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Ré-écouter en continu le puissamment charmeur et envoûtant « El Dorado » de John Adams (de 1991), dans l’enregistrement de Kent Nagano (en 1993, pour Nonesuch), en suivant aussi les analyses qu’en donne, avec admiration et lucidité tranquille, Karol Beffa en son passionnant et très riche « L’Autre XXe siècle musical » : pour contribuer à cerner l’idiosyncrasie de sa puissante imageance à travers les inventives hybridations de ses compositions…

10juil

Ce dimanche matin, et comme pour saluer le très beau temps et la chaleur californienne promise et à venir,

je mets sur ma platine le magique et troublant « El Dorado » de John Adams , en 1991,

tel qu’interprété par le Hallé Orchestra sous la direction de Kent Nagano, en un superbe enregistrement en juillet 1993, à Manchester _ soit le CD 14 du superbe merveilleux coffret de 40 CDs de l’Intégrale Nonesuch 075597932294 de nouveau disponible ! Quel trésor ! _,

en suivant aussi les pages d’analyse que lui consacre Karol Beffa, aux pages 181 à 200, de son indispensable « L’Autre XXe siècle musical »

_ cf aussi la vidéo de mon très détaillé entretien avec Karol Beffa, sur ce livre, à la Station Ausone (de la librairie Mollat) à Bordeaux, le vendredi 25 mars dernier, accessible aussi en mon article du 7 avril suivant : « « 

Outre son talent, d’abord, bien sûr, de compositeur, mais aussi, ensuite, d’interprète (au piano, ou à la direction d’orchestre), ainsi, encore, que d’enflammé improvisateur au piano,

Karol Beffa est un magnifiquement compétent écouteur-mélomane ainsi qu’analyseur merveilleusement fin de musique,

et un très efficace partageur _ communiquant et pédagogue _ de tout cela !

Que de talents réunis _ et si efficacement inter-connectés _ en ce très remarquablement sur-doué de la musique !!!

Ce n’est donc peut-être pas tout à fait un hasard, si, pour Marcel Bluwal et la télévision, en 1982, le petit Karol Beffa, âgé alors de 8 ans, a interprété le rôle de l’enfant Mozart _ écouter ici son témoignage rétrospectif là-dessus le 13 novembre 2020 sur France-Musique…

Bien sûr, jouir de la musique de l' »El Dorado » de Johns Adams, ne passe pas nécessairement, et loin de là (!), par la lecture de l’analyse que sait si finement en donner Karol Beffa.

Et il est même très fortement déconseillé de commencer par là !

La jouissance de la musique est d’abord une délectation de la sensibilité la plus ouverte et accueillante à l’inouï, et impromptue qui soit…

L’analyse compétente et sereine _ dénuée de pathos _ n’est en quelque sorte qu’un luxe supplémentaire pour une écoute peut-être un peu plus affinée _ mais ce n’est même pas sûr : à chacun de savoir aussi la transcender en son écoute la plus sensible et ouverte possible de la musique rencontrée… _, tel celui d’une belle cerise sur un surtout très délicieux gâteau…

Voilà :

découvrir et arpenter tout l’œuvre enregistré sur disques, ici pour Nonesuch, de John Adams, à défaut de l’écouter live au concert, est une chance à saisir désormais bien plus accessible.

Et, oui, John Adams est bien un compositeur admirable de cet « autre XXe siècle musical » un moment discrédité,

qui se situe, en sa création éminemment singulière, et nécessairement hybride aussi, tout à fait dans la lignée des grâces somptueuses d’un  Debussy et d’un Ravel, notamment _ en ce chapitre « El Dorado » de son livre, c’est à trois reprises, pour Debussy, et quatre reprises, pour Ravel, que Karol Beffa évoque ces noms pour les relier au plus intime de l’œuvre si puissamment charmeur et envoûtant, en son idiosyncrasie propre, de John Adams…

Cet article-ci de ce dimanche matin

prolonge celui du mercredi 30 mars dernier « « , qui permettait d’accéder aux podcasts des écoutes de la partie I (« The Machine in the Garden« , 12′ 40), et la partie II (« Soledades« , 16′ 09), de l’ « El Dorado » de John Adams en ce même enregistrement pour Nonesuch, sous la direction de Kent Nagano, à Manchester, en juillet 1993

Ce dimanche 10 juillet 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

D’admirables éblouissantes interprétations des Concertos pour piano de Saint-Saëns par Alexandre Kantorow au clavier et et son père Jean-Jacques à la direction de l’orchestre du Tapiola Sinfonietta : deux CDs absolument jubilatoires !

21juin

Le centième anniversaire, le 16 décembre 2021, du décès de Camille Saint-Saëns

(Paris, 9 octobre 1835 – Alger, 16 décembre 1921)

est magistralement (!!!) célébré au disque

par deux superlatifs SACDs BIS _ à grimper au rideau de pur plaisir ! _ d’Alexandre Kantorow, au piano, et son père Jean-Jacques Kantorow dirigeant le Tapiola Sinfonietta,

les CDs BIS 2300 et 2400, parus respectivement en 2019 et 2022,

qu’a superbement chroniqués, sur son site Discophilia, Jean-Charles Hoffelé,

en deux articles successivement intitulés « Bravoure » (en date du 21 mai 2019) et « Grand Piano » (en date du 14 juin 2022).

BRAVOURE

Et si le coup de génie pour réussir les Concertos de Saint-Saëns était l’entente intime et donc absolue entre le piano et l’orchestre ? À ce titre là, aucun pianiste n’aura eu cette chance, sinon peut-être Magda Tagliaferro pour son Egyptien _ le n°5 _ avec Jean Fournet.

Il aura fallu qu’un fils et un père s’y attellent. Evidemment, ce disque insensé doit être le premier volume d’une intégrale de tout ce que Saint-Saëns aura écrit pour son piano – il était un virtuose, cela s’entend : oui, oui… – et son orchestre. Car l’écoute délicate et fusante entre Alexandre et Jean-Jacques Kantorow expose enfin le génie de ces œuvres qui ne sont pas du tout des concertos classiques, se jouent des genres, revendiquent le droit à une fantaisie absolue _ voilà : Saint-Saëns ne manquait certes pas d’esprit !

Ce n’est pas peu écrire qu’ils sauvent l’opus le plus délicat de la série, ce Troisième _ composé en 1868 _, généralement le pont aux ânes des intégrales, ici en dessin clair _ oui _ et malgré ses ombres il rayonne _ mais oui… Le Quatrième _ composé en 1875 _ par le naturel absolu _ voilà ! _ de leur interprétation, rejoint Casadesus, les mêmes lignes lumineuses, mais l’ampleur des timbres en plus.

Et l’Egyptien ? Concerto redoutable _ composé en 1896 _, un peu Douanier-Rousseau, mais chéri des fortes personnalités : Tagliaferro l’aimait autant que Sviatoslav Richter, tous les deux y voyaient des Espagnes et un exotisme où le piano inventait d’autres sonorités tout au long de l’Andante qui n’est pas qu’un voyage en felouque : Saint-Saëns y produit une divagation poétique inouïe _ oui _ dont Alexandre Kantorow saisit les alliages subtils avec des caresses de grand fauve. Lorsque le motif de la musique nocturne sur le Nil résonne, il évoque dans le battement des accords qui stridulent le haut du clavier une dimension onirique que personne n’avait poussé aussi avant, avec une telle précision, ni Magda ni Sviatoslav.

La finesse _ oui _ des couleurs et des dessins que lui offrent son père et ses musiciens finnois sont de la pure poésie _ voilà. Le Finale peut venir, Alexandre fait fuser tranquillement son clavier, envole tendrement son piano avec des agilités de chérubin, petit génie dont ce n’est que le troisième opus ! J’admire !

LE DISQUE DU JOUR

Camille Saint-Saëns
(1835-1921)


Concerto pour piano et orchestre No. 3 en mi bémol majeur, Op. 29
Concerto pour piano et orchestre No. 4 en ut mineur, Op. 44
Concerto pour piano No. 5 en fa majeur, Op. 103 “L’Égyptien”

Alexandre Kantorow, piano
Tapiola Sinfonietta
Jean-Jacques Kantorow, direction

Un album du label BIS 2300

Photo à la une : le pianiste Alexandre Kantorow – Photo : © DR.

GRAND PIANO

En ouvrant l’album, une photographie montrant Saint-Saëns jouant sous la direction de Pierre Monteux, Salle Gaveau le 6 novembre 1913 me saute aux yeux. Quelle belle idée, pour illustrer le deuxième volume d’une intégrale de tout ce que le compositeur du Carnaval des animaux aura écrit pour le piano et l’orchestre.

L’ampleur _ oui _ de la déclamation initiale du Deuxième Concerto _ composé en 1868 _, jusqu’au tonnerre qui ouvre le grave du piano, puis ce thème modelé avec une douleur sourde, quel art, quelle façon de faire entendre dans cette partition si courue comme une autre musique _ exotique… Saint-Saêns fut un immense voyageur de par le globe…

Le père aide le fils, cet orchestre n’est pas en retrait, il est absolument consubstantiel aux sons qui murmurent ou jaillissent du grand meuble dont Alexandre Kantorow joue comme d’un orgue, rappelant à quel point Saint-Saëns savait élargir le piano en creusant l’espace entre les registres. Faire entendre cela est simplement inouï. Finale épique, l’orchestre bondissant autant que le pianiste dans un saltarello à perdre haleine.

Génial _ absolument ! _ , comme tout le disque où le fils et le père rédiment le Premier Concerto _ composé en 1858 _ et se délectent des bizarreries _ en effet délicieuses _ d’Africa  _ terminé de composé au Caire, le 1er avril 1891 : Saint-Saëns adorait séjourner en Afrique ; et est, d’alleurs, décédé à Alger… _, de la fantaisie pince-sans-rire du Wedding Cake _ de 1885 _ (comme ce jeune homme sait se moquer, ses doigts rire !) ou encore de la pétillante bourrée _ en 1884 _ de la Rhapsodie d’Auvergne !

LE DISQUE DU JOUR


Camille Saint-Saëns (1835-1921)


Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ré majeur, Op. 17, R. 185
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en sol mineur, Op. 22, R. 190
Wedding Cake, Op. 76, R. 124
Allegro appassionato en ut dièse mineur, Op. 70, R. 37
Rhapsodie d’Auvergne, Op. 73, R. 201
Africa, Op. 89, R. 204

Alexandre Kantorow, piano
Tapiola Sinfonietta
Jean-Jacques Kantorow, direction

Un album du label BIS Records 2400

Photo à la une : le pianiste Alexandre Kantorow – Photo : © DR

Œuvres superbes _ et magistralement classieuses… _ d’un immense, très grand, compositeur français,

à redécouvrir comme ici…

Et interprétations magnifiques _ que dis-je, absolument éblouissantes ! _

absolument idoines à l’idiosyncrasie du puissant génie singulier de l’élégant et clair et imaginatif et fantasque Saint-Saëns,

des Kantorow, fils et père,

saisis ici, au Tapiola Hall, à Espoo, en Finlande, en un jubilatoire enthousiasmant état de grâce…

Un double enchantement discographique, donc.

Et un must pour toute vraie discothèque !

Constituant une aubaine à ne surtout pas laisser passer…

Aux bons entendeurs de musique à ce point de perfection-là incarnée, salut !

Ce mardi 21 juin 2022 _ Fête de la musique… _, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un Ravel « vers le sombre », en effet, par François-Xavier Roth et Les Siècles, Cédric Tiberghien et Stéphane Degout…

31mai

Oui,

j’approuve pleinement l’appréciation « Vers le sombre«  que Jean-Charles Hoffelé, en son Discophilia, porte sur l’admirable et absolument enthousiasmant CD « Concertos pour piano, Mélodies » _ écoutez-en ici de très éloquents extraits ! _

que nous offfrent ce mois de mai 2022 François-Xavier Roth et Les Siècles, Cédric Tiberghien ainsi que Stéphane Degout,

avec leur très beau CD Harmonia Mundi HMM 902612…

VERS LE SOMBRE

Le piano file, clavier léger de geste, savoureux de timbres. Accordé au souci philologique que François-Xavier Roth déploie au long de son parcours Ravel parvenu à son quatrième album, Cédric Tiberghien, dont je désespérais qu’il vienne enfin à Ravel, joue un élégant Pleyel « Grand Patron » de 1892. Une certaine nostalgie naturelle de son nuancier fait merveille dans les gris colorés de l’Adagio assai du Concerto en sol, Les Siècles raffinant un décor onirique.

C’est l’un des plus beaux moments de cet exaltant disque Ravel, partagé entre piano et voix. Stéphane Degout met son timbre noir à Don Quichotte, aux mystères des Mélodies hébraïques, surtout à des Mallarmé à tomber, où pour Soupir Cédric Tiberghien transforme son Pleyel en gamelan, empêchant de son clavier-couleurs que je puisse regretter la vêture instrumentale dont Ravel aura aquarellé l’original. Et quel raffinement dans les aigus du Placet futile.

Sombre disque qui va d’un mouvement implacable même pour une Pavane pour une infante défunte pourtant allégée, vers le Concerto pour la main gauche emporté entre fureur et rêve par Cédric Tiberghien, inspiré par les singularités de son Pleyel. Abîme vertigineux des cadences, marche de cauchemar, ciel noirci d’étoiles mortes, toute une poésie macabre qui se donne à entendre dans la nouvelle version éditée sous le contrôle de François Dru.

Puis Sainte, ce chef-d’œuvre ignoré, pur mystère de mélancolie. Ecoutez seulement.

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)


Concerto pour piano et orchestre en sol majeur, M. 83
Don Quichotte à Dulcinée,
M. 84

2 Mélodies hébraïques,
M. A22

Pavane pour une infante défunte, M. 19
3 Poèmes de Stéphane Mallarmé, M. 64
Concerto pour la main gauche en ré majeur, M. 82
Sainte, M. 9

Cédric Tiberghien, piano
Stéphane Degout, baryton
Les Siècles
François-Xavier Roth, direction

Un album du label harmonia mundi HMM902612

Photo à la une : le pianiste Cédric Tiberghien – Photo : © Jean-Baptiste Millotui, en effet, 

 

Oui, en effet,

existe aussi le sombre _ délicat, jamais insistant ni complaisant, bien sûr _ de cette mélancolie ravélienne,

fort bien saisi et rendu ici par ces superbes interprètes…

Gratitude à eux. Merci !

Je dois cependant ajouter l’analyse tout à fait magnifique que fait de cet admirable CD, ce 31 mai, lui aussi, Charles Sigel, sous l’intitulé, à nouveau, « La Part d’ombre« , sur le site de ForumOpera.com :

CD
Par Charles Sigel | mar 31 Mai 2022 |

Il y a dans ce disque Ravel composé comme un récital tout à la fois sa sensualité et sa part d’ombre.
C’est surtout aux mélodies que nous nous arrêterons, parce que la voix est la vocation première de ForumOpera bien sûr, et aussi parce qu’elles offrent l’occasion de retrouver Stéphane Degout dans ses œuvres, dans une période décidément faste, après son sublime Jésus dans la Passion selon Saint Matthieu dirigée par Raphaël Pichon, et le non moins merveilleux Chant de la terre, de Mahler/Schönberg, tant admiré il y a peu.


© D.R.

« Une volupté un peu coupable »

Outre le plaisir d’entendre la complicité _ oui _ entre Stéphane Degout et le merveilleux Cédric Tiberghien, c’est celui des timbres _ oui ! _ qui ajoute à l’intérêt de ce disque : un piano Pleyel « Grand patron » de 1892, les cordes en boyaux et les instruments « d’époque » des Siècles, tous plus vénérables les uns que les autres, apportent leurs couleurs singulières _ oui!

Rien d’archéologique dans cette entreprise. Emile Vuillermoz, familier de Ravel, écrit ceci (que cite Marcel Marnat dans son indépassable biographie du compositeur (Fayard, 1986) : « Bien qu’il s’en défende, [Ravel] aime le son pour le son, ne faisant pas mystère de la volupté aigüe et un peu coupable qu’il recherchait en ouvrant, dans une maison de campagne longtemps abandonnée, un vieil instrument désaccordé dont les sons décalés créaient les plus savoureuses interférences », ajoutant : « Il est indiscutable que le timbre possède à lui seul une radioactivité qui peut nous donner une émotion artistique » _ merci pour cette très judicieuse citation.

Mi-voix

Le plus beau, à notre goût, évidemment subjectif, ce sont les Trois poèmes de Stéphane Mallarmé, écrits en 1913 et créés en 1914 dans leur version avec ensemble de chambre. La version avec piano seul, qui se prive des charmes sonores exquis de l’orchestration ravelienne, met d’autant plus l’accent sur les textes de Mallarmé. Grâce à la diction parfaite _ oui _ de Stéphane Degout, on ne perd rien de leurs syllabes parfois absconses…
Le clair Pleyel fait des merveilles dorées des quelques arpèges d’introduction à Soupir, avant que la voix du baryton ne s’élève comme le blanc jet d’eau dont parle le poète… ne s’élève pas beaucoup d’ailleurs puisqu’elle restera dans d’intimes demi-teintes : Degout donne peu de volume et passe très souvent en registre de tête, disant autant qu’il les chante les mots subtils.

La seconde strophe sera encore plus improbable: un mi mineur indécis comme l’esprit du texte achoppe sur les accords dissonants tombant  sur « pâle et pur » et la voix monte vers « langueur infinie » comme s’il fallait mourir là et semble, sur les ponctuations dans le grave, errer à l’image de « la fauve agonie des feuilles ». Merveilleuse fusion _ oui _ entre les mots, la ligne musicale sinueuse et la voix du diseur qui se donne de faux airs fragiles.


Stéphane Degout © Julien Benhamou

Placet futile n’est que causticité moqueuse, préciosité faussement Louis XV et second degré. L’introduction module insaisissablement et la voix s’amuse à se faire considérable, puis elle ondule comme cet abbé de cour maniéré qui emberlificote ses métaphores et s’y perd. L’humour de Degout, qu’on admirait récemment en Ford d’un Falstaff lyonnais, s’y donne libre cours, la voix s’offre des éclats sur « bichon embarbé », puis s’en va onduler avec les « coiffeurs divins », que ne renierait pas Gonzalve, le rimailleur de L’Heure espagnole. Au passage toute la palette des couleurs de cette voix sont mises à contribution, sur un accompagnement impalpable du piano aux tonalités flottantes. _ oui, oui, oui.

Le mini-cycle s’achève avec Surgi de la croupe et du bond, qui, après traduction, n’est en somme que l’évocation énigmatique et pince-sans-rire d’un vase sans fleur et donc sans parfum, contemplé par un sylphe peint au plafond _ voilà. Tonalité suspendue et phrasé ondoyant, la voix se timbre à nouveau (mais pas trop) pour simplement dire les mots, plaisir mallarméen des consonnes et des voyelles, sur les notes cristallines du Pleyel et d’impalpables harmonies. Bel exercice d’effacement discret _ tout à fait ravélien _ de la part des deux interprètes.

Sainte mettait déjà en musique le poète de Valvins quelque vingt ans plus tôt (1896, Ravel avait 21 ans) et clora le disque dans sa simplicité. Quatre quatrains et des accords sages comme une procession, une ligne mélodique plus traditionnelle (fauréenne ?) et moins proche de l’intime du texte. Sobre legato, crescendo montant vers « Magnificat » puis lente descente jusqu’au silence. Effacement devant le mystère _ voilà.


© D.R.

Les derniers mots de Ravel

Don Quichotte à Dulcinée est la dernière composition de Ravel, datée de 1932-33, formant avec le Concerto en sol (1929-30) et celui pour la main gauche (1929-1931) son legs ultime.
Les trois mélodies sur des textes de Paul Morand s’appuient sur des rythmes de danses hispanisantes, successivement guajira, zortzico basque et jota aragonaise, et les imitations de guitare en tombent naturellement sous les doigts de Cédric Tiberghien sur ce Pleyel si léger, pour accompagner la voix de Stéphane Degout qui retrouve là toute sa superbe _ en effet.
Fière interprétation, cambrée, d’un beau métal pour la Chanson romanesque, avec la juste pointe de galanterie du « Madame » ; ferveur et legato de la Chanson épique, puissance à partir de « bénissez ma lame », puis douce piété de la dernière strophe, et allègement sensible de l’Amen final ; truculence de la Chanson à boire, éclatante à souhait, et rutilances du piano, dont on admire le rebond, le brillant et la pétulance, en dépit de ses 130 ans au compteur (mais il est vrai qu’on lui a offert une cure de jouvence). Belle interprétation évidemment, à laquelle manque l’on ne sait quoi de charme enivrant qu’y apportait un José van Dam, dont c’était un des morceaux de bravoure _ en effet.

Autre sommet, Kadisch, d’une sobre grandeur, s’appuie sur toute la solidité de la voix, et monte sans pathos jusqu’à d’admirables vocalises, puissantes, portant à la fois le désespoir et l’espoir. Plus aucun pittoresque ici, ni maniérisme, mais un appel à ce qu’il y a de plus grand, quelque chose de profondément humain et de surhumain en même temps _ oui, cela aussi très ravélien… La musique dans ce qu’elle a de plus illimité.
Le piano scande d’abord une note obsessionnelle, une manière d’appel, puis par une vague d’arpèges ascendants, semble libérer la prière, et enfin, sous les vocalises, sonne comme un glas sur un obsédant accord do-mi bémol, dans l’extrême grave. Et le Pleyel ajoute sa richesse de timbres et de couleurs à un chant d’une funèbre noirceur _ oui.
Après cela l’Enigme éternelle, la seconde des Mélodies hébraïques, avec sa fausse joie _ dans tout l’éclat discret de l’humble profondeur ravélienne _, viendra comme une manière de soulagement.


Le Pleyel Grand Patron 1892 © Atelier Galland

A la fin c’est l’ombre qui gagne

Deux mots sur le reste du programme, où le piano prend toute la lumière _ en effet, et comment !

La Pavane pour une Infante défunte sur le Pleyel de 1892, prise sur un tempo assez rapide, – mais après tout Ravel disait que c’est pour le plaisir seul de l’allitération qu’il l’avait dédiée à cette espagnole expirée, donc pas de raison d’en accentuer le côté funèbre – sonne dorée et limpide _ oui _, au-dessus d’amples graves voluptueux, et la différence entre les registres y est particulièrement audible : la ténuité aigrelette des aigus, l’éclat puissant et dru du médium, l’ampleur majestueuse des basses.


François-Xavier Roth © D.R.

Grâce aux instruments des Siècles, dont l’inventaire minutieux a quelque chose de poétique _ oui _, et à la direction ardente _ en effet : c’est très juste ! _ de François-Xavier Roth, le Concerto en sol est plus polychrome _ oui _ que jamais. Et on prête l’oreille aux moindres faiblesses du piano vénérable. On croit entendre de touchantes fragilités dans l’aigu, mais aussitôt la santé pétulante du centre du clavier et la profondeur des graves rassurent. Cédric Tiberghien est un coloriste subtil, on le sait depuis longtemps, ses arpèges et ses trilles en demi-teintes ont l’éclat méditerranéen d’un Bonnard _ oui. Il y a des graves percutants qu’on prend dans l’estomac, des flûtes agaçantes, des trompettes pétaradantes qui évoquent ironiquement un quartier de cavalerie le matin, de l’électricité dans l’air _ absolument…

Le mouvement lent demande une bonne installation d’écoute pour entendre les résonances de ce vieux Pleyel, qui pourront sembler un peu courtes. On y perd un peu de suavité et de fondant, mais on y gagne une sorte de fragilité, de nudité, d’émotion _ ravéliennes, elles aussi _, naissant d’une sonorité qui semble menacée… A partir de l’entrée des partenaires, la clarinette basse, la flûte (stridente à souhait), et surtout le cor anglais, promu partenaire privilégié d’un moment chambriste, ce sentiment craintif disparaîtra et ce son un peu grêle et mal assuré ajoutera une saveur de plus, sur le noble tapis des cordes en boyaux. Il y a quelque chose de bonhomme, d’agreste, dans cette palette de sons, et on aime définitivement la sonorité narquoise de ces bois français.
Plus aucune inquiétude pour le vieux monsieur plus que centenaire _ qu’est ce piano Pleyel « Grand patron«  de 1892… _ dans la frénésie du troisième mouvement, coruscant et acidulé. Basson français nasal, cors boisés, clarinettes sardoniques, glissando des trombones, tout cela éclate de saveur et d’impertinence _ ravéliennes elles aussi.


François-Xavier Roth © D.R.

Qu’importe le flacon ?

Le Concerto pour la main gauche est l’autre sommet de ce disque _ oui. Faisant appel à un orchestre énorme (à la différence de celui en sol qui n’a besoin que d’un effectif restreint), c’est ici un festival de sonorités intrigantes, roboratives, voluptueuses, mais aussi angoissées/angoissantes _ oui. De quelle terreur, de quel pressentiment, à l’image de celles de La Valse _ mais oui ! ces deux œuvres composées pour l’apocalys joyeuse de Vienne… _, sont-elles le signe ?

Ce Concerto avait déjà fait l’objet d’un enregistrement « historiquement informé » en 2005, par Claire Chevallier sur un piano Erard de 1905 et Jos Van Immerseel dirigeant Anima Eterna sur instruments « d’époque ». Le piano n’avait pas de son et la direction était languissante, le tout dégageait un ennui profond. Conclusion : qu’importe le flacon, si l’on n’a pas l’ivresse.
Ici, l’ivresse on l’aura _ oui ! _, mais sans doute l’aurait-on tout autant avec les mêmes interprètes sur des instruments standard… N’empêche, ça sonne très bien (et la prise de son est d’une clarté exemplaire), mais c’est surtout l’élan _ oui _ qui emporte l’adhésion.

Les premiers grondements des contrebasses, les premiers grincements du contrebasson sont d’une profondeur tellurique_ oui. Puis des cors d’outre-tombe _ voilà _ apparaissent dans la pénombre _ seulement… _, les violoncelles ondulent et le cor anglais peut préluder au premier tutti. Après ce frontispice, le piano semble monter des entrailles de la terre _ oui _ : des basses vrombissantes, roulant sinistrement, la main solitaire essayant de partir à l’assaut du médium mais retombant à chaque fois…


Cédric Tiberghien © Frances Marshall

Cédric Tiberghien, qui a joué maintes fois ce concerto sur Steinway, se délecte de toute évidence _ oui _ à faire mugir le vieux Pleyel. On aime son toucher liquide et la douceur rêveuse des passages où le piano joue en solitaire, les accelerando venus de très loin, les ascensions difficultueuses du clavier, comme pour se libérer, ces martèlements énergiques jamais durs _ en effet _, la finesse de la petite harmonie, le cor anglais onirique, cette petite flûte pointue qui esquisse un jeu d’enfant avec le piano, le basson songeur qui rappelle celui de l’Apprenti sorcier, la scansion de plus en plus oppressante (qui fait penser au Boléro, composé peu de mois auparavant), les cuivres radieux. Par moment, comme les micros sont tout près, on perçoit (et c’est touchant) la mécanique de la pédale. Surtout, on entend les vocalises légères et la grande cadence rêveuse qui amènent la lumière finale.

Marguerite Long raconte que Ravel, à qui elle demandait lequel de ses Concertos il préférait, avait répondu malicieusement : « Le vôtre [celui en sol ], il est plus Ravel »… Manière _ ravélienne _ de dire sans le dire que c’était de celui pour la main gauche, effrayant et prémonitoire, qu’il était le plus proche.

 

Tout cela est de superbe écoute

de ce CD indubitablement marquant en la discographie ravélienne !

Ce mardi 31 mai 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

La splendide délicatesse du toucher de Céline Frisch dans le répertoire tout en finesse jamais démonstrative du clavecin français du XVIIIe siècle : le parfait CD « L’Aimable » (CD Alpha 837)

29mai

Céline Frisch est une claveciniste hors-pair.

Son CD « L’Aimable« , le CD Alpha 837,

offre ainsi un florilège parfait du clavecin français du XVIIIe siècle, de François Couperin (1668-1733) à Claude-Bénigne Balbastre (1724-1799), et Michel Corrette (1707-1795).

Dans toute la  palette de sa tendresse, sa douceur, sa discrétion, son humilité jamais démonstratives.

À preuve,

la très élégante « L’Aimable« , de Joseph-Nicolas-Pancrace Royer (1703-1755).

J’éprouve pour ce qu’offre ce CD « L’Aimable » de Céline Frisch ce que j’ai récemment éprouvé pour ce qu’offre le CD « Little Books » de Francesco Corti _ cf mon article du 7 mai dernier : « «  _ :

l’impression d’une miraculeuse adéquation entre un répertoire bien spécifique, un instrument, et, surtout, un interprète saisi en état de grâce… 

Soit une rencontre assez rare…

Bravo !

Et écoutez bien les 4 extraits proposés ici…

Ce dimanche 29 mai 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

D’enthousiasmants Concertos pour piano (Op. 25 et Op. 40) de Felix Mendelssohn par un Lars Vogt, en état de grâce, au piano et à la baguette : un sublime à jamais juvénile CD !

11mar

C’est un fait que j’aime beaucoup, beaucoup, l’œuvre de Felix Mendelsson (1809 – 1847), que je porte au pinacle ;

et que j’apprécie aussi énormément Lars Vogt, tant comme pianiste, que comme directeur du superbe Festival Spannungen…

Je ne pouvais donc pas laisser passer ce CD qui paraît ce mois de mars dans l’excellent label finnois Ondine, avec les Concertos pour piano n°1 (Op. 25) et n° 2 (Op. 40),  avec Lars Vogt au piano, et à la tête de l’Orchestre de Chambre de Paris :

le CD Ondine ODE 1400-2.

Ce qui, au passage de la « révision – passage en revue » de ma discothèque Mendelssohn, m’a fait prendre conscience que je ne disposais pas du CD, assez récent (en 2018), de ces 2 Concertos pour piano et orchestre Op. 25 et Op. 40, par mon pianiste mendelssohnien préféré, Alberto Prosseda ;

avec le Residentie Orkest The Hague, sous la direction de Jan-Willem de Vriend _ un CD du label Decca Italia, probablement non distribué en France… 

Mais l’interprétation de Lars Vogt _ qui se remet d’un cancer… _ est proprement enthousiasmante,

tant dans la féérie de son jeu virtuose, fin, élégant, transcendant, au piano,

que dans la fluidité libératrice de sa direction de l’enchanteur Orchestre de Chambre de Paris…

Qui trouvent le droit chemin de l’à jamais juvénile génie mendelssohnien…  

Un sublime CD !


Ce vendredi 11 mars 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

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