que fait de ce concept Jean-Luc Nancy :

« l’évidence pensive«  (celle d’« un autre monde qui s’ouvre sur sa propre présence par un évidement« ),

« est celle qui, dans son sens fort, n’est pas ce qui tombe sous le sens,

mais ce qui frappe

et dont le coup ouvre une chance pour du sens.

C’est une vérité, non pas en tant que correspondance avec un critère donné, mais en tant que saisissement.

Ce n’est pas non plus un dévoilement _ ponctuel et définitif _,

car l’évidence garde toujours un secret ou une réserve essentielle : la réserve de sa lumière même, et d’où elle provient«  :

cette citation de « L’Évidence du film : Abbas Kiarostami » (aux Éditions Yves Gevaert, en 2001) se trouve page 97 de l’essai de Frédéric Sabouraud : Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité_


au profit de l' »évidence » _ ainsi nancéennement entendue _ du seul « réel« 

à découvrir « vraiment » : le plus « réalistement » possible, par conséquent !

par nous…

Nous sommes là à mille lieues du fantastique ! et de sa « poudre aux yeux »

détournant de la quête

de la vérité du « réel »

D’où cette articulation prodigieuse _ comme rarement en d’autres œuvres ! j’en ai cité plus haut quelques unes qui lui sont fraternelles : Faulkner, Joyce, Virginia Woolf, Thomas Bernhard, Antonio Lobo Antunes, Imre Kertész, Francis Bacon, Lucian Freud, Bela Bartok… _

de la « visibilité » même « du cinéma«  (en effet ! mais sans maniérisme, ni hystérisation de l’artiste ! ainsi « revisité » ! le titre de Frédéric Sabouraud est parfaitement justifié !)

et d’une « proximité » éminemment lucide à ce qui nous est ainsi (= ainsi dégagé, exhumé, désensablé par cet art) montré, découvert _ mais avec une fondamentale « retenue » aussi, de la part d’Abbas Kiarostami ! _ à partager-constater _ en y faisant (= y jouant) « notre partie«  de l’effort pour y accéder : c’est un apprentissage, une conquête toujours personnelle ! _ du « réel« ,

avec (et par) la médiation la plus fine et légère (ou la moins épaisse et lourde : « retenue » ! donc, elle aussi…) possible

d’une conscience de la « distanciation » _ brechtienne ! et benjaminienne, aussi… _ de la part du « spectateur » que nous sommes, ou devenons _ = avons à devenir : c’est un appel ! sinon une « vocation«  _, en acte,

« appelés« , nous aussi, à devenir, à notre tour, « sujets de nos vies« ,

à travers la circonstance _ j’en fais un concept : au singulier ! _ en majeure partie fortuite

de nos rencontres…

Un éclairage passionnant que ce très riche et très juste essai de Frédéric Sabouraud, Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité : très vivement recommandé !..


Titus Curiosus, ce 23 mai 2010

_ avec quelques rajouts (suite à ma troisième vision du film Copie conforme, le vendredi 28 mai ; puis la quatrième, le vendredi 4 juin : toujours avec le plus vif plaisir de découvrir de nouveaux « détails« )…

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur