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Ecole et culture de l’âme : le sens du combat de Denis Kambouchner _ appuyé sur le « fait du bon professeur »…

13mar

Alors, réfléchissons un peu au choix par Denis Kambouchner de ce titre même : L’École, question philosophique… _ je poursuis ma méditation.

D’abord « question » plutôt que « problème« ,

parce que c’est au plus large et plus profond questionnement actif et effectif, en même que le plus basique et plus fondamental (à mener…) sur l’école _ les objets à savoir choisir de donner à enseigner, ainsi, plus encore, que les méthodes, les procédures, les plus vivantes et subtiles possibles, de conduire ce processus si riche et si vivant d’enseigner _, que Denis Kambouchner « invite » à « contribuer«  (page 15) par la publication, la lecture attentive et la méditation active et créative, par chacun d’entre nous, de ce livre-ci, en nous incitant, tous les lecteurs de cette méditation sienne de dix années (de l’automne 2004 à janvier 2013), à d’abord revenir (afin de les penser vraiment !) aux fondamentaux des procédures _ au premier chef desquelles, toutes celles que, et en leur diversité, met en œuvre l’école ! en l’enseigner sur le terrain et sur-le-champ, des enseignants _ instituant au fil des travaux et exercices auxquels ces procédures pratiquées donnent lieu, rien moins que l’humanité même des hommes, ces animaux, de fait, dénaturés _ qui avons perdu au fil de la très longue durée de l’existence et des mutations génétiques de l’espèce, les instincts (aveugles d’intelligence, et de capacité d’adaptation et surtout accommodation, en leurs mécanismes automatiques de réactions formatées de simples réflexes à des stimuli statistiquement prévisibles) : remplacés par des pulsions, plastiques, complexes et ouvertes, elles ; cf là-dessus Freud, par exemple in Pulsions et destin des pulsions, qui ouvre le recueil (présentant les concepts fondamentaux de la théorie psychanalytique s’élaborant peu à peu toujours alors) qu’est Métapsychologie, en 1915, après (et au milieu : d’autres suivront ! en un chantier en fait infini…) de longs tâtonnements théoriques, qui ne sont pas non plus, en effet, alors (ni jamais) achevés : ces outils que sont les concepts théoriques s’élaborant au fil du penser actif et créatif de la recherche, demeurant aux yeux du chercheur Freud toujours, toujours, à la fois à l’infini en même temps que par étapes, step by step, si l’on veut, et patiemment, toujours de fait améliorables… _,

ces animaux dénaturés, donc, que nous et nos enfants présents comme à venir, sommes, tout à la fois, avec fragilité, subtilité, complexité et force ; et avec la responsabilité nous en incombant …


Et « question philosophique« , parce qu’elle renvoie à une base principielle tout à fait indispensable, qui est la pratique effective et très exigeante du « questionnement philosophique » lui-même revenant très activement et effectivement sans cesse aux fondements des concepts _, en l’occurrence, et tel qu’il s’est développé dans sa pratique continuée en même temps que rénovée aussi en permanence, depuis les Grecs, pour ce qui concerne la civilisation de notre Occident ;

une base fondamentale conceptuelle (en ce « questionnement » permanent)

bien plus importante et puissante, ainsi que mieux et davantage éclairante !, que les savoirs ponctuels partiels, fermés, et trop souvent, dogmatiques qu’ils sont _ en leurs résumés un peu trop vite commodes… _, insuffisamment autocritiques envers eux-mêmes et leurs propres fondements _ et donc insuffisamment fondés ainsi (en raison) _, de ce qui a pris l’habitude de s’auto-proclamer « sciences humaines« , au premier chef desquelles, ici, la sociologie ; mais aussi les dites « sciences de l’éducation« …

C’est ainsi que François Dubet _ au chapitre « Les principes d’une école juste« , surtout _, Pierre Bourdieu _ au chapitre « Crise de l’enseignement et critique de la culture« , surtout _ et Émile Durkheim _ au chapitre « Durkheim et la crise des humanités« , surtout, et en remontant dans le temps _ subissent ici la critique, mais toujours extrêmement fine et magnifiquement nuancée, d’une analyse particulièrement attentive et scrupuleuse, de leurs thèses sur l’école ;

de même que Jean-Jacques Rousseau _ au chapitre « Rousseau et le temps des livres« …

Ces auteurs étant choisis ici comme exemples des références, analyses et thèses des théoriciens les plus hostiles à l’éducation humaniste : à la Montaigne et Érasme, comme « culture de l’âme« , d’après l’expression et l’analyse fondatrices de Cicéron _ dont les thèses sont magnifiquement analysées, elles aussi, au chapitre « Éclaircissements sur « la culture »«  surtout…

Si l’on veut résumer le propos général du livre, cela peut donner quelque chose comme ceci :

L’École, question philosophique constitue une approche philosophique _ vivante ! _ de la notion d’école et de l’éducation.

Constatant que, à quelques exceptions près _ Jacques Rancière, in Le Maître ignorant, en 1989 ; Marcel Gauchet, in La démocratie contre elle-même, en 2002, Pour une philosophie politique de l’éducation, en 2002 et Conditions de l’éducation, en 2008 ; Alain Renaut, in La Libération des enfants, en 2002 et La Fin de l’autorité, en 2004 _, les philosophes se sont globalement désintéressés de la question éducative,

Denis Kambouchner montre que les principes à la base de l’éducation sont, par nature, philosophiques.

Et il met en évidence le fait que la philosophie est elle-même une façon d’enseigner _ par son souci (de curiosité fondamentale) presque obsessionnel de préciser-distinguer ce qui se présente à penser, afin de vraiment comprendre !!! et apprendre à « bien conduire son esprit«  afin de toujours mieux « juger«  et se conduire, en un idéal exigeant d’actes libres et responsables…

Et voici ce que propose la particulièrement claire Quatrième de couverture :


« Presque tous les problèmes cruciaux de notre école sont en un sens des problèmes philosophiques : autorité pédagogique, « sens des savoirs », laïcité et rapport entre les cultures, définition d’un système éducatif juste, transformations liées au numérique, etc. Pourtant, les philosophes de notre époque parlent peu de l’éducation, encore moins de l’éducation scolaire. La philosophie doit reprendre sa part dans l’approche publique de la « crise » de l’école. C’est à quoi ce livre veut inviter.

Ces problèmes sont philosophiques dans la mesure où ils touchent aux principes censés régir l’institution scolaire. Ces principes sont aujourd’hui confus ou introuvables, s’agissant notamment de ce qui est à enseigner et de ce qui est à évaluer. Tous les acteurs et partenaires de l’institution scolaire sont sensibles à cette déficience, d’où s’ensuivent, à un degré trop élevé pour n’être pas ruineux, perplexités, inquiétudes, malentendus, découragements et rejets.

Mais rétablir pour l’école des principes solides suppose qu’on prenne en compte les complications modernes et tout particulièrement françaises de la relation au savoir et à la culture. C’est le double objet de ce livre. Il faut relire Rousseau, Durkheim, Foucault, Bourdieu, pour remonter aux origines de notre crise intellectuelle, mais aussi pour remarquer ce que les pensées les plus provocantes doivent encore à la notion classique de la culture de l’esprit.

« Rien ne s’apprend plus facilement que ce qu’il y a de meilleur ». Si Érasme a raison, alors l’urgence est toujours de faire que le meilleur soit offert à tous les enfants.« 

Est particulièrement admirable _ et je désire le citer _ le passage à propos de l’autorité pédagogique, précisant très finement ce que Denis Kambouchner nomme « le fait _ car c’en est un : constatable _ du bon professeur« , pages 50 à 52

_ et ce passage est lui-même précédé de ce titre-présentation-ci, page 50 :

« L’autorité pédagogique, considérée au niveau individuel comme au niveau collectif,

possède des conditions empiriques (particulières, concrètes, liées aux personnes et aux actes des personnes),

mais aussi, pour ainsi dire _ et en même temps _, des conditions transcendantales (générales et indépendantes des personnes, des actes et des situations déterminées).

Autrement dit, cette autorité repose non seulement sur des données de fait,

mais sur des postulats«  _ qui, les conditionnant, rendent la réalisation effective de ces faits non seulement possible, mais on ne peut plus réelle, ainsi que cela s’expérimente on ne peut davantage concrètement et très précisément dans la pratique infiniment heureuse ! de l’enseigner, quand cela advient ; et c’est, de fait, jubilatoire ! autant qu’heureusement contagieux… :

« Si l’autorité pédagogique d’un enseignant _ telle qu’elle est reconnue, de fait et grosso modo (à divers degrés), au quotidien de la classe, par ses élèves _ peut être définie par le degré auquel il remplit certaines attentes _ mais comble aussi, très paradoxalement, d’absolues totales surprises, dont les élèves n’avaient jusqu’alors pas formé la moindre idée, si peu claire que ce soit ; et c’est alors pour eux un bonheur ! une grâce qui advient quasi miraculeusement… _,

ce que l’on peut désigner comme la crise de l’autorité pédagogique _ phénomène qui recouvre toujours de fortes disparités locales _

est loin de signifier la disparition de toute forme d’attente.

Au contraire, l’aggravation de cette crise, pourrait bien aller de pair avec l’intensification d’une attente qu’il faudra se représenter nouvellement complexe, peut-être contradictoire, sans doute largement inexprimée, et chargée de passions, sinon même convulsive :

plus il en sera ainsi, moins cette attente sera facile à remplir ou fréquemment remplie _ même si enseigner ne saurait, non plus, se borner à remplir des attentes, quelle qu’elles soient, et de qui que ce soit ; ni satisfaire à des normes fixées (cf là-dessus les analyses de Roland Gori, in La Fabrique de imposteurs, La folie évaluation, etc.. Cela comporte bien davantage de liberté, de générosité, d’invention et d’initiatives, d’esprit d’imagination et de création exigeantes…

En toute hypothèse, le mode sur lequel cette attente peut être remplie

ne peut pas être purement aveugle _ ni entièrement aléatoire ; une expérience de cet « art » (d’enseigner) peu à peu, et à des rythmes divers selon les personnes, se construit, et au fur et à mesure d’une « expérience«  pédagogique ayant aussi à « se bricoler«  artisanalement joyeusement ; sur ce terme de « bricolage« , l’ami Élie During m’a un jour très opportunément rapporté des analyses incisives de Claude Lévi-Strauss…

Non seulement une attente dormante ou incrédule _ non consciente de constituer une attente ; et non attendue, en conséquence ! ce qui va advenir se révélant sur le mode de la surprise ! _

doit être réveillée _ voilà ! enseigner, c’est éveiller, et puis nourrir et entretenir la flamme et le feu réactivé (à des rythmes divers) de la pensée active… _

par une certaine action,

mais l’attente en général

comme les attentes particulières (attente d’explication sur tel point, etc.)

doivent être largement enregistrées

et même incorporées _ voilà ! _ à l’enseignement _ avec la vivacité d’une capacité d’improviser et d’apprendre soi-même ainsi, sur-le-champ et dans le vif de l’urgence, dans l’échange sur-le-champ, auprès des élèves et dans la classe, qu’est l’action riche d’enseigner _,

moyennant, de la part du professeur, une forme particulière d’attention _ extrême ! _,

la même qui s’entendra, comme disait Montaigne, à « allécher l’appétit et l’affection » _ de l’élève, soit le sujet à aider (avec affection aussi) à « s’accomplir« .

Toute habileté pédagogique, de même que toute habileté rhétorique, reposera dans une mesure notable sur la prise en compte et sur l’organisation _ d’abord, mais pas seulement : existe aussi la générosité heureuse des surprises… _ des attentes _ certaines, et même beaucoup, d’abord non conscientes _ des destinataires _ et il y a là tout un art de savoir surprendre et combler, au-delà de ce qui était au cas par cas précisément identifié comme attendu ou demandé…

Mais le jugement concernant les attentes,

l’imagination _ déterminante en ces opérations _ de la bonne manière _ et il n’y en pas qu’une seule : le processus est beaucoup plus ouvert… _ d’y répondre,

la prévision et la gestion des mêmes attentes

en tant qu’elles se définissent par rapport à une prestation déterminée

et sont ainsi sujettes à modification de moment en moment _ cette donnée essentiellement mouvante de plasticité du rapport pédagogique, étant elle aussi cruciale à prendre en compte _,

tout cela restera impossible au professeur qui n’aura pas une idée précise _ un tant soit peu distincte, au lieu de confuse… _ de sa propre tâche _ de ce qu’est proprement enseigner, donc : de ses objets comme de ses méthodes… Il ne peut pas se diriger totalement à l’aveuglette, même si sa conduite doit comporter aussi éminemment de capacité de souplesse…

Et il y a moyen de s’approcher _ par focalisations progressives _ de cette idée, considérée généralement,

en essayant à cerner analytiquement le fait _ voilà ! _ du bon professeur _ en le détail précis et très concret, de son effectivité même, si je puis dire : dans le détail même de la variété très riche de ses opérations.

L’exercice _ de distinction par l’analyse : qui en découpe et dégage, un à un, les éléments… _ n’est pas des plus pratiqués. : il n’est pourtant pas des plus difficiles,

et en reprenant le vieux style d’Aristote (celui des traités d’éthique et de la Rhétorique), on peut, par exemple, risquer _ voilà ce que propose alors on ne peut plus positivement Denis Kambouchner _ les formulations suivantes :

Le bon professeur (…) parle de manière claire et nette _ en se souciant, tel un musicien, des conditions les plus concrètes et effectives de l’audibilité (et pas seulement acoustique ; l’attention est aussi archi-décisive !!!) : la sienne, bien sûr, mais aussi celle des élèves qui prendront la parole ; idem pour l’aptitude du professeur à savoir écouter, et d’abord simplement entendre : les conditions acoustiques étant rien moins que basiques ; mais la gestion de l’attention des uns et des autres est aussi, et même encore plus, capitale !… _,

avec une assurance _ et une confiance, et une foi en ce qu’il fait _ qui repose sur beaucoup de travail _ à la fois en amont (pour ce qui concerne le savoir et les contenus à mobiliser de sa propre culture, mais aussi les méthodes complexes et variées à mettre en action, et être capable de mobiliser, voire savoir improviser très vite) et au présent de la conduite même du cours, au sein de la classe et en direction des élèves, et avec eux, bien sûr ! _, y compris de travail sur soi _ voilà ! et c’est une toute praxis, en plus de reposer sur une theoria et de constituer une poiesis ! ; de même que, en préparant ses élèves à un travail scolaire (dynamique) fait à la fois de theoria et de poiesis, que ce soit dans la prise de parole ou dans l’exercice écrit, il les prépare eux aussi à un tel travail (dynamique) de praxis sur eux-mêmes !..

Il fait ce qu’il dit _ avec cohérence et consistance le plus et le mieux possible _,

et peut montrer un certain coefficient _ ludique et jouissif _ de détachement par rapport à ce qu’il fait _ = une dose d’humour… Il ne doit jamais coller totalement (= purement et simplement ; de manière caricaturale !) à sa pratique, au point de lui-même (via ses tics éventuels ; et qui n’en a pas ?..) s’y réduire dans l’esprit des élèves ; la perception par eux de son propre recul est donc importante dans la confiance et l’admiration, peut-être, qu’ils porteront à son travail pédagogique avec eux et sur eux…

Sur les matières qu’il a en charge et qu’il aborde directement _ du fait de l’autorité que très officiellement l’institution lui confère _,

il n’est pas pris en défaut _ ce qui, lui faisant perdre la face, ruinerait, peut-être sans remède, son autorité effective…

Il en connaît d’autres que celles qu’il a en charge _ en ce que la pratique de sa discipline, ainsi que la culture perpétuellement en chantier qui l’anime (et doit l’animer ! et c’est même là un réquisit capital !), ne se réduit pas (non plus qu’elle ne le réduit lui-même) à ce que lui confère grosso modo le statut de sa fonction officielle…

Il connaît l’Histoire et les horizons _ en leur riche « relief« , au moins dans une certaine mesure : il dispose donc, et dynamiquement (le chantier étant vraiment, et très heureusement, sans fin…) d’une culture assez large et si possible un peu profonde… Cela formant « exemple«  (mais sans la moindre pesanteur !) dynamique et ludique (= joyeux !) de ce que doit être pour chacun, sans exception, le chantier (culturel, donc…) infini (à vie !) de sa propre humanisation, à l’aune des capacités et désirs à éveiller quant à son propre accomplissement, de chacun d’entre ses élèves : avec affection et confiance…

Il sait résumer _ avec un recul suffisant _

et développer _ si nécessaire et ad libitum _,

entrer dans le détail _ qui peut être et éclairant, et jouissif ; tout en étant sans lourdeur, ni danger de confusion et de perte du fil de l’essentiel, pour qui suit le récit de ce détail… _

et schématiser _ en un sens ou dans l’autre, et les deux toujours avec aisance _,

interroger bien sûr _ avec discernement et sens de l’opportunité ; et plaisir du jeu, même quand il est exigeant, et révèle inattention ou incompréhension non redressée…

Il pratique les rapprochements et les comparaisons _ ad libitum, comme qui s’amuse (ainsi que sait amuser)… : toute culture authentique est capacité de telles liaisons et comparaisons dynamiques et par là potentiellement créatives, au lieu de savoirs ponctuels sèchement coupés stérilement les uns des autres _,

use raisonnablement _ sans abus, ni auto-complaisance, qui seraient contre-productifs _ d’images et d’exemples _ avec un art plaisant du récit qui sache instruire en illustrant de façon imagée et mémorable d’une autre manière que le plaisir de la pure et simple théorie (conceptuelle seulement), ce qu’il donne à tâcher de comprendre, en même temps qu’il sait attiser la curiosité et le plaisir d’apprendre en s’amusant, en y prenant de plus en plus et de mieux en mieux le goût _

dont il montre à la fois la vertu _ illustrative _ et les limites _ le concept (auquel se hisser et à assimiler et comprendre) se distinguant de l’illustration et de la métaphore, qui aident cependant à l’approcher, cerner et incorporer sans raideur intellectuelle (qui serait un peu trop austère et janséniste) ; et tout cela avec le recul nécessaire sur chacun de ces divers plans et modalités de représentation mentale, d’« imageance«  de l’esprit en chantier _,

explique les mots _ c’est fondamental : le maître ne doit laisser (ni ne perdre) personne de ses élèves en chemin par incompréhension de mots, d’expressions ou de phrases ; pour cela il n’hésitera pas à varier ses propres formulations, en cherchant à vérifier d’un coup d’œil rapide leur incompréhension par certains, afin d’essayer d’au plus vite y remédier, dans la mesure du possible, et sans trop perdre de temps… _,

insiste sur les distinctions _ c’est crucial, en fixant utilement, en des déterminations effectivement assimilables, les esprits qui hésiteraient et demeureraient dans un flou les amenant à décrocher _,

signale à l’avance _ et prévient ainsi en partie _ les fautes et les mésinterprétations possibles _ fort utilement : on l’en remerciera !

Changeons de mode :

la personne qui sait enseigner

s’assure ponctuellement _ et quasi en permanence : le regard y suffit _ qu’elle est comprise _ la qualité du regard de l’élève servant ici de témoin, sur-le-champ ; afin de rectifier au plus vite le tir, sinon.

Elle répond aux questions _ cette aide-ci est plus qu’élémentaire ! elle est sacrée… _, tantôt amplement, tantôt brièvement _ selon l’estimation la plus objective et pertinente possible du besoin pédagogique du moment.

Elle parle pour tous les élèves _ du groupe-classe _ et non seulement pour quelques uns _ à nul moment ne laisser en chemin, ni perdre, personne ! Bien revenir chercher ceux qui sont en voie de s’égarer, en perdant le fil du cours…

Elle peut admettre en souriant _ toujours se mettre les rieurs de son côté… _ qu’elle ne sait pas tout _ nul n’a la science infuse ; tout savoir sans exception s’acquiert en devant toujours, en partie au moins, se construire (jamais seulement par pure réception passive, d’un autre, et tel quel ! ; une telle donnée ne pouvant jamais, ainsi passivement, « s’accrocher«  et demeurer en l’esprit, avec une réelle consistance et cohérence ; car il lui faut, pour demeurer disponible à l’intelligence du jugement en action, et très nécessairement, un champ (d’implantation) riche et vivant d’interactions et interconnexions entre données du savoir et d’une réelle et vraie culture ! qui s’étaye ainsi, par de telles interconnexions permanentes et vives, progressivement ; et accroît aussi ainsi la confiance (de même que la curiosité !) de celui qui apprend vraiment, dans cette situation joyeusement électrique de l’enseignement dans la classe… _,

mais montre toutefois qu’elle sait l’essentiel _ pour la leçon en cours, du moins, toujours forcément  partielle, ne serait-ce que dans un temps forcément toujours limité parce qu’imparti, au sein d’un ensemble qui le déborde et l’englobe _,

car elle sait formuler des règles _ de portée tant soit peu générale (réutilisables ou adaptables, ailleurs) _,

tirer des leçons _ ré-utilisables (et adaptables) pour (et par) l’élève _ de ce qu’elle expose _ toujours avec un recul suffisant _,

et faire le rapport entre ce qu’elle expose et ce que les élèves sont enclins _ au départ _ à penser _ c’est-à-dire opiner et seulement croire : afin de les en redresser quand c’est nécessaire, et ça l’est fréquemment, et toujours ludiquement et avec amabilité…

Elle réfléchit,

parfois tout haut _ le penser a bien des allures ; et on doit savoir prendre le temps de méditer (voire laisser l’esprit chercher, plus ou moins à l’aventure, en montrant l’effort et la joie de la patience, et d’expression-formulation, et intellectuelle (de constitution, rarement immédiate et simple) des thèses du penser-juger-expliquer un tant soit peu complexe mais fécond, démarqué des évidences premières, stériles) ; et avec de plus en plus de vivacité, si possible, au fur et à mesure de l’étoffement et approfondissement de l’expérience…) avant de se mettre en capacité de poser-exposer l’état alors (et toujours améliorable) de son juger _,

à la meilleure façon d’exposer les choses _ penser et exposer, dans le processus même de l’enseigner, n’est pas simplement réciter (ce qu’on sait, pour l’avoir simplement déjà appris ailleurs, et souvent de quelque autre, auparavant), mais savoir prendre le temps d’analyser, raisonner, réfléchir et juger, dynamiquement , et en le passant au tamis (méditatif activé) de ce que l’on devient capable alors, et ainsi, d’asserter et assumer ; et il n’existe assurément pas qu’une seule manière d’y procéder… Et en donner (à ses élèves, au sein du cours de la classe) un exemple vivant, est absolument essentiel à la dynamique éducative et à sa fécondité, tant à court, qu’à long terme, à l’aune de l’existence des adultes qu’ils seront, longtemps après, aussi…

Sur ces facteurs et leur très riche nouage, Denis Kambouchner donne de particulièrement passionnantes analyses en son magnifique chapitre « L’enseignement selon Foucault« , aux pages 301 à 329…

Elle n’est prisonnière d’aucune expression _ mais sait se détacher (parfois avec virtuosité, et toujours avec gourmandise, à partager…) de toutes : les varier sur-le-champ forme un excellent exercice et exemple de richesse à apprendre à forger, eux aussi, par les élèves ; cela devant ridiculiser l’obsession souvent totalitaire en son terrorisme du seul savoir (et réciter) par cœur…

Elle connaît diverses manières d’enseigner _ qu’elle est capable d’alterner, au besoin, comme pour le plaisir… _,

fait varier les exercices _ sachant jouer et surprendre, et d’abord ne jamais lasser _,

ménage des différences de temps et des rythmes _ la conscience de quiconque n’étant jamais uniforme ; cf ici encore l’exemple et modèle de ce que réussit le musicien en sa musique.

Elle montre qu’elle n’est pas la seule à enseigner _ l’élève pouvant toujours se référer, aussi, déjà, aux livres ; je suis personnellement partisan de la comparaison, à l’occasion et comme en s’amusant, avec ce que proposent les (meilleurs) manuels, et en les comparant, entre eux aussi : nul n’est jamais une perfection ; étant entendu que le jugement (de chacun) doit toujours demeurer vigilant et actif, ne devant jamais rien prendre (nulle thèse, nulle opinion) pour immédiat argent comptant ! _

et peut enseigner avec d’autres _ en un « horizon des esprits«  qui peut être réjouissant, y compris à travers ses différences, voire divergences : à chacun d’apprendre peu à peu à sereinement en juger…

Le bon professeur, dira-t-on encore,

traite ses élèves avec énergie _ il en faut beaucoup, en effet : mieux vaut ne pas être dépressif, ni trop mélancolique ; malheur à celui que sa forme du jour ou de l’heure trahit… _

mais aussi avec gaieté _ apprendre (comme vivre, exister ; mais les deux sont si intimement liés !..) doit toujours être une fête ! Cf le sublimissime passage que Montaigne consacre, avec beaucoup d’humour et d’ironie, à la fois !, à l’expression « passer le temps » dans l’ultime chapitre de ses Essais (III, 13, De l’expérience) : j’y reviens souvent ! _,

en tous les cas sans brutalité _ en s’efforçant de ne jamais céder aux impulsions d’énervement, voire de colère un peu trop chaude ! Prendre sur soi fait partie du sang-froid élémentaire nécessaire…

Il connaît la vie _ avec, si possible, largesse _,

au moins de manière intuitive _ sans débarquer de trop frais en terrain dangereusement un peu trop neuf alors pour lui… _,

c’est-à-dire qu’il sait _ avec un minimum d’avance, à fin de piloter-ajuster un peu mieux sa propre pratique, avec responsabilité ! _ ce qui résulte des gestes, des paroles, des événements _ et il doit s’efforcer de l’apprendre vite (avec toujours un poil d’avance sur ses élèves les plus vifs : et il y en a !)…

Il est précis et exigeant dans ses appréciations _ orales comme écrites : qui doivent être, en conséquence, justement détaillées, afin de se faire suffisamment comprendre (= avec assez d’efficacité pédagogique : c’est un facteur capital de l’autorité pédagogique à forger !).

Il peut moquer _ mais gentiment, et sans blesser jamais ! _ les manies,

mais ne déprécie jamais les personnes _ de ses élèves, auxquelles il doit toujours laisser leurs chances : demain sera un autre jour, comme pour tout un chacun, si elles apprennent à mieux s’y prendre… _ ;

autrement dit, il n’est jamais blessant _ c’est même là la première ligne jaune pédagogique !

Il pense que les voies d’une démarche rigoureuse _ de l’esprit _ ne sont fermées _ ad vitam æternam _ à personne _ certains élèves ayant (seulement…) besoin d’un peu plus de temps, ou d’effort de concentration, que d’autres ; mais rien n’est jamais absolument fermé ! Il est même des rétablissements spectaculaires, même s’ils ne sont peut-être pas le cas le plus fréquent ; mais tout professeur digne de ce nom doit vraiment travailler pour ces miracles-là… _,

et que chacun peut être amené à s’intéresser _ maintenant ou plus tard _ à ce qu’il reconnaît lui-même _ de son autorité professorale : responsable et crédible ; et on apprendra à lui faire confiance ! _ intéressant _ et qui l’est objectivement et universellement en droit ; le maître étant ici l’initiateur, le pédagogue au sens propre, qui met sur le chemin (celui d’une culture authentique et consistante)… Et on ne comprend que trop combien Denis Kambouchner doit durablement ferrailler avec les positions sinistrement relativistes d’un Bourdieu, ainsi que de celles de communautaristes, et leurs dégâts endémiques dans le fonctionnement de fait du système d’enseignement français, ces récentes années…

Il dit en somme à ses élèves : « tels que je vous vois, voici ce que je dois _ en conscience et probité : éducative, culturelle et civilisationnelle,  d’un même mouvement _ vous montrer.« 

Denis Kambouchner en déduit, page 53, que

« le bon professeur » (…) « réfléchit constamment _ voilà ! le processus est positivement infini… _ aux conditions dans lesquelles ce savoir (qu’il communique) est effectivement _ concrètement et hic et nunc _ communicable,

et ce, sous une forme qu’il faut concevoir _ pédagogiquement dans la pratique au quotidien du cours _ comme d’emblée _ oui ! et dans la richesse potentiellement infinie de sa complexité-subtilité dans le nouage des contenus, des méthodes et des relations interpersonnelles _ dynamique.

A quoi il faut immédiatement ajouter deux précisions :

d’une part si la certitude (certitude plénière et non simple appréhension _ la nuance est d’importance… _) de la nécessité _ voilà ! _ de cette communication _ en l’esprit du maître _ ne suffit pas toujours à emporter d’emblée _ et il y a tout de même toujours une certaine urgence : le temps de l’enseignement n’étant certes pas (jamais…) infini ; pas davantage qu’aucune vie… _ la conviction des destinataires _ les élèves _,

elle est néanmoins absolument nécessaire _ en l’esprit et la conduite du maître _ à l’installation de cette conviction _ en les esprits et les comportements de ses élèves.

D’autre part, dans la mesure où ce qui est à communiquer d’un certain savoir inclut des considérations d’histoire et d’horizon _ tant pour ce qui concerne ces savoirs eux-mêmes, en quelque sorte objectivement pris en eux-mêmes ; que pour ce qui concerne leur assimilation-incorporation par les élèves, en la variété de leurs situations respectives _,

ce savoir ne supporte aucune délimitation arbitraire ou conventionnelle _ déterminable, pas plus a priori qu’a posteriori : tout cela nécessite infiniment de souplesse et de liberté.

Non qu’il soit une totalité, et moins encore qu’il soit infini _ ce savoir _ :

mais, par définition, il ne peut être enfermé dans des limites déterminées _ parce que l’apprentissage-incorporation de cela (de ce savoir-là), au sein de la relation pédagogique d’apprentissage (impliquant le savoir lui-même, le maître, l’élève, le groupe-classe, ainsi que tout le reste du contexte de cette situation pédagogique, et qui fait partie du monde et du moment de l’Histoire et de la culture), ne peut pas être clos a priori, ni a fortiori une fois pour toutes.

Il ne peut pas s’agir d’un enseignement fermé _ voilà ! L’ouverture y est essentielle ! et même consubstantielle !

..

Ce qui précède suffit à montrer combien est arbitraire et forcée _ et fautive _ dans son principe l’opposition que l’on avance _ sinistrement _ encore aujourd’hui avec complaisance, entre le culte du savoir et le souci des élèves » _ qui constitueraient les priorités inconciliables et exclusives des uns et des autres _, pages 53-54.

Et à propos de ce qui « mobilise ainsi l’attention et les soins du bon professeur« ,

Denis Kambouchner poursuit, page 54 :

« pour autant qu’il s’agit à la fois _ et le nouage est déterminant ! _

de la substance d’un savoir,

des procédures qui en sont constitutives

et des formes de sa communicabilité

_ les trois à la fois ! il faut en effet bien mettre l’accent sur cette essentielle et consubstantielle liaison ! _,

ce qui préoccupe à titre générique _ de sa pratique d’« enseigner«  _ le bon professeur,

pourrait être appelé précisément _ très cartésiennement _ la Mathesis _ cf la Règle IV des Regulae ad directionem ingenii, à laquelle renvoie la note 2, aux pages 54-55 _ dans l’ensemble _ en leur nouage même _ de ses dimensions,

autrement dit l’élévation de sa matière à son plus haut degré de communicabilité

_ ce (processus d’« élévation« ) qui doit s’apprendre et se façonner progressivement, pour le maître, et dans la situation même (irremplaçable et au jour le jour) de l’« enseigner« , en face de, et avec, ses élèves, in concreto : cette « élévation de sa matière à son plus haut degré de communicabilité« -là se forgeant peu à peu, au fur et à mesure de l’« expérience » infiniment complexe, riche et subtile s’élaborant, jour après jour, heure après heure, moment après moment (et avec tels et tels élèves, toujours particuliers quelque part…), de l’« enseigner«  effectif…

C’est cette communicabilité _ du savoir (à enseigner) en toute la complexité et richesse de ses modalités concrètes d’enseignement sur le terrain (et sur-le-champ !) _ qui s’éprouve _ on ne peut davantage in concreto _ dans des moments déterminés _ et toujours spécifiquement typés, oui ! _ de l’enseignement ;

mais il n’est pas question qu’elle soit obtenue ou réalisée _ ni en quelque sorte « capitalisée«  sur papier _, par le maître ;

cf sur cela les absolument passionnantes analyses de Pascal Chabot, en son tout récent (magnifique ! je lui consacrerai un prochain article !) Global burn-out, pages 74 à 79 :

le «  »progrès subtil » qui concerne l’individu, son éducation, sa manière de vivre et de se soigner, d’enrayer ses névroses et d’imaginer la joie«  (page 75),

est de fait distinct du « progrès utile qui a cours dans les sciences, les technologies et la culture concrète » qui «  fonctionne par capitalisation. (…) Les artefacts forment un capital en accroissement constant que l’humanité exploite pour augmenter ses connaissances et son bien-être. Le caractère exponentiel et multilinéaire du progrès technique s’explique par le mécanisme du plus qui engendre du toujours plus, comme une boule de neige » (page 74) ;

or,  « à côté de ce progrès utile, il existe un type de développement « subtil », dont les lois obéissent à l’esprit de finesse plutôt qu’à celui de géométrie, et dont le terrain d’application n’est pas la matière, mais l’humain » (page 75) ;

il est donc « sensé de réhabiliter et de soutenir _ et ces termes sont encore bien faibles !!! _ , à côté du progrès utile, un « progrès subtil » _ voilà la distinction principielle ! dans le premier, il y a « capitalisation » mécanique ; alors que dans l’autre il y a « initiation » toujours recommençante ! ; ce qui ne veut pas dire pour autant inefficace, stérile, ni sans progrès…  _ qui concerne l’individu, son éducation, sa manière de vivre et de se soigner, d’enrayer ses névroses et d’imaginer la joie. Ces œuvres-là sont aussi _ voilà ! _ le lieu d’un progrès, même s’il est moins tangible _ et exposable matériellement _ que le précédent » (page 75) ;

car « ce progrès subtil ne bénéficie pas de la robustesse d’un processus qui se base sur un capital exponentiel. Au lieu de fonctionner par capitalisation, il opère par initiation _ voilà une autre distonction principielle ! _, car il faut à chaque fois tout reprendre au début. Ce progrès est le lieu des commencements (…)

Le savoir, dans les matières humaines, s’acquiert toujours longuement, car il n’est rien sans l’expérience. On ne peut progresser dans ce qu’il y a de plus subtil en la personne, à savoir la recherche d’un équilibre passionné et serein dans la relation au monde, sans y consacrer du temps. L’éducation est le fruit de la patience. Elle est le contraire d’un don instantané.

Il n’est pas possible (…) de télécharger le contenu du cerveau d’un enseignant dans celui de ses élèves. La solution n’est pas technologique. Et du reste, il n’y a pas de « solution », car il n’y a pas de « problème » ; mais seulement la vie qui passe à travers les générations, et qui est la matière de tous les humanismes«  (page 76) ;

or, de nos jours (ceux de notre post-modernité ultra-libérale), « la sphère fragile de l’humain connaît une pression énorme _ dépréciative : idéologiquement aussi _ de la part des puissances techniques et économiques. Elle ne peut pas se prévaloir de résultats aussi manifestes qu’un pont superbe, ou qu’une usine performante. On n’ y fait pas de profit _ financier, pour la poche des actionnaires _, on ne peut y prétendre à des rendements énormes.

Au contraire, le subtil frôle toujours le néant. Il est confronté aux extrêmes, aux commencements et aux fins.

La jeune mère se penche vers un enfant qui balbutie ses premiers mots. L’enseignant transmet un savoir à des élèves distraits, baladés dans l’immensité de la mémoire du monde où ils se cherchent en vain. Le médecin tente d’expliquer à son patient que toute chose a un terme. Il paraphrase la maladie, il verbalise le caractère cyclique de la vie.

Ce qu’ont de commun ces professions, c’est qu’elles aident à vivre. Elles accompagnent la personne dans ses progressions subtiles _ une subtilité que bien des cyniques feignent d’ignorer ! afin de mieux exploiter ceux qui la soignent et la cultivent… _ sur le chemin de l’existence, en ne s’épargnant pas la rencontre du tragique de notre condition : ignorance, mort, oubli, bêtise.

Toutefois, dans une société extasiée _ de plus en plus totalitairement, faute d’équilibres ! _ devant le triomphe du progrès utile, cette confrontation avec la fragilité des commencements paraît intempestive et d’un autre âge. Le progrès utile, lui, ne connaît pas le néant. Il ignore les cycles et ne se confronte pas aux délicats problèmes de l’origine. Il prospère _ et enrichit ses servants _ dans un développement exponentiel ; ce qui n’estpas sans conséquences. Car cette idéologie et ses tenants sont parfois fatigués _ et c’est là un euphémisme : excédés, carrément ! _ de l’humain, pour dire les choses sans détour » (pages 76-77) ;

« habitués aux ordinateurs et aux techniques rigoureuses, ils regardent _ de haut ! _ nos tentatives de vivre comme des œuvres _ ridicules et infructueuses _ d’amateur«  (page 78) ;

alors que, de leur côté, « les professionnels de l’aide ne sont pas dupes. Ils savent qu’ils s’investissent dans le secteur le plus difficile. Ils n’ignorent pas que la sphère des commencements, sécrétée par la cyclicité de la vie, est l’un des refoulés majeurs de l’humanité contemporaine. Ils en ressentent la pression morale, eux, les défenseurs légitimes d’un humanisme de plus en plus problématique.

Car l’impatience métaphysique _ en plus de socio-économique, des servants et thuriféraires de l’utilitaire et du profit financier sans limites… _ face à la condition humaine est grande. On ne manque d’ailleurs pas de leur signaler que leur participation au véritable (!) progrès de l’humanité est assez minoritaire, notamment en leur offrant des salaires qui permettent tout juste de payer les factures. L’argent reste _ lui, avec les perspectives de profit comptable le plus grand _ dans l’orbe du progrès utile : les capitalismes s’épaulent.

La logique instrumentale impose en outre à ces métiers de l’aide des tâches administratives supplémentaires et des logiques de rentabilité financière pour évaluer les prestations. Le subtil est _ ainsi _ colonisé. Ses défenseurs, parfois, ont les traits tirés«  (page 79) : des analyses qui viennent magnifiquement à l’appui de de celles de Denis Kambouchner, de même que de celles de Roland Gori, ce n’est pas la peine de le souligner… Fin de l’incise consacrée à l’excellent travail de Pascal Chabot à propos de l’idée de la communicabilité « non capitalisable » d’un savoir (ou penser) à enseigner. _

..

C’est cette communicabilité _ du savoir en l’art même de son enseignabilité, elle-même complexe et très riche ! _ qui s’éprouve dans des moments déterminés de l’enseignement,

mais il n’est pas question qu’elle soit obtenue ou réalisée _ ni « capitalisée« , et je reprends ici l’élan de ma phrase _

une fois pour toutes,

ni du reste qu’elle soit accessible _ à quiconque : élève ou apprenti maître… _

sur un mode purement impersonnel _ et transférable mécaniquement (voire algorithmiquement), et c’est crucial ! Cf Buffon : « Le style, c’est l’homme même« … Et c’est en cela que l’« enseigner«  est proprement un art, et sans cesse en chantier, comme toute créativité… ; et au cœur de ce qu’est l’humanité même, à son plus vivant, de l’humanité elle-même…

Le bon professeur approfondit

ou perfectionne continûment _ voilà ! _

la communication de sa matière _ parler (composer des phrases) comportant l’élan permanent, la dynamique d’un créer (le discours ; et cela en direction de quelque destinataire, plus ou moins présent, au moins à l’esprit du locuteur, quand ce destinataire du discours n’est que potentiel, parce que non physiquement présent, actuel) ;

parler comportant l’élan permanent, la dynamique du créer son discours (qui devra, au final de la phrase, afin d’être positivement recevable, s’avérer cohérent et consistant ; et il le sera !) grâce aux structures (syntaxiques) ouvertes et cohérentes et consistantes, au final, de ses phrases, comme le montre excellemment Chomsky _

dans un style qui lui est propre _ artistement, en fait, donc ;

et parler ne peut ainsi qu’être un art, même quand il n’est encore, ou reste, que malhabile et guère gracieux…

La Mathesis qu’il _ le bon professeur, donc _ a en vue _ en son « enseigner« … _

n’est pas elle-même une théorie

ni une connaissance

qu’on pourrait exposer  _ et par exemple résumer…

Il s’agit d’une Idée

au sens que Kant a donné à ce mot

_ d’une représentation puissamment régulatrice,

d’un « concept de la raison »

qui a avant tout une valeur dynamique _ oui ! _

et qu’aucun objet _ circonscrit, lui _ ne peut remplir.

Et dans la mesure où cette Mathesis n’est pas donnée,

ni telle qu’elle puisse être _ jamais _ donnée,

une forme d’idéalisme _ avec toujours le risque d’un accident, puisque sans filet de rattrapage absolument assuré _ restera au principe de tout enseignement dynamique« …

De l’admirable analyse par Denis Kambouchner du questionnement de Michel Foucault sur l' »enseigner« 

par rapport à l’aventure, plus libre et « érotique« , du « chercher« ,

notamment à propos des scrupules foucaldiens vis-à-vis de ses propres Cours (libres : ouverts à tous publics…), et aussi par rapport à l’agrément éprouvé aux Séminaires (aux participants-intervenants plus choisis), et les deux, Cours comme Séminaires, au Collège de France,

in le superbe chapitre « L’enseignement selon Foucault« , aux pages 301 à 329,

je pointerai ici ces magnifiques remarques de la conclusion, pages 328-329,

quant à la « leçon à retenir _ in fine _ de la part de Foucault«  _ selon la formulation de Denis Kambouchner page 328 _,

et contre la tentation de penser, pour Foucault lui-même (page 325) que : « enseigner, c’est _ seulement _ communiquer, avant de s’assurer _ pour validation quasi mécanique… _ qu’il est acquis, un savoir d’essence impersonnelle.

Pour l’essentiel, ce savoir est l’héritage ou le résultat d’un enseignement _ lui-même, pour l’essentiel, et seulement, déjà _ reçu.

Il est chose instituée _ et figée.

L’enseignant, qui reproduit _ seulement _ ce savoir,

et le reproduit afin qu’on le reproduise _ encore _,

ne veut rien savoir _ s’aveuglant en quelque sorte lui-même ainsi, par refus de s’auto-questionner si peu que ce soit à propos de ce savoir ; qui n’est plus, ainsi, que de l’ordre de la croyance et du croire… _

de ce qui serait de nature à le renverser _ invalider sa valeur de vérité.

Il est donc fermé à l’invention

et à la découverte _ péché suprême contre l’esprit !

Dire ce qu’on vient de découvrir _ de frais, en une recherche vivante _,

avancer _ courageusement _ des hypothèses,

dresser la carte _ vivante et en relief _ d’un travail en cours _ à la façon, par exemple de la Métapsychologie freudienne _,

c’est, à chaque fois, autre chose qu’enseigner :

c’est s’aventurer, provoquer, faire événement _ et voilà ce que valorise jubilatoirement Foucault.

La recherche est ici érotique par excellence _ voilà ! _,

elle ne fait qu’un avec le mouvement de la vie et de la pensée

_ l’enseignement et les savoirs scolaires sont du domaine, non pas proprement de la mort, mais des choses mortes et du renoncement à la vie  » ;

et alors même que,

et contre la lettre même de ce qu’a pu écrire Foucault,

Denis Kambouchner déduit de ses prises de position que (page 325 toujours)

« ce que Foucault a répugné à admettre, y compris dans son propre cas,

est que cette opposition elle-même _ entre « enseigner » et « chercher«  _ est abstraite et caricaturale ;

que « rendant compte » publiquement comme il le fait de sa recherche,

lui-même soit en réalité un maximum d’enseignant

_ et pas du tout « un minimum« , ainsi qu’il l’affirme et proclame : « je suis (…) un minimum d’enseignant » ! in l’entretien avec Jacques Chancel de Radioscopie, le 3 octobre 1975, page 318 (d’après Dits et écrits, tome I, page 1654) _ ;

et que,

d’une manière générale,

il soit pratiquement impossible d’enseigner sans chercher _ mais oui !

Et aussi bien, ce que Foucault semble avoir refusé d’envisager, s’agissant en tout cas de l’école,

c’est qu’un appareil « disciplinaire » tel qu’il le décrit

n’ait pas seulement des agents, des opérateurs, des mécaniciens… _ objets, courroies de transmission pure et simple, absolument passifs _

mais que tous ses agents soient en même temps ce qu’on appelle des sujets _ actifs et créatifs : oui ! _,

c’est-à-dire n’en soient pas absolument captifs«  !..

Voici donc « la leçon à retenir » de Foucault :

« Il y a d’abord de lui une leçon permanente et générale,

qui tient au refus foudroyant des rhétoriques ineptes,

à la profusion et à l’acuité des vues,

et à l’agilité d’esprit sans pareille

qui font, par exemple, de la lecture des Dits et écrits une expérience comparable à celle des Essais de Montaigne _ rien moins !!!


Mais on peut aussi faire état d’une leçon plus particulière

concernant l’école,

avec l’idée que là où il y a le plus de savoir,

il y a aussi _ oui ! et comment !! et ô combien !!! _ le plus de liberté et de libéralité.

Si l’on recherche un fonctionnement de l’école qui ne soit ni désuet, ni autoritaire, ni aveugle,

on l’obtiendra en rendant le savoir offert par l’école aux élèves

plus substantiel, plus dynamique, plus généreux

et comme tel plus réel _ wirklich, au sens de Hegel.

Cela ne suppose aucunement, tout au contraire, qu’on conçoive la culture scolaire comme une totalité fermée.

Avec son caractère nécessairement _ du moins en partie, statutairement _ normé,

cette culture _ de l’école et à l’école _ ne peut être _ pour reprendre les termes de l’Antiquité _ qu’une « culture préparatoire » _ propédeutique _

destinée à ouvrir sur une « culture perfective » _ plus poussée (et créative, potentiellement), ensuite, mais dans l’élan de la dynamique engagée ! _

de régime plus individuel et plus libéral.

Il faut donc qu’elle admette, sur un mode autre que conjuratoire,

qu’il y a quelque chose _ de vraiment substantiel (et parfaitement objectif) _ au-delà d’elle,

et d’une certaine façon qu’elle le montre

et le préfigure _ cette « culture scolaire« , déjà, dans ses contenus abordés comme dans les modalités joyeuses de sa découverte curieuse… _,

moyennant quoi sa propre normativité

sera aussi réfléchie, mesurée, raisonnable

qu’elle peut être _ et non aveuglément fermée et figée, ainsi qu’intimidante et paralysante, voire terrorisante _,

en même temps qu’elle fera place dans une certaine mesure

à la dimension « initiatique » _ oui ; nous retrouvons ici une autre intuition de Pascal Chabot, dans le tout récent (janvier 2013, lui aussi) Global burn-out _

qui hante _ mais comme une belle muse véritablement inspiratrice, non comme une sirène dangereusement traitresse _

et soutient encore

tout enseignement digne _ en effet ! _ de ce nom« , pages 328-329.

Tout cela,

dans la précision de sa probité patiente très éclairante,

et renouvelée de contribution en contribution, année après année,

est, à son tour, merveilleusement inspirant

et dynamisant…

En attendant, peut-être, un chapitre nouveau de Denis Kambouchner

sur ce qu’est l' »enseigner » selon Montaigne,

et un autre

sur ce qu’est l' »enseigner » selon Alain :

deux grands maîtres joyeux et positifs de la modernité réaliste

mais non machiavélique,

à propos de ce que doit être la place _ cruciale ! _ de la « culture de l’âme« 

dans la formation accomplie

de « sujets » vraiment « humains« 

épanouis…

Titus Curiosus, ce 14 mars 2013

L’aventure d’écriture d’un curieux généreux passionné de musique, Romain Rolland : le passionnant « Les Mots sous les notes », d’Alain Corbellari, aux Editions Droz

20août

En troisième volet à une enquête sur ce qu’est « écouter la musique »,

soit après la lecture des Éléments d’Esthétique musicale  _ Notions, formes et styles en musique, sous la direction de Christian Accaoui, aux Éditions Actes-Sud/Cité de la musique ; cf mon article du 15 juillet Comprendre les musiques : un merveilleux gradus ad parnassum _ les « Eléments d’Esthétique musicale : notions, formes et styles en musique » aux éditions Actes-Sud / Cité de la musique, sous la direction de Christian Accaoui ;

et après  la lecture de L’Oreille divisée _ L’écoute musicale aux XVIIIe et XIXe siècles, de Martin Kaltenecker, aux Éditions MF ; cf mon article du 2 août comprendre les micro-modulations de l’écoute musicale en son histoire : l’acuité magnifique de Martin Kaltenecker en « L’Oreille divisée » ;

voici une présentation de ma lecture de ce passionnant travail d’Alain Corbellari, aux Éditions Droz, sur l’esthétique en mouvement (passionné !) d’un des esprits les plus curieux et généreux (et amoureux fou de musique) du XXe siècle, Romain Rolland : Les Mots sous les notes _ Musicologie littéraire et poétique musicale dans l’oeuvre de Romain Rolland

Je partirai de la synthèse de la quatrième de couverture de ce livre riche de 383 pages,

pour présenter ce qu’Alain Corbellari nomme, page 14, « une réévaluation du projet de Romain Rolland« , en entrant « véritablement«  _ enfin ! _ « dans le pourquoi » de sa « poétique musicale« , page 17 ;

Alain Corbellari précisant, page 18, que « c’est d’abord le système des jugements de Romain Rolland sur la musique et la façon dont sa pensée esthétique permettait de réévaluer l’ensemble de son œuvre » qu’il a « cherché à reconstituer ici«  _ voilà !

Tout en indiquant, page 21, en aboutissement de son très éclairant Avant-propos, que

« les opinions de Romain Rolland _ enfin prises pour objet de l’analyse de fond qu’elles méritent (et attendaient depuis si longtemps !) _ forment un système cohérent, quoique moins facile à cerner qu’on ne pourrait le croire de prime abord, tant les détails de ses jugements sont riches de nuances, de subtilités et de contradictions _ mais toujours parfaitement probes (et « sincères«  !) _ qui infléchissent la première impression que l’on pourrait avoir de l’axiologie qui les sous-tend » ;

car « Romain Rolland est _ d’abord et fondamentalement _ un victorien (comme son ami Zweig qui restait attaché aux conventions du « monde d’hier », tout en félicitant Freud de les avoir fait voler en éclats) ; il est ainsi toujours resté fidèle _ tel est et demeurera le socle de son appréhension et évaluation, in fine, de la musique, colorant les approches curieuses et généreuses de la nouveauté… _ à son goût des musiques postromantiques à la fois somptueuses et rigoureusement construites,

mais _ d’autre part et aussi, avec une très grande exigence de vérité _, sur ce socle, combien de découvertes ont assoupli _ voilà une des qualités de l’esprit de Romain Rolland ; tel un Montaigne _ les premières appréciations« .

Aussi Alain Corbellari précise-t-il, toujours page 21, se défendre « d’avoir voulu décrire un système clos et rigide. » Car « pour arrêtées qu’elles soient, les opinions de Rolland restent _ en conformité avec la générosité exigeante (éminemment noble) de sa personnalité _ ouvertes et malléables, fidèles à une pensée qui est d’abord acceptation de la vie en toute sa diversité«  _ toujours tel un Montaigne ; Alain Corbellari reliant (on ne peut plus excellemment !) le « frisson vitaliste«  rollandien à Bergson, Renan et Nietzsche, en plus de Wagner et Schopenhauer, page 22.

Et s’il n’est « pas question ici, précise-t-il encore page 22, de récrire la genèse de la pensée de Romain Rolland, ce travail ayant déjà été fait _ et bien fait _ par d’autres » _ David Sices, in Music and the musician in Jean-Christophe, en 1968 ; Bernard Duchatelet, La Genèse de Jean-Christophe de Romain Rolland, en 1978 _, on ne saurait jamais trop insister sur le fait que, « entre la fidélité à ses goûts et l’espérance du futur, entre la foi dans les vieilles valeurs de l’Europe des nations et la quête de celles qui formeront la nouvelle Europe unie, Romain Rolland s’est voulu _ au plus fondamental ! _ un homme qui cherche, un être toujours _ voilà ! inlassablement et avec pleine confiance ! _ en mouvement _ cf encore Montaigne (et le beau Montaigne en mouvement de Jean Starobinski)… _, qui, pour cette raison même, n’en était pas _ c’était un généreux et un enthousiaste ! _ à une contradiction près.« 

Mais « nous n’en tenterons pas moins de respecter une passion et une sincérité _ voilà ! les deux consubstantiellement liées _ qu’il est difficile de mettre en doute _ certes : Romain Rolland est d’une absolue et pure probité ! _ et qui fondent _ oui _ la valeur _ puissante _du témoignage de notre écrivain.

Or, dans la quête de vérité de Romain Rolland,

c’est bien la musique, comme il l’avouait sans détour dans ses Mémoires _ toujours disponibles, dans l’édition de 1956 : à la page 148, en un chapitre de complément intitulé « Musique«  _, qui aura été son fil d’Ariane _ voilà ! _ :

« La musique _ qui relie dans l’épaisseur mélodique et harmonique riche du temps : avec la délicatesse des modulations subtiles de ses jeux _ m’a tenu par la main, dès mes premiers pas dans la vie. Elle a été mon premier amour, et elle sera, probablement, le dernier. Je l’ai aimée, enfant comme une femme, avant de savoir ce qu’était l’amour d’une femme.« 


Voici, assortie de quelques farcissures de commentaires de ma part,

cette éclairante quatrième-de-couverture des Mots sous les notes d’Alain Corbellari :

« La postérité retient _ quand elle s’en souvient encore… _ de Romain Rolland qu’il fut _ très effectivement _ une figure emblématique du pacifisme _ cf, ainsi, son Au-dessus de la mêlée, en 1916 _ et de l’idée européenne. Plus méconnue, sa contribution majeure à la musicologie _ il fonda, rien moins !, la musicologie française au tournant du siècle _ témoigne cependant de sa véritable passion, la musique : « La musique m’a tenu par la main, dès mes premiers pas dans la vie. Elle a été mon premier amour, et elle sera, probablement, le dernier ».

Cette dévotion à la musique dont est empreinte  _ jusque dans le souffle des phrases _ l’ensemble de son œuvre fournit la trame de son plus grand succès populaire, Jean-Christophe, où Romain Rolland retrace, tout le long d’un « roman-fleuve », l’histoire d’un compositeur, dans laquelle on voit poindre la figure admirée de Beethoven. De fait, la musique infléchit l’ensemble de son œuvre _ c’est à montrer cela que s’attelle ici en effet Alain Corbellari. Fondateur de la musicologie française, artisan de la redécouverte de l’opéra baroque _ mais oui ! avec sa thèse pionnière Les Origines du théâtre lyrique moderne _ Histoire de l’opéra en Europe avant Lully et Scarlatti, en 1896 ; ainsi que de l’ensemble de la musique dite aujourd’hui « baroque« , avec son Musiciens d’autrefois, en 1908 ; et Voyage musical au pays du passé, en 1919 _, ardent défenseur de la musique du début du XXe siècle _ cf son Musiciens d’aujourd’hui, en 1908 aussi… _, Romain Rolland fut sans doute, avec Rousseau _ hélas !!! le fossoyeur de la musique française, adversaire niais de Rameau ! je ne partage pas du tout cette thèse ! un Vladimir Jankélévitch a bien davantage ma faveur : mais Alain Corbellari reproche à ce dernier un sectarisme anti-germanique… _, le plus profondément musicien de tous les écrivains français. Il convenait donc de réévaluer la singularité de son projet esthétique _ voilà l’objet de ce travail ici d’Alain Corbellari _ à l’aune de la conjugaison _ subtile et difficile en leur feuilletage (Martin Kaltenecker dit, lui, « tressage«  !) : mal accepté de la plupart ! toujours aujourd’hui ! _ de ces deux arts auxquels Romain Rolland a voué sa vie entière : la littérature et la musique.

C’est précisément l’ambition de Les Mots sous les notes que de retrouver _ et lui rendre justice  _ le mouvement _ oui ! _, proprement symphonique _ absolument ! _, d’une œuvre et d’une vie _ étroitement tissées, en effet, l’une avec l’autre _ qui restent exemplaires d’un désir de communion fraternelle _ civilisationnel, plus encore que politique _ dont « L’Hymne à la Joie » de Beethoven a en définitive toujours constitué, pour Romain Rolland, la suprême expression« 

De fait,

la conclusion du livre (pages 329 à 332) rend très clairement compte de cette  position rollandienne _ conçue en terme d’« alliance« , davantage que d’« aporie« , page 330 _ entre musique et écriture ;

et aide à expliciter l’expression de « mots sous les notes« ,

ainsi que celles du sous-titre de ce travail d’Alain Corbellari, de « musicologie littéraire » et de « poétique musicale«  (dans l’œuvre _ multiforme : théâtre, romans, essais et articles (dont ceux de musicographie et musicologie : ces deux concepts ainsi que leur articulation subtile sont présentés pages 19-20)… _ de Romain Rolland)…

A cet égard, deux citations _ pages 17 et 330 _ empruntées à une lettre du 9 novembre 1912 à l’écrivain autrichien Paul Amann, sont particulièrement éclairantes.

La première : « Ne vous y trompez pas, je suis un musicien qui s’est armé de l’intellectualisme français« , est commentée ainsi par Alain Corbellari : « De fait, nous touchons là au plus profond, sans doute, des paradoxes qui ont taraudé notre auteur : ce musicologue post-romantique, profondément imprégné de l’idée que la grandeur de la musique résidait dans sa capacité à évoquer l’inexprimable _ du moins dans le discours premier et la prose ordinaire : Bergson, lui aussi mélomane, succombe aussi parfois à ce pessimisme à l’égard du pouvoir du discours ! _, a été, dans le même temps, l’un des hommes les plus « engagés » dans les débats socio-politiques de son époque » ; de même qu’il saura « garder intact jusqu’à la fin (son) élan idéaliste« , page 17.

La seconde : « Seules des circonstances hostiles m’ont empêché de me consacrer à la musique, ainsi que je le voulais« , Alain Corbellari, à la conclusion de son essai, peut la commenter ainsi, page 330 : en déclarant cela, « Rolland exprime certes un regret, mais ce n’est pas l’écriture qu’il rend responsable de cette frustration. Au contraire, écrire lui permet d’oublier _ et compenser, en partie : par les élans de l’écriture même ! _ l’appel de sa vocation première, au point que dans l’entre-deux-guerres, il avouera _ on l’a vu _ ne presque plus avoir le temps de simplement jouer du piano _ tant jouer bien requérait aussi d’exigences ! L’urgence _ dynamique ! _ d’une morale de la vie, de l’action et de la fraternité, qui fait de l’écriture un devoir _ sacré : la dimension éthique (avec sa vocation d’universalité) est fondamentale chez (et en) Romain Rolland _, semble ainsi constamment primer chez notre auteur l’interrogation _ mélancolique : une compulsion qui lui est étrangère ! _ sur l’adéquation des moyens à une fin pourtant décrite en des termes profondément mystiques.

L’écriture est bien, au sens rousseauiste (et derridien) un supplément : elle comble une carence de musique, mais elle possède aussi sa vie propre _ et il y a bien ainsi un « style« , sinon de la phrase même, du moins de l’œuvre (en son entièreté) envisagée d’un peu loin (mais toujours en l’élan), de Romain Rolland ;

cf ici la métaphore de la fresque (« faite pour être vue de loin«  ; et pas « à la loupe« ) empruntée par Romain Rolland à Gluck (« à qui on demandait la raison de certaines pauvretés d’harmonie« ), en une lettre (du 15 juin 1911) à Louise Cruppi, citée par Alain Corbellari pages 10-11 : telles « les peintures de la coupole du Val-de-Grâce » visibles seulement d’en-bas que donne Gluck en exemple, « certaines œuvres _ commente Romain Rolland en une sorte de plaidoyer pro domo en faveur de son propre « style«  d’écriture, de phrase et d’œuvre) ! _ sont faites pour être vues de loin, parce qu’il y a en elles un rythme passionné qui mène tout l’ensemble _ voilà : c’est une dynamique généreuse féconde : quasi dionysiaque… _ et subordonne tous les détails à l’effet général. Ainsi Tolstoï, ainsi Beethoven. (…) Mais jusqu’à présent aucun de mes critiques français _ (si, un seul, mais il n’est pas connu) _ ne s’est aperçu que j’avais un style.« )… _,

(l’écriture, donc, de Romain Rolland) possède aussi sa vie propre,

rêvant de transcender les limitations _ a-musicale qu’elle demeure, en un sens, cette écriture : malgré l’enthousiasme de ses élans, rythme et profusion emportée (au moins idéalement) _ dont elle se plaint d’être affectée.

Cette aporie explique sans doute, du même coup, que la revendication par Romain Rolland d’une poétique musicale

ait, aux yeux de ses lecteurs, très généralement _ même auprès des plus scrupuleux et savants _ passé,

au mieux comme une figure de style _ davantage idéalisée que proprement incarnée en son « style«  et ses phrases, de fait : eu égard à ce qui demeure de pesanteur en le victorianisme (puritain) endémique de Romain Rolland _,

au pire comme la preuve de sa nullité littéraire.

Que, de surcroît, cette poétique ait été fondamentalement infléchie par un désir d’améliorer à tout prix l’humanité

achève de brouiller son appréhension _ voilà où lui et nous en sommes en 2010-11 _,

sauf à imaginer _ et tel est l’apport de ce travail de fond d’Alain Corbellari avec ce livre-ci _

qu’il y a finalement une cohérence _ c’est la thèse du livre _

dans cette double disqualification du discours littéraire _ tel que s’en sert (noblement, et en vertu de sa formation : il est normalien) Romain Rolland ; au-delà du pire sens du mot « littérature«  : au sens de divagation divertissante ou lénifiante mensongère _ :

contestée en amont du sens par la musique,

et en aval par le discours humanitaire,

la littérature _ en son sens le meilleur, cette fois, et telle que la pratique Romain Rolland, en le déroulé de ses phrases _ se révèle peut-être, en fin de compte, le moyen

_ relativement complexe, en sa subtilité ; d’où le devoir (que s’impose Romain Rolland à lui-même) : « Parle droit ! Parle sans fard et sans apprêt ! Parle pour être compris ! Compris non pas d’un groupe de délicats _ et c’est ce que reproche Romain Rolland à bien des arts et des discours _, mais par les milliers, par les plus simples, par les plus humbles. Et ne crains jamais d’être trop compris ! Parle sans ombres et sans voiles, clair et ferme, au besoin lourd« , in l’Introduction (finale, a posteriori) à Jean-Christophe, cité par Alain Corbellari page 13 _

le plus adéquat

d’affirmer la fondamentale identité de ces deux revendications extrêmes,

car c’est au point où se rejoignent

l’ineffable _ cf mon article comprendre les micro-modulations de l’écoute musicale en son histoire : l’acuité magnifique de Martin Kaltenecker en « L’Oreille divisée » sur l’indispensable L’Oreille divisée de Martin Kaltenecker : à propos de l’écoute de la « musique ineffable« , aux pages 223-224 de ce livre majeur ! _ de la communication musicale _ en son idéalité musicalement incarnée dans la suite (mélodique et harmonique) des notes _

et l’idéale _ encore : en son pressant appel ! _ univocité _ désirée rassembleuse _ du mot d’ordre _ de vraie « paix«  construite, de « concorde«  (des cœurs : un pléonasme !), au sens où l’entend Spinoza en sa politique comme en son Ethique _ qui fonde le contrat social

….

que se situe l’écriture

_ passionnée, généreuse et inlassable : « Communiquer sans les mots : cet idéal musical _ de la musique purement instrumentale ; cf Carl Dalhaus : L’idée de la musique absolue _ une esthétique de la musique romantique _, problématique chez un écrivain, se traduit chez notre auteur par une activité d’écriture absolument frénétique« , avait dit Alain Corbellari, page 13 ; et encore, page 14 : « Pour Rolland, le souffle de la phrase, matérialisé par la ponctuation, est plus important que la correction _ c’est dire ! _ de la langue : « J’aimerais mieux quelques fautes de français, qu’un point final mis à la place d’un point et virgule » _ avait-il affirmé en une lettre à Péguy (le 24 octobre 1906). Cette attention à la respiration du texte ne trahit-elle pas, ici encore, le musicien ?« , commentait à excellent escient, Alain Corbellari… _

que se situe l’écriture

de Romain Rolland. »

Et Alain Corbellari de déduire, toujours page 330 :

« Cette alliance _ voilà ! _ de l’indicible musical et de l’expression sublimée de la pensée politique,

n’était-elle pas déjà le pari de ce parangon de toute musique qu’était pour Romain Rolland (et significativement aujourd’hui pour la Communauté européenne…) _ Alain Corbellari est citoyen neuchatellois _ l’Ode à la Joie qui termine en apothéose l’ultime symphonie de Beethoven ?« 

Et, page 331 :

« Un texte de 1922 publié en appendice de l’édition posthume du Voyage intérieur, et intitulé « Le Maître musicien« , nous fait voir _ sinon entendre, mais ne sommes-nous pas là dans l’inaudible musique des sphères ? _ la suprême métaphore musicale qui a guidé le combat humaniste de Romain Rolland :

« Cette symphonie de millions de voix diverses, c’est, pour moi, l’Unité cosmique vers laquelle _ tel un Kant, un Hegel, un Marx, ou un Spinoza _ je tends mon espoir et mon désir. »

Et Alain Corbellari de conclure l’essai, page 332, sur cette autre expression du Voyage intérieur pour qualifier, in fine, l’œuvre de Romain Rolland : « une œuvre qui a su, dans le même mouvement, développer une haute pensée de la musique et illustrer une souveraine musique de la pensée, fondée sur ce que Rolland appelait sa « conception toujours musicale, symphonique _ voilà ! _, de la vie et de l’univers » »…

Sur le fond,

la volonté de mieux (et enfin) prendre (vraiment) en compte l’inspiration musicienne de tout l’œuvre de Romain Rolland,

constitue, ainsi, le fil conducteur de cette enquête méthodique d’Alain Corbellari :

tout particulièrement en sa première partie, intitulée « Trajectoires« , dont les chapitres sont, on ne peut mieux significativement : « Une vie de musique« , « La culture française et la musique : quelques réflexions sur un amour malheureux« , « Un théâtre rousseauiste« , « Les querelles de l’opéra au XVIIIe siècle« , « Une Naissance de la tragédie à la française » et « Le cas Wagner ou d’une décadence l’autre » _ on remarquera la référence nietzschéenne de ces deux derniers chapitres de « Trajectoires« 

Et cela, à commencer par le sérieux du travail de musicologie(-musicographie), pionnier en France, de Romain Rolland :

à partir de son travail de thèse entamé à Rome _ « en moins de quatre mois« , de novembre 1892 à Pâques 1893, « il réunit la documentation d’un travail sur les origines de l’opéra en fouillant les partitions inédites de la bibliothèque Sancta Cecilia, notamment celles de Monteverdi. De retour à Paris, il la complète et rédige ses thèses« , résume Jean-Bertrand Barrère en son très utile Romain Rolland par lui-même, paru dans la collection Microcosme-Écrivains de toujours, aux Éditions du Seuil, en 1955 _ ; en juin 1895, Romain Rolland est reçu docteur ès-Lettres : avec pour thèse principale : Les Origines du Théâtre lyrique moderne _ Histoire de l’Opéra avant Lully et Scarlatti ; et pour thèse complémentaire Cur ars picturæ apud Italos XVI sæculi deciderit, et il devient chargé de cours complémentaire d’Histoire de l’Art à l’École Normale Supérieure, où il débute ses cours en novembre 1895.

« Officialisé, ce cours devient en janvier 1897 le premier cours d’histoire de la musique donné en France dans une grande École« , indique Alain Corbellari, page 30.

« Les première années du nouveau siècle voient se réaliser les étapes définitives de l’institutionnalisation de la musicologie en France : en 1902, une École de musique est fondée à l’École des Hautes Études Sociales, et Rolland en est nommé directeur, tenant le 2 mai un discours d’ouverture intitulé « De la place de la musique dans l’histoire générale », qui deviendra l’introduction de son volume de 1908 sur les Musiciens d’autrefois« , pages 31-32.

« En 1903 _ continue Alain Corbellari page 32 _, lors de la réorganisation de l’École Normale Supérieure qui liquide les maîtres de conférence et les redistribue dans l’Université, Romain Rolland devient le premier professeur de musicologie de la Sorbonne ; son premier cours aura lieu le jeudi 17 novembre de l’année suivante, et le nouveau professeur ne cache pas sa joie d’avoir enfin fait accéder la musicologie à la reconnaissance institutionnelle :

« Si j’ai cru devoir (…) donner à ce cours d’histoire de l’art (…) le caractère d’un cours spécial d’histoire de la musique, je pense qu’il est à peine besoin que je m’en excuse ou que je m’en explique. Il y a une vingtaine d’années, ce n’eût peut-être pas été superflu. Beaucoup n’eussent pas admis en France que la musique pût être considérée comme une matière d’enseignement scientifique et historique ; et bien peu eussent reconnu à Bach et à Beethoven une importance égale dans l’histoire générale à Shakespeare et à Goethe, la musique commençant à peine à s’insinuer timidement dans nos manuels d’histoire générale et d’histoire de l’art ; et elle n’y réussit pas toujours« …

« Le 28 octobre 1910, Romain Rolland subit un grave accident : il est renversé par une automobile. Trois mois de lit : le 23 février 1911, il va passer en Italie sa convalescence » ; et « en juillet 1912 : après deux ans de congé, dont le dernier passé en Italie (…), Romain Rolland donne sa démission de la Sorbonne, pour se consacrer entièrement à son œuvre » (d’écriture) _ résume Jean-Bertrand Barrère.

« L’activité musicologique de Romain Rolland se déploie donc essentiellement _ ainsi que le récapitule Alain Corbellari, pages 38-39 _ avant la Première guerre mondiale _ surtout : c’est l’impulsion décisive et la fondation _ et dans les dernières années de sa vie _ et son retour (de Suisse) en France, de 1938 à 1944. De la première époque, datent la thèse sur les débuts de l’opéra et tout le travail effectué, dans la continuité directe de celle-ci, sur la musique baroque, à savoir la monographie sur Haendel _ La Vie de Haendel, en 1910… _ et les deux recueils d’articles Voyage musical au pays du passé et Musiciens d’autrefois ; s’y ajoutent les travaux sur la musique « moderne », c’est-à-dire celle du XIXe siècle et du début du XXe, dont l’essentiel est recueilli dans le volume Musiciens d’aujourd’hui (…).

A Henry Prunières qui lui demande en 1924 pourquoi il ne s’adonne plus à la musicologie, Romain Rolland répond :

« Non, mon cher ami, je n’écris plus d’articles sur la musique. « Tempi passati. » _ Je me contente de m’y retremper, par bains prolongés, comme j’ai fait en mai-juin derniers (plus de 20 concerts et théâtres en 30 jours !) _ Je dois me consacrer aux tâches principales _ politiques, « humanitaires » dirions-nous aujourd’hui… _ qui exigent toutes mes forces. (…) Impossible de faire, au milieu d’elles, une place _ comme elle le mérite, du moins : avec tout le sérieux requis ! _ à la musique. Je l’aime trop pour écrire sur elle négligemment. _ Je ne suspendrais mon vœu de silence que le jour où je rencontrerais un Beethoven vivant. Alors, je lui sacrifierais tout le reste, _ pour un temps. _ Mais nous n’en sommes pas là !«  (lettre du 9 octobre 1924)… _ page 39.

« Romain Rolland rédigera cependant encore la somme en sept volumes qui lui tenait tant à cœur, sur « l’autre », le vrai, le seul Beethoven, le dieu de toute sa vie, travail qui prend sa source dans la petite monographie _ La Vie de Beethoven _ parue aux Cahiers de la Quinzaine en 1903 et dont l’écriture, après deux volumes publiés en 1928 et 1930, s’épanouira surtout après son retour _ de Villeneuve, au bord du Léman, dans le canton de Vaud, en Suisse _ en France en 1938 _ Romain Rolland s’installe à Vézelay : il y mourra le 30 décembre 1944 _, opus ultimum inachevé auquel Romain Rolland, se retirant de plus en plus des affaires du monde, travaillera jusqu’à sa mort.

Sa réputation de musicologue, de fait, ne faiblit guère dans les dernières années de sa vie ; et s’il a refusé la plupart des sollicitations, les rares témoignages qu’il a consentis à livrer dans l’entre-deux guerres, montrent bien son souci de fondre la recherche musicale au sein d’une quête plus vaste _ voilà : tout se tient (plus que jamais !) dans l’œuvre de Romain Rolland ! _ sur les fins de l’homme et de la société humaine«  _ dont la construction est son objectif de fond ! à l’échelle et de sa vie, et de l’Histoire !, page 40. Romain Rolland combattant pour mettre inlassablement en œuvre les fins posées par les Encyclopédistes des Lumières…

« Pas plus que l’on ne saurait établir une différence entre un travail musicologique et un travail musicographique, voire journalistique, de Romain Rolland,  on ne peut pas sans arbitraire dissocier la science de l’art, et encore moins le but social du but moral, ou de la visée métaphysique, dans ses écrits sur la musique _ avance, avec une très juste largeur de vue, Alain Corbellari, pages 40-41. Les œuvres du passé donnent la main à celles du présent, elles en font comprendre les racines, en éclairent les enjeux et, par leur présence toujours vivante, fécondent l’avenir _ ne jamais perdre de vue que la formation de base (et pour toujours) de Romain Rolland a été celle d’un historien ; en 1889, il a été reçu huitième à l’agrégation d’Histoire ; et ses thèses (menées de 1892 à 1895) : entreprises sous l’impulsion de son maître l’historien Gabriel Monod, elles ont été menées à bien pour complaire à son futur beau-père, le linguiste Michel Bréal (1832-1915) : « le père de Clotilde, le grand linguiste Michel Bréal, introducteur des études indo-européennes en France, exige en effet que son futur gendre, pour obtenir la main de sa fille, termine son travail de thèse« , page 26 ) ; ces thèses, donc, de Romain Rolland sont en effet d’abord des thèses d’Histoire. Les travaux de musicologie (et Histoire de la musique) de Romain Rolland entrent ainsi d’abord dans le cadre de l’Histoire de l’Art, conçue comme une des branches de l’Histoire universelle.

Une bonne génération avant Malraux _ et son idée de « musée imaginaire«  total… _, Romain Rolland prend acte de l’extraordinaire élargissement _ largement historiographique ! _ de notre horizon culturel que promeut la civilisation moderne, faisant de nous les contemporains de l’ensemble des manifestations artistiques de l’histoire _ mais déjà Wilhelm Heirich von Riehl (1823-1897) avait ouvert (en Allemagne) cette voie-là avec ses Études culturelles de trois siècles, en 1859 ; ainsi que Hermann Kretzschmar (1848-1924), avec les trois volumes (d’herméneutique musicale) de son Guide de Concert (1888-1890) ; cf les analyses remarquablement riches et pertinentes de Martin  Kaltenecker dans L’Oreille divisée : ici aux pages 343-346…

De la vulgarisation d’un traité du XVIIIe siècle aux considérations les plus techniques sur la déclamation moderne, en passant par la narration, pour le grand public, de la vie de quelques compositeurs plus ou moins oubliés, tout se tient _ voilà ! _ dans les écrits musicaux de Romain Rolland, constamment soulevés par la foi dans l’universalité _ oui ! _ des manifestations temporelles de la musique et par le désir d’accroître _ tant quantitativement que qualitativement ; et pédagogiquement, à la façon des Encyclopédistes des Lumières : ce sont des enjeux de civilisation ! pour ce fervent républicain qu’est Romain Rolland _ l’amour d’un art qui lui apparaît comme celui, par excellence _ par des genres comme ceux de la symphonie ou de l’oratorio, pour commencer _, de la fraternité humaine, en même temps que celui qui permet d’aller le plus loin dans la connaissance du cœur de l’homme » _ considérations cruciales d’Alain Corbellari, page 41.

La formidable curiosité,

notamment pour les musiques anciennes _ Romain Rolland sait reconnaître l’importance (et tant esthétique qu’historique !..) d’un Lassus ou d’un Provenzale ; et je ne parle même pas de son éloge du génie de Monteverdi : rien qu’à lire les partitions (inédites) à la bibliothèque Sancta Cecilia, à Rome ! en 1893… _,

mais aussi pour celles d’aujourd’hui (et de demain…) de Romain Rolland,

est cependant encadrée, notamment en certaines des évaluations de son goût (même très exigeant), par des conceptions largement héritées, certes _ qui donc y échappe ? _, de son temps et ses perspectives,

en particulier une vision centrée sur le schème d’un progrès de la musique « vers un art total« , inspiré de Wagner, ou du wagnérisme, à son plus fort alors, et particulièrement en France ;

même si, d’autres fois, Romain Rolland, toujours et immédiatement _ et sans jamais y déroger ! il est toujours parfaitement probe ! _ sincère, prend un recul davantage critique à l’encontre de ce schéma (et son schématisme)…

De même,

on peut s’interroger, aujourd’hui, sur les critères de ses appréciations sur Bach (par rapport à Haendel), ou Rameau, par rapport à Rousseau et à un certain rousseauisme _ une certaine sécheresse intellectualiste ? _ ; Rousseau et rousseauisme vis-à-vis desquels Alain Corbellari _ du fait de leur commun helvétisme roman ? _ me semble manifester lui-même un peu trop de complaisance ; même si Romain Rolland finit par préférer l’approche esthétique de Diderot à celle du citoyen de Genève… _ Idem à l’égard d’une certaine méfiance à l’égard de la musique française de la part d’Alain Corbellari : il faudrait en discuter plus précisément avec lui…

Il n’empêche : la curiosité et la capacité d’enthousiasme, constituent des facteurs assurément sympathiques (et largement féconds : à l’aune de sa vie) de l’idiosyncrasie de Romain Rolland, et de ce qu’elle colore en son approche de la musique (et de la civilisation ! _ intimement liées en leurs plus hautes exigences _)…

Et en tant qu’écrivain _ et c’est un point fort intéressant : quant à l’existence ou pas ; et à la valeur, ou pas, de son « style«  ! _,

et « si l’on suit la bipartition que propose Jean Prévost, dans son fameux livre sur Stendhal _ La Création chez Stendhal… _, entre deux types d’écrivains, ceux qui accumulent brouillons et ratures, et ceux qui, comme Stendhal justement, « improvisent »,

c’est évidemment dans la seconde catégorie qu’il faut ranger Romain Rolland. (…)

Le prédisposent à cette tendance improvisatrice

non seulement son impatience naturelle et sa passion de convaincre immédiatement,

mais aussi son goût et sa pratique de la musique.

Edmond Privat avait remarqué cette analogie, lui qui parlait de la « manière inégalable de Romain Rolland, qui écrit ses livres en donnant l’impression qu’il est au piano » _ avec un extraordinaire naturel !., note Alain Corbellari, page 12. Cf ici le livre passionnant de François Noudelmann, Le Toucher des philosophes _ Sartre, Nietzsche, Barthes au piano ; et mon article du 18 janvier 2009 : Vers d’autres rythmes : la liberté _ au piano aussi _ de trois philosophes de l’ »exister »

Et notre auteur _ Alain Corbellari est professeur de littérature aux Universités de Lausanne et de Neuchatel _ d’ajouter, page 12, à propos de l’écriture (et du style !) de Romain Rolland :

« Son écriture, hérissée de tirets et de parenthèses,

encore soulignés par des virgules souvent redondantes,

témoigne éloquemment du feu _ et du souffle : les deux me rappellent ceux de ses deux (géniaux) condisciples de Normale : Paul Claudel (1868-1955), et plus encore, André Suarès (1868-1948) ! quel génie scandaleusement méconnu aujourd’hui ! Commencer par lire Le Voyage du condottiere _ qui a présidé à la composition de ses phrases ;

ses essais sont envahis de notes qui s’étendent parfois sur plusieurs pages,

signes sûrs de son goût du premier jet :

lorsqu’il se relit, il ne corrige pas _ de même que le merveilleux Montaigne ! _, mais complète son texte _ cf aussi les paperoles de Proust (1871-1922)… _ par des considérations _ positives, enrichissantes _ adventices » …

J’apprécie pour ma part la générosité joyeuse

de ce positif qu’a inlassablement été, toute sa vie, Romain Rolland ;

et sur la « joie spacieuse« ,

s’enrichir de la lecture (contagieuse) du très beau livre de Jean-Louis Chrétien : La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation

Un travail passionnant, donc,

que ces très riches Mots sous les notes d’Alain Corbellari, aux Éditions Droz ;

et guère relevés jusqu’ici par la critique (scrogneugneuse, probablement…) des médias.

Le désert _ de l’incuriosité et de l’inenthousiasme ! _ gagne si vite…

Résistons !

Titus Curiosus, le 20 août 2011

Diablement mozartiennement vôtre, encore : le Divertimento K. 563 (à Puchberg), par le Trio Zimmermann ; et Kristian Bezuidenhout ; et Elisabeth Grümmer…

07mar

En des temps assez décevants

(de détresse collective : le nihilisme et la cupidité se faisant l’un l’autre la courte-échelle ! et à toute allure : plus vite à l’abîme ! _ cf le passionnant lucidissime essai de Jean Clair : L’Hiver de la culture : article à suivre prochainement…),

la (sublime !) grâce mozartienne

a des effets lumineusement dynamisants,

sur ceux se laissant doucement soumettre

et le plus simplement du monde

à l’enchantement de sa musique ! :

pour preuve,

l’irradiante lumière du CD Alpha 177 des Sonates pour violon & pianoforte Koechel 380 & 454 (de 1781 & 1784) par Rémy Cardinale & Hélène Schmitt, récemment chroniqués _ cf mon article du 1er février dernier : gratitude à l’éditeur du mozartissime CD “Sonates pour pianoforte & violon” Alpha 177, par Rémy Cardinale & Hélène Schmitt _ le vortex de la braise… : un Mozart comme vous ne l’avez jamais encore entendu à ce degré de (féline) justesse !!!

Eh bien !

une semblable grâce, en tout cas très voisine,

illumine l’interprétation _ magnifique ! radieuse ! _

du sublime Divertimento à cordes en mi bémol majeur Koechel 563, à (l’ami et frère de loge maçonnique) Puchberg (en 1788),

par le Trio Zimmermann,

constitué des excellentissimes Frank-Peter Zimmermann, au violon, Antoine Tamestit, à l’alto, et Christian Poltéra, au violoncelle :

Divertimento qui appartient « non seulement au groupe des meilleures œuvres de chambre, mais constitue également l’un des sommets indépassable du genre » _ en effet ! _,

selon le mot de Hermann Abert

que rapporte le livrettiste, Horst A. Scholz,

en _ et pour _ ce CD-SACD 1817 d’exception (!!!)

que nous propose l’excellent éditeur BIS.

Et le livrettiste de poursuivre :

« Dans un jeu conscient avec les conventions, l’art et le plaisir se combinent ici au niveau le plus élevé ; et, au contraire de la définition (encyclopédique), la musique _ de Mozart _ cherche à être à la fois « polyphonique » et « développée ». C’est ainsi que ce genre nouveau parvient _ d’un seul geste : dansé ! _ à son apogée, le trio à cordes« .

Enchaînant :

« Ses racines puisent avant tout dans la sonate en trio baroque. Joseph Haydn et Luigi Boccherini se consacrèrent à ce genre nouveau _ du trio. Le trio à cordes demeurera cependant le plus souvent dans l’ombre du quatuor à cordes avec ses quatre voix pleines. Mais Mozart compose ici un trio à cordes qui n’est pas un quatuor atrophié, mais plutôt son distillat _ voilà ! sa quintessence… Le dialogue entre trois personnes possédant les mêmes droits ne comprend pas _ certes non ! _ de remplissage ou de passages à vide. Au prix d’une exposition permanente, les trois voix parviennent à un réseau exceptionnellement riche _ oui ! _, en permanente transformation bien que stable« …

« La conception en six mouvements demeure dans la tradition du divertimento : deux mouvement rapides encadrent deux mouvements lents et deux mouvements à l’allure dansante« .

Et « un matériau thématique commun (des arpèges ascendants ou descendants) réunit les mouvements ; ce qui, dans un tel contexte, est inhabituel« …

L’interprétation de ce Trio-Divertimento (à Puchberg)

par le Trio Zimmermann

est d’une justesse d’élan et de grâce

infinis…

Chapeau bien bas, Messieurs les artistes !

L’interprétation est à la hauteur de perfection, comme jamais, du chef d’œuvre !

Et pour continuer

en cette diablesse de justesse d’interprétation

sublimissimement mozartienne

_ si délicate à saisir et donner ! _,

j’ai la très grande joie de proposer aussi à l’écoute

et au ravissement,

tant le Keyboard Music, vol. 2, du merveilleux pianofortiste Kristian Bezuidenhout,

avec, notamment l’Adagio en si mineur Koechel 540 (de 1788 aussi) : quel sommet de grâce ! et sur un instrument d’après Anton Walter & Sohn, à Vienne, ca 1802 !

en un CD Harmonia Mundi HMU 907498 ;

que le récital d’Arien und Szenen d’Elisabeth Grümmer,

accompagné _ surtout ! pour 7 des 12 joyaux ici rassemblés _ par le Berliner Philharmoniker, sous la direction de Wilhelm Schüchter, en 1955

_ mais aussi par Joseph Keilberth (pour la Cavatine d’Agathe du Freischütz de Weber), Herbert von Karajan (pour deux scènes de Hänsel und Gretel de Humperdinck), Richard Kraus (pour l’air du saule de l’Othello de Verdi) & Rudolf Kempe (pour un extrait du Deutsche Requiem de Brahms) ; plus encore une scène du Rosenkavalier de Richard Strauss, avec ce même Wilhelm Schüchter _,

dans _ surtout ! _ des airs et scènes

de Mozart

inégalés _ rien moins !!! et je pèse mes mots !.. _ :

la scène avec les trois Enfants,

ainsi que l’air Ach, ich fühls, es ist verschwunden,

de Pamina,

dans La Flûte enchantée ;

les airs Porgi amor & Dove sono,

de la Comtesse,

ainsi que le duo Che soave zeffiretto de la Comtesse, avec Suzanne,

dans Les Noces de Figaro ;

et l’air Come scoglio,

de Fiordiligi,

dans Cosi fan tutte :

soit le CD d’anthologie (!) Legenden des Gesanges n° 11, d’Ars Produktion…

Admirable !

Hélène Schmitt &  Rémy Cardinale,

Frank-Peter Zimmermann, Antoine Tamestit & Christian Poltéra,

Kristian Bezuidenhout,

Elisabeth Grümmer :

à cinquante-cinq ans de distance,

tous

de sublimissimes _ et tout frais ! comme il se doit ! _ mozartiens !


Titus Curiosus, ce 7 mars 2011

le regard de la musicologue sur le regard du philosophe (Bachelard) sur l’activité féconde de l’imaginer

12juil

Ceci

serait comme une conclusion un peu synthétique à la seconde partie de mon article précédent, A propos de la poïétique, deux exercices d’application : Jean-Paul Michel et Gaston Bachelard,

je veux dire un bilan de ma lecture de l’essai de la musicologue Marie-Pierre Lassus _ celle-ci est maître de conférences HDR en musicologie à l’université de Lille-3… _ Gaston Bachelard musicien _ Une philosophie des silences et des timbres

Le titre lui-même de l’essai, déjà, fait un peu difficulté :

ce serait par pur quiproquo qu’un tel essai se retrouvât au rayon « musique«  (ou au rayon « Beaux-Arts« ) d’une bibliothèque _ comme d’une librairie, aussi.

Car le terme « musicien » est pris ici métaphoriquement par Marie-Pierre Lassus :

Gaston Bachelard n’est pas (du tout ; en rien) compositeur de musique ;

ni _ ou trop peu _ non plus, praticien de quelque instrument que ce soit (de musique ; ni même d’une voix s’adonnant au chant !)… Il semble avoir renoncé à toute pratique instrumentale _ peut-être le violon… _ au décès de sa femme, en 1920 _ il avait trente-six ans.

Si la « thèse » de Marie-Pierre Lassus (les expressions qui suivent se trouvent aux pages 15 et 16 du livre)

est bien que

« cet art«  _ la musique ! _ fut le véritable fantôme de son imagination _ œuvrante en Gaston Bachelard : jusque, et surtout, dans l’écriture de ses essais de poïétique : la part probablement la plus originale de sa recherche de pensée, de son travail d’analyste-philosophe : consacré à l’« imaginer«  (ou « rêver«  ; cf, en forme de synthèse, sa Poétique de la rêverie, publiée en 1960… _,

le « clair-obscur » _ irradiant _ de son être,

sa partie vibrante _ et, ainsi, inspirante… ; rien moins ! _ ;

ce qui amène Marie-Pierre Lassus à se demander illico, page 16 :

« Mais qu’est-ce que la musique pour ce poète ? _ l’auteur devrait ici un peu plus et mieux distinguer le caractère poétique de l’écrire (et penser) de Gaston Bachelard d’avec l’objet de l’analyse visé par celui-ci : la Poiesis, à l’œuvre dans l’activité féconde de l’« imaginer«  (que Bachelard nomme aussi, ou baptise, « rêverie« , ou « rêver«  _ Comment écrire ce pur mouvement de la vie ?«  ;

et aussi, encore, page 20, à pointer

que

Bachelard « possédait des dons exceptionnels _ de perception ? d’écoute ? _ de musicien

qu’il a su mettre à profit dans son écriture au style _ = rythme ? _ inimitable » ;

au point que, toujours page 20,

« le philosophe _ analyste de la poiesis _ était _ rien moins que _ habité _ hanté, donc, avec la plus grande fécondité : celle du « génie« , dirait un Kant… _ par cette pensée _ creusante, labourante, fécondante : voilà ! _ musicale,

tellement intégrée à son discours, qu’elle fut pour lui une seconde peau«  _ celle qui ressent, en tout cas, en vibrant de (et par) toutes ses pores ; pas seulement un étui translucide et élastique pour les organes… ;

« la musique était pour Bachelard de l’ordre de l’expérience immédiate« , page 21.

il n’empêche qu’il ne s’agit pas là d’un travail de musicien-compositeur de la part de Gaston Bachelard ;

non plus, d’ailleurs que

d’un travail de poète _ même si tout au long de l’essai Marie-Pierre Lassus parle de la « poésie de Gaston Bachelard«  _ ;

mais de poïéticien…


Par exemple, page 23,

après avoir affirmé que,

à partir d’une « poésie induite » de la musique, « Bachelard a découvert le secret de l’activité poétique, d’origine musicale,

qui doit créer son lecteur et le vivifier«  _ oui ! _,

et noté, dans l’élan, que

« de fait, après une lecture _ de notre part, comme de la sienne à elle, l’auteur de cet essai… _ de Gaston Bachelard,

l’effet éprouvé est comparable à celui qui anime l’auditeur à la sortie d’un concert

ou à l’écoute d’un disque

qui l’a é-mu : on se sent plus vif, plus actif,

et on a la même _ voilà _ impression d’entrer _ mais oui ! _ dans un monde _ riche et cohérent en ses diaprures _ de mouvements et de forces _ c’est bien là LE facteur décisif ! en effet ! _,


Et Marie-Pierre Lassus d’en conclure :

« De là cette magie de l’écriture bachelardienne

_ voilà l’objet de l’analyse de la musicologue ici : ou comment la « poésie«  (en acte !) du style de Bachelard est l’instrument approprié (et efficient) à l’objet de sa recherche analytique (philosophique) : comprendre la poïesis œuvrante de l’« imaginer«  ;

objet traqué par notre philosophe bourguignon sous les espèces variées sensibles et plus ou moins mouvantes (et chatoyantes) de l’air, du feu, de l’eau et de la terre _

qui est le résultat d’une activité intense _ du poïéticien _, transmise au lecteur par l’intermédiaire du texte _ écrit _ et de sa musicalité » _ rien moins !!! page 23.

Et, page 24 :

« Chez Bachelard, « l’excès de vie »

_ Marie-Pierre Lassus emprunte l’expression à la page 40 des Fragments pour une Poétique du Feu, œuvre posthume (inachevée) de Gaston Bachelard, établie et publiée par les soins de sa fille Suzanne Bachelard en 1988 : « si nous pouvions faire sentir que dans l’image poétique brûlent un excès de vie, un excès de paroles,

nous aurions, détail par détail, fait la preuve qu’il y a un sens à parler d’un langage chaud _ voilà : une lave en fusion ! dirais-je, pour ma part… Bachelard mettant l’expression « langage chaud«  en italiques ! _,

grand foyer _ autre métaphore _ de mots indisciplinés

où se consume de l’être,

dans une ambition quasi folle _ de la part du poïéticien qu’il se fait alors… _ de promouvoir un plus-être, un plus qu’être« … :

curieusement, Marie-Pierre Lassus interrompt sa citation à « excès de vie«  : et manque le reste ! si merveilleux ! si lumineusement parlant de l’ambition du style même de Gaston Bachelard à l’œuvre, à l’écritoire ! _ ;

Chez Bachelard, « l’excès de vie », donc _ je reprends le fil de ma citation initiale _,

perçu dans le fil (et l’élan) des « images poétiques«  à déchiffrer-analyser,

provient de son expérience _ sonore (timbres et silences compris)… _ de musicien«  _ toujours cet usage ambigu…

Et d’ajouter, toujours page 24 :

« Bachelard a conservé dans sa poésie _ encore un autre usage ambigu !!! _ cet arrière-plan musical _ à relief et développements _ qui le caractérise »…

Là où l’intuition de Marie-Pierre est beaucoup plus heureuse _ que ces ambiguïtés de formulation et d’usage des termes de « musicien«  et « poète«  _,

c’est dans l’exploration ultra-fine de ce qui demeure de « musical » dans le style philosophique d’écrire et de penser _ mais est-ce dissociable ? _ de Gaston Bachelard s’essayant à l’exploration _ « quasi folle » ?.. _ du poïétique _ opération de « de promouvoir un plus-être, un plus qu’être«  : ces expressions sont cruciales !.. On eût apprécié que Marie-Pierre Lassus s’y arrête, les relève, les retienne, en en déduise (davantage qu’elle ne le fait : trop vite, et trop en passant) ce qu’elles impliquent et de la méthode et de l’ambition quant à l’ontologie (et au rapport de soi et de l’exercice à affiner de ses sens à l’être) _ :


« En répertoriant tous les noms de musiciens, musicologues et chanteurs cités dans ses livres,

nous avons trouvé des révélations sur sa manière _ générale autant que particulière et singulière _ d’entendre », page 24.

« Il nous est apparu ainsi que

la discontinuité

qui est au fondement de la pensée bachelardienne

rejoignait une notion centrale dans la musique du début XXème siècle« 

_ et « parmi les contemporains de Bachelard, Claude Debussy nous est apparu le plus proche en tant que créateur d’une nouvelle manière d’écouter la musique _ celles des choses, ou de l’être, ou du moins de ses flux, de ses ondes, aussi ?.. auxquels se rapporter, soi et ses sens… _ au XXème siècle« , ajoutera l’auteur, Marie-Pierre Lassus, page 25… _

: « loin de se soumettre à une continuité supérieure, d’essence mélodique (comme le pensait H. Bergson),

le temps _ musical, tout autant que bachelardien _ y est toujours jaillissant,

et non donné d’avance

_ ici je renvoie à mon article (du 10 mars 2009) : « la poétique musicale du rêve des “Jardins sous la pluie”, voire “La Mer”, de Claude Debussy, sous le regard aigu de Jean-Yves Tadié« , une lecture de l’essai remarquable de Jean-Yves Tadié : Le Songe musical _ Claude Debussy

En musique, cela correspond au rythme

qui surgit de cet ensemble _ si riche en la complexité qualitative sensible et mouvante, sans cesse « altérée« , activement et ultra-finement « variée« , de son tissu déroulé… : cf ici l’analyse magnifique de Bernard Sève : L’Altération musicale _ ou ce que la musique apprend au philosophe… _ constitué par les sons _ ou, mieux, « les timbres« _ et les silences« , pages 24-25…


Avec ce résultat, page 25, que,

si « le temps est essentiellement affectif » _ la citation est empruntée par Marie-Pierre Lassus à L’Intuition de l’instant (page 39) _,

« la poésie _ de l’écrire, tel que se l’assigne Gaston Bachelard (en sa poïétique), selon Marie-Pierre Lassus _ doit être polyphonique et verticale,

comme la musique et l’homme«  _ cf ici L’Air et les songes (page 283) ; voir aussi L’Intuition de l’instant (page 224)…

Au passage, cela m’évoque la thèse de l’« angularité«  que formule l’assez génial, lui aussi, Henri Van Lier, en son Anthropogénie, paru récemment, aux Impressions nouvelles ; cf le bel article sur ce livre (et ce philosophe hors des sentiers battus : Henri Van Lier), par Robert Maggiori, le 6 mai 2010 dans Libération : « Le tour de l’homme« 

Chez Gaston Bachelard aussi, nous avons affaire et à une anthropologie, et à une « anthropogénie«  ! Je note au passage seulement ici cette remarque de Robert Maggiori à propos des aperçus de Van Lier sur la voix : « Pour la voix, Van Lier ne se contente pas de voir les modifications anatomiques du visage et de la cavité buccale qui ont permis son apparition : il fait une théorie du ton, du timbre _ voilà ! _, du son, du chant, du rythme _ nous y sommes !!! _, des instruments musicaux, une histoire de la musique dans le monde grec, l’Inde ou la Chine, une sémiotique du signe musical, une étude de ses fonctions incantatoires, de la magie, du chamanisme, etc.« … Avec cette thèse : « la chance de l’Homme, c’est qu’il fait des angles »… A comparer avec les intuitions de Bachelard sur ce que la verticalité vient apporter (humainement) à l’horizontalité ; et l’importance décisive, ou cruciale, du rythme… Fin de l’incise Van Lier…


Par là, « l’esthétique bachelardienne et l’esthétique sino-japonaise _ Marie-Pierre Lassus y renvoie de façon judicieuse, notamment via l’œuvre de Tchouang-Tseu ! elle y revient à plusieurs reprises en ce livre ; et la page de couverture du livre présente trois illustrations (« Libellules à fleur de l’eau«  ; « Papillon poudré émergeant des fleurs«  ; et « Les Phénix chantent en harmonie« ), d’après des planches extraites du Fengxuan xuanpin, « un des manuels de cithare qin présentés dans la compilation Qinqu jicheng (introduction à l’étude du qin) dite QQJC, pp. 407 et 398«  _ partagent une même conception du monde fondée sur les éléments de la Nature dans laquelle tout est signe pour l’homme, appelé à en déchiffrer les mystères« , page 26.

Aussi, « en tant qu’imaginaire commun à l’humanité, la Nature, et ses mouvements, fut aussi le point de départ de la musique de Debussy (fervent amateur des estampes japonaises) et de la poésie (sic) bachelardienne« , toujours page 26.


Et Marie-Pierre Lassus d’annoncer qu’elle précisera en le détail des analyses de son livre « en quoi consiste l’universalité de son « esthétique concrète »

et ce que signifie, d’autre part, l’expression de « conscience créante » en regard de la notion d’activité issue de son expérience musicale (sic),

créatrice d’une poétique _ oui ! _ conçue comme une « philosophie de l’acte » ou « philosophie de vie en action »« ,

pour aboutir à cette proposition séminale, page 27 :

« C’est à cette source musicale _ en amont _ que Bachelard revient toujours _ en son écrire ! (ou style) _, en sollicitant _ en aval _ la mémoire sensorielle du lecteur qui, au contact de ses livres _ et à son tour : en lisant vraiment ! _, se reconstruit _ voilà ! _ en apprenant _ en le lisant ! donc… _ à bien respirer (ou à chanter).

Ce faisant, il a ouvert une voie nouvelle à la pensée _ poïétique : dont l’objet d’exploration (=visé) est la poiesis_ et a suivi d’autres chemins que les voies _ traditionnelles, déjà tracées et déjà empruntées par certains _ théoriques _ Aristote distinguait theoria, praxis et poiesis _ ou esthétiques _ en tant que déjà configurées, formées, sinon formatées…

En concevant _ c’est du moins l’hypothèse de travail ici de Marie-Pierre Lassus _ la musique comme une phénoménologie _ en acte (et en œuvres ! en résultant…) _ liée à une expérience humaine _ se faisant et défaisant, et métamorphosant sans cesse : à son plus vif, du moins… _,

il s’est intéressé à ce qui est au fondement _ radical ! _ de la relation _ vivante _ entre les êtres et les choses.

La musique, telle qu’elle est envisagée _ implicitement _ par Bachelard à travers _ principalement _ sa pratique d’écoute,

n’est pas un domaine réservé aux seuls spécialistes et musicologues. Elle fait partie _ de même que la poésie (des poètes ; ainsi que de quelques uns, aussi, des prosateurs…) _ de la vie« …


Alors, « elle est chez lui à l’origine d’une ontologie,

ou d’une « poétique de la relation »

pouvant permettre à l’homme de mieux habiter _ hölderliniennement ! « en poète » ! _ le monde,

à condition de se faire lui-même _ eh ! oui ! sans le craindre, mallarméennement… _ instrument, « harpe éolienne » _ cf le final musical éolien de Vendredi in le Vendredi et les limbes du Pacifique de Michel Tournier… _, à l’écoute des sonorités des êtres et des choses« …


Et Marie-Pierre Lassus de proposer, au final de son « Coup d’archet » d’introduction à son essai,

d' »inviter le lecteur à écouter cette action secrète de la musique sous les mots _ voilà ! c’est ce que signifie le mot « style » ! _

et à les vivre comme le recommandait Bachelard afin de mieux s’éprouver lui-même« , page 28 ;

et mieux penser (musicalement et poétiquement) en le ressentant mieux (ainsi !)

ce qui n’est pas nécessairement visible (= repérable ; ni calculable : ainsi un rythme n’est-il certes pas une cadence mécanique programmable !) :

tels les timbres et les silences, par exemple ;

et les rythmes…

Une dernière chose sur cet essai, Gaston Bachelard musicien _ Une philosophie des silences et des timbres, de Marie-Pierre Lassus :

si le livre ne donne pas lieu à une réelle et claire synthèse en son final, ainsi que je le relevai en mon article précédent,

c’est que l’écrire même de Gaston Bachelard _ à l’instar de celui d’un Montaigne, ou d’un Nietzsche, et de quelques autres de ce même acabit, tel un Pascal aussi… _ ne s’y prête guère,

me semble-t-il…


Et se révèlent infiniment précieuses à cet égard
,

alors,

les remarques de Suzanne Bachelard, sa fille, en Avant-Propos : Un livre vécu (de la page 5 à la page 24) au livre posthume de son père, dont elle a établi une version qu’elle a proposée (au lectorat un tant soit peu curieux) en janvier 1988 : les Fragments pour une Poétique du Feu :

« Quand mon père entreprenait la rédaction d’un livre, après des lectures nombreuses et des notes accumulées,

il commençait par le commencement _ futur, définitif _ du livre _ achevé et proposé ainsi à la lecture du lecteur à venir _,

il ébauchait _ voilà ! _ l’introduction,

plus exactement _ et la précision a toute son importance ! on va s’en aviser… _ le commencement de l’introduction,

parfois avec une note marginale : « un début possible ».

Il travaillait par reprise et rectification. Il ne raturait pas _ mais re-commençait… Il annotait le déjà écrit et récrivait.

Nombreuses sont _ ainsi _ les pages où n’étaient marquées que les premières phrases

auxquelles il attachait _ voilà ! un « départ«  ! _ une valeur dynamique _ de propulsion du penser : de l’écrire comme du lire !

Je me souviens qu’en lisant les Monologues de Schleiermacher il me parla avec admiration du « grand coup d’archet » par lequel commence le livre : « Keine köstlichere Gabe vermag der Mensch dem Menschen anzubieten, als war er im Innersten des Gemüths zu sich selbst geredet hat ».

Écrire les premières pages, c’était prendre son élan _ oui ! se lancer… _,

se donner confiance _ comme c’est juste ! la joie du résultat de l’essayer !

Ces pages ébauchées,

la ligne d’intérêt _ la piste _ suffisamment définie pour être un premier guide _ un premier phare, fût-ce rien que la lueur vacillante d’une lanterne, ou la flamme gracile d’une chandelle ; avec son encouragement ! _,

il se mettait à la tâche, dans un continuel va-et-vient entre l’introduction et les chapitres du livre.

Cette fois _ -ci : pour ce qui ne put pas aller plus loin que des Fragments pour une Poétique du Feu _,

le livre projeté est resté, pour reprendre une expression de mon père, « en chantier ».

Le livre n’est pas resté seulement inachevé. Le livre s’est fait _ aussi ! ou plutôt est demeuré… _ plusieurs. Les intérêts _ les pistes commencées de tracer et explorer… _ se sont multipliés, entrecroisés.

Le choix (éditorial ! impératif !) _ difficile _ est resté ouvert.


Plus loin, page 17,

Suzanne Bachelard note aussi, à propos de l’exploration de l’image du Phénix,

à partir de cette citation de son père : « Pour écrire un livre sur le Phénix il faudrait être maître d’une riche érudition. Il faudrait devenir un historien instruit des mythes et des religions » :

Mon père n’en avait ni la possibilité _ temporelle : il vieillissait _ ni fondamentalement le goût. D’autres intérêts _ d’autres pistes _ l’animaient _ voilà le terme moteur !

Pourtant un regret était _ à demeure et obstinément _ actif _ toujours ce vecteur dynamique ! _ de ne pas être assez instruit.

Éternel écolier _ voilà le sort valeureux de ceux qui ont l’âme sempiternellement curieuse ! _,

mon père aimait _ encore et toujours ! _ apprendre.

On peut noter dans ses livres maintes évocations de l’enfance. Ces évocations sont le signe, non pas d’une nostalgie d’un état _ comme induré _ d’enfance,

d’une nostalgie de l’innocence _ dépassée _,

mais bien plutôt d’une nostalgie des capacités _ voilà ! ludiques ! joyeuses… _ de l’enfance,

capacité d’émerveillement de l’enfant rêveur et libre,

mais aussi capacité d’apprendre _ voilà _ et de se transformer _ ou les métamorphoses de l’épanouir passionné ! 

Le désir se renouvelait constamment de lectures de livres érudits _ à la fois ouvreurs d’autres chemins, encore, et rassureurs de connaissances elles aussi joyeuses…

Transparaissait une tension _ voilà _ entre l’audace de l’imagination libre _ ouverte à de l’altérité et créatrice : génialement peut-être… _

et le contrôle _ plus rigoureux _ d’une pensée instruite _ par-dessus l’ignorance première.

Était en jeu également le besoin de rassurer un imaginaire qui se voulait excessif« …

Voilà…

Une quête sans fermeture d’horizon, de la part de Gaston Bachelard…

C’est de là que m’est venue l’affect (= l’impression première) d’un certain piétinement de la démarche de Marie-Pierre Lassus, en son livre ;

comme si celle-ci (ou plutôt celui-ci, ce livre !) ne nous livrait qu’un état encore un peu trop frais, pas assez (éditorialement) reposé ou muri (= épanoui), de sa propre découverte à elle (= la chercheuse), peu à peu,

du « chantier » infiniment ouvert, et laissé ainsi, de la Poétique (fastueuse en ses audaces comme en sa densité, parfois !) de Gaston Bachelard : des années trente à sa mort, le 16 octobre 1962…

Le dossier est ainsi très riche ; et son exploration par Marie-Pierre Lassus

vaut assurément le détour, déjà…

Merci de ce travail

patient, ample et probe !


Titus Curiosus, ce 12 juillet 2010

Curiosité, inspiration et génie : splendeur de la conférence (artiste et rigoureuse) de Mireille Delmas-Marty au Festival Philosophia 2010 à Saint-Emilion

30mai

Hier, sur la foi de la satisfaction de ma découverte l’an passé du Festival « Philosophia » (à Saint-Émilion),

avec, notamment les conférences (superbes !) d’Olivier Mongin et Bernard Stiegler _ le « thème«  de cette cuvée-là était « le monde » (« à l’heure de la mondialisation« ) ; cf mon article (avec lien au podcast) de compte rendu, le 31 mai 2009 : « Très fortes conférences d’Olivier Mongin et Bernard Stiegler à propos de ce qu’est “faire monde”, à l’excellent Festival “Philosophia” de Saint-Emilion«  _,

j’avais hâte de renouveler l’expérience,

d’autant que le « thème » de cette année-ci était « l’imagination » _ un mets de choix pour qui s’intéresse à la poïétique ! à la création par l’esprit (en acte et à l’œuvre !) : artistique et autre…

Un dilemme, toutefois, se posait à moi :

à l’heure de 15 heures 30,

et l’anthropologue Franco La Cecla

et la juriste, professeur au Collège de France, Mireille Delmas-Marty

proposaient simultanément deux (très prometteuses) conférences :

le premier, au Clos Fourtet, sur le sujet de « L’Imagination au masculin » ;

la seconde, répondant aux questions de l’excellent Nicolas Truong _ l’animateur de rencontres dans le cadre du Festival d’Avignon : Le Théâtre des idées : 50 penseurs pour comprendre le XXIème siècle_, sur le sujet de « Imaginaire et rigueur : imaginer un droit mondial« …

De Franco La Cecla _ aujourd’hui professeur d’anthropologie culturelle à Milan et Barcelone, ce natif de Palerme a aussi enseigné à la faculté d’architecture à Venise et été « consultant » auprès de Renzo Piano… _, j’avais découvert avec beaucoup de plaisir et d’intérêt, en 2004, d’abord le passionnant et très incisif Je te quitte, moi non plus _ ou l’art de la rupture amoureuse, puis, dans la foulée, Le Malentendu _ sur une question que j’estime cruciale, au sein des rapports humains ! et sur les conseils d’Isabelle, libraire au rayon « Sciences humaines » de la librairie Mollat : le livre est paru en 1997 aux Éditions Balland _, et Ce qui fait un homme, paru aux Éditions Liana Levi en 2002 ;

ce mois-ci, je me suis plongé avec satisfaction encore _ et je dois en rédiger, pour ce blog, un compte-rendu _ dans le délicieusement incisif, lui aussi, Contre l’architecture (aux Éditions Arléa) : c’est-à-dire vis-à-vis de certaines dérives du « gratin » des architectes les mieux (!) reconnus internationalement (= sur le marché !) au détriment du souci (et de la qualité) de l’urbanisme ! un enjeu d’importance, on peut (et on pourra) en juger… ;

quant à Mireille Delmas-Marty,

pour goûter tout spécialement _ et c’est un euphémisme ! _ la diffusion, le matin entre 6 et 7 heures (quand je prends la route pour gagner mon lieu de travail), de ses splendides cours au Collège de France ; de même que sa participation, parfois, à l’excellent « Le Bien public« , d’Antoine Garapon, le mercredi de 11 heures à midi ; les deux sur l’antenne de France-Culture

_ une exception (pour combien de temps encore ?) que ce France-Culture ! dans un paysage audio-visuel se dégradant (= dégradé !) à vitesse grand V, parmi les effluves nauséabonds triomphants (= « l’air du temps » !) de l’affairisme et du populisme conjugués de la com’, dans tant de médias, ces temps-ci…

je me suis précipité dès sa parution, sur son tout récent Libertés et sûreté dans un monde dangereux (aux Éditions du Seuil) _ j’y consacrerai aussi un article ; j’ai déjà indiqué que Michaël Foessel le citait en son important État de Vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire !

cf mon article du 22 avril dernier : « Le courage de “faire monde” (face à la banalisation esseulante du tout sécuritaire) : un très beau travail d’anthropologie à incidences politiques de Michaël Foessel«  _,

Mireille Delmas-Marty est, à mes yeux, un contemporain majeur !

Et sa conférence _ en la salle des Dominicains _ m’a comblé :

rien que pour des contributions de cette qualité-là, un Festival (de philosophie) tel que Philosophia se justifie !!!

Voici ce que, dès la première heure ce matin,

et pour remercier son remarquable interviewer _ les meilleures conférences étant les conversations vivantes !!! _

j’écrivais à Nicolas Truong :

De : Titus Curiosus

Objet : Philosophia hier à Saint-Emilion + des curiosités croisées
Date : 30 mai 2010 09:09:14 HAEC
À :   Nicolas Truong

Cher Nicolas Truong,

d’abord, j’ai plaisir à vous féliciter pour la qualité de votre « dialogue » avec Mireille Delmas-Marty,
même si l’
opération est, ici, éminemment facilitée _ et comment ! _ par la personnalité « d’exception » (= géniale ! tout bonnement ! cf le concept tel que le propose Kant en sa Critique de la faculté de juger) d’un interlocuteur tel que Mireille Delmas-Marty :
une personnalité
_ et un esprit ; et un auteur _ proprement admirable !

Avec et de l' »inspiration » et du « génie » (tout à la fois poïétique et conceptuel : mais les deux sont-ils, de fait, séparables ? _ peut-on séparer radicalement la métaphore du concept ? ce point a aussi été abordé, en la (très belle !) conférence, à 17 heures de Jean-Jacques Wunenburger : « L’Imagination au cœur de l’existence«  _),
car ils se sont fait parfaitement (= très clairement) « sensibles » _ au public hyper attentif ! _ cette heure et demie là, en la salle des Dominicains :

merci à elle ! et merci à vous de lui avoir permis

et d’en faire preuve, en son exposé en répondant à vos questions « centrales«  _ c’est important d’avoir su (si) bien préparer (sur le fond !) la rencontre _

et en sachant si bien en exposer quelques tenants et aboutissants « théoriques« , sinon « épistémologiques« , à l’œuvre en sa recherche juridique : toujours vivante ; continûment en chantier, ainsi qu’elle l’a elle-même indiqué à propos de nouvelles éventualités (= hypothèses, pistes, programmes) de recherche _ l’institution du Collège de France, par François Ier, en 1530, est une institution prodigieuse…


« Inspiration« , « Génie » : c’est d’ailleurs là
LA question de fond

(= LE fondamental !)

qui devait être « traitée » par une manifestation « philosophique » telle que « Philosophia« 

se donnant pour « thème«  (= matière à problématisations ! par les conférenciers invités : « à plancher » !) l’imagination…

Mireille-Delmas-Marty l’abordant, elle,

et à partir de vos excellentes questions, donc,
à partir de sa pratique propre _ particulière et empirique : juridique ! _

de ce qu’elle nomme les « forces imaginantes » du Droit ;

et pas « théoriquement » (ou philosophiquement, si l’on préfère),
ainsi qu’elle l’a précisé, en réponse à ma question _ à la fin _, de son « impasse« , en sa conférence, sur le « champ » plus spécifiquement « philosophique » (théorique ! voire épistémologique) de l’exploration _ c’est une dynamique ! _ de la faculté d’imagination :

le concept de « génie » tel qu’il est exploré par Kant en sa Critique de la faculté de juger,
L’Institution imaginaire de la société
, cet ouvrage majeur du XXème siècle, et l’exploration de Cornelius Castoriadis ;
mais aussi
, moins repérés, L’Invention intellectuelle de Judith Schlanger (aux Éditions Fayard, en 1983)

et La pensée vive _ essai sur l’inspiration philosophique de Marianne Massin _ la fille de Jean et Brigitte Massin, les musicologues…

Je pense aussi aux travaux (bien connus) d’Edgar Morin ;

ainsi qu’à ceux de Nicole Lapierre : Pensons ailleurs ;

ainsi que ceux d’un François Jullien : par exemple Penser d’un dehors (la Chine), en dialogue avec Thierry Marchaisse, ici : en 2000, un livre passionnant !..

J’étais d’autant plus « aux anges »
que je venais d’être déçu par le non professionnalisme de la conférencière que j’avais écoutée l’heure d’avant (en un exposé réduit à 40 minutes : à son plus grand soulagement !),
qui n’avait rien de vraiment senti, ni de personnel à « dire« ,
pas davantage que le (moindre) désir de susciter l’attention et la compréhension du public présent _ à un point caricatural d’égocentrisme (carriériste ? et germano-pratin ?) ! me suis-je dit en mon for intérieur : c’est ainsi que j’ai ressenti la « performance« …

Quelques ressucées _ à propos de Gaston Bachelard et d’Henry Corbin _ d’une thèse universitaire sienne (déjà ancienne, a-t-elle elle même avoué-proclamé) + quelques aperçus sur son dernier ouvrage publié (de plus fraîche mémoire, lui), lui suffisant apparemment !

D’ailleurs, ce dernier livre que je suis en train de lire est lui-même fort brouillon, à mon goût ; et je ne le recommanderai pas !

Heureusement,
la conférence à 17 heures de Jean-Jacques Wunenburger
(maîtrisant, lui, son sujet) fut tout à la fois et (bien plus) sérieuse (précise, éclairante) et (bien mieux) inspirée :

le conférencier non seulement avait « préparé« , lui, sa conférence _ et pas seulement « ramassé«  précipitamment (entre deux trains…) quelques anciennes « notes« , sans prendre la peine (ou si peu, de rien « situer » auprès d’un public non universitaire guère averti ni du bachelardisme, ni du soufisme décortiqué par Corbin !) : un défaut que ne se permettrait pas un professeur de Terminales de lycée!) _ mais il recherchait « vraiment » (et avec talent !) la compréhension réceptive du public (tel qu’il était) : il l’a trouvée ! en sachant « se faire pédagogique » et « vivant » ! _ encore faut-il au moins le désirer ! et désirer partager sa pensée, sa recherche, ses explications, ses lumières…

Au passage _ à propos de la sélection des intervenants à Philosophia _,
je regrette que les « décideurs » de Philosophia aient négligé de faire appel
à Marie-José Mondzain : sur l’image !


Bref,

vos questions

allaient à l’essentiel ;
et j’ai bien apprécié, déjà, votre question d’ouverture
de l’échange

invitant Mireille Delmas-Marty à présenter (= « situer » !!!)  ce qui dans son histoire personnelle avait pu l' »incliner » à ces (et ses) recherches _ quant à un « droit mondial« , tant « se construisant«  (de bric et de broc : très empiriquement ; et non sans dissensions, en son disparate !..), qu’« à essayer (de proposer) à construire«  ! _

et à leurs modalités idiosyncrasiques : assez originales (« artistes« ) dans le milieu juridique, en particulier…

Le faisceau du souci « protestataire«  (en faveur de la justice _ et à rebours des aspects de « conservation«  du Droit positif établi…) de l’héritage (familial) protestant,
et de la « curiosité » tous azimuts
_ et notamment en faveur de « singularités« , tout spécialement d’artistes ! en leurs gestes ! plus qu’en des « concepts » : d’artistes tels que Paul Klee (au Bauhaus), ou Vieira da Silva, parmi d’autres encore… _ de la personnalité propre de la conférencière

ainsi que sa « méthode » (bricolée « sur le tas« , et au fil des circonstances de ses rencontres, découvertes et « explorations« , surtout _ ainsi a-t-elle entamé, nous a-t-elle confié, des études de biologie, de médecine, de chinois (aux Langues Orientales : deux ans !), de même que de philosophie ; à côté de sa vive curiosité artistique ! _)

d’hypothèses de travail très « pratiques«  _ dans le champ du Droit (tant « fait« , que « se faisant« , et « à faire« , c’est-à-dire « à inventer« , « créer«  ! : dynamiquement !) et de son « analyse«  de tout cela _ résultant de « regards croisés« 


m’ont personnellement bien éclairé
quant au plaisir (passionné !) que j’éprouve chaque fois

à écouter les exposés de recherche de Mireille Delmas-Marty (au Collège de France) donnés sur France-Culture.

Mireille Delmas-Marty constituant pour moi, ainsi, un « contemporain majeur » !
….

Comme je vous l’ai dit très rapidement,
ma propre « curiosité« 

_ ainsi mon blog sur le site de la librairie Mollat a-t-il pour sous-titre : les « carnets d’un curieux » ;
cf son article de présentation, le 8 juillet 2008 :
« le Carnet d’un curieux »

voilà ! _

ma propre curiosité, donc,

est, elle aussi, « croisée » :
elle est née à la fois, les deux « se tissant« ,
du silence de mon père
, né le 11 mars 1914 à Stanislawow en Galicie (non loin de la Bolechow dont traite l’enquête _ superbe ! _ de Daniel Mendelsohn en ses Disparus),
ainsi que du tropisme argentin (éloigné : outremer) d’Adolfo Bioy Casares, cousin de ma mère (toujours vivante, elle : elle a 92 ans ; et une excellente mémoire !) ;
et nous avons de nombreux cousins passionnants en Argentine ;
tel Francisco Erize qui dirigea les Parcs Nationaux d’Argentine et est l’auteur de nombreux ouvrages sur la faune et la flore de son immense pays…
Sa mère, Jeannette Arata de Erize dirige encore (depuis les années 50) le Mozarteum Argentino, au Teatro Colon (qui vient de brillamment rouvrir) ;
elle connaît le « gratin » des musiciens-artistes, et pas seulement les Argentins tels que Marta Argerich ou Daniel Barenboim…

Mais mon côté Gascon, voisin de Montaigne _ j’ai vécu mon enfance à Castillon-la-Bataille, à moins de deux heures à pied de la tour de Montaigne) _
m’entraîne souvent vers la prolixité _ gaspilleuse du temps de qui me lit ou m’écoute : il me faut toujours mieux y veiller !!!

Aussi,
me contenterai-je à ce point de ce déjà bien trop long message
de vous adresser _ afin de donner à « pénétrer » un peu ma propre « curiosité«  _ les liens suivants d’articles de mon blog :

l’un concerne la session 2009 de « Philosophia » (avec les exposés d’Olivier Mongin et de Bernard Stiegler
_ dont le site « Ars Industrialis » a publié en avril 2008 mon article (je vous l’adresserai une autre fois !) « Pour célébrer la rencontre«  _ : « Très fortes conférences d’Olivier Mongin et Bernard Stiegler à propos de ce qu’est “faire monde”, à l’excellent Festival “Philosophia” de Saint-Emilion »

deux autres, les travaux très percutants du très remarquable Michaël Foessel :

« La Privation de l’intime » (au Seuil) : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie »

et « Etat de vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire » (au Bord de l’eau) : « Le courage de “faire monde” (face à la banalisation esseulante du tout sécuritaire) : un très beau travail d’anthropologie à incidences politiques de Michaël Foessel« .


La « poiesis«  _ clé des « forces imaginantes » : c’est le concept qu’a magnifiquement proposé hier Mireille Delmas-Marty _ m’intéresse tout particulièrement.

Cf mes 2 articles sur le livre (puis la conférence chez Mollat, en compagnie de Michel Deguy) de Martin Rueff « Différence et identité«  (chez Hermann) à propos de la poétique de Michel Deguy :
« la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff _ deuxième parution »

et
« De Troie en flammes à la nouvelle Rome : l’admirable “How to read” les poèmes de Michel Deguy de Martin Rueff _ ou surmonter l’abominable détresse du désamour de la langue »


J’avais aussi, plus lointainement (= avant l’ouverture de mon blog : le 3 juillet 2008),
composé un article sur le livre majeur de mon amie Marie-José Mondzain « Homo spectator«  (chez Bayard),
en lui proposant de nommer « imageance » le processus (« imageant« ) qu’elle analyse…


Mon plus récent article porte sur l’admirable film « Copie conforme »
ainsi que sur l’essai de Frédéric Sabouraud « Abbas Kiarostami _ Le cinéma revisité« 
(aux Presses Universitaire de Rennes) :
« Jubilation de la déprise du cinéma d’Abbas Kiarostami : la question de l’amour du couple de “Copie conforme” ; et la profonde synthèse de la “lecture” de Frédéric Sabouraud en son “Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité” »



Voilà.
J’espère ne pas trop vous importuner avec cette avalanche de lectures trop longues…

J’apprécie, cher Nicolas Truong, votre « regard croisé » !

Une autre fois,

je vous adresserai l’historique de mes curiosités : j’avais rédigé un CV pour France-Musique, à l’occasion d’une émission (de François Dru : « le kiosque des amateurs » _ pour le vingtième anniversaire du Centre de Musique Baroque de Versailles, en direct du Château de Versailles, le 22 septembre 2007) dont j’étais l’invité :
car je suis aussi passionné de musique ;
j’ai été « conseiller artistique » de La Simphonie du Marais (et Hugo Reyne) durant la décennie 90
(je suis le co-auteur (avec Hugo Reyne) du programme du CD « Un portrait musical de Jean de La Fontaine« , paru chez EMI en 1996 :
et à l’occasion des recherches duquel j’ai découvert un petit opéra de La Fontaine et Marc-Antoine Charpentier : « Les Amours d’Acis et de Galatée«  (donné à Paris en février 1678) ;
Catherine Cessac mentionne cette « découverte » en la seconde édition de son « Marc-Antoine Charpentier« , aux Éditions Fayard, parue en août 2004) ;

j’ai tenu une chronique d’esthétique pour l’éditeur de CDs Alpha (Jean-Paul Combet : un ami !) ;
ainsi que rédigé des livrets de CDs (« L’orgue Dom Bedos de Sainte-Croix de Bordeaux« , par Gustav Leonhardt : CD Alpha 017 ;
« Le Sermon sur la mort » de Bossuet, par Eugène Green : CD Alpha 920)
;

et donnerai les 19 et 20 février prochain (2011) 2 conférences au colloque « Lucien Durosoir 1878-1955 »
qui se tiendra à l’Institut de la musique française romantique (la Fondation Bru-Zane), à Venise

Cf mon article « Musique d’après la guerre »

à propos du CD des « 3 Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir, par le Quatuor Diotima (CD Alpha 125 : admirable ! sublimissime ! de la hauteur des Quatuors de Debussy et de Ravel, tragique en plus !).

De même que j’ai écrit 2 essais (inédits) :
« Lire « Liquidation » d’Imre Kertész _ ce qui dure d’Auschwitz« 
_ Imre Kertész (génial !) n’est pas assez lu en France, en dépit de (la célébrité seulement nominale ! de) son Prix Nobel en 2002 ! _
et « Cinéma de la rencontre _ à la ferraraise« , sous titré « Un Jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) _ à la Antonioni« …
dont j’ai présenté une « synthèse » (avec projection de la séquence ferraraise de « Par delà les nuages« , en 1995) à la galerie La Non Maison à Aix-en-Provence, le 13 décembre 2008.

Je suis un ami de Michèle Cohen, la galeriste de La NonMaison,
et de
(l’immense) Bernard Plossu _ plus et mieux célébré (jusqu’ici) à l’étranger : États-Unis, Italie, Espagne, Belgique, qu’en France _ :
« L’énigme de la renversante douceur Plossu : les expos (au FRAC de Marseille et à la NonMaison d’Aix-en-Provence) & le livre “Plossu Cinéma” »


Enfin, il m’arrive aussi de « faire le modérateur » de conférences à la librairie Mollat :

cf ces podcasts récents :
avec mon ami Yves Michaud

(il a mis un lien vers mon blog sur son blog Traverses in Libération)
pour son « Qu’est-ce que le mérite ?«  (aux Éditions Bourin) :

pour la conférence d’Yves Michaud le 13 octobre 2009
« Où va la fragile “non-inhumanité” des humains ? Lumineux déchiffrage du “mérite” tel qu’il se dit aujourd’hui, par Yves Michaud le 13 octobre dans les salons Albert-Mollat »


et avec l’historienne Emmanuelle Picard

pour « La Fabrique scolaire de l’histoire«  (aux Editions Agone) :
pour la conférence d’Emmanuelle Picard le 25 mars 2010 

« De la latitude de faire comprendre la complexité de l’Histoire : l’éclairante conférence d’Emmanuelle Picard à propos de “La Fabrique scolaire de l’Histoire” »


De quoi vous noyer sous pareille avalanche !
J’ose espérer que vous aurez le temps d’y picorer si peu que ce soit…

Bien à vous,
et très heureux de vous avoir rencontré,
et ainsi « croisé » votre propre « curiosité« 
_ celle qui vous anime, aussi, à Avignon, dans le cadre d’un autre Festival…

Titus Curiosus


Voilà.

C’est dire si le dialogue de Mireille Delmas-Marty

sur l’invention (« se faisant » comme « à faire » : entre « technique du Droit » et « art du Droit » !)

d’un Droit mondial,

avec ses enjeux pour une humanité peut-être « moins inhumaine » _ ce fut un pan majeur de son intervention ! et ce qui anime et illumine son travail ! _

m’a passionné !


Démêler la complexité dans un esprit de justice et de justesse,

et en préservant (ou/et faisant progresser) les droits de l’indétermination et de la plasticité (= vraie liberté) de la singularité de la personne ! face à tant de pouvoirs _ cf Michel Foucault en la fécondité d’esprit de ses dernières années, luttant (en « pensant« …) contre la montre… _ qui les broient…


Voilà la flamme qui « inspire » Mireille Delmas-Marty en son œuvre d' »imageance«  _ je reprends ici le concept que j’ai proposé à Marie-José Mondzain : autre battante constructive et patiente !


Et quand le podcast de cette conférence sera disponible,

j’ajouterai un lien « en » cet article

afin de contribuer à sa plus large diffusion…


Titus Curiosus, ce 30 mai 2010

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